Chapitre IV. Déchiffrer la nature.
La sémiotique médicale, les signes naturels et les basses sciences (météorologie, chiromancie, métoposcopie, physiognomonie)
Texte intégral
1Dans cette dernière conférence, je me propose d’examiner le champ très vaste des signes naturels et les moyens de les interpréter. Je commencerai avec la sémiologie médicale et le diagnostic, avant de passer à l’étude des signes du temps, de la main, du front, et de tout le corps humain. En suivant ce parcours, j’aurai en tête le chapitre que consacre Michel Foucault à la Renaissance dans son livre Les mots et les choses que j’ai déjà évoqué, où il qualifie l’épistèmè de la Renaissance de stérile et de tautologique ; elle aurait un caractère pléthorique tout en étant d’une absolue pauvreté ; selon lui, « le savoir du xvie siècle s’est condamné à ne connaître toujours que la même chose1. » Or, j’ai essayé de le montrer dans les leçons précédentes, la pensée médicale est souple et ingénieuse ; elle ne ressemble en rien à l’application d’une grille de correspondances figée ; elle relève plutôt du bricolage logique, ce qui nous révèle que les médecins et les philosophes naturels de l’époque étaient fort conscients des limites de leurs connaissances du monde et de leur outillage mental ; il leur arrivait même de les exploiter.
2Avant de discuter des signes de la nature, il nous faut commencer par examiner la nature des signes, et les façons de les étudier. Qui dit sémiologie aujourd’hui dit plus d’une chose. Ce terme évoque tout d’abord pour nous la sémiologie linguistique moderne, inspirée par l’œuvre de Ferdinand de Saussure : elle étudie les rapports entre le signifiant et le signifié dans le contexte de la sémantique, de la syntaxe et de la pragmatique ; elle s’efforce de définir ce qui les institue comme signes, et de connaître leurs liens et les lois de leur enchaînement. Vient ensuite à l’esprit la sémiologie philosophique, doctrine que nous devons aux travaux de Charles Sanders Pierce et de ses successeurs : elle établit la distinction entre le signe, l’objet auquel il renvoie, et son interprétant, et elle déploie le trio du symbole, de l’icône et de l’indice, mis en place pour mieux décrire les relations entre signe et objet. Mais il y a aussi la sémiologie médicale, héritière de la sémiotique du Moyen Age et de la Renaissance : elle expose les bases de l’examen clinique du patient et aborde l’étude des signes fonctionnels et physiques à rechercher en fonction de l’appareil étudié – cardiovasculaire, locomoteur, neurologique, ou autre – afin de comprendre les symptômes et les syndromes médicaux2.
3Tout comme il n’y a pas à la Renaissance de champ d’étude qu’on appelle sémantique ou pragmatique, il n’y en a pas non plus pour la sémiologie linguistique ou philosophique3. Cependant la sémiotique est bien établie depuis le Moyen Age comme partie intégrante de la discipline médicale. En voici la définition : « Connaissance de tous les indices de la méthode thérapeutique, que découvrent les médecins dogmatiques [c’est-à-dire rationalistes et galéniques] grâce aux instruments de leur art, pour effectuer une guérison4. » Autour de 1600, il y a bon nombre d’auteurs, écrivant pour la plupart dans le cadre de la médecine pratique et se déclarant disciples d’une autorité récente, qui se servent du terme « sémiotique » (ou du mot « signe ») dans leurs titres. Jacques Aubert de Lausanne publie en 1596 sa Semeiotike sive ratio dignoscendarum sedium male affectarum (cet auteur, comme son prédécesseur nantais François Le Thielleux dans sa Methodus dignoscendorum morborum, s’inspire des ouvrages de Giovanni Argenterio). Johannes Jessenius de Wittenberg (1566-1621) fait imprimer en 1601 le traité du professeur padouan Emilio Campilongo intitulé Semeiotike seu nova cognoscendi morbos methodus (il est disciple, lui, de Hieronymus Capivaccius (1523-1589) de la même université). La même année, Jacobus Cocus de Wittenberg préside lors de la présentation des Theses medicae pro disputatione semeiotike prima eaque generale de signorum discretione. Enfin, Scipione Chiaramonte (1565-1652), que nous allons retrouver à la fin de cette conférence, fait éditer en 1625 un ouvrage physiognomonique qui a pour titre De coniectandis cuiusque moribus et latitantibus animi affectionibus semeiotike moralis seu de signis. Mais si on prenait le mot « signes », la liste serait interminable. Mentionnons seulement l’important ouvrage de Jacques Dubois de Paris paru en 1539, De signis omnibus medicis, hic est salubribus, insalubribus, et neutris, commentarius omnino necessarius medico futuro ; le petit traité de Jérôme Cardan De causis, signis ac locis morborum, publié en 1569 ; les ouvrages posthumes de Giovanni Argenterio de Naples et de Hieronymus Capivaccius de Padoue, publiés entre 1592 et 1610 en Italie, en France et en Allemagne ; enfin, le livre paru en 1600 d’Ercole Sassonia (1551-1607), lui aussi professeur de médecine pratique à Padoue, intitulé Tractatus triplex, de febrium putridarum signis et symptomatibus, de pulsibus et de urinis, qui nous avertit que les signes diagnostiques par excellence sont ceux qu’on obtient du pouls et de l’urine. En fait, chaque grand manuel de l’art médical théorique et pratique à cette époque consacre une section aux signes et aux symptômes5.
4Les médecins de la Renaissance reconnaissent que la sémiotique, qui s’applique non seulement à la physiologie mais aussi à la pathologie, représente ce qu’il y a de plus difficile dans leur art. J’ai déjà cité le mot du sceptique Montaigne là-dessus : « Comment [le médecin] trouvera-t-il le signe propre de la maladie, chascune estant capable d’un infiny nombre de signes ? Combien ont-ils de debats entr’eux sur l’interpretation des urines ! » Mais écoutons sur le même sujet Giovanni Argenterio qui, lui, fait partie des médecins de profession :
Qu’y a-t-il de plus difficile que la distinction entre les accidents corporels passés, présents et futurs ? Parce qu’ils sont si bien cachés, on ne peut les saisir par aucune indication certaine, et parce que leur considération tombe sous tant de rubriques que même après un examen minutieux, il est fort difficile de les expliquer par un moyen pédagogique sûr6.
5Argenterio fait référence ici à un problème empirique et au signe sensible ; d’autres – et notamment Capivaccius, qui fait grand cas, lui aussi, de l’utilité et de l’importance de la sémiotique pour l’art médical – commencent par le statut complexe des signes intelligibles7. À la base de cette distinction se trouve la définition augustinienne : « un signe est une chose qui, outre l’image qu’elle fait pénétrer dans les sens, conduit d’elle-même à la connaissance de quelque chose d’autre » – définition liée à une distinction tirée du même auteur entre les signes naturels, qui n’ont pas d’intention signifiante (comme la fumée qui est signe du feu, ou les traces d’un animal), et les signes conventionnels, qui expriment les pensées, les sentiments et les passions des hommes8. En parlant de la langue, Aristote affirme le rapport conventionnel et arbitraire entre signe et signification ; la théorie contraire, connue sous le nom de « cratylique » (d’après le dialogue platonicien intitulé Cratyle), que j’évoquerai ici en parlant des signatures, affirme que le signe linguistique incarne d’une certaine manière une force ou une essence significative, si bien que l’étude des noms peut nous apprendre quelque chose sur ceux qui les portent, et que l’énonciation de certaines paroles peut guérir ou rendre malade. Comme l’écrit à ce propos Pierre de Ronsard dans un poème sur les anagrammes : « Les noms ont efficace et puissance et vertu. » Je me contenterai de dire que les médecins pour la plupart se montrent circonspects quant à cette théorie et quant à l’efficacité de tels procédés9.
6Face à la nécessité d’interpréter les signes, les médecins doivent choisir entre deux voies : celle de l’intuition, et celle de la logique. On a déjà rencontré (ci-dessus, p. 81) l’usage de l’intuition sous forme d’indication (endeixis) : en l’employant, le médecin n’applique pas consciemment les règles de son art à un cas donné pour en déterminer le traitement approprié, mais se laisse plutôt éclairer par sa formation et ses expériences en tant que médecin, et par sa lumière intérieure. Si l’on choisit, comme le fait Argenterio, de considérer le signe ou symptôme médical de cette manière, on n’a pas besoin de se demander si le signe est certain ou non, s’il peut faire partie d’une démonstration syllogistique, ou s’il faut distinguer entre le signe-cause (c’est la maladie elle-même, ou ce qui la produit) et le signe-effet (le symptôme). Argenterio pense qu’on peut se passer de ces distinctions, et dote le signe d’un « sens plus large », en bon médecin armé de la logique laxiste que j’ai déjà décrite. Signifier pour lui, c’est indiquer une chose par une autre, ce qui se passe silencieusement et sans le truchement de la raison. La fumée est signe de feu, dont il est le substitut : on n’a pas besoin de savoir l’articulation du signifiant (l’indicans) au signifié (l’indicatum), bien que certains médecins en infèrent que les signes médicaux sont semblables aux signes linguistiques, étant liés entre eux par une espèce de syntaxe linguistique sans pour autant posséder une intention signifiante10. Les signes médicaux, après tout, peuvent servir à éliminer et l’obscurité et l’ambiguïté, d’une façon analogue à celle des signes linguistiques. Mais Argenterio néglige d’explorer cette possibilité. Pour lui, le signe nous indique quelque chose qui nous est caché ; il peut attirer notre attention sur l’existence de cette chose, ou nous pousser à agir, comme dans le cas de l’indication ; mais nous n’avons besoin de nous évertuer à en rendre compte ni dans le contexte de la logique, ni dans celui de la langue. Pourtant, il accepte et l’analogie (considérée à l’époque comme un argument rhétorique) et la proportion (l’argument de la forme : A se rapporte à B comme B se rapporte à C) comme procédés heuristiques – ce qui le distingue nettement des empiriques de son temps, mais attire aussi sur lui la critique des médecins qui, comme Sanctorius, se cantonnent dans la logique11.
7On peut également, même en tant que professeur de médecine pratique, faire de grands efforts pour se servir des signes dans le contexte d’un raisonnement rigoureux, comme le fait Capivaccius. Le sémiologue médical doit alors les déployer dans une logique des plus complexes, où les distinctions fondatrices ne cadrent pas d’une manière satisfaisante avec les modes du syllogisme. Force lui est d’affronter une multitude de signes de nature contraire : sensibles et intelligibles, communs et propres, substantiels et accidentels, permanents et passagers, certains et incertains, pleins de sens ou vides de sens. Qui plus est, on peut conjuguer ces oppositions pour en faire des grilles : par exemple, la combinaison des oppositions commun/propre et séparable/inséparable donne quatre possibilités (commun et séparable, commun et inséparable, propre et séparable, propre et inséparable) qu’étudient plusieurs médecins à cette époque On peut même construire des combinatoires parfaites, comme celle de Jacques Dubois, qui produit un diagramme des trois états de santé avec le temps (passé, présents, futur)12.
8La doctrine classique ne maîtrise pas la complexité de cette doctrine, car elle suscite les questions suivantes : doit-on le traiter le signe comme une simple donnée empirique ? comme un terme logique ? comme une proposition ? A-t-il une existence qui lui soit propre ? Faut-il prendre en compte tous les signes dans un cas donné, ou simplement ceux qui s’accordent ensemble ? Pour faire face à de telles questions, les médecins ont recours aux théories aristotéliciennes, stoïciennes et quintiliennes qu’ils s’approprient d’une manière opportuniste et partielle13. En voici quelques éléments importants, et tout d’abord, la distinction entre le signe qu’on peut déployer dans un syllogisme et les autres. Ecoutons Aristote qui s’arrête sur ce point dans sa Rhétorique :
Parmi les signes, l’un présente la relation de l’individuel à l’universel, l’autre de l’universel au particulier. Entre les signes (semeia), celui qui est nécessaire est le tekmerion, celui qui n’est pas nécessaire n’a pas de nom répondant à cette différence. Par nécessaires, j’entends les propositions pouvant servir de prémisses à un syllogisme. [...] Parmi les signes, l’un présente la relation du particulier au général, ainsi : un signe que les doctes sont justes, c’est que Socrate était docte et juste. C’est là, sans doute, un signe : mais il est réfutable, bien que la proposition particulière soit vraie ; car on n’en peut tirer un syllogisme. Mais si l’on disait par exemple : un signe que cet homme est malade, c’est qu’il a de la fièvre, ou : un signe que cette femme a enfanté, c’est qu’elle a du lait, un tel signe serait nécessaire. […] [Mais] si l’on disait par exemple : un signe qu’il a de la fièvre, c’est que sa respiration est rapide : [cela] est réfutable, même si le fait est exact, car on peut avoir la respiration haletante, sans avoir de fièvre14.
