Chapitre III. Délimiter la nature : le naturel et le surnaturel dans les jugements des médecins
Texte intégral
1Sachant que la nature qu’ils interrogent est protéiforme, et que les fondements logiques et méthodiques de leur art sont complexes et parfois incertains, les médecins du xvie siècle se montrent assez circonspects lorsqu’ils sont appelés à déterminer la frontière entre le naturel et le surnaturel, plus circonspects en tout cas que leurs collègues de la faculté de théologie qui traitent des miracles présents et passés, et que ceux de la faculté de droit qui s’occupent de la démonologie1. Non qu’ils refusent d’admettre l’existence de tout ce qui dépasse le domaine naturel, ou qu’ils se cantonnent dans leur rôle judiciaire traditionnel, qui est celui de prononcer sur les cas d’infanticide, de noyade, d’empoisonnement, de virginité mise en doute, d’impuissance, de viol, et de maladie simulée, car leur art exige qu’ils reconnaissent l’activité du monde céleste dans le monde sublunaire en appliquant les règles de l’astrologie à la phlébotomie et à d’autres procédés médicaux2. À la Renaissance, ils sont appelés aussi à dresser des rapports sur les cas rares, nouveaux, inouïs et monstrueux (les mirabilia) qui sont susceptibles de causer un scandale public, parce qu’il y est question non pas de simples effets de la nature, mais plutôt de ce qui est censé la dépasser. Comme on pouvait s’y attendre, on retrouve parmi les médecins des opinions diverses concernant l’intervention de Dieu et des démons dans le monde sublunaire, les uns croyant que tout ce qui a lieu ici-bas est guidé directement par la main de Dieu, les autres préférant se passer de ce genre d’explication. En fait, la plupart des médecins évitent d’interpréter ces mirabilia en se référant à l’ire de Dieu et à la fin du monde comme le font parfois les théologiens catholiques et protestants à l’époque ; mais cela n’empêche pas qu’ils soient obligés de se hasarder parfois dans ces eaux troubles, ce qui n’aboutit pas toujours à des résultats heureux. Chez les protestants plus que chez les catholiques, un désir se manifeste d’influer sur l’espace public en publiant en langue vernaculaire des pamphlets qui relatent et les circonstances de ces événements rares et insolites, et ce qu’on peut en déduire selon les règles circonspectes de la médecine. Ces pamphlets prennent plusieurs formes : consultations, rapports quasi-légaux préparés pour une autre instance, simples relations. J’examinerai ici les traits principaux de cette abondante littérature en prenant comme exemples plusieurs écrits qui discutent des cas d’abstinence prodigieuse, de la cruentation (ou saignement accusateur qui a lieu quand l’assassin se trouve à proximité du cadavre de sa victime), et d’un remarquable événement concernant une prétendue dent d’or, qui met en relief le caractére de plusieurs tendances médicales des dernières années du xvie siècle, pénétrées de millénarisme et de prophéties, mais aussi d’une scientificité naissante.
2Avant de discuter de ces cas, il importe d’en souligner les dimensions philosophiques, théologiques et juridiques. Citons à cet égard le passage célèbre du livre d’Aristote sur la Génération des animaux qui discute de l’étiologie des aberrations naturelles :
En effet le monstre appartient à la catégorie des phénomènes contraires à la nature, à la nature considérée non pas dans sa constance absolue, mais dans son cours ordinaire : car du point de vue de la nature éternelle et soumise à la nécessité, rien ne se produit contre nature, alors que c’est l’inverse dans les phénomènes qui, dans la généralité des cas, sont d’une façon, mais peuvent aussi être autrement3.
3C’est là la base d’une explication naturaliste des erreurs et des errances de la nature, qui repose sur la distinction, que nous avons déjà rencontrée, entre nature universelle et nature particulière. Aristote les attribue à un manque ou à une superfluité chez l’animal (il n’y a pas, selon lui, de pierres ni de métaux monstrueux), ayant pour cause ou une influence céleste ou un défaut dû à la matière ou aux conditions qui prévalent au moment de la génération. Mais on ne peut en rester là, car, à force de considérer les rapports de Dieu et des démons avec le monde sublunaire, d’interpréter les événements insolites, et de juger du témoignage et d’autres formes d’indices et de preuves, les médecins sont contraints de dépasser les frontières disciplinaires qui les séparent des deux autres facultés supérieures. Comment déterminer les rapports entre la volonté et l’activité divines et les événements insolites ? Peut-on mettre de côté la question de l’intervention de Dieu dans sa création, et ne parler des choses naturelles que selon les forces naturelles de l’entendement4 ? Dans ma première conférence, j’ai évoqué la thèse hérétique de la « double vérité » qui consiste à soutenir qu’une même proposition peut être simultanément tenue pour fausse du point de vue de la foi et vraie du point de vue de la raison. Cette thèse est implicitement acceptée par les padouans, mais niée ailleurs en Europe : le médecin protestant Nicolas Taurellus (1547-1606), d’Altdorf, déclare par exemple que Dieu est le même pour les philosophes et les théologiens, et qu’il n’est pas permis à un philosophe et à un médecin de se scinder en deux pour ainsi dire, c’est-à-dire de croire en chrétien et de raisonner en païen5. Jean Hucher (mort en 1603), de Montpellier, prenant appui sur Caspar Peucer, va plus loin encore, et prône un occasionalisme avant la lettre : il déclare que Dieu, seigneur de toute la nature, régit directement toutes les forces naturelles, si bien qu’on peut dire que lui seul est l’auteur de ce qui se passe dans le monde, même des événements contingents et spontanés6.
4Les tenants de ces opinions diverses ont à composer avec la doctrine thomiste des miracles, qui est généralement acceptée à cette époque. Selon cette doctrine, les effets provenant de causes inconnues sont ou naturels, ou miraculeux ; au nombre des effets miraculeux, il y a ceux qui sont tout à fait surnaturels (le soleil qui s’arrête dans le ciel pour permettre à Josué de gagner la bataille contre les Amorrhéens), ou surnaturel en partie seulement ; dans cette deuxième catégorie, il faut faire la distinction entre ce qui est contre nature (les montagnes qui se déplacent), ce qui est en dehors du cours ordinaire de la nature (les morts qui ressuscitent, les aveugles qui recouvrent la vue), et ce qui est préternaturel (une guérison inattendue ; un figuier qui subitement se dessèche)7. Un changement physique subit constitue un principe à partir duquel un médecin rationaliste peut distinguer entre le naturel et le surnaturel ; Siméon de Provanchères (1547/1548-1616/1617), que nous allons rencontrer ci-dessous, nous le confirme :
Veu que la nature agit successivement, et qu’elle ne passe iamais d’un[e] extremité à une autre sans moien [...], Dieu seul a des sentiers incognuz, ses voies sont secrettes, ses effects sont admirables, sa puissance est absolue, il fait ce qui luy plaist en un moment, en un instant et hors temps8.
5Les médecins ont à examiner les cas insolites qu’on soumet à leur jugement dans le contexte de cette doctrine et de celle qui détermine le rôle de Satan dans le monde. Selon la plupart des théologiens et des juristes, le diable n’a pas le pouvoir de manipuler les causes secondaires de la nature ni de contourner ainsi les lois naturelles, bien qu’il sache tromper les hommes en créant de puissantes illusions9. Dieu est donc seul auteur de tout événement proprement dit miraculeux ; mais tout événement rare, inouï ou monstrueux n’est pas forcément un miracle. Dans son livre sur les cas d’abstinence prodigieuse publié en 1611, le professeur padouan Fortunio Liceti (1577-1657) passe en revue vingt-huit hypothèses concernant ce phénomène, dont la treizième est celle qui explique l’abstinence en termes de miracle. Liceti se trouve dans une situation qui est pour lui – médecin et philosophe naturaliste – très embarrassante : il n’ose pas nier que Dieu omnipotent puisse intervenir dans la nature qu’il a lui-même créée, d’autant plus que Jésus lui-même a jeûné pendant quarante jours dans le désert, et que d’innombrables saintes et saints, en renonçant héroïquement à tout ce qu’il y avait de charnel et de terrestre autour d’eux, se sont passés aussi de manger et de boire10. Mais il émet le dogme très peu médical (et très peu théologique aussi) que Dieu n’intervient pas dans l’ordre des causes secondaires sans « une motivation très urgente » (absque aliqua urgentissima caussa) ; il cite en exemple un cas d’abstinence religieuse qui s’explique sans qu’il y ait besoin de recourir aux causes surnaturelles, et finit par ces mots :
Quoiqu’il convienne d’admettre qu’il existe des hommes qui s’abstiennent de tout aliment grâce à la vertu divine, il ne faut recourir à cette explication que dans la mesure où on les a vus s’abstenir plus longtemps que dans les exemples que j’ai cités ci-dessus ; qu’il est devenu tout à fait évident que leur jeûne a outrepassé les limites extrêmes de la nature ; et qu’il ne peut être que miraculeux ; car sinon je craindrais qu’on ne soulève cette objection puisée dans l’œuvre de Lucrèce : « [quand les mortels] ne peuvent s’expliquer les causes de certains événements, ils pensent qu’ils sont produits par une puissance divine »11.
6Citer le De rerum natura d’un païen qui nie la finalité naturelle, est ici assez osé, surtout si l’on place la citation dans son contexte plus large, où figure un des principes fondateurs de l’atomisme :
Le principe que nous poserons pour débuter, c’est que rien n’est jamais créé de rien par l’effet d’un pouvoir divin. Car, si la crainte tient actuellement tous les mortels asservis, c’est qu’ils voient s’accomplir sur terre et dans le ciel maint phénomène dont ils ne peuvent aucunement apercevoir la cause, et qu’ils attribuent à la puissance divine12.
7On peut sentir chez Liceti (qui, soit dit en passant, n’a rien d’un atomiste : ses ouvrages témoignent d’un aristotélisme tout à fait orthodoxe) une prudence herméneutique mêlée d’un certain scepticisme, attitude typique des étudiants et enseignants de Padoue, bien que contestée ailleurs en Europe. Écoutons là-dessus Pierre Pomponace (14621524), l’un de leurs plus éminents porte-parole :
Les miracles ne sont pas des miracles parce qu’il sont contre nature et contre l’ordre des corps célestes, mais ils ne se nomment ainsi que parce qu’ils sont des événements très rares et insolites, hors du cours ordinaire de la nature13.
