Chapitre 5. Les Russes dans le Paris des années vingt, une présence remarquée
p. 123-153
Texte intégral
1L’étude des processus d’insertion économique et sociale des réfugiés russes dans la décennie de leur arrivée conduit à distinguer les installations à Paris (et dans la région parisienne) des localisations en province. Les arrivées à Paris n’ont pas été, sinon dans une proportion négligeable, la résultante de politiques de recrutement à distance, comme ce fut le cas pour la majorité de ceux qui ont été propulsés dans les différents centres industriels du pays. Paris offrait une diversité d’activités à laquelle ne pouvait prétendre aucun autre centre urbain français, en particulier dans les secteurs les plus marginaux de l’emploi, comme les activités artistiques, où la présence russe a été notable. Le regroupement des émigrés à Paris est spectaculaire si on les compare aux autres étrangers arrivés dans la même période. Cette concentration favorisa l’émergence d’une vie communautaire intense : dans l’enseignement, l’assistance médicale, la presse, l’édition, les lieux de convivialité (cafés, restaurants), la formation professionnelle, etc. C’est à Paris que l’existence communautaire a ouvert un marché de l’emploi interne, fût-il limité. Celle-ci s’est également exprimée par la constitution de réseaux et de filières professionnelles, à commencer par celle, très emblématique, des chauffeurs de taxi. De véritables stratégies de placement sur le marché du travail ont été élaborées par les organisations sociales de l’émigration, à l’origine de fortes concentrations de Russes dans plusieurs secteurs d’activité.
2L’installation des Russes à Paris a contribué à imposer dans l’opinion française la représentation d’une émigration d’élites. « L'exception russe » (qui désigne le regroupement important d’intellectuels, de notables, d’artistes ou d’anciens dirigeants) est pour l’essentiel localisée à Paris ou dans la région parisienne. Dans cet univers très particulier, l’originalité de nombreux destins résiste à toute classification et se prête difficilement à une analyse sociale répondant aux critères formels des enquêtes quantitatives. Ceci dit, les statistiques témoignent bien de ce caractère « exceptionnel » si l’on prend en compte la proportion de Russes enregistrés dans les professions intellectuelles et libérales. Ce constat conduit ainsi à s’interroger sur la nature du « déclassement social » évoqué par nombre de contemporains, Russes aussi bien que Français.
3« Le Russe blanc, victime du plus étonnant des retournements de fortune alimente la verve romanesque des années vingt et, faudrait-il ajouter, la verve journalistique1. « Il y a des ingénieurs, écrit le publiciste Charles Ledré en 1930, munis des plus authentiques diplômes, qui sont utilisés comme manœuvres dans les usines il y a des intellectuels, des avocats, des médecins qui se sont faits conducteurs de taxi ; il y a des princesses qui servent dans les restaurants2. Face à la représentation dominante de la déchéance sociale des élites ce qui surprend c’est justement leur visibilité dans la population active des années 1920. Il importe donc de distinguer les formes de déclassements liés à la perte des biens matériels, des modalités de maintien ou de repositionnement professionnel des élites. De nombreux parcours d’hommes de lettres, d’administrateurs, d’artistes et autres, du moins au cours des années 1920, témoignent d’une forte continuité.
4Lieu d’élection des élites émigrées, la capitale fut un véritable creuset rassemblant des milliers de réfugiés employés dans les grandes usines de banlieue, dans les entreprises et les ateliers parisiens ; masse anonyme des manouvriers dont il est souvent difficile de préciser les origines, surtout lorsque la guerre a tenu lieu pour beaucoup d’entrée dans la vie active. Le fait est que nombre de réfugiés ont suivi le parcours ordinaire des étrangers arrivés dans les années 1920, fuyant de toutes les parties de l’Europe la pauvreté et le chômage.
5Emigration d’élites, immigrés parmi d’autres ? Exil politique ou migration économique Ces extrêmes se retrouvent côte à côte et souvent mêlés chez les Russes exilés en France. Plusieurs figures types, l’ouvrier d’usine ou le notable parisien, renvoient à des univers sociaux originellement très dissemblables et pourtant reliés au sein de la « Russie en exil ». Pour tenter de les décrire, de reconstituer la dynamique de leur formation et de leur évolution, le croisement d’un regard « externe »construit à partir de l’histoire française de l’immigration) et d’un regard « interne »issu de l’histoire communautaire de l’émigration russe) est riche d’enseignement.
6Vus par les Français, les Russes représentent un milieu hétérogène, fait de plusieurs vagues migratoires (celle de l’époque tsariste étant encore largement représentée dans l’entre-deux-guerres) : on les rencontre à tous les niveaux de la société, de la grande précarité à l’aisance bourgeoise. L’histoire communautaire, elle, désigne les liens très divers qui, en dépit des disparités constatées, ont fortement tenu et unifié l’émigration russe. Un mode de fonctionnement très particulier s’est peu à peu installé, caractérisé par une stricte hiérarchisation interne et une répartition très explicite des rôles (réels et symboliques) des différents groupes sociaux. L’engagement des élites en faveur de l’insertion de la masse des réfugiés a sans nul doute constitué le fait le plus remarquable de cette histoire.
7Ces deux points de vue certes différents découvrent le caractère encadré, orienté de l’insertion des Russes en France. L’étude de cette organisation de l’émigration, plus que les improvisations attendues, apporte un éclairage nouveau sur l’histoire sociale des Russes en exil.
Paris : le melting-pot russe
8Dans le département de la Seine, la prépondérance des Russes dans la masse des étrangers est remarquable. En 1926, 45 000 Russes (dont près de 5 000 naturalisés) y résident ils constituent le troisième groupe d’étrangers après les Italiens et les Belges3. Cette concentration s’explique en partie par la présence de l’ancienne émigration du début du siècle : les 35 000 Russes enregistrés en France avant-guerre sont demeurés à Paris où les trois quarts d’entre eux étaient installés de longue date. Dans l’après-guerre leur présence tend, pour partie, à s’effacer. Cette population vieillit tandis que s’installent par milliers les réfugiés de la guerre civile.
9L’attrait de la Seine est grand pour tous les immigrés, mais les Russes y sont exceptionnellement regroupés puisqu’ils représentent 10 % de la présence étrangère dans le département, contre 3 % à peine à l’échelle nationale. Alors que l’installation des nouveaux immigrés dans le département s’est surtout faite en banlieue, les Russes, eux, s’installent massivement dans la capitale même où ils deviennent du coup très visibles. Ceci a largement contribué à donner force à la conviction (des émigrés comme des Français), qu’une arrivée innombrable de réfugiés avait eu lieu dans les années 19204 ; même constat à Berlin et à Prague5. La quête de soutiens, d’interlocuteurs et, tout simplement, de moyens de survie a objectivement motivé ce choix qui, naturellement, a aimanté les arrivées ultérieures. À Paris un cadre communautaire d’accueil s’est très tôt mis en place, faisant de la capitale un pôle attractif pour les très nombreux arrivants du milieu de la décennie. La fondation du lycée russe en 1920, celle de l’université populaire, les offices d’aide à l’emploi ouverts par le Zemgor (sans compter la création de multiples organisations sociales, professionnelles et culturelles) ont joué un rôle déterminant dans la rationalisation de cette attirance. À l’évidence, des considérations plus pragmatiques sont aussi entrées en ligne de compte. La concentration des émigrés russes dans la construction automobile par exemple (où les salaires étaient proportionnellement plus élevés qu’en province), s’explique par les avantages économiques qu’offrait la région parisienne. Nombreux sont ceux qui, arrivés avec un premier contrat de travail dans les aciéries lorraines ou dans la métallurgie en Normandie, ont rapidement délaissé leur premier emploi pour venir s’embaucher chez « P’tit louis »6.
10Tels arrondissements de Paris, tels quartiers, sont devenus des lieux de regroupements distincts où se développèrent les nombreux microcosmes de l’immigration russe. Dans le XVe arrondissement (où ils sont les plus nombreux : 4245), les Russes s’installent surtout dans le quartier de Grenelle, géographiquement le plus proche des usines de construction automobile de Javel et de Boulogne. Dans cet arrondissement se multiplient alors les restaurants russes bon marché, les « cantines » et les cafés, ainsi que toutes sortes d’institutions l’annexe de l’Office central des réfugiés russes7, place du Commerce, puis rue de l’Abbé Groult, le dispensaire médical de la rue Auguste Vitu, l’Université populaire russe hébergée au premier étage d’un atelier industriel rue de Sèvres ; sans compter les sièges des associations, l’amicale de Moscou, rue de Vaugirard, la Fédération des associations d’ingénieurs diplômés russes à l’étranger, rue Armand Moisant, l’Action chrétienne des étudiants russes, rue Olivier de Serres, l’Union des chauffeurs russes, rue Letellier, l’Union des cosaques, villa Chauvelot8, etc.
11Après le XVe viennent, par ordre d’importance, le XVIIIe arrondissement où les 3 Russes enregistrés s’installent surtout dans les quartiers des Grandes-Carrières et de Clignancourt. Se regroupe dans l’arrondissement une partie des anciens immigrés du « pletzel » arrivés dans la première décennie du siècle dont la réussite sociale est devenue visible avec leur installation dans la partie « chic » du XVIIIe9. Il est peu probable que le Pigalle russe, avec ses cabarets, ses restaurants (vitrines d’une mode déjà presque disparue dans les années 1930) ait suffi à motiver l’installation des Russes dans l’arrondissement ; la proximité des industries de la proche banlieue voisine a sans doute été plus déterminante.
