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Chapitre 3. L’Europe, la France et l’URSS face aux réfugiés russes (1920-1925)

p. 75-98


Texte intégral

1Le consensus qui s’était exprimé à la tribune de la Société des Nations pour la création du Haut-Commissariat aux réfugiés russes témoignait de la relative unité des États européens sur le point suivant : les gouvernements ne craignaient pas de heurter le nouveau régime soviétique en protégeant ceux qu’il avait exclus. Conçu pour répondre à des besoins humanitaires, le Haut-Commissariat aux Réfugiés s’est trouvé en situation de donner forme à une opposition russe hors des frontières, encouragée à s’organiser au nom de l’entraide. Une fois reconnue la stabilité du régime soviétique, dès 1921, la publicité donnée au placement des exilés dans les différents pays accréditait l’idée d’un exil durable, voire définitif.

2Pourtant l’action du haut-commissariat et de ses principaux soutiens (en l’occurrence le gouvernement français) invalide cette première lecture des faits. Loin d’avoir activé les antagonismes « russo-soviétiques », l’organisme genevois chercha des voies de conciliation et encouragea même pendant quelques années le retour des émigrés en Russie.

3L’orientation donnée à l’action internationale en faveur du rapatriement des réfugiés n’aurait pu être concevable sans l’accueil favorable du gouvernement soviétique lui-même : de Moscou vinrent effectivement plusieurs signes d’encouragement au retour des exilés. L’ouverture de la Russie soviétique, nécessaire à la Nouvelle Politique Economique (NEP) lancée en 1921, favorisa l’émergence de mouvements prosoviétiques dans l’émigration tandis que le « nouveau cours » soviétique entraînait une nouvelle vague d’émigration légale venue de l’URSS. Ce chassé-croisé entre les discours et les faits, entre le retour des uns et le départ des autres, montrait la perméabilité des frontières autant physiques que symboliques entre l’URSS et l’émigration. Durant quelques années le devenir des réfugiés, dans l’esprit des acteurs gouvernementaux et internationaux, est resté incertain.

Placement ou rapatriement ?

4Le soutien apporté par la France à la création d’un organisme spécifiquement dédié aux réfugiés russes influença fortement l’orientation de sa mission et le choix de son responsable. Dans la réponse que Paris avait adressée au cours de l’hiver à la SDN (conjointement avec les gouvernements belge, tchécoslovaque et suisse) il était précisé que la nouvelle instance aurait pour tâche « d’établir le statut juridique des réfugiés, d’organiser leur répartition dans les différents pays et de leur procurer un moyen de travail »1. Or, En juin, M. délégué français, revint sur ces objectifs en soulignant qu’« en premier lieu, (le haut-commissaire) devrait effectuer le rapatriement des réfugiés qui désirent retourner en Russie. En second lieu, (il) devrait procurer du travail à ceux qui ne veulent pas rentrer dans leur pays2 ». Cette réorientation explique le soutien apporté par le gouvernement français à la nomination de Fridtjof Nansen à la tête du Haut-Commissariat3.

5Universitaire et diplomate norvégien, né en 1861, Fridtjof Nansen jouissait d’une réputation internationale d’humaniste et de savant4. Partisan de la création de la Société des Nations, il fut appelé à y tenir une fonction importante à partir de 1920. Il fut en effet chargé de superviser le rapatriement dans leur pays d’origine des prisonniers de guerre. En deux ans, 427 prisonniers, appartenant à vingt-sept nationalités différentes, furent rendus à leurs foyers5. Cette performance valut à Nansen l’obtention du prix Nobel de la paix en 1922.

6Sa nomination à la tête du Haut-Commissariat aux Réfugiés indiquait clairement que la question des réfugiés était principalement perçue comme une conséquence de la guerre. On considérait toujours, rappelle Gérard Noiriel, « que la position de « réfugié » était un état temporaire, une infortune appelée à cesser à la faveur d’une amnistie ou d’un changement politique6 ». Durant les premières années, le HCR prôna effectivement le retour des réfugiés dans leur patrie, mais comme une possibilité parmi d’autres. L’alternative placement-rapatriement proposait deux objectifs distincts conçus en complémentarité. S’ensuivait une distinction entre deux types de réfugiés. Les premiers, réfugiés « conjoncturels », étaient des individus qui avaient fui les zones d’affrontements et se trouvaient en quelque sorte victimes involontaires d’un enchaînement de circonstances (les soldats des armées blanches furent souvent assimilés à cette catégorie). Les seconds étaient les réfugiés « irréductibles » opposants déclarés au nouveau régime soviétique qui avaient délibérément quitté la Russie pour échapper au pouvoir bolchevique. L’encouragement au rapatriement était conçu pour les premiers, l’aide au placement s’adressait aux seconds.

Le rapatriement en Russie : une politique tentée par le HCR

7Jusqu’au premier semestre de l’année 1922 la politique de rapatriement n’est pas clairement perceptible. Les travaux de l’organisme paraissaient dominés par les problèmes d’accueil des réfugiés dans les différents pays européens, par l’évacuation des émigrés provisoirement installés en Turquie et par la nécessité de trouver des emplois aux Russes dans les pays d’accueil.

8Si la question des rapatriements ne fut pas officiellement examinée dans les débuts, elle fut rapidement présente dans l’activité de Fridtjof Nansen qui se mit en rapport avec le gouvernement soviétique. L’occasion lui fut donnée par le biais de l’aide internationale menée à partir de l’été 1921 pour secourir les régions d’Ukraine orientale et de la basse Volga sinistrées par la famine7. Une convention signée le 27 août 1921 entre Nansen et Tchitcherine, commissaire du peuple aux Affaires étrangères, permettait, sous certaines conditions, l’activité des organisations humanitaires étrangères sur le territoire soviétique8. Le rôle du HCR dans cette entreprise consista, dès lors, à coordonner l’aide apportée par les différentes associations européennes.

9L’implication du Haut-Commissaire dans le soutien international accordé à la Russie amena Nansen à faire plusieurs séjours à Moscou en 1921-1922. C’est alors que la question des rapatriements fut évoquée avec les dirigeants soviétiques.

10Les différentes actions de Nansen qui concernaient en même temps les réfugiés et les régions de Russie sinistrées par la famine provoquèrent confusions et même suspicions au sein de l’émigration. Ainsi, dès septembre 1921, dans un courrier adressé au gouvernement français, Pierre Botkine, monarchiste russe, déplorait la nomination de Nansen « connu pour ses sympathies à l’égard du gouvernement des soviets9 ». Un an plus tard, dans un mémorandum envoyé au Conseil de la SDN, plusieurs organisations politique et militaires se déclaraient scandalisées par l’attitude complaisante du Haut-Commissaire vis-à-vis des Soviétiques10. Le président du bureau central des réfugiés russes de Yougoslavie accusa plus ouvertement Nansen de « dissiper des millions pour nourrir les travailleurs des Soviets » sous-entendant que cet argent était illégitimement détourné au détriment des réfugiés russes11. La crainte s’exprimait d’une certaine concurrence entre l’aide apportée aux réfugiés et celle dispensée pour la Russie affamée. De fait, l’œuvre d’assistance porta l’empreinte de cette rivalité. Ainsi, le rapport d’un adjoint du Haut-Commissaire avait informé Genève que le gouvernement bulgare envisageait à l’automne 1921 de prendre en charge 20 000 enfants en provenance des zones sinistrées par la famine. Jugeant le projet irréaliste, le conseiller genevois proposa que les autorités bulgares accueillent 5 000 enfants réfugiés russes à Constantinople en attente d’être secourus. Finalement, 600 enfants furent recueillis dans le pays12. L’engagement de Nansen à l’égard de la Russie paraît avoir contribué de façon décisive au désengagement de la droite de l’émigration jusqu’alors impliquée dans les activités du Haut-Commissariat. En revanche, les organisations de tendance libérale, au premier rang desquelles figurait le Comité directeur du Zemgor, apportèrent leur actif soutien à l’acheminement de vivres et de matériel en Russie et devinrent les partenaires permanents de l’instance genevoise13.