8Cependant, on ne peut pas appliquer une telle doctrine à tous les cas soumis au jugement des médecins, même en Italie. Lorsque ils sont appelés à faire l’autopsie des saints de la contre-réforme, comme Filippo Neri, pour voir s’il y a des indices physiques qui témoignent d’une grâce exceptionnelle (dans ce cas, on voulait interpréter son cœur hypertrophique, dont le battement était si fort qu’on pouvait voir ses pulsations à travers ses vêtements, comme signe d’une capacité remarquable d’aimer Dieu), on exige justement d’eux qu’ils déterminent si les limites extrêmes de la nature ont été outrepassées14. Cela érige le médecin rationaliste en arbitre qui détermine par élimination la frontière entre le naturel et le surnaturel15 ; et cela soulève aussi la question du leurre de l’herméneutique : doit-on, dans ces cas exceptionnels, céder à la tentation d’extraire un message prophétique des signes et des symptômes ? Après tout, les mots latins utilisés pour les désigner – monstra, ostensa, portenta – renvoient à ce qu’ils font voir et ce qu’ils présagent16.
9À l’époque des guerres de religion en France, Michel de Montaigne se pose ces questions à propos d’un cas remarquable qu’il a examiné lui-même : un enfant monstrueux qui ressemble à des frères siamois. Après l’avoir soigneusement décrit, il avoue qu’il est tenté de spéculer sur la signification d’une telle merveille, ce qui l’amène à penser, par analogie, à la France de son temps : un seul corps, certes, mais cruellement tiraillé entre deux factions religieuses – image qui transforme l’enfant en un indice des troubles politiques et de la détresse religieuse de son temps, auxquels seul le roi Henri III pourrait porter remède en réconciliant ces factions l’une avec l’autre. Mais, aussitôt, Montaigne rejette cette hypothèse, et délègue aux médecins la tâche de trouver une explication purement naturelle17. Un autre témoin du même cas ne se montre pas si réticent : l’angevin Pascal Robin, sieur du Faour ou Faux (né en 1538), que nous rencontrerons une nouvelle fois plus loin, sachant que les parents de l’enfant sont un prêtre et sa concubine, (une fille selon lui mal famée) se croit autorisé à mettre en avant une interprétation et politique et religieuse en se servant de la métaphore biblique de l’Eglise comme l’épouse de Jésus :
Cette union Monstrueuse ou prodigieuse monstroit-il pas par la concubine ou paillarde (figure de l’espouse pretenduë) et par le prebstre son mignon de couchette (figurant le vray espoux) que les deux religions, la Catholique, vraye, et la pretendue, bastarde et adultere, se uniroyent et joindroyent pour un temps ? Et comme [cest] enfant double et uni vescut fort peu de temps, aussi la pacification lors apres faicte en terre [entre] les deux partiz dura fort peu tant que les mutins se remuerent incontinent presque contre la vraye espouse du Seigneur tellement que les espritz des personnes bien affectionnees (comme elles doyvent) à l’honneur de Dieu, à la pais de son Eglise, et au service de leur prince naturel, Roy treschrestien et contemplans attentivement de bon zele les signes et advertissemens du treshaut Roy des Roys, [ils] donnent plustot intelligence de telz prodiges, et presages de l’advenir entant que la pensee et capacite humaine le peut porter18.
10On voit bien pourquoi Liceti, en citant Lucrèce, traite l’interprétation des cas insolites de leurre : elle ne peut être que tendancieuse, et risque d’augmenter le taux de bigoterie et de superstition dans le monde en général. Il n’empêche que bon nombre de théologiens, et quelques médecins et juristes aussi, surtout ceux qui sont imbus de millénarisme, se plaisent à publier les spéculations prophétiques que leur inspirent les cas rares et monstrueux.
11Si, d’un côté, les médecins doivent en venir aux prises avec le délire herméneutique de leurs collègues les théologiens, ils sont pris en écharpe de l’autre par les juristes et leur doctrine de la preuve telle qu’elle est héritée du Moyen Âge. Le grand juriste médiéval Balde l’expose avec le plus de netteté. Le but de toute enquête est d’arriver à la certitude ; Balde décrit les étapes de ce parcours : suspicion, présomption, indice, argument. Il définit la suspicion comme « l’application mentale marquée par une hésitation très violente ». Ensuite viennent la présomption (une similitude ou vraisemblance dans une matière douteuse, suffisante pour porter l’enquêteur à croire ce qu’il y a à croire), puis l’indice, qui est ou demi-plein ou entier ; ce dernier constitue une démonstration qui n’éveille pas de doutes dans l’esprit, mais le rassure comme le fait l’expérience journalière. Vient ensuite l’argument, autrement dit, la proposition tirée de plusieurs faits, indices ou présomptions qui, pris ensemble, tendent à une seule conclusion. Pour arriver à cette conclusion, on peut se servir d’un adminicule, ou indice indirect, qui supplée au défaut de probabilité (ce que nous appellerions aujourd’hui une preuve indirecte) et qui peut être ou fort (vehemens) ou peu fort ; dans le dernier cas, on peut accumuler les adminicules sans pouvoir pour autant suppléer tout à fait au défaut de probabilité (dans le sens de prouvabilité), tout comme on peut accumuler les indices pour arriver à une présomption violente19. Balde parle ici de ce qui se passe subjectivement dans l’esprit du juge. On peut aussi citer ces catégories de preuves en termes quasi-objectifs : l’indice douteux, nous dit la Praxis eruditissima de Jean Melles de Souvigny parue en 1550, n’est pas une preuve ; mais s’il se répète, il devient un indice grave ; pour justifier la torture on n’a besoin que d’une preuve demi-pleine ; la condamnation requiert la preuve entière20. Le démonologue Jean Bodin (1529-1596) mêle l’objectif au subjectif : il hiérarchise les preuves, commençant par les faits matériels présents (res facti permanentis), passant à la confession volontaire et aux meilleures preuves (deux témoins indépendants et irréprochables ; présomptions violentes), avant d’arriver aux faits transitoires (res facti transeuntis) qui disparaissent sans trace ; les présomptions téméraires ou faibles ferment la marche21.
12Les témoins oculaires peuvent se contredire : il faut alors savoir lesquels doivent être crus. Pour trancher ce problème le célèbre juriste Prospero Farinacci (1554-1618) nous présente quinze règles, qui hiérarchisent ce genre de preuve. Au sommet se trouve la règle du plus grand nombre : trois témoins valent mieux que deux, quatre mieux que trois. En dessous vient la règle qui laisse préférer le témoignage de ceux qui sont plus élevés de par leur rang, leur richesse, leur profession ; mais Farinacci pose des conditions préalables à leur témoignage (il faut qu’il soit marqué par la probité, qu’il soit désintéressé, qu’il ne se contredise pas, qu’il soit plausible, qu’il soit complet, et que, si on l’accepte, rien n’enfreigne la liberté d’intuition du juge et l’intérêt de l’accusé). Ainsi, bien qu’il préfère le témoignage des hommes, des clercs et des vivants, à celui des femmes, des laïques et des morts, et bien que le témoignage des yeux soit plus valable que celui de l’ouie, en chaque cas l’équité et la justice doivent déterminer si ces règles peuvent ou non être écartées ou appliquées22. Les médecins, on le verra, sont parfois amenés à se servir de tout l’arsenal de cette doctrine.
13Passons à la première catégorie d’événements insolites que je me propose d’examiner ici en détail : l’abstinence de toute alimentation23. Au xvie siècle, on entend parler de bon nombre d’abstinentes et d’abstinents partout en Europe ; le célèbre historien allemand Otto Clemen les qualifie d’« artistes de la faim » (« Hungerkünstler »)24, et son accusation implicite, à savoir qu’ils se transforment en spectacle public et cherchent à en tirer profit, est méritée dans bon nombre des cas, tel celui de la fille qu’on exhibait dans une auberge à Cologne en 1595. Le chirurgien rationaliste25 allemand Wilhelm Fabry von Hilden (1560-1634), que nous allons rencontrer plus bas, nous en a laissé un rapport. Ses promoteurs (« circumductores ») permettent à ceux qui se présentent pour la voir (et qui payent aussi) de l’interroger, d’examiner son corps, et de lui offrir à manger des choses sucrées, ce qui ne manque pas de la faire tomber en syncope. Le seul détail qui surprend dans ce récit, c’est que la fille a assez de force pour pouvoir s’ébattre avec ses compagnes. On ne trouve mention de cette fille que dans une lettre privée, adressée par Fabry von Hilden à un de ses collègues suisses, Paullus Lentulus (mort en 1613), qui la reproduit dans un ouvrage où paraissent en version intégrale plusieurs pamphlets concernant de tels cas exposés par des médecins qui cherchent à les expliquer26. Ce recueil factice n’est pas le seul témoignage de l’intérêt que soulèvent ces cas aux xvie et xviie siècles : le médecin allemand Gregor Horst (1578-1636) en mentionne bon nombre, sept ans plus tard, dans son essai sur l’abstinence ; à la même époque, l’infatigable padouan Fortunio Liceti multiple les exemples historiques non seulement de jeunes filles et de femmes, mais aussi de garçons et d’hommes qui se privent de toute alimentation27.
14Ces pamphlets proposent trois genres d’explication : celle qui est tout à fait naturelle, celle qui est tout à fait surnaturelle, et un mélange des deux. Les spéculations sur les causes naturelles se basent sur la zoologie comparative (hibernation, animaux à sang froid n’ayant pas de chaleur innée), sur la respiration ou inhalation insensible à travers la peau, sur les odeurs en tant que nourriture très subtile, sur la préservation de la chaleur innée (ou naturelle) et de l’humeur (ou humidité) radicale sans aliment. L’explication du Montpelliérain Laurent Joubert (1529-1583), qu’il publie en 1561, repose selon son adversaire Israël Harvet sur trois principes : « La chaleur naturelle [peut] estre entretenuë par la pituite excrémentaire ; l’aliment n’a eté institué que pour l’entretien de l’humeur radicale ; l’humeur radicale peut bien estre conservé en quelques-uns, sans que la chaleur en consume rien. ». Joubert, « qui naturalise là-dessus », selon Pascal Robin, attire un certain nombre de disciples parmi ceux qui écrivent après lui sur l’abstinence28. Si un médecin opte pour une explication surnaturelle, force lui est d’attribuer l’effet à Dieu seul, et de s’en remettre aux théologiens pour en trouver une raison ; le mélange des deux explications fait des médecins qui le professent des occasionalistes. Ceux qui croient à l’intervention du diable ne peuvent lui attribuer que le pouvoir de tromper les yeux des hommes, ou de motiver une supercherie (que la seule méchanceté des hommes peut tout aussi bien produire d’elle-même sans son intervention)29. Un seul de nos textes suggère que Dieu se sert de Satan à qui il « donne souvent efficace d’erreur, pour punition de l’incredulité des hommes30 ».
