Introduction
p. 9-91
Texte intégral
1Shaykh Muusa Kamara (1864-1945) fut le porte-parole de tous les marabouts de l’AOF lors de l’inauguration de la cathédrale du souvenir africain à Dakar en 1935. Il défendit alors l’idée d’une unité des trois religions du Livre, thème qui allait connaître le succès que l’on sait, alors même que sa vie, toute entière investie dans une œuvre littéraire tout à fait remarquable bien que largement méconnue1, occupe une place singulière dans l’histoire de cette période.
2Durant les années 1920 il rédigea en arabe une monumentale « Histoire des Noirs musulmans », le Zuhūr al-basātīn, où sont rassemblées de nombreuses traditions transcrites en arabe ou des chroniques des différents États peuls fondés après une guerre sainte, de Sokoto à l’Est jusqu’au Fuuta Tooro à l’Ouest2. Les trois quarts des 1700 pages de son manuscrit qui sont consacrées à ce dernier État, situé dans la Moyenne vallée du Sénégal, viennent d’être traduits et annotés en français par une équipe franco-sénégalaise associant des arabisants et des pulaarisants, des anthropologues et des historiens appartenant à divers organismes (IFAN-CAD, ENS-Dakar, ORSTOM, CNRS). C’est le premier des quatre volumes prévus pour cette traduction que nous présentons ici.
3L’intérêt d’une telle entreprise ne réside pas seulement dans la qualité des sources ou dans l’esprit critique dont fait montre l’auteur, deux éléments qui ont séduit plus d’un historien, mais dans la nature d’un projet à trois composantes. En effet, Kamara opère une traduction culturelle des institutions et de l’histoire d’une société qui se définit par le partage d’un même dialecte peul, le pulaar, en utilisant la langue arabe et donc les catégories de pensée arabo-musulmanes, et ceci à destination des administrateurs-ethnologues de son temps, H. Gaden et M. Delafosse principalement. D’où l’importance de la traduction en français que l’auteur attendra vainement jusqu’à sa mort, il y a tout juste cinquante ans.
4Dressons tout d’abord son portrait intellectuel avant de nous interroger dans une seconde partie sur les destinataires de son message, les administrateurs ethnologues, ce qui nous permettra de répondre à deux questions connexes : quelles ont été les conditions de possibilité d’une telle entreprise et pourquoi la traduction en français a-t-elle été remise jusqu’à présent. Enfin nous décrirons la vision de l’histoire du Fuuta qu’avait Shaykh Muusa Kamara.
Shaykh Muusa Kamara, saint et savant
5Muusa Kamara naquit aux alentours de 1864 à Guuriiki (Gouriki), un village situé en amont de la Moyenne vallée du Sénégal. Fils d’un marabout, Ahmad al-Habib, il vécut donc au Fuuta Tooro, cet État musulman qu’on peut qualifier d’Imamat puisqu’il avait à sa tête un imām, l’Almaami, élu, depuis la fin du xviiie siècle, au sein de la classe cléricale des Toorobbe qui mit fin au pouvoir d’une dynastie peule, celle des Satigi Deeniyankoobe. Ce royaume peul avait été fondé à la fin du xve siècle par le conquérant originaire du Mali actuel, Koli Teŋela Bah, et avait atteint son apogée probablement au xviie siècle, au moment où beaucoup d’entités politiques sénégambiennes versaient tribut au Satigi. Les Toorobbe qui conquirent le pouvoir continuèrent d’utiliser la langue peule, mais à l’inverse des autres États musulmans fondés par des groupes peuls après un Jihād – Sokoto au nord Nigeria, Aadamaawa au Cameroun, Maasina dans le delta central du Niger au Mali, Fuuta Jaloo dans l’actuelle Guinée – où les nouveaux musulmans se disent souvent peuls, ils distinguèrent l’islam de l’identité peule : le groupe statutaire des Tooroɓɓe était le premier parmi d’autres groupes statutaires libres et nobles incluant justement les Fulɓe ou Peuls (dont la plus grande partie est composée de pasteurs), mais aussi les Sebbe, anciens guerriers, les Subalbe, pêcheurs et bateliers, et enfin les Jaawambe ou truchements. Tous ces groupes – auxquels il faut ajouter les artisans spécialisés et laudateurs qui font partie également des libres – ainsi que les esclaves parlent la langue peule, le pulaar, et sont qualifiés collectivement d’Haalpulaar (« ceux qui parlent la langue peule »).
6La province, ou diiwal, du Damnga où Kamara vécut la première partie de sa vie était la plus orientale du Fuuta Tooro, celle où se réfugièrent les derniers Satigi. Le pays tout entier connut toute une série de mouvements religieux en vue de restaurer la pureté de l’islam au début du régime de l’almamiat, mouvements qui revendiquèrent le nom de jihād. Le plus fameux fut celui d’al-Hājj Umar Tal qui mena une guerre sainte en direction des « païens » situés plus à l’Est, commençant par les Bambara du Kaarta et de Segu entre 1854 et 1860, organisant plusieurs vagues de recrutements de taalibe (d’étudiants coraniques et leurs familles) dont la plus massive fut le fergo Ñooro (l’hijra vers Nioro) de 1858-1859, qui proqua l’exode souvent forcé de près de 40 000 personnes originaires du Fuuta Tooro (Robinson 1988a). Deux autres mouvements méritent d’être signalés car ils concernent plus particulièrement le Damnga : celui de Ceerno Barahiim Kan qui voulut fonder entre 1865 et 1869 une nouvelle communauté à Magaama, située sur la rive nord en aval de Guuriiki, et celui de Mammadu Lamin Draame3 qui en 1886 mobilise les Soninke du Haut fleuve contre les Français. Ces derniers mirent sous leur contrôle effectif le Damnga ainsi que les autres provinces encore autonomes du Fuuta, en 1891.
Apprentissage
7Malgré les secousses de l’histoire et pendant le premier tiers de sa vie, Kamara effectue l’apprentissage du Coran poursuivi par l’étude d’un certain nombre de livres de religion, de droit ou de jurisprudence, de grammaire ou de poésie qui allaient en faire un personnage religieux de premier plan en très peu de temps. On connaît sa vie grâce à la biographie qu’il rédigea lui-même en 19374, ce qui signifie probablement qu’il se considérait comme appartenant aux ahl Allah, aux « gens de Dieu » autre nom des walī, des « proches de Dieu » ou des saints5.
8Son apprentissage du savoir islamique obéit au modèle bien connu de la pérégrination intellectuelle et spirituelle, de la quête du savoir auprès de plusieurs maîtres, mêlant inextricablement les déplacements dans l’espace, la transmission du savoir et les relations personnelles qui génèrent des mariages et donc de la parenté. L’importance de ce dernier trait nous autorise à utiliser les mêmes outils que ceux qu’ont utilisés les anthropologues pour analyser longitudinalement le fonctionnement des petits groupes comme la famille ou le ménage – l’analyse en terme de « cycle de développement » de M. Fortes et J. Goody – pour comprendre l’itinéraire intellectuel de Kamara. On peut identifier quinze étapes résumées dans le tableau joint (Tab. 1)6 dans le périple de Kamara plus mouvementé que long, périple qui s’est achevé alors que Kamara n’avait que 28 ou 30 ans lorsqu’il s’installe définitivement à Ganngel, à quelques kilomètres de Guuriiki, son lieu de naissance. La succession de ruptures suivies de processus d’agrégation et de recomposition qui marque ce type de parcours peut être découpée en trois phases, plus logiques que chronologiques.
L’excursion
9On peut qualifier la première phase d’excursion car il n’y a pas de rupture durable avec la famille ou le village d’origine : elle est dévolue principalement à l’apprentissage du Coran lui-même. Dans le cas de Kamara elle s’achève en effet par un retour au village d’origine.
10Sa formation coranique s’effectue tout d’abord auprès de maîtres coraniques locaux, un certain Ceerno Maalik (1) à Guuriiki [Da 13]7 même, puis Ceerno Maamuudu (2) à Poolel Jaawbe [Da 17)], un village situé à quelques kilomètres de son village natal. Les deux prochaines étapes lui font effectuer un périple plus ample chez des marabouts maures qui enseignent le Coran contre rémunération. Il semble que ces deux lettrés maures appartenaient aux principales tribus maraboutiques (zawāyā) liées aux tribus guerrières (hasan) qui sont à la tête des entités politiques de la rive droite.’Abdā wuld Sifāq (3) fait partie des Lamtuna Idagbāmbra8 qui sont les marabouts des Awlād’Ali, la fraction Brākna qui dominait la région du Gorgol au xixe siècle, tandis que Muḥammad Fāl wuld Tulba (4) fait partie de la grande tribu des Tajakant9 qui fournissaient des marabouts à la fraction la plus méridionale des Idaw‘Ish à la tête de l’émirat du Tagant, celle des Shratit.
11Il semble que Kamara n’ait pas gardé un excellent souvenir de son séjour chez les Maures, car il va profiter du passage de Shaykh Muḥammad al-Maqāmi (5), appelé aussi Ceerno Mammadu Maamuudu Kan, qui allait devenir son ami, pour revenir à Guuriiki.
Mobilité et coupures
12La mobilité de la seconde phase d’apprentissage des autres disciplines de la culture islamique classique renvoie à une cascade de coupures et de mises à distance tout d’abord avec la famille biologique, mais également avec le maître spirituel qui se substitue au père.
13En effet toute une série d’indices recueillis dans l’espace de l’Occident musulman10 donnent à penser qu’il ne faut pas seulement envisager la transmission du savoir islamique en terme de références scolastiques mais également en fonction d’une pratique d’enseignement que Berque qualifiait de « pédagogie du contact » (Berque 1958, p. 11). L’importance de la transmission personnelle (p. 39) explique que le rapport maître-disciple se substitue aux relations de filiations et à la parenté proche, comme l’ont bien montré les anthropologues-historiens du Maghreb qui ont analysé la littérature hagiographique du Maghreb.
14L’importance des processus de rupture avec ce qui est de l’ordre de la naissance et de la familiarité a déjà été soulignée (Berque 1958, Hammoudi 1980, Elboudrari 1985). En outre dans son analyse de la biographie de Sidi al -Hājj ’Ali, fondateur de la zawāyā d’Iligh dans le Sous marocain, Hammoudi développe la logique d’une telle rupture : de même que le Shaykh est supérieur au père biologique, de même le processus de formation est analogue à celui de la procréation. Ainsi le wāli se substituant à la fois au père ou à la mère, le disciple prend tour à tour et selon les circonstances, le rôle et les attitudes du fils, de la femme, du serviteur ou du cadet.
15Dans le cas de Muusa Kamara, la rupture avec la famille est consommée dès le début de son apprentissage du savoir classique centré sur les livres de fiqh qu’il ne faudrait pas seulement traduire par livres de droit mais plutôt par livres de religion ou de droit religieux11. C’est alors qu’il étudie la Risāla auprès d’un marabout du Damnga, Abdul Elimaan (6), de Seeno Palel [Da 6], qu’il apprend la mort de sa mère alors que son père était décédé quelques années auparavant (Hilliard 1977, p. 123). C’est le début d’un parcours qui décrit une seconde boucle mais située uniquement sur la rive gauche du fleuve et qui le mène auprès de sept maîtres différents, donc en sept étapes, vers la zone aval du Fuuta Tooro. On est frappé par la dispersion des centres de cet enseignement qui trouve sa raison d’être aussi bien dans la technologie de la communication (Goody) que dans l’exigence de rupture d’avec les maîtres qui s’opère au niveau de chaque génération intellectuelle.
16Technologie de la communication, en effet, car l’on sait d’après le beau livre de Pedersen (1946, rééd. 1984) que dans la civilisation musulmane l’écrit doit être proféré oralement à plusieurs reprises pour être légitime, reproduisant la figure du « livre céleste » dicté à Mohammed, à savoir le Coran. Tout livre est dicté à un warrāq qui enregistre et transcrit une première ébauche (Pedersen, 1984, p. 27 et 43). Le copiste la lit à l’auteur qui indique les corrections ou les ajouts à opérer. Ce n’est que lorsque le texte définitif aura été récité en public qu’il sera légalisé ou plutôt certifié par un ijāza, c’est-à-dire qu’il pourra être enseigné à un autre Shaykh, initiant ainsi une chaîne de transmission (isnād) potentiellement infinie. Ainsi au Fuuta Tooro, chaque maître ne maîtrisait bien souvent qu’un seul livre comme l’indique Kamara à propos de Ceerno Sulayman, maître de son propre maître Moodi Aalimu (voir infra), qui n’enseignait que la Risāla. D’où l’exigence de mobilité pour parfaire l’apprentissage d’autres livres qui caractérise la siyāha ou quête du savoir dans tout l’Occident musulman, aussi bien au nord qu’au sud du Sahara12.
17Dans le passage du Zuhūr où Kamara parle de Moodi Aalimu et de l’apprentissage de ce dernier (chap 6, fos 250-252), Kamara dresse la chaîne de transmission de ce livre qui passe par trois maîtres du Bunndu puis deux Soninke situés juste avant Abu Zayd, l’auteur de ce manuel de fiqh malékite qui était originaire de Kairouan (966). Quelle que soit la vraisemblance de cette isnād en termes de générations intellectuelles (il manque plusieurs échelons...), la succession des phases de verbalisation (d’expression orale) et de transcriptions qui caractérise ce mode de transmission explique la dispersion des maîtres ainsi que le caractère international de la communauté des savants qu’autorise par ailleurs le maniement d’une même langue, l’arabe. Puisque l’apprentissage de tous les « livres » ne peut s’opérer en un seul point du réseau, aucun groupe ethnique ne peut monopoliser la transmission de la culture arabo-musulmane.
18Ainsi la biographie intellectuelle de Kamara mentionne trois groupes d’enseignants renvoyant à des appartenances ethniques distinctes. Les Baydān ou Maures ne sont que deux et interviennent dans la première phase ; dans la seconde et troisième ce sont les huit Ceerno du Fuuta Tooro et les quatre Moodi ou Alfaa originaires du Fuuta Jaloo13 mais enseignants au Fuuta Tooro qui sont les plus nombreux. Comme on va le voir par la suite à propos de l’école de Golleere, ces trois groupes maraboutiques sont intégrés dans un seul vaste fuseau méridien parallèle au littoral atlantique unissant le Maghreb au Fuuta Jaloo en passant par le Fuuta Tooro et le Bunndu, à l’intérieur duquel ont été transmises aussi bien la culture classique centrée sur le fiqh que l’affiliation à telle ou telle voie – en particulier la Tijaniyya. Dans l’œuvre de Kamara enfin les trois espaces politiques auxquels appartiennent ses formateurs – Bilād al-Shingiti (Mauritanie)14, Fuuta Tooro (fleuve Sénégal), Fuuta Jaloo (Guinée) – serviront de référentiel au comparatisme de Kamara en ce qui concerne l’accès au pouvoir et corrélativement l’existence de dynasties savantes telle qu’elle est menée en particulier dans son ouvrage sur la guerre sainte (Kamara 1976).
19La démultiplication de l’apprentissage dans l’espace et dans le temps est menée si loin que pour trois « livres », l’apprentissage se déroulera auprès de maîtres et dans deux villages distincts, durant deux périodes de la vie de Kamara.
20Il effectue l’apprentissage de la Risāla15 écrit par ‘Abü Zayd al-Qayrawânî (Tunisie actuelle) en 838 et qui constitue le manuel de fiqh malékite le plus répandu dans l’Occident musulman, aux deux extrémités de son périple au Fuuta Tooro, à Seeno Palel [Da 6] auprès d’Abdul Elimaan (6) comme on vient de le voir, et deux étapes plus loin, à Walalde [La 1] dans la zone aval auprès d’Alfaa Maammadu Aaw (9).
21De même le Tuhfat al-Hukkām (le cadeau des juges) du jurisconsulte Ibn Hāshim (m. 1425) lui a été transmis auprès de deux maîtres, la première moitié par Alfaa Sammba Caam (7) à Jeela [Da 23], puis par Ceerno Maammadu Sam Balla (8) à Rinjaw [Ng 1 5], pour ce qui est de la seconde moitié.
22Arrêtons-nous sur le troisième partage de l’apprentissage d’un livre entre deux maîtres car il s’agit des deux tomes du Mukhtasar de Khalîl16, un jurisconsulte égyptien qui constitue le manuel de droit malékite le plus célèbre de l’Occident musulman (Bousbina 1992, p. 92), surtout à partir du xviiie siècle sous l’influence de l’école de Fez (Berque 1958, p. 92). Par ailleurs, c’est lors de l’apprentissage du deuxième volume que Kamara rencontrera ce que l’on peut penser être son véritable maître, un lettré du Fuuta Jaloo mais enseignant à Bokkijaawe [Ng 12] dans le Fuuta Tooro central, Moodi Aalimu (11), auprès duquel Kamara apprit trois chapitres du deuxième volume.
23Alors que jusque-là on ne sait comment distinguer l’influence relative de chaque maître, car Kamara n’est pas prolixe à leur sujet, il consacre deux passages à ce personnage, dont il reconstitue la biographie intellectuelle, Fun dans le chapitre 5 du Zuhūr, l’autre dans sa propre biographie17 enchâssée dans la sienne. D’autre part c’est lui qui lui délivre l’ijāza, à savoir l’autorisation légale d’enseigner à son tour. Enfin c’est à travers la biographie intellectuelle de Moodi Aalimu qu’on perçoit le second type de coupure ou plutôt de mise à distance que doit effectuer le disciple à l’égard du maître tant qu’il est en vie ou à l’égard du successeur.
Moodi Aalimu et le foyer de Ɓokkijaawe
24Moodi Aalimu serait originaire de Laaliya, dans la province de Kolaade au Fuuta Jaloo, mais après avoir appris la Risāla auprès de Ceerno Suleymaan dans la Bunndu, petit État situé au sud-est du Fuuta Tooro, il se rendit dans une province centrale de ce dernier, le Laaw, dans le village d’Haayre (La 4). Là il fit l’apprentissage du premier tome du Mukhtaṣar auprès de Ceerno Saalif et le deuxième auprès de Ceerno Alhasan (fig. 1). Et d’ajouter : tous deux appartenaient au clan des Baro, à qui l’on attribue une origine soninke lointaine – leurs ancêtres viendraient du Wagadu – mais qui fourniront des Almaami au Fuuta Tooro puisque Alhasan portera ce titre quelques mois en 1866.
25Voulant parfaire son apprentissage, il se rendit à Golleere [La 14] pour y recevoir l’enseignement de Ceerno Moodi Daara, un juriste également originaire du Fuuta Jaloo. Golleere, situé également dans le Laaw, semble avoir été un grand centre de diffusion, non seulement des études classiques mais également de la Tijaniyya. En effet le marabout tijani le plus réputé de l’importante province du Labe au Fuuta Jaloo à la fin du xixe siècle, Ceerno Daura Sombilli Jallo, passa vingt ans à Golleere (Marty 1921, pp. 190-19 5). Appartenant à la fraction Kaliduyanke des Jallo, originaire du village de Sombilli, Ceerno Abdu Rahmān était doublement affilié à la Tijaniyya, à la fois par Mawlud Fal des Ida’Ali du Trārza et la Al Hājj Umar. Surtout il fut le maître du fameux Ceerno Aaliw Buuba Ndiang, ami d’Alfa Yahya, chef du Labe, qui le nommera qādi du Labe, puis chef du tribunal du Labe au début du siècle au temps de la domination française : ce dernier fut à son tour le maître de Karamoko Dalen, le savant le plus cultivé du début du siècle selon Marty (ibid., p. 252)18.
26A Golleere Moodi Aalimu espérait recevoir l’enseignement d’un Shaykh également originaire du Fuuta Jaloo, Ceerno Moodi Daara, mais ce dernier retournant au Fuuta Jaloo fut remplacé par Ceerno Buubu Gaajo19. C’est là que Moodi Aalimu recommença l’apprentissage du tome II du Mukhtaṣar en compagnie d’un autre étudiant originaire également du Fuuta Jaloo, Moodi Haamiidu Yumberin20 (fo 251a) (fig. 1).
