Chapitre II. Interroger la nature : la logique des médecins
Texte intégral
1Dans cette conférence, je me propose de tracer, dans le domaine des études médicales du xvie siècle, la ligne qui mène de la logique la plus rigoureuse et explicite, à travers des formes de raisonnement laxistes, à un intuitionnisme qui tait ses prémisses et ses procédés, mais qui passe quand même pour être un trait essentiel de la médecine rationaliste. Nous avons vu que la nature sublunaire, qui constitue le champ de recherches des médecins, peut être sujette à des forces majeures telles que la nécessité, le hasard et les influences célestes ; elle témoigne et du superflu et du manque ; autour d’elle s’étend une pénombre de choses qui ne lui appartiennent pas tout à fait. Pourtant, il faut pouvoir avoir prise sur cet objet protéiforme si l’on veut, en bon médecin héritier de la doctrine d’Hippocrate et de Galien, se déclarer son ministre. Comment donc procéder à son analyse ? En nous penchant sur cette question, nous allons voir que les instruments logiques utilisés pour disséquer la nature universelle et la nature humaine manquent de précision, tout comme les matières dont ils traitent, bien qu’il y ait des médecins qui osent affirmer en s’appuyant sur Hippocrate et sur Galien que les préceptes de l’art médical appartiennent au plus haut niveau de certitude. Jacques Houiller (1498-1562), de la faculté de médecine de Paris, s’exprime ainsi sur ce point : « L’art, c’est la compréhension ou doctrine tirée de préceptes vrais, certains, universels, cohérents et compatibles avec leur fin1. » Pourquoi afficher des prétentions aussi hautes ? On serait enclin, en premier lieu, à invoquer avant tout des raisons institutionnelles ou sociologiques : ces médecins s’évertuent à défendre la prétendue préséance de leur faculté sur celles de philosophie et de droit, en refusant d’admettre une faiblesse quelconque au sein de leur discipline.
2Un autre type d’explication (qui n’exclut pas la précédente) mettrait l’accent sur le statut accordé aux préceptes de l’art, et sur les matières dont il traite. Cela entraînerait l’affirmation que la médecine est non seulement un art, mais aussi une science. Il vaut la peine ici de s’étendre un peu sur ces termes et sur le débat qu’ils ont suscité à cette époque. Selon la classification scolastique des sciences et des arts qui est alors généralement admise, les sciences dites théoriques (mathématiques, physique et métaphysique) se trouvent au plus haut niveau de certitude ; puis viennent les arts pratiques, qui traitent des questions morales (éthique, politique) ; c’est à ce niveau qu’on place souvent la médecine et le droit ; enfin, il y a la philosophie dite poétique, qui s’intéresse à la production des œuvres d’art et aux opérations exécutées pour modifier l’état naturel des êtres. La science (ou épistemè) du plus haut niveau présuppose la totalité et la clôture de son champ de savoir. L’art (ou technè) est le domaine de la doxa (ou opinion). Il ne règne que sur un simple ensemble de matières, mais peut participer de la science, tant par ses préceptes que par les prémisses qu’il puise dans le savoir du niveau supérieur2.
3Au xvie siècle, cette question est vivement débattue dans le contexte de l’essor de l’anatomie, que l’on peut classer ou bien comme une science (faisant partie de la philosophie naturelle) ou bien comme une simple pratique empirique3. On en discute aussi dans le contexte des trois méthodes d’exposition de la doctrine médicale proposées par Galien dans son Petit art médical. La première méthode procède de la conclusion (ou effet) aux prémisses (ou causes) : c’est l’analyse ou la voie résolutive. La deuxième, qui fait exactement l’inverse, est la synthèse ou la voie compositive. La troisième commence par le milieu pour ainsi dire, et se sert de la diairesis ou l’explication d’une définition. Dans plusieurs de ses écrits, Galien affirme que ces procédés pris ensemble sont proches du mos geometricus ou méthode axiomatique, qui commence avec les éléments qui constituent les matières à traiter, procède à une comparaison de ces matières pour en établir les similitudes et dissemblances, et les réduit enfin en leurs constituants4. Ailleurs, Galien souligne les rapports des deux premières méthodes ou voies avec les Seconds Analytiques d’Aristote. Il signale également les origines platoniciennes de la troisième, et ses rapports avec la doctrine taxinomique d’Aristote qu’on trouve dans le traité zoologique de ce dernier, De partibus animalium5. Or, au xvie siècle, la voie résolutive, qui part des effets pour remonter aux causes, est censée mieux convenir aux arts, tandis que son contraire, la compositive, est celle qu’on associe aux sciences ; d’où le double statut de la médecine, que plusieurs disent participante aussi de la troisième catégorie du savoir, c’est-à-dire de l’art poétique ou producteur, en ce que le médecin (et à plus forte raison le chirurgien) agit sur la nature et la modifie6.
4Dans plusieurs de ses écrits, Galien distingue entre trois sectes médicales : les méthodistes se fient à une doctrine des plus simples et ne voient pas la nécessité d’un long apprentissage pour devenir médecin ; les empiriques, eux, n’admettant que ce qui est perceptible par les sens, procèdent au cas par cas par une induction peu critique qui ne prend en compte ni l’idiosyncrasie du patient ni les préceptes de l’art ; les rationalistes ou dogmatiques, enfin, réunissent les données de l’expérience à celles de la raison7. Galien, qui s’érige en porte-parole de cette dernière secte, se targue d’être un logicien accompli, et requiert de ses disciples qu’ils subissent un long apprentissage et qu’ils maîtrisent la méthode déductive exposée dans son traité logique, le De demonstrationibus. Malheureusement pour les médecins de la Renaissance, ce livre a été perdu ; mais on peut en glaner des éléments dans ses autres écrits où il discute souvent de questions épistémologiques et logiques.
5Au début de son Traité des lieux affectés, il affirme qu’il y a trois niveaux ou degrés de savoir. Le niveau le plus bas est « l’ignorance pure » ; il se peut qu’en théologie on trouve des individus qui, grâce à leur « sainte simplicité » arrivent à émettre de hautes vérités de la foi, mais ce n’est pas le cas dans la profession médicale. Le niveau le plus élevé, celui de la science apodictique, est constitué de trois sortes de savoir : les connaissances les plus certaines, les indices indubitables et la logique démonstrative. Les « indices indubitables » comprennent les données de l’expérience (c’est-à-dire, ce que tout le monde apprend des cinq sens sans pouvoir en douter). Il y a là une aporie, car Galien reconnaît que les intuitions sensorielles en diagnostic sont parfois fausses (il fait référence ici à l’antipéristase et à l’irradiation de la douleur dans d’autres parties du corps qui peut donner le change aux débutants). Les connaissances et la logique les plus certaines réunissent les axiomes (ou principes universels) et les procédés de raisonnement apodictiques8. Le niveau moyen du savoir est celui de la « conjecture déterminée par l’art » (coniectura artificiosa). Le mot de conjecture montre qu’il n’y a là qu’une certitude limitée, et c’est le rôle de l’art de suppléer à ce manque de certitude. Pour ce faire et pour créer des préceptes fiables, on peut avoir recours aux certitudes axiomatiques et démonstratives. Dans son traité De la meilleure secte, Galien affirme que « les principes et les préceptes de l’art médical ont le caractère d’une vérité perpétuelle ». On qualifie la médecine d’art conjectural non pas à cause de ses préceptes, mais à cause de sa fin qui est de conserver la santé ou de la rétablir. L’art règle l’application des préceptes aux cas individuels9. La conjecture est donc marquée par ce qu’on appelle à l’époque « une certitude probable » (bel oxymore à nos oreilles)10 : d’une part, la certitude se rapporte aux préceptes, et la probabilité aux conditions de leur application ; d’autre part, fait peu reconnu par les médecins eux-mêmes, les préceptes aussi ne sont que probables, parce qu’ils n’appartiennent pas au genre d’axiomes ou de principes situés au plus haut degré de certitude, desquels ils sont tributaires.
6La médecine enseignée dans les universités à cette époque possède un double fondement : l’expérience et la raison. L’autorité (c’est-à-dire : les dires dogmatiques des grands maîtres de la discipline) n’y compte pour rien, si elle n’est pas étayée par la réalité et la logique11. En rejetant la primauté de l’autorité (y compris celle de la théologie), les médecins doivent accumuler les données du monde réel qui les entoure, et établir le bien-fondé de leurs inférences. Dans le premier cas, paradoxalement, force leur est de se fier aux dires des autres, car on ne peut pas tout voir de ses propres yeux (c’est le cas même aujourd’hui) ; l’autorité qu’on avait proscrite réapparaît sous forme d’observations faites par d’autres médecins. On pourrait dire aussi que la doctrine ou l’ensemble de préceptes, de théories et de prémisses fait figure d’autorité : un médecin galénique doit accepter la doctrine du maître quant à la santé et à la maladie. Nul doute que les médecins hétérodoxes de cette époque, tels Paracelse, Argenterio ou Cardan, qui n’y voient qu’un dogmatisme erroné, l’ont considérée eux sous cet angle12.