15Cinq cas remarquables d’abstinence prodigieuse doivent retenir notre attention D’abord celui de Margaretha Weis, fillette habitant non loin de Speyer, âgée de 10 ans en 1539, année où elle cesse de manger et de boire, après avoir souffert de migraines e de douleurs intestinales atroces ; elle perd l’usage de ses membres, et ne recouvre celu des mains et des pieds qu’après la visite d’une vieille guérisseuse illettrée. Le bruit de sa condition parvient aux oreilles de l’évêque de Speyer, qui l’enferme dans un couven pendant dix jours pour s’assurer qu’il ne s’agit pas là d’une supercherie. Même épreuve, de quinze jours cette fois-ci, imposée un peu plus tard par le gouverneur militaire de Cisselwiclz. Enfin, Ferdinand, roi catholique de Rome, qui se trouve à Speyer en 1542 pour assister à la diète convoquée pour discuter d’une croisade contre les Turcs, la fait examiner par son médecin personnel, tout comme le font d’autres princes qui assistent à la diète. Les procédés médicaux et quasi-juridiques adoptés par ces médecins (surveillance, anamnèse, interrogation de l’abstinante et de ses proches, examen physique) deviennent la norme de toute investigation par la suite. Il en résulte trois pamphlets de docteurs qui sont aussi des témoins oculaires, pamphlets qui inspirent à leur tour plusieurs autres ouvrages, comme celui du médecin italien Simon Portius (1497-1554), écrit en latin en 1551, et celui de Laurent Joubert. À la différence des catholiques, le médecin protestant Joannes Reusch fait imprimer en 1542 une traduction en allemand de son traité ; il le confie à l’éditeur Josef Klug, qui imprime les ouvrages polémiques luthériens ; il me semble probable que cette traduction est due à la politique wittembourgeoise concernant l’espace public ; elle montre un désir de mettre à la disposition des lecteurs ne possédant pas le latin des renseignements susceptibles de les protéger de la superstition que peut engendrer cette sorte d’événement rare et insolite31. L’habitude de traduire et de disséminer les récits de ce genre se répand très vite, si bien que même le texte de Portius est traduit en italien ; on commence aussi à faire référence aux cas précédents, et à en fournir des détails supplémentaires, surtou ceux qui apprennent aux lecteurs l’issue du cas en question32.
16Le second exemple est celui de Catharina Binder ; il survient en 1577 à Schmittweiler dans le Palatinat, sous la régence du calviniste Johann Casimir, qui cherche à imposer sa propre religion à ses sujets luthériens. Catharina, fille cadette d’un simple villageois, souffre d’un accès de fièvre en rentrant des noces d’une amie, noces célébrées dans un village proche du sien ; elle perd son appétit ; le breuvage que lui administre un empirique itinérant a pour effet de la dégoûter de toute nourriture, sauf du jus de pommes et de poires, auquel elle finit par renoncer six mois plus tard. Elle ne dort plus, n’accepte qu’un peu d’eau mêlée avec de l’eau de vie en guise de rince-bouche, ne produit ni sueur ni excréments. Elle perd également l’usage de la parole ; ses membres se recroquevillent ; sa bouche devient si petite qu’elle ne peut même pas y insérer son petit doigt. Son estomac devient cave, et ses seins plats ; mais les ongles des mains et des pieds continuent à pousser, et son pouls et sa respiration restent normaux. Le bruit qui court de sa condition attire à ses côtés des religieuses et des jésuites venant en mission de l’évêché de Trier, qui la traitent de vierge sainte jeûnant in partibus infidelium, et se proposent de transformer son chevet en lieu de pèlerinage. Les autorités palatines protestantes s’alarment ; elles voient là un retour à l’idolâtrie catholique. On envoie donc à Schmittweiler Conrad Kolb von Wartenburgk, magistrat (Amtmann) de Kaiserslautern, la ville la plus proche, accompagné par des professeurs de la faculté de médecine de Heidelberg, pour y mener une enquête qui doit mettre fin aux spéculations qui inquiètent les gens simples de la région : enquête dont la tâche est de déterminer s’il s’agit là de l’opération de la grâce de Dieu ou plutôt d’une supercherie. Kolb prend trois mesures. Il s’enquiert lui-même discrètement de la famille auprès des commères du village (rien de très intéressant n’en ressort, sauf le fait que la famille de Catharina est très friande de sucre) ; il autorise les médecins à procédér à un examen des plus rigoureux de la jeune fille, qui n’épargne pas sa pudeur ; et il emploie quatre femmes respectables, dont une femme et une veuve de pasteurs luthériens, qui couchent dans le même lit qu’elle pendant deux semaines. Le rapport quasi-judiciaire de ces femmes, daté du 19 février 1585, affirme qu’il n’y a pas tromperie ; il est publié en allemand la même année à Heidelberg, accompagné du rapport médical que rédige le professeur Henrik de Smet. On connaît quelques détails de la vie de Catharina après cette visite ; la traduction française du rapport de Heidelberg, publiée en 1587 par le prestigieux éditeur Jean Wechel et distribuée à la foire de Francfort, annonce qu’elle est toujours abstinente ; le 14 avril 1588 Henrik de Smet écrit dans son journal qu’il a reçu la nouvelle de plusieurs honnêtes gens (dont deux médecins) que Catharina vit toujours, et même que sa condition s’améliore un peu ; Paullus Lentulus relate en 1604, en citant lui aussi des témoins fiables, qu’elle s’est guérie entièrement de sa maladie, qu’elle s’est marié avec « un homme de bien » de qui elle a eu plusieurs enfants, et qu’elle a continué de vivre assez longtemps33.
17Le troisième cas est tiré du recueil factice rédigé par le médecin bernois Paullus Lentulus, qui catégorise ces cas d’abstinence selon leur « probabilité », cette fois-ce dans le sens de fiabilité, c’est-à-dire selon le nombre de témoins oculaires et selon leur statut social et professionnel. Le cas auquel il a été lui-même mêlé et qu’il raconte en trois « narrations » se passe au village de Galz, pas loin de Bern, où habite Apollonia Schreier, fillette dont l’abstinence commence à passer dans le pays pour miraculeuse. Consterné, le Sénat protestant de Berne décide d’expédier Lentulus accompagné d’un chirurgien à Galz le 31 janvier 1602. Ils y interrogent les parents, et Lentulus soumet la jeune fille à l’impitoyable examen médical habituel ; ils remarquent que son estomac est devenu concave au point qu’on peut y voir en relief la colonne vertébrale. En bon disciple d’Hippocrate, Lentulus note aussi la proximité de marais, dont les exhalaisons pourraient jouer un rôle dans l’affaire. Le Sénat, peu satisfait de leur rapport, convoque la fillette avec sa mère, la surveille étroitement pendant un certain temps, mais ne découvre pas de supercherie. Le 25 juin 1603, deuxième visite de Lentulus à Galz, cette fois-ci en compagnie de Fabry von Hilden, du secrétaire du Sénat, et de l’architecte de la ville de Berne, qui savait dessiner. Son esquisse de la jeune fille paraît dans le livre de Lentulus.
18Le célèbre médecin paracelsien Joseph Duchesne (1544-1609) rend visite à la jeune fille en 1604 ; on apprend par une lettre de Fabry von Hilden adressée à Gregor Horst qu’elle a recouvré l’appétit vers 1610, mais qu’entre-temps elle a perdu la raison, tandis que durant toute la période de son abstinence, elle avait gardé l’esprit très vif34.
19Je laisserai de côté le cas français le mieux connu, celui de Confolens, sur lequel le médecin Francois Citois (1572-1652) a écrit un petit livre35 en 1602, pour m’attarder sur deux autres, dont le premier concerne non pas une fille mais un garçon qui s’appelle Jean Godeau, habitant près de Sens, mort en 1616 après un jeûne de plus de quatre ans. Il a attiré l’attention de la cour à Fontainebleau, ainsi que celle d’un chirurgien, d’un médecin et d’un anonyme identifié par son style comme un homme ou une femme qui fréquente la cour ; tous les trois ont écrit des pamphlets à son propos ; circule aussi à Paris un portrait imprimé du garçon qui, selon un témoin oculaire, ne lui ressemble pas du tout36. Voilà qui rappelle la grande popularité, à cette époque des canards, ces courts pamphlets in-octavo en langue vernaculaire, sortis des presses provinciales aussi bien que de celles de la capitale, qui racontent les faits divers divertissants ou merveilleux, et qui sont souvent illustrés par l’imprimeur d’une gravure sur bois tirée au hasard de son propre stock.
20Le premier traité à paraître est celui de Thomas Mont-Sainct, qui se réfère aux cas décrits dans le recueil de Lentulus, spécule sur les causes naturelles possibles, et conclut qu’il peut y avoir là « diablerie », mais aussi que « c’est un œuvre particulier de Dieu, qui fait quand il luy plaist des œuvres admirables, sans la nature, outre la nature et contre nature37 ». Son livre parvient aux mains de Siméon de Provanchères, un vénérable médecin de Sens, déjà connu pour avoir publié un petit traité sur un fœtus ossifié extrait du corps d’une femme âgée de 68 ans38. Le médecin semble agacé qu’un humble chirurgien (qu’il traite en subordonné dans son texte) ait osé spéculer sur un sujet auquel seul un médecin et philosophe rendrait justice. Comme Mont-Sainct, il connaît le garçon, l’a invité à sa maison, et l’a examiné soigneusement « en sa nudité » ; il passe en revue les causes naturelles possibles avant de conclure que « c’est un effect qui appartient a une cause surnaturelle ». Il publie plusieurs discours sur le cas Godeau, décrivant les progrès de l’enfant entre 1611 et 1616 ; il publie après sa mort les résultats de l’autopsie à laquelle des chirurgiens, y compris Mont-Sainct (qui fait paraître son propre récit de l’événement), soumet le corps de l’enfant, sans changer d’avis39. Son éditeur à Sens reçoit deux manuscrits d’un auteur qui prend le pseudonyme « Androgyne » et qui, s’inspirant de Joubert, déclare que l’abstinence du garçon n’est qu’un effet rare de la nature ; ce qui provoque un cinquième discours de la plume de Provanchères, qui s’étend sur la distinction entre naturel et surnaturel, entre « rareté » et « surnaturalité », cite plusieurs maximes tirées de la médecine hippocratique et galénique, mais réitère sa conclusion que l’inappétence de Godeau est « contre le cours ordinaire de la nature humaine », bien qu’il admette qu’il y a « des causes naturelles qui sont cachées à l’intellect humain ».
