Chapitre 8. L’émergence d’une existence juridique : une collaboration des acteurs institutionnels et des acteurs communautaires
p. 215-245
Texte intégral
1L’arrivée en masse d’exilés russes dans l’Europe des années vingt donne lieu à la première grande concertation internationale sur le statut de réfugié, sur les droits que ce statut recouvre et les devoirs de protection qui incombent aux pays d’accueil. Cette décennie est un moment important dans l’histoire institutionnelle de l’asile. De toléré, voire implicitement protégé par l’État d’accueil, le réfugié devient considéré dans ses droits. Sous l’auspice de la SDN l’Europe engage sa responsabilité.
2Les différentes étapes qui ont abouti à l’existence juridique et administrative du réfugié se confondent avec la chronologie des actions engagées par les gouvernements à l’égard des émigrés russes, appréhendés comme le premier groupe de réfugiés de l’après-guerre. L’analyse de la prise en charge des Russes permet donc de reconstituer les préoccupations, les objectifs, les intérêts nationaux et internationaux qui ont joué pour faire place au réfugié moderne, au réfugié « statutaire ». Quels furent alors les principaux protagonistes de l’institutionnalisation de l’asile ? En dehors des gouvernements régulièrement sollicités et consultés, le Haut-Commissariat aux Réfugiés de la SDN fut, avec la Commission des juristes russes et arméniens, le maître d’œuvre de cette réalisation. L’originalité de l’entreprise résida sans aucun doute dans la participation décisive des réfugiés eux-mêmes à l’institutionnalisation de l’asile.
3De 1921 à 1936, conférences, accords intergouvernementaux, arrangements internationaux, conventions et processus de ratification ponctuent la lente élaboration du statut du réfugié et son extension à différents groupes nationaux. S’exerçant tout d’abord dans la prise en charge des Russes, les pouvoirs et compétences du HCR vont s’étendre aux Arméniens en 1924, aux Assyro-Chaldéens et aux Turcs en 1927. Inscrite dans les premiers mandats du HCR, l’élaboration juridique de la situation des réfugiés va s’étendre sur une décennie. Il aura fallu dix ans pour que ce processus parvienne à son terme et, à peine atteint, l’objectif paraît déjà insatisfaisant. La Convention de 1933 donne en effet au terme de « réfugié » une définition exclusivement juridique : l’apatridie. Peuvent bénéficier des droits définis dans la Convention quelques groupes nationaux expatriés et dûment mentionnés, dont il est avéré par la législation de leurs pays d’origine qu’ils ont été massivement déchus de leur citoyenneté et qu’ils ne sont donc protégés par aucun État. Or c’est précisément à partir de 1933 qu’arrivent aux frontières des États de nouveaux groupes de réfugiés fuyant le nazisme. Avec eux apparaît donc un nouveau vide juridique qui ne sera véritablement comblé qu’avec la nouvelle Convention de 1951. C’est dire à quel point la notion de réfugié dans l’entre-deux-guerres est encore loin de celle qui s’impose après 1945 sur le critère de la persécution politique (et/ou religieuse). La rupture forte introduite dans l’appréhension juridique du droit d’asile explique, pour l’essentiel, le peu d’attention portée par nos contemporains aux premiers réfugiés « statutaires » de l’entre-deux-guerres. Bien que la conquête de leurs droits fût très circonscrite, les exilés russes et arméniens, par la voix de leurs juristes, prirent une part décisive à l’institutionnalisation de l’asile. C’était, et cela reste, une histoire d’exception.
L’exil Russe en Europe : des réglementations inadaptées, des dispositions juridiques inexistantes
4Au cours du printemps 1921, lors des consultations gouvernementales préparant la création d’un organisme dédié à la prise en charge des réfugiés russes, les autorités belges, françaises, tchécoslovaques et suisses précisent qu’il devrait avoir pour premier but « d’établir le statut juridique des réfugiés »1.
5Cet ordre de préoccupation ne va pas de soi. Alors que les États-majors alliés sont confrontés à Constantinople et dans les Balkans à la nécessité de subvenir aux besoins d’une population de plusieurs centaines de milliers de personnes, la première priorité qu’invoquent les gouvernements occidentaux concerne la nécessité de clarifier juridiquement la situation des réfugiés russes. Fait d’autant plus surprenant qu’à cette date les émigrés ne sont en butte à aucune mesure vexatoire du gouvernement soviétique (le décret sur la déchéance de citoyenneté des Russes à l’étranger n’a été prononcé par le Soviet suprême de la RSFSR qu’en décembre 1921). Si, par la suite, la quête d’un statut spécial pour les Russes sera justifiée par les lois d’exclusion du gouvernement soviétique, tel n’est pas le cas au moment des prises de position gouvernementales en faveur des émigrés issus de la Révolution.
6En réalité, ce qui motive les gouvernements occidentaux est moins les incompatibilités entre les émigrés et leur état d’origine que leur propre opposition au nouveau régime soviétique. Comment reconnaître les nationaux d’un État dont on récuse l’existence ? L’hostilité manifestée à l’égard de la Russie soviétique a favorisé a contrario l’intérêt porté à la création ex nihilo du statut de réfugié. Jusqu’alors les États n’avaient guère jugé nécessaire de distinguer l’étranger de l’émigré politique, et toutes les propositions rédigées dans ce sens par les juristes s’étaient heurtées à des fins de non-recevoir. Cependant la guerre a joué un rôle déterminant dans l’évolution de l’administration de « l’étranger ». Le renforcement du contrôle des non-nationaux a été le terme du lent processus d’institutionnalisation des « papiers » (passeports, certificats d’identité, de travail, etc.), preuves de la légalité de la situation de chacun. Dans l’Europe d’après-guerre le triomphe de la citoyenneté fonde le droit de « l’étranger » sur sa condition de ressortissant. C’est ce nouvel ordre européen qui fait du réfugié un « cas » juridique. Si le débat sur le statut du réfugié s’est focalisé sur les Russes en raison du consensus politique antibolchevique des Occidentaux, il est également apparu comme la résultante du processus de nationalisation des États. Rappelons-en quelques étapes déterminantes.
7L’obligation du passeport (tombé en désuétude sous le Second empire) est réactualisée en France et s’impose dans la plupart des pays européens au cours ou à la fin de la guerre. Dès 1915, un projet de loi évoque les insuffisances de la loi de 1893 et propose la création d’une carte d’identité pour les étrangers2. Celle-ci est introduite par la loi d’avril 1917 qui abolit le certificat d’immatriculation au profit de la carte individuelle. En janvier 14000 Russes actifs de la capitale se sont déjà fait enregistrer selon ces modalités nouvelles3.
8Le nouvel ordre européen qui apparaît au début des années vingt ne diffère pas fondamentalement de ce qu’il était avant-guerre, sinon par la systématisation de mesures qui, jusqu’alors, conservaient un caractère aléatoire. Il en va ainsi des conventions intergouvernementales sur les droits des immigrés. Certains traités avaient déjà été conclus dans la première décennie du siècle (avec l’Italie en 1904 et 1906 ou la Belgique en 1906) mais, après-guerre, la pratique des conventions bilatérales devient une règle4, sauf avec les pays limitrophes où la coutume des migrations spontanées demeure en l’état5. Deux raisons à cela : l’introduction durant la guerre d’une immigration organisée par recrutement collectif, et l’accroissement des migrations dans l’immédiat après-guerre6.
9Pour la première fois, au cours de la guerre, l’immigration est appréhendée, conduite, comme une affaire d’État. Les pouvoirs publics, acteurs directs dans la genèse de nouveaux mouvements migratoires, consolident en l’étendant l’appareil administratif de gestion des étrangers. Le service de main-d’œuvre créé auprès du ministère de l’Armement (puis du travail) a pour effet, selon le député Adolphe Landry, « d’exercer sur l’ensemble des travailleurs étrangers un contrôle qui a permis de stabiliser cette main-d’œuvre, de l’adapter (…), d’améliorer considérablement sa situation économique, tout en mettant les travailleurs français à l’abri d’une concurrence inégale »7.
10L’autre facteur, concomitant du premier, est l’augmentation considérable des migrations intra-européennes après 1918, attribuée, selon les contemporains, à la fermeture des États-Unis à l’immigration8 et au déséquilibre économique de l’Europe après-guerre9. Toujours est-il que les nouveaux mouvements de populations conduisent à distinguer pays d’émigration et pays d’immigration, la France figurant en tête des pays d’accueil sur le vieux continent.
11Il n’est guère étonnant dans ce contexte que, pour les pouvoirs publics, « étranger » et « travailleur immigré » soient devenus quasiment synonymes. La réglementation des entrées sur le territoire, de l’obtention d’une carte d’identité, des droits de l’étranger s’est de plus en plus faite en fonction du statut du « travailleur »10. La quête d’une légalisation était observable aussi bien dans les pays d’immigration que dans les pays d’émigration, les premiers cherchant à limiter l’inflation des arrivées et à obtenir des contreparties, les seconds à protéger leurs nationaux.