12Dans le XVIe arrondissement, les quartiers d’Auteuil et de la Muette rassemblent les deux tiers des Russes présents (sur un total de 3 500 environ). Il s’agit ici d’une implantation que l’on a sans doute trop facilement associée à la présence d’une aristocratie propriétaire soucieuse de préserver son rang, tout au moins dans les formes. Certes, il existe des réfugiés assez fortunés pour s’installer dans les hôtels particuliers des avenues d’Eylau ou d’Iéna, mais ces cas sont hors norme. L’arrivée des Russes dans le XVIe pourrait en partie s’expliquer par l’existence de nombreuses pensions de famille, comme celle décrite par Joseph Kessel dans Nuits de princes, mais l’hypothèse demanderait à être vérifiée. De nombreuses associations et structures d’entraide s’y sont installées : le foyer des infirmières, rue Boileau, le Secours aux enfants de réfugiés de Russie, le Centre d’aide à l’émigration russe… La présence, notable, d’associations françaises de secours dans le XVIe témoigne de la contribution de la bourgeoisie locale à l’œuvre caritative. Tous ces éléments conjugués ont pu avoir un effet attractif et motiver l’installation des réfugiés dans cet arrondissement.
13Les XIe et IVe arrondissements qui rassemblent près de 7 Russes correspondent surtout à l’implantation de la vieille émigration pré-révolutionnaire. La présence d’anciens réfugiés qui avaient fui les violences antisémites des zones occidentales de l’empire a, semble-t-il, favorisé la venue des Juifs russes des années 1920, très minoritaires cependant au sein de l’émigration issue de la guerre civile. Les artisans de la Roquette (ébénistes et cordonniers) représentent le tiers des Russes actifs du XI10. De même, dans le IVe c’est le « pletzel » du Marais (quartier Saint-Gervais) qui regroupe les trois quarts des Russes de l’arrondissement où ils représentent plus de 20 % de la population étrangère, à côté des Polonais, Grecs, Roumains et Arméniens, « dans un labyrinthe de petits métiers en chambre et de petit négoce » 11. Dans les autres arrondissements, à l’exception du XVIIe légèrement plus fréquenté, les Russes sont minoritaires et leur présence est peu significative, en particulier dans le vieux centre (Ier et IIe arrondissements).
14Ces regroupements mêlent souvent des réfugiés aux activités très différentes, à l’exception sans doute du XVe arrondissement qui, au milieu des années 1920, paraît nettement dominé par le monde ouvrier russe de la construction automobile. À défaut d’avoir été le plus visible et le plus présent dans les mémoires, ce groupe a été le plus important de l’émigration. Des concentrations significatives ont eu lieu dans quelques autres secteurs d’activités, tels « les transports par terre », les métiers du fil, la confection, mais aussi la haute couture et les professions libérales. Plusieurs univers se distinguent ainsi, qui constituent dans leur diversité le Paris des Russes.
L’industrie automobile parisienne : un bastion russe
15La présence des réfugiés dans l’industrie automobile représente la plus forte concentration sectorielle des Russes 20 % de l’ensemble des actifs, soit 9 000 hommes, pour la plupart embauchés aux usines de Renault à Boulogne-Billancourt, de Citröen au quai de Javel et à Levallois12. Dans les usines automobiles de la région parisienne, les ouvriers russes représentent les contingents d’étrangers les plus nombreux après les Africains et les Italiens13. C’est dire l’importance de ces recrutements dont l’initiative revint très largement aux organisations russes émigrées. Dès 1924, il existait un guide russe spécialement consacré aux modalités d’embauche, de travail et de promotion dans les usines automobiles. Les candidats étaient invités à se procurer des lettres de recommandation au Bureau du Zemgor, à l’Association d’aide aux réfugiés russes, au Bureau de l’agent militaire de l’armée Wrangel ou encore à l’Union des officiers14.
16L’emploi dans cette branche industrielle en pleine expansion a orienté les installations dans les quartiers voisins : dans le XVe arrondissement mais aussi en banlieue, en particulier dans le canton de Boulogne où se rassemblent près de 2 000 Russes en 1926, et à Saint-Denis où le regroupement russe est le plus important de l’arrondissement. À Boulogne se forme une véritable communauté avec ses associations d’anciens combattants, sa caisse de secours mutuel, sa paroisse15 ; s’y développent de multiples formes de solidarité et de convivialité décrites de façon très imagée par Nina Berberova dans ses Chroniques de Billancourt16
17Si les réfugiés de l’industrie automobile ont moins marqué les mémoires que les chauffeurs de taxi, ils ont en revanche laissé des traces dans l’histoire du mouvement ouvrier des grandes usines de la région parisienne. Chez Renault, en particulier, où « Billancourt est l’objectif numéro un du recrutement communiste », les réfugiés sont surnommés les Wrangellistes, les « Blancs », et souvent perçus comme des agents du patronat17. Plusieurs scandales éclatèrent, les réfugiés furent accusés à cette occasion d’être les « mouchards et gardes blancs » de l’usine. C’est un Russe du nom de Gautheff qui dirigeait la police d’usine entre et et qui fut fustigé dans L’Humanité comme « un type de policier cynique et sans scrupule », un « Russe blanc, une sinistre canaille wrangelliste » 18. En revanche, les ouvriers russes sont perçus favorablement par la direction, à la fois pour leurs qualités professionnelles et leur conduite19. « Monsieur Renault nous aimait bien et il comprenait la détresse des Russes, on disait même qu’il donnait de l’argent à la Croix Rouge russe20. »
18Les réactions que la présence russe a suscitées dans les syndicats et la presse communiste sont-elles de simples caricatures du comportement des Russes ou renvoient-elles à une certaine réalité N’était-il pas dans l’intérêt des industriels d’embaucher massivement une main-d’œuvre réputée pour son anti-bolchevisme et présentant, par conséquent, des garanties de loyauté précieuses en ces années où le Parti tente de faire de Renault un des grands bastions communistes de la région parisienne Si les intérêts politiques des industriels sont hypothétiques, les raisons qui ont poussé les réfugiés vers l’industrie automobile sont, elles, facilement identifiables. Premier attrait : un salaire connu pour être plus élevé qu’en province ou dans d’autres secteurs de la métallurgie.
19La création de « corporations » russes ouvrières au sein des grands ensembles industriels se traduisit par de fortes concentrations dans certains ateliers. René Valine les décrit à travers leurs lieux de rencontre et de convivialité comme la cantine russe, le « Bazar slave » de Billancourt où « les tables se formaient par régiments » Les rescapés du régiment de cavalerie qui, happés par la guerre, n’avaient connu de la vie que leur régiment, étaient restés solidaires après la débâcle, l’évacuation et les camps, à Gallipoli et ailleurs. Ils ont ensuite servi de gardes à cheval en Yougoslavie puis ils sont arrivés, toujours ensemble, à Paris où ils savaient qu’on embauchait des Russes dans les usines de Billancourt21. De son côté Nina Berberova rappelait : « La sirène de l’usine hurlait, 25 000 ouvriers se déversaient sur la place à travers le large portail en fer. Un ouvrier sur quatre était un ancien gradé de l’Armée blanche. Ils se tenaient droits comme des militaires et leurs mains étaient abîmées par le travail… C’était de paisibles pères de famille, d’honnêtes contribuables. Ils lisaient les quotidiens russes, étaient membres d’innombrables clubs d’anciens combattants et conservaient précieusement au fond de leurs vieilles malles russes, les décorations, les insignes de régiment22. »
20La présence massive des ouvriers russes dans les usines de banlieue a été un phénomène important dans l’histoire de l’émigration, même s’il a été relativement éphémère. À partir de la seconde moitié des années 1920 on constate en effet une progressive désaffection pour cette branche de l’industrie : les deux tiers des Russes quittent volontairement l’usine23. Pour beaucoup, l’emploi chez « P’tit Louis » ou à Javel n’est qu’un passage obligé avant l’investissement dans une activité plus rémunératrice et surtout plus gratifiante.
Les chauffeurs de taxi russes : un mythe, une réalité
21Dès le milieu des années 1920, les Russes sont plus représentés dans « les transports par terre » que l’ensemble des étrangers24. À l’époque, ils sont encore relativement peu nombreux à tenir le volant, mais le métier commence déjà à concurrencer les emplois à l’usine et les chauffeurs vont bientôt symboliser, aux yeux de la société française, la destinée typique de l’émigré russe. La notoriété particulière des Russes dans cette profession (devenue véritable stéréotype dans la mémoire populaire) s’explique de différentes façons, en premier lieu par la nature même du métier : le temps d’une course s’installe une certaine intimité qui donne à l’étranger une grande visibilité. Métier nouveau où les Russes sont le deuxième groupe d’étrangers après les Italiens mais deux fois plus nombreux que ces derniers à exercer dans la capitale.
22C’est dans le mouvement associatif de l’émigration, en particulier dans les Unions d’anciens combattants, que se fait la promotion des chauffeurs. Ce sont elles qui organisent des cours de formation et contribuent ainsi à la création d’une véritable « corporation ». De là l’image classique du « Russe blanc », ancien officier ou soldat (que certains aiment à s’imaginer prince ou grand duc) qui, avec un fort accent, se lance volontiers dans le récit de la guerre contre les Rouges pour distraire son client ou le tenir éveillé… Le métier de chauffeur de taxi connut dans l’émigration un indéniable succès, et pour d’anciens militaires il ouvrait un horizon professionnel qui contrastait avec l’enclos de l’usine.
