Chapitre 2. Les réfugiés russes en transit dans l’Europe des années vingt
p. 49-74
Texte intégral
1L’arrivée des réfugiés russes dans les États d’Europe centrale et sur les rives du Bosphore durant l’hiver 1920-1921 fut un véritable « déferlement ». Entre le retrait précipité en novembre 1920 des armées blanches du général Wrangel vers Constantinople et la « normalisation » soviétique proclamée au Xe congrès du Parti à Moscou en mars 1921, l’entrée des réfugiés russes dans l’espace européen marquait la fin de la guerre civile. La masse d’expatriés qui fuyaient le nouveau régime victorieux était alors perçue comme innombrable.
2Les premiers rapports que les gouvernements ont échangés sur les réfugiés russes datent de février 1921 et se multiplient au cours de l’année. Conférences et réunions intergouvernementales se succèdent à Genève : comment répondre aux problèmes posés par cet afflux brutal, bien que prévisible, dans plusieurs États du vieux continent ? Rapports gouvernementaux, mais aussi bilans de la Croix-Rouge (russe, américaine), mémorandums d’organisations philanthropiques créées dans l’émigration, constituent l’essentiel des matériaux produits lors de ces concertations qui aboutiront courant 1921 à la création du Haut-Commissariat aux réfugiés russes à Genève ; organisme qui devint un véritable observatoire des mouvements de population russe. L’on peut ainsi retracer à grands traits l’histoire de la migration russe en Europe malgré le brouillage produit par l’extrême mobilité des exilés dans les premières années qui ont suivi les départs de Russie.
3La mobilisation des États en faveur des réfugiés s’imposait d’emblée par l’ampleur de cette émigration et les multiples problèmes humanitaires qu’elle posait. La masse des fugitifs était d’autant plus préoccupante que la situation des pays d’accueil dans les pourtours de la Russie était précaire ou instable. L’arrivée des réfugiés se superposait dans bien des cas aux flux des « nouveau » citoyens dans les États recomposés. Leur installation, souvent problématique, était pour les gouvernements une priorité et rendait d’autant plus indésirable la présence d’étrangers sans patrie. Une autre particularité de cette période de transition fut l’affirmation identitaire hautement marquée des nouveaux États nations au détriment de toutes les minorités quelles qu’elles soient. Dans le cas des pays tout juste émancipés de la tutelle tsariste, les réfugiés avaient à affronter un double rejet dû à un nationalisme exacerbé et à un violent sentiment anti-russe. Ainsi, l’indigence réelle et parfois extrême des premiers États de refuge se combinait avec un climat politique très défavorable à l’accueil des réfugiés. Ceux-ci considérèrent, bien souvent, leur première terre d’asile comme une simple escale vers des lieux plus cléments.
4La mobilité des Russes à travers l’Europe fut, pour une part, spontanée et, pour une part, dirigée via le Haut-commissariat aux réfugiés russes qui intercéda auprès des gouvernements pour favoriser leur immigration. Cette orientation des flux de réfugiés constitua l’une des grandes innovations de la période, bien qu’elle fût conçue et réalisée de façon parcellaire.
Une innovation : le Haut-Commissariat aux réfugiés russes
5Pour la première fois dans l’histoire, les réfugiés allaient bénéficier d’une institution dont le rôle était d’encourager leur prise en charge par les États et de les défendre. Observatoire et lieu d’action, le Haut-Commissariat fut le résultat de la mobilisation des gouvernements en faveur des réfugiés. Les premières initiatives furent pourtant le fait d’organisations humanitaires et, en premier lieu, du Conseil des représentants de la Ligue des sociétés de la Croix-Rouge. Par le biais de l’assistance initialement apportée aux prisonniers de guerre, la Croix-Rouge s’était progressivement trouvée en contact avec les réfugiés dans plusieurs des pays d’Europe. Au cours d’une première réunion tenue le 21 février 1921 qui rassemblait des représentants du Bureau International du Travail et des sociétés de secours russes, le Conseil esquissa les premières lignes de l’œuvre à accomplir. Il posa deux objectifs principaux : la création d’une commission mixte, regroupant le Conseil de la SDN et la Ligue de la Croix-Rouge « en sorte, précisait le compte rendu, que certaines initiatives humanitaires puissent revêtir un caractère collectif »1 la consultation des États. Une note fut transmise à tous les gouvernements sollicitant leur réaction sur la façon de mener l’œuvre d’assistance proposée par la SDN.
6En juin, 10 États avaient répondu2, parmi lesquels la France qui préconisait, de même que la Belgique, la Suisse et la Tchécoslovaquie, « la création d’un organisme général placé sous les auspices de la SDN et la désignation d’un haut-commissaire, spécialement chargé de l’étude et de la réalisation d’ensemble3 ».
7Fait remarquable, de tous les grands États occidentaux seule la France avait envisagé le recours à la SDN pour mettre en place l’aide aux réfugiés. Le délégué français justifiait ainsi cette position: « L’œuvre humanitaire recueillerait de la sorte l’adhésion de tous les pays civilisés et il serait manifeste par cette unanimité qu’aucun intérêt politique ne pourrait être poursuivi à cette occasion4. » De fait, l’insistance manifestée par le gouvernement français était surtout motivée par l’espoir de déléguer aussi à d’autres l’assistance aux réfugiés assumée par les armées françaises basées à Constantinople et dans ses environs. Ceci étant, l’engagement de la France en faveur des réfugiés s’avéra, au-delà de ses intérêts contingents, durable et conséquent, ce qui lui valut un hommage appuyé du Haut-Commissariat5.
8Fort du soutien des quatre gouvernements, le Conseil de la SDN organisa, au cours de l’été 1921, les premières concertations intergouvernementales sous l’égide du Haut-Commissariat aux réfugiés avec, à sa tête, le docteur Fridjtof Nansen, célèbre explorateur et diplomate norvégien. Les conférences d’août établirent un premier bilan de la situation des réfugiés russes à partir des différents documents élaborés au cours des six premiers mois de l’année.
9Suite à l’initiative du Conseil de la Croix-Rouge en février, une forte effervescence avait gagné le monde associatif russe en voie de constitution. Représentants diplomatiques de la Russie anté-bolchevique, politiciens, hommes de lettres, universitaires, banquiers, avocats, mais aussi anciens administrateurs locaux et animateurs d’associations caritatives antérieures, s’étaient regroupés en conseils, unions, sociétés, comités, qui avaient tous vocation à représenter l’émigration russe et à défendre les intérêts des réfugiés. Chacun collectait toutes les informations possibles sur la situation des Russes dans les différents pays. À l’initiative du Comité Central de la Croix-Rouge russe, 14 organisations se réunirent pour préparer un Mémorandum contenant bilan et propositions sur l’aide à concevoir6. Le Mémorandum soutenait le projet d’une action internationale concertée, à but humanitaire, telle que l’avait préconisée le gouvernement français. Ce consensus entre les différentes parties intéressées favorisa, de façon décisive, la formalisation du Haut-Commissariat aux réfugiés russes.
10Dès 1921, les réfugiés bénéficiaient donc de l’existence d’un organisme ad hoc. Cet organisme commença par solliciter les différentes organisations émigrées pour coordonner les efforts d’entraide, impulsant ainsi une forme de partenariat entre le HCR et les représentants de l’émigration. Ceci étant, les moyens d’action du Haut-Commissariat étaient fort réduits aucun budget n’était attribué à l’œuvre d’assistance, le Conseil de la SDN considérant que les bénéfices de ses différents services (département sanitaire, médical, d’immigration, etc.) étaient amplement suffisants pour assurer le fonctionnement de l’organisme. F. Nansen était assisté dans sa mission par quelques conseillers ; ses deux adjoints, Edouard Frick et Jean-Charles de Watteville, étaient des délégués du CICR7. Certains gouvernements avaient nommé des représentants ; en France M. Hainglaise, ancien professeur de français dans un lycée de Saint-Pétersbourg, était ainsi devenu le délégué de la France du HCR8. La tâche de l’organisme se limitait, pour l’essentiel, à un travail de coordination de l’aide et de sollicitations répétées auprès des États d’accueil. Des concertations intergouvernementales périodiques permettaient d’harmoniser les actions, de signaler les urgences et de faire pression sur les pouvoirs politiques pour accélérer l’évacuation des réfugiés des zones les plus inhospitalières.
