Chapitre II. Les « Trois mousquetaires »
p. 60-83
Résumé
André Breton – Jacques Vaché – Louis Aragon – Philippe Soupault – Théodore Fraenkel – Confrontation poétique avec Tristan Tzara – Apollinaire et Dada – Anthologie Dada (Dada 4-5).
Texte intégral
Lorsque j’avais vingt ans pour moi la grande affaire
Était de désapprendre et non d’avoir appris
Il me semblait rouvrir les portes de l’enfer
Par le simple refus du cœur et de l’esprit
Don Quichottes nouveaux qui tournaient leur colère
Contre les dieux de plâtre et l’ombre des statues
Nous étions quelques-uns que ces jours assemblèrent
À mettre dans l’injure une étrange vertu
Aragon.
1Aragon a fort bien noté, dans le style télégraphique – et cryptique – de son Projet d’histoire littéraire contemporaine1, les circonstances qui ont amené André Breton, Philippe Soupault, Théodore Fraenkel, lui-même, et plus tard René Hilsum et Paul Éluard à fréquenter les mêmes lieux et les mêmes hommes, à collaborer aux mêmes revues, à s’intéresser aux mêmes problèmes et ont, de ce fait, favorisé leur rencontre. Chacune des touches rapides de ce schéma représente l’une des mailles du filet qui, se resserrant autour des jeunes gens, finit par les réunir et du même coup les isoler du reste du monde. Ces problèmes, c’étaient l’« esprit nouveau », le « cubisme littéraire », les « querelles montmartroises » ; ces revues, outre SIC et Nord-Sud, se nommaient Les Trois Roses, L’Éventail, La Caravane, etc. ; ces hommes, Apollinaire, Cocteau, Satie, Valéry, Reverdy, Jacob, Allard, Germain, Bertin… ; ces lieux, le Flore, les théâtres, les salons, les galeries2, les librairies.
2Adrienne Monnier relate ainsi sa première rencontre avec Breton :
Quand je [le] connus, il portait l’uniforme bleu horizon de médecin auxiliaire aux armées. Il séjournait dans je ne sais quelle ville de province mais il venait souvent à Paris. Il ne connaissait pas encore Aragon et Soupault. Lui, comme les deux autres, fut d’abord client de passage, puis client assidu de ma librairie3.
3La carrière fulgurante du théoricien et du directeur de conscience du surréalisme a rejeté dans la pénombre cet André Breton-là, le très jeune homme de vingt ans, ne laissant rien paraître de la révolte qui l’animait en profondeur, extérieurement suiveur de la mode, affichant son admiration pour Apollinaire, mais plus secrètement épris de Valéry, de Mallarmé, ses vrais maîtres à écrire4 et déjà appliqué à les bien imiter : de cette étonnante écriture nette, ronde et imperturbablement semblable à elle-même5 ; de ce style infiniment recherché et parfaitement classique, amoureusement jaloux de la pureté de la syntaxe et qui ne devait jamais toucher que du bout de la plume aux outrances dadaïstes. Dès son adolescence, il composait des vers de très belle venue dont certains nous ont été communiqués par son ami Théodore Fraenkel. Ses premiers poèmes publiés6, dont « Rieuse », sonnet dédié à Paul Valéry, étaient si manifestement dans le goût mallarméen qu’on pourrait sans grand effort les attribuer à l’auteur du « Bel aujourd’hui ». Rien d’étonnant si le premier sonnet, cette « Rieuse », fit écrire à Valéry : « Le langage que je ne sais plus parler, je l’entends encore. »
Rieuse et si peut-être imprudemment laurée
De jeunesse qu’un faune accouru l’aurait ceinte
Une Nymphe au rocher qui l’âme (Sinon peinte
L’ai-je du moins surprise au bleu de quelque orée).
Sur la nacelle d’or d’un rêve aventurée
– De qui tiens-tu l’espoir ? D’où ta foi dans la vie ? –
Des yeux refléterait l’ascension suivie
Sous l’azur frais, dans la lumière murmurée…
– Non plutôt de l’éden où son geste convie
Mais d’elle extasiée en blancheur dévêtue
Que les réalités n’ont encore asservie :
Caresse d’aube, émoi pressenti de statue,
Éveil, aveu qu’on n’ose et pudeur si peu feinte,
Chaste ingénuité d’une prière tue.
4Comme la plupart des adolescents, Breton se sentait tiraillé entre les désirs apollinariens, contradictoires et simultanés, de l’« ordre » et de l’« aventure ». D’un côté il est l’objet d’un « appel diffus », il « éprouve, entre ces murs, un appétit indistinct pour tout ce qui a lieu au dehors7 ». De l’autre il sent bien qu’il lui faut prendre une place dans cette société qu’il réprouve. Mais comment concilier les errances de Breton de l’une à l’autre des revues postsymbolistes de l’époque avec les déclarations des Entretiens (1952), selon lesquelles le démon qui le possédait alors n’était aucunement le démon littéraire et qu’il ne brûlait pas de l’envie d’écrire8 ? Rien de plus normal d’ailleurs à cet âge que de se trouver des maîtres et de les adorer. Rien de plus normal que de se révolter contre eux par la suite avec une fougue égale à l’amour qu’on leur avait porté. Mais pour ce faire, on disposera des seules armes qu’on leur a empruntées, celles du style en particulier. Ce principe général s’applique d’autant mieux à Breton que celui-ci était l’homme des passions soudaines, entières et catégoriques qui l’entraînaient, sans qu’il en pût mais, vers des grands hommes divers9, tous également attachants, mais figures de proue d’esthétiques antinomiques : Valéry et Mallarmé, Apollinaire et Reverdy, Rimbaud, enfin Vaché.
5C’est de ce Breton de 1916, au sortir d’une adolescence difficile, incapable de s’orienter de sa propre volonté, qu’Adrienne Monnier brosse un portrait somme toute ressemblant.
Il était beau, d’une beauté non pas angélique, mais archangélique […]. Le visage était massif, bien dessiné ; les cheveux étaient portés assez longs et rejetés en arrière avec noblesse ; le regard restait étranger au monde et même à soi, il était peu vivant, il avait la couleur du jade. Breton ne souriait pas, mais il riait parfois d’un rire court et sardonique qui surgissait dans le discours sans déranger les traits de son visage, comme chez les femmes soucieuses de leur beauté. […] Ce que le visage de Breton avait peut-être de plus remarquable, c’était la bouche lourde et excessivement charnue. La lèvre inférieure, d’un développement presque anormal, révélait, suivant les données de la physiognomonie classique, une forte sensualité gouvernée par l’élément sexuel, mais la fermeté de cette bouche et son dessin rigoureux dans l’excès même, indiquaient une personne très concentrée qui mélangerait le devoir et le plaisir, ou plutôt qui les imbriquerait10.
6Sous les outrances et les imperfections de cette charge, on reconnaît bien l’homme. Cette permanence fondamentale rend assez peu plausible les changements soudains qu’on a voulu déceler dans son existence (notamment au contact de Vaché), et explique en revanche assez bien qu’il ait pu traverser Dada sans en être affecté autrement que dans son comportement extérieur.
7Breton était alors interne provisoire au centre neurologique de l’hôpital auxiliaire 103 bis, rue du Boccage, à Nantes. Il avait été mobilisé peu après la déclaration de guerre, dans l’artillerie, l’arme d’Apollinaire. Comme il avait suivi depuis 1913 les cours du P.C.N. (certificat d’études physiques, chimiques et naturelles) alors préalables à l’accès au cursus médical, on l’avait muté au service de Santé.
8C’est à Nantes qu’il fit la connaissance d’un jeune militaire, en traitement à son hôpital pour les séquelles d’une blessure au mollet, et qui avait nom Jacques Vaché. Ce grand jeune homme roux, portant beau, avait délaissé les Beaux-Arts pour en pratiquer un autre à plein temps : l’oisiveté. Dès les premières conversations qu’il eut avec Breton au cours de ses loisirs forcés, il subjugua son jeune ami autant par ses attitudes et son comportement que par l’exposé de sa « philosophie », qui reposait toute entière sur sa conception de l’« umour » (« Il y a beaucoup de formidable UBIQUE aussi dans l’umour [qui dérive d’une] sensation – j’allais presque dire un SENS – aussi – de l’inutilité théâtrale [et sans joie] de tout11 ») et une affectation de souverain mépris, et quasi général, pour la littérature et l’art. On sait l’importance que Breton n’a jamais cessé d’attacher à cette jonction qui, dans la légende surréaliste, a pris des proportions fantastiques et, pour tout dire, démesurées. Car la valeur littéraire des quelques Lettres de guerre laissées par Vaché et publiées après sa mort par Breton12, ne saurait suffire à rendre compte de l’extraordinaire élan d’enthousiasme que le personnage déclencha chez ce dernier et, par contagion, chez ses amis du moment. « Je l’ai vu couvert d’une cuirasse, écrit A. Breton, couvert n’est pas le mot, c’était le ciel pur. Il rayonnait avec cette rivière au cou, l’Amazone, je crois, qui arrose encore le Pérou. Il avait incendié de grandes parties de forêt-vierge, on le voyait à ses cheveux et à tous les beaux animaux qui s’étaient réfugiés en lui13. » Seuls un texte poétique « Blanche acétylène » et un embryon de nouvelle, « Le sanglant symbole », (dont le héros est Fraenkel), offrent un certain intérêt pour notre propos : ce sont en effet des divagations dadaïsantes, mais probablement écrites sous l’influence de l’opium14.