23En 1926, les Russes recensés dans les transports par terre sont près de 2 00025. Un nombre déjà important, si l’on sait que l’étranger ne peut accéder à la profession que s’il a résidé au moins 5 ans en France et s’il est en possession d’une licence professionnelle. Autrement dit, les réfugiés enregistrés en 1926 comme chauffeurs sont arrivés en France au plus tard en 192126. Quelques itinéraires et témoignages semblent indiquer que le regroupement des Russes dans ce métier a débuté avec les membres du corps expéditionnaire russe venus en France en 191627. Ainsi M. N, chauffeur de taxi dans les années vingt évoquant les « voitures russes précise : « C’étaient nos Russes de la Grande guerre qui avaient commencé dans le métier28. » C’est pourquoi la profession a été investie tout au long de l’entre-deux-guerres par une majorité d’anciens militaires : « Un officier appartenant à un ancien régiment arrive à Paris sans ressources (…). Il découvre son supérieur et ses camarades ; ceux-ci pourvoient à ses premiers besoins et lui assurent la possibilité d’un apprentissage. Plus tard, devenu chauffeur ou ouvrier, il agira de même avec un nouveau venu29. »
24L’embauche massive des réfugiés dans les entreprises de taxi vers le milieu de la décennie suscita des réactions indignées des chauffeurs français qui, par la voix de leurs syndicats, et en premier lieu de la CGT, dénoncèrent cette nouvelle concurrence. Celle-ci était d’autant plus sensible que les Russes travaillaient majoritairement de nuit et qu’ils étaient alors plus nombreux que les Français eux-mêmes à circuler dans la capitale. Sous la pression syndicale le ministre du Travail, Durafour, fut amené à limiter par une ordonnance d’avril 1926 l’activité des chauffeurs russes : l’accès aux examens fut bloqué pour ceux (alors au nombre de 700) qui s’y étaient déjà inscrits. Cette mesure entraîna l’intervention du Bureau International du Travail alerté par les associations russes, le BIT demanda qu’une exception soit faite pour les réfugiés et que les candidats à la licence ne soient pas pénalisés30. Ce qui fut effectivement obtenu. L’incident fut donc clos mais illustra, à titre d’avertissement, la fragilité de la situation des Russes sur le marché du travail. La nécessité de se mobiliser pour se défendre fut alors à l’origine de la création des Unions professionnelles russes.
25C’est à partir de 1926 qu’apparaissent en effet les premières associations russes de chauffeurs de taxi et il semblerait que des différends d’ordre politique en expliquent le nombre. L’Union des chauffeurs russes (Sojuz Russki choferov), créée le 25 mars 1926 à la suite d’une réunion de dix chauffeurs dans un café, regroupait un mois plus tard 200 membres et fondait ses différentes sections (enregistrement, de trésorerie, etc.). Dès l’année suivante, l’Union créa une bibliothèque et un club pour ses membres où elle organisa des conférences animées par des intellectuels de l’émigration. Elle ouvrit des cours d’apprentissage automobile, des cours de langue anglaise, une section de contentieux, et fournit des coupons d’huile et d’essence. Son bulletin, Le chauffeur russe (Russki chofer) commença à paraître en 1927 avec, dans le premier numéro, une contribution de l’académicien I. Runin. L’inauguration de la « journée du chauffeur » en juin 1927 (donnant lieu à de nombreuses quêtes et manifestations, dont l’inévitable bal…) rapporta une importante somme, en partie attribuée à l’Union des invalides de guerre et à une association d’aide à l’enfance. Deux ans plus tard, l’association possédait sa propre caisse d’entraide et organisait des vacances d’été pour ses membres31. Beaucoup plus qu’un simple regroupement d’intérêts professionnels, l’association offrait, pour qui le souhaitait, des facilités dans l’existence quotidienne, des possibilités de loisirs ou des lieux d’accueils lors des périodes de congés.
26D’autres groupements tenaient à une présentation plus formelle : « Notre Union est un syndicat et nous l’avons formé (déclarait son vice-président) parce que nous ne voulions pas nous inscrire dans des organisations communistes ou favorables à la lutte des classes. L’Union Générale est un groupement professionnel (…). Nous avons un juriste, un service des contentieux, un avocat, un médecin32. » Elle facilitait l’intégration des nouveaux arrivés dans le métier et, d’après J. Simpson, aidait ses membres à acquérir leur propre automobile33. Car l’attrait principal du taxi, c’était bien l’accès à l’autonomie. Même si peu d’entre eux parviennent à se passer d’un patron, tous demeurent libres au volant, loin de tout contrôle, restant de la sorte hors d’un cadre social « étranger ». Etre ouvrier chez Renault et devenir chauffeur résume, pour nombre d’anciens membres des armées blanches, le parcours professionnel du Russe en France. D’autant que le salaire de conducteur était réputé pour être au moins deux fois plus élevé que celui d’ouvrier34.
27Si l’on en croit le témoignage d’un immigré, c’était la compagnie des G7 qui recrutait le plus de chauffeurs russes : « Les G7 avaient un garage avenue Wagram et là presque tous travaillaient35. » Le recrutement des Russes a-t-il été une politique des employeurs ? Rien ne permet de l’affirmer avec certitude même si, par commodité, ils ont pu laisser s’instaurer un système de recrutement par cooptation interne, par recommandations individuelles ou attestations de responsables d’associations civiles ou militaires.
28Les 4 000 Russes officiellement enregistrés autour des années 1920-1930 témoignaient bien de l’existence d’une véritable corporation russe dans le métier. Le chauffeur russe n’est donc pas un mythe, il ne l’est que dans le sens où il a symbolisé, dans l’esprit des Français tout au moins, une chute du plus haut vers le plus bas de l’échelle sociale. Or, les conducteurs étaient loin d’être des princes ou des grands ducs… Si certains, anciens membres de professions libérales, ont pu être amenés à se reconvertir derrière le volant, les profils de la majorité des émigrés étaient tout autres. Les chauffeurs venaient de cette génération précocement mûrie dans la guerre, ensuite dans l’errance au cours de laquelle toute ambition s’était tue. Ils s’épaulaient dans la conscience d’un destin largement partagé mais non choisi. Circuler était peut-être pour eux la meilleure façon de donner forme à ce lieu déterritorialisé qu’est l’exil…
Confection et couture : des milieux communautaires distincts
29En 1926, 10 % des émigrés russes actifs sont enregistrés dans le secteur de l’artisanat. Mais se trouvent là, le plus souvent, de vieux émigrés parvenus à l’autonomie après des années de labeur. Les anciens émigrés des années 1900 ont fondé, à Paris surtout, une multitude d’ateliers dans la confection et la menuiserie. Les statistiques concernant le monde parisien de la confection montrent que ce secteur se caractérisait par une tendance forte au recrutement « interne »36. Ceci, à l’évidence, renvoie à un fonctionnement communautaire où la force des réseaux est déterminante.
30La littérature, les mémoires, la perception des contemporains, désignent dans leurs différences deux mondes. Le premier est constitué depuis longtemps par l’immigration pré-révolutionnaire dont l’activité dans le prêt à porter, la casquetterie, la bonneterie, la fourrure était prédominante dès avant la guerre. Le second apparaît au milieu des années vingt avec la présence nouvelle des Russes dans la haute couture, le travail de la broderie et de la peinture sur tissu.
31Le milieu des artisans juifs russes du Pletzel qui s’est imposé dans la confection au début du siècle a été précisément décrit dans sa genèse par Nancy Green. Son devenir dans l’entre-deux-guerres reste mal étudié même si l’on connaît son rôle persistant dans une profession dominée à Paris par la petite entreprise familiale37. La mobilité des employés y a toujours été forte, non seulement en raison du caractère saisonnier du travail mais aussi des salaires réputés très bas.
32L’appartenance nationale est dans ce milieu-là beaucoup moins décisive que l’identité juive, constitutive du lien communautaire économique et social. Jusqu’en 1911, les recensements avaient artificiellement homogénéisé l’immigration juive d’Europe centrale et orientale en considérant comme Russes tous les ressortissants de l’empire tsariste. Mais, après-guerre, la constitution de nouvelles frontières européennes conduit à distinguer désormais les Roumains de Bessarabie des Polonais et des Russes et, de ce fait, ces derniers sont désormais devancés en nombre par les Polonais38. En 1926, la prépondérance des ressortissants d’Europe centrale et orientale dans le travail des étoffes et leur regroupement dans les vieux quartiers parisiens du centre sont patents. Univers souvent mal considéré par les contemporains, comme Georges Mauco qui, qualifiant ce milieu « d’affairistes » en constatait l’accroissement regrettable depuis la guerre39.
33Parallèlement aux petites entreprises et aux ateliers du Marais, les nouveaux venus, réfugiés de la guerre civile s’affirment dès le milieu des années vingt dans la haute couture parisienne. La création de quelques maisons (telle Yrfé fondée par le prince Youssoupoff ou Kitmir, l’entreprise de Marie Romanoff) symbolise la reconversion économique des anciennes élites de la Russie impériale. « La haute couture parisienne a ouvert tout grand ses portes somptueuses devant celles qui arrivaient en robe de deuil (…). Plusieurs maisons de couture et de chapeaux sont dirigées par de grandes dames russes qui ont lutté courageusement avant de devenir maîtresses de leur sort ». Et Charles Ledré de citer le cas de la belle-sœur du général Wrangel, directrice d’un célèbre atelier40. De vastes réseaux se créent dans le monde du vêtement de luxe où apparaissent des couturiers russes dont certains collaborent avec des couturiers français comme Lelong (qui épousa la fille du grand duc Paul) ou Chanel. La vogue russe du Paris de l’après-guerre qui propulsa les émigrés au premier plan de la scène parisienne fut pour beaucoup dans leur réussite. Ralph Schor moque cet engouement des Parisiens pour les « choses russes » ce nouveau snobisme : « Ils voulurent visiter des expositions d’art russe, trouver des magasins vendant des produits russes, s’habiller dans les maisons de couture russes, fumer des cigarettes au goût russe41. »
34Mais si les élites sont reconnues et admirées, elles le doivent beaucoup aux vastes réseaux de main-d’œuvre fournis par la nouvelle émigration. Marie Romanoff se donne bonne conscience en employant des réfugiées démunies : « J’accomplissais quelque chose d’extraordinaire, écrit-elle, je prenais part à la lutte de mes compatriotes exilées (…). L’atelier se développait, on m’assurait que j’aurais grand avantage à prendre des professionnels. Cependant je m’entêtais dans mon idée initiale qui était de venir en aide le plus possible à mes compatriotes42. » Mais il se trouve que ce réflexe de charité est aussi la solution idéale pour qui possède des capitaux et veut fonder une entreprise de couture… D’autant que les réfugiées possèdent un réel savoir-faire dans les travaux délicats : « Il était bien naturel de s’adonner à la broderie, très en vogue dans les années vingt, grâce en particulier aux nouveaux modèles de Chanel, car toute jeune femme bien éduquée ne savait rien faire d’autre en arrivant en France que broder, danser et parler français »43, rappelle une immigrée, ravivant l’image caricaturée, mais partiellement vérifiée du déclassement social des femmes russes. « Prendre le fil, c’était la solution la plus facile pour l’immédiat, chacun connaissait quelqu’un qui travaillait dans la couture et, si ce n’était pas le cas, il suffisait de lire les petites annonces de la cour de la rue Daru » (cathédrale orthodoxe de Paris) 44. Les travaux de couture ont été un recours ponctuel pour nombre d’émigrés. Nina Berberova, comme bien d’autres personnages connus, s’y est adonnée pour « combler » les fins de mois, lorsque son mari, le poète Khodassevitch ne parvenait pas à publier, ou plus exactement à être payé pour ses publications45. L’épouse de Mark Vichniak, célèbre rédacteur des Annales contemporaines (Sovremmenye Zapiski), effectuait encore des travaux à la tâche pendant que son mari travaillait à la rédaction de la revue46. La confection apparaît ainsi comme l’une des activités qui ont relié les univers les plus diversifiés de l’émigration russe : des aristocrates reconverties aux intellectuelles sans le sou, en passant les épouses d’ouvriers et de chauffeurs de taxi.