La dispersion russe en Europe : des décomptes incertains
11L’une des premières préoccupations des acteurs de l’aide aux réfugiés fut d’évaluer leur nombre. Mais l’appréciation quantitative de l’émigration russe issue de la guerre civile a considérablement varié selon les sources, les auteurs et les époques. L’apparition d’une masse de réfugiés vers la fin de l’année 1920 a suscité de très hautes estimations et celles-ci sont restées durablement élevées non seulement pour des raisons techniques mais également pour des motifs d’ordre politique. Ainsi, dans le plaidoyer pour la mise en place du Haut-Commissariat aux réfugiés, l’argument du chiffre fut décisif. Il légitimait d’emblée l’œuvre d’assistance, permettant de passer outre les nombreuses réserves des États quand il s’agissait des réfugiés.
12Les tout premiers bilans généraux provinrent des organismes d’assistance aux réfugiés russes présents dans les régions limitrophes de la Russie du Comité international de la Croix-Rouge (le CICR, qui détenait essentiellement ses sources de la Croix-Rouge américaine), du Bureau d’enregistrement et d’information de Constantinople, organisé par les États-majors de l’émigration russe (qui centralisa durant plusieurs mois toutes les informations fournies par les anciens consulats russes en Europe) et enfin de diverses associations philanthropiques reconstituées au gré des circonstances dans plusieurs États d’accueil. Ces organismes furent sollicités par la Société des Nations pour présenter un état des lieux de la dispersion russe alors que se mettait en place le Haut-Commissariat aux réfugiés. Le CICR indiqua le chiffre de 2 millions de ressortissants russes ayant à un titre ou un autre bénéficié de son assistance9. Le Bureau de Constantinople évalua à 1 million environ (1020000) le nombre de Russes expatriés10. Autrement dit, le bilan présenté par le CICR était supérieur à celui effectué par les émigrés eux-mêmes, fait remarquable quand on songe que les comités de réfugiés ont toujours été suspectés d’avoir, pour des raisons stratégiques, grossi leurs chiffres11. Le HCR reprit en 1921 l’estimation du CICR et, à partir de 1922, s’en tint au chiffre de 1,5 million de réfugiés, chiffre qui correspondait à peu près au nombre des Russes déclarés par les différents gouvernements des pays d’accueil. Les statistiques internationales diffusées par cet organisme tout au long des années 1920 se basaient non pas sur les différentes sources statistiques nationales mais sur les déclarations et les rapports faits par les gouvernements des États concernés, ce qui explique l’importante réévaluation qui eut lieu par la suite.
13Les données « maximalistes » véhiculées dans cette période furent avancées par un historien de Riga, Hans von Rimscha, qui publia la première étude de synthèse sur l’émigration russe en 1924. Reprenant les données du CICR et y ajoutant celles concernant les migrations vers l’Extrême Orient (qui s’achevèrent, pour l’essentiel fin 1922), cet historien donna le chiffre de 3 millions d’exilés12. De leur côté, les publications soviétiques s’en sont toujours tenues au chiffre de 2 millions d’émigrés, estimation très haute, confortant l’image véhiculée en URSS durant l’entre-deux-guerres d’un pays en état de citadelle assiégée13.
14La révision critique des statistiques internationales concernant l’émigration russe fut effectuée à la fin des années trente dans la perspective d’une restructuration des formes d’assistance aux réfugiés. Elle fut réalisée par un collectif de spécialistes à la demande de l’Institut Royal des Affaires Internationales britannique et donna lieu à une publication qui demeure l’une des références les plus sérieuses sur l’histoire de l’asile dans l’entre-deux-guerres14. Les chapitres consacrés à l’émigration russe furent en partie rédigés par des intellectuels russes émigrés, tel le docteur Izjumov (responsable des archives de l’émigration russe à Prague). La révision des chiffres concernant les réfugiés s’appuya, d’une part sur la relecture des sources internationales et, d’autre part, sur différentes statistiques nationales et plusieurs enquêtes effectuées au cours des années trente dans les archives des comités de réfugiés.
15La principale révision des chiffres porte sur l’année 1922 la somme des réfugiés russes oscille entre 635 600 et 755 200 réfugiés, soit moitié moins que les chiffres avancés dans les statistiques internationales diffusées au début de cette année-là sur la base des rapports fournis par les gouvernements des pays d’accueil. L’exemple le plus flagrant de l’écart constaté entre sources gouvernementales et sources statistiques nationales sera donné, comme nous le verrons plus loin, par la France.
16L’extrême variation des données sur le nombre des Russes exilés dans les années vingt souligne, a contrario, la convergence des estimations pour les années 1930 qui oscillent autour de 350 000 Russes en Europe15. En 1937, lors de l’examen relatif au projet de liquidation de l’Office des réfugiés Nansen, M. Hansson fit ouvertement la critique des statistiques présentées dans le passé16. Plus de 15 ans après le début de la grande dispersion russe, les administrateurs pouvaient reconsidérer avec une certaine défiance les estimations véhiculées à Genève. Ils abordaient désormais l’heure des bilans avec la rigueur arithmétique du comptable.
La Pologne, le Bosphore : deux grandes voies de passage des réfugiés
17Même si le nombre des réfugiés russes fut plus près des 700 000 que des 2 millions, le volume de cette expatriation reste important. Les représentants des gouvernements réunis à Genève pour la première fois en août 1921 tentèrent d’établir une carte européenne des réfugiés. Celle-ci mettait en évidence l’existence de deux principaux courants migratoires le premier, à partir des frontières continentales de la Russie occidentale (de la Pologne jusqu’à la France en passant par l’Allemagne) concernait l’Europe centrale et occidentale. Le second courant, originellement lié aux évacuations collectives du sud de la Russie vers le Bosphore, partait de Constantinople et sa région vers les pays de l’Europe du sud-est, pour l’essentiel la Bulgarie et la Yougoslavie.
Répartition des Russes en Europe d’après les statistiques du HCR entre août et décembre 192117
Allemagne 300 000 – 600 000 | Hongrie 5 000 |
Source : MAE, rapports sur la situation des réfugiés russes (août-décembre 1921), série Russie-Europe 1918-1929, dossier 596.
18Les statistiques collectées à Genève montraient sans ambiguïté la prépondérance de la présence russe en Europe centrale et occidentale. La Pologne, l’Allemagne et la France étaient les principaux pays d’accueil et de transit. Ils étaient les seuls où les effectifs de réfugiés atteignaient au moins 150 000 personnes. La voie du « nord » de l’Europe, d’est en ouest, paraissait donc plus massivement empruntée que celle du « sud ». Le deuxième grand courant migratoire, de la Turquie vers les Balkans, était quantitativement moins important mais mieux connu que le premier. Les réfugiés évacués vers le Bosphore avaient été enregistrés à Constantinople par un bureau ad hoc qui évalua à quelque 230 000 le nombre de réfugiés transférés. Même si l’on s’en tient à l’évaluation minimale du bilan de l’émigration russe présentée par J. Simpson (635 600), le flux généré par les sorties au sud de la Russie n’a donc représenté qu’un tiers, au mieux, de l’ensemble des réfugiés.
19De tous les États frontaliers de la nouvelle Russie soviétique, seule la Pologne, de par sa proximité géographique, avançait un nombre important de réfugiés. Dans les pays Baltes et en Finlande, les Russes étaient peu nombreux, d’autant que ces nouveaux États (anciens territoires de l’Empire russe) comptabilisaient les « minorités » russes ou russophones témoins du passé impérial. En Roumanie, par exemple, le gouvernement de Bucarest fera état par la suite de plusieurs centaines de milliers de réfugiés, mais ces chiffres incluaient la population de Bessarabie, ancienne région de l’Empire tsariste conquise à la faveur des bouleversements politiques et qui comptait de nombreux Juifs autochtones jugés « indésirables »20.
