Chapitre 7. Évolutions institutionnelles et législatives
p. 205-242
Texte intégral
I. La création de l’institut de paléontologie humaine
A. Une démarche novatrice
1L’idée directrice de l’Institut de paléontologie humaine (I.P.H.) est de créer le cadre propice au travail sur le long terme et à la formation de nouvelles générations de préhistoriens. Le succès de cet institut va être immédiat et, au fil des années, il va se révéler être un point d’ancrage et le moteur d’une nouvelle dynamique scientifique en attirant des chercheurs et des étudiants de nombreux pays étrangers, mais également en finançant de nombreuses fouilles.
2Les années 1908-1909 sont celles de la maturation du projet scientifique qui va porter l’I.P.H. et qui s’inscrit dans une optique de rupture. Breuil et Boule sont les principaux artisans. C’est à l’occasion d’une visite au laboratoire de paléontologie du Muséum national d’histoire naturelle que le Prince Albert Ier de Monaco aurait confié à Boule son étonnement « du contraste que présentent, d’une part l’immense intérêt et l’importance philosophique de nos études et, d’autre part, la faiblesse des moyens d’action mis jusqu’alors au service de la Paléontologie humaine, science bien française et pourtant à peu près ignorée des pouvoirs officiels, académiques et universitaires de notre pays. »362
3Dans l’esprit de ses concepteurs, les perspectives scientifiques offertes à ce futur centre de recherches devaient dépasser la seule histoire naturelle de l’homme pour « le progrès de la Science sur toutes les questions relatives à l’origine et à l’histoire de l’homme fossile », c’est-à-dire étudier les origines humaines dans une perspective globale, y compris ethnographique. Cette vocation large sera matérialisée par les intitulés des chaires d’enseignement associant anthropologie préhistorique (professeur Verneau), ethnographie préhistorique (abbé Breuil) et géologie appliquée à la préhistoire (abbé Obermaier), auxquelles il convient d’ajouter les compétences propres du directeur en paléontologie (Boule) et celles du secrétaire attaché au laboratoire d’anatomie comparée du Muséum et au cabinet scientifique du Prince (Henri Neuville). Neuf, il l’est également d’un point de vue structurel (une fondation indépendante) et fonctionnel (concentration en une institution unique de l’ensemble des moyens d’études et de valorisation des recherches).
4Il se révèle en 1910 sans équivalent au monde, y compris aux États-Unis où la pratique du mécénat scientifique est pourtant ancienne. Sous l’influence implicite du modèle germanique, on assiste dans ce pays à une structuration et une professionnalisation de l’archéologie selon un schéma comprenant un institut de recherche adossé à une université, en association avec un périodique et l’accès à une maison d’édition universitaire. La professionnalisation a transformé la pratique de l’archéologie en une alliance de musées et de départements d’universités363. En juillet 1910, lorsqu’il signe l’acte de création de la Fondation I.P.H., le Prince ne se livre pas à une simple action de mécénat. Il n’entend pas limiter son soutien aux chercheurs à une aide ponctuelle, aussi généreuse soit-elle. Comme, en 1906, pour la création de l’Institut océanographique, il s’inscrit dans une perspective plus pérenne et donc plus ambitieuse, qui a pour objet de mettre en place une structure apte à assumer matériellement l’intégralité de la chaîne de production du savoir en archéologie préhistorique : de l’ouverture du chantier de fouilles à la publication des résultats et à leur diffusion, par des cours privés et des conférences publiques. Pour cela, il anticipe les moyens financiers nécessaires en dotant la Fondation d’un important capital, prélevé sur ses deniers personnels, et d’un vaste bâtiment construit par l’architecte Emmanuel Pontremoli où se côtoient laboratoires, salle de conférences, bureaux, bibliothèque et salles de collections364.
5Mais l’I.P.H. rompt aussi avec les lieux traditionnels d’expression des sciences préhistoriques en France. Il ne s’agit pas de concevoir sa légitimité sur une solidarité (comme à la S.P.F.) ou sur le partage de connaissances disciplinaires acquises individuellement (comme à la S.A.P.). Le projet est global et conforme à l’acception moderne d’un centre de recherches. C’est d’ailleurs en vain que Verneau s’est un temps déclaré favorable à l’idée de fonder, concomitamment au nouvel institut, une société scientifique nouvelle à laquelle l’œuvre du Prince serait liée. Or, Breuil et Boule voulant absolument échapper aux mêmes mésaventures que la S.P.F., la S.A.P. et l’École d’anthropologie, minées par les clans et les rivalités, ils se montrent très hostiles à cette idée, allant même jusqu’à poser comme condition à leur participation au projet du Prince le rejet de celle-ci. Une telle création aurait entraîné d’évidentes difficultés à faire coexister sur un même plan d’égalité des structures aussi dissemblables, ne serait-ce parce qu’elles auraient puisé leur légitimité fonctionnelle à deux sources différentes (le choix discrétionnaire du Prince avec l’I.P.H. alors que l’élection d’un bureau reflète les grands équilibres d’une société savante). Mais le critère sans doute décisif dans ce refus est que le premier cercle des initiateurs et animateurs de l’I.P.H. appartient à un groupe qui s’est scientifiquement émancipé de certains concepts dominants, au profit d’un rapprochement stratégique avec les sociologues durkheimiens (Hubert rejoint à cette époque le comité de rédaction de L’Anthropologie)365.
6D’un point de vue juridique, en faisant le choix de créer une Fondation reconnue d’utilité publique (par décret du président de la République Armand Fallières le 15 décembre 1910) 366, le Prince garantit l’autonomie institutionnelle de son institut et recherche la complémentarité avec les institutions scientifiques officielles françaises, en l’espèce le Muséum national d’histoire naturelle, qui est le seul établissement public à mener à Paris des recherches liées à la préhistoire (chaires de paléontologie et d’anthropologie). Les deux organismes ne sont pas scientifiquement redondants. Leur proximité est évidente (paléontologie, géologie) mais l’I.P.H. comble un manque par ses thématiques spécifiques. Au-delà, ce rapprochement formalise les relations scientifiques anciennes qu’entretient le Prince avec le Jardin des Plantes et ses chercheurs. Pour autant, il ne s’agit que d’une association car Albert Ier se méfie de « l’accaparement de l’État », craignant « qu’en rattachant au Muséum ce nouvel institut, le Muséum ne l’absorbe. »367 Dans cette perspective, une clause de dévolution des actifs de l’I.P.H. au profit du Muséum est certes prévue dans les statuts, mais en cas de dissolution volontaire ou de retrait d’autorisation. Cette disposition existe également pour l’Institut océanographique à l’égard de l’Université de Paris et le Musée d’anthropologie préhistorique de Monaco vis-à-vis de l’I.P.H.
B. Science et religion de nouveau face à face
7La notoriété du nouveau centre de recherches est immédiate et sa création est aussitôt saluée par la presse nationale et internationale. Mais, à côté de cet accueil globalement favorable, certaines réactions dénotent par une franche hostilité.
8Le sujet étant sensiblement moins « neutre » que l’océanographie, la divulgation des projets institutionnels du Prince s’est tout de suite, à son corps défendant, insérée dans l’ancien débat qui oppose la science à la religion sur la question des origines de l’espèce humaine, et qui « se rallume chaque fois que bourgeonne, sur l’arbre du savoir, une discipline nouvelle, impérialiste comme ses aînées dans leur prime jeunesse. »368 Depuis le milieu du xixe siècle, les cadres de la pensée sont bouleversés et « l’ancien monde fuit à grands pas ; mœurs, principes, croyances, arts, architecture : tout se modifie avec une rapidité surprenante, et bientôt un ordre nouveau aura pris la place de l’ancien. »369. La société française, soumise aux coups de boutoir des progrès scientifiques et industriels, est en profonde mutation. Si la vie elle-même se transforme, les référents idéologiques et spirituels pareillement. La science s’affirme de manière générale comme un enjeu philosophique et politique, quitte à se poser en nouvelle religion370. L’éclosion du positivisme fait que, comme le constatait Vitet, « ce ne sont plus maintenant des hommes, des ministres, ce n’est plus un gouvernement, c’est Dieu qu’on bat en brèche ! »371. La large diffusion des principes darwiniens d’évolution, de sélection des espèces et ses développements sur la descendance de l’homme, raniment effectivement la rivalité. Positivistes, libres penseurs et scientistes se nourrissent d’évolutionnisme et affirment que l’enseignement de l’Église s’oppose à une connaissance objective de la lignée humaine. Leur combat dépasse le cadre strict de la science « pour prendre bien souvent la forme d’un projet global de société. »372 Le clergé, tenté par un concordisme impossible, tombe parfois dans le formalisme et s’embourbe dans la défense d’une « anthropologie biblique ».
9Le Prince de Monaco lui-même est sensible à cette idéologie du progrès, l’expression d’une loi plus permanente et transcendante, formulée entre autres par Ernest Renan et qui guide les milieux scientifiques. Il fréquente alors assidûment les milieux scientifiques parisiens avancés (Sorbonne, Faculté de médecine, physiologistes et anatomistes de la Société de biologie, au sein de laquelle a pris naissance la S.A.P., Muséum) où son condisciple du collège Stanislas, le docteur Paul Regnard, directeur du laboratoire de physiologie de la Sorbonne, l’a introduit. « Par les entretiens qu’il a avec eux et par ses lectures, il est informé du bouillonnement d’idées et de théories, issues, entre autres, des travaux de Darwin, de Claude Bernard, de Pasteur, d’Ernst Haeckel. »373 Parmi ces savants de premier plan, Alphonse Milne-Edwards, son « maître dans la science »374, l’organisateur des campagnes d’exploration du golfe de Gascogne jusqu’aux Canaries et l’archipel du cap Vert menées le Travailleur (1880, 1881, 1882) puis le Talisman (1883), joue un rôle essentiel dans la maturation de sa pensée scientifique. Entre janvier et mars 1884, une exposition au Muséum présente les résultats obtenus. C’est Milne-Edwards qui encourage le Prince, marin accompli, à se consacrer à l’océanographie. D’ailleurs, après un voyage d’essai en mer du Nord et en mer Baltique avec sa goélette l’Hirondelle375, au total, ce sont vingt-huit campagnes océanographiques qu’il va mener jusqu’à la Première guerre mondiale, à bord de l’Hirondelle, de la Princesse-Alice, de la Princesse-Alice II et de l’Hirondelle II.