27A la mort de Ceerno Buubu Gaajo on assiste à une seconde succession à la tête de l’école ou du foyer au sens français littéral puisque c’est la traduction du mot dudal qui désigne en pulaar le tas de cendre formé par les feux nocturnes organisés dans la cour du maître, foyer autour duquel se rassemblent les disciples. Dans un premier temps les deux compagnons qui se sont constitués leurs propres groupes d’élèves se partagent l’enseignement des deux tomes du Mukhtaṣar auprès des disciples du maître. Et puis le récit se fait elliptique : Moodi Aalimu part s’établir à Njaayeen, presque à la frontière ouest du Fuuta, dans le village du chef portant le titre d’Ardo des Woodaabe, le groupe peul le plus important de la province du Dimat. Il semble qu’il épouse une fille appartenant à la fraction Jasarnaabe parmi laquelle se recrutent les candidats à la chefferie, ce qui signifie qu’il se cherche un « patron » peul, ces derniers étant encore puissants aux deux extrémités du Fuuta Tooro, témoin de leur ancienne hégémonie. Si l’on revient sur la décision de départ de Moodi Aaalimu, tout s’est passé comme s’il ne pouvait exister qu’un seul successeur à Ceerno Buubu Gaajo, à savoir Moodi Haamiidu Yumberiη, alors que celui-ci n’enseignait que le tome I du Mukhtasar, comme le confirme le fait que c’est à Golleere que Kamara apprendra auprès de ce dernier cinq chapitres du tome I.
28Si l’on examine la série des trois générations de maîtres qui se sont succédé à Golleere, et en particulier la transmission indirecte du magistère entre Ceerno Moodi Daara et Ceerno Buubu Gaajo, l’analogie formelle avec l’héritage (ndoonondiral) des terres en indivision (joowre) est frappante : un même lieu – école coranique ou portion de terre de décrue – se trouve investi à tour de rôle par une série d’ayant-droit. Néanmoins la comparaison ne peut être poursuivie au-delà, car dans le cas du dudal les bénéficiaires n’ont pas de liens de parenté entre eux, et même si l’on assimile la relation pédagogique avec un rapport de filiation, du vivant du maître les disciples doivent d’abord établir une distance avec l’école de celui-ci pour fonder à leur tour un cercle de disciples.
29On a vu plus haut que cette seconde phase de la paideia islamique s’ouvrait par la coupure d’avec les parents biologiques. Ajoutons qu’elle est scandée également par une série de mises à distance avec ceux qui se sont substitués aux parents biologiques, les maîtres, puisqu’on ne peut succéder qu’à un maître disparu, soit qu’il ait quitté la région comme Ceerno Moodi Daara, soit qu’il soit mort.
30Exemplaire est à cet égard la suite de la vie de Ceerno Moodi Aalimu telle qu’elle est rapportée par Kamara. En effet de façon symétrique par rapport à cette série de ruptures, Moodi Aalimu inaugure des tentatives de fixation ou d’accrétion à des groupes qui prennent à deux reprises la forme de mariage. Après Njayeen où il réside longtemps – en milieu peul, donc à réformer ou à convertir tout en bénéficiant de la protection de l’Ardo – il retourne dans le Fuuta central, sollicité à la fois par les gens d’Aanam Siwol [Bo 24] et ceux d’Aanam Godo [Bo 25] avant de se décider à s’installer définitivement un peu plus à l’est, à Bokkijaawe, où il succède à un autre Shaykh du Fuuta Jaloo en épousant sa fille. Ce ne sont donc pas les groupes d’hommes qui font circuler entre eux les femmes comme le veut la vulgate structuraliste, mais bien l’inverse : les pérégrinations des lettrés s’achèvent par des fixations grâce à un mariage qui symbolise une succession ou une transmission. C’est donc à Ɓokkijaawe que Kamara fit l’apprentissage du tome II du Mukhtaṣar (3 chapitres) et non à Golleere, comme cela aurait pu se passer si Ceerno Buubu Gaajo était encore vivant.
31Dans son recueil de 1915-1916 (p. 305) P. Marty souligne le prestige de Moodi Aalimu :
« Le Cheikh de beaucoup le plus important de la région et dont l’influence dépasse le cercle de Matam était Modi Mammadou Alimou de Boké Diawé qui vient de mourir ces dernières années21. »
32Parmi ses disciples citons Abdallah, fils de Ceerno Jiinge qui est l’informateur de Kamara à Hammadi Hunaare [Da 14]22 et surtout Ceerno Yoro Bal (1837-1917) de Ngijiloñ (Ng 6), un grand lettré et poète, ami de Kamara et comme lui disciple de Sa’d Būh23. Enfin c’est par Moodi Aalimu entre autres qu’aurait été diffusée la Tijaniyya d’El Hājj Umar, d’après Kamara lui-même.
33Revenons à la formation intellectuelle de Kamara : en dehors des livres de religion, il poursuit son apprentissage des autres matières comme la poésie ou la philologie auprès d’autres lettrés résidant dans les provinces les plus occidentales du Fuuta, le Dimat (12) et le Tooro (13).
34Cette seconde phase d’apprentissage va être essentielle dans l’élaboration de l’œuvre future de Kamara. On a vu plus haut les deux phénomènes qui rendaient compte de la mobilité caractéristique de la transmission de la culture islamique : l’importance de la mémorisation en vue de la récitation orale et la double rupture avec les parents biologiques et surtout avec leurs substituts, les maîtres. Cette mobilité est démultipliée par l’effet de génération puisque la mobilité du disciple dépend également de celle de son maître. Elle va permettre à Kamara d’effectuer un double parcours. Parcours réel tout d’abord puisque ses pérégrinations l’emmèneront dans toutes les provinces du Fuuta du Dimat à l’aval, au Damnga à l’amont, ce qui lui permettra de se constituer un réseau d’amis – souvent d’anciens condisciples – qui deviendront de futurs « informateurs » et fourniront les matériaux de base duZuhūr ; cela explique également que le Fuuta Tooro occupe les deux tiers de l’ouvrage. Parcours intellectuel surtout puisque grâce à ses maîtres Baydān de Mauritanie et ceux qui sont originaires du Fuuta Jaloo, en dehors du fait que s’il se rend aussi bien en Mauritanie qu’en Guinée, ces deux entités politiques serviront de référentiel au second axe Nord-Sud de son comparatisme, le premier étant orienté d’Est en Ouest puisqu’il suit celui des guerres saintes peules – de Sokoto dans l’actuelle Nigeria au Fuuta Tooro près de l’Adantique : ce vecteur lui sert d’ordre d’exposition dans le premier tome du Zuhūr. Le second axe, qui sera surtout développé dans al-Majmu’ al-Nāfis et dans son opuscule sur la guerre sainte, lui est utile pour répondre à une série de questions qu’il se pose de façon récurrente dans le Zuhūr et qui ne sont pas forcément liées les unes aux autres : pourquoi l’échec des Toorobbe dès la seconde partie du règne de l’Almaarni Abdul, sinon parce qu’ils ont accès au pouvoir politique, d’où proviennent les prétentions des marabouts aussi bien de Mauritanie que du Fuuta Tooro à descendre d’ancêtres du Moyen-Orient...
Tentatives d’accrétion et fixation
35La biographie de Moodi Aalimu montrait déjà la variété des conditions de la fixation d’un lettré musulman au Fuuta Tooro : obtention de l’ijāza, constitution d’un groupe de taalibe, mariage et/ou succession à un maître, appel des habitants d’un village pour assurer la charge de l’imām, don de terres... Tous ces processus commencent dès la seconde phase, dès obtention de l’ijāza, et dans la mesure où ils sont cumulatifs plutôt que successifs, plutôt que de phase il vaudrait mieux parler de moment de la fixation pour désigner le point d’aboutissement de ce cheminement.
36Vers 1885 Kamara envisage de faire le pèlerinage à La Mecque et se rend dans le Faut Sénégal où il observe les conséquences du jihādde Maamadu Lamin autour de Bakel, la situation du Dingiray dirigé par un fils d’al-Hājj Umar, Agiibu Taal, ainsi que celle du Fuuta Jaloo (Robinson 1988b, p. 95). Durant son périple il reçoit femmes, esclaves et son entourage de disciples s’étoffe. Mais la vision qu’il a des pays qu’il traverse lui fait rebrousser chemin et il passe quelques années, de 1889 à 1893, à Ciikite (Tyikité) [Yi 1] dans le Fuuta central. Puis au bout de trois ans il prend la direction inverse et, à l’âge de 30 ans, s’installe définitivement à Ganngel, à quelques kilomètres au sud de l’endroit où il était né.
Amis et alliés
Les alliés du Fuuta Tooro
37A l’inverse de son maître Moodi Aalimu, ce n’est pas le projet de succéder à un autre clerc qui est déterminant dans la forme de boucle que prend son itinéraire avec retour au point de départ mais plutôt ce que l’on pourrait appeler la fixation par les femmes, épouses données par les deux « patrons », que s’est trouvé Kamara au cours de ces trente années. Il est frappant en effet de constater, à la lecture de la biographie de Kamara écrite par Robinson (ibid.), que les deux parrainages qui marquèrent le plus la vie de Kamara, celui du Peul Jalalo Sammba Joom ou du Toorooɗo Shaykh Muḥammad al-Maqāmi (appelé aussi Shaykh Mammadu Maamuudu), se soient soldés par le mariage de Kamara avec la fille du premier (Kummba Sammba Joom) et, à défaut de fille, la sœur du second (Hapsatu) (Robinson ibid., p. 98). Sammba Joom, dont Kamara dresse la biographie dans la partie consacrée aux Yaalalbe (chap. 2, fos 200a-209a) était en quelque sorte le patron de la région où il est né et le protecteur de la famille Kamara. Shaykh Muḥammad al-Maqâmī était un lettré prestigieux que Kamara rencontre à son retour de Mauritanie (cf. supra) et qui le mettra en contact avec Sa’d Būh. Ces deux femmes seront ainsi les deux épouses les plus importantes de la maisonnée de Kamara mais la puissance des donneurs de femmes n’épuise pas la signification de ces mariages.
38En effet ces deux personnages se retrouvent sur des positions voisines dans l’échiquier politico-religieux de cette fin de siècle, puisque chacun, à des époques différentes et pour des motifs propres, refusent de participer au jihād, s’allient avec les Français et participent à l’obédience religieuse de Shaykh Sa’d Būh (1841-1917). Ces deux mariages insèrent en effet Kamara dans un ensemble affin qui s’étend jusqu’à Saint-Louis (voir fig. 2) et associe, par l’intermédiaire de mariages, trois personnalités importantes du Damnga, Sammba Joom (Bah), Shaykh Muusa Kamara, Shaykh Muḥammad al-Maqāmī (Kan) et les deux personnages clefs de la politique musulmane de Faidherbe, Tafsiir Hammaat Njaay (Aan) qui sera qādi du tribunal musulman de 1857 à sa mort en 1879 et Buh el-Mogdad (Sekk), le père (1826-1880) qui ne le remplacera à cette fonction que durant une année car il mourra à son tour en 1880, et son fils, Buh el-Mogdad II, qui s’appelait aussi Dunndu Kummba (1867-1943).
39Sammba Joom Bah appartenait à la puissante tribu peule des Yalaalbe qui fournissait les gouverneurs des Deeniyankoobe surtout dans la partie amont de la vallée. Après la chute de la dynastie peule, son père, Joom Aaliw, avait retrouvé une certaine autorité sur Guuriiki et ses villages voisins dès le début du xixe siècle grâce à l’Almaami Yusuf Lih (Robinson ibid., p. 91). Ce dernier ainsi que son fils participent au jihād d’al-Hājj Umar où Joom Aaliw se fait remarquer dans les années 1850 puisqu’il reçoit comme distinction une femme esclave, Dafa Kante, et une chaîne en or (chap. 2, fos 197-201). A son retour dans la région de Guuriiki où, fort d’un prestige accru par sa participation au jihād. il consolide son autorité mais prend aussi la mesure d’un nouveau rapport de force : il entre en contact avec les Français qui commandent les postes de Mataam et Bakel, et comme signe de revirement envoie sa chaîne en or à Faidherbe. C’est sous sa protection que s’effectuera la première jeunesse de Kamara. Les rapports étaient si étroits que Sammba Joom épousa la sœur de Kamara, juulde Maryam. Réciproquement, quelques années plus tard, Sammba joom donna en mariage à ce dernier sa fille Kummba Diiye, ainsi que la jouissance d’une cuvette de décrue24.
40Shaykh Muḥammad al-Maqāmī que Kamara a déjà rencontré à la fin de son périple mauritanien était, lui, un fin lettré qui mettra en contact Kamara avec Sa’d Būh et le milieu saint-louisien. Arrière-petit-fils du fondateur de l’almamiat, Abdul Kader Kan, il effectua son pèlerinage en 1873-1874, partiellement par terre – jusqu’à Mogador à l’aller et à partir de l’Oued Noun au retour – et par bateau entre le Maroc ou le Sahara occidental et les lieux saints. Grâce à son pèlerinage il acquit une réputation de lettré remarquable. Avant son départ à Saint-Louis, il fut mis en contact par Sa’d Būh avec le Tafsiir Hammaat Njay Aan (Robinson 1994, n. 73, p. 23) dont il épousa la fille Aminata qui sera la mère d’Abdu Salaam Kan qui deviendra le plus puissant chef de canton du Damnga de 1908 à 1944. Réciproquement, dans les années 1880, il recommanda à Kamara de se mettre en rapport avec Sa’d Būh alors qu’il s’était installé à Maghama, un peu au nord de Guuriiki, village déserté après que Ceerno Barahiima Kan ait tenté d’y fonder une nouvelle communauté musulmane entre 1865 et 1869. Pour consolider les bonnes relations qu’entretenaient Shayhh Muḥammad et Kamara, le premier donna sa sœur Hapsatu, à défaut de sa fille, à son ami. C’est dans les années 1885 qu’il devient l’allié des Français (Marty 1915-1916, p. 303), et fut nommé chef de canton du Damnga avant d’être assassiné par les hommes d’Abdul Bookar en 1890.
Les amis de Saint-Louis
41Le fédérateur de toutes ces relations d’amitié et d’alliance, reliant le Fuuta Tooro amont et le milieu saint-louisien fut Shaykh Sa’d Būh (1848-1917) qui diffusa la confrérie Fādiliyya dans le Trārza et le pays des Noirs. Cette confrérie avait été fondée par son père Muḥammad Fādil (+ 1869) dans le Hawd (sud-est de la Mauritanie) qui avait acquis une réputation de saint mais qui, concurrencé par les Kunta diffuseurs de la Qādiriyya, avait dispersé ses quarante-huit enfants à travers tout l’espace mauritanien en autorisant l’affiliation à plusieurs confréries. Deux sont particulièrement connus : si Shaykh Ma’al-’Aynayn (1831-1910) s’installa dans l’Adrar puis au Sahara occidental, allant jusqu’à revendiquer le sultanat du Maroc, l’autre fils célèbre, Shaykh Sa’d Būh, se dirigea plutôt vers le sud-ouest de la Mauritanie, c’est-à-dire le Trārza, après la mort de son père en 1869 : ultérieurement il s’installera définitivement à proximité de Saint-Louis, à Nimjāt. Mais le Trārza étant dominé par des fuqahā’gardiens de la tradition sunnite malékite opposé à l’islam confrérique (Boubrik 1995b, p. 6), son réseau d’influence rayonnera plus au sud, chez les Wolofs du centre du Sénégal, chez les gens du fleuve, mais aussi jusqu’en Gambie et Casamance25. A l’inverse de son frère qui prendra des positions de plus en plus hostiles à l’égard des Français, Sa’d Būh, ayant besoin de leur neutralité pour effectuer ses tournées, manifestera sa fidélité à leur égard, aussi bien sur le plan doctrinal en s’opposant par ses écrits au jihād26 qui selon lui était en réalité nuisible à l’expansion de l’islam qu’en intervenant pour sauver des explorateurs en péril ou en accompagnant des missions dont celle de Coppolani. Enfin c’est lui qui va fournir à l’administration coloniale les copies de manuscrits hagiographiques et historiques qu’Ismaël Hamet, lettré algérien lié à l’administration coloniale, va traduire et publier en 1911 sous le titre Chroniques de la Mauritanie sénégalaise. Nacer Eddine (Hamès 1990, p. 135).
42C’est Shaykh Sa’d Būh qui probablement en 1872 mettra en contact Shayhh Muḥammad avec les deux personnages clefs de la politique musulmane de Faidherbe, Hammaat Njaay Aan et Duudu Sekk, dit Buh el-Mogdad.
43Hammaat Njaay était le fils d’un « maître de langue » ou interprète, lui même originaire d’un lignage de clerc d’Hoore Foonde (Bo 15) dans le Fuuta central. Il suit la carrière de son père et devient interprète principal au sein du Bureau des affaires extérieures créé en 1845 par le gouverneur Bouet-Villaumez à l’imitation du service du même nom crée par Bugeaud en Algérie dès 1841 (Pasquier 1974, p. 267). Ensuite il fut nommé qādi à la tête du fameux tribunal musulman créé par Faidherbe en 1857 jusqu’à sa mort en 1879 (Robinson 1987, pp. 22-24 ; 1994, p. 23).
44Succède alors à Hammaat Njaay Aaan comme qādi Buh el-Mogdad qui connut une carrière similaire de truchement à la direction des affaires extérieures – intermédiaire entre Saint-Louis et l’intérieur ou interprète et ambassadeur – et qui épousa sa sœur, Kummba (Robinson 1987, pp. 25-28). Fils d’un traitant marabout installé à Saint-Louis27, Buh el-Mogdad reçut sa formation coranique au Trārza, puis forma les interprètes de l’autre institution créée par Faidherbe en 1856, l’École des otages qui sera fermée en 1872 mais réapparaîtra à la fin du siècle sous le nom d’École des fils de chef et interprètes (EFCI) de 1892 à 1903 (Bouche 1975, pp. 321-355).
45Intermédiaire privilégié de l’administration coloniale dans ses contacts avec les Maures, il participa à ce qu’on pourrait appeler la première exploration du Sénégal menée par le Gouverneur Faidherbe qui créa en 1855 une direction des affaires politiques dirigée par Flize, et qui fonctionna comme les Bureaux arabes créés là encore par Bugeaud en Algérie en 1844 (Frémeaux 1993)28. En une dizaine d’années, de 1857 à 1866, Faidherbe envoya toute une série d’expéditions effectuées le plus souvent par des officiers qui, rayonnant à partir de Saint-Louis ou remontant le Sénégal jusqu’au Haut fleuve, exploreront l’intérieur des terres au nord, au sud et à l’est. On peut donner une première idée de la dimension spatiale de cette exploration en mentionnant comme exemple de l’entreprise le voyage effectué au Fuuta Jaloo par Lambert en 1861, ou celui plus connu de Mage au Soudan (1863-1866). En ce qui concerne le Sahara, là aussi l’Algérie servit de modèle car pour Bugeaud les militaires devaient à la fois connaître la langue et utiliser les services des indigènes. C’est ainsi que Buh el-Mogdad accompagna le capitaine Vincent dans l’Adrar en 1861 avant de rejoindre tout seul le Maroc lors de son pèlerinage à La Mecque la même année. Cet ensemble de déplacements linéaires (Nordman 1993, p. 86) ne fera pas l’objet d’une synthèse analogue à celle par exemple des trente-sept volumes de l’Exploration scientifique de l’Algérie, mais sera publié sous forme de journaux de voyage dans des revues de géographie, sans former un ensemble comme aurait pu donner lieu l’inventaire d’une aire spatiale délimitée.
46On verra que la description socio-politique du Fuuta Tooro faite par Kamara se rapproche de ce second type d’investigation portant sur une aire donnée à laquelle elle aboutit par l’enchevêtrement des itinéraires de peuplement, par les enjambements généalogiques ou onomastiques. Néanmoins on peut faire un autre parallèle entre les deux entreprises puisque dans les deux cas l’investigation est étayée sur une institution musulmane. Dans le cas de Buh el-Mogdad, la mission de reconnaissance redouble le pèlerinage à La Mecque qui visait à concurrencer celui qui avait valu tant de prestige à el-Hājj Umar (Buh el-Mogdad 1861). Dans le cas de Muusa Kamara c’est la quête du savoir auprès de plusieurs maîtres – ce que les coloniaux désignaient improprement comme « école coranique » – qui fournira les informateurs et les scribes nécessaires à la collecte des traditions orales.
47Il est probable que c’est dès les années 1860 que Buh el-Mogdad fut en contact comme interprète ou diplomate avec Sa‘d Būh car celui-ci avait sauvé à plusieurs reprises la vie de certains explorateurs dont, en 1880, celle du plus connu, Soleillet (Marty 1915-1916 : 197)29.
Kamara à l’œuvre
48De l’inscription de Kamara dans cet « ensemble affin »30 procèdent les deux autres périodes de sa vie distinguées par David Robinson, une période troublée qui dure jusqu’en 1914-191 5 et enfin celle où il rédigera son œuvre (1920-1945).