7En médecine, le raisonnement se prête à des usages différents. Il est d’abord un moyen de découvrir la vérité (ordo inventionis). Ce moyen doit être déductif : on a déjà vu que l’induction en médecine est suspecte, car elle est liée à la secte empirique, laquelle, en ne s’occupant que d’effets, ne possède pas ce que possède le médecin rationaliste, à savoir la connaissance des causes, seule base du savoir proprement dit, qu’on acquiert en se servant des règles de l’inférence13. Ensuite, c’est un moyen d’enseigner aux autres comment devenir médecin rationaliste (ordo docendi ou doctrinae). Enfin, le raisonnement est la pierre de touche du praticien qui l’applique aussi bien au diagnostic qu’au traitement. Au xviiie siècle, on reparlera de ces trois ordres, qu’on rebaptisera la subtilitas intelligendi, la subtilitas explicandi, et la subtilitas applicandi14. Une partie de la discipline qui comprend et raison et expérience est la sémiotique : elle appartient plus au côté pratique et à la pathologie qu’à la partie théorique et physiologique. Elle enseigne l’interprétation des signes et les conséquences pratiques de cette interprétation (l’identification de la maladie dont souffre le patient et le traitement qu’on lui impose) – conséquences qui distinguent l’activité du médecin de celle des autres professions, en ce que lui seul, par une erreur de jugement, peut tuer un homme sans avoir à craindre une poursuite en justice15.
8Je reviendrai dans ma quatrième conférence sur les pratiques sémiologiques. Je voudrais plutôt m’arrêter aujourd’hui ici sur le contexte le plus large des raisonnements médicaux : la logique aristotélicienne enseignée dans les universités, et les nouvelles théories dialectiques. Tous les médecins universitaires ont été formes par le cursus artium dans la logique d’Aristote, ou plutôt la logica nova réduite en système par des maîtres médiévaux comme Pierre d’Espagne et Paul de Venise. J’en esquisserai les grandes lignes, avant de retracer les modifications qu’y apportent les professeurs de médecine qui s’occupent de la logique à cette époque. Puis, je passerai à la dialectique moderne de Rodolphe Agricola (1444-1485) et de Pierre de La Ramée (1515-1572), et aux tentatives de recréer la logique perdue de Galien. Je jetterai ensuite un coup d’œil sur la logique ou la méthode d’Hippocrate, que certains mettent en valeur au milieu du siècle (non sans provoquer de vives réfutations). Je conclurai en examinant le rôle dans la pensée médicale de l’intuition, qu’on qualifie du nom d’indication.
9L’organon d’Aristote est un instrument qui garantit la validité des raisonnements. Selon l’ordre établi dans les universités pour l’enseigner, on commence avec Les Catégories (la logique des termes, où on discute de la prédication), De l’Interprétation (l’analyse du langage et des propositions), Les Premiers Analytiques (la logique des raisonnements et la théorie du syllogisme) pour aborder ensuite Les Seconds Analytiques (la démonstration, la définition et l’exposé de la théorie du syllogisme nécessaire) ; puis, vient le traité Des Topiques qui discute des lieux de la dialectique, autrement dit d’une « méthode qui nous rendra capables de raisonner déductivement en prenant appui sur des idées généralement admises sur tous les sujets qui peuvent se présenter ». Les Réfutations Sophistiques, qui exposent les principaux sophismes et les moyens de les réfuter, ferment la marche.
10On n’enseigne pas une logique spécifiquement médicale dans toutes les facultés de médecine en Europe. À Padoue et à Tübingen, on en fait grand cas ; mais on la néglige dans les facultés qui mettent l’accent plutôt sur la médecine pratique, comme à Bâle et à Montpellier, où il n’y a même pas de faculté des arts16. Traiter de la logique en tant que médecin, c’est, d’une part, déclarer son indépendance par rapport aux artiens et aux philosophes, et, d’autre part, affirmer qu’il y a une logique propre à la médecine. La manifestation la moins évoluée de cette logique médicale est à trouver dans les traités qui, en dépit de leurs titres, ne font que répéter les grandes lignes de la logique scolastique en y ajoutant des raisonnements tirés du domaine de la médecine. Un exemple nous en est fourni par les Catégories médicales de Symphorien Champier (1472-1539), qui prétend puiser sa logique dans le livre De la démonstration de Galien (livre perdu, on le sait), et dans les Catégories et les Livres naturels d’Aristote ; en vérité, il ne fait que reproduire les dix catégories du Stagyrite, en y ajoutant des renvois à plusieurs ouvrages de Galien – stratégie dont se sert aussi Adrien L’Alemant (fl. 1549), une trentaine d’années plus tard, dans son Ars parva, que j’examinerai ci-dessous17.
11Un moyen plus évolué de faire la différence entre la logique de la faculté des arts et celle de la médecine est de développer un élément particulièrement utile à l’étude de la médecine. C’est le cas de la diairesis, ou division liée à la définition, prônée par Galien lui-même dans plusieurs de ses ouvrages. On l’appelle la « voie divisive » (via divisiva), et les professeurs padouans affirment que les meilleurs médecins s’en servent en tant que moyen de raisonnement par excellence, car c’est par cette voie que s’effectue la distinction entre signes, symptômes et maladies18. Il y en a deux niveaux : la dichotomie scientifique, illustrée par l’arbre de Porphyre ; et la diairesis dialectique ou endoxale, dont les espèces sont décrites par Boèce dans son traité De la division. La diairesis scientifique révèle l’essence d’un sujet quelconque : elle procède du genre le plus général à l’espèce la plus spéciale, en appliquant progressivement une différence à chaque terme dans le bon ordre (par exemple, corporel/incorporel, animé/inanimé, sensitif/insensitif, rationnel/irrationnel, mortel/immortel) pour arriver à une définition (l’homme est une substance corporelle animée sensitive rationnelle et mortelle)19.
12La diairesis dialectique est plus souple ; elle peut s’appliquer à l’énumération des parties d’un tout, aux accidents d’un sujet, et même aux accidents de ses accidents. Cela ne veut pas dire qu’elle soit arbitraire ; mais on ne peut en faire un bel arbre porphyrien. Une source de cette sorte de division dont se sert Galien est le traité aristotélicien Des parties des animaux, où la division est réduite presque à une sorte de bricolage mental qui révèle ses propres apories. En parlant des genres d’oiseaux et de poissons, Aristote déclare :
Chacun genre est défini par plusieurs différences spécifiques sans recours à la dichotomie. Avec cette méthode, en effet, ou bien il est absolument impossible d’établir un classement (car le même être se trouve rangé dans plusieurs divisions, tandis que des êtres opposés se rencontrent dans la même classe) ou bien il n’y aura qu’une seule différence, et celle-ci qu’elle soit simple ou complexe constituera l’espèce dernière [...] ; mais il est impossible, en effet, qu’il n’y ait qu’une seule différence entre les catégories distinctes d’individus, que l’on prenne des catégories simples ou des catégories complexes20.
13Les médecins et les philosophes naturels (qui sont souvent aussi des médecins) disputent de ces difficultés dans le contexte de la taxinomie des plantes et des animaux. À la fin du xvie siècle, certains arrivent à incorporer les accidents d’une espèce dans des définitions quasi scientifiques, et confondent par là le propre et l’accident d’une chose21. Chez les médecins, on retrouve la même tendance au commencement du siècle, à cause de la difficulté que j’ai déjà évoquée à distinguer entre cause, symptôme et maladie. Le padouan da Monte parle dans ses cours d’une division accidentelle opposée à l’essentielle, qu’il recommande à ses étudiants désireux d’arriver à la connaissance de la pathologie et de la thérapeutique22. Un peu plus tard, inspirés par l’ouvrage d’un jeune médecin montpelliérain, Jacques Dubois (1478-1555) de Paris et Leonhard Fuchs (1501-66) de Tübingen présentent la doctrine des signes, des symptômes (connus aussi sous le nom d’accidents) et des maladies sous forme de tables à accolades, bien avant les célèbres ouvrages de La Ramée qui sont souvent considérés comme les premiers essais dans ce genre23.