12L’assimilation de « l’étranger » à « l’immigré » a donc joué un rôle déterminant dans l’orientation des réglementations de la circulation, du travail, de l’assistance. Les frontières s’en trouvaient renforcées et apparaissait une catégorie exclusive d’étrangers en conformité avec ces législations : « les ressortissants ». En décembre 1920 un jugement du tribunal du Havre déclare l’apatridie « comme non reconnue par la loi française et comme une situation illégale »11. Mais la jurisprudence pouvait-elle faire longtemps abstraction de tous ceux qu’elle mettait ainsi hors la loi ?
1921 – Conférences intergouvernementales et conférences des organisations Russes : l’émergence du HCR
13La situation de l’Europe en 1920 est loin d’être en accord avec les nouveaux principes qui se font jour à la SDN. Les litiges territoriaux, les tensions qui apparaissent entre les nouveaux gouvernements et les minorités en Europe centrale et orientale, la très lente résorption des mouvements de populations civiles et militaires faisant suite à la guerre, manifestent un écart important entre les discours et les faits. Les dispositions introduites dans les traités de paix limitent les cas possibles d’apatridie, mais ceux-ci sont néanmoins déjà nombreux12 ; ils sont néanmoins considérés comme des conséquences résiduelles et donc négligeables des changements intervenus dans la construction de la nouvelle Europe. Le déni des apatrides va de pair avec la volonté de mettre en place les bases d’un ordre qui, en dépit de la confusion du moment, est conçu pour s’installer durablement.
14La première conférence intergouvernementale placée sous l’égide de la SDN et présidée par Fridtjof Nansen a lieu en août 1921. Atermoiements et contradictions caractérisent l’approche du statut des réfugiés russes. De fait, les échanges n’aboutissent pas et les dispositions conclusives laissent chaque état libre de définir les mesures jugées appropriées : « En ce qui concerne le problème juridique, la conférence estime que ce problème doit être résolu par chaque gouvernement (…). Pour les pays capitulaires (qui ont établi des relations diplomatiques avec l’URSS), une solution doit être trouvée en collaboration avec le docteur Nansen13. » Mais se pose déjà la question des « papiers », passeports, certificats d’identité, dont la plupart des émigrés sont dépourvus et sans lesquels ils ne peuvent désormais circuler. Sur ce point la conférence reconnaît la nécessité « d’arrêter des mesures » qui seront prises, en collaboration, par Fridtjof Nansen et les gouvernements14. Dans cet accord de principe, le seul qui fasse l’unanimité, une contradiction interne : les bénéficiaires n’ont pas été clairement désignés, en vertu même de la liberté donnée à chaque état d’apprécier ce qu’est un « émigré russe »...
15À noter que cette suspension de toute décision sur le statut des Russes répondait également au souhait des représentants de l’émigration russe consultés en août 1921 et qui intervinrent au nom de la « Conférence des organisations russes » (collectif de 14 associations présidé par M. de Giers, doyen des ambassadeurs de Russie15). Les membres de la Conférence revendiquaient la légalité de leurs représentations diplomatiques et consulaires présentes dans les grandes capitales et en premier lieu à Paris.
Cette situation, invoquaient-ils, est entièrement conforme au droit international, le parti bolchevique qui a usurpé le pouvoir en Russie n’étant pas reconnu par le peuple russe et ne pouvant par conséquent prétendre aux yeux de l’étranger au caractère d’un gouvernement de jure. Or il est évident que là où s’est maintenue l’ancienne représentation diplomatique et consulaire russe, elle est la plus compétente pour assurer la protection juridique des réfugiés dans les limites que leur assignent les conventions internationales. La protection juridique des émigrés doit donc rester entre les mains de cette représentation16.
16Toute démarche en faveur d’un statut juridique des réfugiés aurait privé les représentations diplomatiques et consulaires anté-bolcheviques de leurs prérogatives. Or, dans les pays où elles restaient en fonction, ces représentations étaient à même de délivrer des certificats d’identité et, ce faisant, pouvaient résoudre nombre de problèmes pratiques.
17Les représentants russes se refusèrent à admettre les Russes des pays capitulaires comme apatrides, ce qui aurait conduit à les régir selon la loi du domicile.
Cette détermination du statut personnel des émigrés russes par la loi de leur domicile, au lieu de leur loi nationale, les dénationaliserait sous beaucoup de rapports dans leur vie civile (…). Le cas des réfugiés russes est tout autre, ils n’ont pas renoncé à leur nationalité (…), ils n’ont pas enfreint la légalité, au contraire ils la représentent à l’étranger. Une seule solution s’impose, c’est la reconnaissance de l’ancienne loi civile russe (le svod Zakonov) dans les domaines du droit international privé, des mêmes effets qui lui étaient reconnus dans les différents pays avant la révolution bolcheviste.
18Cette position fut défendue à Genève le 16 août 1921 par André Mandelstam, juriste renommé, membre de l’institut de droit International, ancien directeur du département juridique du ministère des Affaires étrangères de Russie, qui allait avoir par la suite un rôle cardinal dans l’élaboration du statut du réfugié. André Mandelstam proposait en conclusion que les passeports délivrés par les représentations consulaires anté-bolchevistes « jouissent d’une reconnaissance universelle, comme document certifiant la nationalité russe du porteur »17.
19Cette position ne fit pas l’unanimité au sein des représentants russes : elle risquait de pérenniser une situation temporaire dans le cas vraisemblable où le caractère durable du régime soviétique se confirmerait. Les membres de l’Assemblée constituante en exil se prononcèrent, eux, en faveur d’un « régime spécial » pour les réfugiés18. Mais ce parti pris était encore très minoritaire à l’été 1921. La proposition présentée par André Mandelstam, même irréaliste dans le long terme, exprimait la préoccupation majeure qui allait dominer les travaux des juristes russes tout au long de la décennie : maintenir ou conférer aux représentations des Russes à l’étranger une autorité légale face aux États d’accueil, se substituant, pour ainsi dire, à l’absence d’État tutélaire. Cette volonté de faire des porte-parole de l’émigration les représentants légitimes des réfugiés s’exprimera pleinement quelques années plus tard lors de la reconnaissance diplomatique de l’URSS. Pour l’heure, seule la France répondait aux vœux de la Conférence des organisations russes en reconnaissant comme interlocuteurs de plein droit les représentations consulaires de la Russie anté-bolchevique.
20Au terme des concertations d’août 1921 un modus vivendi s’est établi qui reconnaissait et acceptait les fonctions et limites du HCR : il était entendu que cet organisme était créé pour trouver des réponses aux problèmes posés par l’émigration russe. L’éventualité d’une extension de ses prérogatives à d’autres réfugiés n’est pas abordée à ce moment-là. De plus, les gouvernements tenaient à rappeler leur suprématie sur les compétences de l’organisme, l’autorité du HCR restant implicitement subordonnée à la loi du liberum veto.
Les concertations fructueuses de 1922 : la création par la SDN du « certificat d’identité » des réfugiés Russes
21La question du statut des émigrés Russes redevient d’actualité fin 1921 avec la décision du gouvernement soviétique de leur retirer leur nationalité. Comme le note Gérard Noiriel, « la protection d’un individu dépendant désormais totalement de son État national, les régimes dictatoriaux disposent d’un moyen de rétorsion supplémentaire contre ceux qu’ils persécutent : la déchéance de la nationalité19 ». Le gouvernement de Russie soviétique innove avant que cette pratique soit reprise par le gouvernement kémaliste, puis par le régime de Mussolini.
22Avalisé par le Comité Central Exécutif Pan-russe (VCIK) le 15 1921, le décret sur « la privation de droit de nationalité de certaines catégories de personnes vivant à l’étranger » visait tous ceux qui n’avaient pas fait acte d’allégeance au gouvernement depuis décembre 191720.
23Le décret promulguant la déchéance de citoyenneté des émigrés servit dès lors de référence au débat ouvert à Genève qui s’en trouvait clarifié : le réfugié était assimilé à l’apatride. L’élaboration du premier certificat d’identité des apatrides (l’ancêtre du passeport Nansen) s’accéléra d’autant. À défaut d’engager une concertation sur les droits et devoirs de protection du réfugié, le décret du VCIK entraîna de fait leur reconnaissance « sur le papier ».
24L’urgence, reconnue de tous lors de la conférence d’août 1921, était de fournir aux réfugiés de Russie un substitut de carte d’identité leur permettant de circuler en Europe. Question d’actualité puisque les événements conflictuels dans le Sud des Balkans obligeaient à de nouvelles évacuations de réfugiés21. Forte de cet impératif, la section juridique du secrétariat général de la Ligue des Nations engagea les travaux avec Fridtjof Nansen. De son côté, la Conférence des Ambassadeurs (représentante de la diplomatie russe à l’étranger), créa une commission juridique qui rassemblait plusieurs spécialistes russes reconnus à l’étranger22.