9La question se pose ici de savoir si Vaché avait pu avoir vent des activités de Tzara et des dadaïstes de Zurich. L’absence de toute mention de Dada dans celles des lettres de Vaché qui nous sont parvenues a conduit Breton à s’exprimer nettement sur ce point : « Dada n’existait pas encore, et Jacques Vaché l’ignora toute sa vie15. » Or il se peut que la mémoire de Breton l’ait, pour une fois, trahi, car les faits semblent s’inscrire en faux contre cette affirmation. En effet, non seulement Dada existait à Zurich depuis 1916, mais encore cette existence était, nous l’avons vu, connue à Paris peu de temps après : il serait donc surprenant que Vaché, ami de Breton depuis 1916, ait été l’un des rares à ignorer ces activités si proches de ses préoccupations. Cependant, aucun document d’époque ne permettait de se prononcer avec certitude. Cette lacune a été comblée grâce à notre découverte dans les années 50 d’une lettre adressée par Philippe Soupault à Tristan Tzara le 17 janvier 191916 : « Je tiens aussi à vous envoyer tous mes compliments pour le manifeste17 vraiment étonnant et qui me plaît absolument. Je l’ai lu à plusieurs amis, André Breton, Louis Aragon, et Jacques Vaché […]. Mon ami Jacques Vaché, très enthousiasmé par le manifeste et qui est l’homme, je crois, le plus près de vous […] vous enverra vraisemblablement quelques écrits18. »
10On peut conclure de cette lettre que le jeune opiomane avait été informé, au plus tard le jour de sa mort19, de la publication d’un texte essentiel du dadaïsme ; que ses textes cités plus haut (« Blanche acétylène » et « Le Sanglant symbole ») auraient pu être inspirés par les productions dadaïstes zurichoises parues dans Dada ou ailleurs ; qu’il se préparait à entrer, comme ses amis, en littérature20. Cette dernière conclusion est corroborée par une lettre à Breton parue dans le recueil des Lettres de guerre21 et à laquelle Vaché avait joint des « notes » destinées à être publiées dans les « gazettes mal famées » (Littérature ? Dada ?). Le ton enjoué de cette lettre, l’humour jarryque qu’elle respire paraissent contredire l’hypothèse du suicide qu’on a avancée pour expliquer sa mort. On sait en effet que Vaché mourut le 6 janvier 1919 à Nantes en compagnie d’un ou deux de ses amis, pour avoir absorbé une trop forte dose d’opium. Les constatations médicales, les rapports de police conclurent à l’accident et les toutes dernières lettres du jeune homme viennent étayer cette thèse. Mais plusieurs déclarations de Vaché quelque temps avant l’événement, ainsi que des références à une mort imminente contenues dans certaines lettres, ont conduit Breton à envisager l’éventualité d’un suicide, peut-être compliqué d’un crime. En fait, malgré les compléments d’information apportés par des études récentes, l’affaire demeure très mystérieuse et a récemment inspiré de nouveaux examens22.
11Quelques réserves qu’on puisse faire sur le legs littéraire de ce premier « suicidé » du surréalisme, il reste que le personnage lui-même mérite de retenir l’attention. Il nous est en effet présenté par certains comme l’incarnation de Dada, avant la lettre. « Le premier […] il insista sur l’importance des gestes23. » « Vaché, c’est Dada avant Dada, Dada dans toute sa pureté, sans compromission, sans concession à aucun snobisme. Le premier, il affirma que l’angoisse de l’homme ne se traduit pas par des mots, des sons ou des couleurs […]. Il eût admis l’esprit dada, il n’eût pas goûté la littérature dadaïste24. »
12Hélas pour la légende, ce contempteur de l’art nourrissait lui aussi des ambitions littéraires ! Ce premier « poète des attitudes » accusait dans tout son comportement un souci de snobisme à peu près inconnu des vrais dadaïstes (l’exception Rigaut étant peu probante). Au vrai, ses manières d’enfant gâté, son dandysme méticuleux d’intoxiqué et son anglomanie primaire composent un personnage assez peu conforme à l’image qu’on peut se forger du dadaïste type. Le récit de ses exploits suscite chez l’observateur objectif une irritation amusée. « En se fondant sur ses seules lettres, écrit péremptoirement John Richardson, il est impossible d’acclamer comme un génie ce psychopathe25. »
13Son comportement26 à la représentation des Mamelles de Tirésias, le 23 juin 1917, et dont les surréalistes devaient faire tant de cas, ne différa guère de celui de maints militaires en permission, peut-être un peu gris, ravis de faire étalage de leur panoplie guerrière devant un public désarmé, et qui terminent la soirée au poste de police sans pour autant inspirer les poètes, sinon contre eux. Pour rendre compte de cette admiration de Breton, si souvent manifestée, il faut, nous semble-t-il, faire intervenir un certain nombre de facteurs d’ordre psychologique.
14Remarquons tout d’abord que le mythe Vaché est une construction de Breton et, pratiquement, de Breton seul27. Peu de gens l’ont connu, moins encore en ont parlé. Quant aux écrits le concernant, ils sont rarissimes28. Sauf dans ses Lettres, on trouve peu de traces de ses mouvements et sa mort elle-même reste entourée de mystère. Il ne découle pas de ce qui précède que le cas Vaché a été « inventé » par Breton, comme on l’a voulu dire, pour se découvrir a posteriori un précurseur dadaïste, ou pour d’autres fins assez obscures. La rectitude intellectuelle et morale de l’auteur des Pas perdus interdisent de retenir ces hypothèses. Mais l’interprétation de ce cas, son insertion dans un complexe très particulier sont dues à un phénomène de cristallisation dont on pourrait trouver maints exemples dans la littérature du début de ce siècle29. Jacques Vaché a dû représenter pour le jeune poète qui traversait l’un des moments les plus difficiles de sa vie30, qui commençait à voir qu’il ne ferait pas ce qu’il voulait, et dont l’extrême sensibilité31 était toujours à vif, un pôle d’attraction paré de tous les attributs de l’amitié virile :
J’ai connu un homme plus beau qu’un mirliton. Il écrivait des lettres aussi sérieuses que les Gaulois. Nous sommes au xxe siècle (de l’ère chrétienne) et les amorces partent sous les talons d’enfants. Il y a des fleurs qui éclosent spécialement pour les articles nécrologiques dans les encriers. Cet homme fut mon ami32.
15On peut concevoir l’attrait qu’exerça sur un esprit encore vacant ce personnage sulfureux dont l’existence se déroulait sur un mode antithétique de celle de Breton : ce dernier était la civilité même ; Vaché, lui, ne disait ni bonjour ni bonsoir, ne répondait pas aux lettres des importuns, affectait de ne pas reconnaître ses amis de la veille. Breton et ses amis avaient hérité de la fréquentation des auteurs romantiques le culte de la femme idéalisée ; Vaché pratiquait à l’endroit de sa maîtresse, Louise, la plus hautaine indifférence. À Breton qui en était encore à rechercher devant les « nécessités de la vie » le secours de la poésie et les « conséquences des rêves », Vaché proposait l’exemple d’une vie « faite poésie », c’est-à-dire adaptée chaque jour, à la force du poignet et de l’esprit, aux exigences extrêmes de sa fantaisie.
16C’était pourtant l’archétype de Vaché que le poète Breton, « objet d’un appel diffus33 », recherchait confusément dans ce Rimbaud qui lui faisait douter de son cher Valéry et à qui il ne pouvait en aucune manière prétendre s’identifier34, ou dans ce Cravan, boxeur-poète « aux cheveux les plus courts du monde ». Et c’est encore Vaché, n’en doutons pas, qu’il devait rechercher obstinément dans le vandalisme dada.
17Car Vaché n’exista pour Breton que le temps d’un éclair : quelques promenades dans les rues de Nantes puis, à partir de mai 1916 (Vaché ayant été envoyé au front comme interprète à l’état-major de la 517e division britannique), cinq ou six rencontres hâtives au hasard d’une permission… Mince bagage de souvenirs, suffisant catalyseur cependant pour amorcer un processus de « mythification ».
18Historiquement en effet, la chance (certains ont dit le talent) de Vaché fut de mourir à temps. Ses dernières lettres laissent percer sous les ricanements forcés et les formules pataphysiciennes une certaine inquiétude : celle de ne pouvoir tenir longtemps encore un rôle écrasant35. Plutôt que d’offrir à ses amis le lamentable spectacle d’un héros devenu bourgeois comme tant d’autres36, il se prépara une mort qui pouvait, à l’imagination passionnée d’un Breton, passer pour une dernière « fourberie drôle37 » et atteindre ainsi à une certaine grandeur tragique.
19Quoi qu’il en soit, la réalité des faits touchant à la vie et à la mort de Vaché n’est pas ici en cause. Peu importe, en définitive, l’incident qui donne naissance au mythe, qui fut réellement Elvire, si nous avons les Méditations. Ce qui compte, c’est que, sans ce contact avec Vaché, Breton n’eût peut-être pas été aiguillé vers des activités plus subversives : peut-être par exemple n’eût-il pas été suffisamment préparé pour percevoir les signaux de Tzara38.
20Cette transformation, toutefois, ne s’opéra pas brutalement. Dans les dernières années de la guerre, l’influence de Vaché ne se traduisit par aucune modification visible des vues littéraires de Breton. Dans Mont de Piété, choix de poèmes, effectué chronologiquement par l’auteur lui-même, parmi ses œuvres écrites de 1913 à 191939, publié le 10 juin 1919, et qui peut donc légitimement tenir lieu de jalon quant aux conceptions littéraires du poète à cette date, le ton est encore à peu près uniformément mallarméen ou mollement cubiste40.
21À la lecture de ce recueil, répétons-le, on ne peut déceler dans la manière de Breton de changement brusque correspondant à sa rencontre avec Vaché. En revanche, la mort de ce dernier semble l’avoir fortement éprouvé et rendu sensible à d’autres influences, notamment celle de Dada, dont l’avènement semblait si bien annoncé par les dernières phrases de Vaché :
[…] d’accord, nous avions résolu de laisser le MONDE dans une demi-ignorance étonnée, jusqu’à quelque manifestation satisfaisante et peut-être scandaleuse. Toutefois, et naturellement, je m’en rapporte à vous pour préparer les voies de ce Dieu décevant, ricaneur un peu, et terrible en tout cas – Comme ce sera drôle, voyez-vous, si ce vrai ESPRIT NOUVEAU41 se déchaîne ! […] Apollinaire a fait beaucoup pour nous et n’est certes pas mort ; il a, d’ailleurs, bien fait de s’arrêter à temps. C’est déjà dit, mais il faut répéter : IL MARQUE UNE ÉPOQUE. Les belles choses que nous allons pouvoir faire ; – MAINTENANT42 !
22Les considérations qui précèdent valent, dans les grandes lignes, pour Louis Aragon, le deuxième membre du « club des médecins », assise du futur édifice dada. En 1916, Aragon offrait, tout comme Breton, son aîné d’un an, l’apparence du « littérateur43 », et du littérateur mondain. De même origine bourgeoise et de formation universitaire analogue, barrésien endurci dès l’enfance44 et rousseauiste45, il prit brutalement contact avec les réalités de la vie par le canal de l’armée et de la guerre. Romantique au fond de l’âme, il était atteint d’un mal du xxe siècle fort peu dissemblable du mal du siècle, mais qui eût été revu et corrigé par Stendhal : très tôt il se prit d’admiration pour ce dernier, son esthétique, sa « morale », pour l’homme Beyle même, au demeurant assez peu aimable, mais dont l’action politique n’allait pas laisser d’inspirer ses années de maturité.