14La question du genre et de l’espèce appartient aux catégories fondatrices de toute logique. Passons maintenant aux moyens de construire des arguments dans le domaine de l’analytique ou dans celui de la dialectique, traditionnellement situé à un niveau inférieur. Le cœur même de la logique analytique est le syllogisme. Il consiste en trois propositions (la majeure, la mineure et la conclusion) qui déploient trois termes (sujet, prédicat, moyen terme), deux quantités (universelle et particulière) et deux qualités (affirmative et négative). Citons-en deux exemples. Il y a d’abord la forme par excellence du syllogisme scientifique, le mode connu sous le nom mnémotechnique « barbara » de la première figure24 :
tous les hommes sont des animaux
tous les animaux sont mortels
_______________________
tous les hommes sont donc mortels
15Quant à lui, le mode « ferison » de la troisième figure montre l’usage de la proposition négative et de la quantité particulière :
nulle pierre n’est un animal
certain homme est un animal
______________________
certain homme n’est donc pas une pierre
16Comment adapter ces formes de raisonnement aux besoins des médecins ? Selon le professeur padouan Santorius Sanctorius, il faut passer par la voie négative : son ouvrage sur le diagnostic s’appelle Les Méthodes pour éviter les erreurs. Tout comme ses prédécesseurs, il expose la logique formelle et croit avoir trouvé un moyen de l’utiliser qui permettrait à ses collègues de déterminer l’application d’une proposition universelle à un cas individuel (c’est-à-dire, au patient). Il ne recommande que l’application du mode « camestres », qui appartient à la seconde figure du syllogisme. En voici un exemple :
tous les hommes sont des animaux
nulle pierre n’est un animal
_____________________
nul homme n’est donc une pierre.
17On voit que si la proposition majeure concerne un état de santé, on peut arriver à déterminer ce qui ne conviendrait pas à un homme donné (donc à un individu) par la conclusion. Mais, en fait, sa méthode pour éviter les erreurs opère d’une autre façon : en conjuguant des informations puisées dans six sources différentes et, à force de les examiner progressivement, en éliminant les ambiguïtés et incertitudes du diagnostic25.
18Le syllogisme dialectique procède par les mêmes règles rigoureuses de validité, mais se sert de prémisses ou de propositions qui n’étant pas apodictiques, sont d’un statut inférieur ; ou elles ne sont que généralement admises, ou bien elles ne sont vraies que pour la plupart, ou bien elles ne s’appliquent qu’à une majorité de leurs sujets (hos epi to polu : ut plurimum, ut in pluribus, magna ex parte) :
A est pour la plupart B
B est pour la plupart C
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A est donc pour la plupart C26.
19La prise d’un syllogisme dialectique sur la vérité et l’universalité devient par là non pas absolue, mais relative : on peut même parler de degrés de vérité et d’universalité. Ceci cadre bien avec l’idée de nature, qui est marquée, on l’a vu, par les mêmes imprécisions. Mais l’art médical ne s’arrête pas là : il emploie en outre le syllogisme pratique, celui qui a pour proposition majeure ou mineure un but ou une prescription, et pour troisième proposition une des maximes médicales jumelles « le contraire est guéri par le contraire » (contraria contrariis curantur) et « le semblable est conservé par le semblable » (similia similibus conservantur). En voici un exemple :
Il faut guérir Socrate d’une fièvre
Le contraire est guéri par le contraire
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Il convient de lui administrer un remède froid
20Ce syllogisme pratique peut se présenter dans les écrits des médecins sous forme d’enthymème ; on l’appelle parfois un syllogisme physiognomonique. En voici un exemple : « le pas-d’âne est lié à l’obstruction pulmonaire ; l’obstruction pulmonaire est donc liée au pas-d’âne27 ». Cette forme rappelle à son tour une autre forme du syllogisme, celle qu’on qualifie d’« hypothétique » (« si fumée, alors feu ») ; nous voilà bien loin des certitudes de la première figure du syllogisme scientifique. Les médecins acceptent en plus l’individu en tant que sujet, tandis que le syllogisme traditionnel traite le cas singulier comme simple forme de quantification ; si on parle de Socrate, on veut ne dire par là que « certain homme »28. Le sujet individuel peut se prêter au sophisme sous deux espèces principales : d’abord celle qui affirme que si tous ceux qui souffrent de la fièvre halètent, et si Socrate halète, Socrate est donc fiévreux : paralogisme évident, car on peut haleter sous d’autres conditions ; l’autre affirme que si le pas d’âne a guéri Socrate d’une obstruction pulmonaire, il fera de même pour Platon : raisonnement inductif faux, car le tempérament de Socrate est peut-être différent de celui de Platon ; mais il faut avouer que ces formes de pensée semblent s’appliquer facilement au diagnostic et au traitement et peuvent facilement séduire le praticien trop porté sur l’empirisme ; d’où la nécessité d’une formation logique, ne serait-ce que rudimentaire, chez le médecin rationaliste.
21Nous ne sommes pas au bout des laxismes logiques que se permettent les médecins. J’ai déjà cité da Monte qui parle, dans un commentaire sur le Petit art médical de Galien, du « sens plus large que celui d’Aristote » attribué par les médecins à l’idée de nature29 ; cette formule verbale se rencontre ailleurs. Le médecin flamand Cornelius Gemma (1534-1574), en parlant de la contrariété, c’est-à-dire de l’opposition de deux termes qui font partie d’un même genre mais qui diffèrent le plus entre eux, affirme que « ce mot a une signification bien plus large que chez les philosophes », rendant ainsi toute taxinomie imprécise jusqu’à un certain degré à force d’infirmer la notion même de différence : ce que reconnaît expressément Guillaume Rondelet (1507-1566) dans son livre sur les poissons30. Le médecin padouan Emilio Campilongo (15501604) parle également de « sens plus large », cette fois-ci à propos des signes ; son collègue parisien Jacques Dubois va jusqu’à reconnaître que tout le savoir médical sémiologique manque de rigueur. Selon la logique traditionnelle, le signe démonstratif (tekmerion) peut sous des conditions très limitées être le moyen terme d’un syllogisme compositif (celui qui part d’une cause pour en déduire un effet), pourvu que le tekmerion soit le propre de ce dont il est signe ; mais les médecins acceptent les signes moindres ou inférieurs (semeia) qu’on perçoit par les sens et qui, étant des effets communs à plusieurs causes, renvoient à une pluralité de causes possibles31. Ces modifications de la logique transforment les raisonnements des médecins en procédés de pensée qui ne sont pas des démonstrations proprement dites.
22Les médecins emploient aussi plusieurs lieux (ou moyens de raisonnement) de la topique classique qui mettent en relief ce laxisme. D’abord le locus a simili, ou raisonnement analogique, à propos duquel François Valleriola déclare que « le terme de ressemblance (similitudo) est bien plus large chez les médecins », soulignant par là l’à-peu-près de toute analyse médicale ; il se souvient peut-être que selon Galien, « semblable » peut signifier non seulement « toujours semblable », mais aussi « semblable pour la plupart », ou « semblable dans la moitié des cas », ou bien « rarement semblable »32. L’emploi de la variante du temps rappelle un autre laxisme, celui de la latitude de santé33 ; c’est là la trajectoire à double sens entre la santé parfaite et la maladie la plus grave. Le locus a signis et circumstantiis renvoie aux variantes qui entrent en jeu dans l’analyse de toute contingence : en droit, on les réduit à six questions : qui ? quoi ? ou ? quand ? pourquoi ? avec l’aide de qui34 ? Mais les médecins considèrent pas moins de vingt-deux facteurs (la saison de l’année, le tempérament du patient, son âge, son sexe, sa vigueur, ses habitudes, son mode de vie, son métier, la maladie dont il souffre, l’endroit où elle se manifeste dans le corps, sa cause, ses symptômes, etc.35. Le locus a causis est élargi de la même manière ; là où il n’y a que quatre causes aristotéliciennes, les médecins en reconnaissent huit, en ajoutant la cause instrumentale, la cause catalyseur, la cause subjective, et la cause nécessaire mais externe36. Enfin, le locus a minore et a maiore est exploité en tant que différence à l’intérieur d’une espèce : comme le dit Aristote dans Les parties des animaux, dans un passage que j’ai déjà cité, « tous les genres qui diffèrent entre eux par un excédent, c’est-à-dire par le plus ou le moins, sont réunis dans un même genre ». Ce qui se transforme pour les médecins en latitudes physiologiques et pathologiques37.