49Nous ne nous étendrons pas sur la période qui va des années 1890 à la Première Guerre mondiale sinon pour remarquer que les relations d’amitié qu’il avait nouées avec Shaykh Mammadu et Sammba Joom s’inversent à la génération suivante pour donner lieu à une franche hostilité avec le fils de ce dernier, Aali Sammba Joom, puis avec Abdu Salaam Kan, fils de Shaykh Mammadu. On se souvient en effet que Sammba Joom avait donné des terrains de cultures à son ami Kamara31. Ce ne fut probablement pas au nom d’un statut de marabout desservant une mosquée, mais parce que Kamara avait épousé la sœur de Sammba Joom que ces terres furent transférées aux descendants de Kamara comme « champs (provenant) de la mère » (ngesa dewol)32. Or dès la mort de Sammba Joom en 1895 ou 1896, le nouveau chef de la famille Aali, le fils de Dafa Kante, qui était installé sur la rive droite, refusa de partager les terres (feccere) comme le souhaitait son frère puîné, Sule, fils de Juulde Maryam, sœur de Kamara, remettant en cause également la donation du terrain de cultures de décrue faite par son père à Kamara. Cette rivalité classique entre demi-frères issus du même père (bibbe baaba en pulaar) donna lieu à des plaintes dans les années 1913-1914 (Moustapha Kane 1987, pp. 189-191). L’administration coloniale en la personne du capitaine Steff prit dans un premier temps le parti d’Aali, avant que le tribunal de Maatam ne se prononce en faveur de Kamara (Robinson 1988b, p. 97). C’est probablement à cause de ce différend que les relations s’envenimèrent avec Abdu Salaam Kan qui, en tant que fils de Shaykh Mammadu assassiné à Horndolde en 1890, avait reçu en compensation le droit de percevoir les redevances foncières qui s’appliquaient aux terres situées entre Maghama et le fleuve sur la rive droite, donc juste au nord des terres de Guuriiki. Cette donation ainsi que la fonction de chef de canton du Damnga, de 1897 jusqu’à sa mort en 1955, fit d’Abdu Salaam Kan un des personnages les plus puissants de la vallée. Or, aussi bien à cause des revendications des chefs de territoires spoliés que des problèmes de compétence administrative33, l’opposition à Abdu Salaam Kan fut vive entre 1912 et 1918, donc durant la même période, donnant lieu à plusieurs arrangements (Moustapha Kane 1987, pp. 193-196).
50Avec le retour des partisans d’al-Hājj Umar expulsés par Archinard entre 1890 et 1893, les conflits fonciers s’exacerbèrent lorsqu’ils voulurent réoccuper leurs terres, dont certaines avaient été récupérées par Sammba Joom. D’autre part les libertés que prenait Kamara vis-à-vis des obligations de la religion – plus de quatre femmes, prise du tabac... – en faisaient une cible pour les attaques de la part des adeptes de la Tijaniyya, tant et si bien qu’il songea à se retirer en Haute Casamance (Robinson 1988b, p. 98).
51C’est probablement à la fin de cette période et au début de la troisième et dernière partie de sa vie que Kamara sera mis en contact avec les administrateurs arabisants ou les africanistes – Robert Arnaud et Paul Marty, Henri Gaden et Maurice Delafosse.
52Parlons tout d’abord des deux premiers. Kamara est cité en effet ausi bien dans l’important article d’Arnaud de 1912 : « L’islam et la politique musulmane française en Afrique occidentale » (Pondopoulo 1993, p. 99) que dans deux ouvrages de Paul Marty – L’Islam en Mauritanie et au Sénégal datant de 1915-1916 (p. 193) et Études sur l’islam au Sénégal (1917, v. 1, p. 29) – où celui-ci est mentionné dans des termes très proches. Dans le premier ouvrage Kamara est identifié comme un disciple de Sa’d Būh :
« Cheikh Mousssa Kamara de Gouriki, à Ganguel (Damnga). Ce dernier, 51 ans, intelligent et instruit, tient une école coranique et professe les rudiments du droit musulman. Il est à la fois moqaddem qadri et tidiani et possède une grande influence. Il a une cinquantaine de talibe qui travaillent pour son compte. Son influence ne dépasse pas le Damnga où elle n’est d’ailleurs que partielle. »
53Ce n’est donc que plus tard, probablement après la guerre de 1914-1918 que Kamara entrera en contact avec Henri Gaden, alors Gouverneur de la Mauritanie, dont il rappellera à plusieurs reprises, et notamment en 1937, que c’était lui qui lui avait « prescrit » d’écrire la « Vengeance de l’Offensé » et qui le mettra en contact avec la seconde personnalité décisive dans cette opération, à savoir Maurice Delafosse qui devait traduire l’ouvrage.
54Kamara se prêtera au jeu tant et si bien qu’il rédigera ses 1700 pages truffées de généalogies, de poèmes et de panégyriques dès 1924, puis il cherchera vainement, comme on va le voir, à faire traduire son manuscrit en français car dans la même lettre de 1937 il déclare que c’est Delafosse qui lui « a promis de faire imprimer cet ouvrage en arabe et en français » (Pondopoulo 1993, p. 104).
L’impossible traduction
55Selon les diverses correspondances34 qui témoignent de ces tentatives renouvelées de traduction, on peut distinguer trois périodes dont deux du vivant de Kamara.
56La première tentative succède à l’achèvement du manuscrit (1924-1926) et met en rapport Kamara avec Henri Gaden alors Lieutenant-Gouverneur de la Mauritanie (depuis 1920) qui réside à Saint-Louis-du-Sénégal, Delafosse et Marçais qui sont à Paris et à qui Gaden envoie le manuscrit pour expertise : Delafosse s’engage à en publier le texte en arabe et la traduction en français.
57Mais la mort de Delafosse, peu après en 1926, remet tout en cause dans la mesure où avec Gaden ils formaient une véritable équipe car les deux personnages se complétaient comme l’avait montré leur collaboration pour traduire en 1913 le manuscrit arabe des Chroniques du Foûta sénégalais de Siré Abbâs Soh, autre lettré et généalogiste remarquable de la même région. Delafosse était en effet arabisant et Gaden, lui, était spécialiste du peul puisqu’il avait publié en 1913-1914 deux volumes consacrés au dialecte peul du Fuuta Tooro, le pulaar. En outre il avait été à même d’annoter la traduction du manuscrit arabe comme il l’avait fait pour le manuscrit de Siré Abbâs Soh. Cet ouvrage rédigé en arabe à la demande de deux chefs de canton de la Moyenne vallée contient une chronique par règne de la trentaine d’Almaami qui se succédèrent durant le xixe siècle, ainsi que deux grandes généalogies : celle de la dynastie peule des Deeniyankoobe Bah, et celle des Kan qui fournirent aussi bien le premier Almaami que la principale dynastie de grands électeurs dont un représentant, Abdul Bookar, tentera de se substituer aux Almaami défaillant dans leur lutte contre les Français au milieu du siècle (Robinson 1975a). Or les annotations et surtout le glossaire rédigés par Gaden forment plus de la moitié de l’ouvrage. De même le texte arabe de Kamara est truffé de mots en pulaar – anthroponymes et toponymes dont souvent l’auteur donne l’étymologie35 – si bien qu’une bonne traduction en français supposait déjà la collaboration entre arabisant(s) d’une part et spécialiste(s) du pulaar d’autre part, et enfin anthropologues et historiens de la société du Fuuta Tooro.
58C’est Gaden qui, occupant deux sommets de cette sorte de triangle, va reconstituer le dispositif de la traduction de 1931 à 1939, Delafosse étant remplacé comme arabisant par Maurice Gaudefroy-Demombynes (1862-1957) qui était professeur d’arabe à l’École des langues orientales vivantes (ËLOV). Celui-ci reçut un nouveau manuscrit de Kamara et chercha jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale à publier le texte36. En 1932 un élève de Gaudefroy-Demombynes, Gros, traduisit l’introduction, et lui-même une centaine de pages en 1933-1934 qu’il envoie pour annotation à Gaden. Cette partie « admirablement corrigée et annotée par Gaden » est proposée à l’IFAN et à son directeur, Monod, tandis qu’en 1939 Gaden trouve la somme de 10000 Francs pour rémunérer le travail de M. Benhamouda, répétiteur à l’ELOV mais qui n’exécuta pas le travail (Pondopoulo 1993, p. 106).
59La ténacité dont a fait preuve Kamara pour faire traduire son manuscrit provient d’une part du fait qu’il a continué à rédiger des ouvrages en réponse à des questions posées par des officiers ou des administrateurs français, mais également parce qu’il réemploya les matériaux historiques – qu’il avait présentés dans le Zuhūr dans un ordre géographique37 – dans d’autres ouvrages manuscrits qu’il rédigea durant les années 1937-1938 et qu’à l’heure actuelle on pourrait qualifier de plus anthropologiques : Al-Majmu’al-Nafis et Tanqijat al-Ahfām. Aux alentours de la guerre Kamara ne se fera plus guère d’illusions et déposera ses manuscrit à l’IFAN. Il mourra en 1945 sans avoir vu sa principale œuvre traduite.
Les administrateurs-ethnographes destinataires du Zuhūr
60Avant d’aborder la troisième entreprise de traduction, la nôtre, qui a débuté en 1990, et la nouvelle conjoncture qui rend possible son achèvement en 1995, soit exactement cinquante ans après le décès de son auteur, revenons sur la singulière destinée de Kamara pour répondre à la question que nous avons posée au début de l’introduction : à quels bons entendeurs adresse-t-il son salut, à l’intention de qui ou de quel groupe a-t-il écrit ses 1700 folios ? Son refus de voir les lettrés accéder au pouvoir explique sa critique de l’almamiat ainsi que sa non-participation aux jihād de la fin du xixe siècle. D’autre part le retour, après sa période de formation près de son lieu de naissance, aurait pu signifier l’acceptation des charges et des honneurs liés à sa participation à la sorte de clergé musulman que l’administration coloniale essayait de susciter. A l’inverse de son compatriote Aamadu Moktar Saxo qui sera appelé le « qādi de Boghé », il refuse d’être nommé gādi à Maatam ou moniteur d’arabe à Saint-Louis (Samb 1972, p. 128). Enfin le fait de rester au Fuuta Tooro lui interdisait également de se promouvoir comme « entrepreneur du sacré », soit en fondant une nouvelle confrérie au Fuuta Tooro, soit en créant une communauté musulmane ailleurs. Il semble que durant sa période difficile il ait envisagé de fonder une telle hétérotopie en Haute Casamance, ce que réalisera un de ses disciples apparenté à son épouse de Ciikite, Mammadu Saydu Bah38 (Robinson 1988b, p. 98).
61N’ayant ni déclenché de jihād, ni fondé une confrérie, ni participé au clergé musulman de la colonisation, Kamara est resté un lettré et savant dont l’œuvre est largement méconnue de ses compatriotes dans la mesure où elle était écrite non pas en ajami – en pulaar transcrit grâce aux caractères arabes – mais en arabe classique39. Cette indication laisse supposer qu’il s’adressait peut-être de façon privilégiée aux administrateurs-ethnologues qui devaient traduire et annoter ses écrits. Il nous faut donc faire la généalogie de cette sorte de demande intellectuelle qui a croisé le destin de Kamara, de l’évolution de ses principales composantes et de la conjoncture qui a favorisé l’intersection des trajectoires d’un certain nombre de personnages40.
62En effet l’œuvre de Kamara n’aurait pas été possible sans la concordance de trois évolutions : la transition de l’exploration à l’inventaire scientifique – du militaire-explorateur à l’administrateur-ethnologue – l’ouverture de l’orientalisme aux langues parlées – arabe « vulgaire » ou langues soudanaises – et aux institutions et aux pratiques, via la sociologie durkheimienne, enfin le tournant de la politique coloniale en AOF de « l’assimilation » à « l’association » autour de la Première Guerre mondiale.
De l’exploration linéaire à l’inventaire scientifique
Les voyages des commis de la Compagnie (xviiie siècle)
63Les missions d’exploration lancées par Faidherbe au début des années 1860 visent à forger une image renouvelée du fleuve Sénégal, principale voie de pénétration en Afrique de l’Ouest, en se situant de façon polémique par rapport à la synthèse du xviiie siècle, La Nouvelle Relation de l’Afrique Occidentale en cinq volumes publiée par le Père Jean-Baptiste Labat en 1728. Il s’agit d’une compilation à un double degré puisque l’auteur, s’il a connu les Antilles, ne s’est jamais rendu en Afrique, ayant utilisé les mémoires des directeurs de la Compagnie établie à Saint-Louis – mémoires écrits par Brue et Lacourbe à la fin du xviie siècle – et qui avait le monopole du commerce de traite sur la côte et à l’intérieur, sur le fleuve. Aussi étaient-ce souvent des employés de la Compagnie ou commis qui effectuaient les expéditions ou rédigaient les relations de voyages à la demande des directeurs. Les préocupations des ces commis étaient alors avant tout commerciales, la traite ayant même pour horizon de prospecter les régions du Haut Sénégal à la recherche de l’or du Bambuk (Labat 1728, t. 4, p. 5). En outre, le voyage n’a pas seulement pour objectif la connaissance puisqu’il permet de se montrer et de donner à voir « les marchandises » :
« Il est certain que si on parcourait un peu le pays et qu’on y apportait des marchandises, outre des connaissances que l’on retirerait de ces voyages, les découvertes que l’on ne manquerait pas d’y faire, on ferait naître l’envie aux Nègres qu’on y trouverait d’avoir de ces marchandises et peut-être qu’on les réveillerait de l’assoupissement et de l’indolence où ils sont et qu’on les obligerait à travailler et à suivre les découvertes qu’on aurait commencées » (Labat 1728, t. 2, p. 155 et t. 3, p. 169).
64Mais le primat de la navigabilité – d’où l’importance des routiers, des raques et des instructions nautiques – focalise la représentation sur les côtes des continents ou à l’intérieur sur les rives du fleuve : les villages n’existent qu’à condition de border le réseau hydrographique41, l’intérieur des terres étant le domaine de territoires – « Pays » ou « Royaumes » censés rassembler, par extrapolation, des populations homogènes puisqu’ils étaient cernés par la ligne de la carte dressée par le géographe, comme le montre la carte du célèbre d’Anville intitulée Carte de la partie occidentale d’Afrique entre Arguin et Sierra Leone... datée de 1727 (voir carte ancienne 1) et qui devait accompagner le livre de Labat42.
65Or à l’intérieur même du livre de Labat est énoncée une critique de ce que l’on pourrait appeler la « cartographie performative » des géographes de son temps qui en viennent à « marquer le Niger comme le point de partage des Maures et des Nègres » alors même que « comme je l’ay remarqué dans les chapitres précédents il y a bien des Nègres établis au nord de la Rivière » aussi bien dans le Delta, la Moyenne vallée qu’à Ngalam, c’est-à-dire en pays soninke (LABAT 1728, t. 5, p. 253). En effet l’extrapolation, qui procède d’une sorte de compulsion du géographe, n’est possible que si les limites sont des lignes de partage. Ultérieurement c’est l’esprit de système qui conduit le cartographe à l’erreur :
« Cette erreur vient des géographes, ils écrivent souvent sans avoir vu et souvent sur de mauvais mémoires et dès qu’ils ont mis à jour une Carte de quelque Province ou de quelque Royaume, ils se croient en droit et dans l’obligation de décrire tout l’univers. » 43
Faidherbe et l’exploration militaire (milieu du xixe siècle)
66A cette cartographie des contours – littoral maritime ou rives de fleuve – et des frontières – entre pays et royaumes –, l’exploration faidherbienne va substituer la pénétration à l’intérieur des terres suivant un certain nombre d’axes rayonnants à partir du fleuve Sénégal. Ces expéditions effectuées par des militaires n’avaient pas seulement pour but la reconnaissance de contrées inconnues mais elles avaient également des objectifs diplomatiques. Vers le nord il envoie en 1861 le capitaine Vincent accompagné de Buh el-Mogdad qui l’année d’après traversera toute la Mauritanie pour rejoindre le Maroc, comme on l’a vu plus haut, ainsi que le lieutenant Bourrel au Brākna. En 1860 l’enseigne Mage, accompagné d’un autre interprète, Alioune Sal, avait été envoyé au Tagant lors d’une première mission. Vers le sud le lieutenant Lambert est chargé de nouer des relations amicales avec les Almaami du Fuuta Jaloo, en 1861, tout en reconnaissant le pays. Vers l’est l’expédition militaire de Médine contre les troupes d’Al Hājj Umar en 1855 précède le second voyage de Mage qui atteignit le Haut Niger en 1863 et resta quasiment prisonnier du successeur d’Umar, Aamadu, jusqu’en 1866.
67Représentatif de ce type d’expédition est celle de Bourrel qui est chargé de prendre contact avec l’émir du Brākna en suivant la remontée vers le nord du campement émiral le long de l’axe de nomadisation de saison des pluies44. Le « Voyage dans le pays des Maures Brākna » qui en résulte est un journal de voyage très vivant, ponctué de repérages topographiques, qui sera publié dans la Revue maritime et coloniale en 186145. A part des compilations effectuées par Faidherbe lui-même ou aidé d’un vulgarisateur comme de Lanoye (1861), la véritable synthèse sera cartographique : la Commission de la Carte de Sénégambie animée par Brassard de Corbigny à partir de 1861 publiera en 1864 une carte synthétique – Sénégal, Lalémé, Gambie et dépendances – qui fera autorité longtemps.
68Le « témoin » ou plutôt le désir d’entreprendre une exploration sera passé à Louis Gaston Binger (1856-1936) lorsque ce dernier, établissant une carte générale du Haut Fleuve Sénégal après une mission réalisée en 1884, prit contact avec Faidherbe qu’il aida à rédiger Les Langues sénégalaises, livre publié en 1887 (Binger 1938, p. 102). Nommé ordonnance de Faidherbe, ce dernier lui ouvrit sa bibliothèque qui fut pour lui « un précieux guide. Elle embrassait toutes les explorations du xviiie et du xixe siècles ». D’autre part il l’encouragea et le soutint dans la préparation de l’expédition que réalisa Binger au Soudan et en Côte-d’Ivoire de 1887 à 188946. Aussi la publication de l’imposant récit de voyage qu’il en rapporta sous le titre Du Niger au golfe de Guinée en 1892 représente en quelque sorte le point d’aboutissement de cette cohorte d’expéditions menées à partir du fleuve Sénégal qui fut probablement l’âge d’or des explorateurs français en Afrique de l’Ouest47.
L’inventaire scientifique de Delafosse
69Or c’est après avoir entendu une conférence tenue par Binger à son retour, que Maurice Delafosse (1870-1926) accepta son invitation d’être envoyé en Côte-d’Ivoire, départ d’une carrière d’aministrateur et d’ethnologue48 qui se déroulera principalement entre 1894 et 1909 et le mènera également au Liberia et au Soudan (actuel Mali). Participant à une mission de délimitation des frontières de la Côte-d’Ivoire organisée sur proposition de Binger, et qui s’étalera sur deux ans (1901-1903), il publiera un livre sur le même sujet qui sera celui auquel il sera le plus attaché selon le témoignage de sa fille Louise qui fut également son biographe (Delafosse 1976, p. 250). En réalité cette opération clôt sa période d’explorateur, car peu après il s’engage dans cette importante somme en trois volumes intitulée Haut-Sénégal-Niger qui sera publiée en 1912 à partir d’une vaste enquête sur la « coutume indigène » lancée en 1909 par son ami François-Joseph Clozel (1860-1918) à l’époque Lieutenant-Gouverneur du Haut-Sénégal-Niger (Harrison 1988, pp. 102-105 ; Van Hoven 1990).
70On a pu dire de cet ouvrage qu’il s’agissait d’un bilan complet de l’Afrique de l’Ouest en vue de décrire les « civilisations » plus au sens de l’anthropologie culturelle qu’à celui de « la civilisation » marqué à l’aune du xviiie siècle, comme s’en explique d’ailleurs Delafosse lui-même au début du tome trois. Malgré une dénégation introductive – l’Afrique noire ne peut prétendre faire partie de la civilisation – le passage du singulier au pluriel permet de neutraliser la valence hiérarchique de la notion de civilisation et donc de mettre sur un même plan toutes les « cultures ». Il en résulte une opération de réhabilitation49 dont témoigne le titre de son dernier ouvrage – qui était de vulgarisation – Les Civilisations négro-africaines publié en 1925, un an avant sa mort. Cette réhabilitation passe par la description ou plutôt la synthèse des différentes « monographies de cercles » qui avaient été rédigées à la suite de circulaires administratives successives signées par plusieurs Gouverneurs généraux de l’AOF. Comme si la création de cette vaste entité administrative en 1895, l’AOF, devait s’accompagner d’une connaissance fine des aires territoriales minimales – cercles, cantons... –, ce qui requérait à rebours une vision plus globale que devait apporter l’ouvrage grâce à Delafosse (Bazin 1985). Or cette ambition n’est pas sans rappeler d’autres entreprises qui lui sont contemporaines et dont on peut se demander si elles n’ont pas servi de modèle, à savoir en particulier la Mission scientifique du Maroc (1904-191 5)50. Comme le notait rétrospectivement un de ses membres, Michaux Bellaire en 1925 :
« Il s’agissait, pour créer les Archives marocaines de faire pour ainsi dire le catalogue du Maroc, de ses tribus, de ses villes, de ses confréries, d’en retrouver les origines, les ramifications, les luttes et les alliances (...), de reconnaître en un mot, dans la mesure du possible le terrain sur lequel nous pourrions être amené à opérer un jour, pour nous permettre d’agir en toute connaissance de cause et de faire de la politique indigène sans trop d’erreurs (...) » (cité in Burke III 1984, pp. 219-220).