23Pour l’heure, baigné dans cette société brillante et cultivée jusqu’à l’étiolement, où il avait vécu sa jeunesse, il s’était contenté d’en enregistrer, dans sa prodigieuse mémoire, les détails, jusqu’aux plus infimes, les défauts et les tares46. Mais, pour le monde extérieur, Aragon était un jeune homme d’une élégance raffinée, d’une infinie délicatesse et expert dans le maniement de la langue française47 :
Louis Aragon était alors en pleine possession de son prénom et d’une ombre de moustache. C’était bien le plus gentil, le plus sensible garçon qu’on eût su voir. Et le plus intelligent aussi48. Avec lui, on pouvait s’entendre.
Il adorait la poésie sans lui demander trop d’insolite. Quand je le connus, il faisait, je crois, sa première année de P.C.N. Il avait un Verlaine et un Laforgue dans ses poches et il était choqué de la grossièreté de ses camarades. Je me souviens d’une de nos premières conversations où il me confia que l’ineptie et l’obscénité des propos qu’il entendait à l’amphithéâtre n’étaient pas loin de lui mettre les larmes aux yeux49.
24Comment, par quel « itinéraire », ce transfuge des beaux quartiers, cet admirable styliste, ce jouvenceau au cœur tendre, en vint-il à épouser la querelle dadaïste ? De mystérieux refoulements enfantins et familiaux, le traumatisme infligé par la guerre aux esprits sensibles d’une génération de jeunes bourgeois furent sans doute le point de départ. Inscrit au P.C.N. pour l’année scolaire 1914-1915, il mena quelques mois encore la vie somme toute privilégiée des étudiants de l’époque. Entre les cours de Sorbonne et ceux de l’institut d’Océanographie, il composa ses premiers poèmes qu’il ne devait réunir qu’en 1920. La guerre n’était encore pour Aragon qu’un fond sonore lointain.
Et lorsqu’on mourait à Vimy
Moi j’apprenais l’anatomie50.
25Du reste, on ne voulait pas de lui dans cette tragédie. Par deux fois (en 1915 et 1916), il avait été ajourné. Mais l’hémorragie de personnel devenant tragique, il fut finalement appelé le 20 juin 1917. On manquait de médecins au front : après ses classes, il fut incorporé à la 22e section d’infirmiers militaires, puis, le 15 septembre, détaché à Paris pour y suivre les cours, dispensés au Val-de-Grâce, en vue de la formation accélérée de « médecins auxiliaires », titre ronflant donné à des soldats de 2e classe, appelés à jouer le rôle d’infirmiers, et souvent, hélas ! celui de véritables médecins. C’est au Val-de-Grâce qu’Aragon fit la connaissance d’André Breton. Puis, nommé médecin auxiliaire le 9 avril 1918, le jeune « récupéré » se porta volontaire pour les Armées, fut affecté au 355e régiment d’infanterie le 20 juin et s’y conduisit en héros51. Mais le spectacle dantesque, qu’il a souvent décrit, de l’horreur des corps massacrés et des souffrances inhumaines, l’atteignit comme un coup de cravache en pleine face. Par une réaction immédiate, due à l’instinct de conservation le plus primitif, Aragon entreprit de traiter par le mépris les contraintes mêmes qui l’assujettissaient52. Mais on ne peut s’y tromper : sous cette affectation hautaine et ces violences d’un langage férocement châtié qui allaient caractériser la manière de l’Aragon dadaïste et surréaliste, c’étaient les plaintes d’un enfant blessé et l’orgueil d’un Fabrice del Dongo moderne qui se dissimulaient. Les grands thèmes romantiques de la douleur et de l’amour, un amour sublime et amer, envahissant jusqu’à la limite, à la fois platonique et sensuel, s’accompagnaient des velléités d’un don juanisme fou53, peut-être inspiré par Apollinaire (Vitam Impendere Amori), et que nous retrouverons à chaque pas de la démarche surréaliste.
26Ce repli d’une affectivité meurtrie, ce « transfert » dans le domaine du poétique et de la communion amoureuse, apparaissent donc sous un jour plus cru dans le cas d’Aragon que dans celui de Breton, personnalité plus complexe et mieux protégée. Ils se manifestèrent cependant par une même admiration idolâtre pour certains grands hommes de l’heure, Valéry, Reverdy, Apollinaire, encore qu’elle ne fût pas toujours sans réserve chez Aragon, ni même que ses protestations fussent toujours totalement sincères54.
27Pas plus que Breton en effet (et en dépit de toutes les tentatives entreprises a posteriori pour donner un sens positif aux recherches des deux hommes)55, Aragon, en 1916-1917, ne savait exactement dans quelle direction s’engager, tout en ayant, au moins dans son subconscient, coupé les ponts derrière lui.
28Né en 1897, comme Aragon, lié aussi et plus étroitement encore à la même bourgeoisie cossue, Philippe Soupault ne paraissait réunir aucune des conditions préalables à la formation d’un bon dadaïste. Fils d’un médecin des hôpitaux, allié à la grande famille des Renault56, admis à fréquenter les meilleures maisons, il eût dû « finir », comme on dit, dans une des seules professions reconnues dans ces familles où règne encore un énergique esprit de caste, « patron » dans quelque hôpital parisien, bâtonnier du barreau, peut-être le Conseil d’État. Mais visiblement le jeune Philippe était destiné à ruer dans les brancards : d’abondantes et fort éclectiques lectures, des voyages en province, en Allemagne, lui firent apparaître l’aspect étriqué et conventionnel de l’existence qui lui était promise. Et, en juillet 1914, « devant la Tamise qui charriait des cargos » dans cette cité de Londres, initiatrice de la « Chanson du mal-aimé », Soupault se sentit tout à coup « devenir poète57 ». Ses premiers vers, repris dans Westwego (1922), accusent naturellement des influences, tout comme ceux d’Aragon ou de Breton, mais alors que ces derniers s’inspirent respectivement des ritournelles apollinariennes58 et des subtilités mallarméennes, c’est peut-être au Cendrars des Pâques à New York et de la Prose du Transsibérien que font penser les poèmes composés par Soupault avant et pendant la guerre.
29La guerre… Le 2 août 1914, Soupault avait exactement dix-sept ans. Pour lui aussi, le choc allait être terrible. Immédiatement touché dans sa famille (deux frères mobilisés), incapable de trouver une raison logique à la tuerie, dont les résultats palpables se voyaient déjà dans les hôpitaux de l’arrière, l’adolescent se réfugia, comme Aragon et Breton qu’il ne connaissait pas encore, dans le monde de la poésie. Ajourné une première fois en 1916, il fut déclaré apte au service armé six mois plus tard. Délaissant des études de droit qu’il avait abordées sans joie59, il se vit affecté comme canonnier-conducteur au 33e régiment d’artillerie à Angers, puis à un peloton d’élèves-officiers dont il ne réussit qu’à sortir 1ère classe. De retour dans sa compagnie, il fut, avec ses camarades, soumis à titre expérimental à une nouvelle vaccination contre la typhoïde, puis envoyé au front. Mais il n’y parvint jamais. Car le fameux vaccin avait fait de tels ravages que ceux qui en réchappèrent durent être hospitalisés à Creil, puis ramenés à Paris. Soupault passa ainsi plusieurs mois à l’hôpital auxiliaire du 172, boulevard Raspail, où entre des périodes de prostration complète il trouva cependant la force d’étudier60 et d’écrire. En février 1917, il envoya à Guillaume Apollinaire son premier poème, « Départ », signé Philippe Verneuil61.
L’heure…
Adieu
la foule tournoie,
un homme s’agite.
Les cris
des femmes autour de moi…
chacun se précipite
me bousculant
Voici
que, le soir tombant
J’ai froid.
Avecque ses paroles, j’emporte son sourire.
30Bien que ce texte n’eût rien d’enthousiasmant pour l’auteur de Calligrammes, celui-ci, avec sa sollicitude habituelle, intervint auprès de Pierre Albert-Birot pour qu’il le fît paraître dans sa revue SIC62.
31C’est par le truchement d’Apollinaire que Soupault fut mis en relation avec Breton. Le 10 mai 1916, celui-ci était allé rendre visite à l’auteur d’Alcools à la Villa Molière, boulevard de Montmorency, où le poète avait été trépané la veille. Depuis cette date, Breton avait assidûment fréquenté Apollinaire. Il était un habitué des mardis du Café de Flore et s’était vu admis dans l’intimité du « réduit », tout en haut du 202, boulevard Saint-Germain. Soupault, de son côté, éprouvait pour Apollinaire un semblable enthousiasme : « Je ne puis me souvenir sans émotion, parce que je lui dois tant, qu’un matin gris de l’hiver 1917, j’achetais un numéro de la revue Nord-Sud que dirigeait Pierre Reverdy et je lus ces quelques vers :
Ta langue
le poisson rouge dans le bocal
de ta voix63.
32Il avait été admis à serrer la main du poète, courant 1917, à l’occasion d’une matinée poétique donnée au bénéfice de l’O.S.T. (Œuvre du Soldat dans la Tranchée), au cours de laquelle avait été récité un poème de Soupault. Le maître invita son jeune admirateur à le rejoindre au Café de Flore le mardi suivant et le présenta à un certain nombre d’autres poètes dont Pierre Reverdy, Max Jacob et André Breton. Celui-ci éprouva instinctivement à son égard une sympathie qui fut réciproque. Il nous décrit ainsi sa première impression :
Il était comme sa poésie, extrêmement fin, un rien distant, aimable et aéré. Dans la vie quotidienne, on ne le retenait pas longtemps. Il aimait, sans grand discernement, tous les voyageurs – Rimbaud, peut-être en grande partie à ce titre, le Valéry [sic] Larbaud de Barnabooth, le Cendrars du Transsibérien qu’il connaissait personnellement et qui lui avait découvert Arthur Cravan. Il avait assez peu lu, bien qu’il fût assez fortement teinté de littérature anglaise64.
33C’est sans doute par Soupault que s’effectua la transition entre le poème « comme il vient », « à l’abri de tout repentir65 », tel que le concevait Apollinaire (dans le « poème-conversation » par exemple) et l’écriture automatique dont nous aurons à reparler66. Sa manière de composer67 accusait un esprit libre, original et résolu à explorer des terres nouvelles.