9La seule inférence qui soit bonne se laisse représenter sous la forme du mode « Darii » de la première figure du syllogisme :
Toutes celles qui ont du lait ont enfanté.
Certaine femme a du lait
____________________
Certaine femme a donc enfanté
10Les autres syllogismes évoqués ici sont des paralogismes : d’abord le mode « iia » :
Socrate est docte
Socrate est juste
_____________
Les doctes sont donc justes
11Et le paralogisme en « aii », dont le caractère fallacieux est un peu moins évident :
La respiration haletante est signe de fièvre
Certain homme halète
_________________
Certain homme a donc de la fièvre
12Rappelons aussi le syllogisme qualifié par Claude Aubéry (mort en 1596) de « physiognomonique » : « le pas d’âne est lié à l’obstruction pulmonaire ; l’obstruction pulmonaire est donc liée au pas d’âne ». Cette forme d’inférence est assez proche du paralogisme qu’on qualifie d’« argument du conséquent à l’antécédent » (argumentum a positione consequentis ad positionem antecedentis ou fallacia consequentis) :
tous les A sont B
_____________
tous les B sont donc A15.
13Le signe propre doit retenir notre attention encore un peu. Celui de l’enfantement, c’est d’avoir du lait ; c’est le genre de signe par excellence (le tekmerion) si on veut user de la logique syllogistique. En ce qui concerne les symptômes, le signe propre d’une maladie est ce qu’on appelle le signe pathognomonique ; malheureusement, il semble qu’il n’en existe qu’en pensée, et qu’on ne puisse en alléguer aucun exemple ; on doit alors avoir recours à un syndrome de signes communs, par exemple la respiration difficile, la toux, une douleur lancinante entre les côtes, la fièvre : c’est là l’exemple classique d’un signe pathognomonique, celui de la pleurite, grâce auquel on peut former le syllogisme suivant :
Le syndrome composé d’une respiration difficile, de toux, d’une douleur lancinante entre les cotes, et de fièvre est le signe de la pleurite
Certain homme souffre de ce syndrome
_______________________________
Certain homme souffre donc de pleurite16
14Écoutons sur ce point Cardan qui, dans son traité sur l’épilepsie, expose la structure logique du signe pathognomonique et du syndrome qui s’y substitue ; je le citerai in extenso, parce qu’il met au clair le raisonnement ex affirmativo et ex negativo que nous allons retrouver chez ceux qui étudient la physiognomonie :
Prenons le cas des signes pathognomoniques, qui nous dénotent les passions [c’està-dire les affections du corps], d’où je postule que ces signes doivent être ou propres ou inséparables [autrement dit, communs ; Cardan se réfère ici aux accidents inséparables du corps], ou les deux ensemble ; les médecins qui invoquent les signes qui ne tombent pas dans ces trois catégories les invoquent en vain. À partir du signe propre il est valable de raisonner à la forme affirmative ainsi : certain signe est présent, donc certaine passion est présente. À partir du signe inséparable, il est valable de raisonner à la forme négative ainsi : certain signe est absent, donc certaine passion est absente. A partir du signe qui appartient aux deux genres, il est valable de raisonner à la forme affirmative et à la forme négative. Bien qu’en parlant de [l’épilepsie] Paul d’Egine invoque beaucoup de signes qui n’ont pas de certitude, parce qu’ils ne sont ni propres ni inséparables, Galien pourtant cite trois qui sont inséparables, mais qui ne sont pas propres ; mais les trois pris ensemble deviennent un signe propre, comme dans le cas de la pleurite, où cinq signes sont invoqués. Tous sont inséparables, nul n’est propre : fièvre aigue, douleur lancinante, difficulté de respiration, toux, pouls dur et dense. Ces signes sont tous inséparables, mais il est valable de raisonner à la forme négative à partir d’eux ainsi : il n’y a pas de fièvre aigue, donc il ne s’agit pas de la pleurite ; il n’y a pas de douleur lancinante, donc il ne s’agit pas de la pleurite. Mais nul n’est propre, ce qui fait qu’il n’est pas valable de raisonner ainsi : il y a fièvre aigue, donc il s’agit de la pleurite, car la fièvre aigue se manifeste aussi chez d’autres maladies, et ainsi de suite. Il résulte de tout cela qu’il y a un signe propre et inséparable, à partir duquel il est valable de raisonner et à la forme affirmative et à la forme négative ; tous ces [cinq] signes sont présents, donc il s’agit nécessairement de la pleurite ; tous les signes ne sont pas présents, il ne s’agit donc pas de la pleurite17.
15En ne tirant que des inférences négatives des signes communs, Cardan ne tombe pas dans le paralogisme déjà évoqué, celui de la « fallacia consequentis ». Car, si l’on prend chacun des signes communs séparément, et raisonne ainsi : cet homme a de la fièvre, il souffre donc de pleurite, et ainsi de suite, on commet l’erreur identifiée par Aristote dans le passage de sa Rhétorique que j’ai cité ; en effet, on peut réfuter l’argument que la respiration haletante de cet homme est signe qu’il a de la fièvre, même si le fait est exact, car l’homme en question peut avoir la respiration haletante, sans avoir de fièvre. À cet égard Sanctorius cite Galien qui affirme qu’une simple énumération des signes n’aboutira jamais à un bon diagnostic : il faut que la structure logique de l’argument le détermine18. La solution de Sanctorius est de prendre en compte six sources (fontes) différentes et de les combiner, non pas à la manière des propositions d’un syllogisme, mais plutôt en série, pour éliminer toute ambiguïté résultant de la considération de signes communs. Il s’inspire du texte pseudo-aristotelicien intitulé Physiognomonica qui affirme qu’« en général, il n’est pas sage de se fier à un signe unique pour fonder une inférence ; mais quand on découvre dans un seul individu que plusieurs signes s’accordent, c’est là une justification plus forte de croire à l’inférence19 ». Cette règle se trouve aussi dans le livre sur les vents de Théophraste, le disciple d’Aristote, qui catégorise les signes de pluie selon leur degré de certitude. On peut également se servir de la logique pour éliminer les conclusions impossibles, ou pour rendre compte de l’absence de tout signe qui puisse contredire une conclusion donnée. Ces procédés sont mentionnés aussi dans la Physiognomonica20.
16En combinant les signes, on doit souvent faire face au problème qu’ils ne s’accordent pas tous ensemble ; on a donc recours à une hiérarchisation des signes selon leur degré d’importance ou selon leur fréquence. Écoutons Argenterio sur ce dilemme lorsqu’il se produit dans le pronostic :
Si on trouve un nombre égal de signes (bons et mauvais quant à l’issue de la maladie), ceux qui ont la plus grande force détermineront la prédiction ; si la force des deux groupes de signes est égale, il faut croire au plus grand nombre ; cependant si un nombre égal de bons et de mauvais signes sont mêlés, il faut se fier au jugement d’un médecin expérimenté qui a souvent pratiqué le pronostic, et qui reconnaîtra donc intuitivement la puissance occulte du vainqueur éventuel21.
17Notons ici ce que nous avons déjà remarqué chez Argenterio et chez ceux qui prônent l’endeixis ou l’indication : le médecin rationaliste et galénique peut se fier à son intuition, car il est l’incarnation même de son art.
18D’autres médecins considèrent le problème du diagnostic ou du pronostic non pas d’une seule maladie mais de plusieurs qui s’attaquent en même temps au corps du patient : problème fort délicat, car les symptômes d’une maladie, ou même sa cause, peuvent être eux-mêmes une maladie22. Devant de tels dilemmes, le médecin expérimenté ne devrait pas être comme l’âne de Buridan qui meurt d’inanition, figée par son irrésolution entre deux bottes de foin également éloignées de lui ; il inclinera toujours d’un côté ou de l’autre. Mais, même dans le cas plus simple d’une seule maladie, le médecin doit déterminer ce que c’est que son signe pathognomonique. Si toutes les maladies possédaient un tel signe, la tâche ne serait pas difficile ; mais il semble qu’on ne puisse en alléguer aucun exemple ; on doit alors, on l’a vu, avoir recours à un syndrome de signes communs. Cette aporie concernant l’absence ou la non-pertinence des signes propres va resurgir dans un autre contexte, que j’examinerai ci-dessous (p. 107-109).
19Un deuxième élément caractérisant la logique des signes médicaux est tout aussi complexe et ardu : c’est l’argumentation ut plurimum. Elle existe sous deux formes : ce qui est pour la plupart vrai, mais peut contenir une part d’erreur ; et ce qui est tout à fait vrai, mais seulement la plupart du temps ou dans la plupart des cas. J’ai déjà indiqué que la nature est gouvernée par des lois qui ne sont vraies que pour la plupart, qu’elle constitue un champ de savoir indéfini, que les instruments logiques de la dialectique médical – distinction, division, définition, cause – sont laxistes, et que, par conséquent, tout raisonnement concernant la nature ne peut pas atteindre à l’apodicité, mais est réduit au statut d’« une certitude probable » (voir ci-dessus, p. 28). Il s’ensuit que celui qui raisonne en se servant de prémisses et de signes qui ne sont qu’approximatifs ou vrais pour la plupart (ut plurimum) se trouve contraint d’avoir affaire à des syllogismes de la forme suivante :
A est pour la plupart B
B est pour la plupart C
_________________
A est donc pour la plupart C
20Si cet argument est valable en logique23, il ne l’est pas en mathématiques, car, en combinant les quantités majeures sous de certaines conditions dans un champ défini, on peut arriver à la conclusion contraire (« A n’est pas pour la plupart C »). On a donc besoin d’outils plus mathématiques que logiques pour résoudre le problème posé par l’approximatif et l’incomplet ; sinon, on est forcé d’avoir recours à une sorte d’amalgame de règles qu’on conjugue d’une manière informelle, comme le fait Hippocrate dans le texte pronostique suivant, tiré de ses Epidémies, dont on apprécie à la Renaissance la concision et le robuste bon sens :
Pour toutes les affections périlleuses, il faut examiner dans les humeurs évacuées les coctions favorables, quelles qu’elles soient, et d’où qu’elles viennent, ou les dépôts louables et critiques. Les coctions indiquent la promptitude de la crise et la certitude du salut ; mais les humeurs qui n’éprouvent point de coction et qui se tournent vers des dépôts fâcheux, annoncent l’absence de crise, ou les souffrances, ou la longueur du mal, ou la mort, ou les rechutes ; c’est à d’autres signes que l’on doit demander laquelle de ces issues prévaudra. Il faut dire les antécédents de la maladie, connaître l’état présent, prédire les événements futurs ; s’exercer sur ces objets ; avoir, dans les maladies, deux choses en vue : être utile ou du moins ne pas nuire. L’art se compose de trois termes : la maladie, le malade et le médecin. Le médecin est le desservant de l’art : il faut que le malade aide le médecin à combattre la maladie24.
21Autrement dit, c’est un acte de jugement empirique inspiré par l’art médical (l’epideixis) qui permettra de distinguer entre ces issues, et de choisir celle qui est la plus susceptible de survenir. Les signes sont à juger selon leur puissance, leur fréquence et leur importance relative l’un par rapport à l’autre ; on ne peut pas en cela se fier à une logique précise. C’est grâce à ce robuste bon sens et à l’étude des cas particuliers dans les Epidémies qu’on va affirmer au xviiie siècle dans l’Encyclopédie de Diderot que « de tous les auteurs qui ont écrits sur la sémiotique, Hippocrate est presque le seul dont les ouvrages méritent d’être consultés, et sur-tout sur celle qui regarde les maladies ; tous les autres n’ont fait que le transcrire ou le défigurer25 ».
