Chapitre premier. Déterminer la nature : la doctrine des médecins
p. 13-31
Texte intégral
1Il convient de commencer cette série de conférences par quelques précisions. La médecine dont je vais parler, c’est la médecine des universités. Même si, de temps en temps, je ferai référence aux ouvrages populaires en langue vernaculaire et aux praticiens empiriques, qui n’ont pas eu de formation universitaire ou qui l’ont rejetée, le grand corpus de textes où je puiserai la matière de ces conférences est écrit en latin. Bien que leurs auteurs soient allemands, suisses, italiens, français, espagnols (et très rarement anglais et écossais), ils partagent un champ discursif formé par une propédeutique commune (c’est le cursus artium universitaire) et une tradition de la médecine qui remonte à l’Antiquité, et qui s’est accrue d’importants suppléments arabes et médiévaux. Ceux qui connaissent le monde de la médecine universitaire du Moyen Âge reconnaîtront que les professeurs de médecine de cette époque possédaient déjà une bonne partie de la doctrine galénique et hippocratique dont je vais parler. C’est la splendeur, mais aussi la misère, de l’histoire des idées et des doctrines que de pouvoir trouver des précédents à tout. C’est un Français qui nous l’a confirmé lorsqu’il a déclaré : « Tout est dit, et l’on vient trop tard, depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes et qui pensent » – mot qui, soit dit en passant, se confirme, car il a lui-même son précédent dans les écrits du dramaturge romain Térence : « nihil est iam dictum quod non sit dictum prius1 ». La distinction entre médecine pratique et médecine théorique, et la division de l’art médical en cinq ou six parties (physiologie, pathologie, hygiène, sémiotique, thérapeutique ; parfois aussi étiologie) sont bien connues avant le xvie siècle2. En dépit de l’apport de l’humanisme des xve et xvie siècles, et de la nouvelle pensée philosophique de cette époque, un professeur de médecine en 1300 aurait été capable de comprendre la quasi-totalité des débats entre médecins en 1600. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas eu d’évolution dans ces débats, mais seulement que leur cadre n’a pas subi de modification radicale. Une de mes tâches les plus importantes consistera à établir en quoi le xvie siècle a modifié et la base empirique et la méthode des médecins.
2On ne peut pas en dire autant de ce qui s’est passé entre 1600 et l’an 2000. Tandis que dans certaines facultés (notamment celle de droit) on peut déceler une remarquable continuité d’habitus mental et de préoccupations professionnelles3, il y a incontestablement une discontinuité dans la faculté de médecine et dans celle de faculté de philosophie naturelle qui s’y apparente. En ce qui concerne la pratique, cette discontinuité n’a guère besoin d’être signalée : lequel d’entre nous, après tout, préférerait les soins d’un chirurgien du xvie siècle, dépourvu des secours de la radiographie, de l’anesthésie, de l’antisepsie et des analgésiques, à ceux d’un spécialiste du xxie ? On ne doit pourtant pas conclure de cela qu’il n’y a rien que le passé médical puisse nous apprendre, ou que l’état présent de la discipline ait remédié à tous les vices du passé. L’un des reproches que l’on fait depuis toujours à la médecine est son manque de clarté et de précision. Parce qu’elle est une pratique, elle doit prendre en compte l’individualisme irréductible des malades et laisser de côté certains faits pour arriver à un accommodement avec la nature, plutôt que la maîtriser et en décrire les lois immuables selon le rêve de Francis Bacon ou de René Descartes4. Le rapport du médecin avec le malade et avec la maladie ne se laisse jamais réduire aux termes d’une science pure ; même le rapport du médecin avec son art s’avère instable, car, bien qu’on puisse faire le bilan des découvertes qui ont contribué aux progrès indéniables de cette science, il reste toujours une zone d’incertitude où seul le holisme empirique du praticien peut évoluer. Je reviendrai sur cette question.
3La périodisation historique pose toujours des problèmes d’exactitude. Quand je parle du xvie siècle, je désigne par là ce qu’on appellerait en anglais « the long sixteenth century » : mes dates limites sont plutôt 1500 (débuts de la diffusion des ouvrages scientifiques imprimés partout en Europe) et 1630 (perturbation de cette même diffusion par une conjoncture événementielle dont l’élément le plus important est la guerre de Trente Ans). C’est une période assez longue et mouvementée. Pour cette raison je vais me permettre d’esquisser une petite histoire de la médecine entre ces dates.
4Le xvie siècle s’ouvre sur une épidémie dont les Français de l’époque rejettent la responsabilité sur les Italiens, et les Italiens sur les Français : je parle de cette maladie vénérienne, ou plutôt de cette gamme de maladies vénériennes que le poème de Girolamo Fracastoro (1483-1553) publié en 1530 va toutes rebaptiser syphilis, maladies qui sévissent partout en Europe et qui provoquent à leur tour de nouvelles théories de la contagion (notamment celle de Fracastoro lui-même) et la recherche de nouveaux remèdes5. C’est une maladie nouvelle, qui lance un défi à la nosologie du monde antique. Ce même savoir antique va jouir cependant d’un renouveau sous la forme d’éditions humanistes des œuvres des grands médecins grecs de l’Antiquité, surtout de Galien (dont on édite 46 traités inconnus jusqu’alors) et d’Hippocrate (qu’on érige vers le milieu du siècle en modèle du médecin pratique). Un des traités retrouvés de Galien, le De anatomicis administrationibus, inspire à son tour les études anatomiques, d’abord à Paris, ensuite (quand André Vésale [1514-1564] accepte de se laisser muter à Padoue) en Italie ; les études botaniques et zoologiques sont relancées à Montpellier, à Zürich, à Bologne, à Padoue, à Pise, à Tübingen et à Bâle. La chirurgie fait des progrès elle aussi, sous le scalpel d’Ambroise Paré (1510-1590) et d’autres, qui travaillent en dehors de la médecine érudite et rationaliste des universités, parfois sur les champs de bataille. Paracelse (1493 ?-1541), qu’on appelait à l’époque le Luther de la médecine6, repense radicalement la thérapeutique, introduit l’iatrochimie, identifie pour la première fois une maladie professionnelle (en l’occurrence, les maladies propres aux mineurs). Au milieu du siècle, partout en Europe, commencent à circuler les livres de médecine en langue vernaculaire. À peu près à la même époque, au sein même de l’université de Padoue, Giambattista da Monte (1498-1552) allie théorie et pratique, et inaugure l’enseignement clinique. Ces progrès révèlent les erreurs et les incohérences dans les textes classiques, et provoquent une critique des grandes autorités grecques, si bien qu’à la fin du xvie siècle, selon Oswei Temkin, le galénisme se trouve déconsidéré, tout comme l’aristotélisme dans le discours de la philosophie naturelle. Cette conclusion a été contestée : dans le second cas par Charles Schmitt et par d’autres, qui ont permis qu’on revisite les universités pour y découvrir une vigueur intellectuelle bien qu’aristotélicienne, et dans le premier cas par ceux qui ont repensé la déconsidération du galénisme (comme on l’avait déjà fait dans le cas des injustices dont avait souffert la médecine arabe médiévale aux mains des hellénistes du xvie siècle). Mais il est indéniable qu’on voit apparaître dès le milieu du xvie siècle des médecins « modernes » (qu’on distingue des « anciens »7) qui sont prêts à contester l’autorité des théories en vigueur dans les universités : ce sont non seulement ceux qui ont hérité des idées de Paracelse, mais aussi un certain nombre d’hérétiques au sein même de la médecine orthodoxe, tels Giovanni Argenterio (1513-1572), Jean Fernel (1497-1558), Jérôme Cardan (1501-1576). Vers la fin du siècle commencent aussi les premiers essais de quantification et de mensuration médicales, grâce aux inventions de Sanctorius Sanctorius (1561-1636) : son pulsilogue et son thermomètre primitif8. Évoquons pour clore cette petite histoire le livre publié en 1628 par un Anglais formé à Padoue, William Harvey (1578-1657), qui démontre la circulation du sang en se servant d’une méthode expérimentale qui va caractériser la nouvelle science du xviie siècle, mais qui est liée aussi aux habitudes de pensée de l’époque précédente9.
5Je vais maintenant me tourner vers différents aspects de l’idée de nature et de son interprétation dans le contexte de la médecine, mais aussi dans le contexte des doctrines de la nature promulguées par les adhérents de deux disciplines qui influent beaucoup sur la médecine : la théologie et la philosophie naturelle.