25Issues de ces concertations, deux propositions : la délivrance, par la SDN, de certificats équivalant au passeport national « qui serait visé comme on vise les passeports ordinaires », ou la constitution d’une pièce d’identité qui, bien que délivrée sous la responsabilité du pays d’accueil, aurait valeur de certificat d’identité dans tous les pays23. C’est cette dernière proposition qui fut retenue. Les gouvernements tenaient à conserver autorité sur les entrées et sorties de leur territoire et voulaient éviter que les réfugiés ne bénéficient d’un régime plus favorable que celui de leurs nationaux, contraints, eux, par les visas d’entrées dans les pays étrangers24.
26Il s’agissait dès lors de désigner clairement les bénéficiaires du document. Les représentants de l’émigration étaient sur ce point partagés. Seuls quelques juristes, comme Jacques Rubinstein, se rangeaient au côté du HCR, arguant du caractère d’exception de la situation des Russes en Europe et de la nécessité de les reconnaître comme « réfugiés »25. Mais la majorité d’entre eux refusaient cette qualification car elle conduisait à avaliser le décret de déchéance de citoyenneté promulgué par le gouvernement soviétique. D’où leur obstination à faire valoir le terme de « citoyens russes émigrés » qui finalement ne fut pas retenu. Autre problème : la nationalité des bénéficiaires originaires d’un empire multi-national qui avait pérennisé les distinctions ethnico-nationales de ses sujets. Sur ce point, les porte-parole de l’émigration avaient une position plutôt consensuelle. Il est significatif que les juristes juifs-russes (M. Vinaver, B. M. J. etc.), très présents et actifs dans les concertations, n’aient pas voulu dissocier les émigrés juifs-russes des émigrés russes dans une période où l’émergence du droit des minorités suscitait de fortes revendications à la distinction26. K. Gulkevitch, ancien diplomate de Russie en Suisse et principal conseiller auprès du HCR, fit le bilan de ces concertations en proposant de reconnaître comme bénéficiaire du document toute « personne d’origine russe n’ayant acquis aucune autre nationalité ». C’est ce qui fut retenu pour la définition du premier certificat de réfugié.
27L’arrangement arrêté en juin 1922 était marqué d’importantes restrictions : « 1. Le certificat d’identité ne dérogera pas aux lois et règlements sur la police des étrangers en vigueur dans chaque État. 2. Il n’affectera en rien les dispositions spéciales concernant les personnes de nationalité russe, y compris celles ayant perdu cette nationalité sans en acquérir une autre. 3. L’octroi du certificat n’implique en aucune façon le droit au retour dans l’État où il a été obtenu27. »
28De ces articles c’est à l’évidence le troisième qui posait le plus clairement les limites du document, souvent assimilé à tort à un véritable « passeport ». En effet, la délivrance du certificat n’engageait en aucune façon la responsabilité de l’État d’asile. Concrètement cet article rendait particulièrement difficile l’obtention d’un visa de sortie du pays d’accueil car il imposait au pays de destination le principe d’une installation potentiellement définitive. Lors de leur congrès à Berlin en octobre 1922 les juristes russes approuvèrent la résolution de Boris Nolde qui, tout en saluant les travaux de la SDN, en montrait les limites28. Il était nécessaire de poursuivre les travaux avec la section juridique de la SDN pour engager les États à leur devoir de protection.
29Les restrictions apportées par les États à l’autorité du certificat Nansen suscitèrent d’importantes contestations et le certificat lui-même fut très controversé y compris par certains groupes de ses bénéficiaires. Plusieurs gouvernements, de leur côté, l’utilisèrent comme prétexte pour limiter la reconnaissance des réfugiés.
30Les contestations provinrent essentiellement d’organisations ukrainiennes et caucasiennes qui s’insurgeaient contre la désignation portée sur le certificat de « personne d’origine russe », niant ainsi l’existence des anciennes nationalités de l’Empire qui étaient représentées dans l’émigration. La conception « grand russe » des réfugiés reflétait, il est vrai, la position adoptée par les puissances victorieuses lors de la guerre civile. Seule l’Allemagne avait défendu le principe du démantèlement de l’Empire au profit des nationalités, de l’Ukraine notamment. De plus les militants de la cause ukrainienne, certes présents en France, étaient surtout regroupés en Pologne et en Tchécoslovaquie où ils étaient officiellement reconnus comme « Ukrainiens ». Représentés à Genève au sein du Conseil Consultatif des Organisations Privées où leur délégué Choulguine était particulièrement actif, les Ukrainiens réagirent violemment à la création du certificat Nansen et le boycottèrent29.
31L’accord définitif sur la mise en circulation du certificat Nansen fut signé le 5 juillet 1922 par 16 États30 (40 l’avaient reconnus en 192631). Mais il servit aussitôt de prétexte en Pologne pour opérer une distinction entre réfugiés et « émigrés économiques ». Le gouvernement polonais proclama en effet que seuls pouvaient bénéficier du certificat les réfugiés installés dans le pays avant le 1er juillet 192232. Dans son mémorandum adressé au HCR en juillet il faisait part du « surpeuplement » que représentaient des centaines de milliers de réfugiés parmi lesquels on distinguait clairement ceux qui avaient fait l’objet « des persécutions bolchevistes » de ceux qui cherchaient simplement « une amélioration de leur condition d’existence »33. L’Estonie refusa de reconnaître le certificat Nansen, arguant de la légalité de la situation des réfugiés déjà présents sur son territoire et de la fermeture des frontières aux nouveaux émigrés34.
32Les migrations consécutives à la famine des régions d’Ukraine et surtout l’assouplissement de la législation soviétique sur les sorties du territoire entraînèrent de nouveaux flux que les pays frontaliers tenaient à ne pas amalgamer aux « réfugiés »35. Ces nouvelles migrations (intervenant au moment même où le HCR se réjouissait de la coordination « des efforts des différents gouvernements ») montraient singulièrement les limites de ce certificat dont la délivrance se trouvait, de facto, soumise à l’arbitraire des États signataires.
33La procédure de délivrance des certificats varia selon les États. Dans la majeure partie des pays d’Europe centrale et orientale, où les réfugiés étaient nombreux à désirer quitter leur territoire de premier refuge, ce furent les agents locaux du Bureau International du Travail qui en définirent les modalités d’attribution. Une fois visé par le BIT, le certificat pouvait être présenté à l’administration nationale comme document d’identité. La délivrance de ces documents conduisit les agents du BIT à coopérer avec les comités russes locaux constitués dans les différentes capitales d’Europe et qui s’étaient imposés comme des intermédiaires entre les colonies d’émigrés et les interlocuteurs extérieurs. La création du certificat contribua ainsi à formaliser les collaborations existantes entre l’organisation internationale et les représentations russes de la diaspora, ce qui, nous le verrons, eut par la suite d’importantes conséquences.
34De nombreux dysfonctionnements caractérisaient ce système. En Bulgarie, par exemple, la légation russe persistait à délivrer des documents qui n’étaient pas reconnus dans les pays de transit. À Sofia, s’était créé un comité qui, moyennant 35 lems, distribuait des certificats de réfugiés censés ouvrir des réductions sur les chemins de fer autrichiens (affirmation absolument fausse, selon l’agent du BIT à Vienne36). En Yougoslavie la délivrance des documents était entravée par la corruption de petits fonctionnaires (employés de préfectures ou de mairies) qui n’hésitaient pas à multiplier par 100 le prix du timbre fiscal37. Plus généralement, la mise en œuvre du certificat révéla l’ampleur de la contrainte administrative pesant sur les réfugiés avec ses lourdeurs, ses abus de toutes sortes (en Yougoslavie), son bureaucratisme tatillon (en Pologne).
35En dépit de ces dysfonctionnements le nouveau document d’identité remplit sa fonction essentielle qui était de permettre la circulation des réfugiés. En France, c’est à partir dès années 1922-1923 que la politique d’immigration des réfugiés prit véritablement forme. Le gouvernement, par le biais de ses consulats, pouvait avoir l’assurance que les émigrés russes étaient identifiés » en règle », qu’ils ne contrevenaient pas aux dispositions légales et aux mesures administratives du pays concernant les étrangers.
36De leur côté, les émigrés russes considéraient le certificat Nansen comme un premier pas vers une protection internationale. Etant les seuls à jouir de ce privilège, ils pouvaient considérer qu’à défaut d’en avoir encore tous les bénéfices attendus, ils seraient du moins distingués des masses d’immigrants38.
37Quant au HCR, il retira de cette initiative un prestige qui le positionna. En prouvant ses compétences il faisait une démonstration de l’esprit nouveau qui animait la SDN, ce « chef d’orchestre » des Nations. Fridtjof Nansen sut être un arbitre de talent et s’imposa alors comme le grand ambassadeur de l’humanitaire. Les représentants gouvernementaux lui furent gré d’être parvenu à dépolitiser l’approche du « réfugié ». Son rôle d’assistance s’élargit aux Arméniens lors des échanges de populations gréco-turques. En effet, parmi les nombreux Grecs « rapatriés » d’Asie Mineure figuraient des groupes importants de réfugiés arméniens, au nombre de 90000 selon les estimations internationales. Les propos alarmistes du gouvernement d’Athènes faisaient de ce nouvel afflux un risque de congestion démographique du pays. Ces circonstances imposèrent sur la scène internationale le « cas » des Arméniens dont le refoulement d’une zone désormais surpeuplée par les flux incessants de migrants forcés était prévisible. C’est dans ce contexte que fut décidée l’extension du bénéfice du certificat aux réfugiés arméniens, effective en 192439. Leur prise en charge par le HCR confirma l’organisme dans son rôle de gestionnaire des déshérités de l’histoire : les « sans-patrie ».