22Les différentes méthodes diagnostiques prônées à l’époque par les professeurs de médecine mettent en relief ces éléments et ces apories. Tous distinguent entre l’anamnèse (c’est l’étude des signes de l’état de santé passé du patient), le diagnostic (l’étude de l’état présent) et le pronostic (l’étude de l’état à venir du malade, sur laquelle je reviendrai ci-dessous). L’anamnèse se pratique lors de la consultation et prend la forme d’un interrogatoire que le médecin fait subir au malade et à ceux ou à celles qui le soignent. Elle précède le diagnostic, élément important de la médecine pratique. Citons-en deux méthodes qui représentent les tendances diagnostiques les plus opposées, à savoir l’intuitive et la rationnelle. Guillaume Rondelet de Montpellier, qui évite de décrire la pratique de l’art médical en termes explicitement logiques, commence par l’interrogation du patient, de celles et de ceux qui le soignent, et par l’examen de son environnement ; puis il considère les symptômes, ayant toujours en tête la possibilité que le patient souffre de plus d’une maladie. Il illustre le chemin déductif à suivre par une analogie : si on avait à trier un tas de grains mélangés ensemble – grains de millet, de poivron, de haricots, de pois chiches, de vesces, et de blé –, on commencerait par enlever les grains les plus gros ; ensuite, on les trierait selon leur forme, leur grosseur et leur couleur jusqu’au point où il ne resterait plus qu’une seule espèce :
23Il compare ce procédé à l’arbre de Porphyre (voir ci-dessus, p. 39) ; mais cette comparaison n’est pas heureuse, car Rondelet ne s’intéresse ni aux définitions positives ni aux puretés thématiques, mais suit une voie négative (ce qu’on appellerait aujourd’hui le « diagnostic différentiel ») : on peut considérer ce procédé aussi dans le contexte de l’aporie reconnue par Aristote dans son traité Des parties des animaux, selon laquelle une analyse dichotomique échoue lorsqu’elle contient ou un dédoublement ou une récursivité qui infirme son bien-fondé (ici, la grosseur et la couleur se présentent deux fois dans la série de différences). Rondelet nous invite à imaginer un genus generalissimum de maladie qui comprend non seulement les causes mais aussi toutes sortes de symptômes et de maladies – dyscrasie, mauvais fonctionnement d’un organe, traumatisme –, genre qui n’exclut pas non plus qualités corporelles altérées, évacuations, matières retenues dans le corps, douleurs de toutes espèces, tumeurs, taches cutanées, et j’en passe (ce sont pour ainsi dire les graines mélangées qu’il veut trier progressivement). Ce n’est pas là un procédé logique, mais la lente application de l’art médical, car, sachant que « les contraires sont guéris par les contraires » (contraria contrariis curantur), et que l’amélioration ou l’empirement de la santé du malade montrera et son tempérament et la nature de sa dyscrasie, Rondelet recommande aussi qu’on commence par les remèdes les moins forts, et qu’on observe soigneusement l’effet sur le malade, d’où l’on pourra savoir comment rétablir l’équilibre de son tempérament26. Méthode rationnelle (apodeixis), certes, mais solidement ancrée dans une empirie (epideixis) qui laisse opérer l’indication persuasive (endeixis).
24On peut la contraster avec le procédé recommandé par le padouan Sanctorius, qui est fondé sur l’analyse progressive d’un syndrome de signes puisés dans six sources distinctes : les causes procatartiques ou préalables ; la disposition du malade ; les causes efficientes internes ; les symptômes ; les parties affectées ; les traitements ou bénéfiques ou maléfiques. L’analyse des symptômes est semblable à celle de Rondelet ; mais l’étude systématique des autres indices, qui écarte progressivement toute ambiguïté ou obscurité, doit, selon Sanctorius, avoir pour résultat l’élimination de tout diagnostic erroné : c’est pour cela qu’il appelle son livre Les méthodes d’éviter les erreurs. En voici un exemple, celui du diagnostic de l’ulcère de l’estomac. Les causes procatarctiques dans ce cas sont les aliments et les remèdes amers ; la deuxième source est à chercher dans ce qui, dans l’anatomie et le système digestif particuliers du patient, le prédispose à souffrir d’un ulcère ; vient ensuite la considération des humeurs amères en tant que causes internes ; les symptômes sont alors énumérés : douleur lancinante, appétit perdu, soif, mauvaise haleine, flatulence ; la cinquième source, c’est le vomissement ensanglanté, qui révèle le site de l’ulcère par le temps qui s’écoule entre l’ingestion des aliments et le vomissement ; le traitement, enfin, confirme le diagnostic, en ce que tout remède amer cause de l’aggravation. Selon Sanctorius, le fait de considérer les signes communs ne nuit pas à cette méthode, parce qu’il les conjugue ensemble dans un seul procédé syllogistique. Mêmes éléments ici que chez Rondelet, mais le moyen choisi pour les exprimer met l’accent sur un procédé systématique qui souligne la scientificité du diagnostic27.
25Nous avons parlé jusqu’ici de la sémiotique médicale. Au xvie siècle, il est possible d’en considérer une partie – le pronostic – comme l’un des arts de divination. Le médecin allemand Caspar Peucer (1525-1602), qui consacre un livre au sujet de la mantique, en discute aussi bien que d’oracles, de théomancie, de magie, d’incantations, de sacrifices, d’augures, de sorts, de météorologie, de rêves, d’astrologie et de tératologie. Comme son choix de matières nous le montre, la divination cherche à déchiffrer la nature pour en pénétrer les secrets. Au niveau le plus bas, elle inventorie les effets qui révèlent une régularité dont les causes échappent souvent à l’esprit humain (c’est là le domaine du livre intitulé Secreta secretorum, de la physiognomonie, de la magie naturelle28). Puis, à un niveau plus élevé, elle en révèle les causes naturelles et matérielles qui influent sur le corps (la physiognomonie, la tératologie). À un troisième niveau, elle rend compte de l’intervention des influences célestes dans le monde sublunaire (l’astrologie). À un quatrième, elle cherche à déterminer le cours futur d’une maladie ou d’une vie (le pronostic, la chiromancie, la métoposcopie, l’onirocritique). Enfin elle suscite l’apparition de signes occultes pour connaître l’avenir (les oracles, les sorts)29.
26Tous les noms finissant en -mancie (et il y en a une multitude : Cardan en mentionne une vingtaine) sont des arts divinatoires qui cherchent à prédire l’avenir30. Déjà en 1277, ces pratiques avaient été implicitement condamnées à Paris par l’évêque Etienne Tempier. Les constitutions du Concile de Trente promulguées en 1564 sur la censure des livres condamnent explicitement « tous écrits sur la géomancie, l’hydromancie, l’aéromancie, la pyromancie, l’oniromancie, la chiromancie et la nécromancie », tout en permettant la diffusion de livres contenant des prédictions sur le temps, l’agriculture et la médecine. Cet arrêt a été confirmé en 1586 par la bulle Coeli et terrae de Sixte V31. L’Église autorise les météorologues, les médecins et les agriculteurs à s’enquérir de l’avenir des maladies et du temps, et tolère même la physiognomonie, mais elle désapprouve les autres arts divinatoires. Il n’empêche que plusieurs médecins s’y intéressent, sans doute dans l’espoir de mieux comprendre la nature et les forces qui la déterminent. Des auteurs qu’on aurait tendance à considérer comme éclairés, comme Cardan, semblent prendre ces arts au sérieux : c’est sans doute le désir de décoder même l’un des chapitres les plus modestes du livre de la nature qui les pousse à spéculer sur les régularités possibles qu’on décèlerait en étudiant les lignes des mains32. Mais la bulle ne distingue pas ces auteurs des charlatans qui, à cette époque, promettent à leur clients trop crédules de leur accorder une vision de leur avenir personnel ; et elle se montre très hostile à l’astrologie judiciaire qui prétend avoir prise sur l’avenir et enfreint par là la providence divine.
27Prédire l’avenir est donc la partie la plus contesté de cette sorte de science : les médecins s’y mêlent, car ils reconnaissent que leur art les oblige à faire des pronostics, et ils savent que cette sorte de prédiction peut sembler aux autres très proche de la mantique et de l’astrologie judiciaire. Au chevet du malade, le médecin doit lui communiquer le progrès futur de sa maladie. Pour fonder son jugement, il a à sa disposition bon nombre de textes hippocratiques et galéniques, y compris le Pronostic et les Prorrhétiques d’Hippocrate, et les traités classiques galéniques sur les crises et les jours dit décretoriaux. Tous les signes médicaux, connus le plus souvent sous les noms grecs que Galien leur a donnés, aident à faire un pronostic : les signes épiphénoméniques et les signes supervénients ; les signes épigénomiques, qui accompagnent une maladie, et qui permettent d’en établir le progrès selon les signes de coction ou les signes de son absence ; les signes gnorismatiques, qu’on découvre au commencement d’une maladie ; les signes annonçant la guérison ou la mort ; les signes critiques33. Ces derniers dépendent de deux théories. Il y a celle qui est connue sous le nom de mélothésie : c’est une théorie qui relie chaque membre, chaque organe et chaque fonction du corps à un signe zodiacal et à une planète, et qui règle l’usage de la phlébotomie, de certains médicaments, et le déroulement même du traitement. Et il y a la théorie quasi numérologique des jours décretoriaux, autrement dit des jours marquant les étapes significatives d’une maladie, exposée par Hippocrate dans ses Aphorismes :
Parmi les maladies, les aiguës ont une crises dans les quatorze jours.
Le quatrième jour est indicateur du septième ; le huitième est le commencement d’une seconde semaine ; il faut considérer le onzième, car c’est le quatrième de la seconde semaine. Derechef, il faut considérer le dix-septième, car c’est d’une part, le quatrième à partir du dix-septième ; d’autre part, le septième à partir du onzième34.
28Comme on pouvait s’y attendre, il y a des critiques radicales de cette doctrine exposée par Galien les développe dans ses traités Des crises et Des jours décretoriaux. Écoutons là-dessus l’Ecossais Duncan Liddel (1561-1613) qui, pour la mettre en doute, s’appuie, comme plusieurs autres professeurs de médecine, sur les mathématiques par lesquelles il a commencé ses études universitaires :
Averroës pense que la méthode des jours critiques dépend de la proportion établie entre la nature qui agit et la maladie qui résiste ; en vérité, parce que cette proportion varie, il est impossible de fixer le calcul de l’une par rapport à l’autre ; on ne pourrait pas savoir pourquoi une crise qui survient le septième jour serait meilleure et plus sûre que celle qui survient le sixième ou le huitième jour35.
29Rappelons également que l’astrologie, et surtout l’astrologie médicale, bien que défendues par certains auteurs, se sont attiré des attaques féroces tout au long du siècle à cause de la faiblesse de leurs fondements en mathématiques et des inférences chancelantes que ces fondements sont censés justifier. Mais l’astrologie fait partie de l’univers mental des hommes du xvie siècle ; puisqu’elle a pour base des textes respectés de l’Antiquité et qu’elle repose sur l’étude des régularités qu’on peut percevoir dans le ciel et des correspondances entre macrocosme et microcosme, elle jouit du nom de science (du moins dans le sens d’ensemble de connaissances) ; et on peut la justifier en ce que cette étude nous révèle l’œuvre du Créateur36. Certains historiens ont même affirmé qu’elle joue le rôle d’une sorte de science maîtresse par le moyen de laquelle on peut relier des champs de savoir fort divers en leur fournissant une base commune ou un champ unifié de savoir : d’après Angus Clarke, l’astrologie facilitait la rencontre disciplinaire en fournissant « un terrain commun pour la rencontre, par exemple, de l’acoustique et de la météorologie, de l’architecture et de la biographie, de la médecine et de la propagande politique, de l’historiographie et de la joaillerie, de l’iconologie et de la navigation, de l’urbanisme et du savoir agricole, et ainsi de suite, pour ne mentionner que les domaines au sujet desquels les astrologues s’estimaient qualifiés à se prononcer37 ». D’autres ont préféré la considérer comme une partie intégrante d’un champ de savoir très vaste qui comprend et la médecine et les basses sciences dont je traiterai un peu plus loin38. En tout cas, l’astrologie a un grand rôle à jouer dans la médecine, surtout sous la forme de la mélothésie. On n’est pas forcé d’accepter les conséquences de cette théorie, comme la remarque de Liddel citée ci-dessus nous l’indique ; on peut aussi discuter de la manière d’interpréter les données astrologiques, même si on accepte leur bien-fondé ; mais, à cette époque, il n’est pas possible de ne pas en tenir compte.