10La foi du Prince dans une espèce de messianisme scientifique et technique universel apparaît dans ses écrits à de nombreuses reprises, comme dès les premières pages de son ouvrage majeur La carrière d’un navigateur dans lequel il appelle à « l’union de la Science et de la Conscience. » :
« Un idéal formé par la notion des progrès futurs visite l’esprit éclairé des sages, comme la promesse lointaine d’une vraie civilisation [...]. Il peut sembler douteux qu’un idéal si noble règne jamais sur les mœurs des hommes [...]. Pourtant, une force est née du progrès, pour unir les consciences : une conscience publique s’affirme et condamne l’abus du pouvoir, soit qu’il veuille écraser un homme ou spolier un peuple ; c’est l’aurore indécise du jour nouveau qui monte à l’horizon du temps pour guider les êtres dans leur évolution continuelle. »376
11C’est le cas également à l’occasion de l’une de ses dernières apparitions à l’I.P.H., le 18 février 1922, pour l’inauguration des conférences de l’institut, où son discours use d’un vocabulaire empreint de religiosité :
« Vous êtes ici dans un temple nouveau que j’ai fait sortir de terre pour que l’Anthropologie, appuyée sur des lois solennelles, puisse planer un jour sur les mystères qui nous enveloppent. Je veux qu’elle apporte à la civilisation le concours des grandes forces contenues dans son sein et qui purifieront nos mœurs, nos idées, nos rapports sociaux, quand l’Humanité saura d’où elle vient et comprendra où elle va. »
12Et lorsque science et religion semblent devoir se heurter, le Prince affirme clairement sa position. Il en est ainsi lors de la treizième session du Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistorique de Monaco, où son discours d’ouverture du 16 avril 1906 lui permet d’affirmer sa foi en la science « qui renferme toute lumière et toute vérité » et les espoirs qu’il fonde dans l’anthropologie :
« Il est désirable qu’une vérité scientifique remplace la légende qui raconte aux hommes, sous tant d’aspects différents et pour satisfaire une mentalité obscure, la genèse de leur formation. [...] L’anthropologie, maîtresse de faits reconnus et de formules exactes, [qui] guidera, un jour, vers des lois meilleures la morale des sociétés humaines encore flottante parmi les variétés des religions et les suggestions d’une barbarie atavique. Elle renferme un peu de la lumière qui montrera la vanité des haines entre les races, des compétitions territoriales et des guerres suscitées par l’ignorance ; un peu de la raison qui fera substituer, dans le gouvernement des peuples, un esprit plus sain aux mirages stérilisants de l’ambition politique. »377
13La remise en cause du récit biblique des origines peut surprendre de la part du souverain d’une principauté qui ne connaît pas le principe de séparation de l’Église et de l’État. On peut voir dans cette allusion à la fois l’influence des théories darwiniennes et une référence à la crise de l’exégèse biblique et du modernisme que traverse alors l’Église catholique. En ces matières, la position du Prince est pour le moins complexe. En témoigne l’épisode de la nomination en 1902 de l’évêque de Monaco.
14La principauté de Monaco n’a été érigée en diocèse dépendant directement de Rome qu’en mars 1887. Lorsque son premier évêque meurt (11 novembre 1901), la nomination de son successeur relève du Saint-Siège, mais le Prince a un droit de présentation. Au début de l’année 1902, celui-ci dresse une liste de trois noms assez peu consensuels, ceux des abbés Félix Klein, Alfred Loisy et Chéri-Louis Pichot. Loisy est alors une figure très controversée de l’Église car « à ses adversaires, [il] paraissait un autre Renan, pire que le premier, tandis que ses défenseurs évoquaient à son propos le procès de Galilée ou même, plus proche et plus irritante, l’affaire Dreyfus. »378 Destitué pour tendances modernistes de son cours à l’Institut catholique depuis 1893, il a ouvert en 1900 un enseignement à l’École des Hautes Études et se prépare à faire paraître L’Église et l’Évangile. L’abbé Pichot, quant à lui, a subi les foudres de l’évêque de Limoges après ses prises de position en faveur de Dreyfus et, depuis 1900, a trouvé refuge à la paroisse Sainte-Dévote de Monaco. Quant à Klein, ami et confident de Loisy, il a été impliqué dans la controverse de l’américanisme. Très rapidement, la rumeur des noms projetés circule, mais Klein et Loisy doutent que Rome puisse accueillir favorablement leur candidature. Effectivement, Rome repoussera par deux fois les trois candidats présentés par le Prince379.
15Les préhistoriens de la génération formée au xixe siècle composent une communauté dominée par le scepticisme et le matérialisme, qui prend parfois des accents militants avec des personnalités comme G. de Mortillet. « Impérieux et dogmatique comme un fondateur d’Église »380, il revendique pour la science seule l’intuition de la vérité et dénonce « les modes de connaissance concurrents, qui cherchent derrière le monde matériel une réalité métaphysique cachée, la philosophie et la religion. »381 Pour lui, les religions veulent « s’opposer en tout et partout au progrès des sciences »382, quitte à les « accaparer » pour mieux les contrôler383. Ceux qui, comme Cartailhac, ont au mieux le souci d’apaiser les esprits, tentent de renvoyer dos à dos les protagonistes. Lorsqu’il prend la suite de Mortillet à la tête des Matériaux pour l’histoire positive et philosophie de l’homme, il s’empresse d’en changer le titre en Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme et d’informer ses lecteurs qu’ils n’y trouveront jamais « l’analyse des articles de pure polémique entre la science et la religion. [...] Nous ne sommes pas métaphysiciens, encore moins théologiens, et notre recueil est géologique, paléontologique et anthropologique. »384 Au tournant du siècle, à la mort de Mortillet, la volonté d’apaisement est manifeste385. Pour preuve, la S.P.F., où l’influence de sa pensée est grande, affiche la volonté d’exclure « toute discussion politique ou religieuse »386 de ses séances. Il est vrai que la situation a évolué.
16Au début de xxe siècle, de nombreux ecclésiastiques contribuent sur le terrain de manière déterminante à faire progresser les recherches préhistoriques et par conséquent à reculer la date d’apparition de l’Homme. « Il n’y a plus que les prêtres maintenant pour faire quelque chose ! » se serait exclamé un Boule, pourtant peu suspect de cléricalisme387 et, avec ironie, le directeur du Muséum s’exclame que « Dieu lui-même s’emploie à convertir son clergé à des idées nouvelles sur l’antiquité de ses œuvres. »388 À l’annonce de la création de l’I.P.H., La Raison catholique pourra même écrire, non sans malice, que « cette science de l’Homme préhistorique était devenue, avec les de Mortillet, un instrument de lutte antireligieuse, la voilà maintenant devenue presque une spécialité du clergé. »389
17Dans un tel contexte intellectuel, les fondateurs de l’I.P.H. ont eu tout de suite conscience que le fait de nommer des prêtres à deux des chaires d’enseignement pourrait poser problème. En 1909, Breuil s’est enquis très directement de l’avis du Prince à ce sujet, pour lui-même et son ami Obermaier390 :
« Au sujet de la question “cléricale” ou si vous voulez “Breuil et Obermaier”, il y a eu aussi de sa part une manifestation très nette qui m’a surpris. Je lui disais : “M. Boule m’a fait observer qu’il pourrait y avoir inconvénient à ce que si un ecclésiastique est titulaire, il y en ait un second ; par exemple, à supposer que je sois titulaire, il y aurait inconvénient à ce qu’Obermaier le soit aussi”. Je lui ai dit que cela me paraissait raisonnable et avait un fondement dans l’état des esprits. Il m’a répondu très vivement : “Mais je ne suis pas du tout de cet avis” et m’a développé cela de telle façon que je ne doute pas qu’il n’ait réellement songé à Obermaier. Dans ces conditions, vous comprendrez que je n’ai pas à en détourner le Prince. Je vous mets très objectivement au courant de ce point spécial et que vous n’y verrez aucune arrière-pensée de ma part. Mon attitude est donc celle-ci : si le Prince désire Obermaier, en dehors de toute suggestion de ma part, et même après l’inverse, ce n’est pas à moi de l’en détourner, et, le Prince jugeant, ex informatio conscienstia, que cela se peut, si Obermaier en bénéficie, je ne puis comme son ami intime, que m’en réjouir. »391
18Bien que partie prenante au projet, Verneau lui-même ne cache pas ses préventions. Ce qu’il rappellera plus tard :
« On ne manquera pas de m’accuser une fois de plus d’avoir la phobie du prêtre. [...] J’aurais préféré certainement – et je ne l’ai pas caché – que les titulaires des deux premières chaires ne fussent pas des hommes imbus, quoique vous en disiez, d’idées qui ne peuvent leur laisser toute liberté d’esprit ; mais je n’avais quà m’incliner devant le fait accompli. »392
19Mais, de manière publique, c’est essentiellement à partir de novembre 1910 et de l’annonce officielle de la création de la Fondation I.P.H.393 que les réactions vont s’exprimer.
20L’information à peine connue, le « clan Mortillet » sonne la charge dénonçant pêle-mêle une opération cléricale, l’incompétence des « prêtres-préhistoriens » et un acte anti-français (Obermaier est citoyen allemand). L’Homme préhistorique, revue lancée par les « disciples » de G. de Mortillet, ouvre le feu en marquant sa surprise à l’égard de l’équipe professorale de l’I.P.H. composée entre autres de deux prêtres :
« De deux choses l’une : ou ces abbés sont libres de formuler leurs sentiments sur les conséquences morales qu’on est en train de tirer des découvertes scientifiques et alors ils se mettent en dehors des prescriptions de l’Église à laquelle ils appartiennent et dont la papauté prouve en ce moment qu’elle ne veut pas qu’on s’écarte ; ou ils ne le sont pas, admettent le serment anti-moderniste et la sujétion de la science à la religion et ne peuvent étudier impartialement les questions philosophiques et morales qui se déduisent des nouvelles découvertes anthropologiques et archéologiques. Nous ne parlons pas de la valeur des deux abbés comme préhistoriens techniciens bien que le savoir-faire dont s’entoure leur réel savoir ne soit pas fait pour en augmenter le mérite aux yeux des savants plus modestes ou moins journalistiques qu’eux. » 394
21Adrien Guébhard, l’« aimable et infortuné mari de la belle et ardente Séverine »395, est, avec le docteur Henri-Martin, le parrain de Breuil au sein de la S.P.F. Or, de façon surprenante, la séance de la Société du 24 novembre 1910 est l’occasion d’annoncer l’admission de l’abbé et, dans le même temps, pour Guébhard, de s’insurger contre « le patriotisme de la science officielle » qui n’a « rien trouvé de mieux que d’importer, en chair et en os, à la tête de l’enseignement préhistorique – et des fouilles – de France... un abbé bavarois de l’Université de Vienne et un professeur de l’Université jésuite de Fribourg en Suisse ! » Pour lui, « c’est donc bien la “Préhistoire du dehors” qui, avec l’or de Monaco, va venir faire la leçon à la pauvre – bien pauvre, mais honnête ! – vieille préhistoire française. »396
22La publication par Breuil dans la Revue scientifique d’un long article annonçant la création de l’I.P.H. est loin de calmer les choses. Ce texte, au style pour le moins ampoulé, doit agacer plus d’un lecteur. L’auteur y est surpris en plein exercice de flagornerie à l’égard du Prince et fait preuve d’une fatuité parfaitement assumée à l’égard de sa propre activité scientifique. Emporté par une espèce d’arrogance, il se laisse aller à des digressions spiritualistes :
« L’Homme veut connaître d’où il vient, par quelle suite d’affinements successifs, Dieu, cause suprême et universelle, a parfait l’amenuisement proportionné de ses membres habiles et forts, l’entrelacement exact des connectifs de son cerveau, si grand par les concepts qui s’y élaborent, si débile dans la fragilité de ses rouages complexes. Il veut retrouver les vestiges des ébauches qui marquèrent les étapes de ce labeur séculaire. »397
23Est-ce une provocation ou, au contraire, l’expression d’un sentiment de nécessité par rapport à son état d’ecclésiastique et à sa hiérarchie, qu’il craint de voir effarouchée par la présence d’un clerc dans une telle institution scientifique ? Quoi qu’il en soit, ce texte va avoir pour conséquence d’en susciter de nombreux autres dans la presse catholique, dont un de J. Bouyssonie dans la Revue pratique d’apologétique et une profusion de chroniques dans La Semaine religieuse des différents diocèses, et pour contrecoup une prompte et forte riposte du parti matérialiste. Réplique d’autant plus vigoureuse qu’elle intervient dans une ambiance électrique en raison du projet de loi sur les fouilles.