Apatridie et apatrides en France : une situation juridique tributaire des relations avec l’URSS
38Refusant la reconnaissance du nouvel État soviétique, le gouvernement français maintint l’ancienne représentation diplomatique russe. Deux arrêts de la cour d’Aix et de Paris confirmèrent la validité des accords consulaires passés avec le gouvernement tsariste40, notamment la convention de 1874 qui stipulait dans son article 2 le libre accès aux tribunaux internationaux des Russes en France et des Français en Russie41. L’étranger étant régi par sa loi nationale, la jurisprudence française reconnut l’autorité de l’ancienne loi civile russe : le Svod Zakonov, comme l’avaient recommandé les juristes russes à la SDN.
39La position du gouvernement français suscita de nombreuses réactions parmi les juristes français qui, en dépit de leur hostilité avouée au nouveau régime, considéraient cette décision comme une hérésie juridique : « De ce que le défaut de reconnaissance retire l’autorité aux actes d’un gouvernement, il ne résulte nullement que les actes du gouvernement antérieur conservent force obligatoire », soulignait J. Champcommunal, en plaidant pour l’élaboration d’un droit spécifique pour les réfugiés. Dès le début des années vingt, toute une littérature juridique française commença à se développer autour du cas des émigrés russes, qui s’accrut considérablement lors de la reconnaissance du gouvernement soviétique en 1924.
40La normalisation des relations franco-soviétiques avalisait les changements de l’Europe vis-à-vis de l’URSS. Cette évolution mettant fin au maintien de l’ancienne représentation russe, les réfugiés se trouvèrent brutalement privés de toute autorité de référence. Mais cette situation fut de courte durée ; dès mai 1925, à l’initiative du gouvernement français, fut créé l’Office Central des Réfugiés Russes, animé par les anciens représentants diplomatiques de la Russie anté-bolchevique42. Cet office avait pour but de reprendre les fonctions d’un consulat, délivrant certificats et recommandations nécessaires pour l’administration française. Dès la seconde moitié des années vingt les juristes russes se mobilisèrent pour faire valoir l’autorité légale de l’Office qui n’avait statut que de simple association régie par la loi de 1901, mais reconnue « d’utilité publique ».
41D’autre part une circulaire du Garde des Sceaux datée du 28 avril 1925 stipulait « qu’une distinction doit être établie entre les réfugiés russes et les citoyens soviétiques (…). Les premiers n’ont pas de statut personnel par suite de l’abolition de l’ancienne loi russe, compte tenu du fait que l’URSS ne reconnaît pas la nationalité russe aux émigrés (…). Il s’ensuit que les tribunaux français auront à apprécier la législation à laquelle les réfugiés devront être soumis et qui paraît être en toute matière celle du domicile de fait, c’est-à-dire celle de la Loi française43 ». Qu’en était-il au regard de la législation des étrangers ?
42La réponse du gouvernement français au questionnaire adressé par le HCR aux gouvernements est à sur ce point explicite44. Il reconnaît que « les mesures d’expulsion et de refoulement s’appliquent aux réfugiés russes comme à tous les autres étrangers »45. D’autre part ils sont soumis aux mêmes règles que tous les étrangers, à savoir qu’ils ne peuvent entrer en France pour y occuper un emploi salarié que s’ils sont porteurs d’un contrat d’embauche visé par les ministères du Travail et de l’Agriculture. En matière fiscale, ils ne sont pas admis au régime de faveur accordé à certains étrangers en vertu de conventions diplomatiques. Néanmoins, précise le texte, « pour des raisons d’équité, on leur accorde le bénéfice des réductions d’impôts ».
43Tandis qu’à la tribune de Genève Fridtjof Nansen ne cessait de rappeler, avec les représentants du BIT, le concours déterminant du gouvernement français à l’œuvre du HCR46, en France aucune disposition ne prévoyait (avant la signature de l’arrangement de juin 1928) de dispositions particulières concernant les réfugiés. Décalage étonnant entre ce vide juridique et l’intérêt que portaient aux réfugiés les juristes français dans cette même période paraissaient en effet de multiples travaux, ouvrages et articles consacrés à l’apatridie comme situation de droit47. Cette préoccupation n’était, il est vrai, pas propre aux juristes français, elle était perceptible dans toute l’Europe.
44En 1924 la conférence internationale de l’immigration à Rome définit le concept d’immigrant : « Est considéré comme « immigrant » tout étranger qui arrive dans un pays pour y chercher du travail et dans l’intention exprimée de s’y établir d’une manière permanente, par opposition au « travailleur immigré » qui s’applique à tout étranger qui arrive d ans un pays dans le but d’y travailler temporairement48 ». Ces deux notions, appelées à servir de base pour l’harmonisation des réglementations nationales, étaient pour le moins empiriques (l’étranger qui vient travailler dans un pays sait-il lui-même si son séjour sera temporaire ou définitif ?) et surtout, comme le faisait remarquer J. Delehelle, elles ne prenaient pas en compte l’état juridique initial de l’immigrant.
45L’actualité des questions juridiques et administratives posées par les étrangers a certainement dirigé l’attention des juristes sur les cas exceptionnels, comme ceux des apatrides. Cependant, c’est moins le concept abstrait du « réfugié » qui occupa les juristes que celui, plus précis et connoté, des « Russes déchus de leur nationalité ». En témoigne, a contrario, le peu de cas fait des Arméniens dont la situation fut le plus souvent abordée dans l’orbite de celle des Russes49. Cette focalisation sur la question russe allait de pair avec des préoccupations plus générales concernant le caractère inédit et révolutionnaire de la législation soviétique : comment apprécier la compatibilité ou non des lois soviétiques avec les législations en vigueur dans l’Europe d’après-guerre. Le cas des réfugiés fut donc au centre d’un débat de plus vaste envergure portant sur la reconnaissance de régimes politiques qui, dans l’esprit, divergeaient des lois des pays de l’Europe50.
L’élaboration du statut juridique des réfugiés : synergies institutionnelles et communautaires
46Après quatre années de silence sur le sujet, le Haut-Commissariat aborda de nouveau, début 1926, la question du statut juridique des réfugiés51. Aucune circonstance particulière n’imposait cette réactualisation si ce n’est le changement d’orientation de l’organisme lui-même. Nansen avait abandonné vers la fin de l’année 1924 l’idée que le rapatriement puisse constituer la solution aux problèmes posés par les réfugiés. Déléguant les questions de placement, donc d’emplois, au BIT, le Haut-Commissariat s’affirma comme un lieu de concertation diplomatique pour tout ce qui concernait la situation légale du réfugié. L’un des objectifs de Fridtjof Nansen fut, dès lors, de parvenir à une caractérisation codifiée de « l’exilé définitif ».
47Les travaux entrepris pour conforter la valeur juridique du premier certificat furent l’occasion pour les juristes russes de se réintroduire dans le débat. La « Commission centrale pour l’étude des certificats de réfugiés », organisme créé auprès de la Conférence des Ambassadeurs, fédérait plusieurs associations russes52. Leurs recommandations, présentées sous la forme d’un mémoire, furent pour la plupart examinées et retenues53.
48Dans le texte final, l’article 2 du nouvel accord, redéfinissait le réfugié russe et arménien en ces termes : « toute personne d’origine russe qui ne jouit pas ou plus de la protection du gouvernement de l’URSS et qui n’a pas acquis d’autre nationalité »54. Le terme « russe », précisait-on devait être compris dans le sens juridique de « ressortissant de l’ancien État russe » et non plus dans l’acception culturelle qu’on lui avait donnée en 1922. Les juristes russes avaient attiré l’attention sur le fait que certains gouvernements refusaient de reconnaître comme Russes des résidents de territoires qui, après la Révolution, s’étaient constitués en États indépendants55. L’article 3 admettait le principe du droit au retour dans le pays qui avait délivré la pièce d’identité56. Ici, la proposition des juristes russes de substituer au terme de certificat celui de passeport ne fut pas retenue.
49Le principal acquis de ces rencontres fut le consentement des gouvernements à l’élaboration de la condition juridique de ceux jusque là désignés comme « apatrides ». Une commission d’experts fut mise en place avec, pour objectif, la formulation de propositions précises.
La commission des juristes russes et arméniens
50La « Commission centrale pour l’étude de la condition des réfugiés russes et arméniens » mise en place en 1926 au sein du Comité consultatif des organisations privées (CCOP) auprès de la SDN rassemblait exclusivement des représentants de l’émigration russe et arménienne, au premier chef des juristes. C’était là une grande nouveauté. En ce sens, elle marquait le dénouement d’années d’efforts des Russes pour apparaître, non pas comme des consultants parmi d’autres, mais comme les artisans mêmes de l’établissement du droit d’asile. L’initiative de cette commission revint au CCOP, lors de sa réunion du 9 septembre 1926. Par cette décision, les juristes russes et arméniens sortaient de leur rôle d’experts consultés pour devenir des collaborateurs à part entière, des acteurs de leur histoire. De fait, ce sont eux qui définirent les termes de l’arrangement de 1928, d’où allait naître plus tard la Convention de 1933 sur les réfugiés.