71Ce travail d’inventaire va donner lieu, sous la direction de Le Châtelier, à la publication des 33 volumes des « Archives marocaines » et surtout des 62 de la Revue du Monde Musulman publiés entre 1906 et 1925. Cette revue, unique en son genre à l’époque, non seulement s’intéressait aux sociétés musulmanes s’étendant du Maroc à la Chine (Burke III 1984, p. 220), mais surtout conduisait ses enquêtes dans une perspective scientifique marquée plus par la sociologie durkheimienne que par le « paradigme lettré » (Karady 1982) de l’orientalisme classique. Selon E. Burke (ibid.) ce dernier trait témoigne d’une première crise et d’une refonte de l’orientalisme datant du début du siècle, bien avant donc les remises en cause opérées par Edward Saïd à la fin des années 1970.
72Rappelons en effet que les travaux de l’infatigable Paul Marty – qui effectuera une série de monographies très complètes sur l’islam, du Sénégal jusqu’à la boucle du Niger et de la Mauritanie à la Guinée – seront publiées dans la Revue du Monde musulman entre 1915 et 1925. Or l’entreprise de Marty fait écho à la vaste enquête menée par Le Châtelier (1859-1929) sur l’islam en Afrique noire qui le mènera jusqu’au Dahomey et au Congo en 1887, enquête qui ne sera publiée qu’en 1899 sous le titre L’Islam dans l’Afrique Occidentale. Le Châtelier sera un des premiers « Algériens » spécialiste de l’islam à faire une mission en l’Afrique de l’Ouest et sera suivi par la série des inventeurs de l’islam noir, Xavier Coppolani, et son fils spirituel, Robert Arnaud, qui précédera Marty.
De l’orientalisme à l’ethnologie
73La biographie de Delafosse ne nous renseigne pas seulement sur le basculement de l’exploration à l’inventaire puisqu’on y décèle également une sorte d’oscillation entre l’orientalisme et l’ethnologie ou plutôt de choix liés entre eux dans deux séries associant profession – enseignement ou administration – et affectation – Maghreb ou Afrique noire. A ces deux pôles on peut donner figure humaine : celle d’Octave Houdas pour le premier, celle de Louis-Gaston Binger pour le second (fig. 3).
74On a vu plus haut que Delafosse avait été séduit par une conférence faite par Binger à la Sorbonne ou à la Société de Géographie, comme le faisaient le plus souvent les explorateurs. Souhaitant enseigner à Saint-Louis-du-Sénégal, il lui fallait connaître l’arabe, ce qu’il entreprit en 1890-1891 auprès d’Octave Houdas (1840-1916) qui était professeur d’arabe à l’École des langues orientales vivantes depuis 1884. Une amitié s’installe entre le maître et l’élève, amitié qui dépasse rapidement le cadre académique ; Houdas, n’ayant que trois filles, Delafosse épousera Alice en 1907, et représentera le fils qu’il aurait souhaité avoir51.
75La première vision qu’aura Delafosse de l’Afrique proviendra du séjour qu’il effectue auprès de cette curieuse congrégation fondée par le Cardinal Lavigerie sous le nom des « Frères armés du Soudan » en 1891. Sa véritable période africaine se déroule de 1894 à 1909 dans l’administration coloniale où il sera tour à tour commis des affaires indigènes en Côte-d’Ivoire, commandant du cercle du Baoulé (1896), vice-consul au Liberia. En 1901-1903 il participe à la pacification du Baoulé et à la Mission de délimitation entre Côte-d’Ivoire, Gold Coast et Soudan. Enfin il est administrateur du cercle de Korhogo (Nord Côte-d’Ivoire) puis de Bamako dans l’actuel Mali en 1909. Or à plusieurs reprises Houdas lui propose des postes d’enseignant, soit au début de cette période à Saint-Louis, soit à l’École des langues orientales en 1898. Ce n’est qu’en 1900 que Delafosse accepte d’être chargé de cours de dialectes soudanais à l’ELOV (L. Delafosse 1976, p. 185).
76En effet Houdas qui fut professeur d’arabe en Algérie dès les années 1860 avant d’être nommé à l’École supérieure des Lettres d’Alger, qui venait d’être créée, à partir de 1878, allait être amené à s’intéresser de plus en plus aux sociétés musulmanes du sud du Sahara. Et cela à la confluence de trois évolutions. Celle de l’orientalisme en ce qui concerne l’enseignement de l’arabe qui était focalisé sur la langue classique et donc sur les textes écrits qui la véhiculaient par le biais de la chrestomathie – du recueil des textes canoniques à usage d’enseignement (Burke III 1984, p. 216). Houdas qui avait passé une vingtaine d’années en Algérie enseignait aussi l’arabe parlé au Maghreb même s’il privilégiait l’étude des textes classiques.
77D’autre part, et parallèlement à l’institutionnalisation de la sociologie autour de l’Année sociologique et de Durkheim, Houdas s’intéressait également à l’évolution du Maghreb contemporain puisqu’il rédigea en 1896 une Ethnographie de l’Algérie. Ces deux préoccupations – ethnographie, folklore et arabe « vulgaire » – seront partagées également par Maurice Gaudefroy-Demombynes52. Après avoir été directeur de la Medersa de Tlemcen, celui-ci enseigna à l’École des langues orientales vivantes à partir de 1898, et rédigea, parmi de nombreuses autres œuvres, en 1913, un Manuel d’arabe marocain qui servit à former les administrateurs des affaires indigènes du Maroc et l’on comprend mieux dès lors que ce dernier ait repris le projet de traduction du Zuhūr.
78Enfin la conquête militaire de l’Afrique de l’Ouest s’étant faite contre des États musulmans, elle allait fournir son lot de textes arabes, le plus souvent manuscrits, permettant l’entrée de la partie de l’Afrique de l’Ouest qui venait d’être conquise par les Français sur la scène de la culture lettrée arabo-musulmane, et ce fut Houdas qui en fut le premier traducteur et éditeur. Rappelons en effet qu’en 1898 celui-ci reçoit deux manuscrits importants parmi les trois qui formeront la série des tārîkh soudanais des xvie-xviie siècles. Sous les ordres de Gouraud, Gaden qui participe directement à la prise de Samori fait recopier le Tedzkiret en-Nisian (Tadhkirat al Nisyān)53 et le confie à Houdas (Houdas 1966, I et XIII). De même le Général Archinard qui était rentré dans Segu, la capitale du fils et successeur d’al Hājj Umar, Aamadu Sayku, allait s’emparer d’un ensemble de manuscrits54 de première importance et transmettre un manuscrit du Tarikh es-Soudan (Tārikh al-Sudān) (es-Sa’dī 1981).
79A cette collecte opérée par des militaires succèdent les missions demandées par l’administration. En 1911, Clozel, gouverneur du Haut-Sénégal-Niger, envoie Bonnel de Mézières à la recherche du fameux Tarikh el-Fettach (Tārikh al-Fattāsh) qui sera traduit par Houdas durant deux étés, tout seul en 1912 puis avec Maurice Delafosse l’année suivante55 (L. Delafosse 1976) et publié en 1913-1914 (Ka’ti 1964). Or François-Joseph Clozel (1860-1918) avant d’être le mentor de Delafosse56 le précédera dans une vie partagée entre l’orientalisme – élève d’Houdas également mais à l’École des Lettres d’Alger – l’exploration – Moyen Congo/Oubangui... en 1892-1893 puis une carrière d’administrateur colonial qui le mènera en Côte-d’Ivoire, au Soudan (actuel Mali) à partir de 1909 avant d’être brièvement Gouverneur général de l’AOF en 1915-1916. Comme si la boucle devait être bouclée au Maghreb, il mourra à Rabat en 1918 en rendant visite à Lyautey. Ayant écrit avec la collaboration de Roger Villamur57 un livre intitulé Les Coutumes indigènes de la Côte-d’Ivoire (1902), c’est lui qui demanda à Delafosse de rédiger cette synthèse des « coutumes indigènes » que représente Haut-Sénégal-Niger et qui reprenait le cours que ce dernier assurait à l’École coloniale (L. Delafosse 1976, p. 286). De même c’est Clozel qui créa en 1915 le Comité d’Études historiques et scientifiques de l’AOF dont l’organe de publication fut le fameux Bulletin du BCEH-SAOF qui poursuit d’une certaine façon la synthèse de Delafosse : en témoigne le fait que ce sont les unités administratives coloniales (cercles, cantons) qui constituent les cadres d’analyse privilégiés des articles qu’on y trouve, formant ainsi une « mosaïque de monographies de cercles » (Pondopoulo 1995).
De la politique de l’« assimilation » à celle de l’ « association »
80En 1913, dans sa préface à la traduction des Chroniques du Foûta sénégalais de Siré Abbâs Soh, Delafosse notait à propos du Fuuta Tooro, donc de la Moyenne vallée du Sénégal :
« Il est même fort curieux que dans cette région islamisée depuis si longtemps on ne trouve rien d’analogue à ce qui a été trouvé dans la région du Moyen Niger. »
81Une dizaine d’années plus tard, contacté pour évaluer le manuscrit du Zuhūr, Delafosse n’hésitera pas à comparer l’importance de l’ouvrage à « celle d’Abd al-Rahmān es-Sa’di et de Mahmud Ka’ti, auteurs du Ta’rikh al-Sudan et du Ta’rikh al-Fattash58 ». En effet il semble que l’intérêt de Delafosse pour les langues africaines était médiatisé paradoxalement par sa connaissance de l’arabe et donc, malgré ce que nous avons dit plus haut, par le paradigme lettré de l’orientalisme. Parmi les sociétés africaines Delafosse établissait une distinction entre sociétés historiques et sociétés ethnographiques et donc une supériorité des premières sur les secondes (Pondopoulo 1995). D’où son intérêt pour les Mandingues et les Peuls59 qui s’étaient servis de l’arabe pour écrire leur histoire. Aussi était-ce avec les annotations de Gaden qu’il publia la traduction du manuscrit de Siré Abbâs Soh, alors que le même Gaden publiait l’année suivante deux volumes d’une étude sur le dialecte peul du Fuuta Tooro intitulée Le Poular, dialecte peul du Fouta sénégalais (1913-1914)60.
82Henri Gaden (1867-1939) était à la charnière de trois entreprises : l’annotation et l’édition de textes écrits en arabe sur l’histoire des Peuls comme on vient de le voir, la traduction et l’annotation de textes en peul – Proverbes et maximes peuls et toucouleurs en 1935 – ou en ajami (en peul utilisant la graphie arabe) – La Vie d’El Hadj Omar, quacida en poular de Mohammadou Aliou Tyam –, enfin l’histoire écrite en français des différents royaumes wolofs par Yoro Dyao. Ces trois orientations de son activité donnaient lieu à des traductions dans trois langues : arabe, peul, français.
83Cette dernière entreprise mérite de retenir notre attention car elle est le fil d’Ariane qui relie deux périodes – celle de Faidherbe et celle qui entoure la guerre de 1914-1918 que l’on qualifiera de période de « l’association », ainsi que deux réseaux, celui des administrateurs coloniaux (fig. 3) et celui qui articulait les musulmans de Saint-Louis à ceux de la Vallée du Sénégal (fig. 2)61.
84En 1912 Gaden publie deux articles qui se suivent sur les cahiers de Yoro Dyao62 dans la nouvelle Revue d’ethnographie et de sociologie crée en 1910 par Van Gennep puis dirigée à l’époque par Maurice Delafosse63. Après une interruption de presque soixante ans il reprend la publication des Cahiers d’un fils d’aristocrate du Waalo, l’ancien royaume wolof qui occupait la zone du delta du Sénégal : Yoro Dyao (1847-1919)64 fit partie de la première promotion de l’École des Otages, l’institution d’enseignement créée par Faidherbe en 1856 pour concurrencer l’enseignement dispensé par les Spiritains et les Frères de Ploërmel. Après sa sortie, considéré comme « l’élève le plus fort de l’École des Otages », il dédia à Faidherbe un premier article consacré à la dynastie régnante du Kayoor, un autre État wolof situé au sud du Waalo65.
85Après une carrière mouvementée de chef de canton puisqu’il fut révoqué et réintégré une dizaine de fois par l’administration coloniale, ce ne fut qu’après son renvoi définitif en 1914 qu’il rédigea d’autres cahiers. Son projet était ambitieux puisqu’il visait à comparer les institutions politiques – succession dynastique, cérémonies d’intronisation, exclusion des éligibles... – à travers six États wolofs issus du démantèlement (probablement au xve ou xvie siècle) de l’ancien Jolof. Ces études seront annotées et publiées par Raymond Rousseau, professeur au Lycée Faidherbe de Saint-Louis, sur la demande de Gaden dans les années 1930.
86Or la publication de ces études sur le fonctionnement de l’aristocratie coïncidait avec des débats politiques qui agitaient les milieux des administrateurs coloniaux et portaient sur le type d’autorité qu’il fallait appliquer aux indigènes. Fallait-il s’appuyer sur l’élite occidentalisée des « évolués » ou de ceux que Delafosse dans sa polémique avec Blaise Diagne qualifiait d’ « indigènes européens », passés par les institutions d’enseignements en français, en leur accordant la citoyenneté (doctrine de l’« assimilation »), ou bien fallait-il restaurer l’autorité des chefs traditionnels dans une sorte d’indirect rule à la française. Cette autre doctrine avait pour nom l’ « association », terme forgé par les saint-simoniens qui préconisaient une nouvelle organisation des relations humaines qui serait l’inverse d’une société reposant sur la compétition ou la coercition de type féodal.
87L’idée d’association avait été mise en avant dans le contexte algérien, face aux réclamations des colons européens qui, eux, demandaient la citoyenneté, par Ismaël Urbain, l’inspirateur de la politique dite du Royaume arabe de Napoléon III. Elle fut remise à l’ordre du jour sous le nom de « politique indigène » ou de « politique des égards » vis-à-vis des musulmans algériens par Jules Cambon qui fut Gouverneur général de l’Algérie de 1891 à 1897.
88Ce qui nous intéresse ici c’est l’articulation entre ce style politique et la pratique des enquêtes sociales dans les colonies. En effet c’est Cambon qui demandera à Octave Depont et Xavier Coppolani d’effectuer une vaste enquête sur les confréries musulmanes à partir de 1895, qui a donné lieu à la publication d’une imposante monographie en 189766 (Ageron 1968, p. 514). Dès lors l’objectif qui s’inscrivait dans le cadre global d’une politique indigène était non pas de détruire67 les confréries pour leur substituer un clergé musulman salarié68, mais de les utiliser comme partenaires (Frébourg 1993, p. 622).
89De même au tournant du siècle Cambon envoya toute une série d’arabisants formés en Algérie en tant qu’experts en matière d’administration indigène et de politique musulmane dans les nouveaux territoires d’Afrique de l’Ouest. Nous avons déjà cité Le Châtelier et Coppolani, mais il faut mentionner également Robert Arnaud qui accompagna Coppolani durant la mission Trintinian de 189869 et rédigea à la demande du Gouverneur Roume un Précis de politique musulmane en 1906. Arnaud fut le premier à diriger la « Section des Affaires musulmanes », créé également en 1906, avant d’être suivi par Paul Marty (Robinson 1994, p. 25). Ainsi près d’un demi siècle après Faidherbe le modèle des bureaux arabes algériens fonctionne à nouveau comme référence.
90Dans les années 1905 l’idée de politique indigène prit le nom d’« association » en Algérie. Cette nouvelle formulation fut le fait de publicistes coloniaux regroupés autour de La revue indigène et de son créateur en 1906, Paul Bourdarie (Ageron 1968, p. 996). L’idée d’association avait été élaborée par les saint-simoniens, Enfantin et surtout Ismaël Urbain (1812-1884), qui dès 1847 souhaitaient associer les Arabes à la colonisation, prônait un enseignement franco-arabe professionnel et pratique et surtout la transition de l’islam comme religion militante en philosophie tolérante (Ageron 1968, p. 403 et 412).
91La version libérale de l’association véhiculée par La revue indigène influença par le biais de la Ligue des Droits de l’homme aussi bien des Africains ou des Antillais comme le sénateur Alexandre Isaac que des administrateurs coloniaux comme Delafosse (Manchuelle 1995, pp. 347-348). Comme on l’a vu plus haut c’est l’ami de Delafosse, Clozel, qui, durant la brève période où il fut Gouverneur général, élabora les instruments intellectuels d’une telle politique en créant le Comité d’Études historiques et scientifiques de l’AOF auquel participaient Durkheim et Lévy-Bruhl.
92Mais c’est surtout au début des années 1920, grâce à Martial Merlin. qui fut Gouverneur général de 1919 à 1923 que cette politique allait prendre définitivement corps (Conklin 1995)70. En effet parallèlement à la revendication de citoyenneté française formulée par les « évolués » après l’élection de Blaise Diagne comme député en 1914 et contre laquelle guerroyait Delafosse71, se posait le problème de l’administration indigène. Fallait-il favoriser le « contact direct » entre l’administration coloniale et les indigènes comme l’avait préconisé le Gouverneur William Ponty à travers sa « politique des races72 » (Marty 1915), ou bien au contraire partager le pouvoir avec les chefs traditionnels et la nouvelle élite des « évolués ». Aussi bien Delafosse que les Gouverneurs successifs, de Clozel (1915-1917) à Jules Carde (1923-1930) et surtout le ministre des Colonies Albert Sarraut (1921-1925), optèrent pour cette seconde solution, soit la restauration de l’autorité des chefs traditionnels qui pouvait s’exercer au sein d’institutions revalorisées comme les conseils de notables (Conklin 1995, p. 15).
93En réalité dès les années 1890 les prémisses d’une telle politique étaient déjà en place. Si l’École des Otages de Faidherbe avait été fermée en 1870, une institution similaire, appelée dès lors École des fils de chefs et interprètes (EFCI), fut créée en 1893 par le Gouverneur de Lamothe73 et son directeur des affaires politiques qui n’était autre que Merlin. Pour compléter le cycle d’enseignements, on envoya en 1894 neuf fils de chefs au collège Allaoui, une école normale franco-arabe de Tunis, pour leur faire connaître un islam modéré ou plus exactement « une civilisation musulmane s’exprimant en français » (Bouche 1975, p. 353 ; Robinson 1987b). Parmi ces fils de chefs nous ne retiendrons que trois noms : Fara Penda Jaw (Dyao), fils de Yoro Dyao et Abdu Salaam Kan, fils de Shaykh Muḥammad (fig. 2), ainsi que Buna Njaay, fils de l’ancien roi du Jolof qui connaissait Gaden et allait constituer un relais important de la politique de Merlin lorsqu’il devint à son tour Gouverneur.
94On assiste au même tournant des années 1920 en Mauritanie où il est motivé, semble-t-il, par la résistance entretenue par les tribus du Nord même après l’occupation de l’Adrar par la colonne Gouraud en 1909. Alors que Coppolani quinze ans auparavant voulait renverser le régime féodal des guerriers Hasan en s’appuyant sur les marabouts, Gaden, devenu gouverneur, refusera de bouleverser les fondements de l’organisation hiérarchique de la société maure en abolissant les rapports serviles tout en interdisant la traite des esclaves (Bonte 1989, p. 121).
95Aussi l’impossible traduction du Zuhūr durant l’entre-deux-guerres nous semble résulter d’un certain nombre de ruptures et d’inversions de tendance parmi les évolutions à l’origine de la demande des administrateurs-ethnologues vis-à-vis de Kamara.
96Tout d’abord la restauration des chefs traditionnels donne un pouvoir important au chef de canton, qui dispose ainsi de ressources obtenues grâce à la collecte des impôts au nom du Commandant de Cercle. Dès les années 1930 il est admis que les chefs sont corrompus et qu’ils commettent des abus, en particulier en matière de réquisitions de travail (Conklin 1995, p. 20).
97Cette traduction différée à plusieurs reprises témoigne par elle-même de la rupture qui s’opère entre l’islamologie et l’africanisme qui se constitue alors. Cette rupture se repère aux deux bouts de la chaîne.
