Chapitre 7. Des comportements collectifs singuliers ? Des comportements identiques aux autres ? Enquêtes, chiffres et statistiques
p. 185-214
Texte intégral
1L’histoire de l’immigration dans l’entre-deux-guerres est marquée par la césure entre les années 1920 et les années 1930. Après la grande ouverture qui a suivi la fin de la guerre a succédé la phase de dépression : ceux qui avaient répondu à la demande de travailleurs formaient désormais la grande cohorte des « hommes de trop ». Quel a été dans ces circonstances le sort des réfugiés ? Les historiens français les ont le plus souvent considérés comme un groupe « à part », et les spécialistes de l’émigration russe ont continué à les voir comme victimes d’un fort déclassement social, ce qui ne pouvait que minorer les incidences de la crise économique.
2Comme nous l’avons vu, les Russes ont largement bénéficié de la politique d’immigration des années 1920 (même si, à l’évidence, cela n’a jamais annulé souffrances et difficultés…). Cette décennie a vu se développer en France des initiatives originales et des formes très diverses de soutiens qui invitent à relativiser les images de dénuement, d’isolement et de dureté des premières années, surtout si on établit comparaison avec les conditions d’accueil dans les autres pays d’Europe. Confrontées aux années 1930, les « années folles » apparaissent comme une sorte « d’âge d’or » révolu. Il est donc pertinent de mettre en regard l’évolution de ce groupe de réfugiés et celle, plus générale, des étrangers présents en France dans cette période. En quoi les comportements des premiers ont-ils été spécifiques, et en quoi peuvent-ils s’expliquer par les pressions conjoncturelles et environnementales subies par l’ensemble des immigrés ?
3L’évolution des dynamiques démographiques, les continuités et les changements intervenus dans la géographie des implantations russes sur le territoire et dans leur répartition au sein du monde du travail, les stratégies mises en place pour faire face à la crise, les formes de stabilisation, voire d’ascension sociale, l’attitude particulière des Russes face à la démarche de naturalisation, sont autant de faits à considérer. Même si les sources et les outils dont on dispose pour mener à bien cette investigation sont souvent insuffisants, ils permettent de faire un premier état des lieux de ce que l’on sait des transformations de la collectivité russe jusqu’à l’entrée en guerre de l’Europe.
Les années trente : une communauté en diminution
4Premier constat : la disparition de plus de 5 Russes entre le recensement de 1931 et celui de 1936. Si ce même constat peut être fait sur l’ensemble des étrangers enregistrés dans le territoire, il reste à questionner quand il s’agit de réfugiés dont le retour au pays était très difficilement envisageable. Les grands mouvements de rapatriements de Polonais qui s’amorcent dans la première moitié des années 1930 au rythme de la crise qui affecte le marché de l’emploi, annoncent le repli de la présence étrangère tout au long de la décennie. L’effacement des Russes ne peut pas, a priori, s’expliquer par des départs massifs du pays (même si ce phénomène a peut-être été moins marginal qu’on ne l’a pensé). Cet effacement signalerait plutôt l’absence de toute dynamique démographique positive : la relative longévité de l’installation en France n’a pas conduit à un développement significatif des familles. Tout porte à croire que l’émigration russe amorce déjà son déclin dès lors que s’achèvent les grandes vagues d’immigration des années 1920. C’est l’analyse que font de la situation les spécialistes de l’époque et ce fait, observable dans tous les pays de la diaspora, a été attribué au vieillissement des individus c’est là, du moins, l’explication donnée.
5S’interroger sur le comportement démographique des Russes c’est tout d’abord considérer les différentes générations qui ont composé cette population. On observe d’emblée une forte disparité entre les discours et l’analyse des données statistiques. John Simpson, constatant le tarissement rapide de l’émigration russe dans l’Europe de la fin des années 1930 (diminution de 50 % des effectifs par rapport aux données des années 1920-1925) l’attribue à la mortalité naturelle d’une population âgée1. Madeleine Doré, dans son étude réalisée en 1943 sur la colonie russe de la banlieue parisienne du Sud-Ouest, parvient aux mêmes conclusions2. Et les rapports rédigés par les organisations émigrées de l’entre-deux-guerres font souvent état des problèmes posés par la présence des vieux réfugiés3.
6Pourtant les données dont on peut disposer dans les dossiers des réfugiés infirment cette perception4. La pyramide des âges à l’arrivée met en évidence la sur-représentation des générations des 30-40 ans, et, a contrario, la très faible proportion de vieillards et d’enfants. Comparée aux étrangers installés en France la population réfugiée russe de cette époque est légèrement plus âgée ; l’âge moyen des étrangers étant de 30,5 ans. Cette différence, même faible, ne sera pas sans conséquence à l’échelle du comportement démographique des Russes ; elle jouera aussi dans le marché du travail où le renforcement des critères de sélection conduira à privilégier l’embauche des étrangers les plus jeunes. Ceci étant, les réfugiés russes se distinguent peu, par la représentation des générations, des immigrés présents en France dans la même période.
7L’écart constaté entre les résultats des enquêtes de l’époque et les données statistiques dont on peut disposer peut recevoir plusieurs explications. Ces enquêtes, comme celle effectuée par M. Sams en France, reposaient sur une série d’entretiens faits avec les « cadres » de la communauté russe (dirigeants de grandes organisations comme la société de la Croix-Rouge russe, prélats, responsables d’associations locales, etc.5). Or, ces interlocuteurs, qui représentaient le plus souvent les élites de l’émigration, étaient plus mûrs et plus âgés que la majorité des réfugiés. Il est donc probable qu’ils aient contribué, malgré eux, à induire les descriptions des enquêteurs par leur seule présence physique et par leur propos. Cet effet de vieillissement est néanmoins réel et il semble dû, principalement, à la disparition progressive de la première vague des émigrés de la fin du xixe siècle, encore très présents dans la décennie d’après-guerre. Ainsi s’expliquerait, en partie du moins, la baisse des effectifs de Russes enregistrée sur le territoire français. Il semblerait donc que, parmi les réfugiés venus dans les années 1920, les personnes âgées aient été moins nombreuses qu’on n’a pu le dire. Ce qui est certain c’est qu’elles ont fait l’objet d’une attention toute particulière.
8La communauté russe s’est effectivement distinguée dans la prise en charge rapide des vieux réfugiés. Dans les années vingt fut créée la première maison de retraite russe à Sainte-Geneviève-des-Bois dans l’Oise, bientôt suivie par d’autres fondations sur la Côte d’Azur6. Au début des années 1930 la maison de Sainte Geneviève-des-Bois hébergeait environs 300 pensionnaires dont de nombreux invalides de guerre. Mais il semble que cette institution à l’origine du moins, ait surtout accueilli les réfugiés issus des classes privilégiées de l’émigration7. Ceci confirmerait l’hypothèse d’une visibilité des élites âgées qui aurait focalisé l’attention des contemporains alors que leur nombre aurait été en réalité relativement restreint. Les cimetières russes existaient dès les années 1920. Ouvert en 1927, celui de Sainte-Geneviève-des-Bois comptait 31 tombes en 1931, 53 en 1935 et 83 en 1939, de tels chiffres ne témoignent pas d’une notable évolution de la mortalité8. D’autres sources (tels les registres paroissiaux des églises orthodoxes de France) pourraient apporter de précieuses informations sur l’évolution de la mortalité des réfugiés russes9, en particulier sur ce qu’il en fut exactement de la « mortalité précoce » mentionnée par plusieurs spécialistes. Marc Raeff y voit la conséquence des pénuries et des épidémies de la guerre civile qui auraient physiquement affaibli les émigrés10 Madeleine Doré l’attribue en partie à la pénibilité des travaux exercés les cas de tuberculose auraient été nombreux parmi les ouvriers russes de Boulogne-Billancourt11. Il paraît très vraisemblable que l’épreuve de l’exil, après celle de la guerre civile, ait infléchi le cours des vies et que le désœuvrement, la nostalgie passéiste de l’émigration, aient conduit à des démissions.
Une communauté où les hommes sont surreprésentés
9Les Russes avaient, dès l’entre-deux-guerres, la réputation de constituer une population démographiquement peu dynamique12. « Milieu triste, écrit Nina Gourfinkel, sans enfants, buvant ferme, comptant de nombreux célibataires, des « solitaires » disaient-ils en russe avec mélancolie »13. Ce qu’avaient confirmé les recensements de l’entre-deux-guerres : la population russe était caractérisée par une surreprésentation d’hommes. Ils forment 65 % de l’effectif total des Russes en 1926 et un peu plus de 61 % au recensement de 1946. Cette importante disproportion entre les sexes était due en partie à la politique de recrutement à distance des entreprises françaises qui dissuadaient la venue des familles. Cette même répartition était observable dans d’autres pays de la diaspora qui avaient majoritairement accueilli les vétérans de l’armée blanche, comme en Yougoslavie (66 % d’hommes)14. Les informations concernant les pays où, semble-t-il, se sont concentrées de nombreuses familles (comme la Pologne ou l’Estonie) sont malheureusement limitées et rien ne permet de conclure à une surreprésentation générale des hommes dans la Russie en exil. Il est vraisemblable cependant que les dures conditions de départ ont découragé les familles les hommes auraient pris le risque d’émigrer mais peu d’entre eux auraient ensuite fondé une famille, du moins en France15. Nuptialité et fécondité se distinguent en effet par des chiffres atypiques comparés à ceux concernant les Français ou les autres étrangers présents dans cette même période sur le territoire.