51La commission, présidée par M. Morellet, chef du service juridique du BIT, était composée de trois Arméniens (G. Sinapian, A. Khatissian, L. Pachalian) et quatre Russes (B. Nolde, J. Rubinstein, A. Mandelstam, K. Gulkevitch). Tous avaient déjà activement participé aux consultations de 1921-1922.
52Le quatuor russe réunissait des hommes aux parcours très différents. Proche d’André Mandelstam qu’il connaissait de très longue date, Boris Nolde, déjà très à droite du parti KD en 1917, affichait des opinions conservatrices au sein de l’émigration mais jouissait d’une très haute autorité parmi les juristes en vertu de ses compétences professionnelles et de son investissement sans compter dans la cause des réfugiés57. Jacob Rubinstein avait en revanche la réputation d’être un radical (son passé de menchevik internationaliste lui collait à la peau). Ce fut sans doute l’un des juristes les plus diversement engagés dans la cause russe, certes, mais aussi dans la cause juive, disposant d’un très vaste réseau de relations aussi bien dans les mouvements associatifs de l’époque que parmi les spécialistes du droit international. Gulkevitch, lui, représentait dans la commission l’interface entre les représentants des réfugiés et le HCR, en tant que conseiller de F. Nansen. Il eut auprès des Russes une fonction essentielle d’arbitrage, invitant à de nombreuses reprises les experts à la modération58. Parmi les Arméniens figurait Alexandre Khatissian, militant de très longue date pour l’émancipation de son pays, et ancien Premier ministre de la brève République d’Arménie dont les liens avec « la Russie en exil » étaient multiples. Membre de la Société des amis de la culture russe, il enseignait à l’université populaire russe et collaborait à diverses revues de langue russe59.
53L’ensemble des documents préparatoires produits par la Commission fut le résultat de très nombreuses concertations menées avec l’ensemble des personnalités et des unions russes impliquées dans le combat pour le droit d’asile60.
54Le but explicite des experts russes et arméniens était de préparer un texte qui puisse satisfaire toutes les parties et être accepté tel quel, sans susciter de contestations. Durant les deux années que durèrent les travaux, les propositions élaborées firent régulièrement l’objet de réunions avec le Haut-Commissaire qui, de son côté, avait envoyé à chaque gouvernement un questionnaire relatif à la situation juridique des réfugiés dans le pays61. La Commission disposait donc d’un bilan général qui mettait en évidence les points d’harmonisation à formuler. Si l’on en juge d’après les correspondances entre Gulkevitch et la Commission, le débat le plus important concerna la définition et le statut des représentations de réfugiés. La reconnaissance de l’apatride impliquait, certes, un devoir de protection, mais encore fallait-il savoir comment l’assurer. La création d’un organisme ad hoc semblait s’imposer mais il restait à le définir. La Fédération de la Ligue Internationale des Droits de l’Homme (FLIDH) s’était déjà préoccupée de la question. La résolution prise par la FLIDH en juin 1926 « sur le statut des émigrés politiques russes a présenté les principales propositions, déjà formulées au sein même de l’émigration, et appelées à être développées par la Commission. Cette résolution suggérait « de substituer, pour les émigrés politiques, à la protection du gouvernement national qui fait défaut la protection d’un organe spécial de la SDN (…), de créer dans les divers pays des représentants de cet organe qui rendraient aux émigrés politiques les mêmes services que ceux des consulats ». Le texte suggérait d’autre part « que les représentants de la SDN exercent leurs fonctions avec le concours des organisations émigrées »62.
55Ces propositions correspondaient en tous points à celles défendues par la Commission. À ce détail près cependant que les juristes allaient surtout concentrer leurs travaux sur les moyens de légitimer les organisations ou les représentants russes. Dans sa séance du 9 juillet 1927, la Commission proposait de conférer au HCR et au BIT le droit d’adjoindre aux représentations du BIT des personnes chargées de remplir certaines fonctions quasi consulaires à titre officiel. Elle suggérait également que ces mandats puissent être confiés « à des personnalités russes, intimement liées aux organisations non politiques de l’émigration russe, connaissant le milieu et les besoins des réfugiés et ayant acquis par leur activité antérieure la confiance des autorités du pays »63. Cette proposition fut soutenue par le CCOP lors de sa séance du 7 septembre 1927 et apparut comme l’un des points essentiels du mémorandum présenté aux gouvernements avec l’aval du HCR, du CCOP, du service juridique de la SDN et du BIT64.
56Parallèlement aux travaux de la commission, le docteur Nansen étendit l’action du HCR. En 1927, plusieurs concertations aboutirent à l’extension des certificats Nansen aux réfugiés assyriens, assyro-chaldéens et turcs, mais l’ouverture en resta là. Pourtant, à cette date, les réfugiés russes n’étaient plus les seuls à avoir été juridiquement bannis de leur pays. L’Italie mussolinienne avait commencé à prononcer la déchéance de citoyenneté de nombreux exilés politiques65. Il y eut bien quelques voix pour plaider en leur faveur : le délégué grec demanda que l’on reconnaisse plusieurs catégories de réfugiés, dont les apatrides et les réfugiés politiques66. Mais cette proposition fut immédiatement repoussée. La France, en particulier, cherchait à éviter tout ce qui aurait pu interférer avec la politique italienne d’émigration, d’autant que les Italiens à partir de 1926-1927 réglementèrent de plus en plus strictement le contrôle des départs67. Or en France l’immigration italienne, dans les nouveaux critères de nationalité, bénéficiait d’une certaine préférence68.
57Le consensus obtenu entre les États-membres limitait aux apatrides le statut de réfugiés ; et encore avec réserve, puisqu’il ne s’agissait que des apatrides dûment désignés comme tels dans une liste des nationalités d’origine (celles qui figuraient dans les règlements fixés pour l’obtention du certificat Nansen). S’exprimait ainsi la volonté générale de clore les dossiers ouverts à l’issue de la Première Guerre mondiale.
« L’arrangement » élaboré par les juristes Russes et Arméniens ; ses conséquences en France
58« L’arrangement » soumis en 1928 aux gouvernements sur le statut des réfugiés russes et arméniens reprenait in extenso le contenu des propositions formulées dans le Mémorandum présenté par la Commission consultative des experts russes et arméniens69. Les propositions rédigées par la Commission étaient, soulignons-le, pesées et mesurées. Elles furent résumées en 10 points.
59Le premier, certainement le plus audacieux, avait trait au pouvoir du HCR. Les experts demandaient que le HCR nomme des représentants habilités par les États-membres et qu’ils puissent jouir, dans les différents pays, des fonctions traditionnellement attribuées au Consulat. Mais, précisait le document, il était entendu qu’il ne s’agissait que de fonctions « techniques, strictement déterminées » qui ne devaient comporter « aucun élément politique et aucune ingérence dans l’activité des autorités du pays »70. En d’autres termes, la principale tâche de ces représentants était de certifier les documents produits par les organismes russe et arménien émigrés et de leur donner le label d’un acte officiel. L’autorité de ces organismes, tel l’Office central des réfugiés russes en France, acquérait ainsi force de loi. Désormais placés sous la tutelle de la SDN via le HCR, ils obtenaient un statut supranational.
60En deuxième lieu, le Comité recommandait que soit appliquée aux réfugiés la loi du domicile, principe acquis dans la plupart des pays, que soient reconnues pour les réfugiés des faveurs accordées sous condition de réciprocité, et qu’ils ne soient pas soumis aux règles restrictives concernant la main-d’œuvre étrangère. Cette dernière revendication recevait une formulation plutôt vague. On y recommandait que les dites règles « ne soient pas appliquées sans tempérament aux réfugiés71 ». Il en allait de même pour les mesures d’expulsion, dont il était souhaitable, lisait-on, « qu’elles ne soient pas mises à exécution dans les cas où le réfugié n’aurait pas obtenu de visa pour un pays frontalier ». Mais le principe lui-même de l’expulsion n’était pas remis en cause alors que, par ailleurs, la justification faite d’un « statut spécial » aux réfugiés reposait sur l’absence d’un pays de retour72. Enfin, le dernier point recommandait d’apposer un visa de retour dans le pays qui avait délivré le certificat Nansen (cette clause mettait en évidence le peu d’effet des résolutions de 1926, portant précisément sur cette question, et qui datent officiellement la naissance du passeport Nansen73).