98On a essayé de montrer plus haut que l’intérêt pour les civilisations africaines – les langues, l’islam... – n’avait pu naître que grâce à la médiation des orientalistes et à l’occasion d’une ouverture des spécialistes du Maghreb à la sociologie, au folklore et à l’arabe parlé. Or cette première crise de l’orientalisme de 1900 à 1914 n’a pas débouché sur un renouveau, mais aboutit à un retour au paradigme lettré (Burke III 1984). Symétriquement la place du Maghreb resta marginale au sein de l’Année sociologique et de l’école durkheimienne, en dehors de personnages comme Doutté ou plus controversés comme Lapie (Valensi 1984).
99Par ailleurs, on assiste à la construction d’un islam spécifique, l’islam noir, dont la formulation apparaît dès les années 1910 sous la plume d’un rédacteur des colonies, André Quellien74 :
« L’islam soudanien – écrit-il – a (...) l’avantage de tendre à perdre son caractère fanatique à mesure que la couleur du Noir augmente. Ce caractère subsiste seulement chez les races noires métissées d’Arabe ou de Peul (...) Cet islamisme, informe et hétérodoxe, ne saurait donc être dangereux, à condition qu’il reste livré à lui-même et qu’aucune influence extérieure ne vienne lui faire subir d’importantes modifications » (Quellien 1910, pp. 111-112).
100Cette théorie, qui sépare l’islam africain de l’ensemble du monde musulman, sera au cœur de la culture du service des Affaires musulmanes. Elle sera ainsi reprise par son premier responsable Robert Arnaud en 1912 :
« L’islam en Afrique occidentale, virtuellement séparé de l’influence des perturbations politiques qui, ailleurs, modifient son aspect traditionnel, confondu de plus en plus avec le fétichisme, vit d’une vie qui lui est propre, et acquiert une individualité qui lui permet d’avoir son évolution particulière, en dehors des idées professées par les transformateurs sociaux d’Égypte, de Turquie et de Perse. » Et, plus clairement encore : « Nous avons un intérêt considérable à voir se constituer et évoluer en Afrique occidentale un islam purement africain (...) Il serait désirable que nous ne soyons point indifférents à la formation, dans la partie occidentale de ce continent, d’un éthiopianisme musulman » (Arnaud 1912, p. 6 et 128-129).
101Paul Marty, qui est le successeur d’Arnaud à la tête des Affaires musulmanes, considère la confrérie mouride comme une sorte d’islam pour les wolofs et il emploie à son sujet l’expression abusive de « vagabondage islamique » qui sera souvent reprise par les compilateurs (Marty 1917, p. 262).
102Par-delà la « peur de l’Islam » (Harrison 1988) dont elle témoigne, cette construction emprunte certains traits aux stéréotypes attribués aux berbères par le « mythe kabyle » en Algérie durant le xixe siècle : islamisation superficielle75, anthropolâtrie ou culte des saints. Parallèlement et à la même époque – les années 1900-1910 – d’autres « Algériens » transféraient cet ensemble de traits aux Berbères marocains, traits qui allaient devenir une composante de la « vulgate marocaine » (Burke III 1975).
103Ainsi les deux opérations dont procède cette construction – séparation des musulmans noirs de l’ensemble du monde islamique et ethnicisation de l’islam – aboutissent à une disqualification de la production littéraire arabe au sud du Sahara. On peut penser que c’est contre cette disqualification que Kamara a lutté en construisant son œuvre, lui qui voulait traduire en arabe classique l’histoire et les institutions d’une civilisation noire de l’Occident musulman.
104Enfin l’ère des administrateurs-ethnologues76 qui formulaient une demande de connaissances dont l’horizon jamais totalement explicite était celui de l’ingénierie sociale appliquée aux colonies, allait laisser la place à une ethnologie universitaire qui valorisait l’enquête minutieuse d’un terrain dans la mesure même où la population qui y vivait ne maîtrisait pas l’écriture. Le primat modifié du regard77 qu’entraînait le paradigme du « terrain » sous la forme inspirée de « l’immersion baptiste » (E. Gellner) ou plus prosaïque de l’ « observation participante » (P. Mercier) allait reléguer au second plan la collecte des traditions orales ou écrites et différer par ailleurs une réflexion sur le « texte » ethnographique qui ne se développera que dans les années 1980 (Clifford et Marcus 1986).
Visions du fleuve. Le Fuuta Tooro de Kamara
105Les observateurs du xixe siècle parlaient du Fuuta Tooro en terme de républiques ou de cantons maraboutiques alors qu’un généalogiste comme Siré Abbâs Soh, au début du siècle, déroule d’amples généalogies dont les ramifications s’étalent de l’Atlantique à la boucle du Niger. Commençons tout d’abord par la vision par le bas, même si les réseaux tribaux ou lignagers guident également la présentation de Kamara.
Les républiques maraboutiques
106Comme beaucoup de sociétés sahéliennes fortement hiérarchisées, la société haalpulaar est organisée à l’image d’un triangle, aux sommets duquel se répartiraient les principaux statuts.
107Le groupe des « ingénus », ou libres « nobles », occupe le pôle supérieur du triangle. Parmi ceux-ci, on distingue le groupe des Fulbe (sg. Pullo) éleveurs semi-sédentaires ou transhumants, les Toorobbe (sg. Tooroodo), agriculteurs musulmans parmi lesquels se recrutent ceux qui assurent les fonctions religieuses (imām, enseignants coraniques, thérapeutes, juges ou qādi), les Sebbe (sg. Ceddo) également agriculteurs mais chargés auparavant de la fonction guerrière, enfin les Subalbe (sg. Cubballo), pêcheurs et bateliers. Les membres de certains lignages composant ces groupes statutaires peuvent prétendre aux deux principales charges du pouvoir local – celles de chef de territoire et de chef de village. Par ailleurs, chaque groupe étant également fonctionnellement défini, est représenté par un (ou deux) titre spécifique : les Toorobbe fournissent les Elimaam chargés de la mosquée du vendredi située au cœur du village principal, les percepteurs des redevances portant le titre de Jaagaraaf se recrutent en général parmi les anciens guerriers, les Sebbe, tandis que les pêcheurs choisissent leur chef, le Jaaltaabe, exclusivement parmi eux.
108A l’inverse, les artisans (forgerons, boisseliers, travailleurs de la peau...) et les griots, ou laudateurs, bien que libres ne peuvent prétendre au pouvoir local. Ils sont liés aux membres des groupes précédents par des rapports de clientèle. Produisant autrefois des biens artisanaux ou fournissant des services (louanges), ils recevaient en compensation la nourriture nécessaire à leur subsistance ; aujourd’hui, c’est au cours des cérémonies familiales en ville qu’ils perçoivent leur rétribution presque indexée sur le cours de la « dépense » journalière. Ce sont ces deux dépendances, politique et économique, qui en font des libres de seconde catégorie.
109Enfin le troisième sommet du triangle est occupé par les esclaves et affranchis qui travaillaient pour les deux premières catégories de libres et leur sont liés par des rapports d’exploitation. Qu’ils soient agriculteurs ou forgerons, une partie du produit de leur travail revient au maître.
110Bien que Kamara ne s’intéresse qu’au premier groupe, celui des libres qui ont accès au pouvoir local, voyons néanmoins comment il s’articule aux deux autres. A cette étape l’observateur doit changer d’échelle d’analyse et examiner comment les groupes qui composent le triangle statutaire se projettent sur le dispositif grossièrement auréolaire d’une cuvette de décrue située dans le lit majeur (kolangal).
111La partie la plus basse de la cuvette, donc la plus régulièrement inondée, est contrôlée par les libres nobles – surtout Toorobbe, Fulbe ou Sebbe – et parmi eux, plus particulièrement par ceux qui fournissent les chefs de terre ou de village. La partie médiane est contrôlée par les autres libres nobles – en particulier les électeurs des chefs de terre, les titulaires des autres fonctions et les nouveaux venus dans le village. Enfin, les parties hautes rarement inondées de la cuvette peuvent être concédées aux esclaves et à leurs descendants, ce qui oblige ces derniers à prendre en métayage les parcelles des nobles lors d’une crue médiocre, substituant une dépendance de groupe à groupe à la relation de servitude personnelle qui les liait à leur maître. Bien que souvent aléatoires, c’étaient les cultures pluviales libres d’accès qui leur fournissaient un complément de ressources. Traditionnellement, il était extrêmement rare de voir les artisans et laudateurs s’adonner à la culture. Sur les quelque deux cents territoires répertoriés (voir tableau 2), seuls un ou deux sont aux mains des Ñeeñbe.
112Si on se situe maintenant à l’échelle du territoire tout entier (leydi).on constate que les cuvettes du lit majeur, annuellement inondées, le waalo, en forment bien le cœur, puisqu’elles sont le lieu où s’effectue la rotation socio-économique des trois groupes qui pratiquent les activités primaires : les pêcheurs sont dans la plaine inondée durant les hautes eaux, lesquelles coïncident avec la saison des pluies, les agriculteurs leur succèdent, pratiquant la culture de décrue durant la saison sèche, enfin vers la mi-avril, après la récolte, les troupeaux des pasteurs pâturent le fourrage vert restant sur les parcelles. En effet, le leydi est situé à la croisée de deux axes de mobilité : celui que constituent les déplacements des pêcheurs qui, durant la saison sèche, suivent l’axe longitudinal du fleuve, d’une part, et d’autre part, celui que dessine la transhumance transversale des éleveurs, dispersés durant la saison des pluies dans l’arrière-pays, le jeeri, avant de rejoindre les bords du fleuve en saison sèche – mouvement approximativement nord-sud sur lequel se greffe la micromigration des agriculteurs associant waalo et jeeri (Schmitz 1986).
113Sur le plan de la résidence, un territoire, dans une sorte de topographie idéale, comporte en son centre un gros village d’agriculteurs (sebbe ou toorobbe) situé en bordure de la plaine inondée, un quartier ou un village de pêcheurs surplombant le fleuve à partir d’un bourrelet de berges, enfin un chapelet de hameaux de pasteurs fulbe qui s’égrennent transversalement au fleuve le long des pistes de transhumance qui conduisent au jeeri lointain. Traditionnellement, les familles des trois types d’unités d’habitation troquaient leurs produits (sorgho de décrue, lait, poissons frais) non pas sur la place d’un marché mais à l’intérieur de la maison de leurs « amis ». Ainsi, la femme d’un agriculteur tooroodo échange une mesure de sorgho contre un poisson, tandis qu’elle commercialise le lait ou le beurre de son amie peule venue chercher de l’eau au fleuve avec ses ânes.
114Intersection des parcours et rotation de plusieurs populations relativement spécialisées exigent la présence d’une instance régulatrice, fonction que remplit le micro-Etat, avec à sa tête le chef de territoire et son conseil (Batu). Son principal rôle consiste à organiser le cycle annuel d’exploitation des ressources agro-halio-pastorales de son territoire, notamment en fixant la date de semis qui conditionnera la période de la récolte des cultures de décrue, et donc de l’entrée des troupeaux dans les cuvettes – opération appelée ñayngal et assimilable à l’ouverture après une mise en défens des champs cultivés. De même, c’est le chef des pêcheurs qui, avec l’accord du chef de territoire, s’il ne l’est pas lui-même, décide de l’ouverture, en saison sèche, de la pêche collective intervillageoise des fosses du lit mineur incluses dans un tronçon de la vallée.
115C’est surtout dans de deuxième volume (tomes 3 et 4) que Kamara renseigne de façon précise sur les cinq charges municipales ou fonctions politiques locales, qu’on rencontre encore à l’heure actuelle dans les principaux villages de la vallée (Schmitz 1994). Dans un premier temps, tentons d’établir une correspondance type entre charge à titre et appartenance à un groupe statutaire noble.
116La fonction principale, celle de joom leydi, est en général détenue par les Fulbe qui portent les titres de Jom, Ardo... Les raisons pourraient en être non seulement l’ancienne domination des Peuls du xvie au xviiie siècle, mais aussi les déterminations écologiques. Étant donné que la culture de décrue se déroule au moment de la saison sèche, lorsque les réserves fourragères de l’arrière-pays sont presque nulles, on imagine aisément les dégâts que pourrait infliger le bétail aux récoltes s’il y avait affrontement entre éleveurs et agriculteurs. Dès lors on peut penser qu’il n’y a que des pasteurs sédentarisés associant l’agriculture de décrue – même si elle est pratiquée par des esclaves – et l’élevage transhumant qui peuvent organiser pacifiquement l’entrée du bétail dans leurs propres cuvettes du waalo. En réalité, les autres groupes, et en particulier les Toorobbe qui sont les plus nombreux, mais aussi les Sebbe et les Subalbe sont également chefs de territoires, ce qui est une caractéristique de la noblesse. Le titre était en général détenu par un ou deux lignages (en alternance), le titulaire étant choisi et destitué par d’autres lignages électeurs. Cette organisation non strictement dynastique est homologue à celle du pouvoir central de l’Almaami (toujours un Tooroodo) qui était élu par des dynasties d’électeurs, cinq ou six familles Fulbe ou Toorobbe. Pour Kamara (1976), à cette absence de dynastie princière correspond également l’absence de dynastie de « savants » ou de « saints » comme on en rencontre chez les Maures ou les Soninke car, dans ces sociétés, les clercs ne peuvent avoir accès au pouvoir. A l’inverse, le fait qu’au Fuuta Tooro le pouvoir central ne soit accessible qu’à des Toorobbe explique que le fils d’un Almaami devenait inéluctablement un « prince sans instruction » (sans culture arabo-musulmane) comme le dit un proverbe pulaar souvent cité (Gaden 1931).
117La seconde fonction, celle de joom wuro, ou chef de village dirigeant la communauté d’habitants, est en général assumée par un lignage tooroodo avec le titre de Ceerno, Elimaan... La maîtrise de l’écriture, qui assure le contrôle des communications inter-villageoises (souvent auparavant effectuée à l’aide de billets écrits transportés à cheval), le service de la mosquée, principal lieu de rassemblement du village, enfin la sédentarité du Tooroodo par rapport aux Peuls, expliquent cette spécialisation.
118La troisième fonction, celle de l’imām de la mosquée (Elimaan également) était en général aux mains d’un Tooroodo, mais les autres groupes y avaient également accès.
119La fonction de Jaagaraf, celui qui rassemble les redevances foncières pour le joom leydi, est le plus souvent réservée à un Ceddo (bien que le chef des pêcheurs ait souvent ce rôle vis-à-vis des Cubballo en ce qui concerne les champs de berge).
120La fonction de chef de pêcheurs, et de passeur d’hommes et de bêtes, est toujours entre les mains d’un pêcheur Cubballo avec le titre de Jaaltaaɓe, de Teeñ, etc.
121Or sur les 170 villages-territoires, dans la grande majorité des cas (143, soit 84 %) un seul groupe statutaire monopolise le pouvoir tandis qu’il n’y a que 14 cas (soit 8 %) où tous les groupes statutaires nobles sont représentés politiquement au niveau des cinq charges municipales.
122Le pluralisme politique ne se réalise donc pas au niveau de chaque territoire mais au niveau de la province et de la Vallée du Sénégal en son entier. C’était par le canal de relations entre les villages à la tête des territoires que prenaient corps les alliances entre les grandes familles haalpulaar qui étaient à la tête d’une province et les émirs maures au xixe siècle78. Pour ne prendre qu’un exemple connu, on a assisté au milieu du siècle à l’affrontement entre Ibra Almaami, appartenant à la famille Wan ayant fourni plusieurs Almaami, et Abdul Bookar qui, lui, était l’héritier de la plus importante famille des grands électeurs, les Kan, dont l’ancêtre était Aali Dunndu (Sall 1977-1978). Or, les Wan de Mbummba [La 23] étaient à la tête de la province du Laaw grâce, en particulier, à leur alliance avec une des fractions qui dirigeaient l’émirat du Brākna, celle des Awlād Nogmāsh qui nomadisait sur la rive droite du fleuve située à l’aplomb. Symétriquement, les Kan de Dabia [Bo 33], la famille la plus importante du Booseya (Robinson a 1975), faisaient appel aux Awlād A’li qui contrôlaient le Gorgol, situé en face de la province, lorsqu’ils luttaient contre les Wan. Ces conflits étaient à l’origine de véritables chaînes d’alliances qui associaient, sur un axe transversal au fleuve, plusieurs villages-territoires « à dominante » (i.e. où un seul groupe statutaire était majoritaire) : les Wan ne pouvaient faire la guerre sans demander l’aide de leurs guerriers, les Seɓɓe installés à Dioude-Diabe [La 16], de même que les Kan étaient alliés militairement aux Seɓɓe de Nguidjilogne [Ng 6], En outre, pour traverser le marigot de Balel qui coupait le chemin allant de Dabia à Nguidilogne, les Kan avaient recours aux pêcheurs-passeurs de Mbakhna [Ng 14] ayant à leur tête un Jaaltaabe Paam, famille alliée d’Abdul Bookar.
123Cette organisation supra territoriale explique donc la prédominance des villages-territoires contrôlés par un seul groupe.
L’ordre des statuts et la trame des lignages
124La seconde vision plus macroscopique que l’on peut avoir de l’organisation sociale du Fuuta Tooro, correspond à la représentation que véhiculent les genres historiographiques des Soudanais islamisés. Elle procède de l’ensemble social le plus inclusif, pour aboutir de façon graduée aux unités minimales et même à l’individu, ne serait-ce que pour situer l’informateur.
Groupes statutaires
125Au point de départ on décrira les différents groupes statutaires – Fulbe (bédouins), Tooroɓɓe (musulmans), Seɓɓe (guerriers), enfin Subalɓe (pêcheurs-bateliers) – comme des ensembles de tribus ou de clans qui portent des noms d’honneur ou des patronymes distincts79. Peu de chose distingue chaque groupe statutaire d’un lignage, sinon l’absence de lien de parenté entre les ancêtres des unités généalogiques qui le composent. Cette similarité semble accentuée par le fait que l’on désigne par le même mot – leñol – aussi bien le lignage que le groupe statutaire80.
Généalogies
126Au niveau médian chaque clan ou lignage est décomposé en différents segments. Cela explique que le texte de Kamara soit truffé de généalogies (nasab arabe ou asko pulaar) souvent interminables, mais dont certains segments nous apprennent beaucoup sur les querelles autour de la succession des imām des mosquées de villages importants, sur la dispersion d’un lignage dans toute la vallée et les différents titres de chefs de territoires que portent les membres de ce lignage.
127Dans le présent volume il est ainsi amené à dresser deux grandes généalogies, celle des Deeniyankooɓe, qui portent comme nom d’honneur celui de Bah et ont régné sur la vallée jusqu’à la fin du xviiie siècle, puis ont été surtout concentrés dans la vallée amont, et celle des Kanhanɓe, grande famille tooroodo puisqu’elle a fourni le premier Almaami, Abdul Kader Kan, ainsi que de nombreux chefs de territoires dispersés dans tout le Fuuta Tooro, puis chefs de cantons dans l’administration coloniale (fos 263b-265b, voir fig. 5).
128Mais à l’inverse de son prédécesseur Siré Abbâs Soh qui le premier a dressé ces deux arbres généalogiques ainsi que de la plupart des rédacteurs de tārikh, de la tradition arabo-musulmane qui confortent les prétentions des familles toorobbe à descendre d’ancêtres arabes, ou à provenir du Moyen-Orient, de Damas ou de Médine81, Kamara se sert de la généalogie comme instrument de déconstruction. Prenons quatre exemples qui concernent les différents groupes ethno-statutaires auxquels aboutissent les processus de changements identitaires.
129Dans le premier chapitre (fos 1672-17 ia) il s’appuie sur les tārikh soudanais pour contester la prétention des Fulbe Deeniyankoobe à descendre de Sunjata et plus lointainement de Bilāl, l’esclave du muezzin du Prophète, alors qu’ils sont tout simplement des Peuls. Dans le deuxième chapitre (fos 182b-18 3b) il fait la même démonstration à propos des Yaalalɓe qui fournissaient les gouverneurs de province des Deeniyankoobe et sont considérés également comme des Peuls.
130Mais ce sont surtout les Tooroɓɓe chez qui l’on rencontre le plus ce type d’inventions généalogiques82. La généalogie permet alors à Kamara de décrire des stratégies de dífférenciation statutaire qui aboutissent, après un certain nombre de générations, au déni de tout apparentement avec des cousins déclassés. Dès lors que l’ancêtre d’un segment de lignage adopte le genre de vie tooroodo – conversion à l’islam puis envoi des enfants à l’école coranique, arrêt du nomadisme et adoption de la langue peule – ses descendants, devenant imām de mosquée puis chef de territoire, auront tendance à nier toute parenté avec ceux qui n’auront pas changé d’appartenance statutaire.