11Le Haut-Commissaire revint explicitement sur la question des rapatriements dans son rapport général du printemps 1922. Mais, précisait-il, il ne paraissait pas opportun « dans les conditions actuelles de proposer le retour aux réfugiés dans leur pays14 ». Il évoquait « un mouvement très marqué en faveur du rapatriement chez les réfugiés » sans toutefois se prononcer sur ce qu’il représentait quantitativement. Il mentionnait « des déclarations importantes des autorités soviétiques » sans préciser en quoi elles consistaient15. En somme, le Haut-commissaire se cantonnait à des déclarations d’intentions.

12Au cours de l’année 1923, fut proclamée une amnistie du gouvernement soviétique pour les soldats des armées blanches. Elle était assortie d’importants accords passés avec le Haut-Commissariat. Comme l’indiquait la correspondance du gouvernement soviétique, « le commissariat du peuple aux Finances garantissait sa pleine et entière collaboration avec les institutions consulaires en vue de régulariser la situation financière imposée par les rapatriements »16. Dans son rapport du 4 septembre 1923, F. Nansen réaffirmait son rôle d’intermédiaire auprès des réfugiés désireux de rentrer dans leur patrie et, se référant aux consignes de Moscou, il invitait les candidats à constituer des délégations17.

13Fort des accords passés avec l’URSS, le Haut-Commissaire rappela alors : Il est un principe qui est admis par tous ceux qui s’occupent du problème des réfugiés russes, c’est que le problème ne peut être résolu que par le rapatriement. Toutes les autres solutions ne sont que transitoires18 ». Au moment où le représentant du HCR réitérait son optimisme, la SDN annonçait la réduction de son personnel (suppression des délégués des gouvernements auprès du Haut-Commissariat), suggérant ainsi que la résolution du problème des réfugiés russes était sur le point d’aboutir.

14Jusqu’à la fin de l’hiver 1924, Nansen se fit l’ardent défenseur du retour des émigrés en Russie. Il justifiait le bien-fondé de cette incitation par l’évolution de l’économie soviétique qui offrait aux émigrés une situation matérielle certainement meilleure qu’à l’étranger19. Cependant, dès juin, il fut amené à reconnaître que le gouvernement soviétique ne facilitait pas les rapatriements et avoua qu’en fait « aucun accord formel sur la question n’avait pu être conclu avec l’URSS, le gouvernement soviétique n’ayant pas cru pouvoir accepter l’insertion, dans cet accord général, de la clause qui figure dans l’accord qui prévoit la coopération de délégués du Haut-Commissariat en Russie »20. Par la suite, Nansen ne put que confirmer les difficultés diplomatiques qui surgissaient dans les pourparlers avec le gouvernement soviétique.

15Peu à peu, la nécessaire intégration des réfugiés russes dans les pays d’accueil s’imposait au Haut-Commissariat qui, ne possédant pas d’infrastructure adéquate pour assurer leur placement en Europe, délégua ce rôle au Bureau international du travail21. À partir de 1925, le Haut-Commissariat se consacra presque exclusivement aux problèmes d’harmonisation, à l’échelle internationale, des certificats de réfugiés – le certificat Nansen date de 1922 –, et à la définition d’un statut juridique pour les « sans-patrie ». Dans son rapport de septembre 1926, Nansen affirmait : « La question des passeports est (…) étroitement liée à celle de l’émigration. Les réfugiés étant pourvus d’un document légal leur permettant de voyager, l’étape suivante, vers une solution finale du problème des réfugiés, est leur placement dans des pays susceptibles de leur offrir du travail22. » Nansen avalisait ainsi tardivement l’idée que l’installation définitive à l’étranger résoudrait le problème des réfugiés23.

Le rapatriement en Russie : une politique du gouvernement français

16Le parti pris de la France en faveur des rapatriements n’aurait sans doute pas été aussi explicite s’il n’avait pas découlé « naturellement » de l’implication de l’État français dans l’évacuation des émigrés vers Constantinople. Comme le rappelèrent à plusieurs reprises les représentants du gouvernement à Genève, seule la France avait accepté, après la débâcle des armées blanches, de prendre en charge les réfugiés de Constantinople. En attendant que sa cause soit entendue auprès de la SDN, la France, par l’intermédiaire de son état-major à Constantinople, mena une active propagande en faveur des retours, anticipant ainsi les scénarios proposés par F. Nansen.

17Dès 1920, plusieurs milliers de réfugiés revinrent en Russie après avoir été évacués en Turquie. Ainsi, entre janvier et novembre, près de 4 000 officiers et 5 000 civils sont retournés en Crimée empruntant des bateaux de pêche ou tout autre moyen de transport. De même, un rapide mouvement de retour suivit l’évacuation des armées de Wrangel en novembre 1920. 2500 personnes environ, pour la plupart anciens soldats ou officiers des armées blanches, furent concernées24.

18Au cours de l’année 1921, suite aux tractations engagées par l’état-major français de Constantinople avec le gouvernement soviétique, plusieurs rapatriements eurent lieu par vagues successives : début 1921, 3 300 Russes quittèrent le Bosphore pour rejoindre Novorossisk25. Sur les 2068 réfugiés russes évacués en août 1921 de Gallipoli, 725 furent dirigés vers Batoum. Sur les 24 307 réfugiés évacués de l’île de Lemnos entre février et septembre 1921, 6 135 furent rapatriés en Russie soviétique26.

19L’action menée par l’état-major français en Turquie définit une ligne de conduite continûment suivie : un encouragement proclamé aux rapatriements des réfugiés accueillis dans les Balkans. Dans une correspondance de décembre 1922, le ministre de France en Bulgarie constatait, avec une satisfaction manifeste, que la colonie russe commençait à considérer le retour au pays comme un moindre mal27. Mais l’incitation au retour ne concerna en aucun cas les réfugiés déjà présents sur le sol français, à l’exception notoire des anciens soldats russes qui, pour l’essentiel, avaient fait partie du corps expéditionnaire de 1916. Ces troupes, dont la présence était connue, notamment après leur mutinerie au camp de La Courtine en 1917, furent souvent assimilées à de dangereux révolutionnaires28. Il en restait un nombre peu important en France au début des années 1920, mais ces soldats étaient toujours considérés comme des indésirables, à distinguer des réfugiés. L’action publique d’incitation au retour se concentra donc sur ces anciens militaires. La circulaire préfectorale de 1922, adressée aux maires des communes de France, signalait ainsi : Le gouvernement a décidé, sur la demande du pouvoir des Soviets, de rapatrier en Russie tous ceux des anciens soldats russes qui se trouvent encore en France et qui expriment le désir de rentrer dans leur patrie (…). Je vous serais obligé de bien vouloir faire connaître cette résolution dans votre commune en lui donnant la plus large publicité possible29. »

20Autrement dit, le gouvernement a manœuvré avec prudence, soulignant bien la distinction qu’il entendait faire entre les Russes dont l’installation dans le pays n’était pas directement liée à la guerre civile et ceux qu’il considérait au contraire comme des réfugiés politiques. Dans cette période où les autorités persistaient à ignorer l’existence de l’URSS, il n’était pas dans l’intérêt des pouvoirs publics de voir se développer dans le pays une propagande qui eût été favorable aux « soviets » C’est pourquoi le gouvernement soutint la politique de Nansen, mais à la condition qu’elle ne s’adressât qu’aux « immigrés potentiels » c’est-à-dire aux réfugiés qui, cantonnés dans les pays peu hospitaliers de l’Europe centrale, orientale et balkanique, ne manqueraient pas de solliciter tôt ou tard l’asile en France.