34Breton entraîna son nouveau camarade à La Maison des Amis des Livres (c’était le nom de la librairie d’Adrienne Monnier68) dont la propriétaire nous a laissé de Soupault l’aimable portrait que voici :
Soupault était à la fois le plus gracieux et le plus griffu des trois [Aragon, Breton, Soupault]. Sa diablerie était peut-être moins naturelle ; à la réflexion, elle était naturelle, mais chez lui, c’était plutôt nervosité personnelle – les nerfs donnent de bonnes griffes. En même temps, il avait du cœur et de l’éducation, l’un renforçant l’autre. Il se blessait donc beaucoup plus qu’il ne blessait autrui, et il lui en coûtait singulièrement de se mettre en guerre contre la société. Je me demande si, au départ, ce ne fut pas lui le plus héroïque69.
35Avec son intuition féminine, la candide libraire avait mis le doigt sur ce ressort fondamental du personnage, sa « nervosité » qui a échappé à l’œil attentif de bien des critiques et qui, jointe à une extraordinaire faculté de « mise en disponibilité » de son esprit, allait faire de Soupault le personnage sans doute le plus fécond en idées nouvelles du mouvement Dada parisien70.
36Il fut le premier des « trois » à faire paraître un ouvrage : le mince recueil de ses poèmes de guerre, Aquarium, tiré à compte d’auteur chez l’imprimeur Paul Birault en 1917, et où ce « sens aigu du moderne71 » dont parle Breton n’apparaît point encore très nettement.
37Le quatrième mousquetaire du groupe qui devait devenir le noyau de Dada était un personnage curieux et resté trop peu connu nommé Théodore Fraenkel. Ami d’enfance de Breton, qu’il avait connu sur les bancs du collège Chaptal72 en 1911, il était exactement du même âge73, avait suivi la même filière (P.C.N.) et avait de ce fait été versé, à sa mobilisation en avril 1915, dans les services de Santé. On retrouve les deux jeunes gens à Nantes en 191674, puis en 1917 au Val-de-Grâce et chez Adrienne Monnier. C’est alors que, pour un temps, leurs routes divergèrent. En effet, pendant que Breton passait au centre psychiatrique de Saint-Dizier, Fraenkel, qui avait une bonne connaissance des langues slaves, fut envoyé avec un groupe de trois ambulances en Russie où les combats de la révolution faisaient rage. Parti en juillet 1917, il y demeura jusqu’à l’établissement du régime soviétique en mars 1918, après quoi il prit à Petrograd un bateau pour la Norvège et rentra en France juste à temps pour être engagé dans les derniers assauts contre l’Allemagne. Hormis le temps qu’il passa en Russie, on le vit régulièrement deux ou trois jours par mois à Paris. Après sa démobilisation, en décembre 1918, il allait prendre une part plus active aux manifestations dadaïstes.
38Mais, dès 1917, Fraenkel qui, n’écrivant pas, ne pouvait être suspect d’allégeances littéraires, qui « aimait Alfred Jarry et incarnait un humour froid, coupant comme un scalpel75 », qui ne reculait devant aucun geste ni aucune aventure76, faisait figure de recrue idéale pour le mouvement77.
39Si l’on se replace donc à la fin de 1918, on voit aisément que, des postulations nombreuses et diverses qui étaient chères au cœur et à l’esprit de Breton, d’Aragon et de Soupault, rien encore ne transparaissait dans leur production littéraire, ni même dans leur comportement extérieur. Les jeunes gens se retrouvaient tous les matins à la sortie du Val-de-Grâce pour aller prendre leur café au lait dans une crémerie du boulevard Saint-Michel, avec d’autres militaires en stationnement à Paris : Louis de Gonzague-Frick, affecté au sous-secrétariat du Blocus, Roger Allard, Fernand Fleuret et un autre étudiant en médecine, Pierre Bertin, dont la famille habitait en face de l’Hôpital militaire et qui partageait leur goût pour la poésie et le théâtre moderne.
40Sur le plan de la création littéraire et pour situer la position relative des futurs dadaïstes parisiens, il est intéressant – sans attacher à cette confrontation plus d’importance qu’il ne convient – de comparer les poèmes et articles publiés par les membres du groupe Littérature d’une part, et par Tzara de l’autre, dans les revues en langue française de 1917-191878 et en particulier SIC et Nord-Sud. Remarquons tout d’abord que ces collaborations débutèrent à quelques mois d’intervalle en 191779 : le nom de Soupault apparut en mars dans SIC et en septembre dans Nord-Sud ; celui de Breton en mai dans Nord-Sud ; Dermée respectivement en décembre 1916 (SIC) et en mars 1917 (Nord-Sud) ; Aragon en mars 1918 dans les deux revues ; Tzara en juillet 1917 dans Nord-Sud et en octobre dans SIC.
41De Soupault, le premier poème en date était ce « Départ », signé Philippe Verneuil, et qui porte trop ouvertement les stigmates de l’apprentissage pour nous intéresser ici80. Les suivants, très variés dans la forme, accusent à la fois l’incertitude du jeune poète et son extraordinaire faculté d’assimilation, qui n’est point, par moments, sans rappeler celle de Cocteau : « Déception », « poème à trois voix » paru en août 1917, guigne du côté du simultanéisme ; « Promenade », à peu près contemporain, est une « ballade retournée » qui fait songer à Reverdy :
Deux voix se choquaient en rebondissant
On dirait la mer
et voici des arbres
les pas les paroles et les troncs râpeux
là-haut le soleil choisit des feuilles mortes […]81
42Plus tard – mais à ce moment, il aura déjà repris contact avec Dada – Soupault s’intéresse à des recherches cinématiques avec des « photographies animées » et « Indifférence », « poème cinématographique », daté de décembre 1917, qui porte, plus d’un an avant les Champs magnétiques, le titre prémonitoire de « scénario automatique ». En fait, Soupault paraît bien avoir été à cette époque le plus résolument moderne et en tout cas le plus aventureux des « Trois Mousquetaires » parce que le plus disponible et le moins esclave d’écoles ou de maîtres appartenant au passé.
43Tel n’était pas le cas de Breton. Dès ses premiers poèmes, publiés82 dans La Phalange de Jean Royère en 1914, il s’était placé dans le sillage des symbolistes. « Coqs de bruyère », paru dans Nord-Sud de mai 1917, confirmait les dons poétiques exceptionnels du jeune homme, en même temps qu’il accusait des influences : les unes, déclinantes, celles de Saint-Pol Roux, Stuart Merrill, Francis Vielé-Griffin et René Ghil ; les autres, proches et puissantes, de Valéry et de Mallarmé :
Coqs de bruyère… et seront-ce coquetteries
de péril
ou de casques couleur de quetsche ?
Oh ! surtout
qu’elle fripe un gant de Suède chaud
soutenant quels
feux de Bengale gâteries !
Au Tyrol, quand les bois se foncent, de tout
l’être abdiquant un
destin
digne, au plus, de chromos savoureux
mon
remords : sa rudesse, des maux,
je dégage les capucines de sa lettre83.
44Dons et influences plus sensibles encore dans ses poèmes ultérieurs84 et notamment dans ce « L’an suave » publié trois mois plus tard :
Un châle méchamment qui lèse ta frileuse
Épaule nous condamne aux redites. Berger,
Tu me deviens l’à-peine accessible fileuse
(à l’ordinaire jeu ce délice étranger) […]85
45d’autant que, dans le précédent numéro de Nord-Sud, était paru un poème de Tzara, le premier à être diffusé dans une revue française :
la grande complainte de mon obscurité
Regarde mes cheveux ont poussé
les ressorts du cerveau sont des lézards jaunis qui se liquéfient parfois
le pendu
troué
arbre
le soldat
dans les régions boueuses où les oiseaux se collent en silence
chevalier astral tapisseries fanées86.
46On conçoit que ces vers aient pu susciter l’admiration étonnée de Breton. Et encore ces premiers poèmes, choisis par Reverdy parmi les moins agressifs de ceux que lui avait envoyés Tzara87, allaient-ils paraître bien anodins au regard de ceux que publia SIC en octobre 1917 :
retraite
[…] tu portes cloués sur tes cicatrices des proverbes lunaires
lune tannée déploie sur les horizons ton diaphragme
lune œil tannée dans un liquide visqueux noir
vibrations le sourd
animaux lourds fuyant en cercles tangents
de muscles goudron chaleur
les tuyaux se courbent tressent
les intestins bleu88
47et surtout des envolées fulgurantes et des feux d’artifices verbaux, caractéristiques de Dada, où disparaît peu à peu tout effort de construction syntaxique :
Violons lampes une queue une lumière blanche
très blanche fuir soleil et étoiles escargots […]89
48Déjà certains textes de Tzara de 1917-1918 appellent la comparaison avec les Champs magnétiques :
[…] Le collier intact des lampes de locomotives coupées
descend quelquefois parmi nous […]90
49et l’on peut aisément suivre la lente évolution qui se produit au contact de cette poésie d’un genre nouveau, par un curieux phénomène d’osmose91, chez les amis de Breton. La tonalité de leurs propres poèmes se rapproche insensiblement de celle, plus accusée, des vers de Tzara.
50Un parallèle s’impose quelquefois. Par exemple dans le numéro 32 de SIC où nous trouvons face à face « Arc », un long et beau poème du dadaïste zurichois, et une « Photographie animée » de Soupault déjà très éloignée des notations impressionnistes de Philippe Verneuil :
Le banc s’accoude au peuplier qui finira bien par toucher le ciel.
Les nourrices éclateront un jour ou l’autre
J’ai saisi tout à l’heure un moineau qui volait près de mon chapeau et je l’ai
lancé au visage d’un monsieur obèse avec le ferme espoir
de lui crever l’œil
Je souris maintenant mais bientôt.
À demain92 !
51La même observation vaut pour Aragon, dont les premiers textes, publiés en revue, sont aussi agréables à lire que dépourvus d’originalité. Témoin cette résurgence de Cendrars :
soifs de l’ouest
Dans ce bar dont la porte
sans cesse bat au vent
une affiche écarlate
vante un autre savon.
(Dansez, dansez, ma chère,
nous avons des banjos) […]93
52et cette mélodie verlainienne :
fugue
Une joie éclate en trois
Temps mesurés de la lyre
une joie éclate au bois
que je ne saurais pas dire.
Tournez, têtes, tournez rires
pour l’amour de qui ?
pour l’amour de quoi ?
pour l’amour de moi94.