30Ce n’est pas seulement l’astrologie, mais aussi l’expérience quotidienne qui nous montre que l’univers est plein de signes : mais ont-ils tous une signification ? Nous pouvons nous tromper en interprétant les lignes de la chiromancie et de la métoposcopie, ainsi que les traits physiognomoniques, en ce qu’ils ne renvoient ni à l’avenir ni aux propensions de celles et de ceux qui les possèdent – ce qui fait penser à un élément nouveau de la stéganographie, ou étude des codes, à laquelle on s’intéresse vivement à cette époque, comme en témoignent des livres comme le Traité des chiffres (1586) de Blaise de Vigenère (1523-96). On y discute de l’art combinatoire et de la façon de créer des codes ; comme ils sont composés de chiffres, le décodage procède selon des méthodes semblables à la sémiotique médicale et à la divination. Dans les deux cas, il faut faire face au problème des « signes vides ou nuls », c’est-à-dire, des signes qui n’ont aucune signification mais qui font partie du code ou qui sont perceptibles aux sens. Plusieurs théoriciens des codes à la fin du xvie siècle, Francis Bacon entre autres, font allusion à l’utilité des nuls pour empêcher que les codes que l’on crée ne soient lus par des non-initiés39. Le problème des nuls se pose dans le cadre de la sémiologie médicale et de la divination, car on ne peut pas attribuer un sens à tout (« non omnia significant omnia ») ; il y a par exemple, selon les onirocritiques, des rêves ou des éléments de rêve qui n’ont pas de signification, n’étant causés que par la digestion ; et selon les théoriciens de la métoposcopie, les rides du front (au contraire des lignes) n’en ont pas non plus40. Or, comme je l’ai indiqué, Michel Foucault a voulu nous faire croire que la Renaissance conçoit l’univers comme un tout à l’intérieur duquel il n’existe que des correspondances stériles et tautologiques ; les vérités ut plurimum même dans les sciences basses, l’étude des signes nuls, et l’acceptation d’un champ de savoir infini (comme que je l’ai déjà établie) nous montrent que cette affirmation n’est pas exacte. Mais ce que dit Foucault à propos des noms propres est fort pertinent ici : il nous avertit à propos du fonctionnement sémantique du langage que seuls les noms communs nous permettent de communiquer et de parler du monde en termes de genres et d’espèces ; si chaque être avait son nom propre, et qu’il manquât de noms communs, il n’y aurait pas de communication possible41. Il en va de même dans le cas des signes : le signe propre d’une maladie, nous l’avons constaté, est un syndrome de signes communs. Dans l’étude des rapports entre le corps et l’âme humains, l’existence de signes individuels est reconnue : tout le monde peut avoir une tache cutanée unique, ou des lignes sur le front qui ne se trouvent point chez d’autres individus ; mais ces signes, si significatifs qu’ils soient, ne nous enseignent rien ; ce qui est intelligible, donc communicable, reste toujours sur le plan de l’espèce, non de l’individu (voir ci-dessus, p. 42). L’auteur du traité pseudo-aristotélicien sur la physiognomonie nous avertit explicitement de ce problème ; et plusieurs de nos auteurs se réfèrent à ce passage42.
31Nous n’avons pas le temps ici de passer en revue tous les arts de la divination. Nous allons en examiner quatre, qui se rapportent aux signes naturels. Je commencerai par les signes météorologiques qui, selon saint Luc, seront les avant-coureurs du royaume de Dieu dans ce monde, tout comme le figuier qui, en commençant de pousser, annonce l’été. Sans violer les lois divines qui interdisent toute divination enfreignant la liberté avec laquelle Dieu dispose de sa création comme bon lui semble, on peut apprendre à prédire le temps en observant le soleil et la lune, les étoiles, et le comportement des animaux, qui, eux, partagent ce savoir : selon le prophète Jérémie (8 : v. 7), « la cigogne même a connu dans les cieux ses saisons : la tourterelle, l’hirondelle et la grue observent le temps où elles doivent venir ». Ces prédictions sont fondées souvent sur la lente accumulation de données empiriques à travers les âges, et s’expriment sous forme de proverbes. En voici quelques-uns qui étaient déjà connus au xvie siècle :
Arc-en-ciel du soir fait beau temps prévoir.
Rosée du matin, tout va bien.
Rosée du soir, il va pleuvoir.
Pie trop bavarde, grand vent ne tarde.
Ane qui brait sans fin, pluie le lendemain43.
32Les médecins et les philosophes naturels de la Renaissance ne méprisent pas cette sorte de savoir populaire : après tout, selon l’évêque Sinesius de Cyrène, « les proverbes sont porteurs de sagesse, puisqu’Aristote affirme à leur sujet qu’ils sont les restes de l’antique philosophie disparue lors des plus grandes périodes de décomposition de l’humanité et qu’ils ont été sauvés grâce à leur concision et à leur à-propos44 ». Guglielmo Gratarolo (1516-68), médecin italien réfugié à Bâle, dresse une liste alphabétique des signes météorologiques que tout le monde, y compris les animaux, sait lire dans le monde sublunaire, et affirme que, tout comme la médecine, l’art météorologique, quoique conjectural en application, est basé sur des préceptes fixes45.
33L’étude des signes du temps, illustrée par les écrits du philosophe péripatéticien Théophraste et de bien d’autres sur ce sujet, ne suscite pas de controverse, ce qui n’est pas le cas d’autres doctrines touchant les signes naturels qui ne s’affublent pas de la dignité d’autorités antiques. Considérons-en deux d’abord qui traitent des signes naturels et qui suscitent des débats au cours du xvie siècle : la chiromancie et les signatures, qu’on découvre par la métoposcopie et par l’« ars signata » du médecin iatrochimique et occulte Paracelse46. La chiromancie et la métoposcopie font partie de la physiognomonie ; les signatures aussi d’une certaine manière, car elles appartiennent à la physionomie des plantes de par leur morphologie. La chiromancie ne doit pas nous retenir très longtemps. C’est une science divinatoire qui étudie les lignes de la main, sa taille, ses proportions et la texture de sa peau, dont le traité classique a été écrit à la fin du Moyen Âge par le théologien allemand Joannes de Indagine ; il a été maintes fois réédité à partir de 1522. L’étude sérieuse de la chiromancie dépend des rapports entre macrocosme et microcosme ; dès le xiiie siècle, il y a des penseurs qui l’associent à la physiognomonie et à la soumission du corps aux influences célestes, non pas pour affirmer que des lignes tracées dans la main peuvent déterminer le caractère de l’âme, mais en présupposant plutôt que les mêmes influences astrales déterminent les deux. Comme nous montrent les images qu’on trouve dans ces livres, le lien établi entre une planète donnée et l’un des doigts, et l’identification des lignes sur la main semblent être des plus aléatoires, bien que les maîtres de cet art puissent déclarer que cette identification repose sur la lente accumulation d’observations empiriques, tout comme la météorologie.
34La chiromantie est donc une science constative, qui pose pas de problèmes méthodologiques intéressants, mais qui bénéficie de ce qu’on appelle en anglais le « confirmation bias », c’est-à-dire du biais en vertu duquel, si quelques prédictions chiromantiques sont confirmées avec le temps, cela prouve le bien-fondé de la science, alors que, si les faits démentent les prédictions, cela n’infirme pas pour autant la science en question, car on peut toujours expliquer cet échec par des facteurs extrinsèques supplémentaires (il en va de même aujourd’hui avec les horoscopes).
35Passons à la métoposcopie, science antique perdue puis redécouverte à la Renaissance, qui interprète les lignes du front. Elle a retenu l’attention des plusieurs médecins : Thaddaeus Hagecius ab Hagek (1525-1600), Rodolphe Goclenius le jeune (15721621), Christianus Moldenarius, Ciro Spontini (ou plutôt Giovanni Antonio Magini), Samuel Fuchs et surtout Cardan ont écrit des traités à son propos47. La première étude à être publiée est celle de Hagecius, en 1562 ; mais Cardan avait déjà annoncé l’existence de son propre livre sur ce sujet en 1557, bien qu’il n’ait été imprimé qu’en 1658. Tout comme la chiromancie, on y décèle les traces de l’écriture divine imprimée sur le corps humain. Le créateur aurait laissé ces indices intentionnellement, pour induire les hommes à en faire une étude. Ce sont des signes « par lesquels, ainsi que par des Letres Divines, la vie des hommes est escripte, et designee48 ». Le praticien de la métoposcopie doit noter « le Nombre des Lignes, leur Quantité, Longueur, Largeur, et Profondeur ; comme aussi leur Qualité ; sçavoir la Couleur, si elle est Rouge ou Pasle, ou d’une autre sorte ; si elle est Droite, Tortue, Branchue, Continue, Interrompue, ou formée d’une autre maniere. […] Puis les Situation des Lignes au Front, sçavoir, montantes, ou descendantes, à Droit, ou à Gauche, ou inclinantes ailleurs.49 » Cette étude a donc un certain caractère analytique et semble fondée sur un moyen de classification objectif. Les abrégés de l’ouvrage de Cardan qui circulent en manuscrit après sa mort qualifient les nombreuses images qu’ils contiennent d’« observations », soulignant ainsi le caractère empirique de cette science redécouverte. Mais ni l’analyse ni l’empirisme ne résolvent le problème de ce qui constitue les limites de sa materia subjecta50. Autrement dit, trouve-t-on des nuls parmi les lignes du front ou de la main ? Cardan semble croire que non ; mais il avoue que les rides n’ont rien à voir avec l’étude de ces lignes, et que bon nombre des signes métoposcopiques sont plurivalents. Pourtant, il ne laisse pas de décrire cette science comme « une étude hautement rationnelle, exigeant l’exercice du jugement, et se servant des règles dialectiques de Ptolémée51 », en même temps qu’il en reconnaît le caractère ut plurimum. Son traité, qui dresse une liste de préceptes et d’aphorismes pour guider le novice, commence par ces mots :
Toutes les Disciplines et les Arts, qui contemplent les choses corruptibles, s’attachent principalement à celles qui arrivent le plus ordinairement : Ainsi qu’on remarque en l’Art de Naviger, et en l’Agriculture ; et sur tout en la Medecine : laquelle, encore qu’elle soit grandement ingenieuse, ne predit pas tousjours avec certitude les choses futures. C’est pourquoy on ne peut non plus adjouster une ferme croyance aux choses à venir, par l’inspection de la Figure de la Teste, ny par celle des Lignes du Front : Mais nous predisons, ainsi qu’aux autres Arts, les choses lesquelles arrivent le plus frequemment, sçavoir celles qui sont les plus manifestes, pour ce qui regarde les forces de l’esprit ; celles qui sont les plus obscures, pour ce qui concerne les evenemens ; et celles qui tiennent le milieu, pour ce qui est des effects. Cette connoissance est grandement augmentée, ou diminuée par l’Accoustumance, et par les Loix, par la forme commune, et par la condition des peres et meres, et par l’education : ce qui fait qu’il faut faire reflexion sur toutes ces choses, et mesmes sur l’Aage. Or celuy-là pourra asseoir un jugement assez certain, lequel adjoustera aux choses susdites, la Forme des Lignes, les Signes des Mains, et la constitution des Astres : Toutesfois il sera plus utile de se confier en des Signes, lesquels sont en soy totalement manifestes52.
36Notons ici le concours de trois sortes de savoir à tirer des signes métoposcopiques : d’abord, la connaissance du caractère moral du sujet (les « forces de l’esprit ») ; ensuite celle de son destin (« les evenemens ») ; enfin celle qui porte sur la combinaison des deux (« les effects »). Les règles générales confirment ces rubriques : les lignes subtiles dénotent « une froideur joincte à une humidité ; comme aussi des hommes agreables, lascifs, paresseux, mols et effeminez » ; les lignes grandes « marquent de grands et notables evenemens » ; « les lignes moderement Courbées, tesmoignent quelques fois un esprit altier, mais qui s’appaise promptement » ; le fait qu’il s’apaise doit être l’effet de la conjonction de son caractère et de son destin. Comme nous montrent les nombreuses images qui accompagnent les textes métoposcopiques, la lecture du front se fait à partir d’un calcul proportionnel des lignes (on suppose que la longueur de la ligne représente la durée d’une vie, et on interprète les intersections comme autant d’événements qui vont se passer au moment indiqué par le calcul) ; on divise le front en zones gouvernées par les planètes, et on note les conjonctions de lignes qui montrent l’influence relative de ces corps célestes. Les grains de beauté et les autres taches cutanées ont leur rôle à jouer dans cette sémantique. Il y a aussi quelquefois des interprétations basées sur l’isomorphisme : les lignes « Estendues en Rameaux » dénotent un « homme vagabond et d’un conseil irresolu », qui erre ici et là et qui vacille mentalement tout comme les rameaux qui sont imprimées sur son front ; mais notons que le même signe marque aussi « un trouble dans les affaires », ce qui nous rappelle que les signes sont plurivalents, et que seul le praticien expérimenté peut espérer venir à bout d’un pronostic relativement sûr ; ce qui est aussi le cas des signes rares, qui « pronostiquent tousjours de rares evenemens ». Il y a trop de variantes pour permettre à n’importe qui de déterminer le sens de tous les signes, d’autant plus que les signes exceptionnels ne font pas partie de la science, tout comme les signes propres d’une maladie. Ainsi le front est-il une sorte de carte qui révèle non seulement une causalité matérielle (la propension morale de chaque individu), mais aussi un destin (les accidents futurs dûs à des forces majeures célestes)53. Comme ses émules, Cardan fournit le lecteur curieux de plus de huit cents images, chacune accompagnée d’une interprétation exemplaire.