Rapatriement, émigration : Les priorités du gouvernement bolchevique

21Le nouveau gouvernement issu de la Révolution d’Octobre s’inscrivit dans une forte continuité avec l’ancien régime dans sa politique des frontières. En témoignent les décrets du 2 décembre 1917 sur l’obtention obligatoire d’un visa pour pénétrer en Russie, et du 17 décembre sur la création des passeports soviétiques de sorties30. L’une des premières mesures concrètes prises par le nouveau pouvoir concerna le retour des émigrés politiques. Beaucoup étaient déjà rentrés dans le courant de l’année 1917 à la faveur de l’amnistie proclamée par le gouvernement provisoire le 19 mars, mais ils étaient encore très nombreux à l’étranger31. La première loi sur l’immigration, parue en décembre 1917, concernait exclusivement les émigrés politiques (političskie emigranty), candidats au retour, qui étaient priés de se faire inscrire dans les comités d’émigrés formés à l’étranger pour recevoir les documents nécessaires à leur entrée en Russie.

22Dans l’euphorie révolutionnaire, le nouveau gouvernement définit dès mars 1918 une politique de droit d’asile qui l’amena à codifier le statut de réfugié non d’après le critère de l’apatridie tel qu’il allait être adopté à la SDN quelques années plus tard, mais par référence à une persécution étatique. Le bénéfice du droit d’asile était reconnu à tout étranger poursuivi dans sa patrie pour des délits de caractère politique ou religieux. L’URSS fut ainsi le premier État qui posa les bases juridiques de l’asile politique moderne, même si cette législation fut assez rapidement modifiée32.

23L’intérêt porté par le gouvernement de Russie soviétique aux ressortissants russes à l’étranger et aux ressortissants étrangers en Russie ne se manifesta que plusieurs mois après l’insurrection d’Octobre, lors des tractations de Brest-Litovsk. La signature du traité de paix germano-soviétique marqua, en effet, un tournant dans l’édification de la législation soviétique. Soumis à la pression de l’Allemagne, le gouvernement soviétique s’engagea officiellement à sanctionner l’indépendance des Pays baltes et de la Finlande et, par conséquent, à reconnaître comme étrangers les ressortissants de ces États présents en Russie. De même, l’édification de ces nouveaux États sur le territoire de l’ancien Empire russe créait de facto de nouvelles minorités russes en terre étrangère.

24L’existence de communautés russes, désormais considérées comme « allogènes », dans les anciennes régions à la périphérie de l’Empire préoccupa moins les autorités que la question plus stratégique des prisonniers de guerre russes internés en Allemagne et en Autriche. Le gouvernement bolchevique chercha à accélérer leur rapatriement dans l’idée de renforcer les troupes de l’Armée rouge, mais il se heurta à la politique des puissances victorieuses qui, pour cette raison même, les bloquèrent en grande partie33. Jusqu’en 1921 le retour problématique des soldats russes allait dominer les préoccupations de Moscou, parallèlement aux départs des « optants », c’est-à-dire des anciens sujets russes s’étant déclarés ressortissants de l’un des nouveaux États issus de l’Empire. Ces derniers étaient nombreux et surtout ils étaient désormais citoyens d’États hostiles à la Russie des Soviets. Les autorisations de sorties des optants furent d’abord soumises à une procédure compliquée qui s’étala sur plusieurs mois. La dénonciation du traité de Brest-Litovsk entraîna l’arrêt brutal des départs qui ne reprirent qu’à la fin de l’année 1920 lorsque le gouvernement commença à normaliser ses relations avec les États voisins. Finalement, près de 3 millions d’optants quittèrent, semble-t-il, le pays entre 1918 et 192134.

25Autrement dit, la politique soviétique dans le domaine de l’immigration et de l’émigration fut essentiellement déterminée par les conséquences de la guerre et de l’écroulement de l’Empire. C’est ce qui explique en grande partie le caractère tardif des mesures d’exclusion prises à l’égard des émigrés.

L’URSS face aux émigrés : entre pardon et condamnation

26Le premier décret soviétique sur la déchéance des droits de citoyenneté des Russes à l’étranger ne fut mis en application qu’en décembre 1921, soit plus d’un an après le retrait des Armées blanches du sud de la Russie qui mit fin à la guerre civile en Russie d’Europe (les affrontements s’étant poursuivis en Sibérie et en Extrême-Orient jusqu’en 1922)35. De plus, ce décret fut immédiatement précédé d’une amnistie politique (3 et 10 novembre 1921) concernant « les groupes et les individus ayant participé à des organisations et armées contre-révolutionnaires se trouvant à l’étranger ». Depuis juillet 1919 le gouvernement avait multiplié les amnisties, cherchant, d’une part, à affaiblir le camp adverse en le divisant de l’intérieur et, d’autre part, à limiter la masse d’émigrés dont il craignait l’activité à l’étranger36.

27Le décret de décembre 1921 sur la déchéance de citoyenneté des Russes à l’étranger marqua donc la première grande rupture politique entre les citoyens soviétiques et les émigrés russes. Il s’appliquait aux cinq catégories d’individus suivantes :

  1. Ceux qui ont quitté la Russie avant le 17 décembre 191737 et qui, depuis ce temps-là, résident à l’étranger.

  2. Ceux qui ont quitté la Russie sans l’autorisation du gouvernement soviétique après le 17 décembre 1917 et avant le 15 décembre 1921.

  3. Ceux qui ont quitté la Russie avec l’autorisation légale des pouvoirs publics, mais qui ont cependant résidé à l’étranger plus de cinq ans sans se faire immatriculer dans les délais indiqués au consulat de la RSFSR.

  4. Les anciens prisonniers de guerre et les militaires internés des armées impériales qui ne se sont pas faits immatriculer dans les délais.

  5. Ceux qui sont partis de la RSFSR après le 15 décembre 1921 sans autorisation du gouvernement soviétique38.

28Cependant le décret ressemblait plus à un ultimatum qu’à une sanction définitive : il accordait à chaque individu appartenant à l’une de ces catégories un délai de grâce de trois mois et demi pour être enregistré comme citoyen de la RSFSR dans les représentations soviétiques à l’étranger. Ce délai fut amendé pour les résidents russes des États qui, à cette date, ne reconnaissaient pas l’État soviétique, et qui conservaient leur citoyenneté « sous condition résolutoire ». Ce fut en particulier le cas des réfugiés russes en France39.

29La proclamation de la NEP en mars 1921 consacra la consolidation du gouvernement soviétique après les années d’exception et de survie du communisme de guerre. Entré dans une phase de normalisation, le nouveau régime reconsidéra sa législation en redéfinissant citoyenneté, émigration et immigration. En ce qui concerne la législation sur l’émigration, l’année 1922 paraît à plusieurs égards décisive.

30Depuis 1919 les passeports de sorties étaient délivrés avec parcimonie. Outre les innombrables démarches administratives, l’obtention du passeport dépendait d’un département spécial (Osobyj otdel) créé au sein de la Tcheka, qui semble avoir surtout eu une fonction dissuasive. Les modalités d’obtention des passeports avaient été jusqu’alors justifiées par la situation « exceptionnelle » dans laquelle se trouvait le pays. Elles furent modifiées par la nouvelle législation du 1er juin 1922 qui abolissait tous les décrets précédents. Sortir du territoire de la RSFSR dépendait désormais de l’autorisation particulière du commissariat du peuple aux Affaires étrangères (NKID) et de l’OGPU qui avaient autorité dans l’octroi du visa. La demande de sortie devait également comporter la recommandation de deux citoyens de la RSFSR40. En dépit de la complexité des démarches cette nouvelle législation marqua le début d’une vague importante d’émigration, communément dénommée « émigration de la NEP ».