131Kamara en fait la démonstration à propos des Kan descendants d’Hammee Juuldo qui prétendent remonter aux Ommayades (chap. 9, fos 323b-324a), alors que grâce à des preuves linguistiques ou ethnographiques, il les rattache aux Peuls Jallube de la province du Dimat. Cela lui permet de contester le déni d’apparentement que pratiquent les Kan Neega de Bokkijaawe [Ng 12], qui sont des marabouts, à l’égard des Peuls Sayɓooɓe de Kaawel [Ng 14] (fo 324) qui transhument dans l’arrière-pays, ou bien les Kan Moodi Nalla, auquel l’auteur consacre la presque totalité du chapitre 9, à l’égard des Peuls Ranaabe qu’on rencontre souvent dans les mêmes villages (fo 325).
132Les deux derniers exemples montrent que ce type de conversion statutaire déborde la sphère purement religieuse dans la mesure où pour un Wolof ou un Soninke, l’adoption de la langue peule (ici le pulaar) était un critère décisif pour devenir Tooroodo.
133C’est à propos des Jeƞ d’origine wolof que la démonstration de Kamara est la plus explicite (Kamara 1975, p. 790)83. Dans la mesure où les Wolofs qui vivaient au Fuuta Tooro étaient censés appartenir au groupe ceɗɗo, pour devenir un Tooroodo il leur fallait parler le pulaar ainsi que changer leur patronyme – Jeƞ devenant Wan – ou leur titre de chef de territoire – Farba devenant Ceerno.
134Le dernier exemple, celui des Talla d’origine soninke, fait l’objet du cinquième chapitre du présent ouvrage. Ceux-ci font partie des familles originaires du Wagadu qu’on rattache généralement aux Soninke et à qui les Haalpulaar attribuent une antériorité dans la transmission de l’islam. Parmi les Talla, sont particulièrement renommés ceux qui portent le titre de Ceerno Ngappugu et vivent dans le village de Sinncu Bananmbe [Da 7] car ils ont fourni deux Almaami, dont Hammadu Muttaar Kudeeji qui succéda au premier Almaami (1806-1807). Mais Kamara invoque une autre raison pour expliquer qu’ils contestent l’existence de liens de parenté avec d’autres Talla moins prestigieux qui portent le titre de Ceerno Jiinge et résident à Hammadi Hunare [Da 14] (chap. 5, fo 249) : en effet les Talla de Ngappugu sont apparentés aux principales familles Tooroɓɓe par des mariages nombreux alors que ceux de Jiinge ne peuvent se prévaloir de telles unions matrimoniales. Ainsi, en définitive, pour Kamara ce sont les relations d’affinité qui prévalent sur les relations de filiation, seules valorisées par la tradition arabo-musulmane du nasab.
135Kamara laisse entendre lui-même, dans un ouvrage nettement postérieur au Zuhūr puisqu’il date de 1938, Tanqiyat al-Affām (voir annexe 1), que c’est en rédigeant le Zuhūr qu’il comprit la part d’invention que recelaient ces généalogies. Dans sa biographie de Kamara, David Robinson (1988b, p. 104) cite ce passage qu’il a lui-même traduit :
« J’ai constaté que beaucoup de Fuutankoobe contestent leurs liens de parenté avec une partie des leurs. Ils se construisent une généalogie qui les lie à des gens qui leur sont supérieurs [...]. Lorsque je me suis rendu à cette évidence, j’ai voulu dénoncer ceux qui agissent de la sorte. »
136Dans le même ouvrage il reprend les quatre exemples analysés dans le Zuhūr pour illustrer ce propos.
137Mais c’est dans un autre ouvrage tout à fait remarquable, Al-Majmū’ al-Nafis, qui date de 1937, donc de la même période, que Kamara va réemployer systématiquement les matériaux du Zuhūr. Persuadé que la plupart des Tooroɓɓe sont d’origine peule, il renverse la perspective indiquée plus haut : au lieu de prendre comme point de départ chaque groupe statutaire apparu successivement dans l’histoire et de le décomposer d’après une trame lignagère, il énumère synchroniquement les groupes lignagers devenus Tooroɓɓe84 qui fondent les petites dynasties de chefs de territoire identifiables par leurs titres, en indiquant sur la généalogie les différentes étapes statutaires et spatiales du changement d’identité. L’ordre de classement au point de départ est alors relativement arbitraire puisqu’il s’agit de celui des quatre clans peuls : Bah, Jallo (qui se transforme en Kan tooroodo), Soh et Bari. A quoi il rajoute, et ce n’est pas le moins intéressant, les Jaawbe, c’est-à-dire ceux qui portent le patronyme Jah et à qui il rattache de très importants lignages toorobbe comme les Lih ou certains Dem.
138Le rôle des Jaawbe est stratégique dans la construction de l’œuvre de Kamara car il lui permet d’opérer une seconde rupture, non plus seulement avec l’historiographie arabo-musulmane comme on vient de le voir, mais avec l’historiographie coloniale ou plus largement occidentale.
139C’est Yoro Dyao qui, semble-t-il, a constitué les Jaawbe en une sorte de population-ancêtre de toute la Sénégambie. Comme le dit Gaden dans une note de son article de 1912 consacré aux Cahiers de Yoro Dyao :
« Les Dyaôgo sont les plus anciens chefs dont le souvenir se soit conservé, tant au Fouta qu’en pays ouolof. Ils auraient été Peuls et blancs et le clan qui se nomme Dyäg ou Dyaô au Sénégal, Tyao chez les Sérères et Dyâ au Fouta, leur devrait leur origine. Sauf quelques-unes restées nomades, comme, par exemple, les Peuls Dyâobé, les familles de ce clan se sont sédentarisées et fondues dans la population noire (...) ; ils auraient apporté avec eux l’industrie du fer et la culture du gros mil » (Gaden 1912, p. 192, n.1).
140D’après Manchuelle (1995, pp. 344-345) cette origine blanche est à rattacher au « mythe hamitique » « qui attribuait tous les accomplissements de la civilisation africaine aux “Hamites”, peuple de race blanche que l’on rattachait à l’Egypte ancienne... ». Or Faidherbe, comme plus tard Delafosse, ont adhéré à cette fable savante.
141L’hypothèse est reprise par Siré Abbâs Soh qui, dans son livre intitulé Chroniques du Fouta sénégalais paru en 1913, voit dans les « Dya’hogo » la première dynastie qui régna sur le Fuuta Tooro : or ceux-ci proviendraient des « Coptes d’Egypte », chassés par des Arabes qui voulaient s’emparer de leur richesses (Soh 1913, pp. 15-16).
142Dans Al-Majmū’ al-Nafis Kamara reprend dans un premier temps ces prétentions à une origine blanche et proche-orientale des Jaawbe, en mentionnant d’ailleurs l’opinion de Gaden (Hilliard 1977, p. 280). Puis par un jeu d’équivalences qui s’appuie encore une fois sur le Tārikh al-Sudān, il les rattache à une autre dynastie mythique, celle des Tirmis, dont le nom désigne un lieu proche du Maasina (ibid., 1977, p. 277, 284) et qui auraient été dirigés par des sultans Jaawbe. Puis un peu plus loin il déclare que cette dynastie aurait précédé celle des Deeniyankoobe, mais qu’il ne resterait aucune trace de leur domination (id., p. 304). Lorsque l’on sait par ailleurs que certains groupes Jaawbe ont plus de « connaissances magiques » (ceefi) que les pêcheurs Subalbe, qu’ils ne font pas partie des quatre clans peuls (Bah, Jallo, Soh et Bari), et qu’enfin ils seraient à l’origine de l’introduction du fer et de l’agriculture, on en déduira qu’ils forment une sorte de population-ancêtre qui, cumulant toutes les marques de l’autochtonie, est située à l’orée de l’histoire, avant l’apparition d’une dynastie mais aussi des coupures statutaires qui permettent de distinguer les pasteurs, les musulmans, les pêcheurs... Groupe sans origine assignable les Jaawbe fonctionnent comme le degré zéro de l’ancestralité, arrêtant ainsi la quête indéfinie d’une origine extérieure.
143Ainsi en ce qui concerne les phénomènes de conversion religieuse ou de changement d’identité qui ont été abordés surtout depuis les années 1970 (Izard 1976 ; Amselle 1982), là encore, Kamara est en avance sur son temps. Comme on vient de le voir il situe assez précisément, à l’intérieur des généalogies, le moment de la conversion à l’islam qu’il envisage comme un processus qui se déroule en plusieurs générations. En réalité il s’agit de l’ascension de tout un segment de lignage qui change de groupe statutaire d’appartenance : aussi est-il amené à systématiser les différentes procédures, induisant les modifications – de langue, de savoir faisant l’objet d’apprentissage, de titre de chef de territoire, d’activité, d’aire matrimoniale – qui permettent de passer d’un groupe statutaire libre à un autre. Le Zuhūr permet donc de faire l’histoire des phénomènes de conversion (Horton 1971 et 1975 ; Schultz 1984) envisagée moins comme une mutation proprement religieuse que comme une forme d’acquisition d’un savoir – comparable à celle des savoir-faire artisanaux... – qui entraîne le changement de statut social.
Hagiographie
144Enfin si l’on poursuit la démarche de décomposition des différents groupes statutaires, à un troisième stade, Kamara insère à l’intérieur des généalogies des biographies (tabaqāt), qui sont souvent proches du panégyrique, de l’hagiographie (manāqib) lorsqu’il s’agit d’un saint homme (walī). On apprend, à cette occasion, qu’il existe des tombes, visitées lors de pèlerinages, très proches de phénomènes analogues, mieux connus en Mauritanie ou au Maghreb.
145On a pu comparer le Zuhūr aux Chroniques de la Mauritanie sénégalaise, établies par Ismaël Hamet et publiées en 191185. Il s’agit en réalité d’un assemblage de petits opuscules différents dont seul celui qui est intitulé ’Amr al-walī Nāsr ad-dīn (ou aussi Manāqib al-imām Nāsr ad-dīn) et qui rapporte un épisode largement hagiographique de l’histoire du sud-ouest mauritanien au xviie siècle pourrait être rapproché, pour des raisons de géographie et d’histoire, de certaines parties du Zuhūr relatives à la prise du pouvoir par les Almaami. En ce qui concerne la forme et le fond, on est loin du compte, entre la « douzaine de feuillets » de Nāsr ad-dīn et le millier de pages du Zuhūr, mais surtout l’écart est sensible entre une relation hagiographique qui, comme il se doit, copie l’hagiographie du prophète de l’islam, et une histoire à découvert, plus réaliste et empirique, plus attachée à des situations foncières, sociales et politiques dont les effets se font encore sentir, au moment de son écriture, en pleine époque de colonisation.
146Par ailleurs au Maroc (Hammoudi 1980) ou en Algérie (Touati 1989, 1992, 1994), les procédés narratifs, la réthorique hagiographique, après avoir été négligés pendant longtemps, sont à nouveau au centre des préoccupations des historiens probablement sensibles au « linguistic turn » qu’ont opéré une fraction des leurs (M. De Certeau, H. White, R. Chartier).
Biographies
147Là encore l’abondance des biographies impose la comparaison avec la Mauritanie. Car un autre ancêtre collatéral du Zuhūr pourrait être le Fath ash-shakūn, de Muḥammad al-Bartaylī (ou Burtulī), composé à l’orée du xixe siècle et s’occupant des biographies de notables religieux du Takrūr (qui désigne le Soudan occidental)86. Œuvre d’un lettré de Walāta, le Fath oscille, géographiquement, entre Tichit et Tombouctou, loin par conséquent des rives du Sénégal. Mais le modèle bio-hagiographique qu’il développe à travers ses 210 notices se retrouve à l’œuvre chez Muusa Kamara lorsque celui-ci encadre la vie d’un saint personnage par ses deux dates de naissance et de décès, lorsqu’il le salue de façon hyperbolique, lorsqu’il signale ses maîtres, sa formation islamique et lorsqu’il cite quelques vers de lui ou à son sujet.
148Modèle biographique que l’auteur du Fath a repris à Ahmad Bāba de Tombouctou qui, lui-même, poursuivait le modèle d’Ibn Farhun : modèle établi, à quelques variantes près, dans l’ensemble du monde musulman. Ajoutons que Muusa Kamara rédigeait des biographies pour le sud-mauritanien peu après que Sidahmad Ould Lamin en ait établi pour le nord arabophone, dans son Al-wasīt fi tarājim udabā’Shinqīt. Différences toujours : Sidahmad ne recense que les vies de grands poètes, dans le cadre d’une anthologie poétique.
149Actuellement l’intérêt pour les biographies dépasse le cadre des lettrés mauritaniens. Depuis les années 1970, en France en particulier, on assiste à une tentative de dépasser l’opposition entre la vision orientaliste des islamologues (Valensi 1979) et celle des anthropologues sur des « objets » qui leur sont communs87. A partir du début des années 1980, les historiens ou anthropologues de l’islam en Afrique de l’Ouest, qui avaient notamment mis l’accent sur l’étude des commerçants musulmans ou des confréries (Triaud 1986) privilégient davantage celle des « lettrés », « marabouts » ou « agents religieux » et donc des modes de transmission du savoir de « l’école coranique » à la madrasa (Brown et Hiskett 1975 ; Eickelman 1978 ; Sanneh 1979 ; Santerre et Mercier-Tremblay 1982 ; Brenner, 1984, 1985, 1993). Grâce à l’abondance des matériaux qu’on trouve dans l’Histoire des Noirs, on devrait arriver à superposer les chaînes de transmission de tel ou tel livre, les isnād. non seulement aux réseaux de parenté agnatique, comme l’ont fait I. Wilks en 1968, pour décrire la dispersion d’une famille maraboutique dans les villes du contact forêt-savane, les Saghanugu, ou E. N. Saad, en utilisant les recueils biographiques des’ulamā de Tombouctou (Saad 1983), mais également aux réseaux d’alliance, aux ensembles affins ou matrimoniaux structurés par les liens religieux entre maîtres et disciples (Schmitz 1985a et 1985b).
150Aussi l’analyse systématique des biographies, qui sont nombreuses dans leZuhūr ; devrait déboucher sur une prosopographie des Toorobbe, le groupe des clercs qui a pris le pouvoir à la fin du xviiie siècle qui nous rapproche des « récits biographiques entrecroisés » des historiens italiens et espagnols actuels adeptes de la microstoria (Chartier 1994, p. 7 ; Lévi 1989). Sur le plan plus proprement historique, on peut reprendre la formule que Ricœur (1983, p. 279) emprunte à L. O. Mink : « L’histoire n’est pas l’écriture mais la ré-écriture des histoires ». Les événements font l’objet d’un acte configurant (configurational act) qui consiste à les saisir ensemble d’un point de vue synoptique, même si c’est dans le style narratif où une chose vient après l’autre qu’on les restitue (id., p. 129 et 278).
151En réalité l’auteur a utilisé toutes les virtualités de « l’école coranique » entendue au sens large88, pour étudier une société dont il pensait qu’elle était structurée par l’islam : en effet, outre l’usage de la langue arabe, et non pas de l’ajami, simple transcription arabe d’une langue autre, il semble, d’après M. E. Touré (1991) qui connaît le dernier fils de Shaykh Muusa, qu’il ait utilisé le réseau de ses condisciples89, et surtout de ses élèves coraniques, pour lui fournir à la fois des enquêteurs – qu’il envoyait « en mission » dans tel ou tel village du Sénégal ou du Mali où il avait un ami susceptible de loger le taalibe – et des copistes, car l’apprentissage de l’écriture arabe était précoce dans l’école de Ganngel, village où il résidait. D’où l’aspect très « moderne » de cette histoire : mise en perspective critique des dires des informateurs, des prétentions islamiques de tel ou tel lignage, citations des tārîkh soudanais et d’Ibn Khaldūn.
152En effet il conviendrait dès lors, si l’on cherche à positionner le Zuhūr, de regarder en direction des deux tārīkh soudanais (xvie-xviie siècles), le Tārikh as-Sudān d’Abderrahmān as-Sa’dī et le Tārīkh alfattāsh de Mahmūd Kati, qui englobent dans des histoires dynastiques et régionales, des biographies, des généalogies, des indications d’ordre économique, religieux, social ou géographique.
153On trouvera finalement encore une façon analogue d’écrire l’histoire dans le Kitāb al-’ibar d’Ibn Khaldun qui centre ses informations et ses analyses sur une succession de dynasties locales, à l’intérieur desquelles il brode sur tel événement religieux, militaire, économique, voire zoologique ou astrologique et se trouve contraint, comme dans le Zuhūr, de faire des « rappels » et des liaisons entre dynasties voisines, soit dans le temps soit dans l’espace. Plus fondamentalement, il semble que Kamara emprunte à Ibn Khaldun l’idée d’une évolution cyclique de croissance et de décadence de chaque dynastie, justement dans le premier tome, comme nous allons le voir en examinant les divers plans adoptés par l’auteur.
L’ordre du Zuhūr
154Au-delà des problèmes de traduction, la lecture même du texte (traduit) n’est pas aisée à cause du mode d’exposition des matériaux choisi par Kamara : celui-ci combine en effet trois types d’ordre :
Le plus évident est celui de l’ordre géographique : province, territoire ou village. La partie du tome 1, non traduite ici, correspond à une vaste fresque où Kamara passe en revue les différents États musulmans d’est en ouest, en partant de Sokoto, pour aboutir au Fuuta Tooro (voir carte 1). Dans la vallée du Sénégal il change d’échelle et prend comme unité de référence tout d’abord la province (diiwal) puis les différents villages de chaque province. Il parcourt d’abord les régions amont, d’où il est originaire et qu’il connaît mieux (Robinson 1988b), avant d’aborder les provinces aval, ce qui correspond également à la direction est/ouest (voir carte 2). Dans le découpage en chapitres du texte, nous avons donc essayé de faire coïncider ces divisions géographiques avec un module de traduction de 20 à 30 feuillets.
Une autre raison militait pour l’adoption de ce plan : c’est qu’il coïncide avec la démarche de ce que Marc Bloch appelait « l’histoire régressive » et qu’emprunte Kamara. En effet, c’est dans la région amont de la vallée que s’étaient repliés les descendants de la dynastie peule qualifiée de « païenne » qui avait été au pouvoir du xvie au xviiie siècle. Or les descendants des Deeniyankoobe sont encore repérables dans la titulature des chefs de territoires de cette région qui correspond à la province du Damnga. Dans les provinces voisines du Ngenaar et du Booseya, ce sont les musulmans tooroɓɓe, qui ont pris le pouvoir à la fin du xviiie siècle, qui sont dominants. Ainsi la translation du récit d’amont en aval coïncide avec l’ordre de succession des États, et le vecteur de la conversion à l’islam : on passe ainsi, d’amont en aval, de l’histoire de l’ancien État peul « païen » à celle de la théocratie musulmane du xixe siècle.
Un troisième ordre est lié aux caractéristiques de l’organisation sociale propre au Fuuta Tooro, à savoir l’existence de groupes statutaires ou de quasi-castes composés de certains lignages : l’auteur privilégied’ailleurs les deux groupes dominants, à savoir les Peuls et les Tooroɓɓe (musulmans). Tributaire des historiens arabes dont il partage le souci de remonter les généalogies – nasab – ou de narrer les biographies, il opére un grand nombre de digressions généalogiques : partant d’un ancêtre présumé, il décrit la grappe de dispersion du lignage dans de multiples lieux de résidence, quittant ainsi le village qui lui a servi de point de départ (Sebti 1986). En outre, ces digressions peuvent avoir d’autres prétextes : unions matrimoniales de la « personnalité » dont il fait la biographie, relations propédeutiques-pédagogiques liées à l’acquisition du savoir islamique, pérégrinations spirituelles. On retrouve là les « enjambements » de la parenté – consanguinité et parenté spirituelle – dont parle J. Berque dans le cas du Maghreb, et qui sont à l’origine de cette « mosaïque onomastique90 » à laquelle participe également cette région de l’Afrique de l’Ouest.
155Néanmoins le plan géographique/historique que nous venons de décrire est employé suivant un cadre assez large dans ce volume puisqu’il regroupe les trois provinces amont du Fuuta Tooro, le Damnga, le Ngenaar et le Booseya. D’autre part un autre ordre d’exposition y est également sous-jacent. Sans jamais l’expliciter, il semble que Kamara décrive le cycle d’évolution khaldunien à travers l’effondrement de la dynastie peule des Deeniyankoobe (chap. 1 et 2) et l’émergence du groupe des Tooroɓɓe à la fin du xviiie siècle (chap. 6, 7, 8, 9) le groupe des Sebbe, très hétérogène, formant charnière dans la mesure où il se compose pour une part d’anciens esclaves des Fulɓe, qui vont se rallier aux nouveaux maîtres (chap. 3 et 4), mais également des ancêtres très anciennement islamisés des Tooroɓɓe que constituent les Soninke (chap. 5).
156Sans approfondir, car nous comptons réserver à un ouvrage collectif des reflexions plus synthétiques, indiquons quelles sont les deux notions d’hijra et de fitna qui font partie du référentiel de l’histoire conçue par un musulman pour comprendre la décadence (fasad) des uns (les Fulɓe) et l’émergence des autres (les Tooroɓɓe).