37On notera que l’interprétation porte non seulement sur le caractère moral de celui ou de celle qui est représenté, mais aussi sur son destin, souvent en des termes assez précis : par exemple, selon le bolognais Giovanni Antonio Magini (1555-1617), un tel sera pendu à 34 ans et la maison d’un autre brûlera. Ce qui reste problématique, c’est le rôle du libre arbitre, non seulement celui des individus qui peuvent lutter contre leurs propensions, mais aussi celui qui détermine des événements qui sont dûs non pas aux étoiles mais à la malice des hommes (les meutres, les incendies criminels). Dans le traité de Magini, le fait qu’il se sert non seulement du verbe « significare » pour expliquer la fonction des signes métoposcopiques, mais aussi de « mostrare », « causare », même « essere » révèle un glissement dangereux vers un certain déterminisme54. Hagecius commente ce problème dans les termes suivants :
En fait, on en peut apprendre [de cet art] d’une manière claire la disposition naturelle de l’esprit (ingenium) [mais il] ne peut pas être si cohérent et si immuable dans le cas de la nature humaine que dans celle des bêtes brutes, parce que ces dernières sont placées sous l’instruction de la seule nature, tandis que les hommes, même s’ils ont certaine propension naturelle, ont le pouvoir de changer à un certain degré grâce à l’institution et à l’éducation55.
38Hagecius affirme aussi que les lignes du front sont autant de signatures que l’architecte suprême a inscrites sur ses créatures ; il convient donc de relier la métoposcopie à l’ars signata de Paracelse, qui suscite de vifs débats dans la seconde moitié du xvie siècle. Il s’agit là de la correspondance morphologique entre une plante et une maladie donnée qu’elle peut aider à guérir, et de la présupposition quasi-cratylique que cette liaison entre signe et signifié n’est pas arbitraire, mais essentielle. Paracelse déclare que non seulement les plantes et l’urine mais aussi les maladies ont une physionomie, doctrine dont on pourrait dire qu’elle présage la théorie ontologique de la maladie et l’uroscopie analytique56. Mais ce que Paracelse et ses disciples disent des plantes est discrédité par les botanistes célèbres de leur temps, entre autres Rembert Dodoens (1517-85) :
La doctrine qui enseigne qu’on peut connaître les facultés des plantes de leurs caractères ou signes internes ou de l’observation de leurs parties ne se trouve pas chez les autorités les plus fiables parmi les anciens ; en fait, elle a été inventée ou plutôt affabulée par quelques auteurs plus récents et même quelques modernes. Ces derniers pensent que la nature a marqué très distinctement d’une signature particulière tout ce qu’elle s’est plu à créer, et ils enseignent que grâce à ces marques, on peut reconnaître avec certitude les puissances et les facultés pour la plupart cachées des objets naturels animés et inanimés, en employant (selon eux) le même genre d’observation du visage et des autres parties du corps humain par lequel l’art physiognomonique reconnaît les caractères et les affections des hommes. Mais la physiognomonie est attestée par Aristote et par d’autres philosophes de l’antiquité ; tandis que la doctrine concernant la signature des plantes n’a été attestée par aucun auteur ancien digne de foi ; qui plus est, elle est si muable et si incertaine qu’elle ne mérite même pas, semble-t-il, le nom de science ou de doctrine57.
39Ce qui est remarquable dans ce passage, c’est qu’un « moderne » (Dodoens fait figure d’innovateur dans la botanique de son temps) allègue l’autorité des anciens pour déconsidérer les signatures. Le paracelsien Joseph Duchesne s’efforce de répondre à cet argument dans son livre sur l’ancienne médecine paru en 1609. Il affirme que puisque la nature ne fait rien en vain, les correspondances entre les formes des plantes et d’autres objets animés et inanimés ne peuvent être purement fortuites ; et, puisque l’homme en tant que microcosme doit contenir en miniature tout ce qui se trouve dans le monde, y compris ces correspondances entre plantes et d’autres objets dont les propriétés occultes sont à puiser dans les similitudes de forme ou de figure, l’ars signata paracelsien est légitime et utile58. Mais, en défendant ces correspondances, il se montre capable de dépasser une vision du monde qui, en les alléguant, ne pourrait pas discuter de leur bien-fondé ; on ne se trouve pas ici en présence d’un dogmatisme aveugle tel que Michel Foucault nous le décrit.
40Le dernier des arts conjecturaux dont je parlerai, et qui est aussi le plus respectable et « éminent59 » d’entre eux, est la physiognomonie, qui a pris son essor dans la pensée occidentale au xiiie siècle – moment où elle bénéficie de l’autorité de plusieurs maîtres de l’Antiquité, tels Hippocrate, Aristote (dont le traité est considéré aujourd’hui comme apocryphe) aussi bien que le médecin arabe Rhases60. La physiognomonie est une méthode conçue pour examiner les caractéristiques morales des êtres à partir de signes fixes comme la grandeur et la forme du visage et des membres, les accidents du corps, ses mouvements, sa couleur et son caractère général, les traits du visage, la pilosité, la texture de la peau, le timbre de la voix, la condition de la chair. A la fin du xiiie siècle, la physiognomonie a déjà acquis le nom de science, car ceux qui l’étudient (entre autres, Michel Scot qui écrira le traité le plus répandu sur le sujet) déclarent que c’est un champ de savoir ancré dans un système de causes intelligibles que la raison peut identifier et soumettre à la logique61. Le texte pseudo-aristotélicien intitulé Physiognomonica discute des difficultés méthodologiques de la doctrine, mais consiste pour la plus grande partie en affirmations portant sur les caractères moraux à relier à certains traits du visage et du corps, sous la bannière de la similitude ou des ressemblances entre les animaux et les hommes.
(Reproduit avec l’aimable autorisation du Warden et des Fellows de All Souls College, Oxford.)
41Au xvie siècle, on republie souvent le traité de Michel Scot, et il faudra attendre jusqu’à la fin du siècle pour voir paraître le traité humaniste de Giambattista della Porta (1535-1615), auteur d’un livre bien connu à l’époque sur la magie naturelle, qui commence par considérer tous les écrits antiques et les débats qu’ils ont suscités, avant d’illustrer et d’interpréter les correspondances morphologiques entre les animaux et les hommes62. L’ouvrage du médecin français Jacques Fontaine (mort en 1621), publié quatorze ans plus tard, se penche plutôt sur le fondement logique de la physiognomonie, car l’auteur change l’ordre du texte pseudo-aristotélicien pour en révéler et les présupposés et l’argumentation63.
42Dès le début, la physiognomonie aristotélicienne affirme que le caractère de l’âme n’est pas indépendant des procédés corporels qui l’affectent, et vice versa, car les passions de l’âme affectent aussi l’état du corps – doctrine galénique aussi, exposée dans son traité Quod animi mores corporis temperiem sequantur64. Ceci pose un grand problème à la morale chrétienne, à son dogme du libre-arbitre ainsi qu’aux concepts de péché volontaire et de responsabilité personnelle65. Pour y répondre, on cite des textes bibliques qui semblent prôner cette doctrine, et souvent aussi le cas de Socrate, dont la physionomie indiquait selon les sectateurs de Pythagore un caractère impur et libidineux, mais qui avait su corriger ses vices par l’exercice de la raison66. On souligne souvent que la connaissance du caractère des hommes à partir des signes externes peut être considérée comme une science pratique en ce qu’elle permet aux hommes non seulement d’apprendre à se connaître, mais aussi à connaître les autres ; on recommande cette doctrine par exemple aux princes qui, en s’en servant, auraient la possibilité de découvrir les qualités morales de leur entourage67. La physiognomonie fait partie aussi du cursus artium dans plusieurs universités ; on l’enseigne même dans certains collèges jésuites. Elle trouve sa place parmi les libri naturales d’Aristote, on la traite en science positive, et on la soumet à la même analyse que les autres livres naturels68. La doctrine acquiert même des procédés logiques propres, nommés « syllogismes physiognomoniques ». Il y en a deux modes. Le premier est l’enthymème d’Aubéry, que j’ai déjà cité : « Le pas d’âne est lié à l’obstruction pulmonaire ; l’obstruction pulmonaire est donc liée au pas d’âne. » Cela est plus utile aux sectateurs de Paracelse et de la doctrine des signatures qu’aux étudiants de la physiognomonie aristotélicienne. L’autre mode est tiré des Premiers Analytiques d’Aristote ; il n’est physiognomonique qu’en matière ; c’est en fait un syllogisme en bonne et due forme de la première figure, et du mode par excellence : « barbara » :
Tout ce qui possède des extrémités de grande taille est fort
Tous les lions ont des extrémités de grande taille
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Tous les lions sont donc forts69
43De là, il est possible d’affirmer que la physiognomonie est une discipline pratique possédant une méthode résolutive ou analytique ; mais pour certains, elle reste un type de savoir caractérisé par une forme de raisonnement moins rigoureuse. Gratarolo, par exemple, la considère comme une science démonstrative en ce qui concerne les animaux, qui n’ont pas de raison pour régler leurs appétits naturels et leurs inclinations ; leurs traits physionomiques sont donc des signes nécessaires ou des tekmeria70. Mais chez l’homme, c’est une « science ut plurimum », c’est-à-dire une science qui prédispose mais qui ne détermine pas, puisque le libre arbitre de l’être humain lui permet de lutter contre ses prédispositions corporelles jusqu’à un certain point71. Della Porta lui-même est forcé d’admettre qu’on est tenté parfois d’employer un raisonnement du genre « si cet homme est pauvre, il est donc servile » (« pauper est, ergo blandus »), qui s’apparente aussi à la forme rhétorique d’inférence sémiologique, dont parle Quintilien et dont voici un exemple : « Atalante n’est pas vierge, car elle se promène dans les bois avec de jeunes gens72. » L’argumentation circulaire risque aussi d’infirmer toute inférence physiognomonique, dont voici un exemple : « Cet homme lent d’esprit ressemble à un âne ; le propre de l’âne est donc d’être lent d’esprit ; cet âne est lent d’esprit comme toute son espèce ; cet homme qui lui ressemble est donc lent d’esprit73. »
44D’autres difficultés logiques se posent à ceux qui veulent interpréter les signes physiognomoniques, car ils ne portent pas tous une signification. L’anecdote racontée par Daniel Sennert nous avertit que l’anamnèse est nécessaire pour tout diagnostic, car il y a des gens aux tempes creuses, aux traits tirés et aux orbites caves dont on aurait tendance à croire qu’ils sont à l’agonie si l’on ne savait pas qu’ils sont nés ainsi74. Plusieurs signes sont ambigus ou polyvalents ; d’autres renvoient à des accidents plutôt qu’à la substance du corps, et par conséquent sont passagers plutôt que permanents (telle la pâleur du visage75) ; il faut tenir compte des signes absents aussi bien que ceux qui sont présents ; en plus, il faut être conscient des « signa potentiora » qui déterminerent l’interprétation du visage dans les cas ambigus76. Ce passage du commentaire sur les Physiognomonica écrit par l’italien Camillo Baldi (1550-1637), qui est le premier à douter de l’authenticité du texte d’Aristote, nous montre la circonspection dont il faut user en physiognomonie pour en tirer des inférences valables :
Je note que deux conditions sont requises si nous voulons affirmer quoi que ce soit avec certitude ; la première, c’est qu’il nous faut plusieurs signes qui témoignent de la même affection, et la seconde, c’est qu’il faut qu’aucun signe ne soit présent qui témoigne de l’affection contraire, ou qui la laisse inférer ; comme dans le cas suivant : je dis que cet homme est courageux, premièrement parce qu’il a des extrémités de grande taille, que sa poitrine est large et velue, sa bouche grande, et sa chair dure ; deuxièmement parce que chez lui ne se montre aucun des indices qui signifient la peur, ou qui indiquent la faiblesse morale, ou l’avarice, deux dispositions qui accompagnent normalement la peur, quoiqu’ils puissent accompagner le courage77.