6La théologie s’attribue le titre de reine des facultés, et elle revendique le droit d’imposer aux autres disciplines certaines doctrines concernant la nature. Cette revendication s’exprime à ses débuts par l’anathème prononcé contre ceux qui osent défendre certaines thèses aristotéliciennes, notamment concernant l’éternité du monde, la matérialité de l’âme, et l’unicité de l’intellect – anathème prononcé en premier lieu par l’évêque de Paris en 1270 et 1277, ensuite par les conciles de Vienne en 1311-1312, puis par le cinquième concile du Latran en 151310 –, ce qui pousse les médecins de la Renaissance à exprimer à la fois leur indépendance et leur soumission à l’autorité de l’Eglise. Un exemple de cette double réaction nous est fourni par Giambattista da Monte, professeur de médecine à Padoue. En bon galéniste, il voulait parler de la matérialité de l’âme, sans pour autant entrer en conflit avec l’Église ; sachant qu’un évêque de Padoue s’en était pris sur ce point à un de ses prédécesseurs en 1489, il s’adressa ainsi à ses étudiants : « À cette question les théologiens, les philosophes et les médecins donnent des réponses différentes. Je dirai brièvement quelque chose là-dessus, mais j’en parlerai en tant que philosophe et médecin. Car si je veux en parler en tant que théologien, je dirai tout le contraire. J’estime en plus qu’il n’y a rien de pire que de mélanger ensemble philosophie et théologie11 . » Cette stratégie comporte ses propres risques, car elle s’apparente à la thèse hérétique de la « double vérité » qui consiste à soutenir qu’une même proposition peut être simultanément tenue pour fausse du point de vue de la foi et vraie du point de vue de la raison12. Les facultés des arts et de médecine résistent à cette incursion de la théologie dans leur domaine, et s’appliquent à tracer une ligne de démarcation entre leur discipline d’une part et, d’autre part, ce qui relève de la foi. Elles revendiquent le droit de parler « des choses naturelles selon les forces naturelles de l’entendement » (de naturalibus naturaliter)13. Le savant arrive à conserver son indépendance de pensée par cette stratégie, mais il reconnaît en même temps que le discours médical et philosophique ne bénéficie pas du même degré de certitude que celui de la théologie. Nous verrons plus tard les effets de cette concession.
7Passons à la philosophie naturelle qui, selon la maxime « là où le philosophe s’arrête, le médecin prend le relais » (ubi desinit philosophus, incipit medicus), est censée avoir la préséance sur la médecine. Selon une autre maxime, être médecin présuppose une formation philosophique, car « le meilleur médecin est philosophe » (optimus medicus philosophus)14. Partout en Europe, on requiert que les étudiants en médecine soient déjà bacheliers ès arts (ce qui veut dire qu’ils ont passé au moins trois ans à étudier les sept arts libéraux, y compris la philosophie naturelle et la logique). Plusieurs facultés de médecine à cette époque, entre autres celles de Padoue et de Bologne, accordent à leurs diplômés le titre de « docteur en philosophie et médecine ». C’est en Italie surtout que la logique joue un grand rôle dans l’enseignement de la médecine, bien qu’elle soit subtilement transformée par les médecins, comme j’essaierai de le montrer dans la prochaine conférence.
8La préséance de la philosophie sur la médecine est justifiée selon les uns par le fait que la philosophie fournit à la médecine les principes de son art. Elle est contestée par d’autres, qui prétendent que la médecine est une discipline plus évoluée, et qui traite de matières plus complexes (des fonctions corporelles, de l’étiologie et de la sémiologie des maladies, de la conservation de la santé). Un médecin allemand, Johannes Agricola Ammonius (c. 1490-1570), exprime cette relation ainsi :
Les philosophes contemplent les choses et leur nature abstraitement, et non pas par rapport à un problème donné, et se contentent de ce genre de contemplation et de spéculation. Les médecins, par contre, considèrent les dispositions du corps humain et d’autres choses naturelles par rapport à un problème et à une application donnés ; ils ne s’arrêtent pas toujours comme les philosophes aux racines, mais à force de chercher et de faire de grands efforts, parviennent aux branches15.
9Quand, du haut de l’arbre dans lequel ils ont grimpé, les médecins du xvie siècle en viennent à déterminer ce que c’est que la nature, ils reconnaissent donc qu’il partagent cette tâche avec leurs voisins les philosophes naturels, et qu’ils doivent respecter l’autorité de leurs rivaux les théologiens, qui empiètent sur leurs débats ; autrement dit, ils ont déjà en tête les principes des philosophes et les interdictions des théologiens. Ce n’est pas seulement le cas des catholiques, car celui qui a acquis le titre de « précepteur de l’Allemagne », le philosophe luthérien Philippe Melanchthon (1497-1560), introduit à Wittenberg dans le cursus artium des éléments de théologie et de médecine (influence du monde céleste sur le monde sublunaire, anatomie du corps humain) pour mettre en relief l’intervention dans notre univers de la providence divine, et les desseins de Dieu dont les traces se lisent dans le grand livre du monde16. Dieu nous a pourvus de ce livre afin que nous le déchiffrions, comme le reconnaissent les païens eux-mêmes ; mais ils reconnaissent aussi qu’on peut aller trop loin dans la recherche de définitions. Aristote déclare que « devant les premiers principes des connaissances [...] il n’est pas légitime de se poser la question de leur pourquoi : chacun d’eux, pris en lui-même, doit être totalement convaincant […]. Essayer de démontrer que la nature existe, serait ridicule : il est manifeste en effet qu’il y a beaucoup d’êtres naturels. Or, démontrer ce qui est manifeste par ce qui est obscur, c’est le fait d’un homme incapable de distinguer ce qui est connaissable par soi et ce qui ne l’est pas17 ». Mais les philosophes admettent également que la connaissance des choses appartient à l’ordre des intelligibles, et, bien qu’en bons réalistes ils ne doutent point de l’existence des choses, ils savent aussi qu’en un certain sens notre entendement réduit tout à sa propre mesure. Le grand médecin allemand Daniel Sennert (1572-1637) a beau déclarer : « Les choses mesurent nos connaissances, non pas le contraire ; les choses ne sont pas ce qu’elles sont parce que nous y pensons d’une certaine manière ; mais c’est parce qu’elles sont ainsi que nous les reconnaissons être ce qu’elles sont, lorsque nous les connaissons véritablement », il doit pourtant se rendre à l’évidence : l’image de la nature que se fait l’entendement humain est à la mesure de ses propres limites et non de la nature même18.
10L’épistémologie l’emporte donc en quelque sorte sur la réalité. Pour saisir celle-ci, le médecin peut emprunter deux voies : celle de la raison et celle de l’expérience (c’est-à-dire des informations qui proviennent des cinq sens). Cette double voie peut paraître très moderne. On est tenté d’en conclure que les facultés de médecine à cette époque poursuivaient des recherches suivant une méthode qui ressemble à celle qualifiée aujourd’hui d’hypothético-déductive. En donnant la priorité à l’expérience sur la raison, aux faits empiriques sur la théorie préexistante, on se croirait avant la lettre en présence du nouvel esprit scientifique du xviie siècle. Il faut se garder de se laisser séduire par une telle impression. Certes, on peut trouver dans les textes du xvie siècle des phrases qui semblent annoncer la scientificité moderne : citons à cet égard l’Espagnol Gomez Pereira (fl. 1558), qui déclare : « Quand il s’agit d’établir la vérité, l’expérience a une puissance si grande que j’estime que lorsqu’un raisonnement apparemment clair contredit les faits, il faut plutôt croire aux faits qu’au raisonnement, et chercher un raisonnement plus puissant que le premier19. » Il n’y a pas jusqu’aux galéniques les plus invétérés qui ne s’expriment ainsi de temps en temps. Écoutons par exemple Jean Riolan le père (1538-1605) de Paris : « Il est ridicule de chercher des raisons pour s’opposer au témoignage des sens et de l’expérience, par simple respect pour les anciens20. » En dépit de ces dires philempiriques, antiautoritaires et antithéoriques, les doctrines aristotéliciennes et galéniques continuent de structurer la vision des médecins à cette époque ; l’observation de la nature et sa détermination s’expriment la plupart du temps dans les termes de ces philosophies séculaires.