Situation matrimoniale des réfugiés russes enregistrés à l’OFPRA (en %)
Célibataires | Mariés | Veufs | Divorcés | Total | |
Hommes | 33,8 | 52,3 | 8,1 | 5,8 | 100 |
Femmes | 11,7 | 34,3 | 44 | 10 | 100 |
10Ce tableau fait apparaître dans la population russe une proportion très élevée de célibataires chez les hommes et un déficit de femmes. Mais, en même temps, on observe un taux relativement important de femmes célibataires alors qu’elles n’étaient pas confrontées à une pénurie d’homme… L’enquête conduite par le Service Social d’Aide aux Emigrants (SSAE) sur la situation matrimoniale de différents groupes nationaux installés en France met en évidence la spécificité du comportement des Russes. Ces résultats font apparaître 33 % de célibataires chez les Russes contre 17 % chez les Polonais, 12 % chez les Italiens et 21 % chez les Espagnols (qui étaient eux-mêmes souvent des réfugiés16). Ceci peut s’expliquer par l’histoire de la migration, par la continuité de collectivités exclusivement masculines formées au cours des guerres et restées soudées tout au long des trajets de l’exil, ou encore par les formes de l’assistance et du placement professionnel. La longévité du compagnonnage, la solidarité née du partage des épreuves ont été des ressources psychologiques décisives mais elles ont très certainement freiné les projets de création d’un foyer. Certaines des formes singulières qu’ont pu prendre ces communautés d’hommes (comme les chœurs, nombreux dans les colonies de province) donnent l’image de cet « entre soi » des « solitaires ».
11À l’évidence, comme le suggèrent les chiffres, beaucoup ont souffert de l’absence de compatriotes féminines et n’ont pas envisagé d’alliances avec des « étrangères ». Le repli sur soi, lié à l’espoir jamais vraiment éteint d’un retour au pays, est un fait constant dans l’histoire de l’émigration. Cependant les unions entre hommes russes et ressortissantes d’autres nationalités n’ont pas été aussi marginales qu’on a pu le dire. Des réfugiés mariés enregistrés à l’OFPRA, 52 % ont épousé une compatriote et un quart environ déclarent une conjointe française. Les autres ont généralement épousé des ressortissantes de pays slaves ou anciennement intégrés à l’ancien empire russe (10 % ont une conjointe polonaise, 5 % une conjointe bulgare ; les autres étant, pour la plupart, originaires de Yougoslavie ou des Pays Baltes). Les mariages avec des partenaires de culture méditerranéenne sont en revanche rares, alors qu’Italiens et Espagnols sont bien représentés parmi les étrangers. Dans le cas des unions mixtes, il semble que la proximité culturelle et la volonté d’adaptation à la société française aient orienté le choix du conjoint.
Une communauté où les enfants sont sous-représentés
12Autre constat : le faible nombre d’enfants. D’après l’étude de M. Doré sur les colonies russes de Clamart et du Petit-Clamart, on ne compte que 66 enfants pour 61 couples17. Selon Jacques Vernant,
l’émigration russe constitue une exception (…) quant à la fécondité des mariages parmi les réfugiés. Cette émigration a été relativement peu féconde, la majorité des ménages ayant un ou deux enfants, à part quelques communautés qui se sont installées en milieu rural, tels ces cosaques établis dans la région de Toulouse, qui ont fréquemment 4 ou 5 enfants. La faible fécondité de l’émigration russe s’explique par ses caractéristiques sociales ainsi que par le déclassement subi dans le pays d’accueil18.
13L’enquête du SSAE parvient aux mêmes conclusions : le tableau ci-dessous fait apparaître la moyenne du nombre d’enfants par ménage et par nationalité (celui des ménages français étant de 1,9 au début des années cinquante)19 :
14Alors que les générations arrivées en France dans les années vingt étaient en âge de procréer, elles ont eu très peu d’enfants. Plus que des motifs d’ordre purement économiques (Italiens ou Polonais n’ont pas été arrêtés par ces mêmes raisons), ce serait l’environnement psychologique de l’émigration russe qui serait en cause. L’incertitude longtemps entretenue d’un possible retour, la culture de la « défaite », de la perte, qui s’est développée dans différentes communautés à travers la mythification d’un monde révolu peuvent expliquer cette très faible fécondité. La conjoncture a également joué un rôle les réfugiés sont arrivés en France à 30 ans passés, âge à l’époque déjà tardif pour fonder une famille. C’était aussi la période d’installation, la plus difficile matériellement et psychologiquement, donc peu propice à la fondation d’un foyer. Le léger écart d’âge, supérieur à la moyenne d’âge des autres étrangers, a pu avoir, ici, une incidence décisive.
15Attentives aux personnes âgées, les organisations sociales de l’émigration russe l’ont été plus encore à l’enfance. La création d’écoles et lycées russes était explicitement prioritaire dans l’action sociale engagée au début des années 192022. La perspective d’un retour prochain justifiait cette préoccupation majeure se prémunir contre la « dénationalisation » des enfants. En France, le lycée russe de Paris qui prit le nom de sa fondatrice, L. P. Donskaja, fut créé dès 1920, accueillant les enfants du cours préparatoire à la classe de Terminale23. Les grandes organisations de l’émigration, les communautés locales de réfugiés ou les institutions d’aide à l’enfance, prirent l’initiative d’ouvrir des établissements (jardins d’enfants, pensionnats, orphelinats) plus ou moins éphémères. Une enquête réalisée à Genève à la fin des années 192024rend compte de la difficulté quasiment insurmontable à évaluer le nombre d’enfants de l’émigration et le nombre de ceux pris en charge par des institutions ad hoc25. Elle mentionne dans son premier rapport de 1930 l’existence en France de 9 jardins d’enfants et écoles primaires, de 5 établissements secondaires et de 9 internats, ces différentes institutions rassemblant au total 657 enfants26. Les chiffres des colonies de vacances sont similaires (621 enfants pris en charge en 1929). Mais ces bilans ne prenaient en compte que les établissements fondés par des comités de bienfaisance russes ou par des personnalités de renom. Or, des établissements français, tel celui des Jésuites de Meudon, accueillaient des enfants de réfugiés et créaient pour eux des programmes d’enseignement spécifiques. On est cependant frappé par l’écart existant entre la multitude des organismes engagés dans l’aide à l’enfance et le faible nombre d’enfants concernés, ce qui pourrait s’expliquer par l’extrême dispersion géographique de la jeunesse émigrée. Les principaux bénéficiaires des établissements russes furent les enfants de la région parisienne et de la Côte d’Azur, les autres ayant été principalement scolarisés dans les écoles françaises tout en fréquentant, le plus souvent, « l’école du jeudi » où était enseignées la langue et la culture d’origine.
16L’attention portée à l’éducation des enfants et à leur encadrement demeura une caractéristique durable de la communauté russe de France où, jusqu’à nos jours, perdurent des mouvements de jeunesse créés dans l’entre-deux-guerres27. L’hypothèse est légitime de voir dans les formes de transmission de l’identité culturelle russe une volonté d’autant plus forte que les nouvelles générations, nées sur le territoire français, étaient numériquement peu significatives. Les traces de l’implantation historique des Russes étant menacées, il importait de maintenir et d’affirmer une culture naturellement en voie de perdition.
17On constate donc une relative inadéquation entre la répartition des classes d’âges et les priorités données dans l’action communautaire aux générations minoritaires, qu’il s’agisse des personnes âgées ou des enfants. Ceci a largement contribué à fausser la perception du profil démographique dominant de l’émigration russe qui s’est comportée comme une véritable société en exil, témoignant d’une responsabilité collective toute particulière à l’égard de ses membres les plus fragilisés.
18Le sort fait aux invalides est à cet égard significatif : l’invalide russe a été au cœur de l’action d’assistance. Omniprésent dans les rapports sur la situation sociale de l’émigration russe, le plus souvent bénéficiaire des sommes perçues lors des nombreuses manifestations (bals, kermesses, spectacles, journées du chauffeur, etc.), le mutilé de guerre témoigne de la sollicitude de la communauté à l’égard des plus démunis. En 1931, 6 082 invalides étaient recensés dans les différents pays de la diaspora et moins de 10 % avaient un emploi. La plupart étaient localisés en Yougoslavie (2140) et en Bulgarie (2043), la France en comptant 60028. Bien que peu nombreux, comparés à ceux présents des pays balkaniques, ils représentaient aux yeux de tous la part de la communauté sacrifiée pour la sauvegarde de la patrie. Plus encore, l’invalide était aussi symbole de souffrance. En quête permanente de ressources, il disait le handicap à vivre du réfugié, sa difficulté à se projeter dans l’avenir, son incapacité à faire fi du déracinement.