61Que dire des acquis apportés par l’arrangement ? Certaines concessions, comme celle de donner aux réfugiés les mêmes droits qu’à tous les étrangers, étaient en réalité à double tranchant en imposant aux apatrides les mêmes contraintes législatives qu’aux autres étrangers74. La seule avancée importante était la création de représentants quasi consulaires de la SDN auprès des organismes de réfugiés. Cette disposition (largement contournée dans les modalités de nomination des dits représentants), modifia principalement le statut des offices de réfugiés qui jouaient jusque-là le rôle de correspondants du HCR, gérant à l’échelle nationale l’administration des réfugiés. Désormais, ces organisations devenaient de véritables institutions intégrées au dispositif de gestion des réfugiés. C’était là pour les Russes un acquis important. L’arrangement de 1928 satisfaisait enfin la revendication formulée dès 1921 : l’existence institutionnelle des organismes russes.
62En septembre 1929, 11 États avaient ratifié l’arrangement, mais la plupart avec certaines réserves75. Seules la France et la Belgique avaient admis l’existence d’un représentant de la SDN qualifié pour certifier les documents des offices de réfugiés. Les gouvernements de ces deux pays avaient cependant précisé que ce représentant ne pouvait être nommé que par le ministère des Affaires étrangères, et non par le Haut-Commissaire, ce qui minimisait singulièrement l’autorité de la SDN76.
63La France ratifia l’arrangement le 21 mai 192977 et nomma un représentant Nansen, rétribué par le secrétariat de la SDN, qui, en vertu de l’arrangement, recevait une exaquatur du gouvernement français, bénéficiant ainsi d’une position quasi consulaire78. Le ministre des Affaires étrangères nomma à ce poste Marcel Paon, responsable du service de la main-d’œuvre étrangère du ministère de l’Agriculture qui, à ce titre, s’était occupé du placement des Russes en France79. Ce socialiste, membre du Comité Central de la Ligue des Droits de l’Homme, était l’auteur d’un ouvrage sur l’immigration en France, dans lequel il soutenait le principe d’une immigration sélective, contrôlée, et plaidait pour une réglementation des étrangers. Les positions défendues par M. Paon prédisposaient ce haut fonctionnaire à remplir la tâche assignée : il considérait que l’étranger devait « être préparé à son rôle national », qu’il devait « être suivi et dirigé pour ne pas perdre, par une naturalisation à l’étranger, la valeur intrinsèque que lui donnent les circonstances ». Autrement dit, l’immigré devait « rester un étranger dans le pays qui lui procurait asile et travail80. » En devenant le représentant Nansen en France, Marcel Paon garantissait une situation légale à ceux qui, justement, choisissaient de conserver leur qualité de « personne d’origine russe ou arménienne » et qui, dans une posture de principe, refusaient ainsi la naturalisation.
Une période innovante dans la gestion institutionnelle des réfugiés
64À bien des égards l’arrangement de 1928 est le point d’aboutissement de l’effort déployé pour établir les droits des réfugiés russes et arméniens en Europe. La Convention de 1933 qui sanctionne le statut des réfugiés russes, arméniens, assyro-chaldéens et turcs se distingue de l’arrangement non par son contenu (qui reprend l’essentiel des dispositions du texte de 1928), mais par la valeur de l’acte ; l’arrangement n’ayant pas, comme son nom l’indique, l’autorité juridique d’une Convention.
65L’arrangement de 1928 constitue, d’autre part, la dernière action importante du Haut-Commissariat. En 1930, année de la disparition de Fridtjof Nansen, l’organisme conçu comme temporaire est dissous. L’aide matérielle aux réfugiés fut alors confiée à un nouvel office indépendant qui prit le nom d’Office Nansen, tandis que la gestion juridique des réfugiés fut directement prise en charge par le secrétariat de la SDN81. Succédant au HCR, l’office Nansen fut créé avec l’objectif très transitoire de maintenir une coordination entre les organismes représentant les réfugiés, en particulier avec le souci de contrôler les reversements des bénéfices tirés du timbre Nansen82.
66La Convention sur les réfugiés de 1933 avalisait l’existence de certaines catégories définitivement arrêtées de bénéficiaires, au moment même où de nouveaux groupes de réfugiés se pressaient aux frontières des États signataires. L’acquis était ainsi paradoxal : la législation sur le réfugié, une fois à terme, apparaissait moins comme l’instrument d’une harmonisation européenne que comme l’outil de nouvelles exclusions.
67La façon dont le réfugié a été appréhendé dans l’entre-deux-guerres, constitue au regard des décennies suivantes, une parenthèse historique. Elle semble n’avoir eu ni antécédent ni influence sur la manière de considérer le réfugié moderne. Sa définition exclusivement juridique et sa référence unique à l’appartenance nationale, apparaissent comme le produit d’une époque, très circonscrite, où l’ordre national a été la base de la cohérence européenne. Cet écart net avec l’Europe politique née en 1945 explique la discontinuité de la représentation du réfugié dans l’histoire contemporaine. L’entre-deux-guerres a été une période innovatrice dans la gestion institutionnelle du réfugié mais n’a pas imposé de modèle durable. Cette période marque la transition entre la conception ancienne de la protection, basée sur la pratique d’une médiation entre des groupes privés de réfugiés et les agents de l’État, et la conception moderne de l’asile qui, intégralement régi par la sphère publique, dénie aux réfugiés le statut de protagonistes83. Dans les années vingt et trente, les réfugiés, du moins ceux qui ont été officiellement reconnus comme tels, ont pu à la fois bénéficier d’une reconnaissance publique et internationale, et bénéficier grâce à leurs offices (héritage du xixe siècle) d’une certaine autonomie84. En ce sens certains auteurs sont fondés à penser que les émigrés russes et arméniens ont été, dans l’histoire du refuge au xxe siècle, les groupes les plus privilégiés85.
68Mais soulignons-le, ces « privilèges acquis » l’ont surtout été grâce à la détermination des intéressés eux-mêmes, et ils n’ont jamais recouvert les « vrais droits » des réfugiés. Dans l’obligation de se conformer à la législation sur les étrangers, les apatrides restaient soumis à d’importantes restrictions et tributaires des aléas de la conjoncture nationale.
Notes de bas de page
1 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 596, p. 54. Rapport sur la question des réfugiés russes présenté à la SDN suite à la réunion du 21 février 1921.
2 Gérard Noiriel fut le premier historien à mettre en évidence cette évolution qui participe du processus plus large d’étatisation de la société, (Le creuset français. Histoire de l’immigration xixe-xxe siècle, Paris, 1988).
3 Rapport du chef du service des renseignements généraux à Monsieur le Préfet de police au sujet de la colonie russe, Paris, 19 janvier 1918, Archives de la préfecture de police de Paris, d. 7023 K2.
4 Cf. A. Pairault, L’immigration organisée et l’emploi de la main-d’œuvre étrangère en France, Paris, PUF, 1926, qui donne la liste exhaustive de toutes les conventions passées depuis 1914.
5 Les traités d’établissement et les conventions consulaires signées avec la Suisse, la Belgique, l’Espagne, accordent depuis longtemps le droit de circuler, commercer et posséder en France.
6 Le service du recrutement dirigé par B. Nougaro, qui fut d’abord rattaché au secrétariat d’État à l’Artillerie et aux munitions et, en 1918, au ministère du Travail, conclut des accords avec l’Italie, le Portugal, l’Espagne, la Grèce, sans parler des recrutements effectués dans les colonies. Yves Lequin (dir.), La mosaïque France. Histoire des étrangers et de l’immigration en France, Paris, Larousse, 1992, p. 334.
7 Rapport d’Adolphe Landry, J.O. Doc. parl., 11 novembre 1918, cité par J-C. Bonnet, Les pouvoirs publics français et l’immigration dans l’entre-deux-guerres, Lyon, Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 1976, pp. 37-38.
8 Thèse défendue notamment par Charles Lambert, La France et les étrangers : dépopulation, immigration, naturalisation, Paris, Delagrave, 1928, p. 50.
9 Reconstituant les grandes données de la configuration migratoire de l’Europe après-guerre, Georges Mauco affirme : ce qui frappe surtout dans ces mouvements migratoires, c’est leur caractère avant tout économiques (…) Si la guerre influa tellement sur l’émigration ce fut surtout par les conséquences économiques de ses bouleversements politiques », Georges Mauco, Les étrangers en France, leur rôle dans l’activité économique, Paris, Payot, 1932, p. 109.
10 Au cours des années vingt, la législation sur les entrées, la carte d’identité des étrangers, etc., a connu beaucoup de modifications et il est donc impossible d’en présenter un descriptif synthétique. Soulignons toutefois que l’évolution s’est caractérisée par une série de mesures de plus en plus restrictives.
11 Jacques Champcommunal, La condition des Russes à l’étranger et spécialement en France, Paris, 1925, p. 11.
12 Les gouvernements ont très tôt pris conscience des problèmes de nationalité liés aux bouleversements territoriaux et nationaux d’après-guerre. Ils ont inclus dans les traités de Paris une ancienne disposition du droit international autorisant les personnes à choisir leur future allégeance nationale. Sur le détail des cas d’apatridie liés aux changements territoriaux cf. notamment Dzovinar Kevonian, Réfugiés et Diplomatie humanitaire. Les acteurs européens et la scène proche-orientale pendant l’entre-deux-guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004.
13 Archives MAE, dossier Russie-Europe n° 596, Compte rendu de la conférence sur la question des réfugiés russes, Genève, 26 août 1921, p. 288.