11La philosophie naturelle qu’on enseigne dans les universités au xvie siècle est basée sur les « livres naturels » d’Aristote21. Mais, comme nous allons le voir, les médecins s’attribuent le droit d’adapter cette doctrine à leurs propres fins. Comme l’affirme da Monte dans un commentaire sur le Petit Art Médical de Galien, « nature n’est pas à comprendre toujours dans le même sens, et nous ne comprenons pas toujours nature de la même manière qu’Aristote : elle a un sens plus large22 ». Si on ajoute à cela les autres définitions ou descriptions générales de la nature répandues à cette époque, on voit à quel point la nature peut être conçue largement. En voici quelques exemples : Nature s’identifie à Dieu selon ceux qui suivent le stoïcien Sénèque ; les scolastiques la divisent en natura naturans (Dieu) et natura naturata (l’univers crée par Dieu) ; la nature, c’est l’univers entier selon les platoniciens, qui la conçoivent comme un immense organisme vivant, tandis que pour les disciples d’Aristote, elle se divise en deux mondes, le céleste et le sublunaire ; elle est pour d’autres un don de Dieu sous forme de l’essence et de la force accordées à chaque être vivant à son origine23. Dans ces définitions, on peut distinguer celles qui ont trait à l’ensemble de la création, et celles qui cherchent à déterminer la nature particulière des êtres, autrement dit, le moteur interne à l’origine du mouvement et de toute opération physique. La formule verbale aristotélicienne qu’on rencontre le plus souvent est la suivante : « La nature, c’est le principe et la cause de mouvement et de repos pour la chose en laquelle elle réside de soi et non par accident24. » La nature est un principe de mouvement ou de repos en ce sens que le repos n’est pas le contraire du mouvement mais seulement sa privation, le repos étant l’état de ce qui ne se meut plus ou de ce qui ne se meut pas encore, et non de ce qui ne peut se mouvoir. D’autres commentateurs renvoient à la matière dont est formée une chose, ou à sa forme, ou à l’ensemble des deux (c’est là l’être hylémorphique) ; on parle aussi de cause productrice, de propension, de principe rationnel25. François Valleriola (1504-80), professeur à l’université de Turin, pour qui la nature est « le créateur de tout, dont le ministre est le médecin », abandonne la définition pour se lancer dans une série de descriptions visant les fonctions du corps : il qualifie la nature de « faculté par laquelle l’animal est régi », « faculté moins puissante en nous que nous appelons végétale ou naturelle », « principe de tout mouvement en nous », « chaleur innée », enfin « tempérament »26. Un autre médecin, Jodocus Lommius (fl. 1558), va jusqu’à dire que la nature est « cette propriété occulte ou cachée située en dehors de la portée de l’entendement humain, qu’on peut reconnaître seulement par l’expérience » (il veut dire par là qu’elle n’est pas compréhensible en termes intelligibles)27 ; nous voilà de nouveau devant les problèmes épistémologiques que j’ai déjà évoqués.
12Ces définitions ou descriptions paraissent très abstraites, voire obscures ; certes, un philosophe naturel à l’université était bien forcé d’en venir aux prises avec la complexité de la doctrine, mais si un médecin praticien ne pouvait pas s’en passer aisément, on s’en étonnerait. Il n’en va pas de même pour la nature humaine, car c’est la profession du médecin de s’occuper de l’être hylémorphique – l’être consistant en forme et en matière, en corps et en âme – qui subit une mutation perpétuelle puisqu’il est toujours de passage entre la naissance et la mort, la maladie et la santé. Selon la théorie galénique de la complexion (ou tempérament), tout être humain consiste en un mélange des quatre humeurs (sang, bile, bile noire ou mélancolie, et flegme), qui s’apparentent aux quatre qualités (humidité, chaleur, sécheresse, froideur), aux quatre éléments (air, feu, terre, eau), aux quatre saisons de l’année (printemps, été, automne, hiver), aux quatre âges de l’homme (enfance, jeunesse, maturité, vieillesse), et aux quatre constituants du corps (fluidités qu’on appelle aussi humeurs, parties homogènes, esprits, et chaleur innée). Chaque organe (c’est-à-dire, chaque partie hétérogène du corps) peut aussi posséder une humeur dominante28. Ces humeurs se présentent sous huit formes (quatre humeurs simples, et quatre combinaisons possibles : chaude et sèche, chaude et humide, froide et sèche, froide et humide). Il y a une combinaison, ou un équilibre idéal, qu’on qualifie de « canon de Polyclète » (d’après la statue antique d’un homme parfaitement formé exécutée par ce sculpteur), mais cet idéal n’existe pas dans la nature sublunaire, ou, s’il existe, c’est d’une existence ponctuelle, qu’on décrit explicitement comme un point mouvant situé sur la trajectoire perpétuelle que suit le corps entre la maladie et la santé29. Les êtres humains en général ont chacun une combinaison unique, ou une forme substantielle particulière ; dans le cas de chaque individu, on peut reconnaître les humeurs dominantes, lesquelles, étant présentes à des degrés différents dans les organes et les autres parties du corps, changent avec le temps, et lui sont propres. C’est là une théorie relativiste : traiter un malade, c’est déterminer ce que serait son idiosyncrasie dans le meilleur état de santé dont il peut jouir, qui est relatif à son âge, à son sexe, à son mode de vie, et à bien d’autres variantes30. C’est en cet acte de juger que consiste l’art médical.
13Tout cela appartient à l’ordre du sensible. Mais il y a aussi des constituants de la nature humaine qu’on ne peut pas appréhender par les sens, à savoir les trois esprits (spiritus) animal, vital et naturel, qui règlent à leur tour le jugement, les appétits corporels et le cœur31 Il y a aussi en l’homme des qualités occultes, qu’on ne connaît que par leurs effets, et dont la cause est au-delà de la portée de l’entendement humain32. Pour les galéniques et les aristotéliciens, les esprits sont la manifestation la plus subtile de la matière. Mais selon les néoplatoniciens de l’époque, l’esprit est immatériel ; il anime la matière dans laquelle il se trouve ; il provient ou directement de Dieu, ou du monde céleste. Telle est la doctrine d’inspiration néoplatonicienne enseignée par Jean Fernel de Paris, qui identifie la forme substantielle des scolastiques avec le spiritus33. Pour d’autres médecins de l’époque, il s’agit de savoir si on peut arriver à une explication suffisante du fonctionnement du corps humain sans avoir recours aux qualités insensibles ou célestes ; autrement dit, on se pose la question de savoir si le corps se laisse expliquer par une théorie hylémorphique selon laquelle forme et matière dépendent l’une de l’autre, ou s’il faut avoir recours à une théorie dualiste de matière et d’esprit.
14Nous ne sommes pas au bout des difficultés conceptuelles impliquées dans l’idée de nature. Le monde médical du xvie siècle connaît la maxime « la coutume est une seconde nature » ; le corps peut manifester des « habitus » ou traits acquis qui influent sur sa nature, et qui usurpent la place de celle-ci en quelque sorte34. La doctrine médicale de l’époque souligne à cet égard le rôle des six ou sept « non-naturels ». En dépit de leur nom, ce ne sont pas des choses en dehors de la nature (bien au contraire), mais seulement en dehors de la constitution du corps lui-même, c’est-à-dire de ses éléments, de sa complexion, de ses membres, de ses vertus et de ses facultés. Un des « non-naturels » appartient à la nature extérieure au corps : c’est l’air, dont parle Hippocrate dans son Traité des airs, des eaux et des lieux. Ce livre du père de la médecine occidentale exerce après 1550 une grande influence sur la pensée médicale. Après l’étude des saisons de l’année et des vents, le médecin grec recommande que l’on s’enquière de la nature des eaux, du sol et du genre de vie auquel les habitants d’une contrée donnent leur préférence : sont-ils par exemple amis du vin, grands mangeurs et paresseux, ou amis de la fatigue et des exercices gymnastiques, mangeant beaucoup et buvant peu35 ? Au début de son traité, il associe ainsi l’air aux autres non-naturels, qui sont réglés ou par le corps, ou par la volonté humaine : aliments et boissons, sommeil et veille, mouvement et repos, évacuation et réplétion, et les « passions de l’âme », au nombre desquelles certains comptent l’activité sexuelle ; selon les autres, ou bien cette activité est un septième non-naturel, ou bien elle se range sous les catégories d’évacuation et de mouvement36. Dans le cadre de ces non-naturels, l’action de la volonté sur le corps et celle qu’on attribue à la force de l’imagination montrent l’effet de l’habitus sur l’organisme. Cependant le médecin, celui qui n’est que le « ministre de la nature » peut aller au-delà, et par l’application de son art modifier lui-même le corps humain ; selon Aristote, l’art arrive ainsi à « compléter ce que nature ne peut pas parfaire »37.