23On peut mettre en relief le mode particulier que s’approprient les médecins de la logique en le comparant à celui de leurs collègues et rivaux les juristes, eux aussi formés par le cursus artium. Prenons le cas de la règle et de l’exception. La locution « l’exception confirme la règle » se dit communément dans des circonstances où nous sommes obligés de reconnaître que nous cherchons à nous rassurer sur l’ordre du monde : dans le cas où, par exemple, la bouteille de Château Lafite dont l’achat nous a ruinés s’avère être une affreuse piquette, ou bien dans le cas où un produit de la viticulture anglaise s’avère honnête, voire bon. La règle, on le sait, nous confirmera qu’on peut se fier à l’étiquette « Château Lafite », et qu’on doit se méfier de tout vin produit en Angleterre. Mais c’est là une manière de comprendre la locution qui non seulement ne s’accorde pas avec ses origines dans le droit canon du moyen âge, mais qui les renie même. Car, si on prend l’expression entière – exceptio firmat regulam in casibus non exceptis (« l’exception confirme la règle à l’égard des cas qui ne sont pas exceptés ») –, on voit bien que la confirmation de la règle n’admet pas d’exception sauf si cette exception est explicitement nommée : d’ailleurs, logiquement, il n’y aurait pas d’exception s’il n’y avait pas de règle. Même aporie dans le syntagme adverbial « en général » : un genre comprend toutes les espèces, tout comme les espèces comprennent tous les individus, sinon le genre en tant que concept opératoire n’a pas de sens : mais lorsque nous disons « en général », nous voulons dire par là qu’il existe des exceptions au sein même du genre.
24Dans le discours juridique du xvie siècle, la règle ne précède pas le droit, mais en est extraite, ou plutôt on la construit après la promulgation des lois. Étant « toujours immuable et certaine », elle nous permet de nous élever au-dessus des cas particuliers, des circonstances, de la contingence. L’exception, elle, est un acte juridique : elle excise, ampute, éjecte ; elle s’exprime par les formules ou syntagmes nisi, si non, si nihil, si tantum, at, nonnunquam, aut si, vel si, extra quam ; elle se laisse appliquer à elle-même, car il y a réplication (l’exception d’une exception), triplication (l’exception d’une exception d’une exception), même quadruplication. À la Renaissance, les juristes ne reconnaissent pas l’exception au sein d’une règle (ils n’admettent pas qu’il puisse y avoir une mauvaise bouteille de Château Lafite). Ils allèguent ou stipulent l’exception pour préserver la force et la généralité d’une règle ; et puisqu’on ne peut pas stipuler la bonne qualité d’une bouteille de vin anglais, il s’ensuit que le vin anglais ne peut pas être bon, même exceptionnellement38.
25Dans l’art médical, il y a des exceptions d’une tout autre sorte, à savoir le reste qu’on exclut du discours ou l’exception qu’on inclut dans un genre, parce que l’art opère en tant que discours fini fonctionnant dans la sphère de l’infini : ars est de infinitis scientia finita39. Les règles qu’on allègue ont plus en commun avec la grammaire de l’époque qu’avec le droit ; dans les manuels de latin, on peut alors énoncer des règles de conjugaison, de déclinaison, de syntaxe, mais on ne peut par là rendre compte ni du paradigme de chaque verbe, ni de la morphologie de chaque nom, ni de la construction de chaque idiotisme : on fait donc exception de ces cas et on les classe ensemble à la fin du livre sous la rubrique latinitas ou « aberrances ». Les médecins parlent également d’une « règle universelle » touchant leur art qui, dans leurs textes, est suivie par le mot praeterquam (« outre »), et une liste de cas qui ne tombent pas sous le coup de la règle40. Comme l’affirme le médecin bernois Paullus Lentulus, « il n’y a point de thèse ou de règle en médecine si certaine et si assurée qui n’admette une exception quelconque »41. Ses confrères emploient aussi le mot « generaliter », qui ne renvoie pas à une délimitation stricte du genre, mais admet les cas exceptionnels, en même temps qu’il bannit le « cas rarissime », qui infirmerait l’art en y admettant l’infinie diversité de la nature. Le diagnostic, qui se fait à partir d’un nombre indéfini de signes plus ou moins certains, requiert, on le verra, qu’on emploie une stratégie herméneutique de la dominance ; on écarte ce qui ne cadre pas avec l’intuition du médecin qui prend note de plusieurs indices et en rejette d’autres42.
26À cette époque deux systèmes de pensée coexistent donc d’une façon parfois déroutante : l’episteme ou science, qui présuppose la totalité de tout champ du savoir ; et la doxa ou opinion, qui règne sur un simple ensemble de matières. L’art ou techne, qui se sert et de la règle et de l’exception, semble être à cheval sur ces deux mondes, et participer des deux sortes du savoir. La règle, étant immuable et générale, semble appartenir au monde de la science ; elle ne fait figure dans le domaine de l’art que grâce à l’exception qui est là pour permettre à la règle de fonctionner à son tour dans un cadre pour ainsi dire infini. Ainsi en tout art peut-on prétendre à un savoir clos et apodictique, tout en reconnaissant le caractère infini du monde et l’imperfection des raisonnements auxquels on se livre pour s’en saisir. La règle incarne donc un paradoxe nécessaire : les hommes n’arriveront jamais à se rendre maîtres de la nature s’ils se laissent empêtrer dans le circonstanciel, le contingent, le particulier ; mais la nature pour eux se présente précisément sous forme de circonstances, de contingences, de cas particuliers. D’où le jeu de l’exception et du reste, dont la présence à l’intérieur de la règle et du genre taxinomique, si illégitime qu’elle soit selon les lois de la logique, rend possible l’opération même de l’art médical. D’où aussi l’originalité de Francis Bacon par rapport à ses contemporains, qui recommande qu’en interrogeant la nature on commence avec le particulier, et n’accepte comme règle que celle qui comprend le cas rarissime43.
27La logique de la faculté des arts dont il a été question jusqu’ici vise à aboutir à un jugement sur la valeur d’une argumentation quelconque ; mais on peut aussi mettre l’accent sur la construction d’un raisonnement valable. La redécouverte au début du xve siècle de textes antiques sur la topique juridique et la rhétorique suscite une nouvelle tendance humaniste, dont la manifestation la plus importante est l’ouvrage du Frison Rodolphe Agricola intitulé De inventione dialectica. Ce livre, qui mêle dialectique et rhétorique, traite d’abord de l’agencement du raisonnement, puis de la matière, de la problématique et de l’instrument du discours dialectique ; il transforme ainsi la théorie de la logique scolastique en un art pratique du raisonnement, qui considère ensemble le but que l’orateur se fixe, la nature de son sujet et l’auditoire auquel il s’adresse44. L’application de son livre à la vie politique et juridique, où la persuasion et l’éloquence entrent en jeu, est évidente ; puisqu’on défend aux médecins de pratiquer la persuasion (ce qui rendrait suspecte leurs recommandations à propos des remèdes, en y introduisant la possibilité d’une motivation vénale45), la nouvelle topique n’ajoute à leur doctrine qu’une argumentation plus souple encore que la logique laxiste que nous venons de révéler. En effet, on peut regarder cette topique d’inspiration boécienne et cicéronienne comme un réservoir d’arguments efficaces à employer au moment opportun.
28L’ouvrage d’Agricola caractérise la dialectique d’ars disserendi (« l’art de disserter ») ; il enseigne les règles de l’argumentation dialoguée de part et d’autre (in utramque partem), où l’art de persuader joue un grand rôle. Galien a écrit un petit livre contre cette pratique (De la meilleure manière d’enseigner), qu’Erasme traduit en latin en 1526 ; il l’associe au scepticisme, selon lequel le rôle de ce genre d’argumentation est destructeur de tout savoir, étant celui de provoquer la suspension du jugement (l’épochè). Galien n’y voit qu’une pratique pédagogique frivole ; il s’en prend en même temps à l’idée que les élèves peuvent savoir autant que leurs maîtres, et à la conception d’une discipline dont la doctrine s’apprend facilement en six mois46. Ses disciples au xvie siècle, tel Sebastianus Montuus (né en 1480), reconnaissent les dangers de la dialectique, et s’en servent uniquement comme moyen d’exprimer le pour et le contre avant d’opter pour l’un ou l’autre. Plus tard, le médecin Théodore Colladon dira que « nous ne pouvons prôner l’argumentation in utramque partem : car la vérité ne s’associe pas en même temps à deux contraires47 ».