31Peu auparavant avait été mise en place une législation sur les voyages des missions collectives à l’étranger (komandirovka). Les lois sur l’émigration légale furent élargies en 1923 par les décrets de mai autorisant sous certaines conditions les citoyens soviétiques à rejoindre leurs parents (rodstvenniki) à l’étranger. Cet assouplissement législatif marqua le début d’importants regroupements des familles en exil.

32Se manifestait ici l’esprit d’ouverture qui animait la NEP. Mais la sortie du territoire soviétique ne fut pas seulement un droit nouveau, dans certains cas elle fut une des formes de répression. En effet, la nouvelle législation fut accompagnée de pratiques d’expulsion (vysylka) bientôt codifiées.

33Les premiers à faire l’objet de bannissement furent les leaders du mouvement anarchiste qui avaient entrepris une grande campagne de protestation après l’exécution, en septembre 1921, de deux poètes libertaires, Lev Tcherny et Fania Baron. En janvier 1922, Maksimov, Voline, Mratchny, Jartchuk et quelques autres opposants notoires furent sommés de quitter le pays sous peine de poursuites et de prêter le serment de ne jamais revenir en Russie41. Mais la mesure d’expulsion la plus spectaculaire de l’année concerna un groupe d’intellectuels non marxistes qui comprenait plusieurs centaines de personnes, parmi lesquelles des philosophes tels que Nicolas Losski ou Nicolas Berdiaev, des écrivains comme Mikhail Ossorgine, etc.42 Nombre d’entre eux allaient devenir des personnalités de premier plan dans la vie culturelle de l’émigration.

34Le choix de ces personnalités et les motifs de leur expulsion n’ont toujours pas été entièrement élucidés. Michel Heller lie directement ces bannissements à l’existence du comité d’aide aux affamés (Prokukis) constitué durant l’été 1921 pour organiser le soutien aux régions sinistrées par la famine et dominé par des membres de l’intelligentsia libérale rapidement accusés de mener, sous couvert d’activité caritative, une lutte contre-révolutionnaire43. En réalité, comme le note V. Sapov, les membres de ce comité ne constituaient qu’une part minoritaire des proscrits. Cette mesure d’expulsion-épuration serait plutôt à considérer comme une des offensives menées par le gouvernement à l’égard des idéologies jugées déviantes venues aussi bien des cercles intellectuels « bourgeois », des libéraux « sans parti », que de l’Eglise44.

35Les premiers expulsés de janvier 1922 le furent hors de toute légalité. En revanche, le bannissement massif des intellectuels en août fut fait en référence aux décrets du 1er juin et du 10 août 1922 qui réglementaient « le bannissement administratif dans le but d’isoler des individus ayant pris part à des actions contre-révolutionnaires ». Ces décrets furent complétés par un article du Code pénal de 1924 portant sur les conditions de privation des droits du citoyen soviétique. Cependant, dès la seconde moitié des années vingt, l’exil administratif se transforma progressivement en déportation vers la Sibérie et le Grand Nord. Cette transformation ne fut officiellement reconnue qu’en novembre 1935 avec un arrêté précisant que l’expulsion hors des frontières de l’URSS ne pouvait s’appliquer qu’aux étrangers.

36Tout en marquant son hostilité à l’égard de « l’intelligentsia bourgeoise » le gouvernement ne renonçait pas à l’idée de favoriser le retour de certains émigrés, comme l’atteste la nouvelle amnistie du 23 février 1923. Amnistie cependant très restrictive puisqu’elle ne concernait que « ceux qui ont servi dans les armées de Koltchak, Denikine et de Wrangel (…) en qualité de simples soldats entraînés par la ruse et la violence à combattre les Soviets »45. De son côté, Fridtjof Nansen en présentant cette amnistie précisa que « les réfugiés devront être originaires exclusivement des provinces du Don, du Kouban et du Terek et qu’ils devront déclarer qu’ils retournent en Russie de leur plein gré »46. Les seuls émigrés conviés à rentrer en Russie étaient donc les Cosaques, dont le gouvernement garantissait qu’ils pourraient recouvrer leurs biens.

37L’encouragement au retour des agriculteurs cosaques (les termes étant synonymes dans l’esprit du gouvernement soviétique) constituait l’un des volets de la politique d’immigration mise en œuvre au cours de la NEP. Celle-ci débuta en 1921, peu avant le déclenchement de la grande famine, avec la publication du décret sur l’accueil des immigrants fermiers. Rendu caduc par la famine, le projet fut repris avec d’autant plus d’envergure en 1923 qu’il s’agissait de réorganiser les cultures des régions sinistrées47. Cette politique d’immigration fut néanmoins de courte durée. Dès 1925, d’importantes restrictions furent apportées par les modifications des procédures de retour. À partir de septembre 1926, le pouvoir interdit l’immigration agricole48.

38Au-delà du danger potentiel que pouvait représenter une masse importante de réfugiés russes à l’étranger, le pouvoir soviétique définit une politique d’incitation au retour en fonction de ses critères idéologiques et des besoins spécifiques du pays. Il laissa partir les éléments « socialement étrangers » (quand il ne les expulsa pas) et encouragea en revanche le rapatriement de ceux qui étaient considérés non seulement comme des membres de plein droit de la République ouvrière et paysanne de Russie, mais aussi comme des producteurs utiles à la réorganisation économique du pays.

Le retour en Russie : des réactions contrastées dans l’émigration russe

39La politique des rapatriements en Russie, préconisée tant par la SDN que par le gouvernement français et, de façon circonscrite, par le gouvernement soviétique, suscita dans l’émigration des réactions fort contradictoires. D’un côté elle renforça le camp anti-bolcheviste qui appelait les États à boycotter tout échange avec l’URSS. Cette position radicale s’exprima dans diverses organisations, dont le Comité national russe pour la SDN qui dénonça avec virulence l’action menée par le HCR : « On doit proclamer, affirmait-il, que le renvoi en Russie soviétique des réfugiés russes sous quelque prétexte que ce soit, est un crime contre les lois divines et humaines49. » Cependant, la politique d’incitation au retour ne suscita pas que des réactions négatives : elle faisait écho à de nouvelles tendances dans l’émigration qui prônaient la réconciliation avec la Russie soviétique. S’il est impossible d’apprécier quantitativement les effets de cette attitude politique, on peut, en revanche, donner des précisions sur les différents contextes qui, au sein de l’émigration, en ont favorisé l’accueil positif50.

40Le retour en Russie constituait l’horizon de tous les réfugiés, mais la plupart ne pouvaient l’envisager avant la chute, attendue, du gouvernement soviétique. Pourtant une minorité, assez diversifiée dans ses origines sociales comme dans ses motivations, commença à considérer positivement la perspective du retour dans la patrie « soviétisée ». De ce point de vue, il faut distinguer les effets de la propagande destinée pour l’essentiel aux anciens soldats des armées blanches, du mouvement « Changements de jalons » (Smena veh) apparu dans les milieux intellectuels exilés, notamment en Allemagne, et qui a fédéré les partisans d’une conciliation avec le régime soviétique.