20En dehors des pays frontaliers, la Turquie d’Europe était considérée comme l’une des zones stratégiques dans la configuration géopolitique de la guerre civile. Centre directeur des opérations alliées en Russie du Sud, première terre de refuge des évacués d’Ukraine et de Crimée, Constantinople et sa région présentaient une forte concentration de Russes. Il s’agissait exclusivement de réfugiés évacués pendant la guerre civile ou à la fin du conflit. Contrairement aux anciens territoires périphériques de l’Empire russe devenus États indépendants, la Turquie d’Europe n’avait donc sur son territoire que des expatriés contraints par les événements politiques.
21La présence des réfugiés en Grèce, en Yougoslavie et en Bulgarie apparaissait comme la conséquence directe du passage par la Turquie, première escale avant la nouvelle dispersion dans les Balkans. Cependant, la redistribution des Russes à partir de Constantinople se limitait essentiellement à la Yougoslavie et à la Bulgarie, le transfert des réfugiés en Grèce concernant surtout les malades et les infirmes recueillis dans les hôpitaux d’Athènes. Au nord des Balkans, les trois États de Hongrie, d’Autriche et de Suisse marquaient nettement, par leurs faibles effectifs, les frontières de la migration venue du sud. Seule la Tchécoslovaquie faisait exception en raison du comportement volontariste du gouvernement de Mazaryk qui avait conçu, dès le printemps 1921, une véritable politique d’accueil des réfugiés russes.
22Exception faite de l’Allemagne et de la France, les pays occidentaux paraissaient relativement à l’écart de l’afflux des réfugiés. La présence des Russes dans le nouvel État autrichien avait, dans un premier temps, été estimée à 50 000. Mais ce chiffre, fourni par le Comité international de la Croix-Rouge, renvoyait pour l’essentiel à la présence des prisonniers de guerre russes. Dès août 1921, il était admis que ce pays participait peu à l’accueil, qu’il était lui-même trop absorbé par ses propres réfugiés, (anciens ressortissants de l’Empire défunt qui affluaient à Vienne) pour exercer une quelconque attraction sur les exilés russes. La Suisse, terre d’asile des émigrés politiques russes de l’Empire tsariste, n’a été qu’un territoire de passage ou d’accueil d’élites, jamais de masse. De même l’Italie, où s’était formée avant guerre une colonie de Russes, ne fut pas une destination d’importance.
23La présence russe en Grande-Bretagne était surtout la conséquence résiduelle de l’engagement du gouvernement britannique dans la guerre civile. Ce fut surtout l’intervention de l’armée au nord de la Russie, à Arkhangelsk, qui favorisa des transferts collectifs de réfugiés vers l’Angleterre. Jusqu’en 1920 les autorités britanniques fournirent également des laissez-passer aux Russes de Constantinople, mais cette politique fut interrompue, précisément en 1920, à la suite du retrait de la Grande-Bretagne de l’intervention alliée en Russie du Sud. Les réfugiés russes représentaient alors quelque 15 000 personnes, principalement regroupées à Londres21.
24En 1921, le délégué français à la SDN n’hésitait pas à parler « d’invasion » des réfugiés22. Pourtant les efforts du Haut-Commissariat aux Réfugiés portèrent moins sur les pays les plus « envahi » comme la Pologne ou l’Allemagne, que sur les régions jugées les plus critiques, en premier lieu, le Bosphore. Quelle était donc la situation faite aux réfugiés dans chacun des grands pays d’accueil ?
En Pologne : confusion et situation critique
25Au début des années vingt, les observateurs et les personnalités impliquées dans l’aide aux réfugiés reconnaissaient unanimement la complexité de la situation des Russes dans la nouvelle république de Pologne considérée, volens nolens, comme l’un des plus grands pays d’asile d’Europe. Cette « complexité » était due au fait que résidents et fugitifs russes s’y trouvaient mêlés et que, d’une manière générale, la Pologne était le lieu de multiples mouvements de population.
26La présence russe était tout d’abord liée à l’histoire. La région de Varsovie et les territoires de l’Est qui s’étaient trouvés sous la domination de l’Empire russe comprenaient, lors de la restauration de l’État polonais, plusieurs colonies russes locales, composées en partie de fonctionnaires tsaristes mais également de propriétaires terriens qui furent alors assimilés aux minorités allogènes.
27Les résidents frontaliers ne se reconnaissaient pas comme Russes mais étaient, de fait, russophones, car provenant de régions intégrées à l’Empire russe et non pas de l’ancien Royaume de Pologne. Ces migrants, contraints par les conflits locaux, n’avaient d’autre but que de s’installer le plus près possible de leur terre natale et d’être reconnus comme citoyens polonais, mais de nombreux obstacles leur furent opposés. Nombre d’entre eux furent ainsi assimilés aux réfugiés russes et demeurèrent, malgré leur revendication d’appartenance, apatrides23.
28À l’issue du conflit polono-soviétique de 1920, des accords bilatéraux furent signés pour procéder au rapatriement des ressortissants de chacun des États. Basée sur le principe des retours volontaires, la convention de rapatriement n’affecta que marginalement les Russes installés en Pologne. En revanche, nombre de ressortissants polonais installés en Russie et enregistrés comme « optants » en 1918, regagnèrent la Pologne à partir de mars 192124. Il en résulta une très grande confusion dans l’évaluation du nombre des réfugiés et dans le sens même à donner au terme de « réfugié ».
29La Pologne demeura un territoire de transit après la fin de la guerre civile, non seulement pour les Russes qui fuyaient la Russie soviétique (en particulier lors de la famine de 1921-1922), mais également pour les prisonniers de guerre russes qui, après de longs séjours dans les camps d’Allemagne et d’Autriche, regagnaient leur terre natale. Le pays se trouva donc traversé par des groupes errants, parfois difficilement identifiables, se dirigeant tantôt vers la Russie ou l’Ukraine, tantôt vers l’Allemagne, stationnant ici ou là, au gré des opportunités, comme dans cet hôtel Savoy de Lodz décrit par Joseph Roth, pour repartir ou finalement s’installer. Les allers et venues vers l’est et l’ouest brouillèrent considérablement les seuls vrais repères qui auraient pu permettre une évaluation de la présence russe l’enregistrement des étrangers aux frontières. Le gouvernement polonais s’est basé sur ces données pour justifier ses estimations à Genève, or, compte tenu du chassé-croisé des prisonniers sur le chemin du retour, des Russes sur le chemin de l’exil, l’enregistrement aux frontières ne pouvait en aucun cas constituer un indicateur fiable.
30Enfin, la question des réfugiés russes en Pologne se trouvait encore compliquée par les distinctions nationales introduites par le gouvernement entre Russes, Juifs25 et Ukrainiens (ces derniers ayant créé un comité d’assistance indépendant). L’existence, au sein du nouvel État, de minorités ukrainienne et biélorusse numériquement très importantes, expliquait en partie cette politique des nationalités26. Ce sont, en effet, des objectifs stratégiques qui guidèrent l’élaboration des catégories nationales de réfugiés issus de l’ancien empire russe. En dissociant les Russes des Ukrainiens les dirigeants polonais accédaient à la revendication que ces derniers adressaient vainement à Genève et cherchaient par là à s’attirer la sympathie ou tout au moins la loyauté de cette minorité27.
31Ces différents motifs ont concouru à rendre très approximative l’appréhension de la situation des réfugiés en Pologne et s’explique ainsi, a posteriori, la faible connaissance du sujet28.Les archives de la Société des Nations ou des comités d’assistance apportent sur ce point peu d’éclairage elles témoignent surtout du très faible engagement international à l’égard des réfugiés russes de Pologne.