157C’est l’idée de guerre civile, de discordre ou de factionnalisme (fitna) qui est au cœur de la problématisation de la décadence des Fulbe. L’exemple sur lequel il s’étend longuement dans le premier chapitre (fo. 177b), c’est la lutte entre Konko Buubu Muusa et Sammba Gelaajo Jeegi, deux prétendants au titre de Satigi qui entraîneront le Fuuta Tooro dans la spirale d’un factionnalisme généralisé à toute la Sénégambie : le résultat sera le tribut versé aux guerriers maures qui soutiendront successivement chacun des adversaires.
158Cette analyse du factionnalisme se poursuit dans le chapitre 2 qui est centré sur l’aristocratie des Yaalalɓe, mais à un niveau microscopique puisqu’il s’agit de la lutte, durant la période coloniale, de deux prétendants au titre de chef de l’escale, puis du canton de Maatam [Ng 11].
159Qu’est-ce qui va permettre l’ascension des Tooroɓɓe ? C’est leur esprit de corps (Hamès 1987). Or la matrice de cette solidarité se trouve probablement comme le dit Kamara (1976) dans sa controverse sur le jihād, au cœur des rapports qui lient un maître coranique et son disciple. Ces rapports peuvent se décliner sur le mode du compagnonnage spirituel (suhba) (Touati 1994, p. 23 et 253), de l’amitié durable (tarqiya) (Brenner 1984, p. 100) ou du « bouche à bouche » entre directeur spirituel et disciple (Valensi 1993)91. Si les confréries musulmanes ont accentué la valence hiérarchique du rapport maître/disciple, Kamara verra dans les rapports d’amitié une sorte de modèle de solidarité qui se réalisera en particulier lors de la dissidence, l’hijra.
160Cette figure de l’exode, qui est aussi conversion, se retrouve à deux niveaux d’échelles spatiale et sociale distincts, que ce soit le repli des communautés haalpulaar installées sur la rive droite, à la fin du xviiie siècle, pour échapper aux razzias des Maures (ou au tribut que ces derniers imposaient)92, ou bien le destin individuel de l’ancêtre fondateur d’un lignage maraboutique prestigieux.
161En effet, parallèlement à la révolution toorobbe qui l’a probablement occulté, l’événement considérable de la fin du xviiie siècle est bien le repli sur la rive gauche des communautés haalpulaar installées sur la rive droite (actuellement mauritanienne) ; il sera à l’origine des réaménagements sociaux et territoriaux – en particulier le feccere Fuuta ou partage du Fuuta – que la tradition attribue au premier Almaami, Abdul Kader Kan. On a là une première extension des rapports maîtres/disciples, dont procède la solidarité entre condisciples symbolisée par l’école de Pir (chap. 6), puisque le repli sur la rive gauche a permis le mélange des groupes ethno-statutaires et en particulier la dissémination des Tooroɓɓe et donc des mosquées et des écoles coraniques. Les anciens esclaves guerriers des Peuls, les Seɓɓe/vont alors être émancipés à condition qu’ils gardent les gués, pour empêcher la capture des musulmans par les Maures (voir chap. 3 et 4). Enfin ces relations d’alliance vont s’étendre aux relations entre les groupes. L’émancipation des esclaves guerriers ne serait pas totale si ces derniers ne passaient des alliances avec les Tooroɓɓe et les Fulɓe, comme cela est démontré au chapitre 4 ou 9. Il s’agit donc là d’un premier hijra qu’on peut qualifier de fondateur.
162C’est également l’hijra qui résume le destin individuel d’un fondateur de dynastie maraboutique, de celui qui deviendra, au cours de la biographie qui lui est consacrée, un saint, comme Kamara le montre dans le chapitre 6, justement à propos d’un ancêtre d’Abdul Kader. Le Zuhūr est parsemé de récits retraçant la vie de personnages charismatiques, destin qui obéit à un profil récurrent et que l’on a vu à l’œuvre dans l’apprentissage même de Kamara : exil pour fuir l’insécurité ou le pillage, recherche du savoir, fixation et mariage auprès d’un maître, retour au village d’origine, enfin fondation d’un troisième lieu d’habitation où les descendants de l’ancêtre archégète seront chefs de territoire (Joom leydi).
163Néanmoins cette période faste inaugurée par cette première hijra sera de courte durée comme le montre le destin de l’Almaami Abdul qui résume celui des clercs musulmans : les complots de la fin du règne manifestent à la fois l’apparition d’une seconde période de guerre civile (fitna) marquée par la capture des musulmans (chap. 8) et qui fera échouer la tentative de fondation d’une dynastie Kan. En effet, de même que le titre d’Almaami n’est pas héréditaire (voir supra), de même les amitiés fondatrices – avec Ceerno Cukayel, l’homonyme d’origine inconnue, ou avec le chef des guerriers de Ngijiloñ – se retournent en haine à la seconde génération93. L’accès au pouvoir des clercs musulmans est donc la condition de leur perte, aussi bien en tant que groupe de lettrés que sur le plan du pouvoir politique. Ainsi se referme le cycle khaldunien qui résume ce premier tome du Zuhūr.
La traduction actuelle
164En 1984, une équipe réunissant l’ORSTOM, le CNRS, l’Institut Fondamental Cheikh Anta Diop (IFAN-CAD à Dakar) et le département d’histoire de la Faculté des lettres et sciences humaines de Dakar, s’était donné pour tâche d’écrire une histoire de la population de la vallée du Sénégal, qui fait l’objet d’une mise en valeur hydro-agricole de la part des trois Etats riverains, Sénégal, Mauritanie et Mali. Or la source principale des traditions orales concernant cette zone ainsi que certaines des principales formations étatiques musulmanes d’Afrique de l’Ouest au xixe siècle, c’est le manuscrit arabe de Shaykh Muusa Kamara, le Zuhūr al-basātīn. Grâce aux données anthroponymiques et toponymiques rassemblées par l’équipe ORSTOM qui travaille dans la zone depuis les années 1970, on peut mieux comprendre les récits, biographies, généalogies... rassemblés par cet auteur en vue de constituer une véritable histoire sociale de cette région.
Le manuscrit
165Le manuscrit de Shaykh Muusa Kamara qui a fait l’objet d’une traduction en français effectuée entre 1990 et 1993, est intitulé : Zuhūr al Basātīn fi Ta’rikh al-Sawādīn (« Florilège au jardin de l’histoire des Noirs »)94. En annexe à un article intitulé « Un historien et anthropologue sénégalais » paru dans les Cahiers d’Études africaines en 1988, l’historien américain D. Robinson95 établissait la liste des écrits, religieux en majorité, mais aussi historiques et sociologiques, de Kamara, qui forment le fonds « Kamara », à l’IFAN-CAD. Le manuscrit, divisé en deux tomes correspondant aux Cahiers 2 et 3 du fonds Kamara, est déposé au département d’islamologie (dont le responsable est Khadim Mbacké) de l’IFAN-CAD (dirigé par Abdoulaye Bara Diop). En outre, Robinson dressait la table des matières de cet ouvrage monumental qui totalise, en deux tomes, 867 feuillets, soit 1734 pages, ce qui permettait d’évaluer l’importance de ce document. Simultanément il indique les auteurs des passages traduits en français : M. Ndiaye (Kamara 1975 et 1978), A. Samb (Kamara 1970 et 1976), O. Ba (Ba 1971) : dans la plupart des cas il s’agit de chapitres qui ne concernent pas stricto sensu la Moyenne vallée du Sénégal, ou Fuuta Tooro, qui constitue le cœur de l’ouvrage et est traduit ici.
166Le Zuhūr a surtout intéressé les islamologues et arabisants d’une part – V. Monteil (1964), A. Samb (1972), E. H. R. Mbaye (1976), T. KA (1982) –, les historiens d’autre part – J. Johnson (1974), C. M. Hilliard (1977), et surtout D. Robinson (1975 a et 1975b) lui-même, ainsi que M. Kane (Kane et Robinson 1984). Ce sont les premiers qui ont traduit en français les parties de l’œuvre de Kamara qui concernaient surtout l’islam, les historiens traitant « l’ethnographie » de Kamara comme une source à laquelle ils avaient accès grâce à leur connaissance de l’arabe.
Les trois versions
167En juillet 1991, lors de son passage à Paris, D. Robinson a soulevé la question des différentes versions du manuscrit. En effet, il semble qu’il en existe trois :
Le manuscrit de l’IFAN-CAD provient du fonds Kamara constitué de 1930 à 1944 et légué par Mamadou Djibi Kane, petit-fils du Shaykh à cette dernière date (Diallo et al. 1966 ; Pondopoulo 1993). C’est cet exemplaire que D. Robinson a pu microfilmer grâce au soutien d’Yves Person et déposer à l’université de Yale aux Etats-Unis. Aussi la photocopie qu’a bien voulu nous fournir D. Robinson, et sur laquelle l’équipe parisienne a travaillé jusqu’à l’été 1991, provenait du microfilm de Yale. Mais certains passages étant manquants ou illisibles, il nous a fallu obtenir, au prix de quelques délais, un microfilm de l’IFAN-CAD. C’est son directeur, A. B. Diop, qui a bien voulu nous apporter, en main propre, les bobines de pellicules durant l’année 199196.
Nous avons fait effectuer au Centre ORSTOM de Bondy une copie papier de la version IFAN-CAD, et l’IRHT a fait deux copies du microfilm, dont une a été déposée à son laboratoire d’Orléans au printemps 1993. Il est projeté d’insérer dans la couverture de la traduction les microfiches du texte.
Le manuscrit de Ganguel. D. Robinson soupçonnait l’existence d’un manuscrit dans la famille même des descendants de Shaykh Muusa. Effectivement son dernier fils survivant, Amadou Habibou, qui lui-même l’avait copié, détient un manuscrit du Zuhūr. Or un des descendants (du côté maternel) de Kamara, Diadié Ba, actuellement responsable de « l’Association culturelle Cheikh Moussa Kamara » qui regroupe les descendants de ce dernier, étant en relation avec un organisme culturel turc, le Centre de Recherches sur l’Histoire, l’Art et la Culture Islamiques (IRCICA) qui se proposait d’éditer le Zuhūr, a pu faire une ou plusieurs photocopies de l’exemplaire d’Amadou Habibou. M. D. Ba nous a fait parvenir ultérieurement une photocopie de bonne qualité des deux tomes de la « version de Ganguel ».
D’après S. Bousbina qui a pu confronter les deux versions du manuscrit, il semble que l’exemplaire de l’IFAN-CAD soit une version de travail par rapport à celle de Ganguel. En effet les notes marginales – probablement des corrections de la main de Kamara lui-même – qu’on trouve dans le manuscrit IFAN-CAD sont intégrées dans le texte de Ganguel. D’autre part quelques améliorations du plan sont apportées d’une version à l’autre. Ce qui semble corroborer cette hypothèse, c’est que dans le cas du manuscrit intitulé al-Majmū’ al-Nafis, dont deux exemplaires ont été déposés à l’IFAN, on retrouve le même phénomène (Hilliard I 977) : l’une des deux versions intègre les notes marginales et supprime les ratures que l’on rencontre dans l’autre.
Hormis une pagination différente, les deux manuscrits sont donc identiques. D’autre part, le manuscrit de Ganguel est plus vocalisé que celui de l’IFAN, et donc les toponymes et anthroponymes pulaar sont plus aisément identifiables.
L’exemplaire Delafosse. L’africaniste ayant eu comme projet de le traduire, peu avant sa mort, cet exemplaire aurait été cédé par sa fille au Centre Ahmed Baba de Tombouctou au Mali, dirigé par Mahmoud Zouber : l’insécurité liée au conflit twareg rend les contacts difficiles.
Les deux équipes de Paris et Dakar
168Comme on l’a dit plus haut, la principale difficulté en ce qui concerne la traduction tient à la nécessité de réunir trois sortes de compétences : l’une concerne la connaissance de la langue arabe, l’autre celle du dialecte peul de la région, le pulaar, enfin la troisième résulte de la familiarité avec la toponymie, l’anthroponymie et l’histoire de la société haalpulaar et des régions avoisinantes97.
169Le financement de la traduction a pu être trouvé auprès de l’ASP98 CNRS/ORSTOM qui a accepté de financer l’opération en 1990 et 1991 et de la prolonger jusqu’à son achèvement en 1992 et 1993. La Maison des Sciences de l’Homme (MSH) a apporté des compléments de financement.
170Les arabisants et islamologues – C. Hamès et J.-L. Triaud – appartiennent à l’Université et au CNRS99 et les anthropologues et sociologues – J. Schmitz et C. Becker – plutôt à l’ORSTOM100. Des enquêtes de terrain effectuées durant plusieurs années leur permettent d’avoir une meilleure connaissance des dynamiques sociales de cette zone et de mettre en perspective historique les opérations de développement, que les tragiques événements de 1989 qui ont opposé le Sénégal à la Mauritanie, risquent de mettre en cause.
171Au Sénégal, c’est l’IFAN-CAD qui est associé au projet. Son directeur, le professeur A. B. Diop, est responsable de l’équipe sénégalaise puisque c’est au Département d’Islamologie de l’IFAN-CAD, dirigé par K. Mbacké, qu’est déposé le fonds Muusa Kamara.
172L’équipe parisienne a en charge la traduction de la partie du tome I consacrée au Fuuta Tooro, soit 285 feuillets (166 à 451) répartis en 15 chapitres. C’est Saïd Bousbina, étudiant marocain en histoire africaine à l’Université de Paris I, familiarisé avec les problèmes posés par la traduction des manuscrits arabes (il a travaillé sur le Rimah d’Al-Ḥājj Umar, sur le fonds Archinard de la Bibliothèque nationale et prépare une thèse sur la confrérie Tijaniyya en Afrique de l’Ouest, qui effectue cette traduction à mi-temps depuis le mois de janvier 1990101.
173La saisie du texte sur Macintosh au Centre d’Études africaines (URA 94 du CNRS) a été effectuée, jusqu’en décembre 1991, avec diligence, par Madame Habsa Banor Sall qui, originaire de la région, maîtrisait donc le pulaar.
174Les corrections et annotations de l’arabe ont été assurées par J.-L. Triaud et C. Hamès, responsables du projet. C. Hamès a plus spécifiquement annoté les chapitres 6 et 7. Dedoud Ould Abdellah, historien à l’Université de Nouakchott, a bien voulu annoter les chapitres 7 et 8.
175Les corrections et annotations du pulaar ont été effectuées par J. Schmitz, responsable du projet, et O. Kyburz (Université de Nanterre-Paris X) qui a soutenu en 1994 une thèse de doctorat sur les castes au Fuuta Tooro102 et last but not least apporte une contribution décisive aux aspects informatiques de l’opération : confection de police de caractères, gestion de fichiers, corrections grâce à un logiciel de traitement de données textuelles (SPADT) qui permet également de confectionner des index. L’historien I. A. Sali103 a assumé la plus grande partie des corrections du pulaar depuis 1992. Il a en outre annoté le chapitre 5, et en particulier la chronologie de la fin de ce chapitre. Enfin O. Leservoisier104, anthropologue qui a travaillé sur le Gorgol mauritanien, a annoté le chapitre 9. Ils font tous les quatre partie du GREFUL (Groupe d’études comparatives des sociétés peules) qui, depuis 1990, réunit des chercheurs de plusieurs institutions (CNRS, EHESS, ORSTOM, INALCO, Paris X-Nanterre) travaillant sur les différentes aires de peuplement peules (Fuuta Jaloo, Fuuta Tooro, Maasina, Aadaamawa).
176L’équipe sénégalaise a mis plus de temps à se constituer, puisque les deux traducteurs n’ont pu commencer le travail qu’à la fin de l’année 1990. Malgré cela elle a mené à bien la traduction du tome II, sauf les trois premiers chapitres déjà traduits par M. Ndiaye à l’IFAN-CAD, soit 350 feuillets (416 – 66) répartis en seize chapitres. Elle se compose du directeur du département islam de l’IFAN-CAD, Khadim Mbacké105, et d’un enseignant de l’École nationale supérieure (ENS) de Dakar, Abdoul Malal Diop106.
177Les textes de K. Mbacké ont été corrigés et annotés en pulaar par M. Oumar Kane, historien, spécialiste du Fuuta Tooro du xve au xviiie siècle107 (Kane 1986), et qui, le premier, a insisté sur l’émiettement du pouvoir dispersé dans une multitude d’unités territoriales (Kane 1973). Les traductions de K. Mbacké ont été saisies sur Macintosh à Dakar au département islam de l’IFAN-CAD.
178M. Malal Diop, enseignant à l’ENS, a le privilège d’être à la fois arabisant et pularisant. Ses textes ont été saisis à Paris par Madame Sali.
Plan de la traduction
179Le Zuhūr étant divisé en deux tomes, chacun des quatre volumes sera une subdivision de ces tomes. Ces quatre volumes correspondent à des séquences qui dans l’œuvre de Kamara elle-même sont à la fois d’ordre historique et géographique : son ethnohistoire de la Moyenne vallée du Sénégal va d’amont en aval et progresse du passé au présent. Cette division en quatre volumes offre un double avantage au plan de la fabrication de l’ouvrage et de la diffusion.
180D’une part elle correspond à des séquences grossièrement homogènes du point de vue de la traduction qui en général a été assurée par une seule personne : Saïd Bousbina (Paris) a traduit les deux volumes du premier tome (I-i et I-2), Khadim Mbacké (Dakar) le troisième (II-i), Malal Diop (Dakar) le quatrième (II-2). Un ou deux « éditeurs » seront mentionnés par volume, en collaboration avec un certain nombre d’autres chercheurs.
181D’autre part on peut penser qu’un public « régional », originaire de la rive sénégalaise ou mauritanienne, est à même d’acquérir tel ou tel volume comme en témoigne le fait que des fédérations d’ « associations villageoises de développement », regroupant des migrants en France ou en Europe qui financent des projets dans leurs villages d’origine, portent souvent des noms d’une ancienne province du Fuuta Tooro.
Tome I
Histoire des musulmans d’Afrique de l’ouest (Partie non prise en charge par l’ASP CNRS-ORSTOM)
182Folios 1 – 167
183Certains passages de cette partie générale sur l’islam ont été traduits et même publiés, presque tous dans les numéros du Bulletin de l’IFAN, la revue éditée par l’IFAN-CAD.
184D’après une lettre de Gaudefroy-Demombynes de 1939 (in Fonds Gaden, IFAN-CAD, voir Pondopoulo 1993, p. 106) 76 pages du début du Zuhūr – correspondant probablement à l’histoire de Sokoto (fos 1-35) – auraient été traduites par M. Delafosse puis par un de ses propres élèves, M. Gros.
185Une centaine d’autres pages mal situées dans le texte auraient été également traduites directement par Gaudefroy-Demombynes lui-même et revues et annotées par H. Gaden. A rechercher donc.
186La partie sur le Maasina et Shaykh Umar (fos 78-93) a été traduite et publiée par A. Samb dans le Bulletin de l’IFAN 1970.
187Les parties sur Ségou (fos 102-114) et celles sur le Bunndu (fos 147-166) ont été traduites par M. Ndiaye et publiées dans le Bulletin de l’IFAN, respectivement en 1978 et 1975.
Histoire du fuuta tooro (vallée du Sénégal)
188Volume 1 : folios 167-330, soit 153 fos,J. Schmitz, éd., S. Bousbina, trad.
189Introduction et présentation du (des) manuscrit, de l’auteur (Kamara) et de l’équipe de traduction et d’édition (ASP CNRS-ORSTOM/IFAN-CAD).
190Histoire de la dynastie des Fulɓe (Peuls) Deeniyankooɓe (xvie-xviiie siècles) de leurs esclaves-guerriers, les Seɓɓe. Puis fondation par les Tooroɓɓe de l’État musulman dirigé par un imām ou Almaami (almamiat) à la fin du xviiie siècle.
191Volume 2 : folios 330-451, soit120 fos, O. Kyburz, éd.,S. Bousbina, trad.
192Histoire des autres groupes statutaires - truchements (Jaawamɓe), artisans et laudateurs castés (Neeñɓe), enfin Seɓɓe et Fulɓe liés au royaume wolof du Jolof – des régions amont (Damnga) et centrale (Ngenaar et Booseya) du Fuuta Tooro.
193Index des deux premiers volumes.
Tome II
194Volume 3 : folios 1 – 230, soit 230 fos, C. Hamès et D. Robinson, éd., K. Mbacké, trad.
195L’almamiat au xixe siècle et provinces centrales (plus occidentales) du Yiirlaaɓe et du Laaw.
196Volume 4 : folios 231 – 416, soit 185 fos, Abdoulaye Bara Diop et C. Becker, éd., A.M. Diop, trad.