41La création du « Conseil des candidats au retour dans la patrie » (Sojuz vozvraščhenija na Rodinu), plus communément appelé Sovnarod, fondé en mai 1922 en Bulgarie, peut être interprétée comme la première réponse aux politiques d’incitation au retour des réfugiés, qui venaient de Genève et de Moscou 51. Cette organisation semble avoir été fondée à l’initiative des émigrés à la suite du décret d’amnistie des soldats des armées blanches promulgué en novembre 1921. Elle se consacra à l’organisation des rapatriements en suivant scrupuleusement les directives formulées par le gouvernement soviétique et transmises par le HCR. L’association passa ainsi une convention avec le gouvernement bulgare qui accepta de prendre en charge le coût des transports.

42Les émigrés de Yougoslavie tentèrent de mettre en place une organisation similaire mais se heurtèrent à l’opposition conjuguée du général Wrangel et du gouvernement de Belgrade, de sorte que le Sovnarod de Bulgarie fut amené à s’occuper également des candidats au retour installés en Yougoslavie52. Ce faisant il répondait parfaitement aux attentes du HCR qui avalisait l’idée d’un retour motivé par des raisons strictement patriotiques. Il ne semble pas que de telles initiatives aient vu le jour dans d’autres pays d’Europe centrale et orientale53.

43Le projet du retour fut également soutenu par le mouvement « Changements de jalons » (smena veh), créé en exil au début des années vingt, et connu à travers quelques publications. La première parut à Kharbin (Mandchourie) en 1920 sous le titre Le combat pour la Russie (V borb’e za Rossiju). L’auteur, N. Ustrialov, y défendait l’idée que la Révolution exprimait une réalité purement russe et que le nouveau régime instaurait l’État fort dont les Russes avaient besoin. Reprenant les arguments d’Ustrialov en faveur du retour, S. Tchakhotine publia en juillet 1921 à Prague sa brochure Smena veh qui devint le mot de ralliement des partisans du retour.

44Contrairement à ce que suggère son parti pris prosoviétique, Smena veh attira surtout la droite de l’émigration54, fondamentalement nationaliste et favorable à un pouvoir de nature autoritaire. En ce sens, et bien qu’avec prudence, on peut voir dans ce mouvement les germes lointains du national-bolchevisme tel qu’il se développera avec succès dans l’URSS des années trente. Smena veh rencontra cependant quelques succès auprès des intellectuels réfugiés dans les capitales européennes, qui étaient partagés entre leur expérience traumatisante de la Révolution et le mal de vivre à l’étranger. Beaucoup ressentaient ce dilemme exprimé par l’écrivain A. Bely : « Je ne peux pas vivre hors de cette Russie et je ne peux plus y respirer55. »

45Le nouveau cours soviétique n’aurait peut-être pas suscité autant d’intérêt dans l’émigration si l’idée d’une réconciliation n’avait été elle-même véhiculée et encouragée par certains États d’Europe, par l’Allemagne au premier chef. Le gouvernement de Berlin posa, dès le début de l’année 1920, les jalons de l’Ostpolitik qui, au cours de la décennie, allait favoriser le développement des relations soviéto-germaniques56.

46Exclue du concert des grandes nations européennes, humiliée par les conditions de la paix, l’Allemagne se tourna vers l’URSS qui, en retour, en fit son premier allié de poids en Europe occidentale. L’établissement d’accords commerciaux en 1921, la signature du traité soviéto-germanique de Rapallo en avril 1922 firent de l’Allemagne le partenaire privilégié de l’URSS pendant plusieurs années. Cette proximité se traduisit par une étroite collaboration économique, militaire (d’autant plus importante pour l’Allemagne que les puissances victorieuses avaient interdit le réarmement du pays) et culturelle, comme en témoignait, par exemple, l’importance des maisons d’éditions russes de Berlin, dont certaines travaillaient en étroite coopération avec la Russie.

47La jeune République tchécoslovaque regarda également avec intérêt l’évolution de la Russie soviétique. La normalisation du pays offrait des perspectives d’échanges avantageuses qui pouvaient tempérer l’influence inévitable de l’Allemagne dans l’économie tchèque. Russophiles de longue date, les dirigeants du nouvel État tchécoslovaque montrèrent, dès 1921, leur intérêt pour la Russie soviétique, répondant les premiers à l’appel désespéré lancé par Maxime Gorki pour secourir les régions en proie à la famine.

48La politique d’asile des réfugiés russes mise au point au printemps 1921 par le président Masaryk exprimait l’optimisme des dirigeants tchèques face à l’évolution de la Russie soviétique. L’idée d’accueillir les intellectuels et la jeunesse estudiantine émigrés pour développer à Prague un pôle d’excellence universitaire russe concrétisait, paradoxalement, cette confiance dans la normalisation politique à venir de la Russie. Le gouvernement était en effet persuadé que les nouveaux diplômés des institutions russes de Prague contribueraient un jour prochain au relèvement de la Russie. Après leur période de formation à l’étranger, ils seraient appelés à revenir dans leur patrie, y deviendraient les artisans de la modernisation du pays et joueraient le rôle de médiateurs privilégiés entre Moscou et Prague57.

49La perspective du retour, qu’elle ait ou non abouti, témoignait bien du caractère indéterminé des relations entre l’URSS et les exilés. L’émigration de la NEP confirma cette perception en véhiculant l’image d’un pays sinon pacifié, du moins éloigné de la violence et des cruautés de la guerre civile que les réfugiés avaient fuies en 1920.

Une nouvelle vague de réfugiés : l’émigration soviétique de la NEP

50À partir de 1922 la nouvelle législation soviétique sur les sorties du pays a ouvert une nouvelle vanne de départs. Un dixième des émigrés russes de France ont ainsi quitté la Russie entre 1922 et 192658. Cette nouvelle migration s’est, sous bien des aspects, distinguée des réfugiés de la guerre civile. Il s’agissait de citoyens soviétiques partis légalement pour effectuer des études, rejoindre des parents à l’étranger, accomplir des missions scientifiques, diplomatiques, ou encore sortis pour des raisons de santé ou simplement pour faire un voyage touristique59.

51Les témoignages sont nombreux qui montrent les difficultés et les tracasseries rencontrées. Ils ont en commun de relater des départs « précoces » dans les semaines qui suivirent le nouveau décret sur les sorties du territoire. Par la suite, l’émigration paraît avoir été facilitée. Aussi peut-on présumer que, l’accroissement des demandes aidant, la rigueur des formalités et les indispensables appuis politiques se soient progressivement réduits. À moins que la libéralisation de l’ouverture des frontières n’ait été le fait d’une décision au sommet.

52Qui sont les émigrés de la NEP ? L’image donnée par l’expulsion massive de « l’intelligentsia bourgeoise » en 1922 a laissé une telle empreinte chez les contemporains que, bien souvent, les arrivées postérieures à la guerre civile ont été assimilées à cette vague de bannissements60. En réalité, nombre d’intellectuels des années vingt quittent le pays de leur propre gré. Maxime Gorki ouvre la voie en 1921, il est l’un des premiers bénéficiaires, avec Ilya Ehrenbourg, de l’ouverture des frontières61. Dès l’année suivante et jusqu’en 1925-1926, les départs se succèdent et semblent rarement conçus comme définitifs. Ils sont plutôt assimilés à un ressourcement temporaire, moral et/ou physique après les violences, les pénuries, les épidémies qui ont été le lot du communisme de guerre. Le poète Georges Adamovitch confiait ainsi : « Je suis parti en 1923 et je suis parti avec le ferme espoir et la ferme intention de revenir dans les 6 mois, parce que c’était l’époque de la NEP où tout semblait revenir comme un ordre acceptable62. »

53Le passage quasi obligé par Berlin montre quel était l’attrait de « l’étranger ». Dans une période où la Russie se remet difficilement des séquelles de la guerre civile, la capitale allemande apparaît par contraste comme un centre culturel vivant et fécond, comme une ville ouverte, « la seule réellement moderne de l’Europe », dira Ilya Ehrenbourg. En ce qui concerne les départs motivés par le regroupement des familles, ceux-ci, bien souvent sont moins une fuite qu’une alternative à l’éventualité du retour des parents installés à l’étranger, ainsi que le soulignent certaines correspondances. S’adressant à sa fille, infirmière qui avait servi dans les armées blanches avant d’être évacuée à l’étranger, une femme de l’aristocratie militaire écrit de Russie en avril 1923 :

Je pense qu’il n’y a aucun sens pour moi à venir chez vous. Je vais dépenser mon dernier argent, perdrai mes dernières affaires et que faire, après ? Ici, avec mes connaissances, je peux très bien subvenir à mes besoins. Il me semble donc qu’il faut attendre que nous ayons vraiment de l’argent, toucher de D. sa dette et vous aider à rentrer en Russie (on peut revenir). Je pense que vous pourrez mieux subvenir à vos besoins ici, surtout avec tes langues et en général telle que tu es – des personnes telles que toi et moi valent maintenant de l’or63.