15On sent déjà que derrière ces opinions divergentes se cache un problème plus considérable encore, qui est lié à l’ambiguïté foncière de l’idée de nature. D’une part, la nature est un producteur actif et autonome, mais, d’autre part, c’est un produit, soumis à des puissances supérieures telles que les astres ou la nécessité matérielle ; et, de plus, c’est un processus perpétuel, qui ne se montre que lorsqu’il est en train de s’accomplir38. Nature en tant que mère, ou « opifex », ou origine, détermine tout l’être au moment de sa génération. La nature de l’être possède des constituants en eux-mêmes producteurs : forces, facultés, le principe interne du mouvement et du repos. Autrement dit, cette nature individuelle est la « forma informans » active, liée à la matière passive. Mais, en même temps, cette nature est soumise à la nécessité, matérielle ou autre, qui la gouverne et qui peut contrecarrer ses desseins. On reconnaît que «bien des choses arrivent par nécessité qui ne sont pas déterminées par la nature39 ». Qui plus est, la nature n’est pas une entité stable : c’est un processus lié au temps et à la trajectoire qui mène de la naissance à la mort. Certes, les fonctions du corps expriment l’intention de la nature et incorporent son activité ; mais les médecins reconnaissent que cette intention est parfois frustrée et qu’il en résulte des naissances monstrueuses et des maladies.
16Nous voilà enfin devant la grande question de la finalité. La nature, c’est une cause (si ce n’est pas la première cause) dont les effets laissent entrevoir l’intention et qu’exprime la fonctionnalité du corps humain et de son anatomie, où chaque élément a un rôle à jouer afin de maintenir l’organisme en vie. Les philosophes naturels de l’époque considèrent qu’il y a quatre causes : finale, formelle, matérielle et efficiente (ou motrice). Pour les aristotéliciens, la cause finale est la cause par excellence, car son rôle consiste à expliquer, et expliquer, c’est avant tout pouvoir répondre à la question « pourquoi ». Les maximes « Nature ne fait rien en vain » et « Il ne manque rien de nécessaire aux œuvres de la nature, et elle ne contient rien de superflu » renvoient à toute une gamme de caractéristiques de la nature : bienveillance, économie, fonctionnalité, autodétermination, régularité40. Mais, aux yeux des médecins praticiens et des philosophes de la nature, rien n’est moins évident que cette gamme de caractéristiques. Lorsqu’ils regardent autour d’eux, c’est plutôt la vision du Timée de Platon qui leur saute aux yeux : l’image de la nature leur apparaît comme « un immense vivant aussi rebelle aux formes fixes de la pensée que la vie elle-même [l’est] aux équations mathématiques et aux lois rigoureuses41 ». On devine aussi la présence dans le monde sublunaire d’autres forces : le hasard, la nécessité matérielle, les astres. Ces forces évoquent à leur tour le spectre menaçant de l’atomisme, qu’on associe à l’époque aux noms d’Épicure et de Démocrite : c’est là une théorie de la matière qui rejette la nécessité d’une cause finale et ne voit dans l’univers qu’un jeu infini de recombinaisons d’atomes, mus seulement par des causes matérielles et efficientes.
17Qui plus est, la nature elle-même témoigne parfois de sa propre redondance, de sa superfluité, de son errance ou de ses erreurs. Montaigne a beau trouver une expression paradoxale en guise d’explication (« Il n’y a rien d’inutile en nature, non pas l’inutilité mesmes42 »), il n’arrive pas à déterminer pourquoi les hommes ont des mamelons, alors qu’ils n’allaitent pas, pourquoi le nez est pourvu de poils, et pourquoi certaines races de cerfs ont des cornes. Ces questions sont posées par Théophraste, le successeur d’Aristote au Lycée, dans le contexte de la doctrine difficile exposée dans les ouvrages zoologiques du maître43. La finalité de la nature y est affirmée, mais, en même temps, Aristote reconnaît les limites du pouvoir de la nature, dont l’intention (c’est-à-dire la tendance, non pas la volonté) est toujours de faire le mieux possible dans des circonstances parfois défavorables44. Ainsi (pour citer un de ses exemples), les animaux à cornes qui sont dotés d’une seule rangée de dents et de plusieurs estomacs sont ainsi faits parce que, étant pourvus de cornes pour se protéger, ils n’ont pas assez de matière pour générer aussi deux rangées de dents afin de broyer leur nourriture ; ils ont donc des estomacs supplémentaires pour leur permettre de mieux digérer. Suivant le même raisonnement finaliste, Aristote affirme que l’homme est doté de mains versatiles parce qu’il est le plus intelligent des animaux ; en effet, l’être le plus intelligent est celui qui est capable de bien utiliser le plus grand nombre d’outils ; or la main semble être non pas un seul outil, mais plusieurs. L’explication matérialiste contraire (c’est-à-dire, l’homme est la plus intelligente des créatures parce qu’il est doté de mains versatiles) est selon lui fausse45. Lorsqu’il y a deux fins tendant à des effets contraires (le besoin de se protéger pourvoit certains animaux de cornes, mais la nécessité de se nourrir fait qu’elles sont rejetées en arrière pour ne pas gêner l’animal qui broute, et les rend ainsi inutiles pour le combat), la nature est forcée de procéder à une création qui incorpore l’une des fins parfaitement, l’autre imparfaitement. On trouve aussi d’autres imperfections ou plutôt imprécisions46.
18Je reviendrai dans la troisième conférence sur la question des naissances monstrueuses. Il convient ici de mentionner la variabilité naturelle. L’anatomie qui prend son essor au xvie siècle part de la présupposition que, dans le corps humain, toutes les parties sont fonctionnelles et possèdent une forme appropriée à ce qu’elles doivent accomplir, présupposition exprimée par le titre même du traite galénique Sur l’usage des parties du corps. Cependant, le célèbre anatomiste André Vésale et ses émules sont contraints de reconnaître qu’il n’y a pas une morphologie unique du corps et de ses parties, et qu’on ne peut pas comparer le corps d’un individu donné avec un idéal tel que la statue de Polyclète. Dans son étude sur les reins, le médecin Bartholomaeus Eustachius (c.1500-74) parle plus d’une fois de « l’art variable et étonnant » de la nature, qu’il personnifie en déclarant qu’« elle n’est pas sujette aux lois et fait ce qu’elle veut47 ». Il s’ensuit que toute taxinomie fondée soit sur le nombre des parties du corps, ou sur leur taille, soit sur leur morphologie est rendue difficile sinon impossible. Aristote d’ailleurs le reconnaît dans ses traités zoologiques : un oiseau d’une certaine espèce peut avoir un bec plus ou moins grand. C’est le plus ou le moins, autrement dit la variabilité ou la latitude, qu’on doit prendre en compte, même dans le cas d’une seule et même espèce48. De la même manière, les corps naturels peuvent contenir des pléthores et des redondances qui résultent de l’opération d’une finalité qui ne s’y impose qu’imparfaitement.
19La nature est donc et finie et infinie. C’est un principe qui a un dessein, mais que contrarient parfois des forces majeures. Lorsqu’Antonio Musa Brasavola (1500-55) dresse, à la fin de sa vie, son immense table des matières des ouvrages de Galien, qui réduit les 7 millions de mots du maître à 40 000 lieux communs environ, il inclut dix renvois pour la phrase « natura nihil fecit frustra » mais aussi un renvoi pour la phrase « natura aliquid fecit frustra »49. Pourtant, cela ne mène pas le médecin de l’époque au désespoir. Tout comme il y a une infinité de combinaisons possibles des humeurs, mais en même temps un moyen pratique de déterminer la combinaison de chaque individu qui permettrait au médecin de le traiter, il y a également une idée de nature qui est plus ou moins régulière et stable, et qui permet aux médecins de composer avec une réalité ahurissante par sa diversité infinie et incalculable. L’art médical opère en tant que discours fini fonctionnant dans la sphère de l’infini : il est d’ailleurs parfois décrit comme « la connaissance finie d’un champ de savoir infini » (ars est de infinitis finita scientia)50.