24Le 26 janvier 1911, Guébhard reprend l’offensive dans le Bulletin de la S.P.F. en prenant prétexte d’une lettre que lui a expédiée Breuil en réponse à sa chronique de la fin de l’année 1910. Guébhard dénonce le risque de voir le « trust déjà réalisé des grottes à peintures » (l’association Breuil-Capitan-Peyrony) complété par « celui des fouilles paléolithiques de France ». En effet, pour lui « les promoteurs mêmes de l’intéressante fondation nouvelle obtenue du généreux ami des sciences qu’est le Prince de Monaco » sont ceux qui œuvrent en coulisses pour le projet de loi sur les fouilles398. Indigné, Breuil se tourne vers Coutil, président de la S.P.F. pour 1911, et lui propose sa démission de la société. Dans sa réponse, après une pétition de principe sur le respect réciproque que se doivent les membres de la S.P.F., Coutil s’en prend également à la nouvelle institution scientifique créée par le Prince :
« Je dois vous dire que l’institution du Prince ouvrant ses portes exactement le jour où nous fêtions notre reconnaissance d’utilité publique, fut accueillie froidement par nous399 ; car il était forcément trop visible que la date avait été choisie tout exprès. On dira ce que l’on voudra, mais personne ne pourra admettre les explications destinées à tromper l’opinion. »
25Il suggère ensuite une explication très personnelle sur la motivation réelle des critiques dont Albert Ier est l’objet :
« Certains francs-maçons estimant le Prince comme étant un des leurs (il en a donné assez de preuves) ils ont trouvé étrange qu’il prît deux prêtres pour professer l’archéologie préhistorique ! ! »400
26L’affaire aurait pu en rester là, mais Guébhard rédige et diffuse une petite brochure au ton très fielleux401. Selon lui, le projet législatif sur les fouilles ne représenterait qu’un épisode d’une « campagne depuis longtemps ouverte » contre « la seule des sciences qui, après l’Astronomie, apparaisse encore comme susceptible de porter au dogme quelque coup : la Préhistoire. ». Les agents principaux de cette manipulation seraient « Deux Éliacins de la préhistoire, à peine pourvus, chez nous, d’humbles grades universitaires, subitement investis, hors frontières, du titre improvisé de professeurs de préhistoire, en de lointaines universités où le besoin ne s’en faisait nullement sentir, l’un l’Allemand, à Vienne, à l’ombre de personnalités comme Much, Hoernes, etc. l’autre, brillant astre de passage, en la petite université suisse, autrefois jésuite, de Fribourg. » Avec eux, « Les abbés tiennent leur abbaye, et le Pape tient, ou peu s’en faut, la Préhistoire ». Il entrevoit une machination de grande envergure dans laquelle le parti clérical a su utiliser à ses fins « sans qu’ils s’en doutent, les instruments les plus inattendus : juifs et libre-penseurs, instituteurs laïques et professeurs d’État, un Prince de race et des ministres de la République ! ». Nous distinguons ici l’instituteur Peyrony et les fondateurs et membres du conseil d’administration de l’institut, que Guébhard reconnaît également comme étant les « élaborateurs du fameux projet de loi » qui, s’il était adopté, n’aurait pour résultat que « d’achever de tout livrer chez nous à un Allemand ! À un Allemand, prêtre romain – donc doublement étranger ». À cette « action jésuitique », Guébhard oppose la foi en la science naguère professée par le Prince lors du congrès de Monaco de 1906, tandis que s’imposent des idées et « ce jeune abbé Breuil, à qui rien de la préhistoire n’est étranger ! Et spéléologue si accompli, peintre si talentueux, qui ne peut sortir d’une caverne sans en rapporter d’admirables dessins ! Et écrivain si alerte, tranchant de tout devant l’Europe en extase, qui n’attend de lui que paroles d’Évangiles, et qui encense, comme le fin du fin de la science, cette juvénile ardeur à se poser soi-même en juge sans appel du Paléolithique de tous les mondes ! » Guébhard en appelle au Prince : « Était-ce la peine, alors, Prince qui méritiez si bien de n’être que Prince de la science, était-ce la peine qu’eussent été effacés des armoiries dominant le fronton de l’Institut Océanographique les deux grands moines de pierre qui soutenaient, au nom d’un calembour héraldique, l’écusson des Grimaldi, s’il fallait qu’on vît, presque aussitôt, une autre création du plus libéral des Mécènes encadrée par deux figures vives d’Inquisiteurs, terriblement menaçantes pour “la Lumière, la Justice, la Vérité !” »
27Sur le plan idéologique, cette attaque violente ne peut surprendre d’un Guébhard connu comme libre-penseur et mécène du Cri du peuple de Jules Vallès, par l’entremise de sa femme la journaliste Caroline Rémy (Séverine). D’un point de vue plus factuel, nous savons qu’il est l’un des plus zélés meneurs de la fronde contre le projet de loi réglementant les fouilles. En revanche, l’ardeur de ses attaques est sans commune mesure avec les précédentes, ne serait-ce parce qu’il met en doute l’honneur et la probité de Obermaier et surtout de Breuil, qu’il accuse à demi-mots d’être un faussaire des grottes ornées. Du côté de l’I.P.H., l’agression est durement ressentie. Cartailhac y voit un « venimeux, injuste et odieux libelle » et se tourne vers Reinach :
« Pendant que vous écriviez pour la Revue archéologique une note sur l’Institut de P.H. mettant spirituellement en lumière les inquiétudes de l’Univers et de l’Église, M. Guebhard enfantait un acte d’accusation que publie la Grande revue 25 juillet “l’Église et la préhistoire”. Il a mis tout son talent à distiller du venin dans le texte et entre les lignes. Je crois qu’il a réussi à n’être que ridicule tout en dévoilant la colère et la haine et la jalousie de son groupe et son mauvais esprit personnel. Ils ne peuvent nuire qu’à eux-mêmes. »402
28À Breuil qui fulmine, Boule conseille de garder son calme :
« Nous sommes dans une période difficile à beaucoup d’égards. Il faut de la prudence et du sang-froid. Je me permets de vous recommander d’en avoir. Pour le moment il faut laisser dire et laisser faire... »403
29De son côté, Obermaier recommande l’apaisement, considérant que la publicité du succès de leurs travaux sur le terrain sera la meilleures des réponses404.
30Coutil, quant à lui, commence à trouver Guébhard bien embarrassant car il craint que ses débordements ne fassent une mauvaise publicité à la S.P.F. Il est d’autant plus ennuyé qu’il a tenté, peu de jours auparavant, d’attirer à lui le Prince de Monaco. Il lui avait écrit pour s’étonner qu’il ne fasse pas encore partie de la S.P.F. et lui demander de l’argent pour éditer les travaux des membres de la Société. Sa missive, transmise pour avis à Boule par le cabinet du Prince, reçoit du paléontologue une fin de non-recevoir :
« J’estime que S.A. ferait bien de ne pas donner suite à la demande de M Coutil qui est un brave homme aux excellentes intentions, mais qui ne peut apprécier avec un esprit indépendant la situation morale de la Société qu’il préside. La Société Préhistorique de France comprend en effet, à côté de quelques amateurs éclairés, une foule de personnes qui compromettent la science en croyant la servir. Le petit monde des anthropologistes et des préhistoriens est très divisé. Des dissidences successives ont fragmenté la vieille Société d’Anthropologie de Broca en plusieurs société rivales. Les membres de ces divers groupements se livrent trop souvent à des polémiques personnelles et basses où la science n’a rien à voir. En s’inscrivant à la Société Préhistorique, dont certains membres, parmi les plus influents, fondateurs et anciens présidents, ont été à diverses reprises plus que discourtois avec Elle, S.A. paraîtrait prendre parti pour un de ces groupements et mécontenterait les autres. En fondant l’Institut de Paléontologie humaine sur des bases vraiment libérales et indépendantes, en voulant que cet institut soit ouvert à toutes les compétences réelles, à tous les savants capables de faire avancer nos connaissances sur l’Homme fossile, le Prince a prouvé, d’une façon magnifique, son attachement à la Préhistoire. Et la meilleure preuve de bienveillance que S.A. ait pu donner aux hommes de mérite qui font partie des diverses sociétés rivales a été de mettre à leur disposition les moyens d’action et d’étude dont dispose l’institut. »405
31Coutil tente alors de se justifier auprès de Déchelette, connu comme préhistorien catholique et ami de Breuil, avec l’espoir qu’il intervienne pour calmer les esprits406, et incite Breuil à renoncer à sa démission de la S.P.F. :
« Tout cela n’est que pure jalousie et franc-maçonnerie. Au fond vous payez un peu pour le changement d’attitude du Prince qu’ils croyaient leur prisonnier ; ils ne peuvent lui pardonner d’avoir chargé deux prêtres d’enseigner et comme ils sont impuissants contre le Prince, ils s’abattent sur vous, c’est beaucoup plus facile. Voilà toute l’histoire en quelques lignes et ne cherchez pas autre chose. J’ignorais totalement que c’étaient M.M. H. Martin et Guébhard qui étaient vos parrains ; sans cela j’aurais insisté encore plus. C’est invraisemblable de voir un parrain attaquer le membre qu’il a fait admettre quelques mois avant ! ! ! [...] »407
32Ces violents échanges rappellent l’opposition sourde entre deux camps d’autant plus antagonistes que l’un d’entre eux, l’I.P.H., se place délibérément en rupture avec des structures comme la S.P.F., mais également avec la « chape des idées de l’“école” » Mortillet qui pèse alors sur cette Société. Ainsi, il est significatif que L’Anthropologie, animée par les professeurs du Muséum Boule et Verneau, n’ait pas jugé nécessaire, en 1904, de signaler à ses lecteurs la création de la S.P.F. alors qu’elle donne régulièrement des nouvelles des travaux de diverses sociétés savantes de province plus ou moins obscures.
33Des attaques viennent également de l’autre bout de l’échiquier philosophique. Elles sont lancées dans L’Univers du 11 décembre 1910. Après avoir rappelé le « républicanisme » du Prince de Monaco (« petit souverain monégasque qui fut, on s’en souvient, si activement favorable à la politique de Séparation et qui, d’ailleurs, est laïciste au point d’avoir laïcisé à la façade de son institut océanographique ses propres armes »), Édouard Bernaert s’y inquiète des buts poursuivis par « les sectaires qui nous gouvernent : ceux-ci laïcisent le présent et se flattent ainsi de laïciser l’avenir : ceux-là ne les aident-ils pas en laïcisant le passé ? » Dans l’édition du 18 décembre, c’est Alphonse Lambs qui raille le goût du Prince pour les instituts et les collections anthropologiques :
« Des crânes, des fémurs, des tibias et des mâchoires plus ou moins authentiques d’ancêtres très problématiques, s’aligneront donc en de superbes galeries. Naturellement, une place d’honneur sera réservée – soigneusement réservée, n’en doutons pas – aux débris de cet insaisissable “homme tertiaire” qui jusqu’à ce jour s’est dérobé à toutes les recherches. Vous savez bien, ce fameux chaînon qui doit relier les grands singes anthropoïdes à l’homme quaternaire ? Eh bien ! Ce chaînon manque toujours à l’appel. »408
II. L’Université ignore la Préhistoire
34La question de l’enseignement et de la recherche est fondamentale pour l’institutionnalisation des disciplines émergentes et par conséquent pour les sciences préhistoriques. À l’image des difficultés rencontrées par l’ethnologie, l’absence d’enseignement officiel de préhistoire, c’est-à-dire de chaires d’Université, va longtemps obérer la pérennisation de la discipline, la cantonnant à une marginalité académique, que ce soit en terme de corpus commun de formation ou de renouvellement des chercheurs.