54Après les grands troubles de la guerre civile, les lettres disent l’incertitude qui caractérise les années de la NEP, années d’ouverture où il paraît à nouveau possible de choisir. Si les décisions sont difficiles à prendre c’est moins pour des raisons idéologiques qu’économiques. Les frontières qui les séparent sont néanmoins incertaines : l’inquiétude du quotidien exprime aussi celle concernant l’état du pays. Le coût financier de l’obtention d’un passeport eut à l’évidence une fonction dissuasive. Correspondances et témoignages confirment, à l’échelle individuelle, ce que la politique du Haut-Commissariat aux Réfugiés avait mis en évidence : la position de réfugié est une alternative possible et non un état définitif.

55Le continuum d’arrivées en provenance de l’URSS à partir de 1922 desservait la politique de rapatriement préconisée par le HCR. Mais l’organisme ne s’embarrassa guère de la présence des « nouveaux » émigrés, il se contenta de les ignorer. L’expulsion massive des intellectuels russes en 1922 ne provoqua guère qu’une remarque « positive » de F. Nansen : « Les intellectuels expulsés, constatait-il, qui avaient passé par les épreuves de la période la plus dure du régime soviétique apportèrent avec eux un esprit d’initiative et des facultés d’organisation qui jusqu’ici faisaient défaut aux chefs de l’émigration russe64. »

56Passée sous silence à Genève, l’émigration soviétique paraît avoir suscité beaucoup de réserves de la part du gouvernement français, à en juger par les insistantes recommandations du dernier ambassadeur de Russie en France, B. en faveur des nouveaux arrivants : « Mon compatriote B.A. sollicite l’autorisation de faire venir auprès de lui sa mère, actuellement en Russie. L’intéressé m’a remis à l’appui de sa demande le certificat des usines Renault où il travaille en qualité d’ouvrier spécialisé avec un salaire journalier de 35 francs ainsi qu’une référence émanant de M. Pecquet, citoyen américain qui a fait partie de l’organisation ARA pour aider la population russe éprouvée par la famine65. » Plus révélatrice encore de la difficulté à obtenir un visa de l’ambassade de France en URSS est cette recommandation concernant Stanislavski :

M. Constantin Alexeieff (pseudonyme Stanislavski), directeur du fameux théâtre artistique de Moscou, désirerait vivement être autorisé à venir en France dans le courant de l’été pour y rejoindre sa femme et son fils, ce dernier se trouvant actuellement en traitement à Juan-les-Pins. La troupe de M. Alexeieff jouit d’une énorme notoriété non seulement en Russie mais aussi à l’étranger. Si je me permets de vous parler (de M. Alexeieff) c’est parce que je suis lié de longue date avec lui, puis entièrement répondre de sa parfaite honorabilité et voudrais l’aider à recevoir le visa demandé66.

57Arrivés sur le territoire français, les Soviétiques ne furent guère dissociés des réfugiés67. Les uns ne firent pas renouveler leur passeport, perdant de la sorte la citoyenneté soviétique. Les autres, convaincus d’une évolution à venir du régime, demeurèrent citoyens soviétiques68. L’émigration de la NEP prit fin vers le milieu des années vingt, brève période d’ouverture, insolite dans l’histoire de l’URSS.

L’abandon des politiques de rapatriement

58La politique du Haut-Commissariat aux Réfugiés inaugure, dans les années vingt, une ligne de conduite qui ne fera que se confirmer par la suite et jusqu’à nos jours : distinguer parmi les réfugiés les victimes souvent innombrables de la guerre et les opposants politiques. Ces derniers méritaient une légitime protection, ce qui n’excluait pas pour autant d’œuvrer pour le rapatriement du plus grand nombre. L’optimisme qui a caractérisé l’action de Fridtjof Nansen en faveur des retours n’a duré que quelques années. Son abandon progressif a coïncidé, paradoxalement, avec le début de la normalisation officielle des liens entre l’URSS et les vainqueurs de la Première Guerre. Jusqu’en 1924 en effet, le Haut-Commissariat aux Réfugiés a été l’un des intermédiaires privilégiés des relations « est-ouest ». À l’exception notable de l’Allemagne, les États occidentaux persistaient à ignorer l’existence de la Russie soviétique de sorte que Fridtjof Nansen avait été amené à jouer un rôle majeur dans les tractations avec Moscou concernant les réfugiés. Les résultats en sont apparus peu tangibles. Le renoncement au rapatriement s’explique à la fois par les restrictions imposées de Moscou et par l’attitude des intéressés eux-mêmes : la plupart ont dédaigné les propositions offertes. Fait remarquable, les armées blanches, d’abord perçues comme représentant le principal front anti-bolchevique de l’émigration, constituaient les groupes les plus sollicités. De fait ils ont été les seuls concernés par la possibilité du retour, dans une logique qui s’apparentait fortement à celle des rapatriements des prisonniers de guerre effectués entre 1918 et 1921. Pour la majorité de l’émigration l’espoir du retour était conditionné par la chute attendue du régime soviétique. Hantés par la vision d’horreur de la fin de la guerre civile, les réfugiés, bien souvent, n’ont pu dépasser la représentation apocalyptique de cette période et créditer la normalisation qui a suivi, avant le Grand Tournant stalinien.

59L’espérance du retour est restée tenace, elle n’a souvent jamais cessé d’exister tout au long du parcours de chacun mais, dans les faits, les exilés se sont enracinés dans la plupart des pays d’accueil et, en premier lieu, en France.

Notes de bas de page

1 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 596, Rapport sur la question des réfugiés russes présenté à la SDN suite à la séance du 21 février 1921, p. 54.

2 Archives MAE, série Russie-Europe, dossier 596, SDN, 16 juin 1921, p. 65.

3 Ibid. En pressentant la nomination de Nansen à la tête du HCR, le délégué français insistait surtout sur son « expérience effectuée en ce qui concerne les prisonniers de guerre (qui) fournit un exemple très encourageant ». La première personnalité pressentie pour remplir cette fonction fut le président du CICR, Gustave Ador.

4 Concernant la biographie de F. Nansen, cf. T. Grève, Fridtjof Nansen, Lausanne, Fonds Jean Monnet pour l’Europe, Centre de recherches européennes, 1989.

5 SDN, L’œuvre d’assistance aux réfugiés, Genève, 1938, p. 10.

6 Gérard Noiriel, La tyrannie du national. Le droit d’asile en Europe 1793-1993, Paris, Calmann-Levy, 1991, pp. 102-103.

7 Cette famine, liée à la désorganisation des campagnes consécutive à la guerre civile et aux mesures de réquisition forcée des grains par le pouvoir soviétique, fit plusieurs millions de victimes (le bilan des pertes humaines ne peut, cependant, être établi avec précision en raison de l’importance de la mortalité dans cette période due, en particulier aux épidémies). Alain Blum, Naître, vivre et mourir en URSS, Paris Payot, 2004 (1994) ; Serge Adamets, Guerre civile et famine en Russie. Le pouvoir bolchevique et la population face à la catastrophe démographique, 1917-1923, Paris, IES, 2003.