32Lors de la conférence d’août 1921, le Haut-commissaire aux réfugiés prenait position sur la question des réfugiés russes de Pologne. Considérant que la majorité d’entre eux était en fait constituée par l’ancienne colonie toujours présente dans le pays et par l’émigration de proximité, il concluait que ces réfugiés devraient tôt ou tard devenir citoyens polonais. De son côté, le gouvernement de Varsovie, tout en accusant le HCR et ses partenaires les plus actifs (la France en particulier) de ne pas intervenir pour favoriser le placement des réfugiés dans d’autres pays, entretenait la suspicion de Genève sur la « nature » des réfugiés accueillis en Pologne. Dans un communiqué adressé au Conseil de la SDN en août 1922, il signalait la nécessité de faire la différence entre les émigrés politiques et les immigrés économiques soviétiques (c’est-à-dire les réfugiés arrivés en 1921-1922 lors de la famine d’Ukraine29). Déjà se profilait la subtile distinction entre exilés et immigrés…
33Au cours de l’entre-deux-guerres, la Pologne fut l’un des grands pays d’asile de l’émigration russe. Les statistiques du Bureau International du Travail indiquaient en 1927 que sur les 100 000 Russes présents, 40 000 étaient sans emploi ou sans emploi fixe30. Dix ans plus tard, le nombre de Russes n’avait que très peu décru d’après les statistiques genevoises31. Le fait est, cependant, que les réfugiés ont laissé peu de traces de leur présence, aussi bien dans l’histoire de la Pologne que dans l’histoire interne de l’émigration russe de l’entre-deux-guerres.
En Allemagne : une intense, un refuge éphémère
34Le rôle de l’Allemagne comme pays d’asile de l’émigration russe fut prépondérant mais bref. Ce pays fut au départ considéré comme la première terre d’asile des réfugiés. Leur importance numérique comme leur rayonnement communautaire et culturel y furent notables. Et pourtant l’image retenue du Berlin russe fut celle d’un moment éphémère, dense, mais qui s’effaça en l’espace de quelques années.
35En août 1921, le Haut-Commissaire retenait le nombre de 300 000 exilés accueillis en Allemagne. À la même époque le CICR prétendait en avoir recensé 560 000. L’ancien ennemi de la Russie, le grand vaincu de la guerre, était donc perçu par les réfugiés comme le territoire le plus attirant de l’Europe pour un séjour certes envisagé comme provisoire.
36Parmi les legs de l’histoire, proche et plus lointaine, il faut rappeler l’importance qu’a eue l’Allemagne pour l’émigration de la Russie tsariste. À la veille de la Première guerre mondiale l’Allemagne comptait près de 140 000 sujets de l’Empire. L’installation de Russes, mais également de Baltes, de Polonais, d’Allemands, d’Ukrainiens, de Juifs, avait contribué au développement à l’étranger des tendances séparatistes qui se manifestaient au sein des peuples de Russie. Le déclenchement des hostilités suscita des mouvements de départ, mais modérés semble-t-il, compte tenu de l’intérêt politique que représentaient les immigrés pour le pouvoir. Durant toute la guerre, en effet, le gouvernement allemand instrumentalisa les partis nationalistes et oppositionnels en exil pour affaiblir la Russie.
37Le rôle des armées allemandes dans la guerre civile a favorisé (mais de façon marginale, semble-t-il) l’arrivée des réfugiés russes. Plusieurs milliers de civils et quelques détachements russes ont suivi le retrait des troupes des pays Baltes en 191932. La fin de l’occupation allemande en Ukraine provoqua également des départs. Mais, s’il faut parler de véritables flux de réfugiés vers l’Allemagne, ceux-ci ne sont mentionnés qu’à partir de 1920 et ils arrivent de Russie via la Pologne.
38Durant quelques années la présence russe, en particulier à Berlin, fut spectaculaire par ses activités, sa diversité, sa visibilité, ce que reflètent bien les nombreuses études consacrées à la première « capitale »de l’émigration33. Très concentrés géographiquement – les deux tiers des Russes vivaient à Berlin –, les émigrés se présentaient comme un groupe social relativement homogène, formé essentiellement d’anciens aristocrates et d’intellectuels comme l’affirment, du moins, les travaux d’historiens. De fait, dans les témoignages et traces laissées du Berlin russe, (des maisons de couture jusqu’aux restaurants en passant par les cabarets, les associations d’assistance, etc.), c’est la production intellectuelle de l’exil qui est de loin la plus remarquable. En 1922-1923, on y recensait 72 maisons d’éditions russes, et les contemporains affirmaient que les publications russes dominaient par leur nombre les publications en langue allemande. Une abondante presse de l’émigration contribuait à dynamiser l’activité florissante des Russes en Allemagne. Dans la première moitié des années 1920, 46 associations d’entraide russes se développèrent dans le pays assistance aux réfugiés, planification d’une installation durable par la création de bourses de travail, d’écoles, de sanatoriums, etc. Mais ces activités communautaires, culturelles, pour importantes qu’elles aient été, furent de courte durée. Parmi les multiples indices de la brièveté du « Berlin russe », le déclin de l’édition est significatif il ne restait plus que cinq sociétés d’édition russes à Berlin vers la fin des années vingt34.
39Il est légitime de s’interroger sur l’importance numérique du refuge russe dans ce pays au regard des indications fournies a posteriori au milieu de la décennie. L’estimation des 300 000 réfugiés en 1921, loin d’avoir été révisée à la baisse, a été au contraire jugée inférieure à la réalité. En 1923, de fortes contradictions apparaissent dans l’interprétation faite de la crise monétaire et de son incidence sur la mobilité des émigrés. D’un côté le Haut-Commissaire signale de forts mouvements de départs vers la France et la Tchécoslovaquie, de l’autre les correspondances mentionnent toujours plus d’émigrés russes en Allemagne ; ils y seraient 600 000 à la fin de l’année 192335. Certaines études ont mis en évidence les possibilités d’une spéculation facile qui aurait attiré de nombreux réfugiés, en particulier des Balkans, tandis que d’autres soulignent au contraire l’effet déterminant de la crise dans la nouvelle dispersion russe36. Cette deuxième explication est la plus fréquemment retenue et elle est confortée par les nouvelles évaluations du Haut-Commissariat aux Réfugiés. En 1925 en effet, l’organisme n’estime plus qu’à 90 000 le nombre de Russes demeurant en Allemagne (puis à 80 000 en 193037). En l’espace de deux ans, les deux tiers des fugitifs russes auraient donc quitté le pays pour d’autres États économiquement plus stables.
40Au milieu de la décennie, le recensement allemand faisait apparaître un phénomène insolite par son importance la présence près de 50 000 Soviétiques. Nouveaux émigrés de la NEP ou citoyens en séjour temporaire, la plupart des étrangers « réguliers » de l’URSS ont eu du mal à se situer dans la première moitié des années vingt. Certains sont venus et repartis en URSS, à l’instar de l’écrivain Andrej Bely, d’autres sont restés en exil. Quoi qu’il en soit, la présence nombreuse des Soviétiques montrait bien l’importance des échanges germano-soviétiques dans une période où la majorité des pays occidentaux conservaient leurs distances avec l’URSS. Berlin, plaque tournante de la vie culturelle russe en émigration, était aussi un lieu de production intellectuelle pour les Soviétiques, un centre d’affaires qui, depuis le traité de Rapallo, donnait à l’URSS un pied-à-terre en Occident. La visibilité de la présence russe en Allemagne était en partie redevable à cette ouverture du pays à l’URSS. Il s’ensuivait une importante circulation des hommes et, entres autres, des intellectuels et des artistes qui contribuèrent au rayonnement du Berlin russe.
41Malgré les très nombreux problèmes que posait, à l’évidence, l’afflux des Russes en Pologne et en Allemagne, l’action européenne les concernant resta marginale. Le caractère très composite de la présence russe dans ces pays fut souvent le prétexte justifiant une distinction implicite entre les vrais réfugiés (émigrés politiques de la guerre civile) et les autres (anciens immigrés ou colons, migrants frontaliers, Soviétiques, ressortissants des régions de l’ancien empire devenus indépendants comme les États baltes, etc.). En outre, les relations tendues, sinon conflictuelles, entre ces États d’accueil et la Société des Nations expliquent le relatif délaissement des émigrés russes par les instances genevoises38. La situation des réfugiés accueillis à Constantinople, présentait un singulier contraste.