53Dès le début de 1918, toutefois, Aragon s’est engagé dans une autre direction : les « Treize études95 » qu’il donne à SIC (en collaboration avec Breton) dénotent déjà un état d’esprit parfaitement dadaïque, par l’idée comme par la forme. Aragon a lui aussi très vite assimilé les principes de base du « poème » incohérent et les mettra régulièrement en pratique dans les « Critiques synthétiques » qu’il donnera tous les mois à la revue d’Albert-Birot96.
54Parmi les autres influences subies à cette époque par les membres du futur groupe dada parisien, peu étaient d’ordre extra-littéraire.
55Le séjour même qu’avait fait Breton en 1917, comme assistant du Dr Raoul Leroy, au centre psychiatrique de la 2e armée à Saint-Dizier et qui, selon lui, a « compté grandement dans [sa] vie et […] eu sans doute une influence décisive sur le déroulement de [sa] pensée97 », ne se monnaya en l’élaboration d’une théorie consciente que beaucoup plus tard, au moment du premier Manifeste surréaliste (1924). Pour l’heure, Breton et ses acolytes continuaient à fréquenter Valéry, soit chez celui-ci, soit à la faveur de réunions mondaines où le grand poète ne dédaignait pas de venir entendre lire ses vers, par exemple rue Jacob, chez Mrs. Clifford Barney. S’il assortissait ses rapports personnels avec le poète de La Jeune parque des réserves dont il parle dans ses Entretiens98, ses déclarations de l’époque n’en laissent rien percer, et sa correspondance99 avec lui est intense et chaleureuse. « Il honorait toujours ses père et mère, Apollinaire et Reverdy100. » Son admiration pour Jarry, Rimbaud et surtout Lautréamont101 atteignirent à un degré tel qu’il copia, dans la salle des manuscrits de la Bibliothèque nationale, un certain nombre de textes inédits ou introuvables dont certains (les « Poésies » de Lautréamont et « Les mains de Jeanne-Marie » de Rimbaud) devaient paraître dans Littérature l’année suivante.
56Depuis plusieurs mois au moins, Breton et ses amis étaient, nous l’avons vu, au courant des bruyantes manifestations organisées à Zurich, sous l’égide de Dada102. Tzara avait envoyé Cabaret Voltaire (25 mai 1916), puis Dada 1 (juillet 1917) et Dada 2(décembre 1917), entre autres publications, à Guillaume Apollinaire ; l’ex-amie de ce dernier, Marie Laurencin, lui avait de son côté adressé de Barcelone les premiers numéros de 391 (nos 1 à 4, de janvier à mars 1917)103 et, de New York, Gabrielle Buffet avait rapporté les trois suivants (nos 5 à 7, de juin à août 1917)104.
57Or, si le poète d’Alcools avait pris note, sans enthousiasme, mais apparemment sans effroi, des audaces révolutionnaires de son ami Picabia, il avait marqué à l’égard des animateurs du Dada zurichois une très nette réserve. Hugo Ball avait publié, sans autorisation préalable, dans son Cabaret Voltaire, le poème « Arbre » d’Apollinaire. Celui-ci n’avait pas élevé de protestation formelle, mais était fort inquiet de voir ses vers imprimés et loués en Suisse allemande, pays neutre certes, mais de langue germanique, donc suspect au militaire prudent et cocardier qu’il était devenu. Cependant la vue de Cabaret Voltaire avait quelque peu apaisé ses alarmes105.
58Il semble que Tzara lui ait écrit à maintes reprises en 1916 pour obtenir des textes aux fins d’insertion dans Dada106. Le 14 décembre, sollicité une nouvelle fois, il se décida enfin à répondre :
Mon cher Tristan Tzara,
J’aime votre talent depuis longtemps et je l’aime d’autant plus que vous m’avez fait l’honneur de le diriger dans une voie où je vous précède mais ne vous dépasse point.
Je ne vous ai pas écrit plus tôt car jusqu’à maintenant je craignais que vous ne fussiez au-dessus de la mêlée, attitude inadmissible à une époque où le progrès matériel, artistique et moral sont menacés et qu’il faut le défendre victorieusement.
Cela dit je vous enverrai vendredi, c’est-à-dire après-demain, des poèmes et si je trouve quelque chose en prose je vous l’enverrai aussi […]107.
59Très vite, en fait dès réception, l’année suivante, de Dada 1 et Dada 2108, Apollinaire comprit combien sa confiance était mal placée et s’en ouvrit à Breton109. Le 6 février 1918, sur papier à en-tête des Soirées de Paris110, il envoyait à Tzara l’accusé de réception suivant :
Mon cher poète,
J’ai bien reçu Dada 2. Je vous remercie de la note que vous m’avez consacrée.
Toutefois, je ne vous ai pas envoyé de copie parce que la situation de cette revue vis-à-vis de l’Allemagne ne me paraît pas assez nette111. Notez que je n’incrimine nullement l’attitude même de la revue. Je ne me le permettrais pas, cela ne me regardant pas, outre que la tendance générale me paraît conforme aux vues et au patriotisme des Roumains et justement vous êtes roumain, vos vues et votre patriotisme sont ceux de l’Entente. Et d’autre part, je n’ai pas de leçon à vous donner. Mais pour ce qui me concerne, je suis, quoique soldat et blessé, quoique volontaire, un naturalisé, tenu, par conséquent à une très grande circonspection. Je crois qu’il pourrait être compromettant pour moi, surtout au point où nous en sommes de cette guerre multiforme de collaborer à une revue, si bon que puisse être son esprit, qui a pour collaborateurs des Allemands, si Ententophiles qu’ils soient. Je dois cela à mes opinions et à ma conduite même, mais je serais imprudent si j’agissais autrement.
Cordialement
Guillaume Apollinaire112
60Avant de jeter la pierre à Apollinaire, il convient de se rappeler que les dangers qu’il redoutait étaient loin d’être illusoires : les conséquences du « bourrage de crâne » et de l’« espionnite » se faisaient sentir jusque dans la vie quotidienne des citoyens. « Les fils de la censure se resserraient de jour en jour, les lettres étaient retardées, saisies, photographiées113. » Les destinataires de publications en langue étrangère étaient fréquemment soumis à des interrogatoires approfondis, à plus forte raison lorsque ces imprimés, ésotériques ou d’avant-garde, pouvaient passer aux yeux soupçonneux des autorités militaires pour des documents codés. À maintes reprises dans les échanges de correspondances entre Tzara, Breton et Picabia (voir infra pièces n° 1 à 160), il est fait allusion à des obstacles administratifs ou policiers ayant interdit ou retardé les envois de revues dadaïstes entre Zurich et Paris. De par ses fonctions, Apollinaire était bien placé pour savoir tout cela. Il reste qu’abstraction faite de ces considérations extérieures, il ne manifesta jamais ouvertement de sympathie pour le jeune mouvement zurichois114. Et rien ne permet d’affirmer qu’il se fût montré ultérieurement plus compréhensif115.
61On peut donc penser que Breton, sensible à l’ascendant qu’exerçait sur lui le grand poète, a dû, au début du moins, faire sienne sa circonspection à l’égard de Dada. En tout état de cause, il est impossible qu’il ait ignoré le mouvement zurichois, au moment même où il se manifestait. Ce fait est d’importance pour la suite des événements.
62La troisième livraison de la revue Dada parut en décembre 1918. Apollinaire ne la vit donc jamais, heureusement pour lui, car avec ce numéro, né de la jonction épistolaire de Tzara et Picabia, Dada faisait une entrée fracassante. Mais Guillaume était mort le 9 novembre et l’on sait que la triste nouvelle se perdit aussitôt dans le brouhaha des réjouissances publiques accueillant l’Armistice. Sa disparition créa un vide immense dans la vie littéraire parisienne et laissa Breton et ses amis totalement désemparés, d’autant que quelques semaines plus tard, en janvier 1919, leur parvenait le bruit du décès de Jacques Vaché. C’est, nous semble-t-il, la succession rapide de ces accidents qui poussa Breton à accorder une importance aussi grande au Manifeste Dada 1918116. Le texte capital de Tzara contenu dans Dada 3 arrivait à point nommé pour lancer les jeunes poètes dans une direction nouvelle, polariser leur besoin d’action, et sublimer en quelque sorte l’attention chaleureuse dont ils avaient entouré les faits et gestes de Vaché117. Or, le premier numéro de Littérature parut le 19 mars 1919 et contenait précisément un compte rendu des Vingt-cinq poèmes de Tzara. Il est surprenant de noter qu’aucun critique, à notre connaissance, n’a relevé l’étrange coïncidence qui voulait que Breton, jusque-là serviable relation de Valéry et d’Apollinaire, songeât soudain à mettre à exécution un projet déjà vieux de plusieurs mois, à savoir le lancement d’un périodique d’avant-garde, et ce quelques semaines seulement après avoir eu en main les numéros zurichois de Dada et ce Manifeste 1918dont il reconnut lui-même la force explosive. Soupault, avec sa candeur habituelle, a peut-être inconsciemment vendu la mèche : « La révolte fermentait », écrit-il dans Profils perdus. « Nous partagions nos colères. C’est à ce moment que nous captâmes des signaux aussi bouleversants que s’ils venaient d’une autre planète. Mais d’abord nous voulûmes affirmer notre indépendance [c’est nous qui soulignons] en publiant une revue dont nous serions […] les directeurs118. »
63Sans doute un certain climat propice à la rébellion existait déjà à Paris et Breton en a bien rendu compte :
[…] l’inévitable conciliabule des soldats de retour du front avait eu très vite pour effet d’exalter rétrospectivement les sujets de colère : sentiment de l’inutilité du sacrifice de tant de vies, grand « compte à régler » avec l’arrière dont le fameux esprit « jusqu’au boutiste » était allé si longtemps de pair avec un affairisme dépourvu de scrupule, brisement d’innombrables foyers, extrême médiocrité du lendemain. L’enivrement de la victoire militaire avait fait long feu119.
64Mais la déflagration, en littérature s’entend, ne pouvait se produire qu’au contact d’un détonateur. Tel devait être le rôle dévolu à Dada120.
Notes de bas de page
1 Bibl. 21.
2 En particulier celles de Paul Guillaume et de Léonce Rosenberg qui furent de véritables foyers d’activité intellectuelle et artistique.
3 Adrienne Monnier, Rue de l’Odéon, bibl. 424, p. 96. Elle s’était ouverte en novembre 1915. Breton en fut donc l’un des tout premiers clients.
4 Le jugement de Breton à l’égard de Mallarmé se nuancera par la suite, mais bien plus tard. Sur les rapports entre Dada et Valéry, voir Marcel Raymond, De Baudelaire au surréalisme, bibl. 483, II, p. 153-169.