L’installation dans les campagnes et dans les « Colonies » : des réponses aux premiers effets de la crise de 1929
19L’étude de l’évolution de la « géographie russe » de France montre que, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, elle conserve dans ses traits principaux sa configuration initiale. À ceci près que les concentrations les plus importantes de réfugiés enregistrent partout des pertes d’effectifs. Les résultats des recensements des années 1930 font apparaître des baisses numériques significatives (15 % en moyenne) dans les départements où les Russes étaient les plus nombreux : ceux de la région parisienne, des frontières Nord-Est, ceux de la région Rhônes-Alpes et du Sud-Est. Autour de Paris, la diminution est importante en Seine-et-Oise (20 %), département où les Russes s’étaient installés dès la dernière décennie du xixe siècle.
20Dans les régions minières et métallurgiques du Nord et du Nord-Est, la population étrangère dans son ensemble, sous les effets de la crise, a connu des départs massifs. Les Russes, plus tôt que les autres, ont cherché à partir, et les tendances à « déserter » le territoire se confirment. Dans le Nord, il s’agit bien d’une véritable désertion, puisque les Russes ont pratiquement disparu du département, tandis que plus à l’est, en Moselle, non seulement leur présence demeure encore significative mais, proportionnellement, ils y ont mieux supporté que d’autres étrangers les effets de la récession. Une possible explication le réel investissement de certains responsables d’entreprises dans l’installation durable des Russes. C’est ce que souligne le journaliste des Dernières Nouvelles qui rapporte les dispositions prises par le directeur de la principale usine pour la colonie russe de Nilvange : don de locaux, aide à l’installation du prêtre. De fait, après avoir connu d’importants départs vers Paris à la fin des années 1920, cette colonie se caractérisa dans les années de crise par une remarquable stabilité : l’institutrice russe était rémunérée par la collectivité, la « commune russe » de Nilvange organisait un bal annuel en faveur des invalides (qui rapportait jusqu’à 3 000 francs) et elle disposait de ressources suffisantes pour attribuer, entre autres, des bourses d’étudiants29.
21Dans la région Rhône-Alpes où la baisse de la population étrangère atteint 25 %, celle des Russes varie beaucoup la chute de leur effectif dans le Rhône (-12 %) et dans l’Isère (-19 %) donne un ordre de grandeur. Arrivés dans la région entre et certains en repartent rapidement. Parfois du fait même des politiques de gestion patronale de la main-d’œuvre. L’AFC (qui avait une usine à Rioupéroux) ou la COTRAB (dont une unité était localisée à Grenoble) possédaient l’une et l’autre plusieurs centres de production où la main-d’œuvre était déplacée en fonction des besoins locaux30.
22Plus au nord, en Saône-et-Loire, près du tiers des réfugiés employés jusqu’alors au Creusot ont disparu. Le comité des émigrés russes de Lyon, au milieu des années trente, fait état dans un rapport sombre de 45 % de chômeurs31, et un appel au secours est officiellement adressé par ses représentants au cardinal Maurin, demandant des vêtements, l’organisation de soupes populaires, etc.32.
23Dans le Sud-Est, la colonie russe des Alpes-Maritimes enregistre des baisses d’effectifs dans des proportions comparables à celles des autres étrangers du département (12 %). Mais, contrairement aux nouveaux centres d’immigration russe, cette évolution peut être partiellement attribuée à la mortalité d’une population âgée, présente de longue date dans le département.
24La réduction des colonies russes de province n’est pas partout perceptible. Des régions restent ou deviennent attractives, c’est le cas du Var et, plus encore, des départements du Sud-Ouest dans lesquels les Russes avaient été placés dans l’agriculture. Il est vrai que cette tendance n’est pas propre aux réfugiés. En réponse aux licenciements massifs qui affectent les grands centres industriels, les départs vers la terre sont motivés par un réflexe de survie économique. De nombreux étrangers se tournent vers les campagnes en quête de possibilités de travail, même temporaires. Et les Russes ne font pas exception, ils s’installent par petites unités dans les départements du Centre-Ouest, dans la Vienne, en Corrèze, en Charente. Mais ces changements n’ont pas bouleversé en profondeur la répartition initiale observée dès le milieu des années 1920.
25Les premières années d’exil, celles de l’errance à travers l’Europe, ont certainement joué un rôle dissuasif dans le projet de migrer, à nouveau, à l’intérieur du pays d’accueil. Certains prirent pourtant la décision de quitter le territoire. Parmi les nouvelles destinations choisies les colonies françaises d’Afrique du Nord où la promesse d’une nouvelle vie était attirante dès les années 192033. Le héros du fameux roman de J. Kessel illustre cette tentation après son épopée dans les cabarets de Pigalle et sur le point de sombrer dans la déchéance morale, il décide de partir « vers les grands espaces chauds et fauves » qui ne demandent qu’à être conquis34…
26La colonisation, présentée comme alternative au placement des Russes en Europe, fut largement encouragée, quoique sans grand succès, par le Haut-Commissariat aux Réfugiés et, dans la seconde moitié des années 1920, par le Bureau International du Travail. Les projets élaborés à Genève concernaient surtout les pays d’Amérique du Sud mais ils contribuèrent à impulser un véritable intérêt pour les colonies françaises. De là l’émergence de diverses sociétés et la multiplication de candidatures spontanées pour servir l’État français Outre-Mer35. Vers la fin des années 1920 la possibilité d’être embauché, même dans des postes sanitaires subalternes, suscita un réel engouement. Y eut-il des suites dans la décennie suivante ? Il est difficile de l’affirmer tant sont limitées et précaires les sources d’évaluation36. Si l’on en croit certains témoignages, tel celui d’Anastasia Mainstein-Chirinsky sur les colonies russes de Tunisie (originellement issues du stationnement de la marine russe à Bizerte), une intégration était effective dans les années 1930. Employés à divers postes dans les travaux publics, comme géomètres, responsables de chantiers, ou œuvrant dans l’exploitation forestière, etc., les réfugiés russes s’étaient regroupés à Tunis et Bizerte où ils avaient, semble-t-il, acquis une relative stabilité37.
27En cette période un autre mouvement s’amorce le retour vers les pays du premier refuge. Les re-émigrations concernent en particulier la Bulgarie (si l’on en juge d’après les nombreuses correspondances adressées aux instances genevoises) mais le phénomène demeure difficile à apprécier dans son étendue38. En revanche les motivations de ces choix sont assez aisément perceptibles. Face à l’engorgement du marché de l’emploi, au sentiment angoissant d’une nouvelle précarité, certains réfugiés estimèrent qu’ils n’avaient rien à gagner à rester plus longtemps en France. Peut-être serait-il plus facile de vivre pauvrement dans un pays pauvre, culturellement plus proche, et où existaient d’anciennes attaches communautaires39. La représentativité de ces parcours reste incertaine mais, peu connus, ils nous interrogent de façon particulière sur les stratégies des réfugiés russes touchés de plein fouet par la récession économique des années 1930.
La crise : une précarisation rapide de l’emploi, des tentatives de réponses
28Dès le début des années 1930, dans une de ces publications populaires en russe qu’étaient les guides des Russes en France40, S. F. Stern dressait un tableau sombre de la situation du marché du travail en France. L’américanisation du système de production dans l’industrie automobile, disait-il, avait entraîné d’importants licenciements, et la politique de l’entreprise dans cette branche d’activité avait consisté à débaucher les ouvriers les plus âgés, dès l’âge de 42 ans. Dans l’industrie cinématographique, comme dans d’autres secteurs, les progrès techniques avec l’arrivée des « films parlants » excluaient désormais les acteurs étrangers. Avec la radio, les animations musicales des cafés et autres lieux de convivialité avaient diminué, d’où une hausse du chômage parmi les musiciens. Le secteur du bâtiment, en revanche, était préservé, et les émigrés russes, précisait S. Stern, y étaient de plus en plus présents, tailleurs de pierre ou peintres. Etaient aussi épargnés les travaux de journaliers dans les exploitations agricoles où les conditions étaient jugées « très favorables »41.
29Ces tendances allaient se confirmer. En 1931 déjà les Russes représentaient le groupe étranger affecté du plus fort taux de chômage parmi les actifs (plus de 6,5 %). Cinq ans plus tard, près de 8000 personnes, soit quelque 15 % des actifs, se trouvaient officiellement sans emploi, alors que dans l’ensemble de la population active le taux de chômage s’élevait à 3,3 % seulement42. Ce seul indicateur donne l’ampleur de la dégradation intervenue en l’espace de quelques années.
30Plusieurs explications à cela : tout d’abord la récession du marché de l’emploi et de nouvelles lois qui protégeaient les nationaux de la concurrence des immigrés. La loi du 10 août 1932 limitait la part des étrangers dans les marchés publics et permettait de fixer par décret (soit d’office, soit à la demande des organisations patronales ou ouvrières) le pourcentage maximal qu’ils pouvaient atteindre dans les entreprises privées. De leur côté, les corporations de médecins et d’avocats obtinrent du gouvernement une législation excluant les étrangers de l’exercice de leur profession43. Le climat xénophobe qui entoura ces dispositions n’épargna pas les réfugiés, victimes comme les Italiens ou les Polonais, de la nouvelle « préférence nationale ».