En Turquie une exceptionnelle mobilisation des instances internationales
42De tous les pays qui ont accueilli des réfugiés russes, la Turquie est celui vers lequel se sont portées les énergies les plus grandes. Entre 1921 et 1926, l’évacuation des Russes présents en Turquie a fait l’objet d’innombrables rapports, a suscité des appels pressants adressés aux gouvernements pour que soient accueillis les « infortunés demeurés à Constantinople ».
43L’attention internationale portée à la grande cité du Bosphore a fait de celle-ci le symbole du refuge russe anti-bolchevique. L’importance des arrivées par les navires de guerre alliés qui encombraient les ports de Constantinople et des îles proches imposa l’image de véritables débarquements. Bien des années après l’événement, l’Office Nansen rappelait l’exploit qu’avait représenté la réception puis C pays de cette « horde de malheureux êtres humains »39. Mais « le sentiment d’humanité » n’expliquait pas tout…
44L’intervention des Français, des Grecs et des Britanniques dans la guerre civile les amena à être présents en mer Noire, en mer d’Azov et, partiellement, sur la Caspienne. L’armistice signé avec l’Empire ottoman permettait aux navires des puissances victorieuses de franchir les détroits ce qui, entre autres, facilitait l’acheminement d’armes et de munitions aux armées blanches. Le soutien logistique apporté au camp contre-révolutionnaire s’exprima de façon spectaculaire lors de la débâcle des armées blanches qui précipita les évacuations de février et de novembre 1920. Mais, dans cette période de transferts massifs des réfugiés vers le Bosphore, plusieurs événements s’entremêlaient: la fin de la guerre civile, avec la victoire bolchevique, modifiait la configuration des rapports de force dans la région en faveur du mouvement pour l’indépendance de la Turquie soutenu par Moscou le conflit gréco-turc renforçait les tensions internationales, ce qui allait provoquer en 1923 le premier grand transfert « ethnique » de populations (des Grecs d’Asie Mineure vers la Grèce, des Turcs de Grèce vers la péninsule turque). La présence des réfugiés russes dans le Bosphore coïncida donc avec une crise politique régionale qui entraîna elle-même une crise démographique sans précédent.
45Dès 1919 plusieurs transferts de réfugiés avaient été effectués d’Odessa et de Sébastopol vers Constantinople. Mais ces convois furent mineurs comparés à la première grande évacuation qui suivit le retrait du général Denikine en février 1920, avec le départ de 10 000 militaires et de quelque 20 000 civils40. Parallèlement à cette grande vague de départ, l’état-major britannique organisa le transport de plusieurs milliers de blessés, de malades et d’enfants réfugiés à Novorossisk et acheminés pour la plupart vers les hôpitaux grecs41.
46La création, en mai 1920, du Bureau d’information et d’enregistrement des réfugiés russes, placé sous l’égide du gouvernement de Russie du Sud et dirigé par Barbara Bobrinsksy, s’était faite à la demande des états-majors alliés. Cette administration, la première du genre, marqua le début d’une prise en charge rationalisée des Russes en exil. Son objectif principal était de favoriser leur transfert rapide vers d’autres pays plus stables42. Jusqu’en novembre, le bureau parvint (comme il l’affirma par la suite) à contrôler le flux de réfugiés. Mais lors de l’évacuation des troupes du général Wrangel qui compta officiellement 136 500 (dont 70 000 militaires selon les informations fournies par le général Wrangel lui-même), l’organisation éprouva d’énormes difficultés à procéder à l’enregistrement et à l’accueil de ces réfugiés43.
47À défaut de solution, nombre de Russes, civils et militaires, furent répartis dans les îles placées sous protectorat français ou britannique dont certaines, pour avoir abrité d’anciens camps de prisonniers de guerre, possédaient de précaires infrastructures d’accueil. Pour beaucoup de réfugiés la réalité de l’exil prit corps dans les campements de fortune aménagés ou réaménagés par la Croix-Rouge américaine après les premières grandes évacuations de février 1920. Le regroupement des militaires, en particulier à Gallipoli et à Lemnos, fit l’objet d’une plus grande attention. Il fut de ce fait mieux connu que la répartition des civils, bien que dans certains lieux d’accueil les uns et les autres se soient retrouvés mêlés44. L’action en faveur du placement des Russes débarqués dans le Bosphore, fût-il temporaire, amena le Bureau de Constantinople à prendre des initiatives en direction des États de la région.
48La re-dispersion des Russes dans les pays avoisinant la Turquie réduisit en partie l’acuité des problèmes que leur présence suscitait dans cette poudrière qu’était le Bosphore, mais elle ne mit pas fin à la mobilisation de Genève pour les réfugiés russes de Turquie.
49Sur l’ensemble des évacués de Russie du sud, 65 000 étaient encore en Turquie en août 192145 l’année suivante, ils n’étaient plus que quelque 30 000. La mobilisation des associations russes, du HCR et des gouvernements témoignait d’une relative efficacité. Après le retrait des Alliés du territoire, le nouveau gouvernement kémaliste lança un ultimatum aux réfugiés exigeant leur départ avant janvier À cette date, la signature de la convention de Lausanne sur les échanges de population entre la Grèce et la Turquie eut pour conséquence de spectaculaires migrations dans la région : près de deux millions de personnes transférées. En prévoyant que « les citoyens turcs de religion grecque orthodoxe établis en territoire turc seront systématiquement échangés avec les citoyens grecs de religion musulmane établis en territoire grec » la convention de Lausanne touchait indirectement les Russes (orthodoxes pour la plupart) réfugiés en Turquie. « Des deux côtés, rappelle Michael Marrus, on s’appuie sur la religion pour se débarrasser des indésirables. La Turquie met aussi bien sous l’étiquette « Grecs », des Serbes, des Roumains, des Russes, des Tziganes et même des Arabes attachés à l’Eglise orthodoxe46 ». L’état de grande confusion et d’extrême dénuement dans lequel se trouvaient tous ces migrants forcés accrut encore la mobilisation de tous les acteurs de l’aide aux Russes dans la région. Parmi ceux-ci figurait en bonne place le gouvernement français.
50L’attitude de la France à l’égard des réfugiés russes était spécifique dans la mesure où, suite au retrait du soutien des Britanniques à la cause blanche en 1920, elle s’était trouvée la seule grande puissance à assurer l’accueil des émigrés arrivés au « Proche orient » à la fin de l’année. Cette lourde charge financière l’incita à prendre différentes initiatives qui lui donnèrent un rôle central dans la défense de la cause des Russes exilés et dans la création à Genève du Haut-Commissariat aux réfugiés russes. Dans un premier temps le gouvernement français sollicita le gouvernement américain en demandant une intervention financière qui soulagerait la charge de la France. Washington répondit qu’il serait plus opportun de mettre en place une coopération internationale47. C’est à la suite de cet échange que le gouvernement français plaida la cause russe devant la Société des Nations et, qu’à défaut de devenir internationale, la prise en charge des réfugiés fut menée à l’échelle européenne. Elle débuta avec les réfugiés de Turquie et orienta de façon déterminante l’action de Genève.
51Jusqu’en 1926, en effet, les réfugiés russes restés dans la région monopolisèrent l’attention du Haut-Commissariat aux Réfugiés48. C’est à travers les multiples rapports présentés par F. Nansen sur la situation des Russes de Turquie que se dessina peu à peu une image nette des réfugiés, militaires et civils. Le désœuvrement des premiers, la détresse des seconds y sont décrits avec force détail. La protection de la femme, l’éducation des enfants, le placement des orphelins sont au premier plan des préoccupations lors de la conférence internationale d’août 1921 où le chiffre de 5 enfants en difficulté est évoqué49. Par la suite des informations précises seront données dans les rapports lorsque se présenteront des cas appelant une action urgente ; des images fortes palliant le plus souvent l’absence de bilans d’ensemble.