5 Les graphologues n’ont pas manqué de souligner la rareté du fait : l’écriture de Breton n’a subi que peu de changements en cinquante ans, de sa copie de baccalauréat à ses derniers manuscrits.
6 Trois poèmes dans le n° 93 (20 mars 1914) de la Phalange de Jean Royère où l’on se préoccupait beaucoup de questions de langage. Sur les débuts de Breton en poésie, voir Henri Pastoureau, « Des influences dans la poésie présurréaliste d’André Breton », bibl. 443, p. 137-173.
7 Entretiens, bibl. 106, p. 10.
8 L’aveu de la Confession dédaigneuse, « Sans lui [Vaché, qu’il ne rencontra qu’au début de 1916], j’aurais peut-être été un poète ; il a déjoué en moi ce complot de forces obscures qui mène à croire à quelque chose d’aussi absurde qu’une vocation » (in Les Pas perdus, bibl. 103, p. 9) atteste bien l’existence, à un moment donné de sa carrière, de cette croyance.
9 Ce qu’on connaît de la correspondance de Breton (voir notre appendice) avec les hommes en vue de l’époque révèle la présence chez lui d’une inépuisable et pathétique pulsion passionnelle, d’ailleurs fort rarement payée de retour. Il y a aussi certaines attitudes révélatrices, comme son comportement à l’égard d’Apollinaire que rapporte innocemment la bonne Adrienne : « Breton debout, adossé au mur, le regard fixe et panique, voyant non pas l’homme qui était présent, mais l’Invisible, le dieu noir, dont il fallait recevoir l’ordre. » (Rue de l’Odéon, bibl. 424, p. 99-100).
10 Rue de l’Odéon, bibl. 424, p. 99-100.
11 Lettres de guerre, bibl. 644, II, [p. 50].
12 Ibid. Voir Jacques Vaché et le groupe de Nantes, de Michel Carassou, bibl. 136 et Georges Sebbag, L’imprononçable jour de sa mort : Jacques Vaché, janvier 1919, bibl. 573a.
13 « Jacques Vaché », in Les Pas perdus, bibl. 103, p. 67-68.
14 Le texte est signé Harry James, pseudonyme britannique de Vaché. Il y a là un phénomène de dédoublement bien connu des opiomanes. De plus, la date de composition (26 novembre 1918), le place quelques semaines seulement avant l’intoxication fatale du jeune homme.
15 In Lettres de guerre, bibl. 644, II, [p. 22].
16 Jacques Vaché étant mort le 6 janvier 1919, cette lettre prouve : 1° que Soupault ignorait encore « l’accident » le 17 janvier (Breton lui-même ne l’apprit que quelques jours plus tard) ; 2° que la lecture du Manifeste à Vaché remontait au moins à une quinzaine de jours.
17 Il s’agit du Manifeste Dada 1918, publié dans Dada 3, décembre 1918, bibl. 682.
18 Inéd. B.L.J.D. 7211-2. Nous devons à la vérité de dire qu’André Breton ne nous avait pas caché son scepticisme quant à l’authenticité de l’événement rapporté par Soupault et qu’en tout état de cause il n’en avait pas souvenance. Néanmoins, le document lui-même, qui ne peut être récusé, autorise deux interprétations : ou bien Soupault aurait délibérément fardé la vérité (mais dans quel but ?) ; ou bien il y eut non pas une lecture collective du Manifeste devant les trois amis réunis, mais deux ou même trois lectures distinctes. Vaché aurait pu ainsi prendre connaissance du texte de Tzara à l’insu de Breton.
19 Ce qui n’exclut nullement que Vaché ait pu avoir connaissance longtemps auparavant d’autres activités ou textes dada.
20 Comment concilier ses intentions, manifestées vers cette époque, de « publier », avec sa célèbre boutade : « Nous n’aimons ni l’art, ni les artistes », d’ailleurs empruntée à Cendrars : « Je n’ai jamais aimé Mascagni / Ni l’Art ni les Artistes ». (« Bombay-Express, 1914 », in Dix-Neuf Poèmes élastiques, Poésies complètes de Blaise Cendrars, Denoël, 1944, p. 118.)
21 Lettre du 19 décembre 1918, bibl. 644, II, [p. 80-81].
22 Notons en tout cas que l’annonce de la mort ne parut dans Littérature qu’en septembre 1919 (n° 7, p. 18-20).
23 André Breton, La Confession dédaigneuse, ibid. [p. 22].
24 Victor Crastre, André Breton, bibl. 171, p. 33 et 35.
25 Dans l’article de tête (non signé) du Times Literary Supplement, 23 octobre 1953, p. 2.
26 « Un officier anglais menait grand tapage à l’orchestre : ce ne pouvait être que lui. Le scandale de la représentation l’avait prodigieusement excité. Il était entré dans la salle revolver au poing et il parlait de tirer à balles sur le public. » (André Breton, La Confession dédaigneuse, bibl. 644, [p. 24]). Il faut croire cependant que l’incident fut considérablement grossi par l’imagination de Breton et d’Aragon, car le compte rendu détaillé de la représentation des Mamelles qui parut dans SIC (n° 18, juin 1917, p. 2-4) garde le silence à ce sujet ; et que, de tous les extraits de presse reproduits dans le numéro suivant (n° 19-20, juillet-août 1917, p. 2-8), aucun ne mentionne Vaché. Seule une phrase d’Aragon en fait état dans un numéro postérieur de SIC : « Mon légendaire ami Jacques Vaché voulait tirer à balles sur le public » (n° 27, mars 1918, p. 6).
27 Comparer avec l’évolution du « mythe Duchamp ».
28 Aragon, Fraenkel (que Vaché appelait « le peuple polonais ») et quelques autres ont échangé une mince correspondance avec lui, mais celles des lettres qui nous sont parvenues ne présentent qu’un médiocre intérêt. Quant au compte rendu des Lettres de guerre qu’Aragon donna dans Littérature (n° 8, octobre 1919), il s’agit encore une fois d’un document publié après la mort de Vaché.
29 Ce « grand », qui hante les rêveries des « petits » dans les collèges, et dont les gestes les plus cocasses et les plus banals prennent une valeur exemplaire et des dimensions surhumaines, n’apparaît-il pas en remplacement de l’image paternelle chez certains auteurs particulièrement sensitifs ? L’élève Dargelos de Cocteau et le Grand Meaulnes d’Alain-Fournier en sont des représentations plus romantiques, certes, mais tout aussi significatives que le personnage de Vaché.
30 André Breton, La Confession dédaigneuse, bibl. 644, [p. 22].
31 Jacques Prévert a noté qu’on l’aimait comme une femme. (A. Monnier, Rue de l’Odéon, bibl. 424, p. 101).
32 André Breton, « Jacques Vaché », in Les Pas perdus, bibl. 103, p. 71-72.
33 André Breton, Entretiens, bibl. 106, p. 10.
34 En effet, que pouvaient avoir de commun l’auteur des pièces mallarméennes qui paraissaient alors dans Nord-Sud ou Les Trois Roses avec le dévoyé du « Bateau ivre » ? ou le client poli de la librairie Monnier (il semble que Breton n’ait jamais osé parler de Vaché à la bonne Adrienne qu’effarouchait tout ce qui n’était pas Léon-Paul Fargue) avec l’aventurier du Harrar ?
35 Comment, sans solliciter les textes, interpréter autrement la phrase déjà citée de Vaché : « […] une sensation […] de l’inutilité théâtrale (et sans joie) de tout » ? (Lettres de guerre, bibl. 644, II, [p. 50].
36 Il parlait d’une réussite dans l’Épicerie : « Vous me croirez disparu, mort, et un jour – tout arrive – […] vous apprendrez qu’un certain Jacques Vaché vit retiré dans quelque Normandie. Il se livre à l’élevage. Il vous présentera sa femme, une enfant bien innocente, assez jolie, qui ne se sera jamais doutée du péril qu’elle a couru » (Ibid. [p. 24]). Si l’on peut, à la rigueur, se représenter Vaché dadaïste, on l’imagine mal adhérant au mouvement surréaliste : « Le surréalisme ouvre à l’homme un large crédit ; Vaché lui refusait le moindre. Le surréalisme engage l’avenir, même le plus lointain : Vaché ne considère que le présent ; il a tué l’avenir puisqu’il s’est tué. Le surréalisme enfin trouve dans le mystère une porte ouverte ; Vaché au contraire ferme toutes les portes. Il ne veut pas respirer, il recherche l’étouffement. Tôt ou tard, la route de Vaché et celle de Breton eussent divergé. Le vrai maître de Breton n’est pas Jacques Vaché : c’est Lautréamont » (Victor Crastre, André Breton, bibl. 171, p. 43). Il va sans dire qu’on ne peut accepter sans réserve toutes les propositions ci-dessus. Il est clair, en particulier, que Breton a été irrésistiblement attiré par le personnage, complémentaire du sien, qu’était Vaché, de même qu’il cédera plus tard au dadaïsme de Tzara dont pourtant il n’agréait pas nécessairement les méthodes.
37 Jacques Vaché, Lettres de guerre, bibl. 644, II, [p. 26].
38 Il convient de ne point écarter a priori l’éventualité d’une suprême mystification, cette tentative de création d’un personnage légendaire à partir de rien étant en soi parfaitement dadaïste.
39 Bibl. 94. Ces vers avaient déjà été publiés dans diverses petites revues.
40 Seul le dernier texte (le fameux « Corset mystère ») tranche nettement sur l’ensemble. Mais il a dû être ajouté à la dernière minute puisqu’il fut publié pour la première fois dans Littérature, le 1er juin 1919, soit six mois après la mort de Vaché. Un poème en prose, légèrement antérieur, est d’une sagesse exemplaire, bien qu’il soit dédié à Tristan Tzara. Sur la composition de ces pièces, voir les pages capitales du Manifeste du surréalisme de 1924 (in Les Manifestes du surréalisme, bibl. 105, II, p. 20).
41 On se demandera toujours du reste ce que Vaché entendait par Esprit nouveau : ne pouvait-il pas s’agir tout simplement de quelque résurgence du Jarrysme qui tenait si fort au cœur du Dandy ?
42 Lettre à André Breton du 19 décembre 1918, in Lettres de guerre, bibl. 644, II, p. [80].
43 « […] nous ne doutions pas une seconde qu’il ne devînt un brillant littérateur » (Rue de l’Odéon, bibl. 424, p. 102-103). « Il pouvait aller fort dans la bataille, étant revêtu d’une belle cuirasse de littérature » (ibid., p. 103).