35Continuité dans la profession certes, mais discontinuité entre les différentes générations migratoires de Russes. L’absence ou le peu de relations entre les deux vagues d’arrivées, suggère, a contrario, la force du lien communautaire qui s’est tissé dans l’origine et l’histoire de la migration. Le cas de l’école des arts appliqués Stroganov est un bon exemple de la réorganisation sociale communautaire. L’école Stroganov est associée, pour les contemporains, au prince Youssoupoff, figure légendaire de l’émigration russe, devenu dans les années vingt couturier parisien très en vogue. Cette école était placée sous son patronage et bénéficiait de moyens importants. Installée dans un hôtel particulier du xvie arrondissement, elle possédait plusieurs ateliers spécialisés de tissage, de peinture sur tissu, de gravure, etc. et elle avait une assez grande capacité d’accueil (plus de 50 élèves en 1926) 47. En principe elle dispensait un enseignement technique et artistique, mais en réalité l’un de ses objectifs était de préparer les élèves à travailler pour les entreprises d’art de l’émigration et, plus particulièrement, pour la maison de Felix Youssoupoff. Les meilleures productions des élèves étaient vendues dans la boutique du prince, rue Royale. Ainsi, du patron à l’étudiant, se mettait en place ou se reconstituait progressivement chez les émigrés une hiérarchie sociale et professionnelle. L’univers de la couture donne à voir, mieux que d’autres, cette restructuration et l’importance des réseaux constitués.
Les professions libérales : une exception russe
36Dans les années 1920 peu d’étrangers sont représentés dans les activités considérées comme « professions libérales » (à peine 3 %), et les travaux portant sur cet aspect de l’immigration en France restent marginaux. Les Russes, en raison du nombre de médecins, d’avocats, d’écrivains, d’académiciens réfugiés ont souvent considéré être « naturellement » présents dans ces milieux professionnels bien qu’ils disent avoir eu du mal y être reconnus. Les récits et témoignages biographiques sont hantés par le déclassement social propre à l’exil. Pourtant, dès 1926, les Russes se distinguent nettement des autres étrangers par leur présence très sensible dans les professions libérales : près de 10 % des actifs enregistrés en France, dont les deux tiers résidant à Paris ou dans la région parisienne.
37Mais qu’entend-t-on par cette catégorie dite des « professions libérales » ? La nomenclature des statistiques françaises concernant les activités exercées, très précise en ce qui concerne les différentes branches de l’industrie, est peu détaillée quand il s’agit des professions minoritaires exigeant un haut niveau de formation. Des trois groupes définis au sein de la section 7 (7ab : professions judiciaires, enseignement privé, 7c, : cultes 7def : sociétés, experts, techniciens, lettres et arts, professions médicales), le troisième est celui qui compte l’effectif le plus important. Y sont enregistrés aussi bien les médecins que les danseurs, les écrivains, les ingénieurs et les cadres indépendants de « sociétés ». C’est dire l’extrême difficulté de procéder, à partir des statistiques françaises, à une analyse fine des modes d’insertion dans des activités globalement définies comme « manuelles ».
38Les résultats du recensement de 1926 apportent néanmoins quelques précisions intéressantes. À commencer par les localisations en France, limitées à la région parisienne et à la Côte d’Azur. L’intelligentsia et les artistes russes sont majoritairement installés à Paris ou aux alentours, dans l’arrondissement de Sceaux par exemple, alors que la majorité des Russes résidant en banlieue se trouvent dans l’arrondissement de Saint-Denis48. Leur présence est également sensible en Seine-et-Oise où se constituent plusieurs îlots russes, comme à Chaville qui possède dès 1926 une église orthodoxe d’abord aménagée dans un garage avant la construction d’un véritable lieu de culte49. Meudon est également une « commune russe » ; lorsque Z. Oldenbourg évoque la rue de son enfance, elle y décrit des immeubles entiers habités par des exilés. Sa sixième s’était faite au lycée Molière où, sur 25 élèves, 5 étaient, comme elle, des émigrées russes50. À en croire l’écrivain, les réfugiés de la commune étaient pratiquement tous d’anciens bourgeois qui souffraient désormais d’un « mal endémique, la pauvreté » mais qui tenaient à un certain cadre de vie. Intellectuels et anciens notables restaient sensibles à une esthétique du quotidien Nicolas Berdiaev aurait-il pu vivre sans jardin, s’interroge Pierre Pascal en évoquant la villa du philosophe à Clamart51 ?
39Le deuxième enseignement apporté par le recensement de 1926 est la part relativement importante des femmes russes dans les professions libérales la présence de femmes issues de milieux privilégiés qui avaient eu accès à une éducation supérieure est significative52. Ceci, ne l’oublions pas, était déjà perceptible dans l’émigration pré-révolutionnaire où on notait une proportion non négligeable d’étudiantes russes inscrites dans les universités et dans les centres de formation supérieurs français entre 1906 et 1913, les femmes russes représentaient plus de 60 % de l’ensemble des effectifs féminins étrangers de l’Université de Paris53. Cette présence exceptionnelle tenait en grande partie aux Juives russes pour lesquelles les études à l’étranger répondaient à une double volonté d’émancipation : fuir la condition des Juifs de l’Empire et affirmer sa position au sein de la communauté ashkénaze54. D’une manière plus générale, le combat mené par les femmes en Russie pour accéder à l’éducation supérieure constituait un fait remarquable dès la seconde moitié du xixe siècle. Bien que diplômée à l’étranger, Sofia Kovalevs-kaja, célèbre mathématicienne russe, devint en 1889 membre correspondant de l’Académie des sciences de Saint-Petersbourg, symbolisant la promotion de la femme dans les cercles académiques. De la forte mobilisation féminine résulta la création des cours polytechniques pour femmes à Saint-Petersbourg en 1906. Ces cours qui comptaient 224 étudiantes à leur ouverture en accueillaient 1 500 à la veille de la Révolution55. De nouvelles générations de femmes diplômées s’étaient ainsi imposées en Russie depuis la fin du xixe siècle, dont une part avait fait ses études à l’étranger. Leur présence dans l’émigration fut particulièrement visible dans l’enseignement ; elles constituèrent les principaux cadres des établissements scolaires russes créés dans la France des années 1920. Elles furent également représentées dans certaines institutions scientifiques, comme l’Institut Pasteur, et s’illustrèrent brillamment parmi les écrivains, journalistes et artistes. Dans les années 1920, la fédération internationale des femmes diplômées avait fondé une section russe animée par A. S. Milioukov, l’épouse de l’historien et publiciste, où s’organisaient des conférences mensuelles. La section avait même une caisse de secours qui permettait de venir en aide aux plus démunies d’entre elles56. La proportion de femmes russes dans les professions libérales constitue ainsi une singularité supplémentaire de la présence « exceptionnelle » des Russes dans ce secteur d’activités. La promotion de l’ancienne émigration pré-révolutionnaire dans la société française a indubitablement contribué à renforcer la représentativité des Russes dans les métiers de haute qualification, mais elle ne peut à elle seule expliquer ce fait57. Ce sont davantage les liens de solidarité, l’offre de travail liée au développement des activités communautaires, la promotion des arts russes dans le Paris des années 1920, l’existence d’anciens réseaux franco-russes qui ont pu assuré des continuités dans les parcours professionnels ou encore des reconversions en valorisant l’expérience acquise avant l’exil.
Solidarités professionnelles et stratégies d’insertion
40Dès le début des années 1920 on assiste à la création de nombreuses associations professionnelles : l’Union des écrivains et des journalistes russes, fondée à Paris en 1920, et présidée par l’historien Paul Milioukov, l’Union des avocats russes de France, dirigée par le juriste Teslenko, la société des médecins russes du nom de Metchnikov, l’Union des ingénieurs russes de France, etc.
41L’Union des avocats russes de France, officiellement créée pour « défendre les intérêts professionnels des avocats russes, leur prêter une assistance matérielle et morale », offre un bon exemple de la vitalité des juristes, nombreux en émigration. En 1930 elle comptait 203 membres qui devaient, pour être adhérents, résider en France, avoir appartenu au barreau en Russie, exercer leur profession58. Elle possédait une caisse de secours mutuel59, organisait des cours et des conférences et contribuait « à trancher les questions et les différends nés sur le terrain de l’activité professionnelle des avocats russes ».