45Il est pertinent de noter ici que cette argumentation est presque identique à celle que produit Cardan sur le signe pathognomonique (ci-dessus, p. 86-87). Cette circonspection relève de la certitude ou probabilité des jugements physiognomoniques. Giambattista della Porta affirme que chaque espèce animale doit avoir une passion commune à tous les individus ; mais il peut y avoir des cas où la passion ne se montre que chez plusieurs individus, et manque aux autres78. Dans ces conditions-là, on ne peut plus appliquer le syllogisme démonstratif ; il faut plutôt calculer la probabilité d’une interprétation dans le sens moderne du terme. Dans son livre sur la physiognomonie publié en 1626, Scipione Chiaramonte marque un grand pas en avant dans la considération de ce problème. Il évoque le problème classique de la pâleur, qui peut signifier un certain nombre de choses : mélancolie, peur, froid, colère, amour. Comment interpréter la pâleur d’un visage donné ? Par élimination, nous dit-il : si on peut montrer que l’individu en question n’est ni mélancolique, ni craintif, ni amoureux, ni fâché, on peut être certain qu’il a froid ; si on ne peut éliminer que trois des conditions possibles, on saura qu’il souffre de l’une des deux qui restent79. On peut transférer ce calcul simple aux cas de probabilité infinie : par exemple (et c’est là l’exemple classique d’un tekmerion adapté à d’autres fins), si une femme a du lait, il se peut qu’elle soit enceinte ; si elle veut satisfaire des appétits bizarres, si elle vomit fréquemment le matin, si elle souffre de léthargie, il devient de plus en plus probable qu’elle est enceinte. Bien sûr, ce serait très commode si toutes les conditions avaient leurs signes propres, mais ce n’est pas le cas, on l’a vu ; les signes sont pour la plupart communs et par conséquent plurivalents, et risquent en plus d’être vides de sens. Il faut construire une inférence qui, bien qu’imparfaite, aboutisse à ce qu’on peut accepter comme vérité, comme dans le cas suivant (où j’ai renchéri un peu sur le texte de Chiaramonte, sans pourtant le trahir) : il se peut qu’un homme qui erre par les rues au milieu de la nuit soit ou mari adultère, ou voleur, ou noctambule ; il se peut que quelqu’un qui porte de riches vêtements soit ou riche, ou acteur, ou mari adultère ; il se peut également qu’un homme qui porte un bouquet de roses soit ou fleuriste, ou mari adultère, ou botaniste ; mais un homme richement vêtu portant un bouquet de roses qui erre par les rues au milieu de la nuit est le plus probablement en sortie extraconjugale. Cet exemple, qui est adapté par Chiaramonte du traité d’Aristote sur les raisonnements faux (De sophisticis elenchis), nous révèle que, selon l’esprit de la fin de la Renaissance, toujours imbu du syllogistique démonstratif d’Aristote, toute argumentation probabiliste est proche de l’erreur ; il s’apparente également à l’inférence sémiologique quintilienne à propos d’Atalante, déjà mentionnée80. Nous nous trouvons ici en présence d’arguments plutôt rhétoriques et légaux que logiques, ce qui nous rappelle les doctrines juridiques de présomption et de conjecture que j’ai évoquées dans ma troisième leçon ; le calcul des preuves et du témoignage semble avoir contribué, même dans le domaine de la physiognomonie, à inspirer les commencements d’une pensée probabiliste.
46Concluons. Bien loin d’être un système clos qui s’enferme dans des correspondances stériles et peu empiriques, la sémiologie médicale et celle des basses sciences constituent un ensemble de procédés éclairés et assez sophistiqués. Ceux qui les emploient se montrent conscients de ses apories, et se reconnaissent bénéficiaires de la lente accumulation de données empiriques qui caractérise le savoir séculaire des maladies, du temps, des animaux et du caractère des hommes. Il y a même, parmi les médecins et les philosophes naturels de cette époque, des individus qui devinent la valeur d’un nouveau concept de la probabilité grâce auquel la doctrine qualitative de leurs devanciers pourrait se transformer en savoir quantitatif. Tout cela reste pourtant dans le cadre d’une nature protéiforme et infinie, au sein de laquelle on continue de reconnaître l’influence du monde céleste et l’existence d’effets dont les causes sont cachées à l’esprit humain. D’où la nécessité de se fier parfois à des correspondances qui peuvent sembler arbitraires et d’appliquer un savoir empirique qui ne prétend pas maîtriser et posséder la nature, mais seulement en faire usage à un niveau plus modeste.
Notes de bas de page
1 Foucault, Les mots et les choses, p. 45.
2 Ferdinand de Saussure, Cours de linguistique générale, Paris, Payot, 1916 ; Charles Sanders Peirce, Selected writings, éd. Philip P. Wiener, New York, Dover, 1966 ; un manuel récent qui traite des signes médicaux est celui de Loïc Guillevon, Sémiologie médicale, Paris, Gallimard, 2004.
3 Sur l’absence d’un champ de savoir nommé sémantique, voir Maclean, Interpretation and meaning, p. 1-2 ; Stephan Meier Oeser, Die Spur des Zeichens : das Zeichen und seine Funktion in der Philosophie des Mittelalters und der frühen Neuzeit, Berlin et NewYork, de Gruyter, 1997.
4 Campilongo, Semeiotike, f. 16r : « cognitio omnium indicantium methodi curatricis, a dogmaticis per propria instrumenta inventa, gratia curationis ».
5 Pour les détails bibliographiques, voir Maclean, Logic signs and nature.
6 Argenterio, Opera, col. 1676 : « quid enim quaeso difficilius, quam praesentia, praeterita, futuraque omnia, quae corpori nostro accidunt, quod haec medicina pars promittit dignoscere ? Cum saepe ita lateant illa, ut nullo certo indicio deprehendi posse videantur, et tam multa, tamque varia capita ipsa tractatio obtineat, ut etiam re ipsa perspecta, omnia certa docendi ratione explicare sit difficillimum ».
7 Capivaccius, Opera omnia, éd. Johannis-Hermannus Beyerus, Francfort, 1603, p. 282 : « signum ergo medicum est propositio, producta ab intellectu, non sine obiectis sensibilibus, ostendens a posteriori ignotum in arte medica. Hunc sequitur quod omne signum petendum sit, ab eo quod vel praecedit, vel sequitur signatum : quare vel a causa vel ab effectu ».
8 S. Augustin, Principia dialectica, v, PL 32.1410 : « signum est et quod seipsum sensui et praeter se aliquid animo ostendit » ; De doctrina christiana, ii.1.2-3, PL 34.1.36-7 : « signorum igitur alia sunt naturalia, alia data. Naturalia sunt quae sine voluntate atque ullo appetitu significandi, praeter se aliquid aliud ex se cognosci faciunt [...] Data vero signa sunt, quae sibi quaeque viventibus invicem dant ad demonstrandos, quantum possunt, motus animi sui, vel sensa, aut intellecta quaelibet ».
9 Aristote, De interpretatione, i-ii. 16a ; Ronsard, Sonnets pour Helene, éd. Malcolm Smith, Genève et Paris, Droz/Minard, 1970, p. 109 (ii.6). Voir aussi Pontus de Tyard, De recta nominum impositione, Lyon, 1603, p. 1-2 : « approbata certe Platonicorum satis est opinio, qui affirmant, nominum rationem omnibus hominibus natura insitam esse, atque ingenitam : et re ipsa talia esse, qualis rerum nominatarum est Natura : ut, Nomen, nihil aliud sit, quam contracta rei diffinitio : diffinitio vero, nihil aliud, quam rei nomen explicatum ». Sur l’opinion des médecins, voir Maclean, Logic, signs and nature, p. 111-112.
10 Ibid., p. 328-330.
11 Argenterio, Opera, Venise, 1606-1607, p. 101 : « porro sive signa, sive indicia, vel notas, vel alio verbo voces, quod rem occultam declarat nihil referre velim. Non enim inter haec nomina eam differentian agnoscimus, quam Graeci ponunt inter semeion et tekmerion quod sicilicet, hoc necessarium sit indicium, illud vero non necessarium existat. Atque illud etiam ignorari nolim, latius a nobis signi nomen sumi quam ab Aristot. capiatur. Ille enim tantummodo ab effectis signa sumi docet. Nos vero quicquid potest aliquid eorum quae in corpore nostro fiunt significare, nomine signi donamus. Porro significare est tacite admonere unum ex alio : fit autem tacita haec admonitio ex comparatione rei significandi cum significata, simul enim a[t]que facta est huiusmodi comparatio, deprehendit intellectus quod quaerebat : qua ratione ex fumo significare ignem dicimus. Nam quum notum sit effectus a suis causis nasci, non mirum est si uno cognito aliud protinus animus concipit, id quod est significare, quapropter eadem re utimur ad significandum, indicandum, et demonstrandum, nam ex causa morbi relata ad ea quae facienda sunt in aegrotis elicitur indicatio, ex eadem confecto syllogismo fit demonstratio ad symptomata morborum probanda, quum autem affectionem aliquam congoscere volumus absque expressa ratiocinatione causa huisumodi signum sit. Omnia ergo haec probant ex uno diversa, prout ad diversa referuntur ». Cf. da Monte, Universa medicina, p. 50 (i.56) qui déploie autrement l’exemple fumée-feu. Argenterio semble s’inspirer de Pietro d’Abano, Concilator, f. 123v (lxxviii) : « signum [est] correlativum. Duplex fore ipsius significatum unum nempe immediatum : cum quo praesentaliter existit ut tacitum quod dicitur offerens se sensui. Aliud mediatum, in intellectu signum prognosticorum dictum ». Voir aussi Sanctorius, Methodi, p. 501-513 (vi.1).
12 Dubois, Methodus sex librorum Galeni de differentiis et causis morborum, p. 25.
13 Mentionnons le passage des Premiers Analytiques (ii.27, 70a-b) sur la distinction entre eikos (« probabilité » dans le sens de prémisse généralement reçue) et semeion, exposée par Joannes Caselius, Explanatio loci Rhetoricorum Aristotelis peri eikoton semeion, Rostock, 1580, A 1-4, cité par Maclean, Logic signs and nature, p. 150-152 ; Rhétorique à Alexandre, xii, 1430b.
14 Aristote, Rhétorique, i.2.18, 1357b.
15 De sophisticis elenchis, vii 169b ; voir aussi da Monte, Consultationes medicae, ed. Joannes Crato, Bâle, 1583, t.i, p. 107 : « habet [iuvenis] bubones, ergo laborat morbo gallico non sequitur, sicut a nullo signo alio solo argui potest, quia semper committetur fallacia consequentis. »
16 Galien, De constitutione artis medicae, xiv, K 1 273-9 ; In aphorismos, i.12, K17b.380-400 ; Da Monte, In nonum librum Rhasis expositio, f. 302r ; Peucer, De divinationum generibus, p. 207 ; L’Alemant, Ars parva, p. 29-30 ; Liddel, Ars medica, p. 511-3 : Aubéry, De concordia medicorum, p. 16 ; Campilongo, Semeiotike, f. 15v. Sanctorius, Methodi, p. 85 (i.24) indique que Galien ajoute un cinquième symptôme (respiration rapide et superficielle) : voir De locis affectis, v.3, K 8.306 sq.
17 Cardan, De epilepsia, in Opera, t. 9, p. 398 : « de pathognomonicis agendum est quae denotant nobis passiones, ubi suppono signa debere esse, vel propria, vel inseparabilia, vel utrumque : si signa nullum habeant horum trium, frustra adducuntur a medicis ; in signo proprio licet arguere affirmative, est illud signum ; ergo illa passio ; in signo inseparabili, licet arguere negative, est illud signum ; ergo neque illa passio ; in signo quod habeant utrumque, licet arguere, et affirmative, et negative : et quamquam in praesenti morbo [epilepsia] Paulus adducat multa signa quae nihil habeant in se certitudinis, quoniam non sunt neque propria, neque inseparabilia, tamen Galenus adducit tria, quae sunt inseparabilia, nullum tamen est proprium. Sed ex illis tribus simul collectis fit unum signum proprium, et est quomodo in pleuridite ; ibi adducuntur quinque signa, omnia sunt inseparabilia, nullum eorum per se est proprium, sed omnes simul efficiunt unum signum proprium : acuta febris dolor pungitivus, difficultas anhelitus, tussis, pulsus durus, et densus. Omnia haec sunt inseparabilia, et ab eis licet arguere negative, non est febris acuta, ergo non est pleuritis ; non est dolor pungitivus, ergo non est pleuritis ; sed tamen nullum est proprium ; neque enim valet, est febris acuta, ergo pleuritis, quoniam febris acuta est etiam in aliis morbis, et sic de aliis. Ex his efficitur unum proprium et inseparabile, a quo licet arguere, et affirmative et negative : sunt omnia haec signa, ergo necessario est pleuritis : non sunt, ergo non est. »
18 Sanctorius, Methodi, p. 84 (i.24) : « error logicus committitur, quia quatuor signa pathognomica universaliter sumpta constituunt argumentum a positione consequentis ad positionem antecedentis, veluti si homo, est animal, sed est animal, ergo est homo, quod non valet, est enim in secunda figura ex duabus aff. et multis modis peccat, ut alibi ostendimus, est dolor lateris, tussis, difficultas spirandi, et febris acuta,, ergo pleuritis, non valet nisi sic fiant convertibiles termini, est dolor lateris pungitivus, ergo pleuritis : et caetera limitentur, et coarctentur signa propria, ut infra, si velimus inferre consequentias ». Suit une table qui démontre que dans plusieurs cas (celui de la pleurite et celui de l’inflammation du foie) on a besoin de plus de quatre signes ; Sanctorius constate qu’on ne peut pas se passer de ses six sources, et « quod vero nec plures, nec pauciores esse possint fontes ; a quibus signa communia possunt in hunc usum colligi, talis ingruit necessitas. » (ibid., p. 45 (i.9)). Ailleurs (ibid., p. 422 (v.2)), il constate, en citant et Aristote et Galien, que les signes doivent être convertibles, et qu’ils peuvent consister en syndromes de signes propres et de signes communs ; cependant, les signes propres sont fort rares : « ideo methodum certam de signis propriis tradere non possumus, cum de illis, quae non sunt semper, nulla Methodus, vel scientia detur » : voir aussi ibid., p. 30 (i.8).