20L’aspect le plus important de cette réalité aux yeux des médecins, c’est l’état du corps, qui varie entre santé et maladie. La fin de l’art médical, c’est la santé du corps. Mais, tout comme la nature, le corps ne jouit pas d’un d’état stable : il subit un processus qui varie entre ce qui s’accorde avec la nature (« secundum naturam »), ce qui dévie de la nature sans pour autant menacer la santé (« praeter naturam » selon Fernel), et ce qui est contre nature (préternaturel selon d’autres), y compris la maladie. Il y a aussi l’au-delà de la nature, ou le surnaturel (« super naturam »), que les néoplatoniciens (mais non les aristotéliciens) situent à l’intérieur du naturel51. Il y a d’autres moyens qui permettent d’inclure au sein même du naturel son contraire. Pour en donner un exemple, il convient de revenir sur la distinction, par laquelle j’ai commencé cette analyse de l’idée de nature, entre la nature universelle et la nature particulière. Au moyen de cette distinction, on peut déterminer que la mort, la putréfaction et la maladie, qui sont incontestablement des éléments de la nature sublunaire, deviennent préternaturelles lorsqu’elles se présentent dans les corps de certains individus malades ou décédés. Cette distinction génère à son tour un grand nombre de cas limites : si un être naît avec six doigts ou avec des verrues, est-il préternaturel ? La mola mulierum – cette masse informe de chair dans l’utérus qui passe à l’époque pour un enfant manqué, créé par le corps de la femme sans l’apport de la semence mâle – est-elle naturelle ou préternaturelle52 ?
21Le passage de la santé à la maladie s’avère être plus complexe encore. Étant donné que la santé parfaite ne peut être que ponctuelle (puisque le corps subit une mutation continuelle), le médecin doit déterminer dans chaque cas à quel point se trouve son patient, à un moment donné, sur la latitude ou la trajectoire à double sens entre la santé parfaite et la maladie la plus grave. Entre santé et maladie se trouve l’état neutre, qui lui-même est ou un neutre convalescent (si le malade est sur la voie de la guérison) ou un neutre déclinant (si un être sain tend vers la maladie). D’où, sans doute, le célèbre dicton du Docteur Knock : « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent53. » Le diagnosticien se trouve donc devant son patient en sachant que, de son naturel, celui-ci est pourvu d’une combinaison unique d’humeurs, que chacun de ses organes et de ses membres est dans un état défini par sa propre idiosyncrasie, et que son rôle à lui, en tant que médecin, est de calculer la rectification nécessaire pour rétablir l’équilibre de ces humeurs, ou bien de ne rien faire s’il juge que la nature elle-même effectuera la guérison.
22Mais le médecin n’est pas encore au bout de ses peines, car la maladie est loin d’être facile à déterminer. Galien lui-même reconnaît qu’elle prend des formes si multiples et si variées qu’elle constitue la partie la plus difficile de l’art médical. Il part du principe que la maladie (qui se présente en trois genres distincts : traumatisme dû à une cause externe, déséquilibre de la complexion ou du tempérament, mauvaise composition ou opération défectueuse d’un organe), se laisse reconnaître par des symptômes qui renvoient à sa cause54. Cause, symptôme et maladie sont des choses distinctes et doivent s’exclure mutuellement. Mais certains symptômes sont eux-mêmes des maladies, certaines affections (qui se montrent par la dysfonctionnalité) sont et symptômes et maladies, et les causes, elles aussi, peuvent devenir des symptômes55. La gamme des causes reconnues par les médecins s’étend au-delà du quatuor de la philosophie aristotélicienne : on parle aussi de cause instrumentale, de cause catalyseur, de cause subjective, et de cause nécessaire mais externe56. Jusqu’au xvie siècle, la maladie se concevait comme une relation (entre le patient et l’état de son corps). Mais la peste, la syphilis et d’autres épidémies persuadèrent certains médecins, dès le début du siècle, que la maladie peut elle-même avoir un statut ontologique et subsister en dehors des individus chez lesquels elle se manifeste. Et, au-delà des trois genres de maladies, on décèle l’existence d’une « maladie occulte », ayant trait peut-être au monde céleste, ou à l’ensemble du corps (c’est là le « morbus totius substantiae » de Fernel)57. On risque de retomber ici dans le domaine de la théologie, car les épidémies sont traditionnellement attribuées à Dieu ; ce sont des moyens par lesquels il est censé punir son peuple de ses péchés58.
23Concluons. L’idée de nature, pour être utile aux médecins, doit être stable et finie. Mais elle recèle des problèmes radicaux. On ne sait pas exactement quel est le rapport du monde céleste avec le sublunaire. La nature universelle est donc indéterminée. La nature particulière des êtres est instable et infinie, car la théorie de l’idiosyncrasie fait de chaque individu un cas unique. La nature se détermine elle-même, mais en même temps subit l’influence des astres, de la nécessité, du hasard et de la matière. Elle constitue un tout, mais à l’intérieur de ce tout il y a superfluité. C’est un tout qui produit aussi des résidus et des erreurs qui ne semblent pas totalement lui appartenir. Autour d’une zone naturelle gouvernée par des lois invariables, où le philosophe naturel et le médecin se plaisent à déceler des régularités, se trouve une inquiétante pénombre de cas limites, d’événements rares ou uniques, de choses à peine explicables à cause de leur étiologie complexe ou obscure. Il est peu étonnant par conséquent que ceux qui veulent dénoncer la vanité de toutes les sciences et de tous les arts humains, comme par exemple Henricus Cornelius Agrippa (1486-1535) dans son célèbre traité de 1526, aient trouvé un malin plaisir à prendre la médecine comme cible favorite59. Montaigne aussi a su exprimer à merveille le dilemme des médecins devant la nature :
Si le mesconte du médecin est dangereux, il nous va bien mal, car il est bien mal aisé qu’il n’y retombe souvent : il a besoin de trop de pieces, considerations et circonstances pour affuter justement son dessein : il faut qu’il connoisse la complexion du malade, sa temperature, ses humeurs, ses inclinations, ses pensements mesmes et ses imaginations ; il faut qu’il responde des circonstances externes, de la nature du lieu, condition de l’air et du temps, assiette des planettes et leurs influances ; qu’il sçache en la maladie les causes, les signes, les affections, les jours critiques ; en la drogue, le poix, la force, le pays, la figure, l’aage, la dispensation ; il faut que toutes ces pieces, il les sçache proportionner et raporter l’une à l’autre pour en engendrer une parfaicte symmetrie. A quoy il s’en faut tant soit peu, si de tant de ressorts il y en a un tout seul qui tire à gauche, en voyla assez pour nous perdre. Dieu sçait de quelle difficulte est la connoissance de la pluspart de ces parties : car, pour exemple, comment trouvera-t-il le signe propre de la maladie, chascune estant capable d’un infiny nombre de signes ? Combien ont-ils de debats entr’eux sur l’interpretation des urines ! Autrement d’où viendroit cette altercation continuelle que nous voyons entr’eux sur la connoissance du mal ? Comment excuserions nous cette faute où ils tombent si souvent, de prendre martre pour renard60 ?
24Pourtant, du côté de la profession , on voit les choses autrement. Écoutons Hippocrate qui s’exprime ainsi dans son petit Traité de l’ancienne médecine :
Certes, bien loin de contester à l’art ancien sa réalité et la bonté de sa méthode, et de le condamner pour n’avoir pas la certitude sur toute chose, je maintiens qu’il faut le louer d’être dans une voie où, par le raisonnement, il peut encore, je pense, arriver près de l’extrême exactitude, et admirer comment au sein d’une profonde ignorance, sont sorties les découvertes, par une belle et savante recherche, et non par le hasard61.
25Il convient de se demander où se situe cette « extrême exactitude », mais aussi de scruter de près le raisonnement qui montre au médecin le chemin qui va l’y mener. C’est ce que je me propose d’examiner dans la prochaine conférence.
Notes de bas de page
1 Eunuchus, Prologue, 41 ; La Bruyère, Les Caractères ou les mœurs de ce siècle, « Des ouvrages de l’esprit », 1.
2 Voir Per-Gunnar Ottosson, Scholastic Medicine and Philosophy : a study of commentaries on Galen’s Tegni (ca. 1300-1450), Naples, Bibliopolis, 1984.
3 Voir Ian Maclean, Interpretation and Meaning in the Renaissance : the case of law, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.
4 Francis Bacon, Instauratio magna, éd. Graham Rees, Oxford, Clarendon Press, 2000 ; René Descartes, Discours de la méthode, in Œuvres, éd. Charles Adam et Paul Tannery, Paris, Vrin, 1996, t.7, p. 62 ; Id., Lettre à Mersenne, janvier 1630, op. cit., t.1, p. 106.
5 Voir Jon Arrizabalaga, John Henderson, R.K. French, The great Pox : the French disease in Renaissance Europe, New Haven and London, Yale University Press, 1997.