21Si sa conclusion semble anti-naturaliste et donc crédule, son traité ne l’est pas, car il s’exprime avec la plus grande lucidité sur la question de la distinction entre naturel et surnaturel, entre rareté et miracle ; il s’indigne du fait qu’Androgyne ait osé comparer les médecins rationalistes, qui se laissent éblouir par les effets rares de la nature, au simple peuple, qui s’émerveille aux foires devant « le voltiger et danser sur la chorde, le frapper du pied d’un cheval autant de coups en terre qu’une piece valloit de sols, et la cadence des chevaux par figures en un carosel ». Provanchères s’étend subtilement sur les manières de comprendre ce que c’est que la nature, et déclare qu’il a « demouré dedans les seules considerations des choses observées au cours de la vie de Godeau et en la dissection de son corps ». Ceci doit nous avertir du fait que la différence entre une explication naturaliste et une explication surnaturelle n’est pas forcément celle qui sépare une philosophie éclairée d’un parti-pris religieux ou d’un dogmatisme aveugle, d’autant plus que Provanchères se déclare indépendant des autorités (y compris Joubert) qu’Androgyne se plaît à citer. Il se proclame « plus ami de la vérité que de Socrate ou de Platon », devise des « modernes » qui refusent l’autorité des anciens40 ; il reconnaît par là que la vérité à laquelle la médecine aspire n’est pas une vérité absolue mais plutôt probable ou ut plurimum, et déclare à son adversaire : « attachez-vous à vostre opinion tant qu’il vous plaira, je n’y donnerai point d’empeschement », car « parmi les personnes libres, les iugements doibvent estre libres. Je souhaitte, et demande la mesme liberté41. »
22L’autre cas français est à l’origine de l’anecdote qu’on trouve dans le livre intitulé Le palais des curieux, publié en 1612 par l’original François Béroalde de Verville (15561626), protestant converti et chanoine de la cathédrale de Tours, qui, après avoir lu le livre de Citois sur l’abstinente de Confolens, se ressouvient dans son propre ouvrage d’une abstinente qu’il avait rencontrée en 1582. Voici son récit :
En ces temps estant en Anjou je frequentois un Gentil-homme de Morane, auquel lieu par bonne rencontre je voyois Paschal Robin sieur du Faux [sic], une des lumieres entre les doctes d’Anjou : Devisant familierement avec eux, ils me firent recit d’une fille de là aupres qui ne mangeoit ny beuvoit, j’en avois desja ouy parler, mais dautant que cela voloit sortant des bouches vulgaires, je n’en faisois pas estat et n’y presté point l’oreille pour m’en esmerveiller ou estre desireux de sçavoir la verité, que lors que j’euz entendu ces personnages m’en raconter la merveille : Ces gens de bien m’ayant imbu de cette nouvelle firent partie (pour me gratifier) de passer jusques au lieu où la fille demeuroit, qui est nommé sainct Barthelemy, où l’aer est beau et de bonne grace, les maisons assez ornées, et au haut de la croupe, ce ne sont pas des palais, mais il y a quelques mestairies apparentes, en l’une desquelles demeuroit cette fille dont il est question ; son pere pour lors que j’y fus estoit decedé et sa mere gouvernoit la maison et ses enfans avec honneur : Estans sur le chemin quelqu’un de nostre compagnie m’advertit que pour avoir plaisir du discours de cette fille, qu’il ne falloit pas luy parler de manger, pour ce qu’à ces paroles-là, elle se contristoit amerement, et se taisoit, adjoustant que des le temps de son accident qui estoit depuis plus d’un an et demy, elle s’estoit assez melancholiée, si qu’elle estoit solitaire, et tellement retirée qu’elle ne trouvoit gueres de personnes propres pour sa frequentation, et ne familiarisoit librement qu’avec un certain cousturier de village, qui hantoit en la maison : Je promis de prendre garde à ces circonstances et d’observer ce que cet advertissement me designoit : Ce pendant que nous montions, et pour radoucir la roideur de la montagne qui rendoit nostre chemin ennuyeux, je m’amusé avec une Demoiselle de la troupe [...] Nous arrivasmes les derniers : Estans encore loing de l’entrée de la maison, voicy venir à nous une belle jeune fille de moyenne grandeur [...] à cette rencontre je dy voilà une belle et sage fille, je l’aproché et la baisé, elle fut courtoise autant que si elle eust pratiqué la cour journellement [...] Sa mere nous receut avec bon visage, nous tira au plus beau lieu de leur chambre basse ; où la serviette estoit sur la table ; Et la belle abstinante ayant rincé les verres vint à nous, et nous pria d’approcher vers la colation qui estoit de fruict et laictages : Elle mesmes me présenta la serviette pour prendre du pain que je receu, je ne sçay si ce fut que je fusse beau fils à ses yeux, car elle ne s’estrangea aucunement de moy, encore qu’ayant oublié ce qui m’avoit esté denotté, ou que je le fisse expres, je luy dis que je ne mangerois point si elle ne mangeoit aussi ; A quoy j’eus cette response, je vous prie de venir faire le banquet, et ne prenez pas garde à moy, je croy que vous ne me cognoissez pas, ie vous asseure que je ne puis manger, ce qu’elle dit avec un petit sousry de bonne grace : Et pourquoy ne mangez vous point la belle fille ? Je ne sçay s’il vient de là, dit-elle, je m’oublié le Vendredy Sainct de jeusner, et mon pere qui paravanture estoit faché d’autre chose, me tança, il m’est advis qu’il dit comme s’il m’eust conjurée à jamais ne manger, dont je fus si faschée que je n’ay sçeu manger depuis. Combien y a-il ? Plus d’un an et demy. Ne mangeriez vous pas bien pour l’amour de moy si je mange pour l’amour de vous ? Oui si je pouvois. Je pris donc la colation avec la compagnie sans laisser cette fille que j’entretins tousiours, ayant extresme desir de cognoistre ce que s’en estoit, mesmes folettement et comme par mesgarde je luy mis la main au sein, et la trouvé en bon point, qui me faisoit fort estonner de ce qu’on en disoit et que je ne pouvois croire [...] En continuant ma curiosite je parlé à sa sœur qui couchoit avec elle, et l’interrogé de plusieurs particularitez : Elle me conta que cette fille disoit voir souvent des visions, et que quelques sainctes Dames luy apparoissoient, qui la consoloient : Que de nuict elle se plaignoit fort, et que quelques fois elle prenoit un peu d’eau comme autant que pourroit boire un pigeon. S’il est vray qu’elle ne mangeoit point comme plusieurs qui en ont fait preuve au pays ou l’on s’en souvient encore, je pense que c’estoit un naturel [c’est à dire un accident naturel] qui luy estoit survenu, ou que quelque esprit luy suggeroit certaine essence nutritive en petite quantité [...]42.
23Voilà un conte émaillé de détails pittoresques pour « resiouir les melancoliques », comme on disait à l’époque ; ce n’est ni un canard, ni un docte traité médical ; mais remarquons que la même circonspection se montre chez le jeune gaillard que chez les chirurgiens et les médecins (l’examen oral et manuel), le même souci d’interroger la famille et les proches, et la même conclusion plutôt naturaliste. On peut comparer ce récit avec celui de Pascal Robin, qui est paru bien auparavant, en 1587. Il nous fournit d’amples détails sur le cas (y compris le nom de la fille – Mathurine Riverain – et le fait qu’elle est mort de peste en même temps que d’autres membres de sa famille en 1584) ; il confirme que beaucoup de personnes des deux religions ont rendu visite à la fille, donne une autre version (plus pieuse) de l’événement qui a provoqué le jeûne (le ravissement ressenti par la fille à sa première communion, qui l’a dégoûtée de toute nourriture terrestre), cherche des explications naturalistes auprès de la littérature savante (en l’occurrence Melanchthon et Joubert), et conclut, comme on s’y attendrait, qu’il s’agit d’un cas surnaturel, et d’un avertissement divin en faveur des catholiques43.
24On est naturellement enclin à douter de ces récits. Mais n’oublions pas des cas plus récents, par exemple celui de Prahlad Jani, fakir indien âgé de plus de soixante-dix ans qui passe le plus clair de son temps dans une caverne situé près du temple d’Ambaji dans l’état de Goudjerate. En 2003, il passa dix jours sous observation constante dans un hôpital de la ville indienne occidentale d’Ahmedabad. Durant cette période, il n’a rien consommé et n’a rejeté ni selle ni urine, selon le surintendant principal de l’hôpital, le docteur Dinesh Desai, qui a assisté à une série d’essais effectués sur le saint homme. Pour laisser vérifier son état, le fakir a passé ces dix jours dans une salle spécialement préparée, avec une salle de bain scellée et une surveillance vidéo constante (pour remplacer celle que les veuves de pasteurs luthériens, qui ne sont pas très nombreuses dans ce coin du monde, auraient pu fournir). Ces essais ont montré que le fonctionnement de son corps était celui d’une personne normale. Le seul fluide qu’on lui permettait était cent millilitres d’eau, qu’il employait pour des bains de bouche ; on a rassemblé et mesuré cette eau après qu’il l’eut recrachée, pour vérifier qu’il n’avait rien bu. Cette expérience toute récente n’est pas si différente de celles de la Renaissance, et témoigne de la circonspection quasi-scientifique des médecins de cette époque44.