19 Sanctorius, Methodi, p. 30 (i.8) : « syndromen infallibilem, aeternae veritatis et scientificam » ; ibid., p. 536 (vi.7) : « idcirco tot locos proposuimus ad tollendam omnem ambiguitatem » ; Galien, ad Glauconem, i.2, K 11.9.
20 Théophraste, De ventis ; ps-Aristote, Physiognomonica, ii, 806b ; Liddel. Ars medica, p. 523-5 (sur le problème des signes contradictoires, que seul un médecin expérimenté peut interpréter) : voir aussi Physiognomonica, i, 805b ; Argenterio, Opera, col. 1723-4 (comment interpréter les signes qui varient selon les humeurs) ; Leonardus Jacchinus, Methodus curandarum febrium éd. Rodericus Fonseca, Pise, 1615, p. 187 : « oportet coniecturam facere considerando non solum numerum signorum sed vim et magnitudinem » ; Juan Alonso, Medicorum incipientium medicina, Alcala de Henares, 1598, p. 24 : « signo uni credere fatuum est neque signum unum ita fidele est, ut exquisite ostendat singula ex futuris temporibus ».
21 Argenterio, Opera, col.1780 : « quod si par numerum [signorum] reperiatur, quae maiorem vim habent, praedictionem attrahunt : quod si aequalis signorum vis fuerit, maior numerus certa praebet futuri indicia, at si bona malis permixta vi et numero paria videantur, exercitato in artis operibus viro opus est, inquit Galenus, qui ea saepenumero sit contemplatus, latentesque adhuc quodam modo vicentis vires, et quid in singulis morbis praevaleat, praenoverit ». Cf. Fonseca in Jacchinus, Methodus, p. 187 : « oportet coniecturam facere considerando non solum numerum signorum, sed vim et magnitudinem ». À ne pas confondre avec la doctrine galénique qui traite de la distinction qualitative des maladies (De constitutione artis medicae, K 1.293-5 ; De crisibus, i.5, K 9.563-4 ; Ad Glauconem, i.11 K. 11.36-7) ni avec la conjecture intuitive mentionnée dans De locis affectis, iii.4, K.8.145 et De sanitate tuenda, v.11, K. 6.365 ; voir aussi Luis García Ballester, « Galen as a medical practitioner : problems in diagnosis », in Galen : problems and prospects, éd. Vivian Nutton, Londres, Wellcome Institute, 1981, p. 13-46.
22 Rondelet, Methodus curandorum omnium morborum corporis humani in tres libros distinca, Lyon, 1586, p. 597-598, et ci-dessus, p. 29 ; voir aussi Liddel, Ars medica, p. 513 sqq.
23 Voir Premiers analytiques, i.27, 43b ; Seconds analytiques, ii.12, 96a et l’article de M.F. Burnyeat, « Enthymeme : Aristotle on the logic of persuasion », in Aristotle’s Rhetoric : philosophical essays, éd. David J. Furley et Alexander Nehemas, Princeton, Princeton University Press, 1994, p. 3-53. La progression (ou plutôt la dérive) de « tout » à « pour la plupart » se trouve dans aussi dans Galien, Ars parva, K 1.308.
24 Hippocrate, Epidémies, 1 2.5, in Œuvres, éd. Littré, t. 2, p. 633-634.
25 Diderot, Encyclopédie, Neuchâtel, 1765, t.14, p. 938.
26 Rondelet, Methodus curandorum omnium morborum, p. 597-598.
27 Sanctorius, Methodi, p. 19-25 (i.6) ; ibid., p. 522 (vi.4) : « [ut] virtute signorum aliorum fontium contingentiam et probabilitatem expurgemus » ; ibid., p. 532 (vi.6) : « hic non per unicum signum in re difficila est incedendum, sed per signorum syndromen, quae sola vehere potest nos ad veritatis apicem » ; ibid., p. 535 (vi.7) : « si [fontes] invicem non viderimus dissentire, certum et exploratum iudicium faciemus [...] ab hac concordia locorum colligemus, quae scientiae demonstrativae aequiparari potest » ; ibid., p. 536 (vi.7) : « tot locos proposuimus, quot sufficerent ad tollendam omnem ambiguitatem ».
28 Voir William Eamon, Science and the secrets of nature. Books of secrets in early modern culture, Princeton, Princeton University Press, 1994.
29 Peucer, De praecipuis divinationum generibus.
30 De sapientia, in Œuvres, t.I, p. 564-567.
31 Bullarium Romanum, éd. Charles Cocquelines, Rome, 1747, t. 4, pt. 2, p. 176-179. On trouve ce texte reproduit dans certains traités de l’époque, par exemple par Peter Binsfeld, Tractatus de confessionibus maleficorum et sagarum, 2e éd, Trèves, 1596, p. 781-793.
32 Cardan, In Hippocratis Coi prognostica commentarii, Bâle, 1568, p. 8 : « reliquum est, ut videamus de stellis, Physiognomia, chyromantia, somnis, et fato, seu ordine causarum : sub his enim quinque continentur omnia genera praedictionum communia. Et dico, quod de stellis eatenus, quatenus agunt calore et lumine, dubium non est : sed haec, si rite extenduntur, etiam influxus continent. Fatum quoque pro ordine causarum admittitur ab Augustino, in opere de Civitate Dei. Physiognomia quoque haud dubie magnam continet veritatem. Chyromantia est ulterius rationis, nec potest adeo reduci ad causam seu causas naturales. Somnia probat Hippocrates, et lex utraque antiqua et nova. Ideo videntur, posse facere praecognitionem adeo certam ut Medicina. Itaque in universum quo scientia est unius generis, eo certior est in praedicando ».
33 Sennert, Opera, t.i, p. 323 ; Vega, Opera, p. 1073 qui tire la distinction entre « signa propria/mox apparentia/assidentia » de Galien, De crisibus, i.5, K 9.562-3 ; Sennert, Opera, t.i, p. 527 : « coctionis signa nunquam mala sunt » ; ibid., p. 323 ; Vallesius, Controversiae, p. 119 ; Valleriola, Loci medicinae communes, Lyon, 1562, p. 423-5 ; Valleriola, Commentarii in librum Galeni de constitutione artis medicae, p. 422 : Girolamo Fracastoro, Opera omnia, Venise, 1574, p. 140 sqq. : Peucer, De praecipuis divinationum generibus, p. 210-11 ; Pagel, « Religious motives », p. 107 ; also Siraisi, The Clock and the mirror, p. 140 (sur Luca Gaurico) ; Ernestus Fridericus Fabricius, Medicinae utriusque Galenicae et hermeticae anatome philosophica, Hamburg, 1626, sigs. A4v-B1r ; Angus Clarke, « Metoposcopy : an art to find the mind’s construction in the forehead » in Astrology, science and society : historical essays, éd. Patrick Curry, Woodbridge, Boydell, 1987, p. 171-196 (sur la mélothesie).
34 Aphorismes, ii.23-4, in Œuvres, trad. Littré, t.4, p. 477.
35 Liddel, Ars medica, p. 584-5 : « Averrhoes arbitratur, totam hanc dierum criticorum rationem dependere a proportione naturae agentis et morbi resistentis : verum, cum proportio illa varia sit, unde certa enumerandi ratio sumi nequit ; nec scire poterit cur crisis septimo die melior et tutior sit quam sexto aut octavo ». Voir aussi Galien, De diebus decretoriis, iii.2, K 9.902-3 (le lien entre les jours décretoriaux et la lune) ; Auger Ferrier, Liber de diebus decretoriis secundum Pythagoricam doctrinam et astronomicam observationem, Lyon, 1549. Cette doctrine semble étayer la thèse de Foucault dans Les mots et les choses : mais la critique de Liddel et d’autres l’infirment.
36 Voir Kusukawa, The transformation of natural philosophy.
37 Clarke, « Metoposcopy ».
38 Guido Canziani, « Causalité et analogie dans la théorie physiognomonique (xvie-début xviie siècles) », Revue des Sciences philosophiques et théologiques, 72 (1988), p. 209-225.
39 Sur les signes vides de sens, voir Bacon, The Advancement of learning, p. 121-2, et p. 318, où ses sources sont nommées (Joannes Trithemius, Giambattista della Porta et Blaise de Vigenère). Voir aussi Galien, De constitutione artis medicae, i.19, K l.158 sur les « symptomata utilia et inutilia ».
40 Argenterio, Opera, col. 1688 : « non omnia significant omnia » ; phrase citée d’après la Rhétorique à Alexandre d’Aristote, xii, 1406b ; Cardan, Synesiorum somniorum libri iv, i. 2-4, in Opera, t. 5, p. 596-99 ; et ci-dessous, p. 99.
41 M. Foucault, Les mots et les choses, p. 112.
42 Physiognomonica, ii, 806b. : « si quelqu’un identifiait les traits individuels de chaque animal, il ne serait pas capable de dire ce que ces traits signifient. »
43 Je cite ces proverbes d’après le site http://aferriere.free.fr/Dictons/dictons. On doit supposer que la prosodie primitive de ces dictons ne détermine pas leur message selon une application de la théorie cratylique du langage, mais les rend seulement plus mémorables.
44 Sinesios de Cyrène, Opuscules, éd. Jacques Lamoureux, trad. et comm. Noël Anjou, Paris, Les Belles Lettres, 2004, p. 84 (L’Éloge de la calvitie, 22.1).
45 Gratarolo, De mutatione temporum, eiusque signis perpetuis, in Joannes ab Indagine, Introductiones apotelematicae elegantes in physionomiam, astrologiam naturalem, complexiones hominum, naturas planetarum, cum periaxiomatibus de faciebus signorum et canonibus de aegritudinibus hominum, éd. Guglielmo Gratarolo, Oberursel, 1603, p. 281 : « animantes omnes natura mutationes temporum sentiunt, quoniam naturali quodam instinctu ex impressione corporum caelestium producto, moventur pro ratione dispositionis aeris ad temporem cognitionem, ut necessarium est suis naturis, super illud Hieremiae capite octavo [Jeremiah 8 :7] : milvus in coelo cognovit tempus suum [...] animalia enim minus occupata, et corpore imbecilliora, mutationes temporum praesentiunt ».
46 Voir Massimo Luigi Bianchi, « Signs, Signaturae and Natursprache in Paracelsus and Böhme », in Res et verba in the Renaissance, p. 197-216.
47 Clarke, « Metoposcopy » en fournit une bibliographie compréhensive.
48 La Métoposcopie, trad. Claude-Martin de Laurendière, Paris, 1658.
49 Ibid., p. V.
50 L’édition de Cardan de 1658 cite et illustre un seul cas historique, celui du front d’un « insigne voleur, lequel a tué 30 personnes et a esté enfin esquartelé publiquement » ; mais les abrégés manuscrits (voir par exemple, les MS Lat 17857 et 18502 de la Bibliothèque de France) en contiennent plus, y compris l’image du front de Cardan lui-même, interpretée par l’auteur.