29Au milieu du xvie siècle, on assiste à un nouveau développement, qui a lieu au Collège de France même. Un de ses premiers professeurs est Pierre de La Ramée (Ramus). S’appuyant sur les progrès effectués par l’Allemand Philippe Melanchthon et d’autres, il s’en prend au système de savoir aristotélicien, en dénonce les innombrables inepties qui entravent la méthode et la dialectique, fait appel à la lumière naturelle de la raison prônée par les platoniciens, et rejette la thèse de ses adversaires péripatétiques tel Joachim Périon, thèse selon laquelle il y a quatre voies ou méthodes différentes pour instituer les arts (le trio de Galien que nous avons déjà rencontré – analyse, synthèse et diairesis –, auquel s’ajoute l’apodeixis ou la démonstration). Il déclare audacieusement qu’il n’y a qu’une seule voie : celle de la dialectique d’inspiration platonicienne, « qui va du général aux espèces, du tout aux parties, et qui s’offre à l’ensemble des arts pour y implanter une pensée ordonnée, et imposer une bonne disposition des éléments du discours48 ». Il met aussi en avant la table à accolades, qui est un moyen visuel de présenter n’importe quelle doctrine par l’usage des dichotomies ; mais, comme je l’ai déjà remarqué, il imite en cela la pratique antérieure des médecins qui traduisent différentes parties de la doctrine de Galien, y compris les traités sémiotiques, en tables à accolades49.
30L’essor de la dialectique et du Ramisme suscite à son tour de nouvelles tentatives de formuler une logique particulière à la médecine. Sachant que Galien a laissé des traces de son livre perdu De demonstrationibus un peu partout dans son immense œuvre, plusieurs médecins s’efforcent de le recréer. Ces essais paraissent un peu partout en Europe vers 1550, en Espagne, en France, en Italie et en Allemagne ; j’en citerai trois ici dont le premier sort de la plume d’un jeune lorrain, Adrien L’Alemant, qui a étudié au Collège de Reims à Paris. Son petit traité intitulé L’ars parva (1549) emprunte à Galien son titre, mais, tandis que dans l’ouvrage du médecin grec, il n’est pas question seulement des trois doctrines logiques mais aussi de la théorie de la santé et de la maladie et de leurs signes, causes, et nature, L’Alemant se limite à l’argumentation. Il écrit juste après la parution des ouvrages dialectiques de La Ramée, mais s’abstient de faire allusion à ce dernier ; il fait usage des lieux d’Agricola tout en reconnaissant ses emprunts, et ne nomme autrement comme sources que les maîtres antiques : Galien, Alcinous, Platon, Aristote, Hippocrate. Son livre commence par une définition de la dialectique, traite de la division, définition, composition et résolution, pour passer ensuite à l’invention et au jugement ; s’ensuivent les catégories aristotéliciennes, la proposition, l’argumentation syllogistique, la démonstration, les principes, la dialectique et les lieux (il répète la première partie de la liste d’Agricola) pour aboutir aux sophismes. À la structure aristotélicienne s’ajoutent donc les lieux d’Agricola, quelques remarques logiques de Galien et des exemples syllogistiques puisés chez lui et chez Hippocrate. Le contenu médical révèle l’intention de l’auteur ; il veut que son traité soit utile aux étudiants de sa faculté en ce qu’il expose l’application et l’utilité des arts de raisonnement à la médecine. Ainsi, il crée une petite taxinomie permettant de se servir des signes dans un raisonnement médical :
Il y a trois genres de démonstration à partir des signes. Le premier est déduit lorsqu’une cause inconnue est prouvée par un effet manifeste aux sens, comme dans ce cas-ci : chaque fois qu’on voit les signes suivants – une respiration difficile, une douleur lancinante entre les côtes, une fièvre persistante –, il y aura une inflammation aux membranes intercostales ; la pleurite a ses symptômes ; la pleurite est donc une inflammation aux membranes intercostales.
Le deuxième genre déduit un effet occulte d’un signe. Chaque fois que la raideur résulte d’une fièvre ardente, elle chasse la fièvre. Mais quand la bile qui cause l’inflammation de la peau s’évacue par la sueur, la raideur s’ensuit. La fièvre disparaît donc chaque fois que la bile qui cause l’inflammation de la peau s’évacue par la sueur. Le troisième genre présuppose une cause lointaine (remota), comme dans cet exemple-ci : tout ce qui est troublé par la mélancolie est un animal ; une plante n’est pas un animal ; une plante n’est donc pas troublée par la mélancolie50.
31À la suite de son ouvrage, des ouvrages sur la dialectique paraissent en langue vulgaire, destinés à l’usage des chirurgiens non latinistes ; le monde uniquement francophone de la médecine prend au sérieux ses devoirs de logique51.
32Le second livre dont je ferai mention est celui de Bartholomeus Viottus (mort en 1568), publié à Paris onze ans plus tard. Il sort des presses d’André Wechel, l’éditeur de La Ramée, à qui Viottus s’en prend (bien qu’il soit d’accord avec lui sur certain points : il rejette par exemple, tout comme son rival français, la distinction entre jugement et invention). Tandis que le petit livre de L’Alemant a tout l’air d’un ouvrage publié à compte d’auteur, c’est Wechel qui se charge des frais de publier Viottus, bien qu’il soit conscient du fait qu’il promeut par là un adversaire d’un des ses propres auteurs. Viottus est le professeur de médecine théorique à Turin, et il est d’un certain âge ; c’est probablement par le truchement d’un de ses étudiants qu’il se fait éditer à Paris. S’inspirant du traité de Galien De la meilleure manière d’enseigner, il s’attaque violemment aux sceptiques ; il rapporte leur pratique de nier la possibilité de tout savoir à l’argument in utramque partem de la dialectique, que, selon lui, peu de gens ont comprise de la bonne manière. Il accepte qu’Aristote écrit là-dessus d’une manière obscure, et loue Galien de s’être exprimé plus clairement, ce qui rend utile la tâche de réunir les membra disjecta de sa logique, éparpillés un peu partout dans ses écrits. Paradoxalement (étant donné son aversion pour l’argumentation de part et d’autre), il écrit sous forme de dialogue ; ses interlocuteurs sont ou étudiants, ou collègues ; ils provoquent des réponses ou par de simples questions, ou par la stratégie (quasi sceptique) de s’opposer aux dires du maître qui cependant l’emporte chaque fois, ce qui prête à son livre l’apparence d’un exercice pédagogique, où le dialogue ne joue le rôle de prétexte à l’exposition. Viottus écrit pour distinguer la démonstration de la dialectique, et pour recommander les passages de Galien (qu’il cite longuement) sur la démonstration, puisés dans les traités galéniques De la constitution de l’art médical, Sur les opinions d’Hippocrate et de Platon, Sur la Méthode thérapeutique, Sur le Tempérament, et Sur la Semence. Viottus se pose trois questions : y a-t-il démonstration ? de quelles choses y a-t-il démonstration ? et par quelle voie s’effectue-t-elle ? Il suit de près les positions prises par Galien, dont il accepte et la caractérisation du plus haut degré de certitude et la division quadripartite du raisonnement (en démonstratif, dialectique, sophistique et faux52) ; comme lui, il prône la méthode axiomatique de la géométrie, qui lui permet aussi d’accepter les postulats et les propositions contingentes aussi bien que les prémisses apodictiques ; il fait grand cas de l’induction en tant que procédé utile aux médecins, mais finit en dépit de tout cela par déclarer que la médecine n’est pas une science mais un art53.
33La troisième tentative de recréer la logique perdue de Galien dont je parlerai ici est celle de Jakob Schegk (1511-1587), célèbre professeur de médecine à Tübingen, adversaire féroce de La Ramée qu’il décrit comme « celui qui a le plus corrompu et dépravé la dialectique ». Son livre, long de 470 pages in-folio, a été publié aux frais du prestigieux éditeur bâlois Jean Oporin ; le titre annonce que ses quinze livres sur la démonstration sont là pour réparer la perte des quinze livres de Galien sur le même sujet ; mais il déclare aussi que son livre contient un commentaire sur Les Seconds Analytiques aristotéliciens (tâche entreprise aussi par Galien dans un texte lui aussi perdu). Au début de son livre prolixe et incohérent, dans lequel foisonnent des passages en grec qui excluent son usage par des débutants, il confesse que son principal but est d’élucider le livre d’Aristote, qu’il estime bien plus important que les écrits logiques de Galien ; Schegk ne s’érige pas en auteur, mais se veut un interprète fidèle. Comme Viottus, il utilise le traité Des Parties des animaux et la Géométrie d’Euclide, et il choisit des exemples de raisonnement dans le corpus galénique ; il consacre huit livres aux préceptes et règles de la démonstration, et six à leur application ; mais le manque de structure cohérente fait qu’il se répète souvent. Son livre, comme celui de Viottus, finit par reconnaître que la médecine est un art54.