31L’industrie chimique, la construction mécanique, les métiers artistiques furent les premiers secteurs durement touchés par la crise, or c’étaient là des secteurs où les Russes étaient fortement implantés. Alors que plus de 60 % des Russes étaient employés comme ouvriers dans l’industrie de transformation en 1926, ils ne sont plus que 46 % dix ans plus tard. Les Russes s’y trouvaient d’autant plus exposés que leur âge était supérieur à la moyenne des étrangers et que le durcissement de la sélection à l’embauche leur était défavorable : « Les usines ont besoin de forces jeunes, on n’embauche pas les gens qui ont dépassé la quarantaine, et cela indépendamment du pourcentage de travail étranger44. » À l’évidence le léger décalage de générations (déjà évoqué avec les immigrés arrivés dans l’après-guerre) jouait contre eux. Cette donnée est plus importante qu’il n’y paraît.
32Les Russes insérés dans les professions libérales et intellectuelles furent également très touchés. Les effectifs d’actifs déclarés chutèrent d’un tiers entre 1931 et 1936, moment le plus spectaculaire de la « dépression » russe. La loi Armbruster d’avril leur interdisant l’exercice de la médecine, vulnérabilisa nombre de médecins russes45. Il en alla de même pour les avocats, également nombreux dans l’émigration, désormais soumis au risque d’exclusion. Aux conséquences de ces réglementations nouvelles s’ajoutait le fait que les soutiens communautaires et extérieurs apportés aux intellectuels se faisaient beaucoup plus rares. La disparition de nombreux périodiques (tel l’hebdomadaire Borba za Rossiju dont 229 numéros avaient paru entre 1926 et 193146), la fermeture progressive d’instituts et d’écoles, et surtout la baisse des subsides octroyés par diverses organisations entraînèrent un rapide appauvrissement de l’intelligentsia. Le Comité directeur du Zemgor, perçu jusqu’à la fin des années 1920 par les élites en difficulté comme l’un des recours majeurs, en vint lui-même à licencier plusieurs de ses membres permanents : Pavel P. Mendeleev fut démis de ses fonctions en février 193147. Les subsides personnalisés accordés par le gouvernement serbe à plusieurs hommes de lettres installés en France disparurent peu à peu, et les bénéficiaires n’osèrent plus solliciter leurs bienfaiteurs48. L’Union des écrivains et des journalistes, elle-même sans réserve financière, essaya de maintenir des liens de solidarité en multipliant les soirées littéraires et les spectacles au profit d’écrivains dans le besoin. Ce furent tantôt des soirées musicales accompagnées de lectures, tantôt des « bridges-bals », tantôt des soirées dansantes, etc. Cette formule déjà expérimentée dans la décennie précédente devint la norme dans les années 1930. Plusieurs soirées furent organisées, par exemple au profit de l’écrivain B. Zaitsev ; celle de février 1935 lui rapportant, écrit sa femme, près de 5 000 francs, somme suffisante pour couvrir ses dettes. En 1936, la communauté littéraire se mobilisa pour organiser une soirée de soutien au poète Balmont, alors malade…
33D’une assistance sociale organisée, les réseaux associatifs passent alors à l’action de bienfaisance improvisée. Dès 1929, suite à la réduction des bourses attribuées par le gouvernement français, sont mises en place les premières grandes quêtes pour les étudiants49. Le retour à l’action de bienfaisance comme forme dominante de l’entraide va de pair avec le retrait des instances genevoises, longtemps agents décisifs de l’institutionnalisation de l’humanitaire. Le Haut-Commissariat aux Réfugiés ne survit pas à la mort de son fondateur, F. il se transforme en 1930 en Office gestionnaire des bénéfices du timbre Nansen et ne traite plus que les dossiers en cours. Sa fonction principale d’intercesseur auprès des gouvernements étant ainsi annulée. La restructuration du HCR entraîne celle du BIT qui, depuis l’arrêt de l’immigration en 1929, était défait de ses prérogatives de placement et de son rôle de médiateur auprès des entreprises ou des services de main-d’œuvre étrangère. C’est tout un système d’interactions entre organismes émigrés, institutions internationales et pouvoirs publics qui se disloquait, avec, pour corollaire, l’isolement progressif de la communauté et le déclin de ses ressources.
34Mais, dans cette situation, l’agriculture, le taxi, ou encore le commerce se présentaient comme des recours. Dans les années 1920 les Russes étaient déjà relativement présents dans le secteur commercial, domaine précédemment investi par l’ancienne émigration de l’époque tsariste. En 1936 on comptait plus de 17 % de Russes enregistrés dans le commerce.
35D’une manière générale, on assiste à deux évolutions contraires : précarisation et ascension sociale. Les statistiques françaises de l’entre-deux-guerres font clairement apparaître ce double mouvement de la répartition des Russes dans les catégories professionnelles.
Les Russes dans les différentes catégories professionnelles, de 1926 à 1936, (pourcentages donnés par rapport au total des actifs russes, naturalisés compris.)
1926 | 1931 | 1936 | |
Chefs d’établissement | 7,9 | 7,9 | 10,2 |
Employés | 12,3 | 13,3 | 12 |
Ouvriers | 63 | 56 | 46,7 |
Isolés | 14,2 | 16,2 | 16,5 |
Sans emploi | 2,6 | 6,6 | 14,7 |
Total | 100 | 100 | 100 |
36Ce qui frappe, à la lecture de ce tableau, c’est l’augmentation significative des chefs d’établissements et des isolés entre 1926 et 1936. La population russe installée de longue date s’est effacée sans que décroisse pour autant la proportion de ceux qui sont parvenus à des postes de responsabilités ou à une autonomie professionnelle. Si les traces de déclin, de marginalisation, sont nombreuses, il est plus difficile de reconstituer les trajectoires ascensionnelles « naturelles » qui ont moins attiré l’attention des contemporains. Ceci vaut en particulier pour les jeunes générations fortement diplômées dans la France des années 1920 et dont la destinée ultérieure reste relativement mal connue. Parmi les élèves du lycée russe de Paris nombreux sont ceux qui firent des carrières d’ingénieurs, de cadres d’entreprises, d’agents commerciaux, de médecins, etc50. L’un d’entre eux, diplômé d’études d’arabe à l’Institut National des Langues Orientales, devint consul de France au Caire51, une autre s’illustra comme enseignante de malais dans ce même institut52, un troisième, devenu ingénieur dans l’aéronautique, fit l’essentiel de sa carrière chez Caudron53, les exemples de parcours professionnels réussis pourraient ainsi être multipliés. Parmi les réfugiés de France, et plus particulièrement de la région parisienne, une classe moyenne a émergé, bénéficiant par son niveau culturel et sa position sociale des attributs de la bourgeoisie française ; sans toutefois en posséder l’attribut distinctif : le patrimoine… C’est à ces nouvelles générations de cadres, souvent anciens boursiers promus grâce au soutien communautaire, qu’ont désormais été adressées les multiples sollicitations d’assistance pécuniaire.
37Les attitudes et comportements nouveaux induits par la crise conduisent à s’interroger sur la posture des réfugiés face à l’État d’accueil. Dans quelle mesure les Russes se sont-ils maintenus en état d’extériorité dans la société française, dans quelle mesure ont-ils cherché à s’y insérer ? L’analyse du mouvement des naturalisations, bien qu’indicateur partiel, apporte des éléments de réponses.
Naturalisation française : le discours singulier des apatrides Russes
38Prendre comme baromètre de l’intégration à la société française le mouvement de naturalisation serait céder à une fausse évidence. C’est, du moins, ce qu’affirment les historiens de l’immigration, tant il y a de diversité dans les choix individuels54. Certains spécialistes se sont surtout intéressés aux raisons de ce vouloir « être français », d’autres, comme Abdelmalek Sayad, ont plutôt analysé la demande de naturalisation par référence à la rupture induite avec le pays d’origine, insistant sur les déterminations psychosociologiques qui motivaient la démarche55. À l’évidence, le double mouvement de renoncement à la nationalité d’origine et d’acquisition de la nationalité française résulte d’une combinaison d’intérêts objectifs, raisonnés, attendus, et de motivations subjectives, affectives et culturelles, les unes et les autres étroitement mêlées. Les réfugiés russes ont longtemps été identifiés comme un « groupe national », par définition résolument réfractaire à la « dénationalisation ». L’une des premières spécificités que désigne Marc Raeff quand il s’agit de l’émigration russe est sa tendance anti-assimilationniste, sa crainte profonde d’une perte identitaire, sa lutte contre la « dénationalisation »56. Les Russes appartiendraient à cette catégorie particulière de réfugiés qui, comme l’écrit Jacques Vernant, « consciemment et systématiquement résiste à l’assimilation : des ‘réfugiés militants’ qu’il est nécessaire de distinguer des réfugiés simples victimes d’un changement de régime ou d’un bouleversement social57 ». De cette conception du « réfugié militant », témoignera l’impressionnante mobilisation des représentants de l’émigration russe dans l’élaboration du premier statut international du réfugié qui, légalisant la reconnaissance du « sans patrie », offrait ainsi une alternative à la naturalisation58. Dans leur plaidoyer pour l’institutionnalisation de l’apatridie les représentants russes justifiaient la spécificité du choix communautaire par cette indiscutable évidence : « Les réfugiés ne peuvent être rapatriés dans leur pays d’origine (…). Tout en témoignant de la plus parfaite loyauté envers le gouvernement qui leur accorde asile ils ne veulent pas, pour la plupart, acquérir une nouvelle nationalité pour des raisons qui ne peuvent pas ne pas être respectées59. »
39Demeurer « une personne d’origine russe n’ayant pas acquis de nouvelle nationalité » (selon la définition internationale du réfugié russe) c’était affirmer sa foi dans la chute prochaine du gouvernement soviétique et la promesse d’un retour en Russie. C’était aussi une réponse politique à la déchéance de citoyenneté des émigrés décrétée en 1921 par le gouvernement de la Russie soviétique. Ce statut spécifique de l’apatride et le parti pris militant « anti-naturalisation » des représentants de l’émigration n’apparaissent cependant pas pertinents pour distinguer les Russes de l’ensemble des étrangers dans leur demande d’accès à la nationalité française. L’évolution du mouvement général des naturalisations observée au cours des années 1920 et 1930 en témoigne.