42Selon les archives de Manuel Margulies, avocat et secrétaire général de l’Union, les juristes russes déployèrent une intense activité dans la défense des intérêts des sociétés et personnes privées russes à l’étranger, en particulier dans les premières années de l’émigration où la loi du jus soli ne s’était pas encore imposée pour traiter les contentieux mettant en cause les apatrides russes60. Ils furent aussi très sollicités dans la vie communautaire de l’émigration russe : chaque association à caractère professionnel ou caritatif possédait un bureau d’assistance juridique qui orientait les émigrés dans l’administration française ou traitait les différends nés de leur situation même de réfugiés. La notoriété des juristes fut encore accrue par le rôle décisif que certains jouèrent dans l’élaboration du statut des réfugiés61. Les plus renommés, comme B. Nolde, disciple du célèbre juriste Martens, enseignaient à l’Institut russe d’études juridiques et historiques ouvert à Paris en 1920. D’autres, comme André Mendelstam, professaient à l’Académie Internationale de la Haye62.
43Leur présence notable dans l’émigration se confond, en partie, avec l’histoire du libéralisme russe en exil. Nombre de membres du parti Cadet ou Socialiste-Révolutionnaire s’étaient massivement investis dans cette profession avec la volonté de contribuer à la promotion du droit et des libertés dans l’empire tsariste. Dans l’émigration ils furent nombreux à maintenir leur idéal d’émancipation politique et sociale, associant à leur activité professionnelle un engagement militant en faveur des droits de l’homme (tel Marc Vichniak qui contribua à l’élaboration du Droit des minorités). Ils furent particulièrement actifs dans les instances dirigeantes des organisations caritatives et sociales ou dans celles des différentes institutions de l’émigration, comme le conservatoire Rakhmaninov ou l’Institut commercial, pour ne citer que quelques exemples63. Si l’on en croit l’étude de Nina Berberova, les juristes russes auraient été très représentés dans la franc-maçonnerie, ce qui pourrait expliquer la force de leur solidarité professionnelle, voire le développement de leurs compétences dans des directions nouvelles64.
44Comme la médecine, le droit était l’une des formations les plus traditionnellement prisées par ceux des Juifs russes qui avaient pu accéder à l’enseignement supérieur (compte tenu du Numerus Clausus instauré dans les universités de l’Empire à partir de 1888). Il n’est donc pas étonnant que ces milieux d’élites aient été ceux où Juifs russes et Russes se soient le plus souvent côtoyés65.
45Les médecins, eux, se trouvaient pénalisés par la non-reconnaissance en France des diplômes délivrés par les facultés étrangères. La protection du corps médical était déjà dans les années 1920 un fait ancien. Par la loi du 30 novembre 1892, les prétendants à l’exercice de la médecine en France devaient avoir suivi le même cursus d’études que leurs homologues français. Néanmoins, de nombreuses dérogations eurent lieu66. Certains médecins russes ont pu bénéficier, dans les années 1920, de cette libéralité de fait comme l’indiquent plusieurs témoignages67. D’autres, sans doute les plus jeunes, refirent le cursus imposé. Mais ces cas semblent loin d’avoir été la norme. Les médecins furent nombreux à poursuivre leur activité de façon informelle, trouvant leur clientèle parmi les réfugiés ou s’associant à divers titres à des cabinets français68. Le guide du « Paris russe » de 1929 donne les références de 160 médecins russes, répertoriés par spécialité (gynécologie, pédiatrie…) ainsi que différentes adresses de pharmacies, laboratoires d’analyses, dispensaires et cliniques russes69. Tout un réseau communautaire se reconstitua ainsi depuis le cabinet de consultations jusqu’à la pharmacie. Certes, l’absence de sécurité sociale rendait plus aisée la pratique informelle du métier, mais il est probable que l’Ordre des médecins a manifesté une certaine tolérance à l’égard des réfugiés. Des facilités leur furent accordées, comme celle de pouvoir travailler dans les colonies françaises en tant qu’assistant hygiénistes, et la pénurie de personnel médical conduisit le ministre des Colonies à favoriser leur embauche à partir de 1927-192870.
46La visibilité de ce vaste réseau s’explique aussi par un enracinement ancien des Russes dans le monde médical français. Dès avant guerre, il existait en France deux périodiques de médecine en langue russe qui témoignaient de l’implantation significative des Russes dans la profession71, tout comme le nombre des étudiants russes dans les facultés de médecine françaises dès la fin du xixe siècle72. Faut-il voir ici le rôle de l’ancienne émigration pré-révolutionnaire dans l’intégration professionnelle des nouveaux venus L’hypothèse est plausible et mériterait d’être vérifiée dans une étude particulière.
47« L’union des ingénieurs russes (selon un rapport de 1921) a son siège en France et compte plus de 1500 membres. Son programme : l’organisation de l’enseignement des métiers aux personnes ayant exercé une profession libérale (…) et qui sont à la recherche d’un emploi73. » La reconversion professionnelle par l’enseignement semble avoir été l’une des voies privilégiées pour tous ceux (spécialistes déjà âgés) qui ne pouvaient envisager de reprendre des études. Dans l’enseignement technique l’offre communautaire fut relativement importante si l’on s’en tient aux institutions créées dès le début de la décennie. En 1920, l’école pratique de radio-électricité ouvrit une section russe préparant à des diplômes supérieurs de radio-électricité. L’institut polytechnique de Paris (subventionné par l’État français) proposait des cours de formation en langue russe pour l’obtention de diplômes d’électro-technicien, d’aide-ingénieur, et d’ingénieur. L’école polytechnique russe de Paris ouvrit des cours de technique, d’agronomie, de commerce, et l’école politique russe (subventionnée par la Young Men Christian Association74) proposait des cycles de formation en génie électrique, mécanique, ingénierie de la construction75. L’université populaire, fondée en 1921 par le Groupe académique russe, outre des cours dispensés par des spécialistes de renom sur l’histoire, la littérature et la théologie russes, organisait des formations techniques, notamment de mécanique automobile76. La multiplication des centres de formation professionnelle et supérieure montre la double stratégie mise en place par les acteurs communautaires : utiliser les anciens spécialistes compétents comme formateurs et faciliter aux jeunes générations l’accès à des métiers techniques considérés comme des garanties d’une insertion sociale rapide et stable.
48Plusieurs structures d’enseignement permettaient de mener de pair activité de subsistance et suivi d’une formation. Certaines, comme l’école polytechnique, dispensaient un enseignement par correspondance, d’autres avaient ouvert des sections de formations accélérées en soirée ou s’étaient spécialisées dans les cours du soir. C’était le cas de l’Institut commercial russe de Paris, fondé dans les années 1920, qui avait créé plusieurs cycles d’apprentissage conçus en deux ans d’études. La comptabilité, l’arithmétique, le droit fiscal, la correspondance commerciale y étaient enseignés en langue française. L’anglais, l’économie politique, le droit, les finances, les opérations bancaires et boursières, la géographie économique, le commerce international, l’administration industrielle et commerciale, l’économie de la Russie faisaient partie du programme en langue russe77. Autrement dit, l’apprentissage technique et l’acquisition de compétences pratiques étaient dispensés directement dans la langue du pays d’accueil, dans un souci évident d’efficacité professionnelle, tandis que l’initiation aux connaissances plus fondamentales se faisait en russe. Cette conception de la formation témoigne dans ces années 1920 du double objectif des animateurs de la communauté : à court terme, fournir aux réfugiés les moyens de se placer sur le marché du travail et, à plus long terme, former des cadres de la future Russie post-bolchevique en leur transmettant des connaissances spécifiques sur leur pays d’origine. Cette préoccupation, ouvertement exprimée et soutenue par les gouvernements de plusieurs pays (en particulier l’équipe de T. Mazaryk en Tchécoslovaquie), fut dominante tout au long de la première décennie d’exil78. Elle explique l’intense investissement des élites en faveur de la formation des nouvelles générations dans une période où la plupart des actions engagées étaient orientées par la perspective d’un prochain retour en Russie.
49Quels étaient les bénéficiaires de ces programmes d’enseignement ? Sur cette question les sources en disent peu. D’après le bilan effectué par le Comité Central de Patronage de la jeunesse universitaire russe à l’étranger, 2000 étudiants ont suivi un enseignement supérieur au cours de la décennie mais ; ce chiffre ne concerne que ceux ayant obtenu une bourse du gouvernement français (800 personnes) ou du Comité (1162) 79. Or, de nombreux étudiants subvenaient à leurs besoins en étant coursiers, gardiens de nuit, grooms, manutentionnaires, ou autres…
L’intelligentsia russe : une forte continuité de parcours
50Comment allaient s’adapter ceux qui étaient habitués à vivre de leur plume ? La majorité des gens de lettres, publicistes, journalistes, avaient un haut niveau de formation et souvent une bonne connaissance du français. Les échanges avec les intellectuels français furent relativement importants mais il ne s’agissait pas là d’une véritable insertion sociale. La perte d’un auditoire naturel, de l’univers culturel dans lequel ils s’étaient formés et projetés, le traumatisme suscité par les bouleversements intervenus en Russie provoquaient chez la plupart déstabilisation et désarroi. Et pourtant, la production littéraire et intellectuelle des Russes en exil a été, par son volume et sa diversité, exceptionnelle80. Cet important patrimoine culturel a fait l’objet de nombreux travaux. En revanche, les conditions de production ou les moyens d’existence de ce milieu demeurent mal connus. L’image « d’intellectuels de haute culture (servant) sans rechigner comme portiers ou chauffeurs de taxi81 », ne se vérifie guère à grande échelle. Certains, comme Paul Evdokimov, théologien de renom, ont exercé des emplois précaires, en l’occurrence manouvrier dans une station de chemin de fer, mais pour quelques mois seulement, le temps de trouver d’autres subsides. La double vie, d’ou vrier et d’intellectuel, ne caractérise pas durablement les trajectoires de l’intelligentsia russe en exil.