34Le nouveau style de pensée hippocratique se met en valeur vers le milieu du siècle, au moment de l’essor remarquable que connaît la réputation du père de la médecine occidentale ; on l’érige en modèle du médecin pratique, et on loue la concision de ses aphorismes, sa manière de présenter l’étude des cas dans ses Épidémies, et la clarté et brièveté de ses préceptes sur le rôle du médecin et sur le pronostic. Ses livres remplacent ceux d’Avicenne et de Galien dans certaines universités. Il décrit sa méthode succinctement au début de son ouvrage De l’officine du Médecin :
Examiner dès le début les ressemblances et les dissemblances avec l’état de santé, les plus considérables par leurs effets, les plus faciles à reconnaître, et celles qui fournissent tous les moyens d’observation ; rechercher ce qui peut se voir, se toucher, s’entendre ; ce qu’on peut percevoir en regardant, en touchant, en écoutant, en flairant, en goûtant, et en appliquant l’intelligence ; enfin ce qui peut se connaître par tous nos moyens de connaissance.
35Le médecin et philosophe milanais Jérôme Cardan transforme cela en système propre à la médecine dans sa Dialectica de 1562. Il établit quatre règles pour la constitution d’un art (la résolution, la collection, l’inquisition et la démonstration), dont la quatrième catégorie consiste en sept formes, dont la quatrième est l’invention d’un moyen terme qui révèle le développement d’une maladie et sa guérison : découverte qu’il attribue à Hippocrate. On se trouve encore une fois dans le domaine du syllogisme pratique. L’autre point important pour le raisonnement, c’est de savoir comment reconnaître les ressemblances et les dissemblances ; l’accent que met Hippocrate sur l’information sensorielle nous transporte vers la seule pratique, et vers l’importance de l’apprentissage et de l’expérience55. Mais nous ne trouvons pas pour autant dans le domaine des empiriques ; Hippocrate, on l’a vu56, met l’accent sur la certitude de l’art médical, même en ce qui concerne le pronostic. Ecoutons Cardan là-dessus :
Une doctrine démonstrative dépend de propositions sempiternelles, qui ne varient ni avec le temps ni avec le lieu ni avec d’autres raisons naturelles : […] les préceptes hippocratiques sur les signes constituent donc une épistème (scientia), non une doxa (opinio)57.
36Finissons avec le raisonnement en acte du praticien : ce qu’on appelait à l’époque l’indication (l’endeixis de Galien). L’indice selon lui, c’est ce que le médecin observe, non par le détail mais globalement, dans un corps sain ou malade, et qui le pousse à agir et à déterminer comment agir, quand, avec quel remède en quelle quantité, et dans quel ordre. Pour y arriver, da Monte nous dit qu’il faut appliquer la « méthode divisive » ; le logicien Sanctorius arrive à réduire l’indication à la forme d’un syllogisme (où la majeure est le remède, la mineure l’indice, et le troisième terme le patient) ; mais selon d’autres médecins, l’indication, qui permet aux praticiens de procéder au calcul difficile des multiples facteurs à prendre en compte (l’état du malade, son idiosyncrasie, la nature du remède, la posologie, etc.), ne correspond pas à un acte délibéré de l’intellect58.
37Jean de Varanda (1563/1564-1617), de Montpellier, discute de la nature de l’indication ; il la décrit comme une force qui persuade le médecin à agir d’une certaine manière, sans procédé discursif ou raisonnement analogique. Il se demande pourquoi, dans ces circonstances, un malade ne se fierait pas au premier venu, par exemple à un homme de la rue, sans formation médicale (idiota aut vulgaris homo), qui réagirait tout aussi bien que le médecin à la force persuasive de l’indication. Varanda y trouve une réponse satisfaisante : le premier venu ne connaît ni la gamme de traitements possibles, ni le moyen d’établir le tempérament unique du patient, ni la distinction entre cause, symptôme et maladie, ni la méthode de calculer la gravité d’une maladie pour pouvoir mesurer les éléments du remède approprié ; par cet argument, l’honneur et la dignité des études médicales sont sauvés59. Même raisonnement chez le disputant bâlois Joannes Justus en 1618 :
L’indication est une signification, ou une représentation, ou une persuasion qui pousse le médecin à prendre certaines mesures ou à employer un certain moyen d’action. C’est aussi la connaissance du remède approprié et du traitement qu’il ne faut pas appliquer à un cas donné : connaissance qui ne dépend pas de l’observation ou du raisonnement. On peut définir l’indication comme une perception ou compréhension du signifié (l’indicatum) aussi bien que du signifiant (l’indicans) sans activité mentale… L’indication tombe sous la règle de la relation (pros ti) ; elle a un certain rapport aux choses auxquelles elle s’associe. L’insinuation ou la compréhension par laquelle l’indication opère ne peut donc pas avoir lieu sans un ensemble de connaissances préétabli dans l’intellect60.
38Voici en peu de mots le passage d’une absence d’activité mentale consciente à une connaissance préétablie dans l’intellect, grâce à laquelle le médecin se livre à un travail intuitif ; il n’applique pas simplement les règles de son art, car il doit aussi se laisser éclairer par ses expériences en tant que médecin, et par sa lumière intérieure. Par ce procédé intuitif, le médecin est transformé en son art même : il l’incarne, et cet art parle pour ainsi dire de façon engastromythique à travers ses décisions thérapeutiques. L’indication témoigne donc du mariage parfait entre la raison et l’expérience dans l’esprit du médecin rationaliste, et justifie la confiance que le malade doit avoir en lui, plutôt qu’en un empirique ou en un homme de la rue.
39Voici l’aboutissement du trajet qui nous a menés d’un ensemble de préceptes démonstratifs et certains à une logique laxiste qui dévie explicitement du raisonnement du cursus artium, puis, de là, à un intuitionnisme muet qui s’exprime dans les actions mêmes d’un praticien. Je chercherai dans la prochaine leçon à montrer comment les médecins appliquent ces habitus de pensée et d’agir non pas aux maladies qu’ils rencontrent tous les jours, mais aux cas rares, nouveaux, inouïs et monstrueux, sur lesquels ils sont appelés à dresser des rapports.
Notes de bas de page
1 Jacques Houllier, In Aphorismos Hippocratis commentarii septem, éd. Jean Liébaut, Paris, 1582, f. 3r : « ars est compraehensio seu doctrina ex praeceptionibus veris, certis, universalibus, consentientibus inter se et ad unum finem » ; voir aussi Hippocrate, Epidemies,1.2.5 (ou 1.13), in Hippocrate, Œuvres, t.3, p. 634-637 ; Galien, De optima secta, i.1-4, K 1.106-14.
2 Éthique à Nicomaque, vi.4, 1140a ; Argenterio, Opera, col. 38-9 ; Hieronymus Capivaccius, Medendi methodus universalis tabulis comprehensa, Francfort, 1606, cols., 1009-10 ; Galien, Ad Thrasybulum, xx, K 5. 860-4.
3 Nancy G. Siraisi, « Medicine, physiology and anatomy in early sixteenth-century critiques of the arts and the sciences », in New perspectives in Renaissance thought, éd. John Henry et Sarah Hutton, London, Duckworth, 1990, p. 214-29 ; Andrew Cunningham, « Fabricius and the “Aristotle Project” in anatomical teaching and research in Padua », in The medical Renaissance of the sixteenth century, p. 195222 ; Id., The anatomical Renaissance, Aldershot, Scholar Press, 1997.
4 Methodus medendi, i.4, K 10.34-5 ; Valleriola, Commentarii in librum Galeni de Constitutione artis medicae, p. 176-7 (sur les « demonstratio, definitio, communes conceptiones, postulata »).
5 Voir Ian Maclean, « White crows, greying hair and eyelashes : problems for natural historians in the reception of Aristotle’s logic and biology from Pomponazzi to Bacon », in Historia : Empiricism and Erudition in Early Modern Europe, éd. Gianna Pomata and Nancy Siraisi, Cambridge, MIT Press, 2005, p. 147-180 ; Ars parva, K 1.305-7.
6 Liddel. Ars medica, p. 3 ; Ad Thrasybulum, K 5.835, 853, 861-2.
7 De sectis ; Introductio seu medicus ; Celsus, De medicina, prooemium.
8 Galen, De locis affectis i.1, K 8.18-19 ; Joannes Wolf, Exercitationes semeioticae in Cl. Galeni de locis affectis libros vi, Helmstedt, 1620, sig. A2v : « est enim inter exactam notitiam, atque puram ignorantiam quodammodo media : ad quam rem inprimis confert Anatomicae doctrina, ex qua universi corporis dispositionem et quidem : qualis sit cuiuslibet partis essentia, deinde actio, usus, situs et communis sive societas, quam cum aliis habet, edocemur » ; Bartolettus, Encyclopaedia, p. 247.
9 Galien, De optima secta i.1-4, K 1.106-15.
10 La phrase se trouve chez Albert le Grand : voir Ilkka Kantola, Probability and moral uncertainty in late medieval and early modern times, Helsinki, Luther-Agricola Society, 1994, p. 181 ; voir aussi Joannes Magirus, Anthropologia, Francfort, 1603, p. 511.