14 Idem, p. 289.
15 Idem, p. 146-160, Mémorandum sur la question des réfugiés russes présentée par la Conférence russe à Paris en août 1921. Figuraient parmi les organisations, La Conférence des ambassadeurs de Russie, les représentants de l’Armée russe (sic), le Comité central de la Croix-Rouge Russe, Le comité des Zemstvos et des villes, le Comité parlementaire russe, l’Union industrielle et commerciale russe, l’Union pour la libération et la régénération de la Russie, l’association des hommes de lettres, le Comité des banques russes, l’Association des chemins de fer privés, l’Association des avocats russes, L’association des ingénieurs russes.
16 Ibid.
17 Ibid.
18 M. Vichniak, Le Statut international des apatrides, Paris, Sirey, 1934, p. 80. Soulignons à travers cette première prise de position, un fait qui ne cessera de s’accentuer par la suite, à savoir les divergences internes à l’émigration concernant les priorités à défendre dans l’élaboration du statut de réfugié. Il est impossible dans le cadre de ce chapitre de les analyser en détail.
19 Gérard Noiriel, La tyrannie du national. Le droit d’asile en Europe 1793-1993, Paris, Calmann-Levy, 1991, p. 100.
20 Sur la présentation des catégories de personnes visées cf. chapitre 3, 1ère partie. Le texte de ce décret a été publié dans Sobranie Uzakonennij raboče-krest’anskogo pravitel’stva RSFSR, 1917-1939 ; Il est daté du 28 octobre 1921 (date de sa signature par le Sovnarkom).
21 Archives MAE, dossier Russie-Europe n° 598, Rapport général sur l’œuvre accomplie par F. Nansen, Haut-commissaire à la SDN, mars 1922, pp. 72-90, n° 599, rapport SDN, 15 septembre 1922 pp. 18-25.
22 V. A. Maklakov présidait cette délégation russe composée du baron Nol’de, de Pilenko, Rubinstein et Gronskij.
23 Archives MAE, dossier Russie-Europe n° 598, Rapport général sur l’œuvre accomplie par F. Nansen, haut-commissaire à la SDN, mars 1922, p. 87
24 Le gouvernement français fut brièvement tenté d’adopter une politique libérale quant à ses frontières au printemps 1919, mais le projet ne fut même pas discuté à la chambre et dans les mois suivant on procéda au contraire au renforcement du contrôle des frontières. P. « L’évolution du statut des migrants en France aux xixe et xxe siècle », L’émigration politique en Europe aux xixe et xxe siècle, Actes du colloque organisé par l’Ecole française de Rome, Rome, 1991, pp. 38-39.
25 M. Vichniak, op. cit., p. 82.
26 Dzovinar Kevonian, « Les juristes juifs russes et l’action internationale des années vingt, Archives juives, Juifs russes à Paris, n° 34/2, 2e semestre 2001, pp. 72-94.
27 GARF, f. 7067, op. 1., d. 28, l. 33-34.
28 Rossijskago Zemsko-gorodskogo komiteta pomošči rossijkim graždanam za granicej, bjulleten n° 9-10, pp. 36-37
29 En Pologne, ce boycott conduisit les autorités de Varsovie à émettre des certificats ukrainiens. Les protestations des organisations ukrainiennes reviennent régulièrement dans tous les dossiers relatifs à l’élaboration du certificat-passeport Nansen et éparpillés dans les différents fonds (Cf. GARF, f. 7067 (collection SDN) et f. 6094 (fonds Gul’kevič).
30 L’Autriche, la Bulgarie, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grande-Bretagne, la Grèce, la Hongrie, le Japon, la Pologne, la Roumanie, le Royaume des Serbes des Croates et des Slovènes, la Suède, la Suisse et la Tchécoslovaquie.
31 J.O. SDN, rapport du 5 sept. 1926.
32 John H. Simpson, The refugee problem. Report of a survey, Londres, Oxford University Press, 1939, p. 360.
33 Archives MAE, dossier Russie-Europe, d. 598, p. 235.
34 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 599, SDN, 2 mars 1923, rapport du HCR, p. 187 et sq.
35 Cf. Jurij Fel’štinskij, K istorii našej zakrytosti. zakonodatel’nye osnovy sovetskoj immigracionnoj i emigracionnoj politiki, Moscou, Terra, 1991, pp. 110-121.
36 Archives SDN, FMN, C 1470, R 1479/45-29317, Rapport du 27/10/1923 de Reymond à Collins.
37 Archives SDN, FMN, C 1401, R402/10/55/1, rapport du 15/2/1926 du service des réfugiés russes.
38 Plusieurs minorités, notamment biélorusse en Pologne s’adressèrent au HCR pour demander l’extension du certificat Nansen à leurs groupes nationaux. Marc Vichniak, op. cit., p. 142.
39 C. M. Skran, Refugees in interwar period. The emergence of a regime, Oxford, Clarendon Press, 1995, 1998.
40 Jacques Champcommunal, op. cit., p. 5.
41 Les conventions et traités franco-russes d’avril 1874 ont fondé l’essentiel des dispositions consulaires et des droits des nationaux dans les deux pays. Cf. Jean Delehelle, la situation juridique des Russes en France, Lille, L. Danel, 1926 pp. 9-15.
42 Sur l’histoire de l’Office central des réfugiés russes, voir 3e partie chap. 9.
43 Dimitri Petchorine, La condition des Russes en France et celle des étrangers (spécialement les Français) en URSS, Paris, 1929, p. 26. Il est intéressant de souligner que cette mesure était en parfaite conformité avec la législation soviétique qui avait reconnu par une circulaire du Commissariat à la Justice, en date du 26 septembre 1923, que « les droits affairant aux biens des sujets russes à l’étranger sont déterminées par les lois respectives des pays où les dits droits doivent être exécutés » J. Champcommunal, op. cit., p. 65.
44 Sur l’élaboration de ce questionnaire, voir infra.
45 Archives nationales. Documents préparatoires et procès verbaux de la conférence inter-gouvernementale pour le statut juridique des réfugiés, 28-30 juin 1928, Paris, 1929, p. 48. Curieusement dans cette réponse à la question IV les Arméniens ne sont pas mentionnés.
46 SDN ; JO, sept. 1926, Rapport sur la situation des réfugiés russes et arméniens, op. cit., SDN, JO. sept. 1927, Rapport du comité consultatif en vue de l’élaboration d’un statut juridique aux réfugiés.
47 Il est impossible de dresser ici la bibliographie exhaustive de tous ces ouvrages. Signalons, parmi les auteurs les plus fréquemment cités, J. Champcommunal, J. Delehelle (qui fit sa thèse sur le sujet en 1926), A. Grouber et P. Tager, E. Lagarde, E. Lambert, J. Scheftel, L. Bach, André-Prudhomme, J. Patouillet, R Dufour, N. Vindry (qui fit sa thèse sur la notion d’apatride en 1925), S. Sugier, R. Labry, A. De Lapradelle, etc. Parmi les revues qui montrèrent le plus d’intérêt au sujet figurent en première place la Revue de droit international privé et le Journal de droit international privé. Les Editions Sirey et Clunet firent paraître plusieurs traductions d’ouvrages juridiques sur les réfugiés russes, émanant en premier lieu de juristes russes (Nolde, Mandelstam, Eliacheff, Vichniak, Petchorine, Pilenko, etc.) mais aussi de juristes allemands (Freund, Klibanski) et britanniques (Idelson).
48 Marcel Paon, L’immigration en France, Paris, Payot, 1926, p. 85.
49 Même dans les années 1926-1928, lors de l’analyse à la SDN du statut des réfugiés, les publications restèrent dominées par les questions relatives aux Russes. Cf. Conventions et Documents relatifs aux réfugiés, Paris, Imprimerie nationale, 1929.
50 J. Delehelle, op. cit., p. 94. Cf. à propos des formes d’harmonisations juridiques entre l’URSS et les États occidentaux, quelques éléments fournis par William Butler Russian laws. Historical and politicial perspectives, Leyde, 1977.
51 L’application pratique des certificats demeurait, selon F. Nansen, souvent « en deçà du niveau nécessaire pour conférer aux réfugiés les bienfaits envisagés lorsque le système avait été préconisé ». Le haut-commissaire rappelait les difficultés éprouvées par certains gouvernements pour mettre en accord les engagements qu’ils avaient pris envers le gouvernement soviétique et les dispositions concernant les certificats d’identité et il soulignait que l’arrangement de 1922 avait créé des contradictions avec certaines législations nationales où la loi sur l’immigration ne prévoyait, en cas d’expulsion pour raisons économique ou politique, que le rapatriement de l’étranger dans son pays d’origine. JO, SDN, rapport du 5 septembre 1926 sur les questions concernant les Russes et les Arméniens, soumis à la 7e session de l’Assemblée par le docteur Nansen.
52 La commission centrale représentait en effet des membres du Comité général pour l’étude de la situation des réfugiés russes en Europe, de l’Office central des réfugiés russes, du Zemgor, de la Croix-Rouge russe, du bureau du Conseil du Congrès des juristes russes à l’étranger. La mobilisation venait donc aussi bien des spécialistes en tant que tels que des organisations d’assistance qui avaient également créé en leur sein des commissions juridiques.