51 Cardan, Opera, éd. Spon, t. I p. 144 : « ipsa contemplatio maxime rationalis, iudicium postulans, et participationis dialecticarumque regularum Ptolemaei usum exercens. »
52 Cardan, La Métoposcopie, p. III.
53 Ibid., p. III-VIII.
54 Clarke, « Metoposcopy », p. 178-190.
55 Aphorismorum metoposcopicorum libellus unus, Prague, 1562, sig. B1v : « Quod ad certitudinem huius artis attinet, id cogitare singuli debent, artem esse qualis Medicina et Astrologia, quae quanquam utraque cultior sit hac nostra, et certa Methodo constituta : tamen quia versatur circa ea, quae plaerumque accidunt, in eo cum eis communicat. Ingenium, mores, fortuna, et casus quidam non obscure cognosci possunt, et plaeraque signa habemus certissimorum eventuum, et plura profert dies in lucem. Non potest etiam haec ita sibi constans et perpetua esse in hominum naturis, ac in brutorum animantibus, propterea quod haec solo naturae instructu feruntur, illae vero etsi ad quaedam sunt propensae ; tamen institutione et educatione plaerumque mutantur ».
56 Paracelse, Medici libelli : phisionomia morborum […], Cologne, 1567.
57 Rembert Dodoens, Stirpium historiae pemplades vi sive libri xxx, Anvers, 1583, p. 16 : « signaturae autem vel in forma figurave stirpis aut alicuius eius partis, reperiuntur, vel ex coloribus aut succis deprehenduntur, aut ex aliis proprietatibus accipiuntur [...] ex characteribus sive signis quae in stirpibus, aut earum partibus observari contingit, ipsarum cognosci facultates posse, a probatis inter veteres auctoribus traditum non reperitur : nonnullorum posterioris aetatis et nostri saeculi recentiorum haec inventa, aut verius commenta sunt. Qui naturam quodlibet a se procreatum suis peculiaribus signaturis manifestissime notasse existimunt ac docent per quas vires et facultates praesertim occultae et latentes, certo cognoscantur : haud aliter (ut aiunt) quam ex inspectione vultus et nonnullarum corporis partium ɸνσιογνωμία mores et affectus hominum percipit : sed physiognomia ab Aristotele ac aliis veteribus philosophis probatur : doctrinae vero de signaturis stirpium, a nullo alicuius aestimationis veterum testimonium accepit : deinde tam fluxa et incerta est ut pro scientia aut doctrina nullatenus habenda videatur ».
58 Joseph du Chesne, Liber de priscorum philosophicorum verae materiae materia, Genève, 1609, p. 70-74 : « haud vane a Platone, eiusque sectatoribus mirabile illud, et prima fronte παράδοξον visum pronunciatum : Plantam esse hominem inversum. Hae si quidem, si rem ipsam exacte et oculo attento, sagaci, atque curioso, hoc est philosophico, intueamur, magnam, non tantum cum homine, sed caeteris quoque animantibus habent similitudinem. Quin imo ad naturae illam αναλογίάν rerum considerandarum ductricem oculos, et mentem attenderimus, ex iisdem, aut certe non usque adeo ab similibus plantas cum homine habere quandam proportionem animadvertemus [...] Haec et similia, mihi credite, non vane a natura in mundi hocce theatro sunt producta : Namque, ut verissime habet axioma, Deus et natura nihil faciunt frustra. Non itaque existimandum frustraneas atque fortuitas esse istas signaturas, sed in certum aliquem finem a natura productas. At in quem potius alium productas illas signaturas dicamus, quam in finem hominis ? In bonum, inquam, imaginis divinae, cuius gratia cuncta creata, cunta producta sunt, cunctaque perenni successione propagantur atque conservantur ? Et certe videtur nobis natura eo ipso, ceu speculo quodam ob oculos ponere, cui quaeque appropriata, propria atque utilia, et in quem finem singula ab ea producta sint. Nihil enim, uti dictum, facit frustra. Cui igitur simile potius comparabis, quam suo simili ? A quo remedia desumes, quam ab eo, quod parti affectae, atque ipsi adeo naturae est simillimum ? Non absurde itaque philosophati sunt, qui plantas resque omnes a natura signatas, animantibus brutis haecque rursus omnia, cum illis creaturarum perfectissimo nobilissimoque homini naturae, virium quadam similitudine statuerunt. »
59 Voir Cardan, De libris propriis, in Opera, éd. Spon, t. 1, p. 144 : « naturalis coniecturae tres sunt partes : Metoposcopia ex fronte, Chiromantia ex manibus, ex toto autem Physiognomia […] Omnium divinationum praestantissima est Physiognomia, adeo ut prudentum consiliis proxime accedat. Proxima illi Metoposcopia : inde quae ex astris : post Chiromantia, post prodigiorum, sexta somniorum si rite observentur ».
60 Voir Clarke « Metoposcopy », Joseph Ziegler, « Text and Context : on the rise of physiognomic thought in the later middle ages », in De Sion exibit lex et verbum domini de Hierusalem : essays on medieval law, liturgy, and literature in honour of Amnon Linder, éd. Yitzhak Hen, Turnhout. Brepols, 2001, p. 159182 ; Jole Agrimi, Ingeniosa scientia nature : studi sulla fisiognomica medievale, Florence, Sismel, 2002. Sur la bibliographie très ample des textes sur ce sujet publiés au xvie siècle, voir Georg Draut, Bibliotheca classica, Francfort, 1625, p. 222 et Bibliotheca exotica, Francfort, 1625, p. 167-168 (textes français).
61 Ziegler, « Text and Context », p. 160. L’autre texte qui fait autorité dans ce domaine au Moyen Age est celui de Pietro d’Abano.
62 della Porta, Physiognomonia, Hanau, 1593.
63 Jacques Fontaine, Phisiognomia Aristotelis ordine compositorio edita ad facilitatem doctrinae, Paris, 1611.
64 K 4.767-822.
65 Gratarolo, De praedictione morum naturarumque hominum, in Indagine, Introductiones, p. 216 : « omnibus animalibus commune est agere vel pati ab inclinatione naturali, quae in brutis impetus, ita in hominibus propensio dicitur (ut in cholerico est ad iram inclinatio) [...] Inclinationes ergo istae in hominibus morum atque affectuum semina dicuntur, quoniam ratione regulari possunt ; in brutis vero mores et affectus, quoniam sensibus et appetitu vivunt. Ex quidem patet Physiognomiam scientiam esse necessarium, quo per ipsam praedicimus aptitudines naturales et affectus vel mores : quo vero per ipsam praedicimus affectus vel mores actuales, nec est scientia necessaria, nec firma : verum quia homines plerunque vivunt sensu, et non nisi sapientes vivunt ratione, ideo physiognomia est scientia praedicandi mores actuales et effectus ut in pluribus, quoniam plures appetitunt et sensu vivunt, quam ratione, quam etiam ob causam Bias Prienaeus dicebat plures esse malos quam bonos ».
66 Job 37 v. 7 ; Psaumes, 77 v. 72 ; Joannes de Indagine, Introductiones apotelesmaticae elegantes, in chiromantiam, physionomiam, astrologiam naturalem, complexiones hominum, naturas planetarum, cum periaxiomatibus de faciebus signorum, et canonibus de aegritudinibus, Lyon, 1582, p. 6.
67 Ziegler, « Text and context » ; Marin Cureau de la Chambre, L’art de connoistre les hommes, Paris, 1662.
68 Voir Hugo Ott et John M. Fletcher, The medieval statutes of the Faculty of Arts of the University ofFreiburg im Bresgau, Notre Dame, Notre Dame University Press, 1964, p. 64 ; Jodocus Willichius, Physiognomonica Aristotelis Latina facta, Wittenberg, 1530, sig. A 2r ; Honorat Nicquet S.J., Physiognomia humana libris IV distincta, Lyon, 1648, sig. a3r (enseignement vers 1618 au Collège de la Flèche) ; Agrimi, Ingeniosa scientia nature.
69 Premiers analytiques, ii.27, 70b.
70 Ce n’est pas l’avis de Bartholomaeus Keckermannus, Opera, Geneve, 1614, t. 1, p. 1590 : « in corpore humano plura et certiora sunt indicia interioris dispositionis, animae eiusque actionum, quam in corporibus aliorum animalium. »
71 Gratarolo, cité ci-dessus, note 65.
72 Della Porta, Physiognomonia, p. 49 ; Quintilien, Institutio, v. 9.12.
73 Physiognomonica, iv, 811b.
74 Sennert, Œuvres, t. 1, p. 449.
75 Voir Physiognomonica, iv, 809a 10 (pâleur causée par la peur ou la fatigue) ; Melanchthon, Erotemata dialectices, Wittenberg, 1547 f. 7v sq. (pâleur causée par l’indigestion) ; della Porta, Physiognomonia, p. 12-13 (« pallescentes » décrits comme « meticulosos » ; L’Alemant, Ars parva, p. 29 (le mathématicien pâle) ; Sanctorius, Methodi, p. 773 (xii.2) (pâleur et la femme enceinte). Cureau de la Chambre, L’art de connoistre les hommes, p. 324 affirme l’importance de la lecture des signes passagers : « Rien de considérable se forme dans l’esprit qui ne se puisse découvrir par le visage, par la parole, par les effets et par les circonstances dont on tire des coniectures asseurées, ou du moins fort probables. »
76 Camillo Baldi, In Physiognomonica Aristotelis commentarii, Bologna, 1621, p. 41 : « quibus signis maior quibus minor fides sit adhibenda, […] numquid omnes [fontes] aequaliter ostendunt, an aliqui certioris sint aliis » ; selon lui, la réponse d’Aristote est la suivante : « signa quae sumuntur ab apparentia, quam vocant morem, et a motibus, et a figura corporis, omnino aliis sunt efficaciora, vel quoniam minus ad voluntate pendent, vel quoniam magis ab ea animae parte, quae virtus est in corpore, et immediatius nascuntur, faciei enim apparentiam pro libito non mutabis, neque corporis formam, aut saltem maxima cum difficultate, quare non immerito Terentius Chremes admirabatur, quod vultum pro libito fingeret Syrus servus [...] ». Voir aussi della Porta, Physiognomonia, p. 52 qui hiérarchise les signes (et présents et absents) ; les plus certains sont ceux du visage, les moins fiables, ceux du corps.
77 Baldi, In Physiognomonica Aristotelis commentarii, p. 41 : « nota autem, ut aliquid certi dicere possumus duo requiris, unum est, ut plura signa sint, quae idem testentur, alterum est, ut nullum quod designat contrarium affectum, vel consequens ad contrarium, adsit, ut dico fortem hunc esse, primum quoniam habet magnas extremitates, latum pectus, pilosumque, os grande, carnem durum, deinde quoniam in eodem non apparet quid quam eorum signorum, quod vel timorem arguat, vel animi mollitiem, vel avaritiam, quae duo per se quidem non opponuntur fortitudini, at comitari soleat tamen timiditatem ».
78 Della Porta, Physiognomonia, p. 37.
79 Scipione Chiaramonte, De coniectandi cuiusque moribus et latitantibus animi affectionibus semeiotike moralis seu de signis, Venise, 1625, p. 5-6. Voici l’argument : le signe par excellence est une cause ayant sa place en tant que prémisse dans la première figure du syllogisme : par exemple, tous ceux qui risquent leur vie pour un ami l’aiment véritablement ; Pylade risque sa vie pour Oreste ; Pylade aime donc Oreste véritablement. Dans la seconde figure, le signe n’est pas convertible : tous ceux qui ont peur pâlissent ; Jean pâlit ; Jean a donc peur. Ce qui pire est, c’est qu’on peut commettre des paralogismes dans cette figure : Hector est fort ; Hector bégaie ; ceux qui bégaient sont donc forts. Mais si on emploie une induction parfaite (c’est-à-dire, une induction qui inclut chaque individu : par exemple, il n’y a que trois hommes forts au monde ; et tous les trois bégaient), on peut arriver à augmenter le taux de probabilité dans le deuxième cas, ou même atteindre à la certitude. Prenons le cas de pâleur ; la pâleur est signe d’amour, de peur, de maladie, de froideur, et de rien d’autre. L’enthymème « Jean est pâle ; Jean a donc peur » manque de nécessité, et n’est que « probable » ; mais, si on arrive à démontrer que Jean n’est pas amoureux, qu’il n’est pas malade et qu’il n’a pas froid, on augmente le taux de probabilité et on arrive enfin à la certitude (« quod, si ostentatur, qui pallet, non amare, gradus aliquis accedit probabilitatis. Crescit autem, si neque aegrotare monstretur. Quod, si alia omnia membra praeterquam timoris tollerentur, argumentum evaderet ex numeratione sufficienti partium »).
80 Ibid., p. 6 : « vagari noctu est signum commune adulterii, sed convenit et aliis, ut furi ».
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Le monde et les hommes selon les médecins de la Renaissance
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