En Bulgarie, en Yougoslavie : un accueil fraternel, une situation difficile
52La nécessité d’évacuer le plus rapidement possible les réfugiés du Bosphore avaient amené les grands acteurs de l’assistance, Russes aussi bien qu’étrangers, à se tourner vers les grands pays de la région, la Yougoslavie et la Bulgarie, où, de fait, les Russes arrivèrent par dizaines de milliers esquissant les importants mouvements migratoires du sud-est de l’Europe. Les liens historiques entre la Russie et les deux pays balkaniques favorisèrent sans aucun doute l’accueil réservé aux réfugiés. Dans le Royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes et, dans une moindre mesure, en Bulgarie, les Russes furent en effet reçus comme des hôtes privilégiés ; même si les conditions d’accueil furent loin d’être idéales en raison de la situation socio-économique particulièrement précaire dans ces deux pays. À la fin de l’année 1921 le gouvernement de Belgrade estimait à 35 000 le nombre des Russes dans le pays. La Yougoslavie fut pour les réfugiés un pays d’accueil durable en même temps qu’un territoire de transit.
53Plusieurs organisations sociales et caritatives de l’émigration russe étaient déjà implantées dans le pays lors des grandes arrivées de 1921. La Croix-Rouge russe y était présente depuis le printemps 1920, de même que le Zemgor et, en relation avec le gouvernement, ils examinaient conjointement les possibilités d’accueil des réfugiés. De son côté, le général Wrangel entretenait des rapports privilégiés avec les autorités, ce qui facilita le transfert d’unités entières de l’armée blanche dans le pays. Durant l’été 1921 près de 4 000 soldats et officiers furent ainsi transférés de l’île de Gallipoli en Serbie où ils furent incorporés dans la gendarmerie et les gardes-frontières. Les vétérans composaient la majeure partie des réfugiés russes, aux côtés d’une minorité de civils essentiellement issus, selon certaines sources de l’émigration, de familles d’anciens fonctionnaires d’État50. Les dirigeants yougoslaves allèrent jusqu’à créer une commission de soutien consacrée à la prise en charge des réfugiés qui, sous la direction du Ministre des affaires religieuses, L. Ioanovic, disposait d’un budget relativement important (6 millions de dinars mensuel, du moins au début) destiné à couvrir les besoins des exilés51.
54Le gouvernement du Royaume chercha autant que possible à assurer des emplois aux réfugiés, projet facilité par un déficit dans certains domaines d’activités (dans le secteur de la santé par exemple) et par la politique de grands travaux de modernisation en cours (en particulier l’extension du réseau ferroviaire national) demandeuse de main-d’œuvre. Vers le milieu des années vingt cependant, certains chantiers étant arrivés à terme et la situation socio-économique se dégradant, il devint évident que le pays n’était pas en mesure d’intégrer durablement la plupart des réfugiés d’où de nombreux départs, et vers la France en premier lieu.
55Bien que très favorablement disposé, pour des raisons historiques et politiques, à l’égard de l’émigration russe, le gouvernement de Sofia n’était pas en mesure de prendre en charge, sinon symboliquement, l’aide des réfugiés auxquels il avait ouvert les frontières du pays. Le transfert des Russes en Bulgarie ne pouvait constituer qu’un pis aller, compte tenu des très faibles possibilités d’insertions professionnelles existantes. Officiellement aussi nombreux fin 1922 qu’en Yougoslavie, les réfugiés se trouvèrent dans une situation beaucoup plus précaire en Bulgarie. Les importants contingents de l’armée blanche qui arrivèrent dans le pays furent, pour l’essentiel, dirigés vers le nord pour être employés dans les mines. Les travaux saisonniers de récolte ou d’assainissement forestiers comptent parmi les emplois temporaires des Russes. Leur situation se dégrada brutalement à partir de 1923. En effet, les échanges de populations gréco-turques qui conclurent le conflit entre les deux États eurent par ricochet des effets en Bulgarie. L’arrivée massive des Grecs chassés d’Asie Mineure provoqua, dès 1922, des tensions graves avec les Bulgares installés en Thrace et en Macédoine. L’accord Mollov-Kaphandaris conclut un nouveau transfert de populations et le gouvernement de Sofia dut faire face à l’arrivée de plus de 250 000 Bulgares en provenance de ces régions52. L’installation de ces « nouveaux » ressortissants devint alors prioritaire. Trois ans plus tard, le Haut-Commissariat aux Réfugiés écrivait encore : « La question des réfugiés (russes) en Bulgarie est désespérée et angoissante (…). Elle est causée par la présence de plus de 120 000 réfugiés bulgares sans travail53 » Autrement dit, les répercussions de la crise démographique au sud des Balkans se firent sentir jusque dans ce pays, affectant directement les Russes réfugiés pour lesquels la Bulgarie se révélait de jour en jour un asile de plus en plus précaire.
56Des deux grands courants migratoires qui se profilaient au début des années vingt, le premier, de la Pologne vers l’Allemagne, était de loin le plus important quantitativement et soulevait d’importants problèmes, en particulier dans les régions frontalières de l’URSS. Mais c’est le second, du Bosphore aux pays balkaniques qui monopolisa l’essentiel de l’énergie déployée en faveur des Russes exilés.
57La crise politique et démographique du Bosphore a joué un rôle décisif dans la polarisation de l’aide internationale aux réfugiés « évacués » ; au détriment de tous les autres… La priorité donnée à l’assistance aux Russes arrivés en Turquie conduisit les observateurs de Genève à opérer rapidement de fortes distinctions au sein de l’émigration. En août 1921, le Secrétaire général de la SDN précisait déjà que « si l’on se trouv(ait) en présence de groupes d’individus qui ont abandonné la Russie pour des raisons politiques ou par suite de l’échec de leurs armes, il en (était) d’autres qui (avaient) délibérément résolu de s’établir ou de se maintenir au-dehors afin de s’y créer une position durable ». Selon le Secrétaire, le terme de réfugié était « en tous cas ambigu »54.
58Dès qu’ils furent reconnus sur la scène européenne les réfugiés furent donc, pour partie, suspectés de ne pas correspondre aux critères de leur distinction politique. Ce qui amena les responsables de l’assistance à s’orienter, parallèlement aux efforts de placement des réfugiés dans les États d’Europe, vers une autre direction l’incitation au retour des réfugiés dans leur patrie. C’est ce projet du Haut-Commissariat qu’il convient à présent de retracer, et ses conséquences dans l’histoire de la migration russe.
Notes de bas de page
1 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 596, p. 54. Rapport sur la question des réfugiés russes présenté par la SDN, 21 février 1921.
2 Afrique du sud, Allemagne, Belgique, Danemark, Espagne, France, Grande-Bretagne, Pologne, Suisse, Tchécoslovaquie.
3 Archives MAE, d. 596, p. 34. Rapport sur la question des réfugiés russes à la SDN, 16 juin 1921.
4 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 596, p. 65, SDN, Réfugiés russes, analyse des documents parvenus au secrétariat à ce sujet depuis la 12e session du Conseil.
5 J. O. SDN, Rapport sur les questions des réfugiés russes et arméniens soumis à la 7e session de l’Assemblée, 5 septembre 1926, annexe I, Historique de l’œuvre accomplie. Le rapport soulignait également l’intervention décisive du gouvernement tchécoslovaque dans la création du HCR.
6 Prirent part à cette réunion la Conférence des Ambassadeurs de Russie (Conseil des Ambassadeurs), les représentants de l’Armée russe (sans précision), le Comité central de la Croix Rouge Russe, le Comité des Zemstvos et des Villes, le comité parlementaire russe, le comité national russe, l’Union pour la libération et la régénération de la Russie, l’Union commerciale et industrielle, le Comité des banques, l’Association des universitaires, l’Association des hommes de lettres, le Conseil des chemins de fer privés, l’Association des avocats et l’Association des ingénieurs. Mémorandum sur la question des réfugiés russes présenté au Conseil de la Société des Nations par la Conférence des organisations russes réunie à Paris en août 1921, Paris, imp. Union, 1921, p. 3.
7 Sur l’organisation du HCR, cf. également, D. Kévonian, Réfugiés et diplomatie humanitaire : les acteurs européens et la scène proche-orientale pendant l’entre-deux-guerres, Paris, Publications de la Sorbonne, 2004.