35Historiquement, le premier centre d’enseignement est directement lié à la création de la S.A.P. par Broca en 1859. Dès 1867, il prend la décision d’annexer à la Société un laboratoire d’étude, destiné à l’initiation des élèves aux méthodes de recherche et à l’instruction technique. En 1868, il est rattaché à l’École des Hautes études que vient de créer Victor Duruy. Là, Broca y donne des leçons régulières. Le succès de l’entreprise le contraint de transférer ses cours dans l’amphithéâtre de chimie de la Faculté de médecine et l’amène à envisager la fondation d’une école permanente avec plusieurs enseignements. C’est ainsi qu’est créé en 1875 le premier centre d’enseignement des sciences anthropologiques qui, avec le soutien de la ville de Paris – propriétaire des lieux – et l’autorisation de la Faculté de Médecine, est accueilli dans l’ancien réfectoire du couvent des Cordeliers, où sont exposées les pièces du musée d’anatomie pathologique Dupuytren. Le 15 novembre 1876, s’ouvre l’enseignement sur la base d’un programme regroupé autour de six chaires dont une d’anthropologie préhistorique dirigée par Mortillet. Le 22 mai 1889, l’Association pour l’enseignement des sciences anthropologiques (c’est-à-dire l’École d’anthropologie) est reconnue d’utilité publique. À cette date, l’École comprend déjà huit chaires et, en complément de celle d’anthropologie préhistorique, Mortillet fils, qui dispensait un cours complémentaire sur le Paris de la préhistoire, prend la direction d’une chaire d’ethnographie comparée. Au décès de son père (1898), c’est Capitan qui prend la suite de l’enseignement de paléoanthropologie. En 1900, l’École d’anthropologie propose quinze chaires dont quatre prennent en considération l’homme fossile et les temps préhistoriques : paléontologie humaine (Verneau), anthropologie préhistorique (Capitan), protohistoire (Dussaud), technologie ethnographique (A. de Mortillet)409. De 1903 à 1927, Léonce Manouvrier porte à bout de bras le laboratoire de l’École pratique des hautes études (E.P.H.E.). En 1927, à sa mort, Georges Papillault lui succède. Son propre décès, en 1934, place le laboratoire dans une situation difficile. C’est Raoul Antony, professeur d’anatomie comparée au Muséum et directeur du laboratoire de zoologie comparée de l’E.P.H.E., qui en prend la direction. En 1937, le laboratoire Broca est administrativement réuni à celui d’anthropologie de l’E.P.H.E., créé à Toulouse par Henri-Victor Vallois. Jusqu’en 1940, S.A.P, École et laboratoire étaient demeurés dans les locaux des Cordeliers. Mais le doyen de la Faculté de médecine décide de se réapproprier les locaux malgré l’opposition de Vallois410, avec pour conséquence « la destruction du bel ensemble créé par Broca et qui avait une réputation mondiale »411. Vallois fait alors déposer, par les soins du préparateur de l’I.P.H., « dans la cave de l’une des salles de dissection de l’École pratique (de médecine) »412, les milliers de pièces des collections amassées depuis l’époque de Broca (squelettes d’adultes et d’enfants de populations actuelles et fossiles, squelettes de primates, moulages, cerveaux, instruments scientifiques).
36Soutenue activement par le Parlement, le conseil municipal de Paris et le conseil général de la Seine où elle dispose d’actifs relais politiques, l’École d’anthropologie connaît, jusqu’aux années 1910, un réel succès. Les cours publics et gratuits, qui se tiennent des mois de novembre au mois d’avril, attirent un très grand nombre d’auditeurs (évalués à 181 500 pour un total de 2 939 leçons entre 1877 et 1896413), dans lesquels Clémence Royer voyait « souvent, et presque toujours, un public plus nombreux et surtout plus régulier, plus sérieux que les auditoires du Muséum ou du Collège de France. »414. Les étudiants étrangers sont nombreux à réclamer un certificat d’assiduité qu’ils présentent ensuite à l’appui de leurs candidatures à des postes scientifiques dans leur pays, où bien souvent ils « développèrent à leur tour des écoles florissantes »415. Pourtant, parce qu’il n’est pas reconnu par l’Université et malgré les vaines démarches entreprises par Broca pour obtenir la création d’une chaire d’anthropologie, cet enseignement n’obtiendra jamais la légitimité à laquelle il aurait pu prétendre.
37Les cours libres proposés dans les universités de Toulouse et de Lyon viennent très tôt en complément de cet enseignement privé. À la faculté des sciences de Toulouse, c’est en 1883 que Cartailhac a débuté sa première leçon d’anthropologie et d’« histoire naturelle de l’homme » dans l’enthousiasme, au mot d’ordre « Par le travail ! Pour la patrie ! » et en présence du recteur d’Académie, du doyen et des professeurs. Mais il ne s’agit que d’un cours libre soumis à l’autorisation annuelle du ministre. Dès 1884-1885, la réussite de ce cours de préhistoire est acquise puisque l’amphithéâtre est à chaque fois plein (environ 150 personnes)416. Victime de son succès et de la jalousie des professeurs titulaires, selon Boule417, l’enseignement est interrompu à la fin de l’année 1888 et reprend en 1893, cette fois à la Faculté des lettres. En janvier 1907, ce cours libre est transformé en cours complémentaire, c’est-à-dire officiel, d’archéologie préhistorique par le doyen de la faculté des lettres avec une petite indemnité de 1 000 francs « à laquelle le Ministère refusa de participer »418. En 1921, grâce à l’intervention de Boule, ancien élève de Cartailhac, le cours prend la forme d’un certificat d’archéologie préhistorique de licence, délivré sous l’autorité d’un universitaire (le titulaire de la chaire d’histoire ancienne), avec pour heureuse conséquence de faire bénéficier le vieux maître d’une rétribution en l’assimilant aux « chargés de cours avec indemnité ». À côté de cet enseignement semi-officiel, Cartailhac donne un peu partout, en France et à l’étranger, de nombreuses conférences de vulgarisation sous forme de leçons qui connaissent une très grande affluence qui démontre « que la création de cours officiels d’anthropologie préhistorique dans les universités répond réellement à un besoin public, dont l’État ne saurait continuer plus longtemps à se désintéresser. »419
38À Lyon, Broca avait fait remarquer, lors de l’inauguration de la galerie des sciences anthropologiques du Muséum d’histoire naturelle de la ville en 1869, que « les dépenses pour un musée ne sont pas justifiées, si à côté des collections il n’y a pas des laboratoires ». « Songez à créer des cours ! »420 avait-il alors dit à Chantre. Suivant son conseil, celui-ci avait organisé un cycle de conférences d’anthropologie au sein du Muséum puis, aidé par la municipalité, créé un laboratoire de recherche équipé en collections et équipements grâce à des subventions de l’A.F.A.S. C’est à partir de 1881, qu’il ouvre un cours complémentaire d’anthropologie à la Faculté des sciences de Lyon et dont les travaux pratiques se déroulent au Muséum. L’enseignement n’est pas, à proprement parler, exclusivement dédié à la paléontologie humaine, il s’inscrit dans une anthropologie physique et culturelle intégrant passé et présent. En 1909, le cours change d’intitulé (anthropologie et paléontologie humaine). Il est rattaché en 1920 aux enseignements de la chaire de géologie et devient alors obligatoire pour les candidats au certificat de géologie.
39Au Muséum national d’histoire naturelle, la question de l’enseignement est complexe car sa caractéristique est la « liberté absolue », par conséquent « c’est parce que le Muséum a toujours été le centre d’un enseignement sans contrainte dont le rôle officiel était justement d’élargir, si paradoxal que cela soit dans les mots, l’enseignement officiel, qu’il a été le berceau de tant de sciences et qu’il a été le premier asile officiel de l’Anthropologie. »421. Armand de Quatrefages donne une tournure décisive à la chaire d’Anatomie et d’histoire naturelle de l’homme en la transformant, en 1855, en première chaire d’Anthropologie au monde. Il y aborde tout à la fois la question des hommes actuels et hommes fossiles et complète son enseignement par des « conférences pratiques ». Jusqu’à son décès en 1892, l’influence de ses cours est très grande sur tous les anthropologues. Mais, à partir de la disparition de Broca, il va être en quelque sorte l’une des victimes de la prise en main de l’École d’anthropologie par un courant militant, matérialiste, anticlérical et polygéniste, ce dont ses successeurs, Hamy (entre 1892 et 1908), qui était pourtant un ancien élève de Broca, puis Verneau, vont également souffrir en étant l’objet de nombreuses attaques. Néanmoins, les cours magistraux du Muséum vont être complémentaires des travaux pratiques du laboratoire Broca. Les deux établissements offrent un ensemble cohérent qui aurait pu être celui d’une chaire d’anthropologie de la faculté des sciences, si celle-ci avait accepté un tel enseignement, car le Muséum ne peut alors délivrer aucun diplôme et octroie seulement des certificats d’assiduité aux étudiants. Le problème récurrent de cet établissement réside dans sa nature même puisqu’il est à la fois un musée et un centre de recherche. Son bien-fondé comme centre d’enseignement lui est constamment contesté et les professeurs de la Sorbonne sont les premiers à lui dénier ce rôle, y voyant une concurrence inutile à leurs travaux422. A contrario, dans des domaines scientifiques comme l’anthropologie ou la préhistoire, où l’Université est totalement absente, le Muséum trouve alors une place justifiée.
40Poussée par le docteur Léonce Levraud, la ville de Paris se lance à partir de 1890 dans un vaste projet d’université municipale. À partir de 1892, en raison du succès remporté par cette Sorbonne municipale, un « cours d’enseignement populaire supérieur » d’anthropologie est confié à Verneau en complément de celui de Georges Pouchet. Jusqu’en 1898 son enseignement fait la part belle aux questions de paléontologie humaine. Dès la première année, il aborde la question générale de l’ancienneté de l’homme, puis les années suivantes des thèmes comme le transformisme, les « Races humaines (nègres et jaunes) », les « Races préhistoriques sauvages et modernes » ou un « Parallèle embryologique, anatomique, intellectuel de l’homme et des mammifères ».
41À partir du 8 décembre 1882, c’est-à-dire de la leçon d’ouverture du cours d’archéologie nationale de Bertrand, l’École du Louvre fait à la préhistoire une petite place. À cette date, le Collège de France a un cours d’archéologie égyptienne, la Sorbonne un cours d’archéologie générale ou plutôt d’histoire de l’art, l’École des Chartes a un cours d’archéologie monumentale. Bertrand entend faire de « l’archéologue un auxiliaire de l’historien » y compris par la formation pratique au « métier d’archéologue » puisque cinq leçons seront données dans les ateliers du Musée des Antiquités nationales. Constatant que l’archéologie a des adeptes, des musées et des publications, il considère qu’elle achève sa reconnaissance avec son enseignement qui porte également sur les époques les plus reculées, celles de « l’homme tertiaire et l’homme quaternaire en Gaule »423. À partir de 1890, c’est Reinach qui supplée puis succède à Bertrand dans cet enseignement en lui conservant une approche intégrant la préhistoire.