6 Paracelsus, Sämtliche Werke von Theophrast von Hohenheim genannt Paracelsus : 1. Abteilung, Medizinische naturwissenschaftliche und philosophische Schriften, ed. Karl Sudhoff, Munich, Oldenbourg, 1922-1933, t. 8, p. 62-65.
7 Voir Jean Hucher, Pro philosophica Monspiliensis Academiae libertate […] oratio, Lyon, 1571, p. 135-150 (il nomme Rondelet au lieu de Cardan, et compare ces novateurs aux poètes français « modernes » de son temps).
8 Voir J.H. Randall, The School of Padua and the Emergence of modern Science, Padoue, Antenore, 1961 ; Charles B.Schmitt, Studies in Renaissance Philosophy and Science, Londres, Variorum, 1981 ; Id., Aristotle in the Renaissance, Cambridge Mass., Harvard University Press, 1983 ; Id., The Aristotelian Tradition and Renaissance Universities, Londres, Variorum, 1984 ; Nancy G. Siraisi, Avicenna in Renaissance Italy : the Canon and the Medical Teaching in Italian Universities after 1500, Princeton, Princeton University Press, 1987 ; Oswei Temkin, Galenism : rise and decline of a medical philosophy, Cornell, Cornell University Press, 1973 ; Charles Webster, From Paracelsus to Newton : magic and the making of modern Science, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 1982 ; The medical Renaissance of the sixteenth century, Andrew Wear, R.K. French, Iain M. Lonie (éd.), Cambridge, Cambridge University Press, 1985 ; Vivian Nutton, « Hippocrates in the Renaissance », Sudhoffs Archiv, Beiheft 27, 1989, p. 420-439 ; Nancy G. Siraisi, Medieval and Early Renaissance medicine, Chicago, Chicago University Press, 1990 ; Laurence I. Conrad, Michael Neve, Vivian Nutton, Roy Porter, Andrew Wear, The Western medical tradition 800 BC to AD 1800, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; Ian Maclean, Logic, signs and nature. Voir aussi Josep Lluís Barona, Sobre medicina y filosofia natural en el Renacimento, Godella, Seminari d’Estudis sobre la ciencia, 1993.
9 Voir Roger French, William Harvey’s natural Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, 1994.
10 Voir J.F. Wippel, « The condemnations of 1270 and 1277 at Paris », Journal of Medieval and Renaissance Studies, 7 (1977), 169-201 ; Heinrich Denzinger, Enchiridion symbolorum, definitionum et declarationum de rebus fidei et morum, éd. Adolf Schönmetzer, Barcinone, Herder, 1976, p. 353-354 (no. 738) ; également ibid., p. 284 (no. 481).
11 Giambattista da Monte, In nonum librum Rhasis ad Mansorem Regem Arabum expositio, Venice, 1554, p. 31 : « in qua quidem generatione aliter respondent theologi, aliter philosophi, aliter medici. Ego brevissime de hac quaestione aliqua dicam, sed quaecunque dicam, dicam ut peripateticus, et ut medicus. Nam quando theologice de ea loqui voluero, totum forte oppositum dicam. Nihil autem existimo deterius in philosophia posse contingere quam cum ea theologiam commiscere. » Texte cité (avec d’autres textes semblables) par Nancy G. Siraisi, Avicenna in Renaissance Italy, p. 248 et par Ian Maclean, « Naturalisme et croyance personnelle dans le discours médical à la fin de la Renaissance », Journal of the Institute of Romance Studies, 6 (1998), 185. Voir aussi da Monte, In nonum librum Rhasis expositio, p. 59-60.
12 Voir C. H. Lohr, « The medieval interpretation of Aristotle », in The Cambridge History of later medieval philosophy, Norman Kretzmann, Anthony Kenny, Jan Pinborg (éd.), Cambridge, Cambridge University Press, 1982, p. 88-92.
13 Voir Bruno Nardi, « La dottrina d’Alberto Magno sull’Inchoatio formae », dans ses Studi di filosofia medievale, Rome, Edizioni di Storia e Letteratura, 1960, p. 108-150 ; Albertus Magnus, De generatione et corruptione, 1.1.22 ad t.c.14 : « Dico quod nihil ad me de Dei miraculis cum ego de naturalibus disserram. » Voir aussi Albertus Magnusand the sciences : commemorative essays, James A. Weisheipl (éd.), Toronto, Institute of Medieval Studies, 1980.
14 Sur ces maximes voir Charles B. Schmitt, « Aristotle among the physicians », in Wear, French et Lonie (éd.), The medical Renaissance of the sixteenth century, p. 1-15.
15 Agricola Ammonius, Commentarii in librum artis medicinalis, Basle, 1541, p. 45-46 : « Contemplantur enim philosophi res et naturas rerum per se et absque relatione ad opus, contemplatione eiusmodi et speculatione ipsa sunt contenti. Caeterum medici humani corporis dispositiones, sicuti et alias res naturales considerant in relatione et applicatione ad opus : neque vero perpetuo in radicibus velut in salebra haerent, quod faciunt fere philosophi, sed adspirant eluctantur et pertingunt ad ramos et fructus ipsos. »
16 Voir Sachiko Kusukawa, The transformation of natural Philosophy : the case of Philip Melanchthon, Cambridge, Cambridge University Press, 1995 ; ead., « “Aspectio divinorum operum” : Melanchthon and astrology for Lutheran medics », in Ole Peter Grell and Andrew Cunningham (éd.), Medicine and the Reformation, Londres et New York, Routledge, 1993, p. 33-56.
17 Aristote, Topiques, I.1, 100b ; Physique, II.1, 193a.
18 Daniel Sennert, Opera, Lyon, 1676, t. 1, p. 179 :« Res enim mensurant cognitionem nostram, non contra ; neque quia nos ita cogitamus, res ita se habent, sed quia sic se habent, ita eas cognoscimo, cum recte cognoscimus. » L’argument s’emploie toujours pour réfuter les erreurs supposées des sémiologues modernes : voir Colin McGinn, « Sign language », The New York Review of Books, 48.10 (2000), 62 : « We categorize objects by means of their shapes and sizes, for example, but objects have their shapes and sizes independently of the words we use. » L’argument opposé est lié à la Renaissance au nom de Nicolas de Cues, « Idiota de mente », iii.9, in Philosophische Schriften, éd. Alfred Petzelt, Stuttgart, Kohlhammer, 1949, t. 1, p. 349 : « sic omnis rei mensura vel terminus ex mente est ; et ligna et lapides certam mensuram et terminos habent praeter mentem nostram, sed ex mente increata, a qua rerum omnis terminus descendit »; voir aussi Montaigne, Essais, éd. Pierre Villey et V.-L. Saulnier, Paris, PUF, 1962, ii.10, p. 410 : « ce que j’opine [des choses], c’est aussi pour déclarer la mesure de ma veuë, non la mesure des choses » ; et Bacon, Novum Organum, I.41, qui met l’accent sur le fait que non seulement les sens mais aussi l’entendement limitent la capacité de l’homme de s’enquérir sur la réalité.
19 Gomez Pereira, Novae veraeque medicinae […] prima pars, Medina del Campo, 1558, p. 11 : « adeo ingentem vim ad dignotionem veritatis experimenta habere, ut teneamur cum ratio apparens experimento adversatur, plus fidere experimento, quam rationi : cogamurque potiorem rationem, quam fuerit prior inquirere ». La généalogie de cet argument est longue : voir Galien, De morbis vulgaribus, iv.2, Aristotle, Physique, viii.3, (ps.)Hippocrates, Praecepta, i : voir aussi Jérôme Cardan, In Hippocratis Coi Prognostica commentarii, Bâle, 1568, p. 133 (ii.2-3) : « medicus debet credere evidentibus signis potius quam rationibus persuasivis, vel a priori » ; Id., Opera omnia, éd Charles Spon, Lyon, 1663, t. 1, p. 357 : « nulla [est] auctoritas adversus experimenta scribentibus » ; et Sherlock Holmes in Arthur Conan Doyle, The Memoirs of Sherlock Holmes, Harmondsworth, Penguin, 1950, p. 50 : « at least my theory covers all the facts. When new facts come to our knowledge which cannot be covered by it, it will be time enough to reconsider it. »
20 Cité par Ian Maclean, The Renaissance notion of woman, Cambridge, Cambridge University Press, 1980, p. 103 : « Stultum [est] ratione pugnare contra sensum et experientiam pro antiquitatis reverentia. »
21 À savoir, La Physique, Du Ciel, De la Génération et de la corruption, Les Météorologiques, De l’Ame, et Les Parva naturalia.