8 C’est ainsi qu’il se présenta dans sa première correspondance avec M. de Giers (membre du Conseil des Ambassadeurs). Une note accolée au courrier précise que M. Hainglaise avait perdu ses trois fils, « assassinés par les Bolcheviques » Archives russes de Leeds, fonds Zemgor, Ligue des Nations.
9 1 964 000 réfugiés. Cité par J. H. Simpson, The Refugee Problem. Report of a survey, Londres, Oxford university press, 1939, p. 82.
10 GARF, f. 5982, op. 1, d. 5, l. 4.
11 Cependant, par la suite, les publications d’émigrés reprirent systématiquement le chiffre de 2 millions de réfugiés russes. Boris Nikitine, « L’émigration russe en Europe», Revue des Sciences politiques, 1922, n° p. Alexandre Kulischer, « La théorie du mouvement des peuples et la guerre civile en Russie », Revue internationale de sociologie, 32, 1924, pp. 492-507.
12 2 935 000. Cf. Hans Von Rimscha, Der russische Bürgerkrieg und die russische Emigration, 1917-1921, Jena, Frommann, 1924. Cet ouvrage connut un grand succès et incita son auteur à approfondir le sujet dans un second volume (Russland jenseits der Grenzen, 1921-1926, Ein Beitrag zur russischen Nachkriegsgeschichte, Jena, Frommann, 1927) dans lequel il reprit les estimations retenues par la SDN tout en précisant que celles-ci étaient peu fiables.
13 Ekonomičeskaja geografija, Moscou, 1934, p. 81 ; E. Volkov, Dinamika narodonaselenia SSSR za 80 let, Moscou, Ekonomičeskaja Biblioteka, 1930, p. 185. Il faut souligner cependant que ces références à l’émigration russe devinrent peu à peu taboues, en particulier après-guerre. On peut prendre à témoin, notamment, l’Encyclopédie soviétique de la fin des années cinquante qui ne contient pas d’article concernant l’émigration et ne fournit à l’article « Migrations » que des indications sur l’émigration européenne d’avant 1914 alors qu’elle présente des données précises sur les migrations internes de la période 1921-1951. Malaja Sovetckaja ênciklopedija, Moscou, 1959, T.V. pp. 1251-1252.
14 Il s’agit de l’étude, déjà citée, de John H. Simpson, personnalité reconnue comme une éminente autorité dans le domaine des réfugiés depuis sa participation à la commission Morgenthau, chargée en 1923 de favoriser l’installation des réfugiés grecques d’Asie Mineure en Grèce. L’étude qui réunit un certain nombre de spécialistes sous la direction de J. Simpson, fut entreprise en 1937 et donna lieu à un premier rapport (Refugees – Preliminary Report of a survey) communiqué à la Conférence intergouvernementale d’Evian sur les réfugiés, avant d’être complétée et publiée en 1939.
15 À la fin de la décennie, certains émigrés revinrent également, avec un point de vue critique, sur les estimations de la décennie précédente et firent des évaluations encore plus modestes sur le nombre de réfugiés russes. Cf. K Partchevsky, « Statistique générale et situation légale des émigrés en France », Russie et Chrétienté, 1937, n° 1, pp. 103-107.
16 GARF, Fonds 7067, collection SDN, d. 149, Rapport concernant la liquidation de l’Office Nansen présenté au conseil de la SDN par Michael Hansson, président du conseil administratif de l’Office Nansen pour les réfugiés, en conformité de la décision de la XVIIe Assemblée de la SDN adoptée par le conseil le 29 mai 1937, Genève, 14 juin 1937.
17 Les estimations ont beaucoup varié, parfois d’une semaine à l’autre, et celles qui furent présentées au HCR étaient souvent contradictoires, ce qui n’a pas lieu d’étonner ne serait-ce qu’en raison de la mobilité importante des réfugiés. À la conférence d’août, le représentant français affirmait notamment que son gouvernement subvenait toujours à l’existence de 130 000 réfugiés de Turquie. Mais le rapport de la conférence retint le chiffre de 66 000 réfugiés russes à Constantinople. D’où les variations mentionnées dans le tableau récapitulatif. Celles qui concernent la Pologne, l’Allemagne et la France seront commentées dans l’analyse des réfugiés par pays.
18 Par Afrique, le HCR fait référence à l’Egypte qui accueillit en 1919 quelques milliers de réfugiés évacués de Constantinople, ainsi qu’à la Tunisie sous protectorat français vers laquelle fut dirigée la marine russe stationnée en mer Noire.
19 Le chiffre de 20 000 correspond aux estimations faites à la fin de l’année 1921 lorsque le gouvernement tchécoslovaque mit en œuvre sa politique d’accueil des intellectuels et des agriculteurs russes.
20 GARF, collection SDN, fonds 7067, op. 1, d. 74., J. Simpson, op. cit., p. 413, M. Marrus, Les exclus. Les réfugiés européens au xxe siècle, Paris, Calmann-Levy, 1986, pp. 115-117.
21 Dans un article de Volja Rossii de 1922, V. Lebedev soulignait que « le record du plus petit nombre d’émigrés était atteint dans le pays le plus riche et le plus puissant d’Europe, l’Angleterre… », cité par O. Kaznina, Russkie v Anglii. Russkaja êmigracija v kontekste russko-anglijskih literaturnyh svjazej v pervoj polovine XX veka, Moscou, Nasledie, 1997, p. 9.
22 Dans une lettre au ministre des Affaires étrangères où il regrettait que seuls les pays qui subissaient l’invasion des réfugiés russes se soient fait représenter à la SDN (MAE, série Russie-Europe, 1918-1929, d. 596, p. 282).
23 Dans une lettre du 5 août 1924 adressée à F. Nansen, K. N Gul’kevič précisait : « Il y a encore en Pologne un groupe considérable de personnes qui font partie de la population stable des contrées enlevées à la Russie par le traité de Riga et qu’on a pas voulu, pour diverses raisons, reconnaître comme ressortissants polonais. On est obligé, par conséquent de les considérer comme faisant partie des émigrés ». GARF, f. 6094, op. 1, d. 26, pp. 7-8.
24 Jurii Fel‘štinskij, K istorii našej zakritnosti. Zakonodatel‘nye osnovy immigracionnoj i êmigracionnoj politiki, Moscou, Terra, 1991, p. 83 et sq. Il est difficile d’estimer le nombre des ressortissants polonais qui quittèrent effectivement la Russie et l’Ukraine pour la Pologne. Dans les années vingt, les « rapatriés » étaient estimés à 1 200 000 (Statistique des émigrations continentales en Pologne, BIT, Genève, 1924), mais ce chiffre comprenait l’ensemble des « retours » de Polonais, y compris donc d’Autriche et d’Allemagne.
25 Il est impossible de savoir dans quelle mesure les réfugiés juifs de Russie furent ou non assimilés aux réfugiés russes. A. Stupnitzky, qui a étudié la situation des réfugiés en Pologne dans le cadre du rapport de J. Simpson, souligne à plusieurs reprises ce problème (John H. Simpson, op. cit. p. 360 et sq.). F. Nansen, à la tribune de la SDN, faisait les mêmes observations (MAE, série Russie-Europe, d. 596, p. 288, d. 597, p. 38, etc).
26 En Pologne, sur une population de 32 millions d’habitants en 1931, on comptait 55 000 000 Ukrainiens et Ruthènes, 1 500 000 Biélorusses, 100 000-150 000 Russes, 3 000 000 Juifs, 845 000 Allemands. Cf. C. A. Macartney, National states and national minorities, Londres, Oxford University Press, 1934, p. 514. Le recensement polonais de 1931 ne définit la nationalité que par référence à la langue maternelle (nationalité ethnique) et la religion sans prendre en compte la citoyenneté (à l’instar des recensements yougoslaves de l’entre-deux-guerres).
27 Dès 1921, par la voix de leur porte-parole, M. Šulgin, les réfugiés partisans de l’instauration d’un État ukrainien indépendant, exigèrent du HCR d’être distingués des réfugiés russes mais n’obtinrent pas gain de cause (voir à ce propos chapitre 8, 3e partie). Ils furent néanmoins représentés au sein du Comité Consultatif des Organisations Privées (CCOP), mis en place par le HCR pour participer à l’œuvre d’assistance.