42En 1905, l’entrée de Jullian au Collège de France, permet d’intégrer le Paléolithique à l’enseignement de la chaire d’Histoire et d’Antiquités nationales. Sa leçon d’ouverture de l’année 1907 est même un vibrant « Plaidoyer pour la Préhistoire ». L’élection de Breuil en 1929 au Collège de France dans la première chaire de préhistoire donne l’espoir, un temps, qu’une reconnaissance prochaine par l’Université va intervenir. Mais, de par la nature même de l’institution, cette reconnaissance se place en marge en raison d’un principe de division du travail entre lui et l’Université que résume Charles-Victor Langlois en ces termes : « D’un côté de la rue Saint-Jacques, on “fait la science”, de l’autre côté, on s’applique à enseigner la “science faite” »424. Le Collège de France abrite en quelque sorte « la contestation culturelle », les singularités scientifiques que l’Université se refuse parfois à accepter425 et, comme le remarquera Raymond Vaufrey, « Les chaires du Collège de France sont essentiellement attachées à un homme, dont elles consacrent le passé et assurent l’avenir. Lorsque cet homme disparaît tout est remis en question. »426 (de fait la chaire disparaîtra en 1947 lorsque Breuil sera atteint par la limite d’âge). De plus, la consécration personnelle de Breuil ne peut faire oublier que, l’année de son entrée au Collège de France, l’Allemagne compte douze chaires ou instituts universitaires d’anthropologie, plus un certain nombre consacrés à l’ethnologie ou à la préhistoire.
43L’I.P.H. affiche dès sa création la volonté de former une nouvelle génération de préhistoriens. Retardés par la Première guerre mondiale, les cours de l’institut débutent officiellement en 1922 et jusqu’à la Seconde guerre mondiale ils vont attirer chaque année en moyenne une vingtaine d’étudiants, en particulier étrangers. Il se place à l’écart du système académique et n’offre donc qu’une formation initiale ou complémentaire, non reconnue par l’État et non sanctionnée par un diplôme. L’idée de formaliser cet enseignement en créant un diplôme ou un certificat qui serait délivré aux élèves et aux travailleurs de l’institut sera évoquée en 1929, par les instances de l’institut, mais restera sans suite.
44C’est en 1925 qu’est officiellement créé, au sein de l’Université, un enseignement consacré à part entière à l’ethnologie, avec la fondation de l’Institut d’ethnologie de l’université de Paris à l’instigation de Paul Rivet, Lucien Lévy-Bruhl et Marcel Mauss, avec l’intention de former des ethnologues professionnels, d’« attirer l’attention sur les faits récemment découverts et sur les méthodes nouvelles, de façon à solliciter la vérification sur le terrain des hypothèses actuellement en discussion », de publier des ouvrages et d’envoyer des missions d’études ethnographiques sur le terrain ou confier des missions de ce genre à des fonctionnaires coloniaux qualifiés427. L’institut ne se consacre que marginalement aux questions anthropologiques du passé et du présent, au sens anatomique du terme. Quant à la préhistoire, même si Breuil y donne des cours en 1927-1928, elle n’y occupe qu’une place accessoire. Il va falloir attendre la fin des années trente pour voir l’institut d’ethnologie préparer les étudiants à un certificat de licence d’ethnologie qui comporte, entre autres enseignements, un de géologie des temps quaternaires et un enseignement de préhistoire (André Vayson de Pradenne).
45En définitive, malgré cette diversité de formation, l’étudiant attiré par la préhistoire demeure confronté et donc soumis au principe de monopole de la collation des grades qui appartient à l’État. Seules les universités peuvent délivrer diplômes et grades nationaux, et aucune n’en confère en préhistoire. Le candidat au doctorat doit être titulaire de la licence avec un certain nombre de certificats d’études supérieures (trois en sciences et quatre en lettres). Si le titre de docteur en préhistoire n’existe pas, en revanche, il est possible de soutenir une thèse de doctorat ès sciences ou ès lettres sur un sujet portant sur la préhistoire. C’est ce qu’ont fait Vaufrey, en 1929, avec sa thèse ès sciences sur les Éléphants nains des îles méditerranéennes et la question des isthmes pléistocènes et Françoise Henry, en 1932, avec sa thèse ès lettres sur les tumulus de la Côte-d’Or. Les doctorats de troisième cycle, quant à eux, sont des diplômes de l’université qui les délivre et pour lesquels aucun grade n’est exigé. Les candidats produisent un curriculum vitæ, leurs titres et diplômes, la liste de leurs travaux scientifiques, un mémoire scientifique original et la Faculté en apprécie la valeur. C’est le choix que vont faire nombre de préhistoriens comme par exemple Emmanuel Passemard (Les stations paléolithiques au pays basque et leurs relations avec les terrasses d’alluvions) ou Pei Wen Chung venu étudier en France à l’invitation de Breuil (Le rôle des phénomènes naturels dans l’éclatement et le façonnement des roches dures utilisées par l’homme préhistorique428).
46Au début des années 1930, Vaufrey pourra faire le constat qu’il n’existe que « deux places officielles pour les préhistoriens » (les conservateurs du Musée des antiquités nationales Raymond Lantier et Claude F.A. Schaeffer), étant entendu que leur enseignement ne porte que marginalement sur le paléolithique, et qu’en ce qui concerne les titulaires des cours de Lyon et Toulouse, où Bégouën a succédé à Cartailhac, « chacun sait que leur situation ne saurait, à elle seule, leur permettre de vivre. Si les mots ont un sens, on ne saurait donc les considérer comme des professionnels. »429 En 1944, l’enseignement d’anthropologie et paléontologie humaine de Lyon est complété par un cours d’ethnologie d’André Leroi-Gourhan prenant en compte la préhistoire et sanctionné par un certificat de licence. D’autres universités de province vont ensuite intégrer à leur tour des cours de préhistoire : Poitiers (Institut de Préhistoire d’Étienne Patte), Montpellier (cours libre de Maurice louis), Rennes (cours de l’Institut de géologie). Le 4 décembre 1948, Louis-René Nougier soutient la première thèse d’État, en Sorbonne, sur des sujets purement préhistoriques et c’est en juin 1949 qu’une maîtrise de conférences d’archéologie préhistorique est créée pour lui à la faculté des lettres de Toulouse, qui deviendra une chaire en 1955 par transformation de la chaire de portugais vacante.
III. Une première réglementation par défaut
47Parce qu’elle avait su fédérer un grand nombre de sociétés savantes, même si toutes les positions étaient loin d’être analogues, la campagne de protestation menée en 1910-1911 contre le projet de loi sur les fouilles a été un succès. Cette réussite tient également au fait qu’elle a trouvé à la Chambre des députés des relais d’opinion indispensables. Mais ce statu quo ne pouvait à l’évidence rien régler. Les dangers divers qui pèsent sur les gisements et plus généralement sur les monuments historiques demeurent et l’opinion publique, que chacun des protagonistes a voulu impliquer et rallier à ses vues, a pris une conscience aiguë du vide juridique et de l’impuissance des pouvoirs publics. Des porte-parole illustres, comme l’écrivain Maurice Barrès qui rassemble autour de lui des artistes et des écrivains pour réclamer pour les églises une protection analogue à celle des monuments historiques, et des faits divers récurrents (exportations clandestines ou non vers les États-Unis d’édifices entiers et d’œuvres comme le départ de l’Angélus de Millet, vols parfois spectaculaires comme celui de la Joconde au Louvre, acquisitions massives de collections préhistoriques) ne font que démontrer l’urgence d’une réforme. Ces affaires ont eu à chaque fois un retentissement important, débordant le cercle restreint des amateurs d’art ou des archéologues pour prendre à témoin l’opinion publique tout entière.
48Autrefois indifférente, celle-ci, poussée par la grande presse, bascule dans un nationalisme patrimonial. De leur côté, les préhistoriens, partisans déclarés d’une réglementation, semblent amers. Reinach, dans la Revue archéologique, revient plusieurs fois sur l’échec de 1910 et pointe du doigt l’incohérence qu’il y a à refuser toute règle tout en réclamant une protection :
« Un projet de loi, qui devait mettre un terme aux fouilles de spéculation, de sport et de vandalisme, a dû être retiré à cause de la vive opposition qu’il soulevait. [...] Mais, sans engager de polémique, il est permis d’ajouter que l’état des choses actuel, purement anarchique, est pire que toute législation, fût-elle aussi draconienne qu’en Italie. Ce qu’il faudrait, pour éclairer l’opinion, c’est un travail d’ensemble sur les gisements préhistoriques, sur les nécropoles gauloises et mérovingiennes, qui ont été saccagées en France depuis quarante ans, sans profit pour la science, non que les objets trouvés aient été détruits, mais parce qu’ils ont perdu l’“état civil” qui en fait de véritables documents, et qu’ayant été exhumés sans contrôle, sans tenue de registres, ils n’ont jamais été que des bibelots, non des documents. »430
A. Une nouvelle loi pour protéger les monuments historiques
49Le 11 novembre 1910, alors que les débats font rage autour du projet de loi sur les fouilles archéologiques, le gouvernement saisit la Chambre des députés d’un autre projet portant sur « la conservation des monuments et objets ayant un intérêt historique ou artistique » appelé à se substituer à la loi du 30 mars 1887. Il est vrai que depuis cette première législation, nombre d’imperfections et de lacunes ont été relevées par la pratique.
50Le nouveau texte se veut ambitieux. Il remanie profondément les règles définies en 1887 et apporte plus d’efficacité à la loi du 19 juillet 1909, qui permet de classer à l’amiable des objets appartenant à des particuliers et interdit l’exportation des objets classés. Ce projet de loi se veut donc la synthèse, voire la reprise pure et simple, des dispositions utiles de 1887 et 1909 éclairée par plusieurs années d’expérience.
1. La préhistoire trouve une petite place
51La situation catastrophique de nombre de musées recommande d’agir au plus vite et ne saurait attendre la fin des navettes parlementaires. Elle met en péril des objets classés en raison du manque de moyens des institutions d’accueil et de leur vétusté. Ces conditions déplorables en font des proies faciles offertes aux voleurs et soumises aux pertes et parfois même aux intempéries. Dans l’urgence, en avril 1911 un premier texte est détaché du texte général. Son article unique est rapidement déposé par le député de l’Aveyron Étienne Fournol, voté puis promulgué (16 février 1912). Celui-ci permet à l’administration des Beaux-arts, lorsqu’elle « estime que la conservation ou la sécurité d’un objet classé appartenant à un département, à une commune ou à un établissement public est mise en péril », de prendre toutes les mesures conservatoires qu’elle jugera nécessaires, y compris le transfert provisoire de l’objet431.
52En définitive, la Commission de l’enseignement et des Beaux-arts de la Chambre est chargée d’étudier au cours de l’année 1912 un texte complexe, dont Théodore Reinach est le rapporteur. Au projet de loi (n° 448) ont été joints une proposition de loi adoptée par le Sénat (n° 1824) et la proposition de loi sur la protection et la conservation du patrimoine historique et artistique de la France (n° 1898) déposée à la Chambre par le député Louis de Chappedelaine. L’examen de l’ensemble va être tardif, plus d’un an après le dépôt, car différé par la quasi-concomitance de son dépôt avec celui du défunt projet relatif à la réglementation des fouilles. De même, entre le deuxième rapport sur le projet de loi et le dernier, à l’occasion de la fin de la navette parlementaire lors du retour à la Chambre, dix-sept mois vont s’écouler. Ce n’est que le 31 décembre 1913 que la Loi sur les monuments historique est votée, puis publiée au Journal Officiel le 4 janvier 1914.