25Les médecins sont appelés aussi à trancher dans les cas de cruentation, autrement dit, de saignement accusateur d’une blessure mortelle, qui a lieu quand l’assassin se trouve près du cadavre de sa victime. Ces cas remontent très loin dans l’histoire : on se souvient que, dans le récit de Genèse, la voix du sang d’Abel, assassiné par son frère Cain, « crie de la terre jusqu’à Dieu45 ». L’ancien droit germanique reconnait cette preuve de culpabilité sous le nom de « Bahrprobe », et les juristes de la Renaissance qui s’intéressent au droit criminel (entre autres, Prospero Farinacci, qui fait autorité en ce domaine) font référence à plusieurs cas de saignement accusateur ayant lieu dans l’Europe du sud au cours du xvie siècle46. Le médecin François Valleriola d’Arles nous informe qu’il en a été lui-même témoin oculaire vers 157047. Le cas sur lequel je m’attarderai ici se passe à Blindenmarkt, en Autriche Inférieure, à 9 heures du soir le 26 décembre 1604. Deux rapports ont été dressés à se sujet, l’un par la faculté de médecine de Vienne daté de septembre 1605, l’autre issu de la plume du jeune médecin allemand Gregor Horst, tous deux écrits sur les instances d’un parent de la victime, un jeune noble tué sur le coup par une balle (« globus tormentarius ») qui avait été tirée d’une haute fenêtre et qui lui était passée à travers le corps. Ces rapports ont été publiés ensemble par Horst en 1606 ; une deuxième édition de son traité paraît en 1608, annoncée dans le catalogue de la foire de Francfort, ce qui laisse supposer que l’éditeur y voit un livre qui susceptible de bien se vendre48. On ne sait pas pourquoi le parent du jeune homme chargea à la fois le jeune Horst et la faculté de Vienne de cette tâche ; l’université de Vienne étant catholique, il se peut que ce parent, protestant de confession, ait voulu obtenir l’avis d’un correligionnaire. À cette époque de sa vie, le jeune Horst fait la pérégrination académique qui se pratiquait souvent au xvie siècle, et c’est peut-être le hasard qui l’amène à Steyr le 15 juillet 1605, où la rencontre avec le parent a lieu. S’il s’agissait là d’un mariage mixte, on pourrait conjecturer que l’enquête lancée par un des parents cherchait à inculper l’autre du meurtre, car il faut supposer que les visites fréquentes au lieu où se trouvait le cadavre étaient motivées par le désir de s’y recueillir, et que l’un des parents remarqua le saignement qui aurait pu être provoqué par la présence de l’autre ; mais c’est là une simple conjecture.
26Quatre jours après le meurtre, on transporte le corps du jeune noble dans un lieu consacré ; du 30 décembre au 8 janvier, la plaie causée par la balle saigne chaque jour, et tout au long de cette période, la peau du cadavre, qui reste sans corruption et sans odeur, et qui ne subit pas la rigidité habituelle, garde une belle couleur rubiconde. Le 13 février, le sang coule encore une fois de la plaie ; et c’est seulement après cette date que le cadavre commence à perdre sa couleur. Les questions posées aux instances médicales par le parent affligé concernent l’incorruptibilité du cadavre et le saignement qui se produit apparemment sans cause naturelle. Je me pencherai ici sur la seconde question, qui est liée à un autre débat du temps sur ce qu’on appelle l’« onguent armaire » ; onguent que l’on applique non pas à une plaie infectée mais à l’arme qui l’a occasionnée. Il s’agit dans les deux cas des effets de ce qu’on appelait à l’époque la sympathie, ou l’action à distance salutaire : l’infection présente dans la plaie est censée être attirée vers la lame et quitte ainsi le corps de la victime ; on suppose de la même façon que le sang accusateur qui sort du cadavre est attiré par la présence de l’assassin49.
27La faculté de Vienne et Horst arrivent grosso modo aux mêmes conclusions, bien que leur raisonnements ne soient pas identiques. Suivons l’argument de Horst : il commence par affirmer qu’on ne peut pas espérer trouver une explication apodictique ; en bon médecin, il déclare qu’on se trouve ici sur un terrain où ne règnent que la probabilité et la vraisemblance. Il accepte aussi que la sympathie et l’antipathie sont des phénomènes sublunaires réels, mais il insiste sur le fait qu’elles proviennent de causes naturelles et intrinsèques à la nature des choses. Il conclut que le saignement a eu lieu en fait ; et il se demande ensuite si ce phénomène peut autoriser un juge à mettre à la question celui dont la proximité a provoqué le saignement et qu’on soupçonne par conséquent d’être l’assassin. Voilà à proprement parler une question de droit criminel. Les juristes protestants et catholiques que Horst se plaît à citer dans son texte sont d’accord sur ce point ; selon Farinacci, « bien que cet indice soit important, réel, vraisemblable, fiable et pertinent, il ne justifie pas à lui seul l’usage de la torture » ; il faut qu’il y ait en plus « une présomption certaine, extrinsèque et explicite ». Le juriste protestant Johannes Zanger (1557-1607) dit de même. Et Horst de finir en affirmant qu’il « vaut mieux qu’un coupable reste impuni qu’un innocent soit condamné à cause d’un indice des plus douteux50 ».
28Ces rapports se penchent plutôt sur les dimensions légales du cas, et se basent sur la théorie naturaliste de la sympathie ; lorsque le minime Marin Mersenne (1588-1648), de Paris, discute de la cruentation dans son livre Quaestiones celeberrimae in Genesim de 1623, il doute au préalable de cette théorie, et recommande qu’on s’engage dans une série d’expériences virtuelles pour mieux comprendre les facteurs qui entrent en jeu (il suggère qu’on devrait voir, par exemple, si celui qui en a tué un autre par mégarde, ou par légitime défense, ou bien l’assassin d’un chien au lieu d’un homme, ou même un chien qui a tué un autre chien, produit le même effet). Il conclut que le saignement ne peut avoir lieu que si la providence divine le cause pour signaler une injustice51. Son parti pris religieux enlève toute réticence à son interprétation disjonctive des faits : ou ils sont des effets dûs à des causes naturelles, ce qu’on doit confirmer par la méthode expérimentale, ou ils sont dûs à l’intervention de Dieu. Son examen du problème marque clairement la différence entre le biais médical et juridique de Horst et de la faculté de Vienne, et celui d’un théologien. Bien que Mersenne prône la nouvelle science qui met à l’épreuve tout phénomène et applique aux résultats des expériences une logique mathématique rigoureuse plutôt que la « probabilité », dans le sens de fiabilité, il reste cantonné dans une vision du monde gouvernée par les vérités théologiques.
29Le mirabilium qui fait couler le plus d’encre à la fin du xvie siècle, c’est celui de la dent d’or trouvée dans la bouche d’un enfant silésien – cause célèbre qui, dès l’aube du siècle des lumières en France, deviendra l’exemple par excellence de crédulité et de superstition. Il figure dans les écrits de Fontenelle (qui l’emprunte au livre contre les oracles du savant néerlandais Antoine van Dale), de Pierre Bayle, de Jean-Jacques Rousseau, et même d’un ingénieur naval du nom de Pierre Forfait, qui qualifie le traité sur la dent d’or publié en 1595 d’« échafaudage de raisonnements absurdes [construit] sur une base imaginaire52 ». L’histoire commence en printemps 1593 dans une petite école luthérienne située dans un village non loin de Schweidniz. C’est là qu’une compagne de jeu découvre une dent d’or dans le maxillaire inférieur d’un orphelin qui s’appelle Christoph Mueller, âgé de 7 ans, garçon d’une famille extrêmement pauvre. Le seigneur protestant du lieu, Friedrich von Gelhorn, subvient depuis peu à ses besoins et à ceux de sa mère. Le maire de son village vient voir la merveille, suivi par des médecins et des notables de la région, qui en font un rapport à leurs amis et correspondants ; c’est ainsi que le publiciste des mirabilia en Allemagne, Georg Schenck von Grafenberg (mort en 1620), apprend l’histoire de son collègue, le médecin humaniste Lorenz Scholze de Breslau (Wroclaw). Avant septembre 1594, Andreas von Jerin, évèque de Neisse (Breslau) – qui en tant que duc et gouverneur (« Bundesfürst und obrister Hauptmann ») de la Silésie inférieure et supérieure jouit d’une autorité temporelle qui s’étend non seulement aux catholiques mais aussi aux protestants – convoque le garçon. Craignant d’avoir affaire à une supercherie, il fait examiner la dent par des chirurgiens et par un orfèvre, et s’en déclare satisfait. Un peu plus tard, Jacob Horst (1537-1600), professeur de médecine à l’université de Helmstedt, auteur de nombreux traités érudits ainsi que d’un grand ouvrage de haute vulgarisation en allemand sur les arcanes de la nature (en partie traduit du livre populaire sur ce sujet écrit par Levinus Lemnius53), arrive sur les lieux pour régler des affaires de famille et rendre visite au fils souffrant de Friedrich von Gelhorn qui est étudiant à son université ; on lui présente l’enfant, qu’il examine soigneusement ; il soumet la dent à l’épreuve d’une pierre de touche, donne à manger à l’enfant pour voir si elle fonctionne normalement, interroge sa mère, puis rentre à Helmstedt. Peut-être la dent serait-elle restée un fait divers silésien si Horst n’avait pas eu au mois de janvier 1595 un rêve qui lui révéla ce qu’elle présageait. Il fait mettre des affiches dans la ville annonçant une conférence à 8 heures du matin le 12 janvier dans la grande salle de l’université, au cours de laquelle il promet d’expliquer l’étiologie de la dent (en partie naturelle, selon lui, mais en partie surnaturelle aussi), et ce qu’elle signifie en termes religieux et politiques. Horst y voit le signe avant-coureur du début du règne de mille ans annoncé par saint Jean dans l’Apocalypse ; ce règne débutera en 1600 précisément avec la défaite des Turcs par les troupes de l’empereur Rodolphe – date qui coïncide avec la prophétie du mystique médiéval Joannes Hiltenius, prophétie reprise par le théologien wittembourgeois Philippe Melanchthon en 1559 au cours d’une leçon à laquelle il est possible que Horst, étudiant alors à cette université, ait assisté54.
30Le placard distribué par Horst arrive dans les mains de Konrad Memmius, responsable de la gazette circulant dans les foires, qui ne manque pas d’en faire usage ; en même temps, Horst entreprend d’écrire un livre en latin qui expose son interprétation des faits ; son éditeur le vend à Leipzig et à Francfort lors des foires de Pâques. À ce petit livre, qu’un étudiant de Horst traduit l’année suivante en allemand, Horst ajoute un recueil de lettres écrites par des témoins oculaires qui ne doutent point de l’authenticité de la dent, entre autres l’évêque de Breslau. Ces publications provoquent à leur tour bon nombre de réfutations et de contre-réfutations de tous côtés. Médecins galéniques, iatrochimiques, voire paracelsiens, philosophes naturels et théologiens s’en mêlent. Horst se trouve vilipendé dans sa propre université par un jeune collègue écossais qui se moque de son interprétation et y décèle des erreurs rudimentaires concernant l’usage que fait Horst de l’astrologie55. Sur ces entrefaits, la dent est « démasquée », si l’on peut dire, en Silésie. Plus exactement, il existe plusieurs versions différentes de la manière dont l’affaire s’est terminée : selon les uns, c’est un médecin astucieux qui voit que la dent n’est qu’une couronne façonnée d’une perle d’or telle qu’on trouve souvent sur les bourses des femmes silésiennes ; selon les autres, c’est un noble ivre et agressif, qui, alors qu’on lui refuse de voir la dent, s’attaque au visage du garçon avec une dague et la défait. On continue d’en discuter jusqu’en 1599 ; les débats cessent en 1600 (fait peu étonnant, car la défaite des Turcs prédite par Horst n’a pas eu lieu). C’est seulement en 1628, dans l’œuvre du grand médecin wittembourgeois Daniel Sennert, que l’histoire émerge comme avertissement salutaire contre la crédulité56.