22 Da Monte, Medicina universa, Francfort, 1587, p. 355 : « Natura non semper eadem modo intellig[i]tur, ut cum dicimus naturam non semper intellig[i]mus eo modo quo definivit Aristoteles ... sed largiori quoque modo. »
23 Summa Theologiae,1a 2ae 10.1 (« natura naturans id est Deus ordinans naturas omnium, sive auctor naturae, vel qui creavit omnes naturas » ; voir aussi 1a 2ae 2,1 and 2a 2ae 6,1,3) ; Pietro d’Abano, Conciliator, Venise 1548, p. 15 (ix) ; Nicolaus Biesius, De natura libri v, Anvers, 1573, p. 1-2, réfuté par Francesco Vimercato, De principiis rerum naturalium libri tres, Venise, 1596, p. 116-9, citant Le Timée et Plotin, Enneades, iv.32. Sur les liens entre le monde céleste et le monde sublunaire, voir aussi Simone Porzio, De rerum naturalium principiis libri duo, Marburg, 1598, p. 127.
24 « principium et causa motus et quietis entis in quo inest primo et per se et non secundum accidens » ; voir aussi Aristote, Physique, ii.1, 193a.
25 Alessandro Piccolomini, De rerum definitionibus, Francfort, 1600, p. 55 qui cite Philoponus (« virtus quae per corpora effunditur, ea formantem et gubernantem : ac principium, quo res, in qua est, moveatur et quiescat primo secundum se et non ex accidentia ») ; voir aussi ibid., p. 54 : « forma rerum, natura constantium, ex materia pendens, finisque generationis et secundario materiae in qua significatione quaeritur eius definitio ») : Porzio, De rerum naturalium principiis, p. 138 : « ea quae est principium motus et essendi, essendi quidem, ut est actus et entelechia : motus vero, ut notat propensionem ad transmutationem atque ad motum : atque iccirco Latini asseruerunt, nomen naturae significare habitudinem » : da Monte, Medicina universa, p. 355 ; Martin Weinrich, De ortu monstrorum commentarius, Leipzig, 1595 : 24v : « id quod causa est, ut moveatur et quiescat, in quo est primo et per se motus ac quies non per accidens » : Pietro d’Abano, Conciliator, p. 15 (xv).
26 François Valleriola, Commentarii in librum Galeni De constitutione artis medicae, Lyon, 1577, p. 259 : « omnium opifex [cuius] minister [est] medicus » ; « omnis qua regitur animal facultas » ; « ea facultas animi imperium et ductum » ; « inferioris potentiae quae vegetrix dicimus facultas et naturalis » ; « principium in nobis motionum omnium » ; « nativus calor » ; « temperies ». Sur forme spécifique et idiosyncrasie (« temperies »), voir Nancy G. Siraisi, Medieval and early Renaissance medicine, Chicago, 1990, p. 102-104, 136-152. Jakob Schegk, De demonstratione, Bâle, 1564, p. 371 attribue la phrase « medicus minister naturae » à Hippocrate.
27 Jodocus Lommius, Commentarii de sanitate tuenda, Louvain, 1558, p. 67-68 : « sub cuius nomenclatura passim occulta seu arcana proprietat significatur, quemque extra omnem mentis humanae captum posita, sola nosci experientia potest ».
28 Jakob Horst, Disputationum medicarum viginti, éd. Gregor Horst, Wittenberg, 1609, p. 268 ; Christophorus a Vega, Opera, Lyon, 1571, p. 637 ; Franciscus Vallesius, Controversiarum medicarum et philosophicarum libri x, Hanau, 1606, p. 18-23 (i.7) ; Galien, De temperamentis, i, K 1.509 sqq. est souvent cité.
29 Voir Galien, De placitis Hippocratis et Platonis, v, K 5.449 ; De tuenda sanitate, K 6.126 ; De temperamentis, i.5-9, K 1 534-551 ; De optima corporis constitutione, K 4.737-49; Cardan, Opera, t. 6, p. 411-413 (i.6.9) ; Nancy G. Siraisi, The Clock and the mirror : Girolamo Cardano and Renaissance medicine, Princeton, Princeton University Press, 1997, p. 48-49. La ponctualité de la santé parfaite est décrite par Julianus Martianus Rota in Pietro Torrigiano, Plusquamcommentum in parvam Galeni artem Turisani, Venise, 1557, f. 26r : « per istud rotundum [un point situé dans le diagramme des états de la santé] intelligitur corpus optime sanum punctuale ac indivisibile, quod non est in latitudine, nec a medico consideratur, nisi ut aliorum mensura, ut statua Polycleti respectu aliarum et p[otes]t dici terminus latitudinis ».
30 Sanctorius Sanctorius, Methodi vitandorum errorum, Genève, 1630, p. 791 (xii.5), qui cite Galien, Ad Glauconem, ii.1-2, K 11.71-84 : « natura aegrotantis, aetas, tempus anni, regio, praesens constitutio, robur, habitus, consuetudo, solitum exercitium, morbus, causa, locus, symptomata, morbi similes, mos, motus, repletio, figurae partium, pulsuum motus, animi mores, iuvantia, laedentia ».
31 De usu partium corporis, i.9, K 3.26-7 ; De facultatibus naturalibus, i.6, K.2.11 sqq. ; Sanctorius, Methodi, p. 642 (viii.1).
32 Vivian Nutton, « The reception of Fracastoro’s theory of contagion » , Osiris, 2e série, 6 (1990), 198-9 ; Walter Pagel, « Religious motives in the medical biology of the XVIIth century », Bulletin of the history of medicine, 3 (1935), 97-128, 213-231, 265-312 ; Joachim Camerarius, Sylloges memorabilium medicinae et mirabilium naturae arcanorum centuriae duodecim, Strasbourg, 1626-30:20 (xiii.21); Paul Richard Blum, « Qualitates occultae : zur philosophischen Vorgeschichte eines Schlüsselbegriffs zwischen Okkultismus und Wissenschaft », in Die okkulten Wissenschaften in der Renaissance, éd. August Buck, Wiesbaden, Harrassowitz, 1992, p. 45-64 ; Siraisi, The Clock and the mirror, p. 51 (sur Arnau de Vilanova) ; Gundolf Keil, « Virtus occulta : der Begriff des “empiricum” bei Nikolaus von Polen », in Die okkulten Wissenschaften in der Renaissance, p. 159-196 (sur les qualités occultes au Moyen Âge) ; Gulielmus Adolphus Scribonius, Rerum naturalium doctrina methodica, Londres, 1583, p. 10-11 : « occultae qualitates sunt quae diuturna tantum experientia cognoscuntur » ; Lynn Thorndike, A History of magic and experimental science, New York et Londres, Columbia University Press, 1923-58, t. 5, p. 433-437, 550-562 ; D.P. Walker, Spiritual and demonic magic from Ficino to Campanella, London, Warburg Institute, 1958, p. 75-84 ; Brian Copenhaver, Symphorien Champier, Den Haag, Paris et New York, Mouton, 1978.
33 Cf. Fernel, Universa medicina, Hanau, 1610, t.1, p. 75-6 : « Plato quidem rarius eam materiam calore perfusam spiritum appellavit, ignem frequentius, ut interdum calorem [...] est igitur spiritus corpus aethereum, caloris facultatumque sedes et vinculum, primumque obeundae facultatis instrumentum ».
34 Voir Aristote, Rhetorique, i.11 1370a ; De Memoria, 452a 28 ; Caspar Peucer, Commentarius de praecipuis divinationum generibus, Wittenberg, 1553, p. 537 affirme qu’Hippocrate est la source de cette doctrine. Voir aussi Piccolomini, De rerum definitionibus, p. 54-55 ; Porzio, De rerum naturalium principiis, p. 130,135 (« habitudo materiae et formae nostrae » : « propensio [...] ad transmutationem atque ad motum ») ; même la physiognomonie reconnaît les effets de l’éducation : voir Giambattista della Porta, De humana physiognomonia, Hanau, 1593, p. 50-2 (xv) « quod a nutricibus etiam in morum cognitionem devenire possumus »). Vallesius, Controversiae, p. 64 sqq. (viii.5).
35 Traité des airs, des eaux et des lieux, i-ii, in Hippocrate, Œuvres, trad. par E. Littré, Paris, Baillière, 1839-61, t. 2, p. 14-15.