8 Cf. texte de la convention, GARF, collection SDN, f. 7067, op. 1, d. 400. Rappelons que malgré la mobilisation internationale, Européens et Américains ne parvinrent pas à coordonner leur aide (cf. à ce sujet, Bertrand M. Patenaude, The Big Show in Boboland, The American Relief Expedition to Soviet Russia in the Famine of 1921, Stanford, Stanford University Press, 2002).

9 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 597, p. 82. P. Botkin ne doit pas être confondu avec Sergei Botkin, ancien ambassadeur de Russie à Berlin et membre du Conseil des ambassadeurs.

10 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 599, p. 25. Mémorandum signé par le Comité national russe (pres. Kartacheff), l’Union des officiers russes anciens combattants (pres. Goulevitch), l’Union des officiers russes de l’État-major (pres. Général Souvoroff).

11 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 598, p. 48, lettre de mai 1922 adressée à Poincaré.

12 Archives russes de Leeds, collection Zemgor, d. 144.

13 Le Zemgor avait délégué S. Panin à la conférence du CICR du 15 août 1921 sur la coordination de l’aide aux régions sinistrées par la famine. L’organisation ne se disait pas convaincue des garanties fournies par le gouvernement soviétique concernant la distribution de l’aide, mais elle participa néanmoins à l’action en préparant principalement des pharmacies d’urgence. Archives de Leeds, collection Zemgor, Genève 1921-1923.

14 Archives MAE, série Russie-Europe, dossier 598, p. 72, SDN, rapport général sur l’œuvre accomplie par F. Nansen, Haut-Commissaire de la SDN.

15 GARF, collection SDN, f. 7067, op. 1, d. 24, Rapport du Dr. Nansen à Genève, le 23 janvier 1923.

16 Archives MAE, série Russie-Europe, dossier 599, p. 190, lettre du chef de l’état-major général Lebedeff de la section politique de l’état-major du commissariat du peuple à la Guerre, du 5 février 1923, signalée dans les archives comme « correspondance de signification spéciale RSFSR ».

17 Archives MAE, série Russie-Europe, dossier 599, SDN, 4 septembre 1923, rapport sur les travaux du Haut-Commissariat pour les réfugiés présenté à la 4e assemblée par le docteur F. Nansen.

18 Archives MAE, série Russie-Europe, dossier 599, p. 68, SDN, correspondance du 26 septembre 1923.

19 Archives MAE, série Russie-Europe, dossier 600, p. 170, SDN, 6 1924, travaux accomplis au cours de la dernière année.

20 Archives MAE série Russie-Europe, dossier 600, p. 235, SDN, 7 juin 1924.

21 En réalité le BIT était déjà impliqué, depuis la création du HCR, dans l’action de placement des réfugiés.

22 J.O. SDN, rapport du 3 septembre 1926 sur les questions concernant les Arméniens et les Russes soumis à la 7e assemblée par le docteur F. Nansen, p. 7 (c’est nous qui soulignons).

23 Précisons, néanmoins que Nansen n’abandonna pas son action en faveur du rapatriement puisqu’il se concentra, dans la seconde moitié de la décennie, sur l’action en faveur du placement des réfugiés arméniens dans la République soviétique d’Arménie. Cf. à ce sujet, D. Kévonian, Réfugiés et diplomatie humanitaire : les acteurs européens et la scène proche-orientale pendant l’entre-deux-guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004.

24 E.I. Pivovar (dir.), Rossijskaja êmigracija v Turcii, jugo-vostočnoj i central‘noj Evrope 20-h godov, Göttingen, RGGU-Max-Planck Institut für Geschichte, 1994, p. 11. Données fournies d’après la consultation des archives militaires de la Fédération de Russie (RGVA).

25 John H. Simpson, The refugee problem. Report of a survey, Oxford, 1939, p. 71.

26 P. Robinson, The White Army in Exile 1920-1941, Oxford, Clarendon, OUP, 2002, p. 41. L’historien, se basant sur les sources militaires françaises (SHAT) signale à ce propos l’ardeur manifestée par le général Broussaud dans l’action menée en faveur du rapatriement, ardeur qui fut loin de caractériser le comportement de l’ensemble des membres de l’État-major français à Constantinople. Les chiffres de rapatriés en provenance de Lemnos varient selon les auteurs, J. H. Simpson avançant dans son étude le nombre de 8 personnes (The Refugee Problem, op. cit., p. 72).

27 Archives MAE, série Russie-Europe, dossier 599, lettre du ministre de France en Bulgarie au Conseil de la SDN, 26 décembre 1922, p. 120.

28 R. Adam, Histoire des soldats russes en France 1915-1920. Les damnés de la terre, Paris, L’Harmattan, 1996.

29 Document reproduit dans M. Ter d’Alazne, Les émigrés russes en Gironde de 1900 à 1940 (d’après les dossiers de demande de naturalisation), mémoire de maîtrise, université de Bordeaux III, 1985, p. 24.

30 Jurij Fel‘štinskij, K istorii našej zakrytosti, Zakonodatel‘nye osnovy sovetskoj immigracionnoj i êmigracionnoj politiki, Moscou, Terra, 1991, pp. 6-7.

31 Dans les archives du consulat russe de Paris un dossier est consacré aux activités du Comité de rapatriements des émigrés russes en France, fondé en avril 1917. De mai à juillet (dernier mois d’enregistrement des départs), ce comité recense 471 départs vers la Russie (GARF, f. 6851, (Rossijskoe posolstvo v Pariže), op. 1, d. 258). Cependant il existait d’autres organismes chargés des rapatriements, en particulier l’état-major russe de Paris qui devait théoriquement faciliter le retour de ceux qui voulaient désormais combattre l’ennemi dans la « Russie libre », comme ce fut le cas de Victor Serge. Mais d’après le témoignage de ce dernier, l’état-major encourageait plutôt les volontaires « à servir la patrie retrouvée dans les troupes russes qui se battaient en France ». Victor Serge, Mémoires d’un révolutionnaire, Paris, 1978 (1951), p. 66.

32 D’après ju. Fel‘štinskij, op. cit. p. 15 et sq. La prise en compte de délits de caractère religieux était liée à la volonté de rallier les pays musulmans à la cause de la Révolution. Le statut de réfugié était obtenu après examen par une commission gouvernementale de la nature des délits présentés par le requérant. La définition des droits à l’obtention de ce statut fut modifiée à plusieurs reprises. Dans la première moitié des années vingt, le droit d’asile s’est trouvé limité aux délits de caractère politique et d’agitation sociale. D’après la législation du 13 juin 1930, le statut de réfugié ne fut plus désormais attribué qu’aux personnes poursuivies pour avoir mené « une activité révolutionnaire libératrice ».

33 Robert C. Williams, Culture in exile, Russian émigrés in Germany 1881-1941, Ithaca-Londres, 1971.

34 E. Z. Volkov, Dinamika narodonaselenija za 80 let, Moscou, Gosudarstvennoe izdatel’stvo, 1930, pp. 185-187.

35 La date du décret varie selon les auteurs mais cette disparité est à mettre au compte des procédures d’entrée en application. En effet, le décret du 28 octobre 1921 fut rédigé par le Sovnarkom et signé par Lénine mais il devait pour entrer en application être avalisé par le VCIK, ce qui fut fait le 15 décembre 1921.