31Les traités qui discutent de ce phénomène couvrent plus de 700 pages. Je n’aurai pas ici le temps d’analyser de près ce débat compliqué, mais je voudrais en souligner quelques traits saillants. Les explications qu’on y avance sont tantôt naturelles et surnaturelles à la fois, tantôt purement surnaturelles, tantôt purement naturelles. Horst est un exemple du premier cas de figure, et c’est le fait qu’il décèle des facteurs surnaturels qui l’autorise à ses propres yeux à accorder au phénomène une signification prophétique ; il faut noter aussi qu’il est mêlé depuis les années 1570 au millénarisme luthérien, et qu’il n’est pas le seul, dans cette période troublée, à prédire qu’un grand changement aura lieu en 1600, l’année du jubilé57. L’explication purement surnaturelle est due à Johannes Ingolstetter (1563-1619) d’Altdorf, disciple de Nicolaus Taurellus que nous avons déjà rencontré ; il attribue les dires de Horst à une illusion diabolique qui l’a induit en erreur. Martin Ruland le jeune (1569-1611) et Andreas Libau (1550-1616), tous les deux auteurs iatrochimiques assez célèbres, acceptent les faits tels que Horst les relate, mais ils cherchent à en trouver une explication purement naturelle qui est liée aux exhalaisons métalliques provenant du sol silésien, à la manière dont l’or est censé se propager, et aux pigments de couleur dorée qui se trouvent dans les corps animés58. On sent bien qu’on est ici non seulement face à des tenants de la doctrine naturaliste de Padoue, mais aussi face à ceux qui, croyant à l’unicité de la vérité, se rangent dans ce conflit des facultés du côté des théologiens. Il ne laisse pourtant pas de surprendre qu’Ingolstetter se soit plu à voir dans un fait divers aussi trivial que la dent d’or les manigances du diable, et que Horst, professeur de faculté éclairé, ait abandonné l’habitus mental de prudence qui caractérise sa profession au point de se laisser influencer par l’atmosphère fiévreuse et les spéculations eschatologiques de son temps. En fait, il peut sembler qu’en citant cet exemple d’un mirabilium, j’aie infirmé l’hypothèse que j’ai posée au début de cette leçon quant à la circonspection professionnelle des médecins. Tout ce que je peux en dire, c’est que les médecins de l’époque savent, comme nombre de leurs contemporains, « compartimenter » pour ainsi dire leur esprit, de sorte qu’ils sont capables de s’engager de façons fort diverses dans les différents domaines de leur univers moral et intellectuel.
32Après la considération de ces cas insolites, plusieurs conclusions s’imposent. D’abord sur l’espace public : se laisser éditer coûte assez cher, et, si les imprimeurs spéculent eux-mêmes en publiant des récits de mirabilia, c’est qu’ils sont persuadés qu’il y a là un profit pour eux ; l’espace public n’est pas seulement un champ de bataille idéologique, mais aussi un marché. Sans l’apport des publicistes aux foires et sans des éditeurs entreprenants, bon nombre de ces événements seraient passés inaperçus. N’oublions pas non plus la popularité des canards, qui sont souvent des contrefaçons de publications provinciales faites à Paris ou à Rouen – signe de l’appétit vorace des lecteurs non instruits pour ce genre de publication – dont les auteurs et les imprimeurs exploitent les faits divers et les racontars sans trop se soucier de la vérité des faits ; la contrefaçon rouennaise du traité de Pascal Robin, qui porte sur la page de titre une estampe n’ayant rien à voir avec la matière, et le portrait gravé de Jean Godeau, qui circule à Paris, en sont les témoins59.
33En ce qui concerne les liens entre médecine et théologie, il convient de se demander s’il y a une distinction à faire entre les réactions catholiques, luthériennes et calvinistes. En fait, les différences ne sont pas très grandes et ne s’appliquent pas dans tous les cas : les padouans catholiques sont souvent naturalistes ; les calvinistes sont tantôt naturalistes, tantôt partisans de la doctrine de l’unicité de la vérité ; les luthériens incluent des millénaristes et des sceptiques, et la plupart d’entre eux s’appliquent à communiquer aux gens simples qui ne comprennent pas le latin des comptes rendus fiables des événements insolites susceptibles de les inquiéter. En revanche, il me semble que, de par leur formation, les médecins rationalistes partagent une vision du monde et une doctrine de la probabilité qui influent sur eux plus que leur confession religieuse. En France, pendant les guerres de religion et dans les années qui les suivent, marquées par des inquiétudes religieuses et politiques, les rapports qu’on fait sur les cas insolites trahissent les partis pris de leurs auteurs : les récits de Montaigne, de Béroalde de Verville et de Mont-Sainct d’une part, et de Robin et de Provanchères d’autre part, font apparaître des différences dans leurs réactions, et on est tenté de caractériser les premiers par une attitude libérale, séculière et progressiste, et les derniers par un conservatisme superstitieux – caractéristation trop simpliste, on l’a vu, mais qui contient pourtant une part de vérité.
34En ce qui concerne les rapports entre médecine et droit, on remarque l’application par les médecins d’une doctrine de la preuve assez sophistiquée. C’est l’ouï-dire et les rapports provenant de la plume des témoins oculaires qui mettent en relief la difficulté de rendre compte d’un mirabilium au niveau de l’observation et des faits : d’une part, on peut douter de tout ce qu’on ne voit pas soi-même ; d’autre part, on peut accepter tout ce qui est écrit. Dans le Gargantua de Rabelais, lui aussi médecin du xvie siècle, l’auteur cherche à persuader ses lecteurs de la véracité du mode de naissance de Gargantua (par l’oreille), et les admoneste ainsi :
Un homme de bien, un homme de bons sens, croyt tousjours ce qu’on luy dict et ce qu’il trouve par escript. Ne dict pas Salomon Proverbiorum 14 « Innocens credit omni verbo », etc. ? Et sainct Paul prime Corinthio. 13 « Charitas omnia credit »60 ?
35Cet appel à ce qu’on qualifierait aujourd’hui peut-être de « principe de charité61 » n’est pas très différent de celui des médecins qui décrivent les mirabilia dont ils sont les témoins oculaires ; mais il ne faut pas sous-estimer la circonspection des lecteurs, et parfois aussi des auteurs. Si l’on regarde les citations bibliques de Rabelais de plus près (ce que le « et caetera » après « verbo » nous invite expressément à faire), on verra que la citation paulinienne est précédée par les mots « charité se réjouit de la vérité » – affirmation qui s’oppose à la simple acceptation du dire d’autrui – et, ce qui est encore plus frappant pour le sens et la fonction de la citation, que le verset de Salomon commençant par les mots « un homme simple croit à tout ce qu’on dit » est complété par la proposition : « mais un homme avisé considère ses pas ». Il semble que Rabelais cite ici des autorités qui se désautorisent si on les situe dans leur propre contexte.
36Un savant anglais du xviie siècle a commenté le même problème sous un autre angle. Parlant en 1667 d’un cas anglais d’abstinence prodigieuse, il affirme que « le genre de mauvaise foi (uncharitableness) qui qualifie présomptueusement tout témoignage humain de faux respire le blasphème ; ceux qui n’acceptent rien que ce qu’ils ont vu de leurs propres yeux ne méritent pas de faire partie de la société des hommes ; car comment vous attendre à ce qu’un autre doive croire à vos paroles, si vous ne croyez pas aux siennes ? » Mais il ajoute prudemment : « tout comme c’est une marque d’infidélité de ne croire à aucun rapport d’un cas insolite, c’est une marque de crédulité et de superstition que de croire à tous simplement parce qu’un certain nombre d’entre eux sont véridiques62 ». Beau défi à la scientificité naissante des médecins de la fin du xvie siècle : pour résoudre ce problème, il va falloir que la notion de probabilité (qui réside à cette époque, on l’a vu, dans l’autorité et la fiabilité des témoignages) se transforme en concept quantitatif. Nous verrons dans la prochaine leçon les premiers pas effectués vers un tel concept dans les ouvrages de ceux qui écrivent des basses sciences.
Notes de bas de page
1 Voir Stuart Clarke, Thinking with demons, Oxford, Oxford University Press, 1997.
2 Lynn Thorndike, A history of magic and experimental science, New York, Columbia University Press, 1925-58, t.4, p. 141 ; R.S. Westman, « Copernicus and the prognosticators : the Bologna period 1496-1500 », Universitas, 5 (1993), p. 2 ; Sachiko Kusukawa, « Aspectio divinorum operum : Melanchthon and astrology of Lutheran medics » , in Medicine and the Reformation, éd. Ole Peter Grell et Andrew Cunningham, London and New York, Routledge,1993, p. 33 sqq.
3 Aristote, De la génération des animaux, iv.4, 770b.
4 C’est là la doctrine de naturalibus naturaliter, citée ci-dessus, p. 17.
5 Nicolaus Taurellus, Medicinae praedictionis methodus, Frankfort, 1581, sig. 4r : « Idem enim est Philosophiae Deus et Theologiae... Me sibi totum Christus vendicat : nec Aristoteli quicquam attribuetur, nisi quod Christus ipse concesserit, nec si quid obtulerit Aristoteles, id protinus excipiam, nisi quod Christo fuerit acceptissimum ».
6 Jean Hucher, De prognosi medica libri duo, Lyon, 1602, sig. ** 6v : « Deus optimus maximus totius naturae dominus, vires actiones et effectus eiusdem libere administrat, impellit, urget, tardat, interpellet aut omnino prohibet... Merito igitur Aristotelis de casu et fortuna tanquam effectricibus duabus causis ignotis, disputationes a piis viris exploduntur ; cum omnium spontaneorum casuum solus Deus sit author, eorumque contingentiae ». Cf. le Philippiste Caspar Peucer, De praecipuis divinationum generibus, Wittenberg, 1553. Cornelius Valerius, Tabula totius dialectices, Anvers, 1573, p. 11 : « Nihil temere aut fortuitu fieri in rerum naturae ». Puisque Dieu a une « potentia ordinata », plusieurs en déduisent que la nature ne doit être que bénéfique en soi, et par conséquent que toute maladie a une origine surnaturelle : voir Ann Blair, The theater of nature : Jean Bodin and Renaissance science, Princeton, Princeton University Press, 1997, p. 123 et Nancy G. Siraisi, The clock and the mirror : Girolamo Cardano and Renaissance medicine, Princeton, Princeton University Press, p. 160 (à propos de Jean Fernel).