36 Heikki Mikkeli, Hygiene in the early modern medical tradition, Helsinki, The Finnish Academy of Science and Letters, 1999, p. 54-58, cite comme source de cette doctrine Galien Ars parva, K 1.367 ; voir aussi Fabio Paulino in Avicenna, Liber Canonis, Venise, 1608, sig.A2v ; « [Venus] quam collocamus non solum auctoritate Galeni, qui seorsum eam collocavit in arte medicinae, sed etiam aliorum recentiorum, licet vulgus medicorum partim motui partim excrementis subjiciant ». Sanctorius 1630, p. 421 (v.2) réduit les non-naturels à quatre : « ea quae assumuntur », « ea quae fiunt animo vel corpore », « ea quae excernentur et retinentur » et « ea quae foris adhibentur ». Voir aussi Peter H. Niebyl, « The non-naturals », Bulletin of the History of Medicine, 45 (1971), 489-492.
37 Physique, ii.8 199a 19-21. Sur cette doctrine, voir William R. Newman, « Art, nature and experiment among some Aristotelian alchemists », in Edith Sylla et Michael McVaugh (éd.), Texts and contexts in ancient and medieval science ; studies on the occasion of John E. Murdoch’s seventieth birthday, Leyde et New York, Brill, 1997, p. 305-317.
38 Galien, Methodus medendi, i.9, K 10.70.
39 Henning Arnisaeus, De iure connubiorum, Frankfurt, 1613, p. 150, qui se refère à Aristote, Physique, ii.9 200a 10sqq. : « multa fiunt ex necessitate quae non fiunt ex eius intentione » ; voir aussi Robert Lenoble, Esquisse d’une histoire de l’idée de nature, Paris, Albin Michel, 1969 ; Lorraine Daston et Katharine Park, Wonders and the order of nature, 1150-1750, New York, Zone Books, 1998, p. 209 ; Sennert, Opera, éd. Charles Spon, 1650, t.1, p. 14 ; Porzio, De rerum naturalium principiis, p. 150-1 ; Physique, ii.9, 201b. ; De generatione animalium, iv.4; ii.5 197b ; ii.6 199a.
40 Aristote, De generatione animalium, 739b ; cf. Mechanics, 847a ; Porzio, De rerum naturalium principiis, p. 131 ; Piccolomini, De rerum definitionibus, p. 54-55 ; Joannes Baptista Silvaticus, Controversiae medicae numero centum, Francfort, 1601, p. 430 : « natura ipsam in suis operibus non deficere in necessarias, neque abundasse in superfluis » ; Aemilius Parisanus, Nobilium exercitationum libri duodecim de subtilitate, Venise, 1621, sig. B1v : « nihil in natura sive natura sive causa naturali fieri ; propterea perbelle post hosce Aristoteles, Eorum omnium, inquit, quae Naturae lege fiunt certas esse et naturales causas solis philosophis cognitas ».
41 Cette phrase est citée du bel ouvrage de Robert Lenoble, Esquisse d’une histoire de l’idée de nature, p. 290.
42 Montaigne, Essais, iii.1, p. 790.
43 Théophraste, Metaphysique, vi, 10b, cité par Valleriola, Commentarii, p. 45. Galien s’oppose à cette doctrine, qu’il associe au nom d’Erastistrate : voir De naturalibus facultatibus, ii. La doctrine qu’il n’y a rien de superflu en nature est soutenue par Aristote, De generatione animalium, ii.4, 739b et iv.4, 770b.
44 Aristote, Physique, ii.8, 198b-199a ; Vallesius, Controversiae, p. 383-4 (viii.8) : « natura enim cum non ratiocinetur nihil tentat nisi quod per se fertur in bonum finem ».
45 Aristote, Des parties des animaux, iv.10, 687a ; iii.2, 663a.
46 Aristote, Des parties des animaux, iii.3, 631b, iii.14, 674a.
47 Nancy G. Siraisi, « Vesalius and human diversity in De humani corporis fabrica », Journal of the Warburg and Courtauld Institutes, 57 (1994), 60-88 ; Bartolomaeus Eustachius, Opuscula anatomica, Venise, 1564, p. 51, 123, 129, 131 : « natura in hominibus autem frequenter quasi omni lege soluta libera voluntate utens » ; « variam et admirabilem eiusdem naturae artem ». La phrase « lege soluta » rappelle celle du Digest 1.3.31, qui parle de l’empereur affranchi de la loi : voir Maclean, Interpretation and meaning, p. 91.
48 Aristote, Des parties des animaux, i.4, 644b.
49 Antonio Musa Brasavola, Index refertissimus in omnes Galeni libros qu ex Iuntarum tertia editione extant, Venise, 1556, f. 312v : il se refère à De anatomicis adminstrationibus, ix.
50 Maclean, Interpretation and meaning, p. 73 (phrase tirée de Porphyre) ; cf. Boethius, In Categorias, i, PL.64:161, cité par Maximilian Herberger, Dogmatik : zur Geschichte von Begriff und Methode in Medizin und Jurisprudenz, Francfort, Klostermann, 1981, p. 177 : « rerum ergo diversarum indeterminatam infinitamque multitudinem, decem praedicamentorum paucissima numerositate concludit, ut ea quae infinita sub scientia cadere non poterant, decem propriis generibus diffinita scientiae comprehensione claudantur ».
51 Simplicius, In Aristotelis Physicorum libros quattuor priores commentaria, éd. H. Diels, Berlin, Akademie der Wissenschaften, 1882, p. 269 ; Physique, ii.1, 192b. Fernel, Universa medicina, p. 180-181 (Pathologia, i.2) ; cf. Brasavola, Index, f. 314r, qui cite Methodus medendi, viii. Giovanni Argenterio, Opera, Hanau, 1610, col. 230-1 : « sit ergo illud contra naturam quod nullo modo fieri potest ob naturae repugnantiam, differens ab eo, quod est praeter naturam : quippe hoc fieri possit, et si non a propria sua natura, vel non utraque ». Vimercato, De principiis, f. 141v, 144v : « illa vero supra naturam dici possunt, quae extra coelum sunt posita, nec locum, nec tempus, nec motum participantia, vitamque beatam perpetuo degentia, cuiusmodi sunt Aristotele etiam docente mentes divinae. Supra naturam rursus, quae religio nostra asserit, quae nulla vi naturae effici unquam potuerunt, quae et eadem physicis praeter et contra naturam dicerentur. Sunt et aliqua post naturam, de quibus opus est Aristotelis Metaphysica, id est, de his, quae post res naturales sunt posita. In quibus et ea sunt, quae supra naturam diximus, supercoelestia videlicet, et mentes divinae [...] ».
52 Cf. Ottosson, Scholastic medicine, and philosophy, p. 251 ; Duncan Liddel, Ars medica, Hamburg, 1628, p. 596-600 ; Vallesius, Controversiae, p. 280 (vi.1).
53 Jules Romains, Knock, ou le triomphe de la médecine, Paris, Gallimard, 1924, p. 34.
54 Galien, Ars parva, K 1.380 sqq. ; Vallesius, Controversiae, p. 256 (v.17) ; Fabritius Bartolettus, Encyclopaedia hermetico-dogmatica, Bologne, 1619, p. 218 sqq.
55 Voir le bel article de Nancy G. Siraisi, « Disease and symptom as problematic concepts in Renaissance medecine », in Res et verba in the Renaissance, éd. Eckhard Kessler et Ian Maclean, Wiesbaden, Harrassowitz, 2002, p. 217-240.
56 Argenterio, Opera, col.1493. Voir aussi Maclean, Logic signs and nature, p. 262-265.
57 Fernel, Universa medicina, t.1, p. 184 (i.7) ; Gregor Horst, De morbis, eorumque causis et symptomatibus liber, Marburg, 1629, p. 25 sqq.
58 David Gentilcore, « Contesting illness in early modern Naples : miracolati, physicians and the Congregation of Rites », Past and Present, 148 (1995), 117-148 ; aussi les multiples traités sur la peste, tel Jakob Horst, Rath in pestilentzischer Dysenteria dieses 99 Jahrs, Helmstedt, 1599.
59 Henricus Cornelius Agrippa, De incertitudine et vanitate scientiarum omnium et artium, cité par Maclean, Logic signs and nature, p. 94.
60 Montaigne, Essais, ii.37, p. 773.
61 Hippocrate, Épidémies, 1.2.5, in Œuvres, trad. Littré, t. 3, p. 634-637.
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