53Le projet de loi portait pour titre : « la conservation des monuments et objets ayant un intérêt historique ou artistique ». Pour ses promoteurs, il s’agissait de montrer ainsi, hormis la substitution de la conjonction « et » par « ou », une continuité avec la loi de 1887. Mais la Commission va modifier cela à la Chambre, en donnant une définition extensive du terme monument historique qui « s’applique à toute œuvre d’art d’un intérêt historique, quelles que soient les dimensions, qu’il s’agisse d’un immeuble ou d’un objet mobilier. »432 C’est donc cette expression seule qui sera retenue. Étant entendu, qu’elle comprendra à la fois les monuments et les objets d’arts.
54La loi du 31 décembre 1913 introduit plusieurs dispositions nouvelles pour les immeubles et les biens mobiliers, tout en reprenant divers articles issus de textes antérieurs comme la loi de 1887 sur les monuments historiques, celle de 1905 relative à la séparation des Églises et de l’État (articles 16 et 17), celle de 1907 sur l’exercice public des cultes, celle de 1906 pour la protection des sites et monuments naturels de caractère artistique et le premier élément de la loi promulgué en 1912.
55Le système du classement introduit en 1887 est, cette fois, précisé. Depuis cette date, certains avaient pu douter que le bénéfice du classement puisse être appliqué aux monuments mégalithiques et partant aux gisements préhistoriques, arguant du terme « monuments historiques » adopté par la loi. La loi de 1913 vient remédier à cela. Dans son article premier, deuxième alinéa, elle tranche la question en assimilant les monuments mégalithiques et les gisements préhistoriques aux immeubles historiques :
« Sont compris parmi les immeubles susceptibles d’être classés, aux termes de la présente loi, les monuments mégalithiques, les terrains qui renferment des stations ou gisements préhistoriques et les immeubles dont le classement est nécessaire pour isoler, dégager ou assainir un immeuble classé ou proposé pour le classement. »
56Pour la première fois, les gisements préhistoriques, mais également l’ensemble des terrains attenants (élément essentiel lors du classement des grottes par exemple) sont explicitement pris en considération par la loi.
57L’autre grande innovation réside dans la faculté d’opérer des classements d’office. La procédure telle qu’elle était définie par la loi de 1887 ne pouvait valablement être envisagée, en matière de propriétés privées, que lorsque le propriétaire y consentait sauf à imaginer, dans le cas contraire, l’expropriation, en réalité peu usitée en raison de son coût financier. L’administration se trouvait donc, en pratique, impuissante. Mais « le caractère essentiel de la nouvelle loi, son innovation hardie, c’est l’extension du classement à la propriété privée »433 car à défaut du consentement du propriétaire, le classement est prononcé par décret en Conseil d’État (art. 5). En acceptant le classement d’office, ce texte introduit un nouveau type de notion juridique, une espèce d’expropriation partielle, selon le terme de Th. Reinach. De fait, en imposant au propriétaire une servitude supplémentaire, celle du classement, elle porte atteinte à son droit de propriété et de jouissance pleine et entière de ce droit. La loi n’exige plus l’intérêt national pour justifier cette opération, mais seulement l’intérêt public (notion retenue par la loi de 1841 sur l’expropriation). Le classement d’office par décret devient alors un mode normal. Les intérêts privés se trouvent ainsi contrariés à proportion des exigences de l’intérêt public. Cependant, afin de tempérer cette disposition malgré tout exorbitante, le législateur a introduit quelques garanties comme l’obligation d’un « décret en Conseil d’État » et non un simple arrêté ministériel, mais également le paiement d’une indemnité éventuelle fixée par le juge de paix du canton et « représentative du préjudice pouvant résulter pour le propriétaire de l’application de la servitude de classement d’office. » Enfin, la loi permet de rendre applicables les effets du classement dès la notification au propriétaire de la proposition de classement. Elle donne également le droit à l’État de faire exécuter d’office tout travail qu’il estime nécessaire dans les immeubles classés.
58Pour les biens mobiliers, le projet de loi entendait simplement entériner et prolonger les dispositions de 1887. Se fondant sur la loi de 1909, il ne s’agit plus seulement du classement des pièces appartenant à l’État, aux départements, aux communes et établissements publics, mais également de celles qui sont la propriété de particuliers, dès lors que ces derniers sont consentants. Th. Reinach dans son deuxième rapport fait alors remarquer que « Beaucoup de bons esprits sont actuellement tentés d’aller au-delà de la règle très prudente posée dans la loi Aynard et n’hésitent pas à réclamer, pour le Gouvernement, en matière de meubles comme d’immeubles, le droit de classer le monument historique appartenant à un particulier, même contre le gré de celui-ci. »434 Chappedelaine, dans sa proposition de loi, se fait pareillement l’écho de ce point de vue coercitif. Pour Th. Reinach, l’obstacle principal qui se pose est bien le fait que l’État se trouve démuni des moyens susceptibles de lui permettre de vérifier l’application de ce principe. Avant d’entamer une telle surveillance, c’est-à-dire de vérifier que les pièces classées ne quittent pas le territoire national ou sont bien conservées, faudrait-il que l’administration soit capable d’assurer la protection et l’inventaire de tous les objets classés, en particulier les 14 000 objets d’églises. Malgré ces précautions, le sujet fait l’objet de discussions à la Chambre à l’occasion du premier débat. Un amendement déposé par un député est finalement retiré mais permet l’introduction d’un « jalon pour les progrès futurs »435. C’est ainsi que la version définitive de l’article 16 reprend pour partie cette idée : « À défaut du consentement du propriétaire, le classement ne peut être prononcé que par une loi spéciale. » Une nouvelle fois, débordé dans l’accomplissement de ses missions, l’État doit se résoudre à concevoir pour les objets et donc les collections un traitement distinct les laissant échapper à l’éventualité d’un classement d’office.
2. Les fouilles et les objets mis au jour
59Dans son article 28, la nouvelle loi semble reproduire textuellement l’article 14 de la loi de 1887, qui évoquait déjà les fouilles et la découverte d’objets pouvant intéresser l’archéologie, l’histoire ou l’art. En réalité, le nouveau texte comporte quelques nouveautés majeures et replace la question des gisements dans un contexte plus global.
60En matière de fouilles, la loi de 1887 considérait deux cas de figure : les terrains appartenant au domaine public (État, département, commune, fabrique, établissement public) et ceux des personnes privées. Dans la première hypothèse, en cas de découverte, le maire de la commune se voyait d’office chargé de la conservation provisoire des objets découverts. La loi de 1913 conserve cette approche, mais innove en assimilant au domaine public les établissements « d’utilité publique ». Le terme est sans doute peu approprié et peut paraître équivoque (même si sa présence dans un paragraphe uniquement consacré au domaine public devrait suffire à lever toute ambiguïté), du fait de sa proximité avec la notion de reconnaissance d’utilité publique accordée à certaines associations et fondations. Enfin, le dernier alinéa de l’article 28 de 1913, relatif à la procédure applicable lorsque des objets sont découverts dans le terrain d’un particulier, n’impose plus, contrairement à 1887, l’avis de la Commission des monuments historiques lorsque le préfet propose au ministre de poursuivre l’expropriation dudit terrain. Ces dispositions, bien qu’anodines, vont néanmoins provoquer des réactions.
61Dès la publication du texte, L’Homme préhistorique enfourche un nouveau cheval de bataille en dénonçant « un abus de confiance », « un tour de passe-passe », « un escamotage »436. Avec une évidente mauvaise foi, un article, signé du sobriquet de « Clément Saudeux », feint de découvrir les dispositions de l’article 28, qui ne font pourtant que reprendre, presque au mot près, l’article 14 de 1887 :
« Comme on le voit, il ne s’agit plus de monuments existant à protéger, puisqu’ils n’existent pas encore... Même sur le papier officiel ! Et la loi [...] ne protègera, en réalité, en l’espèce, par cet article 28, comme la Société préhistorique française l’a démontré il y a longtemps que les fraudeurs [...]. Par contre, elle permettra de dépouiller, sans vergogne, le propriétaire de tout gisement, qui aura cessé de plaire... à notre belle administration ! »
62De plus, au-delà de la prévisible « mainmise sur toutes les fouilles de particuliers », le terme d’« établissement public » constituerait une attaque dirigée contre la S.P.F. Elle ne sera plus maîtresse chez elle, c’est-à-dire sur les gisements qu’elle a acquis, si les maires des communes où ils se trouvent décident d’en référer aux préfets : « Puisque le ministre des Beaux-arts pourra ensuite prendre toutes les mesures qu’il voudra à cet égard, c’est-à-dire lui faire retirer son estampille d’utilité publique, etc. ! Elle devient donc ainsi l’humble domestique du ministère. » Par conséquent, il faut en appeler, comme en 1910, à la mobilisation des sociétés archéologiques de France, le texte devant encore passer devant le Sénat. L’idéologie n’est pas loin, puisque L’Homme préhistorique n’hésite pas dans sa démonstration à assimiler cet article 28 au fameux article 7 de la loi Ferry de 1882, qui exclut de l’enseignement les membres des congrégations religieuses non autorisées.
63À son tour, le 18 décembre 1913, la S.A.P. demande une modification de l’article 28 et suggère d’ajouter un alinéa qui préserve les droits des sociétés savantes ayant quelque envergure :
« Sauf dans le cas où une société compétente préhistorique, anthropologie, archéologique, etc., reconnue d’utilité publique en aurait pris l’initiative en en chargeant une personne accréditée au point de vue scientifique. »437
64Le législateur ne tiendra compte d’aucune de ces remarques pour partie injustifiées. Th. Reinach dans ses rapports successifs estimait que cet article 28 n’apportait, sur le fond, aucune innovation par rapport à 1887 (ni même par rapport à l’article 12 du projet de loi sur les fouilles, déposé en octobre 1910). Observons cependant que cet article prend une dimension différente replacé dans le cadre général inédit défini par la loi.
65Effectivement, le cadre théorique d’application de cet article a profondément changé à partir du moment où la nouvelle loi permet à l’État de prononcer le classement d’office des immeubles et d’assimiler explicitement les gisements préhistoriques aux monuments historiques. Dès lors, la protection peut potentiellement s’étendre à l’ensemble des objets mis au jour (devenus tous autant de « monuments historiques »). Ainsi, l’ouverture d’une instance de classement aura pour effet immédiat une application des effets du classement. Le premier de ces résultats sera la suspension des travaux entrepris et l’obligation d’obtenir l’autorisation des pouvoirs publics pour éventuellement les poursuivre. En pratique, l’administration se trouve dotée d’un moyen pour provoquer, à terme, le classement d’office des objets découverts par des particuliers au cours de leurs fouilles. Mais elle ne va en faire aucun usage.