7 Voir Paolo Zacchia, Quaestiones medico-legales, Leipzig, 1630, t.4, p. 1-13 ; seul le premier exemple vient de l’Ancien Testament (Josué 10 :12-14) ; les autres font référence aux miracles de Jésus (Matthieu 17 v.19, Jean 11 v.1-44, Matthieu 9 v.27-9, 8 v. 5-9, 21 v. 20).
8 Siméon de Provanchères, Discours sur l’inappetance d’un enfant de Vauprofonde, confins de Sens, qui n’a beu ny mangé depuis quatre ans unze mois et de sa mort, Sens, 1616, f. 23v. La doctrine que la nature passe toujours par le moyen (qui rappelle celle de la latitude de santé voir ci-dessus, p. 28-9), est aristotélicienne : voir Aristote, De anima, iii,12, 434b-435a.
9 Clark, Thinking with demons, p. 161-178.
10 E.g. Joachim Eichorn, Historia F. Nicolai de Saxo, Eremitae Undervaldensis, Helvetii, hominis angelica abstinentia, Fribourg, 1608.
11 Fortunio Liceti, De his qui diu vivunt sine alimento libri quatuor, Padoue, 1612, p. 151 : « Quamobrem licet fieri valeat ut Divina virtute homines diu ab omni alimento abstinent ; id tamen asserendum non est quotquot hucusque diutius ieiunasse observatum est, eos omnes supra naturae fastigium miraculoso ieiunio claruisse ; nam secus vererer mihi obijci posse illud Lucretianum [lib 6] : Quorum operum caussas nulla ratione videre / Possunt, haec fieri Divino numine rentur. »
12 De rerum natura, i.149 sqq : Principium cuius hinc nobis exordia sumet / nullam rem e nihilo gigni divinitus umquam / Quippe ita formido mortalis continet omnis, / quod multa in terris fieri caeloque tuentur / quarum operum causas nulla ratione videre / possunt, ac fieri divino numine rentur.
13 Pietro Pomponazzi, Opera, éd. Gulielmo Gratarolo, Bâle, 1567, p. 294 : « non sunt autem miracula quia sint totaliter contra naturam et praeter ordinem corporum coelestium, sed pro tanto dicuntur miracula, quia insueta et rarissime facta et non secundum communem naturae cursum sed in longissimis periodis ».
14 Nancy G. Siraisi, « La communicazione del sapere anatomico ai confini tra diritto e agiografia : due casi del secolo XVI », in Le forme della communicazione scientifica éd. Massimo Galuzzi, Gianni Michele et Maria Teresa Monti, Milan, Franco Angeli, 1998, p. 419-438.
15 Provanchères, Discours, f. 37-38 : « un esprit beau et clervoiant… sçait discerner le commun de ce qui n’est pas commun, l’ordinaire de l’extraordinaire, et le naturel du surnaturel, il se detraque facilement des choses sensibles, pour s’insinuer aux choses qui ne tombent point sous le sens, par l’eminence de son intellect ». Ce qui explique peut-être pourquoi François Citois, auteur du traité Abstinens confolantanea, Poitiers et Montpellier, 1602, (traduction française 1602) qui se déclare disciple de Joubert et donc de prime abord naturaliste, se porte témoin d’un miracle en 1618 : Histoire d’un miracle advenu à Nostre-Dame des Ardilliers par l’intercession de la très-saincte Vierge, mère de Dieu, à l’arrivée de la royne mère du Roy à Saumur, Saumur, 1619.
16 Jean Céard, La nature et les prodiges : l’insolite au xvie siècle, Genève, Droz, 1996, p. 31-42.
17 Montaigne, Essais, ii.30, p. 712-714.
18 Histoire admirable et veritable d’une fille champestre du pays d’Anjou, laquelle a esté quatre ans sans user d’aucune nourriture que de peu d’eau comme il a esté veu par une infinité de personnes […], Paris, 1587, p. 3-4. Une contrefaçon apparaît à Rouen à peu près en même temps, chez Abraham Cousturier.
19 Balde, In vij,viij, ix, x et xi Codicis libros commentaria, Venice, 1615, f. 208r : « suspicio [est] aliqualis applicatio animi ad aliquid cum vehementi titubatione [...] praesomptio [est] similitudo sufficiens ad rem dubiam, de qua crederitur, credenda [...] indicium [...] semiplenum [dubitatum] vel plenum seu indubitatum [quae est] demonstratio rei per signa sufficentia per quae animus in aliquo tanquam in existente quiescat [...] argumentum [est] propositio ex aliquibus existentibus resultans ad propositum ostendendum seu concludendum [...] adminiculum [est] vel vehemens vel non vehemens [quod est] aliqualis confirmatio rei probabillis, vel est aliqualis confirmatio veri tendens ad aliquid suspendendum de defectu probationis ». Ces termes se trouvent aussi chez Prospero Farinacci, Tractatus de haeresi, Rome, 1616, f. 325r, et Julius Clarus, Liber quintus receptarum sententiarum, in Opera, Francfort, 1604, p. 137 (q 20 n 2) : « et sic habes in hac materia suspiciones, praesumptiones, indicia, semiplenam probationem, et plusquam semiplenam probationem [...] in hac materia indiciorum non potest dari certa regula, sed multum iudicis arbitrio commititur ». Joachim Hopper, Tractatus de iuris arte, in Tractatus iuris universi, Venice, 1584, i.444, parle d’une « probabilis suspicio, iuris vel iudicis, qua creditur id alicui adesse vel abesse quod naturaliter vel in plurimum adesse vel abesse solet ».
20 Jean Melles de Souvigny, Praxis erudissima et absolutissima criminis persequendi, Lyon, 1550, f.146r, cité par Marie-Luce Demonet, « Les marques insensibles ou les nuages de la certitude », Littératures classiques, 25 (1995), p. 117 : Johannes Gödelmann, De magis, veneficis et lamiis recte cognoscenda et punienda, Francfort, 1591, p. 62 : « nemo ex praesumptionibus damnandus ».
21 Jean Bodin, De la demonomanie des sorciers, Paris, 1580, f. 172 sqq ; John H. Langbein, Torture and the law of proof : Europe and England in the Ancien Régime, Chicago et Londres, Chicago University Press, 1976-7, p. 12 sqq.
22 Prospero Farinacci, Tractatus de testibus, Francfort, 1606, iii.7.65.3, p. 300-312.
23 Sur ce sujet en général, voir l’ouvrage récent de Walter Vandereycken and Ron van Deth, From fasting saints to anorexic girls ; the history of self-starvation, London, Athlone Press, 1996.
24 Otto Clemen, Kleine Schriften, Cologne, Böhlau, 1984, t. 4, p. 473-478.
25 Paullus Lentulus, Historia admiranda, de prodigiosa Apolloniae Schreierae virginis in agro Bernensi inedia, p. 15, le qualifie de « chirurgus rationalis ». Sur Fabry von Hilden, voir Heinrich Strangmeier et Wolfgang Wennig, Fabrystudien, 3 t., Hilden, F. Peters, 1961-1965.
26 Lentulus, Historia, p. 75-77 ; les autres textes qui s’y trouvent sont (entre autres) ceux de Gerardus Bucoldianus, De puella, quae sine cibo et potu vitam transigit brevis narratio, Paris, 1542 (trad. allemande de la même année), Conrad Kolb von Wartenburgk, Gruendlicher Bericht und Anzeig einer warhafften Histori/ welcher massen zu Schmidtweyler ein Maegdlein siben Jahr lang weder gessen noch getruncken und doch von Gott wunderbarlicher weyss bey leben erhalten worden, Heidelberg, 1585 (traduction française, Francfort, 1587) ; Johann Weyer (Wierus), De lamiis liber : item de commentitis ieiuniis, Bâle, 1577, et Laurent Joubert, Paradoxorum decades, Lyon, 1561, i.2.
27 Liceti, De his qui diu vivunt sine alimento ; Gregor Horst, « De inediis miraculosis nostri temporis », in Opera medica, Nuremberg, 1660, t. 2, p. 517-521.
28 Robin, Histoire, p. 17 ; Citois, Abstinens confolantanea ; Lentulus, Historia admiranda ; Thomas Mont-Sainct, Histoire veritable, et remarquable, d’un ieune enfant, natif à Val-profonde, pres de Ville-neufve le Roy, en Bourgogne, aagé de neuf à dix ans, lequel n’a beu ny mangé depuis l’Ascension ; et ne laisse pourtant de parler et cheminer […], Paris, 1612 ; 2e éd. (contenant le recit de l’autopsie du cadavre), Sens, 1616 ; notons aussi l’explication paracelsienne donnée par Joseph Du Chesne, Diateticon polyhistoricon, Paris, 1606, f. 88-97.
29 Voir Weyer, De commentitis ieiuniis.
30 Israel Harvet, Discours par lequel est monstré contre le second paradoxe de la premiere decade de M. Laur. Joubert, qu’il n’y a aucune raison que, quelques uns puissent vivre sans manger, durant plusieurs jours et années, Niort, 1597, p. 82.
31 Voir Clemen, Kleine Schriften, t. 4, p. 179 ; Michael Giesecke, Der Buchdruck in der frühen Neuzeit : eine historische Fallstudie über die Durchsetzung neuer Informations- und Kommunikationstechnologien, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1991 ; Mark U. Edwards,, Printing propaganda and Martin Luther, Berkeley, University of California Press, 1994.
32 Voir Disputa dello eccellentissimo filosofo M Simone Portio Napoletano sopra quelle Fanciulla della Magna, laquale visse due anni o piu sensa mangiare et senza bere, trad. Giovanni Battista Gello, Florence, s.d.
33 Kolb, Gruendlicher Bericht ; de Smet, Miscellanea medica, Francfort, 1609, x (« Rariorum aliquot morborum et symptomatum observationes per 48 annos medicinam faciendo collectae ») ; Histoire memorable et prodigieuse d’une fille qui depuis plusieurs annees ne boit, ne mange, ne dort, et ne iette aucuns excremens : et vit neanmoins, Francfort, 1587, sig. C2v ; Lentulus, Historia admiranda, p. 73. Il semble être d’usage pour les auteurs qui font référence aux récits précédents d’abstinence de mettre au jour l’état présent de ces cas : voir aussi Mont-Sainct, Histoire veritable, p. 8 (sur le cas de Confolens).