Les années 1920 ou la francisation des émigrés de l’époque tsariste
40Jusqu’en 1927 c’est la loi de 1889 qui est en vigueur en France et qui fixe à 10 ans la période probatoire nécessaire pour l’obtention de la nationalité française. À l’immigration sans précédent des années vingt répond la nouvelle loi de 1927 ramenant à 3 ans la période de présence imposée sur le territoire et faisant passer de 22 à 18 ans l’âge requis pour obtenir la nationalité française. Dans le cas des mariages mixtes les femmes avaient la possibilité, selon les termes de la loi, d’opter pour leur nationalité d’origine ou de choisir celle de leur époux. Les étrangers arrivés au milieu de la décennie pouvaient donc obtenir rapidement la nationalité française. Mais toutes les naturalisations antérieures à 1927 relevaient toujours de la loi de 1889 et concernaient donc les étrangers présents depuis au moins 10 ans en France, soit, dans le cas des Russes, les « vieux » réfugiés de l’époque tsariste.
41La courbe des naturalisations russes de 1921 à 1941 donne à voir trois périodes distinctes : une forte croissance dans les années 1923-1927 suivie d’un net ralentissement de 1929 jusqu’en 1937 (à l’exception de l’année 1933 où la croissance est très ponctuelle), enfin un nouvel accroissement à la fin des années trente, brutalement interrompu en 1940, suite à l’arrêt quasi total des naturalisations d’étrangers pendant la guerre et l’occupation.
42Comme le montre le graphique ci-après, les Russes présentent jusqu’en 1931 un taux de croissance de naturalisations proportionnellement supérieur à celui de l’ensemble des étrangers, date après laquelle ils se conforment au mouvement général.
43De 1923 à 1928 on observe deux forts paliers de croissance : les années 1925 et 1927. Le premier qui s’amorce dès 1924 s’expliquerait par la normalisation des relations entre les deux États, suivie de l’ouverture de représentations diplomatiques. Dès le début de cette année-là les pourparlers franco-soviétiques sont en cours et la presse leur fait une large publicité. La reconnaissance de l’URSS par la France, mais aussi par la Grande-Bretagne et l’Italie en 1924, augure aux yeux de l’opinion occidentale du caractère durable d’un régime jusque-là considéré comme précaire et instable.
44L’observation du mouvement des naturalisations des Russes, comparé à celui de l’ensemble des naturalisations, montre bien la spécificité de leur comportement caractérisé en 1925 par une hausse brutale. Mais ce comportement résulte moins, semble-t-il, d’une réaction politique aux événements (les immigrés de l’époque pré-révolutionnaire avaient surtout manifesté leur hostilité au régime tsariste) que du sentiment de « l’étrangeté soviétique » avec, pour corollaire, la familiarité reconnue du pays d’accueil.
45Les « vieux » réfugiés ont été particulièrement sensibles aux modifications introduites dans l’administration de l’étranger après la fin de la Première Guerre mondiale. Jusqu’en 1917 ils étaient, de fait, des réfugiés ; et la question de leur statut les préoccupait peu, compte tenu des faibles exigences administratives des autorités françaises. Avec l’introduction de la carte d’identité des étrangers en 1917, la mise en place progressive d’une nouvelle législation pour les non-nationaux et la déchéance de leur nationalité en 1921, les Russes installés de longue date se sont sentis fragilisés. Leur demande massive de naturalisation pourrait s’interpréter comme une réaction spontanée à l’inquiétude suscitée par l’obligation nouvelle d’être « en règle » au moment même où ils rentraient dans la catégorie encore floue « d’apatrides ».
46L’arrivée d’une nouvelle vague migratoire de Russie en France dans les années vingt a certainement contribué à accélérer le processus d’intégration des « vieux immigrés ». Face aux nouveaux venus, n’ont-ils pas été spontanément conduits à constater leur enracinement dans la société d’accueil et à se distinguer de ceux, démunis, qui leur rappelaient les dures années d’installation ? Il ne faut pas sous-estimer non plus les clivages politiques entre les émigrés de l’époque pré-révolutionnaire et les réfugiés de la guerre civile les premiers ont peut-être trouvé dans le changement de leur identité une façon de ne pas être identifiés aux « Blancs ».
47D’après les résultats du recensement de 1926 la majorité des naturalisés russes sont localisés dans le département de la Seine, principalement à Paris et, dans une moindre mesure, en Seine-et-Oise et dans les Alpes-Maritimes. Sont concernées des familles dont le profil socio-économique est aisément identifiable le secteur des industries de transformation rassemble plus de 45 % des actifs naturalisés (surtout représentés dans les professions de la confection, du cuir) alors que l’industrie proprement dite (chimie, métallurgie, etc.) n’en compte pratiquement pas. Les nouveaux naturalisés sont surtout des artisans, des gens travaillant dans le commerce (34 %) ou dans les professions libérales (14 %), des secteurs marqués par une certaine réussite économique nombreux sont les chefs d’établissements à s’être fait naturalisés. Au cours des années, ces appartenances professionnelles distinguables chez les postulants à la nationalité française s’estomperont avec la part progressivement prise par les nouveaux immigrés dans le mouvement des naturalisations.
Les mouvements de naturalisation des Russes et des autres étrangers
48En 1927 l’augmentation des naturalisations des Russes est comparable à celle de l’ensemble des étrangers, mais tandis que le nombre des naturalisés enregistre une baisse sensible dès 1928, celui des Russes reste élevé cette année-là. Dans l’intervalle des deux recensements de 1926 à 1931 la proportion de naturalisations chez les Russes est beaucoup plus importante que pour l’ensemble des étrangers62.
49La hausse générale des naturalisations enregistrées dans la période 1926-1931 est à l’évidence la conséquence des modifications introduites dans la réglementation de 1927 qui facilitaient grandement les modalités d’accès à la nationalité française.
50Cette hausse des naturalisations des Russes aurait une double origine : la poursuite du mouvement des naturalisations amorcé dans la vague migratoire d’avant-guerre et un timide début de naturalisations chez les nouveaux arrivés de la décennie. L’augmentation de la proportion d’actifs chez les naturalisés d’origine russe et les modifications observées dans la répartition des activités suggèrent déjà la présence des nouveaux venus parmi les naturalisés63. Ceci étant, la démarche de naturalisations continue à concerner, principalement, les « vieux » immigrés.
51Le fort mouvement de naturalisations des Russes jusqu’à la fin des années vingt s’interrompt brutalement dans la décennie suivante. De 1931 à 1936 on enregistre 2 naturalisations, soit une augmentation de 48 % par rapport à 1931, alors que dans cette même période les naturalisations de l’ensemble des étrangers ont crû de 63 %. Ainsi la dynamique des naturalisations des Russes, après avoir été nettement au-dessus de la moyenne des étrangers, se trouve désormais inférieure, mais avec un écart moindre que dans l’intervalle précédent.
52Si on considère les courbes des naturalisés russes et étrangers par sexe et âge (voir graphiques 2 et 3), on ne peut que constater une très forte similitude des comportements un accroissement très ponctuel des naturalisations en 1933, une décroissance jusqu’en 1936 (année au cours de laquelle le taux de naturalisations atteint son niveau le plus bas), suivie d’une reprise qui culmine en 1939 avant que l’administration ne mette fin au processus des naturalisations à partir de juin 1940.
53La similitude des courbes des étrangers et des Russes naturalisés appelle plusieurs commentaires. Reflète-t-elle la dynamique des demandes de naturalisation ou l’effet des politiques successives qui favorisent ou restreignent l’accès à la citoyenneté française ?
54En ce qui concerne les années trente, cette question est centrale puisque, dès 1931, on assiste à un reflux des étrangers avec la mise en place des rapatriements organisés, l’accroissement des mesures dissuasives à l’égard de l’immigration et le renforcement des contrôles.