B. Des « pouvoirs redoutables et redoutés »
66Depuis la création de la Commission des monuments historiques, la question des dotations budgétaires accordées pour les travaux de restauration et de réfection des monuments classés a toujours été un sujet de mécontentement. À quoi bon prendre des mesures de sauvegarde sans disposer des moyens financiers et techniques propres à accomplir cette mission, se demandent les soixante-cinq parlementaires qui cosignent avec le sénateur Jean Audiffred438 une proposition de loi tendant à la création d’une caisse autonome des monuments historiques (21 juin 1912) :
« Les monuments historiques qui constituent une de nos richesses artistiques, une partie, non des moins importantes, de notre patrimoine national, ne sont pas entretenus comme il conviendrait, faute de ressources suffisantes. On ne saurait songer demander à l’État une augmentation de crédits, ce serait grever d’une nouvelle charge le contribuable déjà trop imposé. Mais on peut, par un emploi plus judicieux de certaines ressources, et par un léger prélèvement opéré sur les prix souvent exagérés des œuvres d’art adjugées dans les ventes publiques, assurer la conservation de ces chefs-d’œuvre que nous a légué le passé [...] »439
67Rappelons que cette allusion à la charge fiscale intervient dans le contexte particulier de la deuxième tentative alors menée par Joseph Caillaux d’instaurer un impôt sur le revenu, sachant qu’entre 1871 et 1909, ce sont plus de 200 propositions de ce type qui avaient été déposées à la Chambre.
68La proposition de loi Audiffred est volontairement courte (huit articles) afin de souligner l’idée que la conservation des monuments historiques est dominée par la question de son financement. Audiffred reprend à son compte deux amendements (principe de création d’une caisse autonome, composition de son conseil d’administration, nature des ressources dévolues à la caisse), déposés par le député Adolphe Landry lors des débats de 1913 relatifs à la loi de finances, les démarches des deux parlementaires étant globalement similaires. Toutefois, le texte déposé par Audiffred diffère sur quelques points et, surtout, sa sollicitude pour les monuments dépasse la stricte période historique pour intégrer de façon égale les temps préhistoriques, y compris dans le nom donné à la caisse :
« Il est créé, sous le titre de caisse nationale des monuments historiques et préhistoriques, un établissement public ayant pour objet exclusif de recueillir et de gérer des fonds destinés à être mis à la disposition du Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts en vue de la conservation des immeubles et meubles classés et à subvenir aux frais inhérents à la gestion de la caisse. »440
69Dans son esprit l’essentiel est d’assurer la conservation d’un patrimoine national, peu importe qu’il s’agisse de préhistoire ou d’histoire, de l’église de village ou de la caverne ornée.
70Son exposé des motifs est directement en prise avec l’actualité. Il fait expressément référence à la question Hauser, renvoie à plusieurs reprises aux travaux de Boule et s’inspire d’une expertise rédigée par le comte Bégouën (annexe II du rapport) :
« Ainsi donc la protection, au sens économique du mot, est interdite à la préhistoire ; nous vivons sous le régime du libre échange, régime bien illusoire en la matière, d’abord par ce que nous ne trouvons dans aucun autre pays une aussi grande abondance et une aussi grande variété de gisements préhistoriques, et ensuite par ce que les Gouvernements de tous les autres pays, moins chatouilleux sur le chapitre de la liberté individuelle ou plus soucieux de conserver leurs antiquités nationales, ont interdit les fouilles sans contrôle. [...] Nos frontières sont largement ouvertes aux savants étrangers qui en abusent. La plupart de celles des autres pays nous sont rigoureusement fermées et l’on peut se demander si, avec notre libre échange scientifique, nous ne sommes pas dupes. »441
71Bien qu’instruit des péripéties qui entourent la question de la réglementation des fouilles, Audiffred prend toutefois sur lui d’intégrer un article spécifique dans sa proposition de loi. Il est vrai également qu’après l’affaire Hauser, un nouveau scandale – le vol au cours d’une fouille d’un bas-relief de Laussel (appelée ensuite la « Vénus de Berlin ») par le chef de chantier et vendu à un Musée de Berlin – vient démontrer la nécessité d’agir. Dans ces circonstances, le 24 juin 1913, la commission adopte sans opposition cet article additionnel :
« Jusqu’à promulgation d’une loi spéciale, aucune fouille, en vue de découvrir des objets préhistoriques, ne pourra avoir lieu sans une autorisation d’un conseil composé de sept membres : un conseiller d’État, élu par ses collègues, Président ; le directeur du Muséum d’histoire naturelle ; le professeur de Paléontologie du Muséum ; le professeur d’anthropologie du Muséum ; trois membres nommés par le ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts, pris parmi les personnes que désignent leurs travaux et leurs connaissances spéciales. Ce Conseil déterminera les conditions dans lesquelles les fouilles devront être opérées et contrôlées. Le directeur du Muséum nommera l’agent chargé du contrôle. Avant le commencement des travaux, l’auteur des fouilles devra verser, à la caisse du trésorier du Muséum, la somme fixée pour les frais de contrôle qui ne pourront excéder 150 francs par mois. Ce conseil d’administration, toutes questions de propriété restant réservées, désignera les établissements scientifiques et les musées dans lesquels les objets découverts devront être déposés. Aucun des objets trouvés au cours des fouilles ne pourra être exporté. L’infraction aux dispositions des paragraphes 1, 2, et 3 ci-dessus sera punie d’une amende de 500 francs à 10.000 francs. L’exportation sera assimilée au vol et punie des peines édictées pour ce délit. »442
72Évidemment, un tel article est ressenti par beaucoup comme une provocation inadmissible. La décision unilatérale d’interrompre toutes les fouilles non autorisées, « jusqu’à promulgation d’une loi spéciale », sans aucun doute hypothétique eu égard à l’échec du projet d’octobre 1910, ne pouvait que heurter ceux qui avaient mené la lutte des années 1910-1911. De même, le recours quasi exclusif aux « savants officiels » (professeurs du Muséum national d’histoire naturelle), disposant de « pouvoirs redoutables et redoutés »443 à travers un Conseil chargé d’examiner les demandes d’autorisation de fouiller puis de décider du sort réservé aux pièces exhumées, n’était pas plus tolérable.
73Le 24 juin 1913, le texte est voté par le Sénat. Le gouvernement la reprenant à son compte, la proposition de loi se transforme en projet de loi et l’ensemble est transmis à la Chambre. Mais, entre-temps, l’administration des Beaux-arts a compris le danger que pouvait représenter cet article 6, qui dépasse de beaucoup l’objectif assigné primitivement à la manœuvre. De plus, il ne paraît pas raisonnable de défendre une règle que la réalité du terrain rendra pratiquement inappropriée, ne serait-ce parce que l’administration ne dispose pas des fonctionnaires compétents pour veiller à sa complète application. Aussi, dès novembre 1913, le texte transmis à la Chambre ne comporte plus l’article 6 potentiellement explosif.
74Mais, comme quasiment personne n’a eu connaissance de ce subit retournement, la mobilisation contre l’article 6 se met tout de même en branle. La S.A.P., dans sa séance du 8 janvier 1914, désigne une commission pour étudier le projet de loi et proposer ensuite des modifications à la commission de la Chambre des députés. Elle ne tarde pas à rendre compte de ses travaux « l’article 6 [aura] un résultat diamétralement opposé à celui que se proposent les auteurs de ce projet »444 car ses dispositions auront pour conséquence d’arrêter, sans doute définitivement, toutes les recherches de terrain, « gênera les chercheurs consciencieux et sera violé par les autres. » Puisque l’article 6 ne présente pas de nécessité absolue par rapport à l’économie générale de la loi et qu’il semble au contraire inadapté et dangereux, la S.A.P. demande sa suppression. D’autres protestations sont adressées à la Chambre. Depéret a été l’un des premiers à réagir en mobilisant ses collègues de province, dont au premier chef les Lyonnais, et ravivant la querelle à l’égard des professeurs du Muséum national d’histoire naturelle. Ne sachant pas que l’article litigieux a été retiré, le 2 février 1914, il adresse une lettre énergique et outrée au sous-secrétaire d’État aux Beaux-arts car la dignité des professeurs des universités de province « ne saurait s’accommoder du contrôle des agents du Muséum. »445 L’ampleur de la mobilisation est sans commune mesure avec celle de 1910. Cependant, lorsque les chercheurs apprennent que la Chambre et le gouvernement sont tombés d’accord pour supprimer l’article litigieux du projet, tout le monde s’attribue la victoire. C’est donc un texte amputé de l’article 6 qu’adoptent la Chambre des députés (2 avril 1914) puis le Sénat (10 juillet 1914).
Notes de bas de page
362 BOULE M., « L’œuvre anthropologique du prince Albert Ier de Monaco », op. cit., p. 12.
363 KEHOE A. B., EMMERICHS M. B., Assembling the past. Studies in the professionalization of archaeology, Albuquerque, University of New Mexico press, 1999.
364 HUREL A., DUBOURG A., « Un programme novateur : l’Institut de paléontologie humaine d’Emmanuel Pontremoli », LHA (Livraisons en histoire de l’architecture), n° 13, 2007, p. 51-64.
365 MUCCHIELLI L., La découverte du social. Naissance de la sociologie en France (1870-1914), Paris, La Découverte, 1998, p. 483-489.
366 Le premier conseil d’administration de la Fondation est présidé par le Prince et comprend Dislère, premier vice-président, Reinach, deuxième vice-président, Boule, Mayer secrétaire-trésorier, Verneau Ernest Meyer maître des requêtes au Conseil d’État. Le comité de perfectionnement (conseil scientifique) est également présidé par le Prince et se compose de Reinach, Verneau, Boule, Cartailhac, Capitan, Gustaf Retzius le célèbre anthropologue de Stockholm, le professeur Arturo Issel de Gênes, l’ethnologue Felix Von Luschan de Berlin, Rudolf Hœrnes de Vienne, Sir Edwin Ray Lankester de Londres et le chanoine L. de Villeneuve.
367 BREUIL H., Lettre à M. Boule, 31 octobre 1910, AIPH. CA. 1.
368 FOUILLOUX É., « Le catholicisme » in MAYEUR J.-M., PIETRI C., VAUCHEZ A., VENARD M., Histoire du christianisme, t. 12, Guerres mondiales et totalitarismes (1914-1958), Paris, Fayard, Desclée de Brouwer, 1990. p. 128.
369 CAUMONT A. de, « Discours d’ouverture ». Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, op. cit., p. XCV.
370 PAUL H.W., From knowledge to power. The rise of the science empire in France 1860-1939, Cambridge, Cambridge university press, 1985, p. 60-92.
371 VITET L., « La science et la foi », Revue des deux mondes, 1865, t. 57, p. 681.
372 RICHARD N., « La revue L’Homme de Gabriel de Mortillet – Anthropologie et politique au début de la troisième République », Bull. et mém. S.A.P., 1989, t. 1, n° 3-4, p. 234.
373 CARPINE-LANCRE J., Albert Ier de Monaco (1848-1922), Monaco, Éditions EGC, 1998, p. 28.
374 ALBERT Ier, Prince de Monaco, « Discours prononcé à l’occasion de la séance solennelle d’inauguration – 29 mars 1910 », Discours prononcés à l’occasion des fêtes d’inauguration du Musée océanographique de Monaco – 29 mars 1910 1er avril 1910, Paris, imprimerie Draeger, s.d., p. 7.
375 CARPINE-LANCRE J., « La première campagne océanographique du PrinceAlbert de Monaco (juillet-août 1885) », Acta geographica, 1985, 3e série, n° 63, p. 1-12.