44 Voir infra, p. 222, note 2.
45 Sous l’influence de Daniel Mornet, son professeur de troisième. La dissertation philosophique d’Aragon au baccalauréat portait sur le sujet : « Y a-t-il un progrès moral ? ».
46 Tout cet acquis ressortira dans ses grandes fresques romanesques et ses diatribes politiques.
47 « C’était déjà un causeur remarquable. Il pouvait parler pendant deux ou trois heures avec faconde et ce léger ton nasal qu’il n’a pas perdu, je crois, et qui traduit sa manière ironique : le défi guignol, l’emportement badin » (Adrienne Monnier, Rue de l’Odéon, bibl. 424, p. 102).
48 « Louis Aragon, trop intelligent », écrira Walter Serner dans l’organe dadaïste 391 (n° 11, février 1920, p. 4).
49 Adrienne Monnier, Rue de l’Odéon bibl. 424, p. 102.
50 Le Roman inachevé, Gallimard, 1956, p. 46.
51 Le 6 août, à Couvrelles, il obtint la croix de guerre avec étoile d’argent. Voici sa citation à l’ordre de la division, en date du 15 : « Seul médecin au bataillon, a assuré l’évacuation des blessés, très nombreux, dans des conditions difficiles et périlleuses, a fait preuve d’un dévouement et d’une abnégation au-dessus de tout éloge. Signé : Passérieux. » Breton lui en fera grief : « En lui, à ce moment, peu de révolte. Le goût de la subversion plutôt affiché par coquetterie, mais en réalité les impositions de la guerre et de l’orientation professionnelle (médicale) supportées avec allégresse : croix de guerre au front ; il s’arrangeait pour avoir “pioché” toujours un peu plus que les autres les “questions d’internat” » (Entretiens, bibl. 106, p. 39). On consultera avec profit les documents concernant cette époque de la vie d’Aragon, contenus dans le recueil de manuscrits autographes offerts par Aragon à Breton (bibl. 744, n° 15).
52 Le processus fut identique chez les dadaïstes zurichois.
53 « Je suis pourri par le goût de séduire. À toute heure cela me reprend. Il faut que je sonde mes limites. Tout me précipite à quelque nouvelle aventure. Il faut tenter, tenter encore. Je communique à autrui le goût passionné de l’expérience » (La Défense de l’infini, B.L.J.D. 7211-2, cité par Roger Garaudy, bibl. 271, p. 43). Et Breton : « Extrêmement chaleureux et se livrant sans réserve dans l’amitié. Le seul danger qu’il court est son trop grand désir de plaire. Étincelant... » (Entretiens, bibl. 106, p. 39).
54 Voir B.L.J.D. 7206-12 : Paul Valéry fait paraître « La Jeune Parque » ; B.L.J.D. 7206-13 et 14 : André Gide et B.L.J.D. 7206-15 : Matinée Reverdy chez Léonce Rosenberg. Il est vrai que ces manuscrits datent vraisemblablement de 1922-1923. Voir aussi le compte rendu de la « Soirée avec M. Teste », par Aragon, dans Littérature, n° 7, septembre 1919, p. 24.
55 Celle de Roger Garaudy (L’Itinéraire d’Aragon, bibl. 271) menée, de toute évidence, selon les principes de la dialectique marxiste, pèche par une fâcheuse tendance à l’extrapolation. En s’appuyant sur les seuls textes (d’Aragon) de l’époque (sans les « corriger » comme il le fait, au moyen de citations très postérieures), on aurait peine à démontrer que « le projet initial du surréalisme est de mettre l’homme à la place de Dieu : liberté absolue de création, réalisation de l’homme, de l’homme total » (p. 57).
56 Le Grand Homme (1929), roman de Soupault, bibl. 598, est une satire contre l’industriel Louis Renault
57 Histoire d’un Blanc, bibl. 597, p. 46.
58 « […] La seule école buissonnière / Et non Silène m’enseigna / Cette ivresse couleur de lèvres / Et les roses du jour aux vitres / Comme des filles d’Opéra ».
(« Pour demain », in Littérature, juin 1919, p. 5).
59 Il devra cependant à l’option qu’il avait choisie (Droit maritime), assez rare, d’être nommé vers la fin de la guerre au commissariat aux Essences.
60 Un temps, à Angers, Soupault avait projeté de faire une licence de lettres classiques.
61 Du nom de sa première femme, Mic. Voir Jacqueline Chénieux-Gendron, éd., Philippe Soupault, le poète, bibl. 154.
62 N° 15, mars 1917, p. 3.
63 Guillaume Apollinaire, « Fusée-signal », in Nord-Sud, n° 2, 15 avril 1917.
64 André Breton, Entretiens, bibl. 106, p. 37. Voir aussi ce que dit Soupault de Cendrars dans ses Profils perdus (bibl. 601, p. 93-99) : « À vrai dire, j’étais émerveillé, ébloui par ce poète – un vrai poète – […]. C’est ainsi qu’il m’apprit – et je n’ai jamais pu l’oublier – qu’il fallait vivre la poésie avant de l’écrire – écrire, c’était superflu » (p. 95-96).
65 André Breton, Entretiens, bibl. 106, p. 37.
66 Voir infra, Les Champs magnétiques, p. 104 et sq.
67 « N’importe où – au café, le temps de demander : “Garçon, de quoi écrire”, il pouvait répondre à la demande d’un poème. Le poème finissait – j’allais dire : retombait comme un chat sur ses pattes – au premier dérangement extérieur. Ce qui résultait d’une telle méthode, ou absence de méthode, était d’intérêt assez variable, mais du moins valait toujours sous l’angle de la liberté, et de la fraîcheur » (André Breton, Entretiens, bibl. 106, p. 37).
68 Où Breton devait, à l’automne de cette année 1917, faire la connaissance d’Aragon, lui-même attiré rue de l’Odéon par Cyprian, sœur de l’une des « hôtesses » de la librairie.
69 Rue de l’Odéon, bibl. 424, p. 103.
70 Georges Hugnet, L’Aventure dada (bibl. 323, p. 79-80), a fort bien décrit quelques-uns de ces « gestes » de Soupault qui accusent un esprit authentiquement Dada.
71 Entretiens, bibl. 106, p. 36.
72 D’après les relevés de notes que possédait encore à sa mort Théodore Fraenkel, Breton ne semble pas y avoir particulièrement brillé.
73 Breton : 18 février 1896. Fraenkel : 21 avril 1896 (Paris-14e).
74 Fraenkel rapporte deux incidents qui annoncent l’affaire de la Lettre anonyme (voir infra, p. 172) : à Nantes en 1916, Fraenkel et Breton avaient pris comme tête de Turc le peintre nantais Edgard Maxence. Ils envoyèrent au journal local une lettre anonyme, selon laquelle celui-ci aurait été allemand. Vu la psychose d’espionnage qui régnait alors, le fait ne parut pas invraisemblable. Mais les deux jeunes gens démentirent aussitôt la nouvelle. Le petit jeu recommença à Paris en 1917 avec André Beucler et Jean Cocteau (voir infra, p. 87). [Entretien avec Théodore Fraenkel, 5 octobre 1956.]
75 Henri-Jacques Dupuy, Philippe Soupault, bibl. 228, p. 28.
76 On aura une idée assez exacte de la forme d’humour de Fraenkel par ses lettres de l’époque contenues dans les collections de la B.L.J.D. et en particulier par cette lettre inédite adressée le 23 mai 1921 à Tristan Tzara malade : « Est-ce que vous toussez ? Est-ce que vous crachez ? (J. Vaché est mort aussitôt que je lui eus posé par écrit ces mêmes questions – Mais ce procédé m’a souvent donné des échecs) ».
77 On notera que Fraenkel fut le seul des trois médecins à continuer ses études de médecine après la guerre (Breton ne les reprit jamais, Aragon abandonna en troisième année). Il pratiquera jusqu’à sa mort (en 1964) à Paris. En 1990, ont été publiés (Paris, Éditions des Cendres) les Carnets de Théodore Fraenkel (1916-1918), avec un texte liminaire d’Aragon, qui éclairent admirablement à la fois le personnage et la chronique.
78 Citons entre autres Les Trois Roses (Grenoble) ; L’Éventail (Genève) ; L’Instant, publié à Paris par l’Espagnol Joan Perez-Jorba ; Le Double Bouquet et les Écrits nouveaux animés par André Germain qui fut un temps l’un des familiers de Breton ; Aujourd’hui ; Les Solstices ; Le Tourbillon ; Les Jeunes Lettres, d’Henry Cliquennois ; Le Divan, La Presqu’île ; Le Carnet artistique ; Le Carnet de la semaine, etc. Voir bibl. 356.
79 Radiguet et Picabia apparurent plus tardivement et dans SIC seulement : celui-là en novembre 1918, et celui-ci en février 1919. Drieu La Rochelle au contraire se manifesta dès octobre 1916.
80 Voir supra, p. 82.
81 In Nord-Sud, n° 6-7, août-septembre 1917, p. 28.
82 Trois pièces dans le n° 93, 20 mars 1914. Voir également les inédits de 1913, publiés par Henri Pastoureau, bibl. 443, p. 141-144.
83 Nord-Sud, n° 3, mai 1917, p. 7.
84 Ces vers présurréalistes de Breton ont été réédités dans ses Œuvres complètes, T. I (Paris, Gallimard, La Pléiade, 1988, bible. 111) mais il doit en rester d’autres, inédits, dans des collections particulières. Certains poèmes, décriés par leur auteur lui-même, sont de véritables gemmes, tel ce « Décembre », paru dans L’Éventail, bible. 698, 15 février 1919, p. 28.
85 Nord-Sud, n° 6-7, août-septembre 1917, p. 27.
86 Ibid., n° 4-5, juin-juillet 1917, p. 27.
87 Dans un document inédit, Tzara a en effet relaté les circonstances particulières de cette publication : « Guillaume Apollinaire, que j’avais connu avant la guerre, me demanda des poèmes pour une revue qu’il voulait fonder [Les Soirées de Paris ?]. Il les remit à Reverdy qui m’écrivit pour avoir ma permission de les faire paraître dans Nord-Sud. Ma réponse fut interceptée par la censure, et ce n’est que trois mois après que j’ai pu lui écrire. P. Albert-Birot me demanda aussi, de la part d’Apollinaire, des poèmes pour SIC. J’ai appris, après l’armistice – Apollinaire était mort –, qu’une scène assez comique avait eu lieu entre Reverdy et Apollinaire, à propos de ces poèmes. Le bruit s’étant répandu que j’étais sur la liste noire (“Vendu aux Allemands, espion”, que sais-je ?), Apollinaire et Reverdy, qui avaient eu peur, s’accusèrent réciproquement, et dans des termes violents, de m’avoir demandé ma collaboration pour Nord-Sud. Ces bruits furent très probablement lancés par L’Intransigeant » (lettre à Jacques Doucet, 30 octobre 1922, A.III.15, 1032-3. Voir infra, pièce n° 224).