55Se référant aux rapports du député du Rhône64, Jean-Charles Bonnet note l’importance des rejets et des ajournements de demandes de nationalité française au cours des années 1931-1936. Indéniablement les restrictions à l’accueil des étrangers se sont aussi manifestées dans le traitement même des dossiers, en particulier au milieu de la décennie. « En 1935, note l’historien, une super-information fut demandée à la Sûreté Générale avant chaque signature de décret de naturalisation65. » En admettant que la politique des pouvoirs publics ait eu une certaine incidence sur la diminution des naturalisations, on ne peut que constater qu’elle n’a pas épargné les Russes. L’hypothèse selon laquelle ils auraient pu être privilégiés en raison de leur statut particulier, et somme toute « anormal », d’apatride, ne se vérifie nullement.
56Les pressions juridiques, policières ou économiques qui se sont exercées dès les prémisses de la crise, ont eu, semble-t-il, un effet paradoxal ; d’un côté elles ont conduit à la limitation du nombre des naturalisés (les lenteurs administratives et les nouvelles exigences jouant ici leur rôle), mais, de l’autre, elles ont contribué, en semant l’inquiétude et le désarroi, à renforcer le désir des étrangers d’accéder à la nationalité française. La brusque hausse du nombre de naturalisés en 1933 peut ainsi être interprétée comme un réflexe de sécurisation en réponse à la dégradation de la situation sociale et administrative.
57Il reste à s’interroger sur les similitudes entre le comportement des Russes et des autres étrangers. Les naturalisés russes des années trente sont essentiellement des réfugiés de la guerre civile, a priori plus sensibles que la vieille immigration de l’époque tsariste à la perte de nationalité. De plus ils disposent d’un statut juridique ad hoc consigné dans la convention internationale des réfugiés de 1933, présenté comme une véritable alternative à la naturalisation. Or on constate que les Russes ne font pas exception au mouvement de francisation. Les changements intervenus en URSS avec la montée en puissance de Staline ont contribué sans aucun doute à accroître la distance entre l’URSS et l’émigration l’époque est maintenant loin où les réfugiés vivaient dans l’attente de la chute imminente du régime soviétique… La réalité stalinienne au contraire s’impose, inébranlable roc. Dans cette situation les responsables communautaires se sont trouvés pris dans une sorte de double discours : celui tenu à la tribune de la SDN au nom de la diaspora russe et celui adopté dans la communauté émigrée en France. Tout en défendant les droits des réfugiés en Europe et dans le monde, ces porte-parole ont en réalité contribué à populariser la démarche de naturalisation en France en la présentant comme le prolongement naturel des procédures de renouvellement des papiers d’identité. C’est du moins ce qui ressort des recommandations que l’on peut lire dans les guides russes ou dans les documents de l’Office central des réfugiés russes de Paris66.
58Par ailleurs, il importe de préciser que le statut juridique de « réfugié », octroyé aux émigrés russes par la SDN, ne les protègera que partiellement et tardivement67. De plus, la protection que les gouvernements s’engagent à garantir aux réfugiés ne les met pas à l’abri des mesures d’expulsion (il est seulement recommandé que ces mesures ne leur soient pas appliquées…), de même que cette protection ne les soustrait pas à la législation concernant les travailleurs étrangers dans leur ensemble. Tout ceci expliquerait que, lors de la « Crise », les Russes aient naturellement eu ce réflexe sécuritaire qui motive pour une grande part la demande de naturalisation.
59Que disent à ce sujet les réfugiés russes eux-mêmes ? En 1932 une aristocrate émigrée prétend que la « jeune » génération est plus réaliste mais que « peu de jeunes acceptent l’idée de s’implanter définitivement hors de leur pays et de prendre une nationalité étrangère68 Zoé Oldenbourg, « jeune » à cette époque, répond cependant que « les jeunes, pour des enfants d’intellectuels, le danger de déclassement social était plus grand que le déracinement national69 ». C’est aussi au nom des jeunes, c’est-à-dire de leurs enfants, que plusieurs réfugiés reconnaissent avoir pris la nationalité française : « Quand je suis arrivé ici (en 1927) j’ai vu la société russe, j’ai suivi les nouvelles qui ne promettaient pas du tout le retour en Russie. Alors je me suis dit : on ne peut pas rester apatride ; apatride, c’est un homme qui n’a pas de patrie. J’ai des fils, il faut qu’ils aient une patrie70. Ces quelques témoignages excluent toute généralisation. Comme le rappelle un ancien élève du Lycée russe de Boulogne, il existait encore après-guerre une très grande diversité de situations : « Quelques-uns uns des élèves étaient naturalisés, d’autres étaient apatrides, certains avaient pris le passeport soviétique en 194671. » Si objectivement la tendance à l’intégration pouvait être prévisible chez les jeunes générations, les raisons subjectives liées au parti pris identitaire familial expliquent la diversité des options choisies72.
60Au terme des années 1930 quelque 15 % des Russes présents en France avaient pris la nationalité française (une proportion comparable à celle des Polonais), ce mouvement s’étant conformé tout au long de la décennie à la dynamique générale des naturalisations. Cette similitude n’indique-t-elle pas qu’au-delà des particularismes historiques qui déterminent les migrations, il existe un « effet » des générations migratoires qui déterminerait, à l’aveugle, le comportement général des étrangers ? Massivement arrivés avec la grande vague d’immigration économique des années vingt, les Russes manifestent, comme les autres immigrés, une même tendance au choix de l’installation définitive dans la seconde moitié des années trente. La remarque de Gérard Noiriel selon laquelle on retrouve dans le processus de naturalisation « le rôle décisif joué par les conjonctures de stabilisation des vagues migratoires récemment arrivées en France », vaut donc pour les Russes comme pour tous les autres étrangers73.
61Ce tour d’horizon des différentes évolutions, retracées avec chiffres et enquêtes, impose quelques remarques. À l’exception du processus d’accès à la nationalité française, les Russes témoignent de comportements atypiques par rapport à ceux des autres étrangers. Alors que leur profil démographique initial se démarque peu des immigrés dits économiques, la dynamique de leur évolution se distingue en négatif des grandes tendances observées. Quant à leur place dans le marché du travail, elle se caractérise par des situations plus extrêmes que celles des autres étrangers, de précarisation d’un côté et d’ascension sociale de l’autre. Le revers de fortune (si marqué dans l’émigration russe) expliquerait-il cette part « dépressive » du comportement démographique ?
62Des raisons d’ordre structurel rendent compte, sans nul doute, de l’important chômage russe, mais elles n’expliquent pas tout. Une certaine passivité liée à la fois au fatalisme d’un destin subi et au développement d’un assistanat particulièrement actif dans les premières années d’installation, n’a peut-être pas été sans effet. Les formes d’ascension sociale (attendues dans une émigration traditionnellement qualifiée d’élites) sont incontestables mais difficiles à retracer et à évaluer statistiquement. On constate ici la limite des sources disponibles, insuffisantes pour distinguer les parcours générationnels. Effacement progressif (sans doute accéléré par la crise) des élites les plus âgées et promotion des jeunes, bénéficiaires de l’important système d’entraide de la décennie d’après-guerre ? Sans pouvoir être validée par des sources quantitatives, cette hypothèse se fait jour à l’écoute des témoignages et des récits de vie. Vue des autres centre de la diaspora russe en Europe, l’émigration en France est la seule à être toujours perçue comme dynamique à la veille de la guerre.
Notes de bas de page
1 J. H. Simpson, The refugee problem. Report of a survey, Londres, Oxford University Press, 1939. Marc Raeff, Russia Abroad. A cultural history of the Russian emigration 1919-1939, New-York, Oxford, Oxford University Press, 1990. p. 25.
2 Madeleine Doré, « Enquête sur l’immigration russe, INED, cahier n° 2, 1947, p. 145. Cette étude a été réalisée, il est vrai, sur les colonies russes de Clamart et du Petit-Clamart qui étaient spécifiques du point de vue des couches sociales de réfugiés représentés puisqu’elles se caractérisaient, on l’a vu, par une très forte proportion de Russes enregistrés dans les professions libérales (voir 2e partie, chap. V).
3 Ainsi, par exemple, ce mémorandum adressé à la SDN par le Comité National Russe en 1923, où il est demandé que soit portée « une attention spéciale aux personnes âgées qui constituent une part non négligeable mais souvent oubliée des réfugiés ». Archives MAE, série Russie-Europe, dossier 599, p. 27.
4 L’analyse de l’âge moyen des réfugiés à leur arrivée a été réalisée d’après l’exploitation statistique des dossiers de l’OFPRA et des dossiers de l’Office Central des Réfugiés Russes (échantillon de 300 individus tirés au hasard dans les cartons d’enregistrement des années 1924, 1925, 1926). En raison du caractère tardif de l’enregistrement des réfugiés à l’OFPRA, l’échantillon a été corrigé de façon à tenir compte de la mortalité entre l’arrivée en France et la date d’enregistrement (pondération de chaque individu de l’échantillon par l’inverse de la probabilité de survie entre les deux dates ; les fonctions de survie utilisées sont celles des générations pour la France entière, reconstituées par Jacques Vallin, La mortalité par générations en France depuis 1899, Travaux et documents, cahier n° 63, INED/PUF, Paris, 1973). Les résultats statistiques obtenus des archives de l’OFPRA et du OCRR concordent étroitement.