376 ALBERT Ier, Prince de Monaco, La carrière d’un navigateur. Monaco, Imprimerie nationale, 1914. p. VI.
377 ALBERT Ier, Prince de Monaco, « Discours à la séance d’ouverture de la XIIIe session du Congrès international d’anthropologie et d’archéologie préhistoriques. » Compte-rendu de la XIIIe session, Monaco, 1906, Monaco, Imprimerie de Monaco, 1907, p. 3-5.
378 POULAT É., Histoire, dogme et critique dans la crise moderniste, Paris, Albin Michel, 1996, p. 21.
379 O’CONNEL M., « The bishopric of Monaco, 1902 : a revision », Catholic historical review, 1985, 71, p. 26-51.
380 REINACH S., « Gabriel de Mortillet », Op. cit., p. 1.
381 RICHARD N., « La revue L’Homme de Gabriel de Mortillet - Anthropologie et politique au début de la troisième République », Op. cit., p. 242.
382 MORTILLET G. de, « Les études préhistoriques devant les orthodoxies », Revue d’anthropologie, 1875, t. 4, p. 116.
383 MORTILLLET G. de, « L’Église et la science », L’Homme, 1887, 4e année, n° 20, 25 octobre 1887, p. 609.
384 CARTAILHAC É., Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 1869, p. 4.
385 DEFRANCE-JUBLOT F., « Laïcité et légitimité scientifique en préhistoire », Vingtième siècle, 2005, n° 87, p. 73-84.
386 Bull. S.P.F., 1904, t. 1, p. 1.
387 GAUDEFROY G., « L’activité scientifique des catholiques à l’heure actuelle », La raison catholique, 1911, n° 87, p. 127.
388 PERRIER E., « Toast à l’occasion du cinquantenaire de la Société d’anthropologie de Paris », Bull. S.A.P., 1909, p. 417-420.
389 GAUDEFROY G., « L’activité scientifique des catholiques à l’heure actuelle », op. cit., p. 126-127.
390 HUREL A., « Hugo Obermaier et Henri Breuil : destins divergents », Les Nouvelles de l’Archéologie, 2007, 106, p. 12-16.
391 BREUIL H., Lettre à M. Boule, Paris, 31 décembre 1909, AIPH, CA 1.
392 VERNEAU R., Lettre à M. Boule, 28 décembre 1913, AIPH. CA1.
393 L’annonce publique de la création de la fondation se fait par une lettre que le Prince adresse le 16 novembre 1910 au président de la République.
394 IMBERT M,. « Institut de Paléontologie Humaine ». L’Homme préhistorique, 1910, n° 11, p. 373-375.
395 DAUDET L., Paris vécu. in Léon Daudet Souvenirs et polémiques, Paris, Robert Laffont, 1992, p. 1085.
396 GUÉBHARD A., « La préhistoire au dehors », Bull. S.P.F., 1910, t. 7, p. 562.
397 BREUIL H., « L’Institut de paléontologie humaine (nouvelle Fondation Albert Ier) », Revue scientifique, 21 janvier 1911, p. 70-73.
398 GUÉBHARD A., « La préhistoire au dehors », Bull. S.P.F., 1911, t. 8, p. 59.
399 À l’occasion des fêtes organisées le 23 novembre 1910 pour célébrer la reconnaissance d’utilité publique de la S.P.F. les fondateurs de l’I.P.H. n’avaient pas envoyé de délégation.
400 COUTIL L., Lettre à H. Breuil, 22 février 1911, BCMNHN, fonds H. Breuil, Br. 70.
401 GUÉBHARD A., « L’Église et la préhistoire », La grande revue, 2e série, n° 44, 25 juillet 1911.
402 CARTAILHAC É., Lettre à S. Reinach, 1911, Archives MAN, CA. 2.
403 BOULE M., Lettre à H. Breuil, 2 août 1911, Archives TdC.
404 OBERMAIER H., Lettre à H. Breuil, 29 août 1911, Archives TdC.
405 BOULE M., Lettre à G. Jaloustre, 22 juillet 1911, APPM, C666.
406 COUTIL L., Lettre à J. Déchelette, 9 septembre 1911, BCMNHN, fonds H. Breuil, Br. 70.
407 COUTIL L., Lettre à H. Breuil, 30 octobre 1911, BCMNHN, fonds H. Breuil, Br. 70.
408 LAMBS A., « L’actualité scientifique », L’Univers, 18 décembre 1910.
409 Après 1910, cet enseignement sera réduit à deux chaires (Mortillet et Capitan).
410 VALLOIS H.-V., « Le laboratoire Broca. (Laboratoire d’anthropologie de l’École pratique des Hautes-Études) », Bull. et mém. S.A.P., 9e série, t. 11, 1940, p. 1-18.
411 VALLOIS H.-V., « La Société d’anthropologie de Paris 1859-1959 », Bull. et mém. S.A.P., 11e série, t. 1-2, 1960-1961, p. 293-312.
412 En 1950, la nomination de Vallois à la tête du Musée de l’Homme permet d’y regrouper la majeure partie des collections de l’École d’anthropologie. Le reste est alors mis en dépôt à l’I.P.H. et au Laboratoire d’anatomie de la Faculté de médecine de Paris.
413 SALMON P., « L’École d’anthropologie de Paris (1875-1896) », Revue mensuelle de l’École d’anthropologie de Paris, 1896, p. 24-25.
414 ROYER C., « Les congrès d’anthropologie et d’ethnographie au Trocadéro en 1878 », Journal des économistes, 4e série, t. 5, janv.-Mars 1879, p. 405-420.
415 VALLOIS H.-V., « Le laboratoire Broca. (Laboratoire d’anthropologie de l’École pratique des Hautes-Études) », op. cit.
416 « Enseignement des sciences anthropologiques. Cours d’anthropologie de Toulouse », L’Homme. Journal illustré des sciences anthropologiques, 1884, n° 5, p. 148-149.
417 BOULE M., « Émile Cartailhac (1845-1921) », Op. cit., p. 594.
418 REINACH S., « Édouard-Philippe-Émile Cartailhac (18 février 184525 novembre 1921) », Revue archéologique, 1922, série 5, t. 15, p. 158.
419 L’Anthropologie, 1911, t. 22, p. 369.
420 « L’enseignement de l’anthropologie dans l’université de France », Matériaux pour l’histoire naturelle de l’homme, 1881, t. 12, p. 101-102.
421 PERRIER E., « Toast à l’occasion du cinquantenaire de la Société d’anthropologie de Paris », op. cit.
422 LACAZE-DUTHIERS H. de, « Enseignement des sciences. La licence et le Muséum », Revue scientifique, 22 juillet 1882, p. 97-110. BLANCHARD R., « Le Muséum doit-il être un établissement d’enseignement ? », Revue générale des sciences pures et appliquées, 1900, t. 11, p. 667-668.
423 BERTRAND A., « Cours d’archéologie nationale. Leçon d’ouverture », Discours d’ouverture de MM. les professeurs de l’École du Louvre, Paris, Ernest Leroux, 1883. p. 91-114.
424 Cité par GÉRARD A., « L’enseignement supérieur de l’histoire en France de 1800 à 1914 » in AMALVI C. dir., Les lieux de l’histoire, Paris, Armand Colin, 2005, p. 245.
425 CHARLE C., « Le Collège de France » in NORA P., Les lieux de mémoire II. La nation, t. 3, Paris, Gallimard, 1986. p. 389-424.
426 VAUFREY R., « L’organisation des recherches et des études préhistoriques en France », La Revue scientifique, octobre 1941, n° 10, p. 483-518.
427 LÉVY-BRUHL L., L’institut d’ethnologie de l’université de Paris, Paris, Société française d’ethnographie, 1926, p. 3-4.
428 HUREL A., LUMLEY de M.-A., « La formation des élites scientifiques chinoises en Europe dans la première moitié du xxe siècle : L’exemple du préhistorien Pei Wen Chung », L’Anthropologie, 2005, vol. 109, n° 2, p. 195-213.
429 L’Anthropologie, 1933, t. 43, p. 638.
430 REINACH S., « La législation des fouilles », Revue archéologique, 1914, t. 24, 4e série, p. 147.
431 REINACH Th., « Premier rapport fait au nom de la commission de l’enseignement et des beaux-arts chargée d’examiner le projet de loi relatif à la conservation des monuments ayant un intérêt historique ou artistique », JoRf, Chambre des députés, dixième législature, Annexe au procès-verbal de la 2e séance du 11 avril 1911, Paris, Martinet imprimeur de la Chambre des Députés.
432 REINACH Th., « Deuxième rapport fait au nom de la commission de l’enseignement et des beaux-arts chargée d’examiner le projet de loi et les propositions de loi concernant la protection et la conservation des monuments et objets d’art ayant un intérêt historique et artistique », JoRf, Chambre des députés, dixième législature, Annexe au procès-verbal de la 2e séance du 14 juin 1912, Paris, Martinet imprimeur de la Chambre des Députés.
433 LÉON P., La vie des monuments français. Destruction, restauration, op. cit., p. 148.
434 REINACH Th., « Deuxième rapport... », Op. cit., p. 30.
435 REINACH Th., « Troisième rapport fait au nom de la commission de l’enseignement et des beaux-arts chargée d’examiner : 1° le projet de loi relatif à la conservation des monuments ayant un intérêt historique ou artistique (n° 448) ; 2° la proposition de loi, adoptée par le Sénat, tendant à modifier l’article 11 et le 2e paragraphe de l’article 13 de la loi du 30 mars 1887 concernant la conservation des monuments et objets d’art ayant un intérêt historique ou artistique (n° 1824) ; 3° la proposition de loi de M. de Chappedelaine, relative à la protection et à la conservation du patrimoine historique et artistique de la France (n° 1898) », JoRf, Chambre des députés, 10e législature, Session extraordinaire de 1913, Annexe au procès-verbal de la 2e séance du 13 novembre 1913, Paris, Martinet imprimeur de la Chambre des Députés.
436 « La loi nouvelle sur les fouilles préhistoriques », L’Homme préhistorique, 1913, n° 12, p. 391-393.
437 Bull. et mém. S.A.P., 1913, t. 4, 6e série, p. 673.
438 Sénateur à l’origine de la création en 1901 d’une Caisse des recherches scientifiques destinée au financement permanent des laboratoires. PINAULT M., La science au parlement. Les débuts d’une politique des recherches scientifiques, Paris, Éditions du CNRS, 2006.
439 AUDIFFRED J., « Rapport fait au nom de la Commission chargée d’examiner la proposition de loi de M. Audiffred et plusieurs de ses collègues, tendant à la création d’une caisse des monuments historiques », JoRf, Sénat, session ordinaire, Annexe au procès-verbal de la séance du 17 juin 1913, p. 2.
440 Ibid., p. 31.
441 Ibid., p. 45-46.
442 Ibid., p. 33-34.
443 BOULE M., in HUBERT H., « La Commission des monuments historiques. Les projets de loi sur les fouilles. La nouvelle loi sur les monuments historiques. », Op. cit., p. 352.
444 WEISGERBER H., « Rapport de la Commission chargée de demander les modifications à apporter au projet de loi sur une caisse des monuments historiques », Bull. et mém. S.A.P., 1914, 6e série, t. 5, p. 66-67.
445 HUBERT H., « La Commission des monuments historiques. Les projets de loi sur les fouilles. La nouvelle loi sur les monuments historiques. », Op. cit., p. 352.
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