88 SIC, n° 21-22, septembre-octobre 1917, p. 5. Le manuscrit de ce poème, avec quelques variantes, figure au dos d’une enveloppe portant la date du 30 janvier 1917, qui se trouvait dans l’ancienne collection Tzara mais qui n’est plus à la B.L.J.D.
89 « Bois parlant ou intelligible signe de l’Ile des Pâques », in SIC, n° 28, avril 1918, p. 6.
90 « Petite ville en Sibérie », in Nord-Sud, n° 13, mars 1918, p. 17.
91 Partant du principe que quiconque collabore à une revue ne peut totalement ignorer ce qui s’y publie, et en l’absence d’autres références aussi évidentes, on ne peut errer gravement en recherchant une relation de cause à effet entre cette évolution et l’apparition à Paris de la poésie de Tzara.
92 « Déjà », in SIC, n° 32, octobre 1918, p. 4.
93 Nord-Sud, n° 13, mars 1918, p. 14.
94 SIC, n° 30, juin 1918, p. 2.
95 SIC, n° 29, mai 1918, p. 3.
« Cherchez Monsieur
dans
Renoir Pensée
Valéry Perce
Valery Larbaud Blouse […] ».
96 Voir également « Vie de Jean-Baptiste A*** », in L’Instant, n° 4-5, octobre-novembre 1918, p. 3 ; « Cours de danse », in ibid., n° 6, décembre 1918, p. 13 ; « Éclairage à perte de vue », 15 février 1919, p. 21, etc.
97 Entretiens, bibl. 106, p. 29.
98 Op. cit., p. 40.
99 Breton n’a vendu ces lettres que le jour de l’entrée de Valéry à l’Académie et encore il eut la « faiblesse » d’en prendre copie avant de s’en séparer.
100 Adrienne Monnier, Rue de l’Odéon, bibl. 424, p. 115. En mars 1918, Apollinaire demande à Breton d’écrire pour le Mercure de France à l’occasion de la sortie de Calligrammes un article général sur ses œuvres ; article fort élogieux et qui sera repris dans Les Pas perdus. Quant à Reverdy, il déclare dans une lettre à Breton du 2 décembre 1918 : « […] Vous [Breton et Aragon] êtes sans doute (et c’est terrible à dire) mes plus purs amis » (in Henri Pastoureau, « Des influences… », bibl. 443, p. 168). Voir également la correspondance d’Apollinaire à Breton publiée en 1964 par Marguerite Bonnet dans La Revue des lettres modernes, bibl. 15.
101 Sur la « re-découverte » de Lautréamont par le groupe Littérature, voir Maurice Saillet, Les Inventeurs de Maldoror, bibl. 531.
102 Voir la correspondance Breton-Tzara, infra, Appendice, p. 397-444.
103 Le numéro 4 (25 mars 1917) contient le « calligramme » d’Apollinaire « L’horloge de demain ».
104 Voir bibl. 537.
105 Sur Apollinaire et la guerre, voir « Guillaume Apollinaire et l’avenir », in Europe, mai-juin 1964, p. 155-165.
106 Sur les rapports entre Tzara et Apollinaire, voir les Œuvres complètes d’Apollinaire, (Paris, Gallimard, La Pléiade, 1956, bibl. 14), passim ; les Œuvres complètes de Tristan Tzara, bibl. 68, passim ; notre article « Sur trois lettres de Guillaume Apollinaire à Tristan Tzara », in La Revue des lettres modernes, n° 104-107, p. 5-12, bibl. 539 ; et supra, Zurich, p. 6. Jacqueline Apollinaire détenait encore à sa mort la contrepartie de cette correspondance.
107 Inédit, TZR.C.60.
108 Et cependant ces numéros étaient encore très anodins. Voir supra, p. 10.
109 Voir Entretiens, bibl. 106, p. 52 : « J’ai découvert les deux premiers numéros de Dada chez Apollinaire qui les considérait d’un très mauvais œil, soupçonnant certains de ses rédacteurs de ne pas être en règle avec l’autorité militaire de leur pays et allant jusqu’à craindre que le fait de recevoir une telle publication par la poste ne le compromît. » À noter que Breton ne parle pas de Cabaret Voltaire, pourtant antérieur d’un an à Dada 1.
110 On sait qu’il avait formé le dessein de faire reparaître sa revue.
111 Ce sentiment n’était pas aussi singulier qu’il peut paraître aujourd’hui. En 1917-1918, tout ce qui touchait de près ou de loin à l’Allemagne déclenchait, chez la plupart des Français, un mouvement irrationnel d’hostilité, au demeurant assez légitime. Tzara en était parfaitement conscient et le numéro suivant de Dada (Dada 4-5 – Anthologie Dada, Zurich, mai 1919) paraîtra en deux éditions presque identiques, mais l’une entièrement en français pour la consommation parisienne, l’autre mi-française mi-allemande, pour la Suisse et l’étranger.
La position officielle occupée par Apollinaire à la censure, lors de son retour du front, ne contribua pas peu à accentuer son intransigeance sur les questions de patriotisme. Aragon a rapporté dans une émission (R.T.F.-Promotion, 15 novembre 1963) comment Apollinaire avait refusé d’accorder le visa au livre pacifiste de Louis Delluc La Guerre est morte (1917), sur lequel paraissait le portrait de la femme de l’auteur, Eve Francis, dessiné par l’artiste Gerda Wegener, réputée allemande. (Repris dans Entretiens avec Francis Crémieux, bibl. 30, p. 29-30.)
112 nédit, TZR.C.62.
113 Henri Guilbeaux, Du Kremlin au Cherche-Midi, bibl. 296, p. 51.
114 « Congrûment, Apollinaire feignait d’admirer les poèmes de M. Tristan Tzara, quand il le fallait, par exemple cette “Retraite” [suit le texte du poème]. Mais, après un bref hommage accordé (pour le public) à ces bamboulas de Sénégalais alcoolique, il redevenait bien vite, dans le privé, l’ami, le bon conseiller, qui voyait clair et parlait juste. J’ai sous les yeux quelques lignes de date récente, dures pour certains drôles auxquels, dit-il, on ne doit pas s’abaisser à répondre… “C’est se salir que de discuter avec un parangon de sottise et de prétention ignare” ! » Willy, in La Revue des idées, mars 1919, p. 481-482.
115 L’affirmation de Picabia selon laquelle Apollinaire eût été dadaïste (in L’Esprit nouveau, n° 26, octobre 1924, [p. 60]) est gratuite ou plutôt s’appuie sur des souvenirs anciens (leurs équipées communes de 1912-1913). Or ils ne s’étaient pas revus depuis 1914 et tout indique que leur évolution respective les eût inéluctablement séparés. Voir en appendice les lettres d’Apollinaire à Gabrielle Buffet-Picabia, app., nos 161-3. Du reste, les sentiments de Picabia à l’égard d’Apollinaire, chaleureux sur le plan personnel, l’étaient beaucoup moins sur le plan « professionnel » : cette discrimination est amplement attestée par des témoignages, antérieurs à 1914, et aussi par cette note inédite, manuscrite au crayon par Picabia en marge d’un feuillet extrait d’un Carnet des ateliers, s.d. [1922 ?], contenant une note sur Dada signée Pinturrichio dans laquelle Tzara est accusé de faire du sous-apollinarisme : « Apollinaire, tout en étant mon ami, n’en était pas moins un pompier. Vous n’avez nullement été influencé par lui. Je ne sais qui a écrit cet article, mais c’est un beau con. Francis Picabia » (anc. coll. Tzara).
116 « Il [le Manifeste Dada 1918] proclame la rupture de l’art avec la logique, la nécessité d’“un grand travail négatif à accomplir”, il porte aux nues la spontanéité. Plus encore que ce qui y est dit, compte pour moi ce qui s’en dégage à la fois d’excédé et de nerveux, de provocant et de lointain, de poétique aussi. Un peu plus tard Tzara dira : “Je n’écris pas par métier et je n’ai pas d’ambitions littéraires. Je serais devenu un aventurier de grande allure, aux gestes fins, si j’avais eu la force physique et la résistance nerveuse de réaliser ce seul exploit : ne pas m’ennuyer.” Ce sont de telles intonations qui alors m’intéressent si vivement à lui. » (André Breton, Entretiens, bibl. 106, p. 52).
117 « Il est évident qu’une telle attitude l’ [Tzara] apparente de très près à Jacques Vaché, ce qui va m’amener à reporter sur lui une bonne part de la confiance et des espoirs que j’avais pu mettre en celui-ci. L’orientation de Littérature va s’en trouver assez profondément modifiée » (op. cit., p. 53).
118 Bibl. 601, p. 150.
119 Entretiens, bibl. 106, p. 49.
120 Nous avons délibérément exclu de notre étude la question des rapports entre Apollinaire et la genèse du surréalisme. Plusieurs études, notamment celles de Marie-Jeanne Durry (« Apollinaire et le surréalisme », in bibl. 232, T. ii), de Marguerite Bonnet et de Michel Décaudin nous en dispensent.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les chemins de la décolonisation de l’empire colonial français, 1936-1956
Colloque organisé par l’IHTP les 4 et 5 octobre 1984
Charles-Robert Ageron (dir.)
1986
Premières communautés paysannes en Méditerranée occidentale
Actes du Colloque International du CNRS (Montpellier, 26-29 avril 1983)
Jean Guilaine, Jean Courtin, Jean-Louis Roudil et al. (dir.)
1987
La formation de l’Irak contemporain
Le rôle politique des ulémas chiites à la fin de la domination ottomane et au moment de la création de l’état irakien
Pierre-Jean Luizard
2002
La télévision des Trente Glorieuses
Culture et politique
Évelyne Cohen et Marie-Françoise Lévy (dir.)
2007
L’homme et sa diversité
Perspectives en enjeux de l’anthropologie biologique
Anne-Marie Guihard-Costa, Gilles Boetsch et Alain Froment (dir.)
2007