51Une grande diversité de situations personnelles et une habile combinaison de ressources variées caractérisent plutôt ce milieu. La plupart associent traductions, publications d’articles ou d’ouvrages, recensions, relecture et corrections de textes, enseignement, conférences, administration (bibliothèque, association), soutiens financiers venus d’organisations émigrées ou d’intervenants extérieurs, etc. L’offre de travail, souvent peu lucrative, n’en a pas moins existé. Dans l’entre-deux-guerres, Paris n’est pas seulement le centre de la communauté installée en France, c’est aussi la capitale de la diaspora russe en Europe où se publient deux quotidiens, de nombreuses revues à caractère général ou spécialisé, littéraires ou scientifiques, des bulletins associatifs, d’informations, où existent plusieurs maisons d’éditions, des librairies et bibliothèques82, etc. Dans les années 1920, de nombreuses personnalités effectuent des tournées de conférences dans les différentes colonies de la diaspora. Ces déplacements sont le plus souvent financés par les institutions russes, qu’il s’agisse du Zemgor, du Groupe Académique de Prague ou de quelque organisation philanthropique83. En France, les cycles de conférences thématiques organisés à l’initiative de l’Union des écrivains dans le cadre de l’institut politique russe de Paris ou de l’Université populaire, se développent dès le début de la décennie et se multiplient au rythme des sollicitations venues des associations professionnelles, paroissiales ou des petites colonies russes de province.
52L’intelligentsia en exil constitue le vivier où sont recrutés les cadres de l’enseignement supérieur dispensé en divers lieux de la capitale : à l’université populaire russe, à l’institut franco-russe, dans les différentes facultés rattachées à l’université de la Sorbonne (section philologique, juridique, physique, etc.). Des aides directes (allocations temporaires ou durables) ont aussi représenté des soutiens, parfois décisifs, dans le travail de création. La poétesse Marina Tsvetaeva après avoir quitté Prague pour Paris, continua à recevoir des fonds du gouvernement tché-coslovaque84. L’écrivain Boris Zaitsev était, lui, aidé financièrement par le gouvernement serbe85. Lorsqu’il rédigea son importante somme historique, le général Denikine bénéficia du soutien régulier d’une organisation d’entraide russe86. Si l’indigence a souvent été une situation communément partagée, les liens de solidarité, le dynamisme culturel de la vie communautaire ont permis aux élites de subsister en préservant et développant leurs compétences propres. En définitive, c’est bien la continuité des parcours dans ce milieu-là qui constitue une singularité historique remarquable.
La force des réseaux franco-russes, les bénéfices d’une mode passagère
53Les institutions françaises ont également ouvert leurs portes aux intellectuels et scientifiques russes. L’un des lieux emblématiques du rôle historique des échanges franco-russes dans l’intégration des scientifiques fut sans aucun doute l’Institut Pasteur. L’intérêt manifesté par les Russes aux recherches de l’Institut, dès la découverte du vaccin, entraîna à partir du milieu des 1880 une collaboration suivie. Les échanges étaient réguliers : séjours de recherches de spécialistes en France et en Russie, intégration au sein de l’équipe pasteurienne de savants russes, tels Ilya I. Metchnikov (prix Nobel 1908 pour ses recherches sur l’immunité), ses disciples N. Gamaleja et W. Haffkine. La présence de savants russes au sein de l’Institut attira dès le début du siècle des étudiants venus de tout l’Empire. Dans la première décennie du siècle, ils furent plus de 80 (dont 12 femmes) à suivre le cours de bactériologie parmi les quelque 2000 médecins que comptait l’auditoire87. Cette tradition d’étroite collaboration et d’échanges explique l’attention apportée par les Pasteuriens à leurs homologues russes émigrés. S. N. Vinogradsky, sollicité pour venir travailler à l’Institut dès les années 1890, y arriva en 1922 et prit la direction du laboratoire de Brie-Comte-Robert88. D’autres le précédèrent de peu ou le suivirent, parmi lesquels A. T. Vasiliev, M. A. Volkonski, I. I. Manukhine, S. I. Metalnikov, etc89.
54À Villefranche-sur-Mer, la station zoologique fondée en 1886 par le professeur Korotnev est l’exemple d’un autre centre scientifique où préexistait une collaboration franco-russe. Dès la première décennie de l’exil plus d’une dizaine de chercheurs russes y furent intégrés90. Dans la plupart des cas, plus que les collectivités, ce furent les réseaux de relations personnelles ou le renom qui favorisèrent l’intégration universitaire et scientifique. Géologue de formation, M. Bachmakoff se rend de Yougoslavie à Paris sur l’invitation du géographe Jean Brunhes pour occuper un poste de maître de conférences à l’école d’anthropologie91 et M. Gurvitch, A. Koyré, N. O. Puschak entrent à l’Ecole pratique des Hautes Etudes. Bien connus pour avoir symbolisé l’ouverture du monde savant français aux élites exilées, ces recrutements d’émigrés ont été néanmoins peu étudiés. Leur incidence sur les jeunes générations de Russes installés en France (qu’ils ont à l’évidence attirés) mériterait d’être interrogée.
55C’est dans le domaine artistique que la reconnaissance des exilés fut la plus visible. Les échanges avec la Russie, l’installation dans la capitale de peintres et de sculpteurs, le renom de certains artistes dans la France de la Belle Epoque avaient tôt assuré la notoriété des Russes. Le succès emblématique des ballets de Diaghilev à la veille de la Première Guerre mondiale prépare ainsi l’accueil enthousiaste qui, pendant les années folles, sera réservé aux troupes de danseurs émigrés. L’accueil de la « colonie russe » dans le cinéma français d’après-guerre est à cet égard exemplaire. Jusqu’à l’avènement du parlant, les émigrés russes, acteurs, réalisateurs, mais aussi techniciens et décorateurs sont extrêmement présents dans l’activité cinématographique. L’ancien responsable de la Pathé-Rouss, Joseph Ermoliev qui s’installe dans les immeubles de Pathé à Montreuil en 1920, y est pour beaucoup92. Dans le studio « phalanstère » autour de Kamenka et Mosjoukine, se regroupent des comédiens et techniciens qui, dans les premières années de leur arrivée, firent de brillantes carrières.
56Avec la mode russe des années 1920 se multiplient les cabarets russes et autres lieux de plaisir93. En 1922 s’ouvre, au 54 rue de Pigalle, le Château Caucasien où les autochtones commencent à découvrir les longues « nuits slaves » appelées à tant de succès et peu après Pigalle devient le quartier d’élection de ces cabarets. En 1923 apparaissent le Yar, et la Troika, tandis que prolifèrent à proximité restaurants et bistros russes comme le Minoutka ou le Terenok94. « Ces établissements, écrit Joseph Kessel, poussaient comme des plantes malsaines. Il y en avait de toute grandeur et de tout style (…). À chaque pas, on se heurtait à des cosaques placés en sentinelle devant la porte de ces salles. D’autres, chanteurs ou danseurs, déambulaient pendant les entr’actes, tête nue, entraient dans les bars, dans les cafés (…). Des femmes à la peau blanche, aux yeux clairs, couvertes d’oripeaux criards, riaient ou pleuraient sans raison. Des princes du plus noble sang buvaient en frères avec d’anciens voleurs de chevaux95. » C’est là que le fantasme et la réalité de la déchéance de ces « maîtres détrônés » qu’on voulait voir dans tout exilé, trouvèrent leur lieu d’expression96.
57Cette période faste des années 1920 marque pour certains le début d’une longue carrière dans le monde artistique. Dès son arrivée dans la capitale en 1925, Georges Annenkov, costumier, put signer des engagements qui lui vaudront une renommée incontestable dans les milieux du cinéma97. Mais toute mode est éphémère, et la mode russe des années vingt passait à la fin de la décennie… La banalisation de la présence russe coïncidait alors avec les prémisses de la crise en même temps que l’avènement de certaines techniques entraînait des mises à l’écart : l’exclusion, par exemple, des acteurs étrangers avec l’arrivée du film parlant.
58Dans le Paris des années 1920 se mettent en place des modèles d’adaptation très différents allant d’une immersion dans le monde ouvrier (qui est aussi le monde de l’immigration), au retrait dans l’espace déterritorialisé de « la Russie en exil ». La diversité des origines sociales de l’émigration est manifeste quand on observe les modes d’insertions : rares et accidentels sont les destins d’intellectuels prolétaires, même si leurs difficiles conditions d’existence les en rapprochent nombreux sont, au contraire, les parcours d’ouvriers et d’artisans (dans la génération qui a constitué les troupes de guerre) déterminés par les hasards des événements et les enchaînements aveugles de l’histoire. Mais une évidence s’impose les émigrés russes, quels qu’ils soient, ont tous été tenus par le lien communautaire qui fut à la fois un soutien moral et existentiel. L’élite intellectuelle a certes été contrariée dans son ascension, mais elle a néanmoins été valorisée dans sa communauté même où elle a déployé l’essentiel de ses énergies et dont elle a reçu en retour ses moyens de subsistance. Entre acteurs et auditoire, l’émigration russe de la capitale a constitué, par sa diversité et ses complémentarités, une véritable société en exil.
59Mais ce qui, sans aucun doute, a marqué Paris c’est la présence des élites elles ont donné un élan décisif au développement de l’organisation communautaire, elles ont façonné l’image du Paris russe et elles se sont imposées comme modèle identitaire pour les masses laborieuses des réfugiés…
Notes de bas de page
1 » R. Shor, L’opinion française et les étrangers 1919-1939, Paris, Publications de la Sorbonne, 1985, p. 158. L’historien rappelle qu’un quart des œuvres littéraires consacrées aux étrangers utilisaient les Russes comme héros principaux ; aucune autre nationalité ne parvenait à égaler ce pourcentage.
2 Charles Ledré, Les émigrés russes en France, ce qu’ils sont, ce qu’ils font, ce qu’ils pensent, Paris, SPES, 1930, p. 35.