5 L’enquête de M. Sams effectuée pour le rapport de J. Simpson a été ainsi réalisée auprès du responsable du Zemgor de Lyon, de filiales de la Croix-Rouge russes, de plusieurs prélats parisiens, etc.
6 Jean Delage, La Russie en exil, Paris, Delagrave, 1930, pp. 36-37, Charles Ledré, Les émigrés russes en France. Ce qu’ils sont, ce qu’ils font, ce qu’ils pensent, Paris, SPES, 1930, pp. 130-133. La maison de Sainte-Geneviève-des-Bois, aujourd’hui mieux connue par son cimetière russe et son église fut achetée par une riche héritière britannique qui en fit don aux réfugiés russes en 1927. Par la suite d’autres maisons de retraite virent le jour dans la banlieue parisienne, à Noisy-le-Grand (fondée en 1935 par l’Action orthodoxe), à Rosay-en-Brie (fondée par la paroisse d’Asnières en 1935), à Chelles (fondée sous l’égide de la Croix-Rouge en 1939). Cf. A. Kropotkine, « Les réseaux de sociabilité russes en région parisienne dans l’entre-deux-guerres », mémoire de maîtrise d’histoire sous la dir. De Marie-Pierre Rey, Paris, Université de Paris I, juin 2000.
7 La maison de Sainte-Geneviève-des-Bois était dirigée par la princesse Mečerskij et comptait parmi ses infirmières la princesse Galicin. « Dans le salon que domine un portrait de l’impératrice Marie, quelques pensionnaires jouent au bridge. Vieux messieurs à barbe blanche qui commandèrent des bateaux ou des régiments, rendirent la justice, exercèrent les plus hautes charges de la Cour », Charles Ledré, op. cit. p. 132. Cf. également, R. H. Johnston, New Mecca, New Babylon. Paris and the Russian Exiles, 1919-1945, Kingston & Montréal, Mc Gill Univ. Press, 1988, p. 43.
8 D’après Isabelle Favrot, Le cimetière russe de Sainte-Geneviève-des-Bois, mémoire de maîtrise sous la dir. De Maurice Comtet, Toulouse, 1992, cité par Eléonora Martino, Les émigrés russes en France, 1919-1939. Les organisations russes, mémoire de maîtrise sous la dir. de Jean-Louis Van Regenmorter, Université de Paris IV, sept. 1993, p. 78.
9 Signalons, à ce propos, l’étude de Nicolas Ross (Saint-Alexandre sur Seine. L’église russe de Paris et ses fidèles des origines à 1917, Paris, Cerf/IES, 2005) consacrée à l’histoire de l’implantation de l’Eglise Orthodoxe russe en France jusqu’à la Révolution de 1917 (le second tome, en préparation étant consacré à la période post-révolutionnaire), premier historien à avoir exploité les archives ecclésiales orthodoxes en France et qui fait une démonstration très convaincante de leur intérêt sociologique.
10 Marc Raeff, Russia Abroad…, op. cit., pp. 25-26.
11 Madeleine Doré, art. cit., p. 145.
12 Dans son étude sur les ouvriers russes de Renault en 1926, Olivier Le Guillou souligne l’importance de la proportion de célibataires (61, 8 %), bien supérieure à celle enregistrée dans la moyenne des étrangers (53, 3 %) au recensement de 1926. Olivier Le Guillou, « Des émigrés russes ouvriers aux usines Renault de Billancourt en 1926 : étude du fichier du personnel », mémoire de maîtrise sous la dir. De P. Milza, A. Prost et J-L. Robert, Université de Paris I, oct. 1988, p. 31.
13 Nina Gourfinkel, Aux prises avec mon temps, tome. II, L’autre patrie, Paris, Seuil, 1953, p. 77.
14 Marc Raeff, Russia abroad… op. cit., p. 25.
15 Cette observation vaut dans d’autres cas de réfugiés de guerre civile, comme celui des Espagnols arrivés en 1939. Cf. à ce propos Luc Legoux, La crise de l’asile politique en France, Paris, Centre français sur la population et le développement, Etudes, n° 8, 1995, p. 97.
16 T. Le Liepvre et M.-H. de Bousquet, « Etude de 4 000 dossiers du Service Sociale d’Aide aux Emigrants », INED, cahier n° 20, Français et immigrés. Nouveaux documents sur l’adaptation, Paris, 1954, p. 237. Rappelons que cette enquête fut effectuée sur la base de dossiers concernant la période 1945-1950, le sondage par nationalités étant basé sur la proportion de chacune dans les demandes adressées au SSAE. Comme l’indiquent les responsables de l’enquête, les réfugiés ont davantage recours au SSAE que les autres immigrés. On compte notamment près de 6 % de dossiers russes alors que cette nationalité ne représente au recensement de 1946 que 3 % des étrangers à l’échelle nationale.
17 M. Doré, art. cit., p. 144.
18 Les réfugiés dans l’après-guerre. Rapport préliminaire d’un groupe d’étude sur le problème des réfugiés, sous la direction de Jacques Vernant, Genève, ONU, 1951, p. 171.
19 Thérèse Le Liepvre et Marie-Hélène de Bousquet, art. cit., p. 240.
20 L’étude de Jacques Vernant, op. cit. présente des résultats légèrement supérieurs pour les Espagnols et les Polonais qui sont respectivement de 2, 5 et 2, 6.
21 Précisons que ce groupe est essentiellement constitué d’anciens prisonniers de guerre.
22 Cf. L. Petruševa, Deti russkoj êmigracii, Moscou, Terra, 1997, pp. 7-25.
23 KDesjatiletiju russkoj srednej školy v Pariže : kratkij očerk (4 novembre 1920-4 novembre 1930, Paris, 1930. Cette brochure publiée à l’occasion du 10e anniversaire de la fondation du lycée russe de Paris rappelait que l’établissement accueillait en moyenne 180 élèves par an, depuis les années 1923 (ses effectifs durant les premières années ayant été très faibles (30 élèves fin 1921).
24 Cette enquête fut entreprise en 1929 à l’initiative du Comité consultatif des organisations privées auprès du HCR avec pour but de dresser un état des lieux des conditions d’éducation et d’existence des enfants de réfugiés russes et arméniens et d’élaborer aux vues des carences de nouvelles propositions d’intervention, ce qui revenait à évaluer l’impact des actions engagées par les grandes associations d’assistance à leur égard (Union internationale de secours aux enfants, Save children Fund, Armenian Fund, YMCA, etc.). La situation des enfants des réfugiés russes et arméniens en 1930, Genève, Union internationale de secours aux enfants, 1931.
25 Le Zemgor qui joua un rôle clé dans l’organisation du réseau scolaire de l’émigration au début des années 1920 n’était pas en mesure de fournir le nombre d’enfants russes présents en France à la fin de la décennie. Dans sa réponse au questionnaire de l’enquête genevoise il se reportait exclusivement à l’enquête sur les étrangers publiée par le ministère de l’Agriculture en 1929, qui indiquait la présence en France de 4 535 enfants russes. Archives de Leeds ; Sous comité pour l’étude de la condition des enfants de réfugiés russes et arméniens, réponses au questionnaire du Comité des Zemstvos et des villes russes et de l’Association des membres des Zemstvos et des municipalités russes, question 24.
26 Ibid., Haut Commissariat pour les réfugiés, Comité consultatif des organisations privées pour les réfugiés, Sous comité pour l’étude des enfants réfugiés, rapport provisoire, p. 35.
27 La plus importante d’entre elles ayant été et restant l’Action Chrétienne des Etudiants russes (ACER), fondée en 1923 en Tchécoslovaquie et dont le siège central fut transféré dès 1924 à Paris. Le rayonnement de cette organisation tint, en partie du moins, à l’investissement dans ce mouvement de nombreux intellectuels « éclairés » de l’émigration comme Nicolas Berdiaev. L’YMCA fut par ailleurs l’un des grands soutiens de l’ACER. Sur l’histoire de cette organisation cf. en premier lieu les nombreux essais et témoignages rassemblés dans son bulletin Vestnik RSHD (notamment n° 120/1, 1977 ; n° 122/3, 1977 ; n° 142/3, 1984, etc.).
28 Russkij spravočnik. Francija Pariž, Paris, 1931, p. 147.
29 K. Parčevskij, Po russkim uglam, Moscou, IVI/RAN, 2002, pp. 41-43.
30 ASDN, FMN, C 1455, Rr 412/110/22/109/1/1, Rr 412/110/22/106/1, Rr 412/110/22/103/1.
31 John H. Simpson, The refugee problem… op. cit., p. 306.
32 Florence Silve, « Des émigrés parmi d’autres. Recherches sur la colonie russe de l’agglomération lyonnaise durant la période 1920-1939 », mémoire de maîtrise sous la dir. de Jacques Gadille, Université Lyon III, 1980., pp. 71-72.