11 Vallesius, Controversiae, p. 606, 279, 353-354 ; Rodericus a Castro, Medicus-politicus, Hambourg, 1614, p. 199 sqq. ; Liddel, Ars medica, p. 9 sqq., 605-7 : « medici rationales seu dogmatici cum ratione experientiam coniungunt, et causarum tam latentium quam evidentium, item signorum partuum affectarum et caeterarum rerum naturalium et non naturalium cognitionem perquirunt ».
12 Voir Maclean, Logic signs and nature, p. 21-22.
13 Ibid., p. 200-203.
14 Voir Hans-Robert Gadamer, Wahrheit und Methode, Tübingen, Mohr, 1962, p. 290-291 ; J.J. Rambach, Institutiones hermeneuticae sacrae, Jena, 1743.
15 Cf. Juan Luis Vives, De tradendis disciplinis, iv.6, in Opera omnia, éd Gregorio Mayans, Valencia, 1782-90, vi.380 : « nam si quem per ignorantiam aut pervicaciam inflexibilem occiderit, quomodo deinceps id damni sarciet ? [...] Si quid ab uno theologo erratum sit, ab alio corrigitur ; si a jureconsulto, succurritur aequitate judicis, restitutione in integrum [...] ; quod vero a medico, quis corriget ? Homini extincto quis adferet remedium ? »
16 Ian Maclean, « Trois facultés de médecine au xvie siècle : Padoue, Bâle, Montpellier », in Echanges entre les universités européennes à la Renaissance, Marie-Madeleine Fragonard et Michel Bideau (éd.), Paris, SFDES, 2004, p. 349-358.
17 Symphorien Champier, In libros demonstrationum Galeni Cathegorie medicinales, Lyon, 1516 ; Adrien L’Alemant, Ars parva, Paris, 1549.
18 Da Monte, Universa medicina, f. 6. Galien aussi prône cette méthode : voir De placitis Hippocratis et Platonis, ix.1, K. 5.720-6.
19 Voir Maclean, Logic signs and nature, p. 121-123.
20 Parties des animaux, i.3, 644a.
21 Voir Ian Maclean, « White crows, greying hair and eyelashes ».
22 da Monte, Universa medicina, f. 101 : « divisio multiplex est, alia essentialis, alia accidentalis » ; mais cf. ibid., f. 6 sur la « divisio multiplex » : « divisio continui in suas partes quantitativas vel proportionales, generis in species, vocis in sua significata, compositi in sua componentia, in potentiam et actum, subiectum in sua accidentia, divisio artificialis [id est] progressus ab universalibus ad minus universale, et rursus a minus universali, in partes adhuc minus universales quousque ad particulares ventum fuerit, et tandem ad individuas, ut amplius fieri divisio not possit ».
23 Voir Ian Maclean, « Logical division and visual dichotomies : Ramus in the context of Renaissance legal and medical writing », in The influence of Petrus Ramus, 1570-1630, éd. M Feingold and J Freedman, Bâle, Schwabe Verlag, 2001, p. 228-248 ; et ci-dessous, p. 47-49.
24 Sur les modes du syllogisme, voir Letizia Panizza, « Learning the syllogisms : Byzantine visual aids in Renaissance Italy – Ermolao Barbaro », in Constance Blackwell et Sachiko Kusukawa (éd.), Philosophy in the sixteenth and seventeenth centuries : conversations with Aristotle, Aldershot, Ashgate, 1999, p. 27-47.
25 Voir Sanctorius, Methodi, f. 801 (xii.6) : « praeterea per subiecta, quae sunt causae remotae, non perveniemus ad universale, qui ex subiectis solum colligimus conclusionem negativam in secunda figura in camestres [...] si vero a causa remota bonam velimus colligere conclusionem, oportet, ut semper sit negativa, et semper reducatur ad illum modum, qui dicitur camestres, quia ex puris affirmativis in secunda figura nihil colligitur ».
26 Voir Premiers analytiques, i.27, 43b ; Seconds analytiques, ii.12, 96a ; et l’article de M.F. Burnyeat, « Enthymeme : Aristotle on the logic of persuasion », in Aristotle’s Rhetoric : philosophical essays, éd. David J. Furley et Alexander Nehemas, Princeton, Princeton University Press, 1994, p. 3-53. Voir aussi ci-dessous, p. 89-90, pour l’aporie mathématique que recèle cette figure.
27 Ce mode est appelé « physiognomonique » par Claude Aubéry, De concordia medicorum, Lausanne, 1585, p. 15 : « si null[um] signum praetermissum sit ex illis quae observata sunt, tum Hominis morbi, tum etiam Foeminae sive externo remedio inesse licebit syllogismus syllogismum Physiognomicum conficere quo intelligamus hunc morbum esse huius remedii, et hoc remedium esse huius morbi : verbi gratia, Tussilaginem esse obstructionis pulmonum : et obstructionem pulmonum esse Tussilanginis. Sed Regis maximi opus est, efficere ut multi docti viri, Physiognomicae Anatomes restituenda gratia, instituant suzeteseis et in ea praestantissima doctrina sedulam seriamque operam ponant ». Mais della Porta, Physiognomonia, p. 57-59 qualifie un syllogisme du mode barbara de physiognomonique, à cause de sa matière : voir ci-dessous, p. 106.
28 Aristote, Metaphysique, i.1, 980b : Sanctorius, Methodi, p. 795 (xii.6 : « quando experimentum collegitur a particularibus, non concludet, quia ex puris particularibus nihil sequitur. Neque obiicias, quod experientia non ex duobus particularibus, sed a pluribus colligitur : quia respondemus, quod si ex mille eam colligere, non posses universalem conclusionem inferre ; quini modo si per milliona millia induceres adhuc non posses conclusionem universalem haurire ; quoniam quaelibet species universalis sub se continet infinita particularia » ; Emilio Campilongo, Semeiotice seu nova cognoscendi morbos methodus, ad analyseos Capivaccianae normam expressa, éd. Joannes Jessenius a Jessen, Wittenberg,1601, f.7r : « Galenus [Methodus medendi, iii.7 K 10.131-40] scribit : naturam propriam omnium individuorum nec dici nec scribi ne omnino mens concipi posse : ut idem [Ars parva, ii, K.1.309-313] dicebat : medicinam esse scientiam qualium, id est scientiam specierum, non autem individuorum » ; Fernel, Universa medicina, p. 208 (ii.7) : « nulla est singulorum scientia ».
29 Voir ci-dessus, p. 20.
30 Voir Cornelius Gemma, De natura divinis characterismis, Anvers, 1575, p. 218-19 : « multo latius hic nomen accipi medicis quam philosophicis » ; Campilongo, Semeiotike, f. 12r : « signum latius nomen quam in logicis » Jacques Dubois, Methodus sex librorum in differentiis et causis morborum et symptomatorum in tabellas sex coniecta, Paris, 1539, p. 7 : « scientia latior sensus » ; Valleriola, Commentarii in librum Galeni de Constitutione artis medicae, p. 240 ; Duncan Liddel, Disputatio de signis in genere, Helmstedt, 1598 (sur les symptômes) ; da Monte, Universa medicina, p. 355 (sur la nature). Voir aussi Galien, De methodo medendi, i.7 et ix.7, De constitutione artis medicinae et De compositione medicamentorum, viii. Sur Celse et l’argumentation laxiste, voir Heinrich von Staden, « The rule and the exception : Celsus on a scientific conundrum », inMaladie et maladies dans les textes latins antiques et médiévaux. Actes du Ve Colloque International, « Textes médicaux latins » (Bruxelles 4-6 septembre 1995), éd. Carl Deroux, Bruxelles, Latomus, 1998, p. 105-28. Voir aussi De partibus animalium, i.2, 642b ; i.4, 644a ; Guillaume Rondelet, Liber de piscibus marinis, Lyon, 1554-1555, t.I, p. 3 : « differentiae nomen hic latius patere, cum enim verae differentiae in tanta penuria, antiquorum Philosophorum exemplo ad alias nobis confugiendum fuit » (il se refère à Théophraste, De plantis et à Aristotle, Historia animalium, i.1).
31 Voir Maclean, Logic signs and nature, p. 148 sqq ; et ci-dessous, p. 86-90 (sur les signes).
32 François Valleriola, Commentarii in librum Galeni de constitutione artis medicinae, p. 240-1 ; « latius accepto vocabulo » ; Galien, Subfiguratio empirica, ii.6 (Opera, Venise, 1556, t.I, .f. 32r-v.)