28 Les travaux sur l’émigration russe en Pologne sont peu nombreux comme le souligne J. Zamojski dans un article récent („Biala êmigracja rosyjska w Polsce ; sytuacja, problemy (1919-1939) », Migracje i społeczeństzo, n° 5, Varsovie, IHPAN, Neriton, 2000, pp. 32-63. Cf. Également Andrzej Stanislaw Kowalczyk, « Warschau : die russische Emigration in Polen », Der Grosse Exodus : die russische Emigration und ihre Zentren 1917 bis 1941, Karl Schlögel dir., Munich, C. H. Beck, 1994, pp. 194-217. Les archives de l’émigration russe déposées au GARF de Moscou contiennent très peu de documents sur les réfugiés russes en Pologne, à l’exception de quelques pièces relatives au Comité d’évacuation (des armées blanches) présidé par Boris Savinkov (fonds 5866). Le fonds 5854 (Sojuz russkih êmigrantskih organizacij v Pol’še) contient 24 dossiers très dispersés dans le temps (de 1922 à 1931) et qui fournissent peu d’indications sur la communauté russe de Pologne.
29 MAE, série Russie-Europe, d. 598, p. 234.
30 GARF, collection SDN, f. 7067, op. 1, d. 175, Statistiques de réfugiés, BIT, 1925-1927. Le taux de chômage ou d’emplois précaires enregistré parmi les réfugiés russes de Pologne était de loin (en valeur absolue et relative) le plus fort de tous les réfugiés des pays d’Europe.
31 Jan Zamojski présente des chiffres bien inférieurs aux statistiques internationales de Genève mais distingue les réfugiés russes des Ukrainiens et n’engage pas de réflexion critique sur les données statistiques polonaises. J. Zamojski, art. cit., pp. 36-37.
32 Ces détachements qui se rallièrent à l’armée de von der Goltz furent d’abord commandés par le général Bermondt-Avalov qui dirigea l’offensive des Blancs en direction de Riga et auquel succéda Vassili Biskupskij. Robert C. Williams, Culture in Exile : Russian emigrés in Germany, 1881-1941, Ithaca, Cornell University Press, 1972, pp. 92-97.
33 Cf. Hans E. Volkmann, Die Russische Emigration in Deutschland, 1919-1939, Würzburg, Holzner, 1966 : Robert C. Williams, op. cit. ; Bettina Dodenhoeft, « Lasst mich nach Russland heim » : russische Emigranten in Deutschland von 1918 bis 1945, Frankfort, New York, P. Lang, 1993 Karl Schlögel (dir.), Chronik russischen Leben in Deutschland, 1918 bis 1941, Berlin, Akademie Verlag, 1999.
34 S. S. Ippolitov, V. M. Nedbaevskijj, Ju. I. Rudnecova, Tri stolicy izgnanija, Konstantinopol’, Berlin, Pariž,, Moscou, RGGU, 1999, p. 79, citant les mémoires de Hessen.
35 MAE, série Russie-Europe, d. 599, pp. 190, 218 et sq, d. 600, pp. 12-31.
36 Robert C. Williams, op. cit. pp. 112-113, John H. Simpson, op. cit. pp. 378-379. Bettina Dodenhoeft, op. cit., pp. 33-36.
37 John H. Simpson, op. cit. p. 561. Il faut souligner cependant que le HCR et le BIT présentaient des statistiques particulièrement lacunaires en ce qui concernait les réfugiés d’Allemagne. Par exemple, le bilan effectué par le BIT en 1927 sur le nombre de réfugiés sans travail ou en situation de travail précaire ne fournissait aucune donnée sur ce pays. Soulignons que les travaux récents sur l’émigration russe en Allemagne apportent peu d’éclairages sur les différentes estimations quantitatives (Karl Schlögel, op. cit., Bettina Dodenhoeft, op. cit).
38 Le ressentiment allemand à l’égard des puissances victorieuses qui incarnaient le «concert des Nations» à la SDN est bien connu. Dans le cas polonais, la question dite de Wilno contribua à des tensions durables avec la SDN qui soutenait le bien-fondé des revendications lituaniennes sur la région.
39 Les activités de la Société des Nations, op. cit., p. 15.
40 A. Izjumov établit son bilan d’après la consultation des archives de Prague, John H. Simpson, op. cit.
41 Dans ses correspondances, Barbara Bobrinsky mentionne également, mais de façon imprécise, les évacuations de l’hiver 1919 (GARF, F. 5982, op. 1, d. 3, l. 21-25).
42 Dans la présentation de ses attributions, le Bureau de Constantinople se définit comme un centre de renseignements et d’enregistrement. Il donnait la priorité à la comptabilité des réfugiés, à l’établissement d’informations générales (âge, sexe, profession, conditions de vie, etc.), qu’il transmettait aux différents gouvernements susceptibles de les accueillir. D’autre part, il se présentait comme un office au service des réfugiés, permettant en particulier le regroupement des familles dans les cas nombreux où les membres étaient partis en ordre dispersé (GARF, F. 5982, op. 1, d. 1). Il s’occupa de la redistribution des réfugiés dans les différents pays d’Europe, en collaboration avec les consulats et ambassades russes restés en fonction dans quelques États d’Europe ainsi qu’avec la Croix-Rouge américaine (f. 5982, op. 1, d. 4 ; f. 6851, op. 1, d. 148).
43 GARF, f. 5982, op. 1, d. 3, Récapitulatif des activités du Bureau de renseignements de Constantinople, 18 janvier 1921.
44 Sur l’organisation des réfugiés militaires à Gallipoli, cf. en particulier, P. Robinson, The White Russian Army in Exile, 1920-1941, Oxford, Clarendon, OUP, 2002, pp. 31-52.
45 La SDN affirmait dans son premier bilan présenté en juin 1921 qu’il se trouvait 90 000 Russes en Turquie.
46 Michael Marrus, Les exclus…, op. cit., p. 106.
47 « Le sous-secrétaire d’État américain vient de répondre (…) pour confirmer mes démarches en vue d’obtenir le concours des États-Unis pour l’aide à fournir aux réfugiés de l’armée Wrangel (…). Les conclusions de son Excellence (…) tendent à l’élaboration d’un plan applicable non seulement aux réfugiés Wrangel mais également à la masse de réfugiés répartis dans les divers pays (…). Le problème devrait, dans la pensée du gouvernement américain, être examiné sans retard et traité en tant que problème « international » (…) devant être réglé par une coopération internationale ». Archives MAE, série Russie-Europe, d. 596, p. 14, Lettre de M. Jusserand, Ambassadeur de France aux États-Unis au ministre des Affaires étrangères, M. Briand, 28 février 1921.
48 J.O. SDN, sept. 1926, Rapport du 5 septembre 1926 sur les questions concernant les Russes et les Arméniens soumis à la 7e session de l’Assemblée par F. Nansen.
49 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 596 comptes rendus de la conférence d’août 1921, pp. 235-288.
50 Garf, f. 6094, op. 1, d. 26, lettre du Zemgor à F. Nansen sur la situation des réfugiés russes, 5. 8. 1924.
51 Rossijskaja êmigracja v Turcii, Jugo-vostočnoj i central’noj Evrope 20 h. godov, E. I. Pivovar (dir.), Göttingen, RGGU-Max Planck Institut für Geschichte, 1994, pp. 42-43.
52 Micheline Billaut, « Les migrations externes de la Bulgarie », Migrations Danubiennes et balkaniques, Enise Eeckaute-Bardery (dir.), Cahiers balkaniques, n° 17, 1991, pp. 11-23, et M. Marrus, op. cit., pp. 108-111.
53 J.O. SDN, sept. 1926, Rapport du 5 septembre 1926 sur les questions concernant les Russes et les Arméniens soumis à la 7e session de l’Assemblée par F. Nanesn.
54 Archives MAE, série Russie-Europe, d. 596, SDN, 17 août 1921, mémorandum du secrétaire général, p. 290 sur la situation des réfugiés russes.
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L’exil russe
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L’exil russe
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