3 Le département comptait 100 000 Italiens environ et 50 000 Belges.
4 D’après les résultats du recensement de 1926, leur répartition dans le département se présente comme suit.
5 En Tchécoslovaquie, seul un tiers des Russes présents au début des années vingt réside dans le district de Prague mais à la fin de la décennie la capitale tchèque concentre près des trois quart des émigrés russes du pays. Cf. La Statistique tchécoslovaque, 9e volume : Recensement de la population dans la République tchécoslovaque le 15 février 1921, Prague, 1924, t. I, p. 58. La statistique tchécoslovaque, 98e vol, Recensement de la population de la République tchécoslovaque le 1er décembre 1930, Prague, 1934, tome I, tab. 7. Sur les Russes en Allemagne, cf. Die Bevölkerung des Deutschen Reichs nach den Ergebnissen der Volkszählung 1925, Berlin, 1928, Teil I, p. 631.
6 O. Le Guillou, « Des émigrés russes ouvriers aux usines Renault de Billancourt en 1926 : étude du fichier du personnel », mémoire de maîtrise sous la dir. de Pierre Milza, Antoine Prost et Jean-Louis Robert, université Paris I, oct. 1988, pp. 79-96.
7 Ce dernier avait son siège rue Guénégaud, dans le VIIe arrondissement.
8 D’après le guide russe (Francija Pariž, Russkij Spravočnik, 1929 (SL).
9 Nancy Green, Les travailleurs immigrés juifs à la Belle Epoque, Paris, Fayard, 1985, pp. 78 et sq.
10 D’après les résultats du recensement général de la population de 1926.
11 Yves Lequin (dir.), La mosaïque France. Histoire des étrangers et de l’immigration en France, Paris, Larousse, 1992 (1988), p. 354.
12 En 1926, Renault et Citroën emploient plus 70% des Russes enregistrés dans l’industrie automobile, les autres étant disséminés en province (ils sont plus de 500 en Saône-et-Loire, 373 dans le Rhône à travailler pour l’usine de construction lyonnaise d’autobus et de tramways, 267 aux usines Peugeot du territoire de Belfort, 116 dans les Bouches-du-Rhône, etc.).
13 Rendant compte d’une enquête effectuée en 1925 dans trois usines de construction automobile de la région parisienne appartenant à la même société, A : Pairault indique ainsi le pourcentage de Russes Usine A : 5, 5 % ; Usine B : 10, 5 % Usine C : 13 %. A. Pairault, L’immigration organisée et l’emploi de la main-d’œuvre étrangère en France, Paris, PUF, 1926, p. 181.
14 Parižskie zavody. Spravočnik-očerk, Paris, Société anonyme de publicité et d’édition, 1924, p. 3.
15 Russkie vo Francii, V. Zeeler (dir.), Paris, 1937, p. 80-85. Sur la répartition des Russes à Boulogne et leurs activités, cf. Olivier Le Guillou, « L’émigration russe en France, Boulogne-Billancourt et les usines Renault : lieux d’habitation et emplois des émigrés russes dans l’entre-deux-guerres », E. Guichard & G. Noiriel (dir.), Construction des nationalités et immigration dans la France contemporaine, Paris, ENS, 1997, pp. 215-257.
16 N. Berberova, Chroniques de Billancourt, Arles, Actes sud, 1992 (série de récits publiés en russe dans le quotidien Les dernières nouvelles (Poslednie novosti) entre 1928 et 1940). Dans sa postface, l’auteur écrivait « J’ignore si mes lecteurs avaient véritablement saisi toute l’ironie contenue dans mes récits et s’ils avaient saisi qu’entre moi et mes « héros », il y avait un profond fossé : le mode de vie, l’origine, l’éducation, le libre choix d’une profession, sans parler des opinions politiques » (p. 238).
.17 G. Noiriel, Les ouvriers dans la société française, xixe-xxe siècle, Paris, Seuil, 1986, p. 167. L’historien note que dans les années 1920, l’usine Renault fait l’objet de 720 articles dans l’Humanité, soit un tous les huit jours. En 1929, elle compte 19 correspondants d’usine.
18 Olivier Le Guillou, « Des émigrés russes… » mémoire. cit, p. 187, citant en particulier Jean-Paul Depretto et Sylvie Schweitzer, Le communisme à l’Usine. Vie ouvrière et mouvement ouvrier chez Renault, 1920-1939, Roubaix, 1984.
19 Ibid., p. 213.
20 Fonds Claude Vernick, entretien à la Favière.
21 R. Valine, Les années perdues (mémoires dactylographiées), slsd, p. 17.
22 N. Berberova, Chroniques de Billancourt, op. cit., p. 239.
23 Olivier le Guillou, « Des émigrés russes… » mémoire. cit., pp. 158-159.
24 4 % des Russes sont enregistrés dans ce secteur contre 1 % de l’ensemble des étrangers, d’après les résultats du recensement de 1926.
25 Il représentent 60 % de la section manutention et transports (section qui totalise 7 % des actifs russes) et au sein de laquelle ils se répartissent comme suit : 5a (manutention) : 18 % 5Ba (transports par terre : 60 % 5Bb (transports par voie ferrée : 15 %), 5Bc (transports maritimes) : 7 %.
26 Les archives du Fonds A. Thomas témoignent de la vigilance des pouvoirs publics dans la législation de la profession. Ainsi une demande de dérogation, relative à la durée de résidence d’un réfugié désirant devenir chauffeur de taxi, et adressée par le Zemgor à Albert Thomas reçoit-elle une réponse négative du Service de main-d’œuvre étrangère (Archives nationales, d. 94 AP 381).
27 Archives OFPRA, d. 1930-D, 17254-TCH, 3278-V.
28 Entretien M. N, Bobigny, décembre 1983.
29 Le mouvement de libération de la Russie, Entente internationale contre la IIIe internationale, Chambery, 1929, pp. 41-42.
30 ASDN, FMN, C. R 410/22/01, pp. 1-6.
31 Archives Bakhmetieff, Sojuz Russkih šofferov, box 8, cf. en particulier l’historique de l’association rédigée sous forme de mémorandum par le secrétaire de l’association, P. A. Starickij. L’Union fut incorporée en 1945 dans l’Union française des cochers et chauffeurs de voiture de place dont elle devint une branche locale.
32 Charles Ledré, Les émigrés russes… op. cit., p. 60.
33 J. H. Simpson, The refugee problem. Report of a survey, Londres, Oxford university press, 1939 p. 311.
34 V. V. Uspenskij, « Vospominanija parižskogo šofera taksi » (publikacija A. I. Serkova), Diaspora, vol. I, Athenaeum-Feniks, Paris-Saint-Petersbourg, 2001, p. 9.
35 Fonds Claude Vernick, Entretien V. S. à la maison de retraite de la Favière.
36 En effet, la confection, de même que les autres activités artisanales, se distingue par l’importance des Russes enregistrés au recensement de 1926 comme chefs d’établissement (29 %) et indépendants (21 %), ces deux catégories réunissant la moitié des Russes de cette branche d’activité. Il est vrai que la proportion de patrons et d’isolés étrangers (12 et 13 %) est aussi plus élevée que dans les autres groupes professionnels, mais celle des Russes est nettement au-dessus de la moyenne des étrangers. La part des femmes, bien que moindre parmi les chefs d’établissement (15 %) souligne la part importante de l’entreprise familiale dans ce secteur. Elles sont par ailleurs nombreuses à être employées (32 %), mais il probable que les ouvrières soient sous-enregistrées dans cette catégorie en raison des conditions de travail, souvent effectué à domicile et à la tâche. S’agissant du monde de l’atelier, la question du sous-enregistrement de la population active est fréquemment mentionnée (cf. notamment C. Rolland, Du ghetto à l’Occident, deux générations yiddiches en France, Paris, Editions de Minuit, 1962).
37 Nancy Green, Les travailleurs immigrés juifs à la Belle Epoque, op. cit.
38 La répartition des nationalités employées dans la profession se répartit comme suit : Polonais (4611), Russes (3115), Italiens (2629), Roumains (1328), Grecs-Arméniens (870), Annuaire statistique de la ville de Paris, des communes suburbaines et de la Seine, Paris, 1926, p. 33.
39 Georges Mauco, Les étrangers en France, leur rôle dans l’activité économique, Paris, A. Colin, 1932, p. 311.
40 Charles Ledré, Les émigrés russes…, op. cit. p. 37.
41 Ralph Schor, L’opinion française…, op. cit., p. 155.
42 SAI Marie de Russie, Une princesse en Exil, Paris, Stock, 1933, p. 196.
43 Entretien S. S, Paris, mars 1984.
44 Enquête INED, cas n° 16.
45 Nina Berberova, C’est moi qui souligne, Arles, Actes sud, 1989, p. 224.
46 Mark Višnjak, Gody êmigracii, 1919-1969, Stanford, Hoover Institution Press, 1970, p. 97.
47 René Valine, Les années perdues… tap. cit., 28-29. L’auteur la fréquenta durant un an environ.
48 Les Russes de banlieue enregistrés dans les professions libérales représentent 8 % de l’ensemble.
49 Entretien M. S., Paris, mai 1994 ; René Valine, Les années perdues… tap. cit., pp. 62-64 ; Mitropolit Evlogij, Put’ mojej žizni, Moscou, Moskovskij Robočii, 1994, p. 479.
50 Zoé Oldenbourg, Visages d’un autoportrait, Paris, Gallimard, 1977, pp. 41, 65. Dans l’entre-deux-guerres, il existe plusieurs institutions russes à Meudon qui, outre deux églises orthodoxes (de différentes obédiences), sont par exemple une amicale d’anciens combattants, une société de gymnastique « Sokol russe ». Russkie vo Francii, op. cit., pp. 57, 69.
51 Il existe plusieurs témoignages sur l’existence des intellectuels russes dans la région parisienne ainsi que l’étude réalisée par Madeleine Doré, « Enquête sur l’immigration russe », INED, cahier n° 2, 1947, pp. 140-159.