33 Voir ci-dessus, p. 28-29.
34 Voir Quintilien, Institutio oratoria, v.10.104 ; Boèce, De differentiis topicis, i.4.
35 Sanctorius, Methodi, p. 791 (xii.5), qui cite Galien, Ad Glauconem, ii.1-2, K 11.71-84 : « natura aegrotantis, aetas, tempus anni, regio, praesens constitutio, robur, habitus, consuetudo, solitum exercitium, morbus, causa, locus, symptomata, morbi similes, mos, motus, repletio, figurae partium, pulsuum motus, animi mores, iuvantia, laedentia » ; Avicenne, Canon, i.4 ; Hippocrates, Aphorismes, i.2 et Epidémies, i.23 ; Galien, De locis affectis, vi, K.8.377 sqq. ; Campilongo, Semeiotike, f. 49-50.
36 Argenterio Opera, col. 1493 : « quid faciat rem esse [formalis] ; a quo [efficiens] ; ex quo materialis ; in quo (subiectivus) ; cuius gratia (finalis) ; per quod (instrumentalis) ; sine qua non ; cum qua (melius, facilius res peragitur) » ; voir aussi Galien, De usu partium corporis, vi, K 3.464-5 : De causis procatarcticis ; De usu partium corporis, vi.12, K 3.464-5.
37 Timo Joutsivuo, Scholastic tradition and humanist innovation ; Da Monte, In artem parvam Galeni explanationes, éd. Valentinus Lublinus, Lyon, 1556, p. 151 : « est enim medicina scientia omnium in latitudine, et a primo gradu ad ultimum : sive enim latitudo fuerit in ipsa sanitate, sive in morbo, sive in neutralitate, semper medicina est scientia horum omnium graduum » ; cf. Torrigiano, Plusquamcommentum, f. 25v, 26v. « Le plus et le moins » se rapporte et aux termes corrélatifs, au lieu de la dialectique De correlativis, et à une question de logique ou plutôt de quantification : voir Maclean, Logic signs and nature, p. 188-189.
38 D 50.17.1 (Paulus) Regula est quae rem breviter enarrat : non ex regula ius sumatur, sed ex iure quod est, regula fiat. Commentarii de regulis iuris antiqui, Lyon, 1593, p. 10 sqq. où Philippus Decius cite la maxime sous la forme suivante : « licet exceptiones sint contra regulam in casibus exceptis, tamen in aliis casibus non exceptis exceptiones firmant regulam ». D 44.1.22 (Paulus) : Exceptio est condicio, quae modo eximit reum damnatione, modo minuit damnationem. Replicatio est contraria exceptio, quasi exceptionis exceptio. D 44.1.2 (Ulpianus) : [...] exceptio actorem excludit, replicatio reum. Sed et contra replicationem solet dari triplicatio, et contra triplicationem rursus et deinceps multiplicantur nomina, dum aut reus aut actor obiicit. François Hotman, Commentarius de verbis juris, Cologne, 1569, p. 139 : « Exceptio (ait Ulpia. [D 44.2.1,2]) dicta est quaedam exclusio [...] Excludendum autem dixit, pro Eiiciendum, et amputandum, nam Excipere proprie detrahere est [...] ». Voir aussi Ian Maclean, « Evidence, logic, the rule and the exception in Renaissance law and medicine », Early Science and Medicine, 5 (2000), 227-257.
39 Voir ci-dessus, p. 28.
40 Cf. Franciscus Emericus, Summaria declaratio eorum, quae ad urinarum cognitionem maxime faciunt, Vienne, 1552, sig. S1r ; Campilongo, Semiotike, p. 9v.
41 Paullus Lentulus, Historia admiranda, de prodigiosa Apolloniae Schreierae virginis in agro Bernensi inedia, Berne, 1604, f. 94v.
42 Voir Kristian Jensen. Rhetorical Philosophy and Philosophical Grammar. Julius Caesar Scaliger’s Theory of Language. Munich, Fink, 1990, p. 51-90 (sur « latinitas » et les exceptions grammaticales) ; Liddel, Ars medica, p. 511-600 (l’usage de magna ex parte, plerumque, etc.) ; Silvaticus, Controversiae, p. 27 (sur « res eventu rarissimae ») ; Maclean, Logic signs and nature, p. 276-301 (sur le diagnostic).
43 Francis Bacon, The Advancement of learning , ed. Michael Kiernan, Oxford, Clarendon Press, 2000, p. 63 sqq.
44 Voir Rodolphe Agricola, Écrits sur la dialectique et l’humanisme, éd. et trad. Marc van der Poel, Paris, Champion, 1997.
45 Maclean, Logic signs and nature, p. 96-97.
46 De optimo modo docendi, K 1.40-52 ; De optima secta, K 1.7-223
47 Sebastianus Montuus, Dialexion medicinalium libri duo, Lyon, 1537, sig. a2r (sur la dialexis) : « ea autem est argumentorum ad aliquid probandum vel improbandum comparatio » ; Theodorus Collado, Adversaria seu commentarii medicinales, Genève, 1615, p. 3 : « nos utramque fovere partem non possumus : non enim duo simul sustinet contraria veritas » (il cite André Du Laurens, Anatomica humani corporis historia, Francfort, 1599, i.5).
48 Nelly Bruyère, Méthode et dialectique dans l’œuvre de La Ramée, Paris, Vrin, 1984.
49 « Logical division and visual dichotomies : Ramus in the context of Renaissance legal and medical writing », in M. Feingold et J. Freedman (éd.), The influence of Petrus Ramus, 1570-1630, Bâle, Schwabe, 2001, p. 228-248.
50 L’Alemant, Ars parva, f. 28-29 : « demonstratio signi duplex [sic] est. Prima connectitur, quando per effectum manifestum causa nobis incognita probatur : ut, quotiescumque haec visa fuerint, nempe spirandi difficultas, lateris dolor pungens, assidua febris, erit inflammatio membranae succingentis costas. Sed pleuritis illa habet, igitur pleuritis est inflammatio membranae succingentis costas. Secunda ex signo effectum nobis occultum concludit. Quandocumque rigor febri ardenti succedit eamdem solvit. Sed cum bilis ad cutem impetum faciens, per sudorem vacuatur, fit rigor. Ergo cum bilis ad cutem impetum faciens per sudorem vacuatur, febris ardens solvitur. Tertia causam remotam assumit, ut quicquid melancholia vexatur est animal. Planta non est animal, igitur planta non vexatur melancholia. »
51 Par exemple Jean Eusèbe, La philosophie rationale vulgairement appelée dialectique, pour les chirurgiens françois et autres amateurs de la langue françoyse, Lyon, 1566 ; Laurence Brockliss et Colin Jones, The medical world of early modern France, Oxford, Clarendon Press, 1977, p. 99-104.
52 Voir ci-dessus, p. 34-35.
53 Sur Viotti (connu aussi sous le nom de Clivolo) voir Johann Heinrich Zedler, Grosses vollständiges Universal-Lexicon aller Wissenschafften und Künste, 64 t., Halle et Leipzig , 1732-54, s.v. ; Hermann Conring, Introductio in universam artem medicam, Helmstedt, 1654, p. 23 : les éditions de Andreas Frölingus (Helmstedt, 1661) et Henricus Wideburgius (Braunschweig, 1675) ; aussi le commentaire de Cornelius Koch (Helmstedt, 1706).
54 Sur Schegk, voir Charles H. Lohr, Latin Aristotle commentaries, Florence, Olschki, 1988, t.2, p. 410.
55 Voir aussi Georg Wolfgang Wedel, Propempticon inaugurale de demonstratione hippocratica, Jena, 1689, qui réduit la pensée hippocratique à 15 procédés, et conclut ainsi : « optima nempe apodeixis fit per epideixin, quae ex opere, effectu, experientia iucundius, quam ex rationibus ostenditur ».
56 Voir ci-dessus, p. 30-31.
57 Cardan, In Hippocratis Prognostica, in Œuvres, éd. Spon, t. 8, p. 801-802 : « illa doctrina est demonstrativa, quae pendet ex propositionibus sempiternis, quae non variantur, nec loco, nec tempore, nec ulla alia naturali ratione […] igitur praecepta haec de signis constituunt scientiam et non opinionem […]. »
58 Maclean, Logic, signs and nature, p. 306-310.
59 Jean de Varanda, Physiologia et pathologia, quibus accesserunt eiusdem tractatus prognosticus ; item tractatus de indicationibus curativis, Montpellier, 1620, p. 18-20.
60 Joannes Justus, De indicatione, in Decas disputationum medicarum, Bâle, 1618-1631, t.I, sig. N 3r.
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Le monde et les hommes selon les médecins de la Renaissance
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