34 Lentulus, Historia admiranda, p. 1-23 ; Duchesne, Diaeteticon, f. 90-1 ; Gregor Horst, « De inediis miraculosis nostri temporis ».
35 Abstinens confolantanea ; Harvet écrit un traité contre Citois : Confutatio causarum puellae Confolentaneae, Orléans, 1602.
36 Mont-Sainct, Histoire veritable (1616), p. 1.
37 Ibid., p. 14.
38 Provanchères, qui en 1616 annonce qu’il a 68 ans (Cinquiesme discours apologetique pour les causes surnaturelles de l’inappetance de l’enfant de Vauprofonde, Sens, 1617, f. 48v), est mort peu après : voir Clarissimi viri Simeonis Provencherii Medici Regis et Senonensis Tumulus, Sens, George Nyverd, 1617. Voir aussi Coppie d’une lettre envoyée à M. Arnoul, doien de Sens, et grand vicaire de Mgr... de Pellevé, par Me Siméon de Provanchères, médecin à Sens, faisant mention d’un enfant conservé en la matrice, par l’espace de vingt-huit ans, Sens, 1582. En 1616, Mont-Sainct possédait ce fœtus, selon Provanchères.
39 Provanchères, Cinquiesme discours ; Mont-Sainct, Histoire veritable, p. 21 sqq.
40 Voir Maclean, Logic signs and nature, p. 192-193, sur l’emploi du proverbe « amicus Plato, magis amica veritas », et d’autres de ce genre, à cette époque.
41 Même sentiment chez Bucoldianus, De puella, quae sine cibo et potu vitam transigit brevis narratio, sig.A5r : « in medio id pono, liberumque unicuique suum iudicium permitto, ne paradoxologus potius fuisse videar, rem cimeriis tenebris magis obscuram naturaliter fieri et perspicuam esse disputando, quam id quod vidi pro re certa breviter, quod meum consilium fuit, explicasse » ; Pascal Robin affirme que ceux qui « naturalisent » se permettent cette liberté : Histoire, p. 17.
42 Béroalde de Verville, Le palais des curieux, Paris, 1612, p. 120-133. Je suis reconnaissant à mon collègue Neil Kenny d’avoir attiré mon attention sur ce passage. Béroalde cite un deuxième cas qui peut être celui que mentionne aussi Mont-sainct, Histoire veritable, 1612, p. 7.
43 P. Robin, Histoire admirable et veritable d’une fille champestre.
44 Voir The Times, 26 novembre 2003, p. 20.
45 Genèse, 4 v. 10.
46 Georg Schottelius, De singularibus quibusdam et antiquis in Germani iuribus et observatis : kurtzer Tractat von unterschiedlichen Rechten in Teuschland, als z.E. das Hagestoltzen Recht. Das Baulebungs Recht. Das Baar Recht […], Leipzig, 1718 ; Farinacci, Opera omnia, Francfort, s.d., p. 804-805.
47 Valleriola, Observationum medicinalium libri sex, Lyon, 1573, ii.9, p. 113-115.
48 G. Horst, Skepsis physica medica de casu quodam admirando et singulari, ex quo subsequentia problemata deducuntur. 1. An corpus humanum post mortem aliquot septimanis colore et habitu floridum, incorruptum, absque putredine incipiente, naturaliter, nullo artificio accidente, durare possit ? 11. An fluxus sanguinis cadaveris humani occisi tam in principio caedis, quam post aliquot septimanas praesentiam interfectoris indicet ?, Francfort, 1606, 1608. L’éditeur en question est Clemens Bergerus.
49 Voir Andreas Libavius, Tractatus duo physici : prior de impostoria vulnerum per unguentum armarium sanatione Paracelsicis usitata commendataque ; posterior de cruentatione cadaverum iniusta caede factorum praesente, qui occidisse creditur, Francfort, 1594 ; aussi Jacobus Bürlein, Disputatio medica de pernicioso paracelsicarum hoplochrismate, praeses Christophorus Nicolaus, Altdorf, [1661], qui contient une ample bibliographie des traités sur ce sujet.
50 Horst, Skepsis, p. 67-68, qui cite Farinacci, Praxis et theoria criminalis, v.56.156 et Zanger, Tractatus de quaestionibus seu torturis reorum, Wittenberg, 1598, lix, p. 53.
51 Marin Mersenne, Quaestiones celeberrimae in Genesim, Paris, 1623, col. 1437-52 (surtout 1447-8) ; je suis reconnaissant à mon collègue Noel Malcolm de m’avoir fourni cette référence.
52 Voir le livre de Robert Jütte, « Ein Wunder wie der goldene Zahn » : Eine unerhörte Begebenheit aus dem Jahre 1593 macht Geschichte(n), Ostfildern, Throbecke, 2004. Depuis 1995, je travaille sur cette histoire de pair avec mon collègue allemand ; nous avons trouvé des témoignages complémentaires sur l’affaire. Je ne noterai ici que ceux qui ne se trouvent pas dans son livre, telle la citation de Forfait, Encyclopédie méthodique marine, Paris, 1786, p. 91.
53 La traduction du livre de Levinus Lemnius intitulé Occulta naturae miracula, paraît entre 1572-1588 ; voir aussi De vite vinifera, Helmstedt, 1587 ; De memoria deperdita curanda, Helmstedt, 1587 ; De noctambulonibus, Leipzig, 1593 ; Epistolae philosophicae et medicinales, Leipzig, 1596.
54 Voir Robin Bruce Barnes, Prophecy and gnosis : apocalyticism in the wake of the Lutheran Reformation, Stanford, Stanford University Press, 1988, p. 1-2.
55 Duncan Liddel, Disputatio de elementis, Helmstedt, 1595, parerga ; Tractatus de dente aureo, nunc primum editus ex Museo Iachimi Morsii, Hamburg, 1628.
56 Daniel Sennert, Pratica medicina, ii.15, in Opera omnia, Lyon, 1650, t.2 p. 640 ; lettre du docteur Balthasar Caminaeus, recteur de l’université de Francfort an der Oder à Joannes Caselius, datée le 31 décembre 1595, reproduite par Liddel, Tractatus de dente aureo.
57 Thomas Kaufmann, « Römisches und evangelisches Jubeljahr 1600 : konfessionskulturelle Deutungsalternativen der Zeit im Jahrhundert der Reformation », in Millennium : Deutungen zum christlichen Mythos der Jahrtausendwende, ed. Christoph Bochinger, Gütersloh, Kaiser, 1999, p. 73-136.
58 Jakob Horst, De aureo dente maxillari pueri silesii, primum, utrum eius generatio naturalis fuerit, necne ; deinde an digna eius interpretatio dare queat, Leipzig, 1595, 1596, traduction allemande 1596) ; Martin Ruland le jeune, Nova, et in omni memoria omnino inaudita historia, de aureo dente [ad Andream Libavium], Francfort, 1595 ; Jacobus Francus [Konrad Memmius], Historicae relationis continuatio. Warhafftige Beschreibunge aller fuernemen unnd gedanckwuerdigen Historien/ sosich [...] hierzwischen nechst verschiener Franckfurter Herbstmess/ unnd etliche Monat zuvor biss auff gegenwertige Fastenmess dieses 1595 Jahrs zugetragen und verlauffen haben, Francfort, 1595 ; Jakob Horst, Etliche Sendbrieffe /zum zeugnis /das der Gueldene Zahn noch heutiges tages / guelden und kein betrug sey. Auch zu mehrerm bericht /wie er sich im dritten jahr erzeiget /und theils sich verendert, Leipzig, 1596 ; Johann Ingolstetter, Responsio ad iudicium M. Rulandi, Leipzig, 1596 ; Ruland, Demonstratio iuditii de dente aureo pueri Silesii : adversus responsionem M. Johannis Ingolstetteri, Francfort, 1597 ; Ingolstetter, De natura occultorum et prodigiosorum dissertatio [... ] ad D. Jacobum Horstium [...] qua respondetur ipsius libello de aureo, qui putabatur, dente, Leipzig, 1597 ; Ingolstetter, De natura naturalium et non naturalium [...] dissertatio bipartita ; generalis : explicans omnium essentiam varietatemque sive philosophicam, sive medicam : et specialis : opposita demonstrationi iudicii Martini Rulandi F[ilii] De aureo dente : pro sua adversus illud responsione, Leipzig, 1598 ; Andreas Libau, Singularium pars secunda, Francfort, 1599 ; Libau, Rerum chymicarum epistolica forma [...] liber, Francfort, 1599.
59 Fleury Bourriquant et Jean de Heuqueville, imprimeurs parisiens se spécialisant dans les canards, éditent la traduction de Citois en 1602 et la contrefaçon de Mont-Sainct en 1612 ; Georges Nyverd, l’imprimeur de Provanchères à Sens, annonce en 1616 que le premier tirage de son discours a été vite épuisé.
60 François Rabelais, Gargantua, éd. R. Calder et M.A. Screech, Geneva, Droz, 1970, p. 49-50.
61 Voir N.L. Wilson, « Substance without substrata », Review of Metaphysics 12 (1959), 532 ; W.V.Quine, Word and object, Cambridge, Mass., MIT Press, 1960, p. 59 ; Donald Davidson, « Radical interpretation » in Inquiries into Truth and interpretation, Oxford, Oxford University Press, 1984, p. 136 ; Ian Hacking, Why does language matter to philosophy ?Cambridge, Cambridge University Press, 1975, p. 148.
62 « That Uncharitableness [drops Blasphemy] which presumes to write Falshood upon all human Testimonies ; they that assent to nothing, not confirmed by Autopsia, are unfit to converse in human Societies ; for how can I expect that any Body should believe me, whilst I myself will believe no Body ...] as it is human Infidelity to disbelieve all such Reports, because some are false, so it is superstitious Charity to believe all, because some are true » : John Reynolds, A discourse of prodigious abstinence (1669), réimprimé dans The Harleian miscellany, Londres, 1745, t. iv., p. 44 : on retrouve les mêmes sentiments sur la crédulité d’un côté, et de l’autre le respect dû aux récits qui sont basés sur une longue et profonde considération, dans le chapitre consacré à la conception du traité de William Harvey, De generatione animalium, Londres, 1651. Voir aussi, Simon Schaffer, « Piety, physic and prodigious abstinence », in Ole Peter Grell et Andrew Cunningham (éd.), Religio medici : medicine and religion in seventeenth-century England, Aldershot, Routledge, 1996, p. 171-203.
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