52 Elles représentent 25 % des actifs de la section à Paris mais 40 % à l’échelle nationale.
53 I. Gouzévitch, « La science sans frontières : élèves et stagiaires de l’Empire russe dans l’enseignement scientifique supérieur français xixe-xxe siècles », Les cahiers d’histoire du CNAM, n° 5, février 1996, p. 69.
54 N. Green, « L’émigration comme émancipation : les femmes juives de l’Europe de l’Est à Paris, 1881-1914 », Pluriel, n° 27, 1981, pp. 51-59.
55 D. et I. Gouzévitch, « La voie russe d’accès des femmes aux professions intellectuelles, scientifiques et techniques (1850-1920) », Travail, genre et sociétés, 4/2000, pp. 55-75.
56 Francija Pariž, Russkij spravočnik, op. cit., p. 53.
57 En 1926, les actifs Russes sont trois plus nombreux qu’en 1911 et pourtant la part des actifs dans les professions libérales n’a pratiquement pas varié dans l’espace de ces 15 années, montrant bien, si cela était nécessaire, l’apport de l’émigration des années vingt dans la représentativité des actifs du secteur.
58 Archives Bakhmetieff, fonds Zeeler (trésorier de l’association), box 11. L’association avait également des « membres correspondants », résidant dans d’autres pays de la diaspora.
59 Si l’on se réfère, par exemple aux dépenses de l’année 1930, sur un total de 32755 francs dépensés, 22091 francs l’avaient été pour des prêts individuels concédés aux membres de l’association.
60 GARF, f. R-6270, op. 1, d. 233-236.
61 Sur ce point, voir 3e partie, chap. 8.
62 D. Kévonian, « Les juristes juifs russes en France et l’action internationale dans les années vingt »,Archives juives, « Juifs russes à Paris », n° 34/2, 2e semestre 2001, p. 78.
63 Voir à ce propos 3e partie, chap. 9.
64 N. Berberova, Les Francs-Maçons russes au xxe siècle, Arles, Actes Sud, 1990. Le rôle de la franc-maçonnerie évoqué à propos des juristes, a touché également bien d’autres milieux professionnels, mais l’impossibilité jusqu’à aujourd’hui de pouvoir consulter les archives de la Franc-maçonnerie russe déposées à la Bibliothèque Nationale de France ne permet pas de poursuivre l’investigation.
65 Cf. à ce propos, D. Kévonian, art. cit.
66 N. Manitakis, « Etudiants étrangers, universités françaises et marché du travail intellectuel (fin xixe-années 1930) », Construction des nationalités…, op. cit., pp. 127-128.
67 Entretien V. G. Versailles, 1992 ; Entretien M. S., Paris, 1999, Entretien S.G., Paris, 2001.
68 K.K.Vasil’ev, « rossijskie vrači-bežency v Evrope meždu mirovymi vojnami », Zarubežnaja Rossija 1917-1939, T. II, Saint-Pétersbourg, Liki Rossii, 2003, pp. 170-141.
69 Spravočnik Francija Pariž,, Paris, 1929, pp. 293-305.
70 ASDN, FMN, C. 1454, Rr 412/7/22/1. Plusieurs témoignages mentionnent l’existence d’un décret de 1929 sur l’octroi fait aux médecins russes de travailler de plein droit dans les colonies françaises mais il n’existe aucune trace de cette décision. Les pressions exercées par les Russes pour obtenir du gouvernement français le droit d’exercer en métropole ou dans les colonies provinrent surtout des jeunes diplômés des facultés de médecine tchèques qui sollicitèrent à de nombreuses reprises les responsables français, par le biais du BIT.
71 Ces deux revues, Le journal des praticiens (Eženedel’nik vrača praktika, Klini-českaja i terapevtičeskaja gazeta) et le Paris médical (Medicinskij Pariž, Russkij kliničeskij ežemes’ačnik) avaient été fondées en 1912. Le premier était un hebdomadaire (il compta 125 numéros), le second était un mensuel (Tatiana Ossorguine-bakounine, L’émigration russe en Europe. Catalogue collectif des périodiques en langue russe 1855-1940, Paris, IES, 1990, pp. 68, 140).
72 Sur 174 étudiants russes répertoriés en France en 1891, 143 étaient inscrits dans des facultés de médecine, Statistique générale de la France, Dénombrement des étrangers en France, résultats statistiques du dénombrement de 1891, Paris, 1893, pp. XC-XCI ; en 1909-1910, 2505 étudiants russes sont répertoriés.
73 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 596, Mémorandum sur la question des réfugiés russes présenté par la conférence russe de Paris en août 1921.
74 L’YMCA fut l’une des organisations les plus investies dans l’aide à la formation et plus généralement l’aide à la vie intellectuelle de l’émigration, cf. P. Anderson, No East or West, Paris, YMCA Press, 1985.
75 Cf. Spravočnik Francija Pariž, op. cit., pp. 267-270 ; P. Kovalevskij, Zarubežnaja Rossija, Istorija i kul’turno-prosvetitel’naja rabota russkogo zarubežja za polveka (1920-1970), Paris, Lib. des cinq continents, 1971, p. 81 et sq. ; B. Raymond, D. R. Jones, The Russian Diaspora 1917-1941, Londres, The Scarecrow Press. Inc, 2000, pp. 28-29.
76 R. H. Johnston, New Mecca, New Babylon. Paris and the Russian exiles, 1920-1945, Kingston et Montreal, McGill-queen’s University Press, 1988, pp. 86-87.
77 Ibid.
78 Sur la conception et le développement de l’Action russe du gouvernement tchécoslovaque en matière d’enseignement, cf. ; I. Savicky, C. Andreyev, Russia Abroad. Prague and the Russian Diaspora 1918-1938, New Haven & Londres, Yale University Press, 2004.
79 M. Fedoroff, L’œuvre du Comité Central de patronage de la jeunesse universitaire russe à l’étranger. Années scolaires 1922-23 à 1931-1932, Paris, 1933, p. 23.
80 Pour un aperçu général de la vie intellectuelle de l’émigration, voir Marc Raeff, Russia abroad. A cultural history of the Russian emigration 1919-1939, New York/Oxford, Oxford University Press, 1990 ; Petr Kovalevskij, op. cit. ; Efim Edkin et al., Histoire de littérature russe, tome. II, op. cit. Pour un inventaire de la production et des manifestations : Tatiana Ossorguine-Bakounine, L’émigration russe en Europe. Catalogue collectif des périodiques en langue russe, 1855-1940,op. cit. ; Mnouhin Lev, Dubrovina Tatiana, Gladkova Tatiana, Lossky Véronique, Struve Nikita (dir.), L’émigration russe. Chronique de la vie scientifique, culturelle et sociale, 1920-1934, 4 vol., Paris/Moscou, 1995-1997.
81 N. Struve, Soixante-dix ans d’émigration russe, 1919-1989, Paris, Fayard, 1996, p. 23.
82 Claudia Weiss, Das Russland zwischen den Zeilen. Die russische Emigrantenpresse im Frankreich der 1920er Jahre und ihre Bedeutung für die Genese der « Zarubežnaja Rossija », Hambourg-Munich, Dölling und Galitz, 2000.
83 Mnuhin L. et al., L’émigration russe…, op. cit.
84 Jusqu’en 1928, puis plus sporadiquement jusqu’en 1931 après quoi c’est son amie A. Teskova (demeurée en Tchécoslovaquie) qui l’aida directement. Cf. V. Lossky, Marina Tsvétaeva. Un itinéraire poétique, Paris, Solin, 1987, p. 207.
85 Marie Sollogoub, « Boris Zaitsev, sa place et son rôle dans l’émigration russe », Mémoire de maîtrise sous la dir. de N. Struve, Université de Paris X, sept. 2001, p. 83.
86 Selon les propos de sa fille, Marina Gray (fonds Claude Vernick, entretien avec M. Gray). Il s’agissait de la rédaction (en quatre volumes) de Očerki Russkoj smuty (Essai sur le temps des troubles russes).
87 Cf. C. Gousseff, A. Joukovskaja « L’institut Pasteur et la Russie, Communication présentée au XXXIIe congrès des directeurs des Instituts Pasteur », Saint Peters-bourg, septembre 2003.
88 S. A. Waksman, Serguei N. Winogradsky, His life and Work, New Brunswick, Rutgers Univ. Press, 1953.
89 P. Kovalevskij, op. cit., p. 132 ; E. I. Kolčinskij, « Nauka i êmigracija : sudby i ciffry, Zaburežnaja Rossija 1917-1939, op. cit., pp. 166-167.
90 P. Kovalevskij, op. cit., p. 133 ; E. I. Kolčinskij., art. cit.
91 Marie de Bachmakoff, Mémoires, 80 ans d’épreuves et d’observation, Paris, Besson et Chantemerle, 1958, p. 256.
92 Cf. à ce propos, François Albera, Albatros. Des Russes à Paris, 1919-1929, Milan-Paris, Cinémathèque française, 1995 ; N. Nusinova, Kogda my v Rossiju vernemsja… Russkoe kinematografičeskoe zarybež’e (1918-1939), Moscou, NIIK, Ezenstejn-centr, 2003.
93 Cf. à ce propos, Ralph Schor, L’opinion française et les étrangers…, op. cit., pp. 155-157.
94 K. Kazansky, Cabaret russe, Paris, O. Orban, 1978, pp. 155-170.
95 Joseph Kessel, Nuits de princes, Paris, Edition de France, 1927, p. 139.
96 La fameuse anecdote racontée par Felix Youssoupoff dans ses mémoires (En exil, Paris, Plon, 1954) concernant cette comtesse devenue « dame pipi » d’un cabaret parisien constitue pour ainsi dire l’image d’Epinal de ce phénomène, immanquablement évoquée à propos de l’émigration russe (voir entre autres. R. Schor, p. 157, R. H. Johnson, New mecca new babylon… op. cit., p. 78, etc.).
97 Georges Annenkov, En habillant les vedettes, Paris, Quai Voltaire, 1994.
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