53 GARF, f. 6094 (Gul’kevič), op. 1, d. 11, l. 24 et sq. Mémoire de la Commission Centrale communiqué à F. Nansen, 27 février 1926.
54 Ibid. Se référant au fait qu’il existait de nombreuses personnes en possession de passeports soviétiques encore valables et qui se considéraient néanmoins comme des réfugiés, les juristes russes avaient proposé de s’en tenir à l’ancienne formulation qui ne mentionnait pas la déchéance de citoyenneté, fait dont ils n’admettaient pas la légitimité.
55 Ibid., point 3. Les juristes visaient principalement la Pologne qui n’avaient voulu reconnaître comme Russes de nombreux réfugiés en provenance des anciennes « provinces de l’Ouest » de l’empire, désormais réintégrées à la Pologne (Volhynie, Wilenszczyzna, etc.).
56 Cette mention, reprise sous la forme d’une recommandation (art. 1 para. E) dans la 3e conférence générale des communications et du Transit réunie à Genève en septembre 1927, ne semble pas avoir été systématiquement appliquée. Dans le mémorandum des juristes russes et arméniens présenté en 1928, la requête concernant la délivrance de visa de retour dans le pays sortant est à nouveau formulée. Conventions et règlements relatifs aux réfugiés, op. cit., pp. 25-26.
57 En dehors de ses activités professionnelles (professeur de droit à la faculté juridique de la Sorbonne, membre de l’institut international de Droit, président de diverses associations de juristes (Congrès des juristes russes en Europe, Union des juristes russes à l’étranger…), il était également très actif dans les organisations d’assistance et fut notamment très impliqué dans la société russe de la Croix-Rouge.
58 Plusieurs de ses positions furent remarquables lors des différentes concertations qui ponctuèrent la période, comme par exemple lors du réexamen du certificat où il indiqua que la proposition de rendre les passeports obligatoires lui semblaient « prématurée », position qui fut avalisée par l’ensemble de la commission russe. Cf. Garf, f. 6094, op. 1, d. 11, l. 25-26.
59 A. I. Serkov, Russkoe masonstvo 1731-2000, Ênciklopedičeskij slovar ‘, Moscou, Rosspen, 2001, pp. 849-850. Léon Palachian était le directeur du Comité Central des Réfugiés Arméniens (Comité membre du CCOP de Genève). Il représentait également l’une des plus importantes organisation de bienfaisance (l’Union générale arménienne de Bienfaisance, fondée en 1906), dans laquelle figurait également G. Sinapian (je remercie Dzovinar Kévonian pour ces informations biographiques).
60 Dispersées dans différents fonds d’archives (Archives russes de Leeds, GARF, collection Bakhmeteff, etc.), les nombreuses correspondances entre les commissions juridiques constituées au sein des organisations russes et la commission consultative des juristes russes et arméniens rendent compte de la diversité des positions et des divergences internes sur les points prioritaires des travaux. L’ensemble de ces débats et controverses internes nécessiterait un travail de recherche spécifique.
61 Voir supra la réponse du gouvernement français déjà mentionnée.
62 GARF, f. 6094, op. 1, d. 11, l. 28 et sq.
63 Ibid., l. 68 et sq. PV de la séance du 9 juillet 1927. Par « activité antérieure », les juristes faisaient référence aux diplomates comme ils l’indiquèrent dans la suite de la séance.
64 Ibid., l. PV de la réunion du CCOP du 7 septembre1927 ; l. 102, PV du CCOP du 22 mai 1928 en présence de M. Johnson représentant du BIT et du HCR.
65 Pierre Guillen,art. cit ; Pierre Milza (dir.), Les Italiens en France de 1914 à 1940, Rome, Ecole Française de Rome, 1986. Fernando Devoto, Piotr Gonzalez (dir.), Italiens et Espagnols en Argentine et en France, xixe et xxe siècles, Paris, Budapest, Turin, L’Harmattan, 2001.
66 Marc Vichniak, op. cit., p. 94 et sq. Ce débat sur la reconnaissance des réfugiés politiques eut lieu dans plusieurs enceintes, notamment au CCOP.
67 Michael Marrus, Les exclus. Les réfugiés européens au xxe siècle, Paris, Calmann-Levy, 1986, 126.
68 « Une véritable unanimité se réalisait pour vanter les qualités de la main-d’œuvre italienne », jugée par ailleurs comme la plus facilement assimilable, « membre de la grande famille latine », écrit Ralph Schor, L’opinion française et les étrangers 1919-1939, Paris, Publications de la Sorbonne, 1985, p. 140.
69 « Mémorandum du 21 mai 1928 présenté par le Comité des experts juristes russes et arméniens sur le statut juridique des réfugiés », Documents préparatoires, op. cit. pp. 14-29. Ce texte reprenait lui-même les proposition déjà formulées par la commission consultative dans sa Résolution du 7 septembre 1927.
70 Conventions et règlements, op. cit., pp. 18-19.
71 Dans la présentation générale du mémorandum, le Comité faisait remarquer, pour justifier cette requête, que le nombre de réfugiés russes et arméniens était restreint et qu’il tendait « à diminuer naturellement », ne constituant donc pas « une menace sérieuse à la main-d’œuvre nationale ». Concernant les règles restrictives appliquées aux étrangers, il ne faisait précisément allusion qu’aux certificats de résidence requis notamment en France depuis 1927. Mémorandum, Documents préparatoires, op. cit., p. 23.
72 Rappelons à ce propos que la Ligue des Droits de l’Homme qui reconnaissait la légitimité en soi du principe d’expulsion en demandait la réglementation depuis 1925 et surtout plaidait pour que les réfugiés puissent bénéficier « sans réserve du droit d’asile », Jean-Charles Bonnet, op. cit., pp. 75-76.
73 Néanmoins plusieurs historiens, à commencer M. Marrus, datent le « passeport Nansen » de 1922. Ce dernier commet une erreur d’interprétation en indiquant que la clause essentielle des accords de 1926 concernait « le droit au retour des émigrés dans leur pays d’origine » (En tête du passeport Nansen mention sera toujours faite, au contraire, de la limite de validité du document en cas de franchissement des frontières du pays d’origine). Il semble que l’historien ait fait la confusion avec l’article concernant le droit au retour dans le pays qui a délivré le certificat et qui reconnaît par ce fait l’existence d’un domicile permanent au bénéficiaire. M. Marrus, op. cit., p. 97.
74 Certaines législations reconnurent aux Russes la clause de la nation la plus favorisée. En Yougoslavie, l’autorité de l’ancienne représentation consulaire russe avait été
75 Allemagne, Belgique, Bulgarie, Estonie, France, Lettonie, Pologne, Roumanie, Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes, Suisse, Tchécoslovaquie.
76 Conventions et règlements, op. cit., p. 201. Rappelons, à propos des questions de nomination des représentants, l’entremise infructueuse des juristes russes, toujours très actifs. Dans différents courriers adressés à Albert Thomas et à F. Nansen, ils préconisaient la nomination de V. Maklakov comme représentant du HCR en France. F. 6094, op. 1, d. 11, l. 108, 132, 135.
77 Le décret d’application paru dans le Journal Officiel le 11 janvier 1930.
78 John H. Simpson, op. cit., p. 299.
79 Les relations entre Marcel Paon et les émigrés russes sont examinées dans le chapitre suivant.
80 Marcel Paon, op. cit., p. 109.
81 Francis P. Walters, A history of the League of Nations, Londres, New York, Toronto, Oxford University Press, 1952, vol. I, p. 188.
82 De même que dès sa création le mandat du HCR devait être renouvelé annuellement, de même prévoyait-on la liquidation de l’office Nansen dans les 10 années qui devaient suivre sa création. P. Walters, op. cit., p. 189.
83 Après le bref intermède des années 1940, les Offices sont supprimés et le réfugié est intégré au système administratif national (en France, l’Office de Protection des Réfugiés et Apatrides, créé en 1952 et placé sous tutelle ministérielle).
84 Cf. à propos, Gérard Noiriel, La tyrannie du national, op. cit. D’une manière générale, l’évolution décrite en conclusion empreinte beaucoup à cet ouvrage.
85 Les privilèges des Russes ont été abondamment dénoncés dans la seconde moitié des années trente, en particulier par les associations de défense des réfugiés antinazis et le parti communiste. Cf. notamment à ce propos, Lambert Léo, La Société des Nations et les émigrés politiques, gardes blancs, espions, terroristes autour de l’Office Nansen, Paris, Editions universelles, 1938. En dehors des écrits de conjoncture, il faut mentionner également l’étude de Jacques Vernant qui, analysant la situation des réfugiés d’après 1945, insiste à plusieurs reprises sur le changement du contexte international et les pertes d’autonomie constatées par rapport aux réfugiés de l’entre-deux-guerres. (J. Vernant, les réfugiés dans l’après-guerre, Monaco, Le Rocher, 1955).
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