33 Les archives de l’OFPRA contiennent, en particulier, de nombreux dossiers de réfugiés revenus en France après les indépendances. Ceux-ci comportent le plus souvent des récits synthétiques des parcours effectués dans les colonies, dont il reste difficile, cependant, de rendre compte en raison de leur très grande diversité.
34 J. Kessel, Nuits de Princes, Paris, Edition de France, 1927, p. 330.
35 ASDN, FMN, C. 1454, Rr 412/7/22/1, C. 1437, Rr 404/1/22/1.
36 Rappelons, notamment, que les recensements effectués en Tunisie et en Algérie ne sont d’aucun recours pour apprécier l’importance de la présence russe dans cette période, en raison des catégories de nationalités utilisées qui ne distinguaient pas l’origine des étrangers installés dans ces territoires.
37 A. Manstein-Chirinsky, La dernière escale. Le siècle d’une émigrée russe à Bizerte, Tunis, Sud-Editions, 2000 ; M. Panova, « Istorija russkoj êmigracii « pervoj vol’ny » v Tunise, Cahiers du Monde russe, vol. 46/3, juillet-sept. 2005, pp. 545-575.
38 ASDN, FMN, C. 1571, notamment. Les dossiers concernant ces mouvements de retour sont également dispersés dans d’autres cartons et pas toujours libellés de la même manière, d’où la difficulté de pouvoir cerner plus précisément le phénomène qui demanderait une investigation approfondie.
39 Ibid., B 26229-17123.
40 Nous en avons personnellement recensé quatre (1924, 1929, 1931 et 1937) cités dans différents chapitres de cet ouvrage, mais il est probable qu’il y ait eu d’autres éditions, notamment dans l’intervalle entre 1931 et 1937.
41 S. F. Stern, « Rynok Truda », Russkij Spravočnik… op. cit., pp. 149-151.
42 Rappelons cependant que le taux de chômage dans la population active étrangère s’élevait, lui, à 8 %.
43 Sur l’ensemble de ces mesures, cf. notamment, V. Viet, La France immigrée. Construction d’une politique, 1914-1997, Paris, Fayard, 1998, pp. 41-44.
44 K. Parchevski « Dans l’émigration. Statistique générale et situation légale des émigrés en France », Russie et Chrétienté, 1937, n° 1, p. 105.
45 La loi Armbruster fut abrogée et remplacée en 1935, par une nouvelle loi encore plus restrictive parce que touchant les naturalisés qui ne pouvaient désormais pratiquer qu’à la condition d’avoir effectué leur service militaire. Ces mesures affectant les naturalisés touchèrent également les avocats qui ne pouvaient, en vertu de la loi de juillet 1934, être inscrits au barreau qu’au terme de dix années à compter de la date de naturalisation. M. Manitakis, « Etudiants étrangers, universités françaises et marché du travail intellectuel (fin XIXe-années 1930) », Construction des nationalités et immigration dans la France contemporaine, E. Guichard & G. Noiriel (dir.), Paris, Presses de l’ENS, 1997, p. 148 et sq.
46 H. Kaplan, C. Gousseff, « Presse et émigration russe en France », France des étrangers, France des libertés, Paris, Les éditions ouvrières, 1990, p. 162. C. Weiss, Das Russland zwischen den Zeilen. Die russische Emigrantenpresse im Frankreich der 1920er Jahre und ihre Bedeutung für die Genese der « Zarubežnaja Rossija », Hambourg-Munich, Dölling und Galitz, 2000.
47 GARF, f. 5971, op. 1, d. 6, 1. 23. Lettre du secrétaire du Comité directeur à P. P. Mendeleev du 12 février 1931. Cette lettre précisait que la décision ne relevait « que de circonstances extérieures et indépendantes de la volonté du comité qui se trouvait dans l’obligation de réduire son appareil administratif (služebnyj aparat) et devait à son grand regret mettre fin à la collaboration engagée ».
48 M. Sollogoub, « Boris Zaitsev, sa place et son rôle dans l’émigration russe », Mémoire de maîtrise, Université de Paris X, dep. De russe, 2001, p. 30 et sq.
49 M. Fedoroff, L’œuvre du comité central de patronage de la jeunesse universitaire russe à l’étranger, Années 1922-1923 à 1931-1932, Paris, 1932, pp. 18-21.
50 Archives de l’association des anciens élèves du lycée L. P. Donskaja (collection privée). L’un des responsables de l’association a noté, pour chaque promotion sortante de bacheliers (liste nominale), la profession exercée par la suite, dans la mesure où l’information existait. Les données recueillies sont cependant trop lacunaires pour pouvoir donner lieu à une exploitation significative.
51 S. Ju. Zavadovskaja, « Jurij Nikolaevič Zavadovskij (1909-1979. Biografičevskie zametki », Neizvestnye stranicy otečestvennogo vostokovedenija, Moscou, Vostočnaja literatura, RAN, 2004, pp. 13-34.
52 Brochure des enseignants de l’INALCO.
53 Entretien V. G., Versailles, 1992.
54 Gérard Noiriel, Le creuset français. Histoire de l’immigration xixe-xxe siècle, Paris, Seuil, pp. 205-211. Georges Dupeux, Les migrations internationales du xviiie siècle à nos jours, Paris, 1980, pp. 30-31 ; Construction des nationalités…, op. cit.
55 Abdelmalek Sayad, « Naturels et naturalisés », Actes de la recherche en sciences sociales. Migrations et minorités, n° 99, sept. 1993, p. 28.
56 Marc Raeff, Russia Abroad…, op. cit., p. 4.
57 Jacques Vernant, Les réfugiés dans l’après-guerre, Monaco, 1953, p. 23.
58 Sur ce point voir 3e partie, rchap. VIII.
59 « Mémorandum présenté à la conférence par le Comité des Experts juristes russes et arméniens sur le statut juridique des réfugiés russes et arméniens », Documents préparatoires et procés-verbaux de la Conférence inter-gouvernementale pour le statut juridique des réfugiés, 28-30 juin 1928, Paris, 1929, p. 14.
60 De 1921 à 1926, les données concernant les naturalisations des étrangères sont très incomplètes. C’est la raison pour laquelle nous avons été amenés à présenter un graphique ne prenant en compte que les étrangers, Russes compris, de sexe masculin. Cependant, le mouvement de naturalisations des femmes est similaire à celui des hommes ; il ne modifie donc pas les tendances observées.
61 Précisons que les chiffres fournis par P. Depoid diffèrent légèrement de ceux des recensements car l’auteur a procédé à une réévaluation des statistiques officielles en prenant en compte les naturalisés nés en France et ceux n’ayant pas décliné leur nationalité d’origine, mais les correctifs apportés aux naturalisés russes ne modifient pas en profondeur les résultats (de l’ordre de 300 effectifs). Certains auteurs, en revanche fournissent des estimations de naturalisés russes beaucoup plus élevées (G. Mauco, Les étrangers en France…, op. cit., M. Doré, art. cit.
62 Si l’on prend l’année 1926 comme base 100, on constate que les naturalisations chez les Russes se sont accrues de 90 % (passant de 5 803 à 10 890) contre 45 % pour l’ensemble des étrangers. Les Russes représentaient 4,6 % des naturalisés dans cette période, alors qu’ils formaient seulement 2,6 % de la population étrangère en 1931.
63 L’augmentation des actifs dans le secteur de l’industrie de transformation a entraîné la moindre représentation de certaines activités artisanales propres à la première immigration (comme le cuir, la confection qui ne représente plus que 30 % des actifs de la section) et l’accroissement, au contraire d’actifs dans l’industrie (20 % dans la construction automobile), voire dans d’autres secteurs qui paraissent assez spécifiques aux nouveaux venus comme les transports (3,5 %), etc.
64 Celui-ci en tant que rapporteur du budget du ministère de la Justice, « se faisait également l’écho des réclamations et des plaintes formulées contre le service de naturalisations. Jean-Charles Bonnet, Les pouvoirs publics français et l’immigration dans l’entre-deux-guerres, Lyon, Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 1976, p. 254.
65 Ibid., p. 307.
66 Russkie vo Francii, Paris, 1937, pp. 7-10 ; Archives OCRR déposées à OFPRA, Recommandations relatives à la constitution d’un dossier de naturalisation (affiche et tracts).
67 Sur ces questions, cf. 3e partie, chap. VIII
68 SAI, Marie de Russie, Une princesse en exil, Paris, Stock, 1933, p. 249.
69 Zoé Oldenbourg, Visages d’un autoportrait, Paris, 1977, p. 41.
70 Fonds Claude Vernik, entretien M. Pourichkievitch.
71 Entretien V. G, décembre 1992.
72 Les dossiers de réfugiés de l’OFPRA sont à cet égard très significatifs. Nous avons signalé en début de chapitre que parmi les réfugiés mariés, 25 % environ déclaraient une conjointe française tout en conservant leur statut d’apatride.
73 Gérard Noiriel, op. cit., p. 205.
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