36 La première loi d’amnistie fut proclamée en juillet 1919 et concernait indifféremment les civils et les militaires. Elle fut suivie, en juillet et septembre 1920, de deux autres amnisties décrétées à l’égard des officiers ayant combattu dans les armées contre-révolutionnaires. Ces dernières mesures ont vraisemblablement été déterminées par la guerre russo-polonaise, période au cours de laquelle le gouvernement encouragea le ralliement des cadres de l’armée russe dans un conflit essentiellement ressenti comme une guerre patriotique.

37 Soit avant la date de mise en circulation (théorique) des passeports soviétiques.

38 Nous nous reportons ici au texte de loi tel que le présente exhaustivement D. Petchorine. La condition des Russes en France et celle des étrangers (spécialement les Français) en URSS, Paris, 1929, pp. 19-21.

39 Quelques jours après l’établissement officiel des relations diplomatiques avec l’URSS (28 octobre 1924), le consul général de l’URSS à Paris publia un avis « portant à la connaissance de tous les citoyens de l’empire russe demeurant en France qui voudraient acquérir le droit de citoyenneté de l’URSS qu’ils peuvent présenter des déclarations écrites au consul général jusqu’au 12 décembre 1925 ». On remarquera que le délai défini était assez généreux (plus d’un an).

40 Jurij Fel‘štinskij, op. cit., pp. 111-112.

41 Paul Avrich, Les anarchistes russes, Paris, Maspero 1979, p. 265.

42 Michel Heller dans son article pionnier sur le sujet indique que la mesure toucha 160 intellectuels. Michel Heller, « Premier avertissement : un coup de fouet, l’histoire de l’expulsion des personnalités culturelles hors de l’Union soviétique en 1922 », Cahiers du monde russe et soviétique, 1979, T. XX-2, pp. 131-172). Depuis, plusieurs articles ont paru sur le sujet, notamment celui de V. Sapov qui considère que la vague d’expulsions de l’été 1922 toucha au moins 300 personnes. V. V. Sapov, « Vysylka 1922 goda, popytka osmyslenija », Sociologičeskie issledovanie, 1990, n° 3, pp. 112-114.

43 Michel Heller, art. cit., pp. 139-153.

44 Cf., à ce sujet, G. Savina, « Pust’barahtajutsja… K istorii « odesskoj vysylki » za rubežom », Diaspora, vol. III, 2002, pp. 293-410.

45 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 599, p. 32.

46 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 599, SDN, 4 septembre 1923, Rapport à la 4e assemblée sur les travaux du Haut-Commissariat.

47 GARF, collection SDN, f. 7067, op. 1, d. 170, Rapport de F. Nansen du 24 janvier 1923.

48 Ju. Fel‘štinskij, op. cit., pp. 30-38.

49 Mémorandum du Comité national russe aux membres de la Société des Nations, Paris, 1922, pp. 11-12.

50 Les estimations concernant les retours varient beaucoup d’un ouvrage à l’autre. La Grande encyclopédie soviétique affirme que 10 à 15 % des émigrés seraient rentrés. M. Raeff accrédite également l’idée d’importants mouvements de retours qui oscilleraient entre 100 000 et 200 000 personnes (Russia abroad. A cultural history of the Russian emigration 1919-1939, New York/Oxford, Oxford University Press, 1990), mais H. Hardeman évoque 10 000 retours seulement après 1921, (Coming to terms with the Soviet regime : the « Changing signposts » movement among Russian emigrés in the early 1920s, Dekalb, Northern Illinois University Press, 1994).

51 Ce Conseil rassemblait diverses associations créées en Bulgarie pour organiser les retours. Dans les archives de Prague on ne trouve trace que du Sovnarod de la ville de Varna qui comprend 947 membres en 1923 (GARF, f. 6064, op. 1, d. 1).

52 E. I. Pivovar (dir.), Rossijskaja êmigracija… op. cit., p. 48.

53 Les archives du MAE et les rapports de la SDN ne mentionnent en effet que le cas bulgare. L’étude de J. Simpson n’évoque pas non plus de rapatriements organisées vers la Russie en provenance de Pologne ou des pays Baltes.

54 Tilgham B. Koons, Les doctrines politiques de l’émigration russe, thèse de 3e cycle, Paris, université de la Sorbonne, 1952. Robert C. Williams, Culture in exile… op. cit., pp. 127-128. H. Hardeman développe également un aspect original de la genèse des mouvements prosoviétiques à travers l’histoire de la revue Mir i trud, initialement créée par les prisonniers de guerre russes en Allemagne et qui prôna dès février 1920 la paix avec les Bolcheviks, Hilde Hardeman, « Mir i trud : l’illusion d’un modus vivendi entre le régime soviétique et ses opposants » Les cahiers de l’émigration russe, Paris, IES, 1994, pp. 24-44.

55 Propos rapporté par V. Serge, Mémoires d’un révolutionnaire, op. cit., p. 161.

56 Robert C. Williams, op. cit. pp. 107-110.

57 Catherine Andreyev, Ivan Savicky, Russia Aboad. Prague and the Russian Diaspora, 1918-1938, New Haven & Londres, Yale University Press, 2004 ; Olga Bobrinskoy, « La Première République tchécoslovaque et l’émigration russe (1920-1938) : la spécificité d’une politique d’asile », Revue d’Etudes comparatives Est-Ouest, vol. 26, n° 1, mars 1995, pp. 153-175.

58 D’après les résultats de l’exploitation statistique des dossiers de réfugiés russes (Archives OFPRA).

59 92 % des émigrés enregistrés dans l’échantillon OFPRA et partis après 1922 étaient en possession de passeports soviétiques lors de leur arrivée en France. Les raisons de départ mentionnées ont été répertoriées d’après différents témoignages (autobiographies des dossiers OFPRA, entretiens auprès d’émigrés ou d’enfants d’émigrés, mémoires publiés).

60 M. Heller le rappelle en citant des historiens occidentaux qui assimilent aux bannis plusieurs figures notoires de l’émigration qui n’ont en fait pas été victimes de cette expulsion. M. Heller, art. cit.

61 La bibliographie sur Maxime Gorki est très importante. Mais on peut signaler le témoignage peu connu de Nina Tikanova qui partit de Russie en sa compagnie et relate en détail leur voyage. Nina Tikanova, La jeune fille en bleu, Lausanne, L’Age d’homme, 1991.

62 Entretien Georges Adamovitch effectué par Gabriel Matzneff pour l’émission « Série archives du xxe siècle », Radio-diffusion française, Paris, sd.

63 Correspondances privées, communiquées par Jacques Magaud. Qu’il en soit ici remercié.

64 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 600, Rapport du 6 mars 1924 sur le travail accompli par le HCR au cours de la dernière année, p. 170.

65 Archives GARF, Consulat russe de Paris, f. 6851, op. 1, d. 160, Correspondance du Consulat russe de Paris avec le ministère des Affaires étrangères, lettre du 26 octobre 1925.

66 Idem, lettre du 25 juin 1926.

67 Les recensements français, contrairement à ceux d’Europe centrale et orientale, n’ont jamais fait la distinction entre Russes et Soviétiques. Néanmoins, à partir de 1929, l’Annuaire statistique de la ville de Paris, des communes suburbaines et de la Seine, introduit la catégorie des Soviétiques dans ses résultats. À cette date, ils représentent 10, 3 % des Russes enregistrés dans le département.

68 Les cas ne sont pas rares où l’on trouve au sein d’une même famille un éventail de plusieurs nationalités et statuts. Ainsi, Zoé Oldenbourg a conservé, à l’instar de sa mère, son passeport soviétique alors que son père avait le statut d’apatride. Z. Oldenbourg, Visages d’un autoportrait, Paris, Gallimard, 1976.

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