197Histoires des provinces du Tooro et du Dimar situées à l’aval du Fuuta Tooro ainsi que des royaumes wolof du Waalo (delta du fleuve Sénégal) et du Kayoor.
198Index des 4 volumes regroupés dans le dernier : 1) Collectifs (groupes patronymes), 2) Personnages, dont informateurs de Kamara, 3) Unités territoriales, 4) Termes arabes, 5) Termes pulaar.
Présentation du texte de la traduction
Anthroponymes et patronymes
199Les anthroponymes et ethnonymes sont transcrits en pulaar ou translittérés en arabe. En l’absence de signe de vocalisation sur le manuscrit arabe on inscrit un point après la consonne.
200Ex. : feuillet 271a qu’on note dans le texte : [271a] « Sirnu (Ceerno) Sulayman Baal était originaire des W. tabé..... ». (la suite montre qu’il s’agit des Woodaaɓe).
201S’il n’y a pas d’ambiguïté on passera directement à la transcription en pulaar pour se conformer à l’usage des traducteurs précédents comme A. Samb (1970), O. Ba (1971) ou M. Ndiaye (1975, 1978) et à l’inverse de C. Hilliard (1977).
202Ex. : on écrira directement « Sayboobe » au lieu de « Saybube ».
Patronymes
– Petites capitales | Kan |
– Petites capitales entre [...] quand cela est nécessaire à l’identification | [Kan] |
Toponymes
203Sur les cartes IGN au 1/200000e de 1956, 1961 ou 1970 ou bien celles d’A. Lericollais & Y. Diallo, 1980 (Peuplement et culture de saison sèche dans la vallée du Sénégal. Introduction et 7 notices, de 7 cartes au 1/100 000e, Paris, ORSTOM-OMVS) on peut identifier des toponymes francisés, désignant des lieux d’habitation ou des terrains de cultures. C’est surtout sur les cartes de Lericollais et Diallo que l’on peut localiser les noms des cuvettes de décrue (kolangal) dont parle Kamara et évaluer leur importance grâce aux effectifs de population y cultivant dans les années 1970 qui y sont reportés : dans la mesure où il explique l’origine de tel ou tel nom ou son étymologie, les toponymes des cuvettes seront donc transcrits en pulaar. Si aucun commentaire n’est fait sur le nom de la cuvette, mais que l’on a un doute sur la translittération du mot arabe, on pourra inscrire entre tirets le nom francisé de la cuvette, pour permettre l’identification.
204Ce fonds toponymique a été utilisé ultérieurement par J. Schmitz et A. Sow pour dresser cinq cartes au 1/100 000e également, intitulées Anciens territoires (leydi) haalpulaar de la vallée du fleuve Sénégal, Paris, ORSTOM, 1989. Ces quelque 200 territoires, qui englobent à la fois des lieux d’habitation et des terrains de culture, ont été codifiés à partir du nom de leur province d’appartenance de la façon suivante :
Di = deux premières lettres de la province (Dimat). Les territoires contrôlés par les Maures durant la première moitié du siècle ne sont pas codifiés ici.
Chiffre : numéro d’ordre géographique en partant de l’aval de chaque province. Ainsi [Di 7] indique que le passage en question de Kamara parle du village de Jalmat (Dialmat), mais aussi d’autres villages inclus dans le territoire ainsi que des terrains de cultures attenants qui étaient traditionnellement appropriés par les habitants du leydi.
205On utilisera cette codification, qui renvoie aux sept répertoires et cartes des unités territoriales regroupées en fonction de leur province d’appartenance, et identifiées par le nom du village principal (voir carte 3) pour situer plus rapidement les villages et les terres dont parle Kamara : le numéro de code est donc inscrit entre tirets dans le texte de la traduction (Schmitz 1994).
Charges à titres ou fonctions politiques locales
206Voyons comment on présente, en pulaar, les titres de « chef de territoire » ou joom leydi, charges, qui sont formés de trois parties :
le titre proprement dit qui renvoie en général à une fonction sociale mais aussi à un groupe ethno-statutaire : Ceerno, pour les marabouts, Arɗo pour les Peuls.
il est suivi d’un toponyme qui est souvent le nom d’une cuvette de décrue : ex. Elimaan Gambi.
enfin à certaines occasions il sera nécessaire de rétablir le nom d’honneur ou patronyme – en majuscule entre parenthèses – car le lecteur n’est pas censé le connaître à l’inverse de l’auteur qui le plus souvent ne le mentionne pas. En effet un Ceerno Molle qui réside à Ciloñ (Tilogne) [Bo (oseya) 30] est forcément un Lih. Pour résoudre ce type de petite devinette, on pourra s’aider de la liste dressée en annexe.
Corrections
207Pour assurer l’homogénéité de la traduction (en particulier concernant la transcription française de l’anthroponymie pulaar et la translittération des mots arabes) les corrections se sont faites en trois temps :
des propositions de transcription/translittération concernant chaque chapitre avaient été fournies par O. Kane et I. Sall pour le pulaar, C. Hamès et J.-L. Triaud pour l’arabe
ensuite O. Kyburz, a utilisé, sous UNIX (station SUN) à l’Université de Paris X-Nanterre, un logiciel d’analyse de données textuelles SPADT, pour effectuer une dernière correction en homogénéisant la transcription des différents chapitres et sélectionner les entrées d’index. Ce logiciel permet de constituer un dictionnaire de tous les mots utilisés dans le texte. Après la suppression manuelle de tous les mots français orthographiés correctement il ne reste que les différentes transcriptions des mots en pulaar et en arabe.
I. Sall a pu identifier les différentes transcriptions du même mot dans quatre langues : pulaar, hasaniyya, wolof ou soninke. On s’est aperçu qu’il n’était pas possible d’homogénéiser tous les noms propres dans la mesure où, selon le contexte, il fallait préférer la variante « arabe » ou la variante « peule » du même nom.
Terminologie et index
208Concernant toute une série de terminologies - terminologie des groupes sociaux, terminologie de parenté, dénomination des unités administratives – qui seront élaborées au fur et à mesure – le mot arabe, souligné, entre parenthèses, est inscrit après le mot français lorsque le traducteur propose une signification qui se discute :
ainsi on peut traduire fakhdh par fraction, lignage... selon le contexte
ceci est particulièrement nécessaire pour les termes de parenté, quand ceux-ci peuvent désigner plusieurs relations entre deux individus et donc qu’ils ne sont pas descriptifs, mais classificatoires.
209Les index seront reportés au deuxième et au quatrième et dernier volume dans la mesure où Kamara mentionne les mêmes personnages à plusieurs endroits de son Zuhūr. Sont prévus cinq index :
Collectifs (Groupes, patronymes),
Personnages,
Unités territoriales,
Termes arabes,
Termes pulaar.
Découpage et titrage des séquences du texte
210Pour pallier l’absence d’index dans les premiers volumes, le texte de la traduction a fait l’objet d’un découpage thématique et hiérarchisé du texte en insérant dans celui-ci des têtes de chapitres (qui reprennent souvent celles de D. Robinson, 1988b, annexe 2, pp. 112-116) et de paragraphes pour guider le lecteur. Ces titres sont repris automatiquement dans la table des matières inscrite en début de chaque chapitre.
Iconographie
211L’auteur du Zuhūr pratiquant souvent la digression, il est nécessaire de ressembler les membra disjecta, les passages disjoints du texte, où il parle de tel ou tel personnage, lignage, etc., sous forme de généalogies. Elles ont été dressées par J. Schmitz, O. Kyburz et P. Legrosse et renvoient, en bas du graphique, 1) aux principaux folios du Zuhūr qui mentionnent le lignage ou le personnage en question, 2) aux titres de chefs de territoires et 3) aux villages localisés par leur code territorial où ils se sont fixés.
212Du point de vue de la cartographie, sont également insérées des cartes de localisation issues des 5 cartes de J. Schmitz & A. Sow (1989).
213En matière de photogravure, chacun des volumes futurs correspondant à des ensembles régionaux, C. Becker a bien voulu mettre à contribution son fichier des Cartes historiques de la vallée du Sénégal (C. Becker 1984, en collaboration avec C. Martin et Y. Diallo) qui concerne toute la Sénégambie afin de retrouver les documents de base qui sont entrés dans l’élaboration de ces cartes synthétiques lorsqu’ils correspondent à des provinces de la vallée.
Glose et rédaction de l’appareil critique, bibliographie
214On peut distinguer trois sortes d’appareil critique :
les références se feront en mentionnant le nom de l’auteur et la date de publication de l’article et de l’ouvrage renvoyant à une bibliographie unique par auteur, à la fin de l’introduction.
quand la note insérée en bas de page est plus substantielle, l’auteur de la note est identifié grâce à ses initiales.
enfin de courtes annexes situées à la fin de chaque chapitre développeront des points qui ne peuvent être traités uniquement en notes.
Annexe
Annexe I. Les écrits de Shaykh Muusa Kamara
Nous reproduisons ici la liste des écrits de Kamara telle qu’elle a été dressée par David Robinson en annexe d’un article intitulé « Un historien et anthropologue sénégalais : Shaikh Musa Kamara » (1988 : 109-110). Elle a été établie à partir de l’inventaire des « Cahiers » du Fonds Kamara de l’IFAN-CAD figurant dans T. Diallo (1966 : 93-96), complétée par les informations fournies par A. Samb (1972 : 111-112) et surtout par le recensement très exhaustif des travaux de Kamara qu’offre la thèse de C. Hilliard (1977 : 129-132).
Dans le cadre de cette introduction, la translittération de l’arabe a été corrigée par Constant Hamès qui a en outre rectifié et souvent complété la traduction en français des titres des ouvrages.
1. Zuhūr al-basātīn fi tārikh al-Sawādīn (Florilège au jardin de l’histoire des Noirs) (IFAN-CAD, Cahiers 2, 3).
L’ouvrage en deux tomes, achevé en 1925, est aussi intitulé Intiṣār al-mawtūr fi dhikr qabā’il Fūta ’Tūr (Victoire de l’opprimé [par l’ignorance en ce qui concerne] l’histoire des tribus du Fuuta Tooro).
2. Al-Majmū’ al-nafis sirran wa’ alaniyyatan fi dhikr ba’ḍ al-sādāt al-Bayḍāniyya wa l-Fulāniyya (Le recueil précieux des informations secrètes et publiques sur certains chefs maures et peuls) (IFAN-CAD, Cahiers 5, 6).
L’ouvrage fut achevé vers 1937.
3. Tabshir al khā’if al-ḥayrān wa tadhkīruhu bi-sa’at rahmat Allah al-karīm al-mannān (L’annonce de bonnes nouvelles au craintif désorienté pour lui rappeler la grandeur de la clémence d’Allah généreux et bienfaiteur) (IFAN-CAD, Cahier 1).
Autobiographie de Shaykh Muusa Kamara.
4. La vie d’al-Hājj Umar, traduite par A. Samb, cf. Kamara 1970.
5. Tanqiyat al-afhām min shubuhāt al-awhām (Éclaircissement des idées sur les illusions à caractère spécieux) (IFAN-CAD, Cahier 7).
Ouvrage achevé après 1938.
6. Salāmat al-Muslim manūṭa bi-tark al-kibr wa l-kidhb wa qati’a al-raḥim (Le salut du musulman est fonction du renoncement à l’orgueil, au mensonge et à la rupture des liens de parenté) (IFAN-CAD, Cahier 10).
7. Silsilat al-dhahab fi dhikr afḍal al-nasab (La chaîne en or dans l’évocation de la meilleure des filiations) (IFAN-CAD, Cahier 13).
8. Al-jawāb as-sāḥil al-sa’igha ’an suāl « Mussé Bozaldé » ’an mā’ indi min akhbār ahl Zagha (Réponse à Monsieur Bozaldé relative à l’histoire de Zagha ou histoire de Daara).
9. Al-fajr al-ṣādiq bi-al-nūr fī al-jawāb [...]’an masā’ila fiqhiyya fi’ādāt al-Fūta Tūr(L’aube éclatante de lumière dans la réponse... aux questions de droit coutumier au Fuuta Tooro) (IFAN-CAD, Cahier 14).
Pour une analyse et une table des matières complète de ce texte, voir Ndiaye 1975.
10. Akthar al-rāghibīn fi al-jihād bā’d nabiyyinā man yakhtār al-zuhūra wa mulk al-bilād wa lā yubālī bi-man halaka fī jihādihi min al-’ibād (La plupart de ceux qui désirent faire la guerre sainte après notre prophète font le choix de l’ostentation et de la prise du pouvoir politique (IFAN-CAD, Cahier 15).
Ce texte a été édité et traduit par A. Samb, cf. Kamara 1976.
11. Kāda al-ittifāq wa-l-ilti’ām anyakun bayna din al-nasāra wa din al-islām (Il s’en faut de peu dans l’accord et l’harmonie entre le christianisme et l’islām) (IFAN-CAD, Cahier 16).
Ce texte a été édité et traduit par A. Samb, cf. Kamara 1973.
12. Sharḥ al-sharḥ fi l-kalām ’alā l-siḥr (Réflexions sur la magie) (IFAN-CAD, Cahier 17).
13. Wird ’izz al-asmā’ (Prière de la puissance des noms [d’Allah]).
14. Ḥuṣül al qurb (L’incidence de la proximité [d’Allah ?]).
15. Munyat al-sā’īl (Le désir de celui qui formule une question).
16. Ḥizb al-naṣr (Récitation de la victoire).
17. Mazi al-kawākib (Mélange astronomique).
18. Al-basātīn al mutjamï’a (Les jardins réunis).
19. Bulügh al-qaṣd (L’atteinte de l’objectif).
20. Ḥuṣūl al-aghrāḍ bi shifā’ al-amrāḍ (L’obtention des buts par la guérison des maladies) (IFAN-CAD, Cahier 18).
21. Taqwīḍ mufīda (La démolition utile).
22. Rafu al-harj (L’élimination de la confusion).
23.’Ilm al-muqayyad (La science de la prise de notes).
24. Ouvrage juridique sans titre.
25. Dalīl al-sālik alā mā’ānī Alfiyya Ibn Mālik (Le guide de l’ascète sur la signification de l’Alfiyya d’ibn Mālik).
26. Ālāt al-’ulūm’alā l-yaqin al-bātt fi sharḥ dawāwin al-shdarā’ al-sitti (Les outils des sciences à propos de la certitude irrévocable dans le commentaire des diwān des six poètes ante-islamiques).
27. Al-ustādh al-kāfin fi’ ilm al-’aruḍ wa l-qawāf (Le maître compétent dans les sciences métriques et prosodiques).
28. Tafṣil ’uqūd al-jumān bi-al-durr wa l-marjān (Analyse du’Uqūd… [Les colliers de bijoux alternés de perles et de corail] d’al-Suyūṭi).
Annexe II. Table des matières du tome I (partie non traduite qui précède le volume I)
Prolégomènes. Histoire de l’Islam
Muḥammad, l’Arabie et l’Afrique Nord fos 1-26
Histoire deSokoto : fos 27-58
Abdullaahi et Mammadu Bello : leur lettre de louange à la personne de Shaykh Umar.
De la question de l’origine des Peuls
Histoire du Mali d’après les Tārikh et autres sources fos 59-77
Histoire du Maasina1 : fos 78-93
l’installation et la fondation du califat de Hamdullaahi
la conquête par Shaykh Umar,
la reconquête par Tijani,
l’intronisation d’Aamadu Sheku et le déclenchement de l’hijra vers l’est,
les conflits entre Hamdullaahi et les Kunta de Tombouctou, en particulier al-Mukhtār ben Sīdī Muḥammad.
Histoire du Wagadu2 :
les lignages Tuure et Kaba. fos 94-99
Histoire du Mande : fos 99-102
Histoire du Segu3 : fos 102-114
Histoire duKaarta : fos 114-125
les Jaawara.
Hisoire duXaaso : fos 126-136
histoire des Jaxanke.
Histoire du Gajaaga et du Gidimaxa : fos 136-143
les Baccili,
les Kamara
Histoire du Haayre, des Haayrankooɓe et des Soninke résidant dans le Fuuta oriental fos 143-147
Histoire du Ɓunndu4 : fos 147-166
les origines des Tooroɓɓe,
l’histoire de Maalik Sih, le fondateur de l’État du Ɓunndu,
les Njaay de Bakel et l’ancienne domination du Jolof
les Almaami Sihsiiɓe
– l’intervention oumarienne,
le règne de Buubakar Saada
la généalogie des Sihsiiɓe.
Histoire du Fuuta Tooro proprement dit fos 167
(C’est la partie ici traduite)
Annexe III. Répertoire des unités territoriales (leydi) du fuuta tooro (moyenne vallée du sénégal)
– 1 Province du Dimar
– 2 Province du Tooro et des Halayɓe
– 3 Province du Laaw
– 4 Province des Yirlaabe et Hebbiyaaɓe
– 5 Province du Booseya
– 6 Province du Ngenaar
– 7 Province du Damnga
Notes de bas de page
1 Voir infra l’annexe I qui reproduit la liste des écrits de Kamara établie par David Robinson dans un article de synthèse intitulé « Un historien et anthropologue sénégalais : Shaikh Musa Kamara » (1988b, pp. 109-110).
2 Voir la table des matières de la partie non traduite du tome I du Zuhūr dressée par D. Robinson dans le même article de (ibid., pp. 111-116) qui se trouve infra en annexe 2.
3 Dans son opuscule traduit par A. Samb sous le titre « Condamnation de la guerre sainte », Kamara (1976, p. 164) indique qu’il aurait refusé l’invitation faite par Mammadu Lamin à le suivre dans son offensive contre le fort de Bakel tenu par les Français. 11 devait avoir 22 ou 23 ans. La question du jihād est à l’intersection de deux traditions musulmanes ouest-africaine. Celle qui prône la guerre sainte s’appuie sur les avis donnés par al-Maghīli à l’Askya Muḥammad dans sa lutte contre le souverain de Gao, Sonni’Ali, dans la seconde moitié du xve siècle : ce lettré étendait l’obligation de la guerre sainte à la lutte contre les prétendus musulmans et il sera invoqué par les principaux théoriciens des jihād peuls (voir Mahibou et Triaud 1983, p. 185). L’autre tradition, qui s’appuie sur la conception sunnite du pouvoir développée par un personnage comme al-Māwardi soucieux de préserver l’ordre ‘abbasid du xie siècle, inspira de nombreux Shaykh et théologiens maures et sahariens respectueux du pouvoir en place, quel que soit son illégalité aux yeux de la loi musulmane (voir Ould Cheikh 1991, pp. 741-811 et 1991).
4 Tabshir al-khā’if al-hayran wa tadhkiruhü bisā’at rahmat Allah al-Karim al-Mannān [Porter la bonne nouvelle au craintif stupéfait et lui rappeler la grandeur de la miséricorde d’Allah, le Généreux, le Bienveillant], Dakar, IFAN-CAD, Fonds Cheikh Moussa Kamara, Cahier 1, 104 folios. Cette biographie a été traduite et utilisée par A. Samb (1970, pp. 44-50) et reprise in Samb (1972, pp. 106-113). C. Hilliard s’est inspiré de la biographie de Samb dans l’annexe de sa thèse (1977, pp. 122-126). Voir enfin la courte biographie de Bousbina (1992).
5 S. Bousbina (1992, p. 75) compare cette biographie à celle de al Sha’rāni ou bien en Afrique de l’Ouest, celle d’al-Kunti, introducteur de la voie qadiriyya ou d’al Hājj Umar qui diffusa par la guerre sainte, comme on l’a vu plus haut, la Tijaniyya.
6 Les chiffres entre parenthèses dans le texte renvoient à la colonne « numéro d’étape » du tableau 1.
7 C’est chez son premier maître qu’un mendiant déclare que Kamara deviendra un wāli (Samb 1972, p. 108 et Bousbina 1992, p. 78).
8 Cette tribu au nom prestigieux était sous l’influence de Sa’d Būh d’après Marty (1915-1916, p. 191).
9 Dans la biographie de Kamara n’est mentionnée que la tribu d’appartenance qui serait celle des « Deylubal Kahlé » (Samb 1972, p. 108). Il s’agit probablement de la fraction Ideyjba al-Kahl, i.e. « les noirs » de la tribu des Tajakant (Poulet 1904, p. 82, Ould Cheikh 1985, p. 217).
10 Berque (1958, p. 106) reprend Lévi-Provençal qui définit l’Occident musulman par la triple influence andalouse, orientale et africaine.
11 Constant Hamès, communication orale.
12 Pour le Maghreb voir Elboudrari (1985, p. 491). En ce qui concerne l’Afrique de l’Ouest, les historiens et anthropologues ont vu dans cette dispersion moins la fabrique d’un paradigme de sainteté que la condition de la diffusion pacifique de l’islam dans un milieu de restricted literacy pour utiliser la formule de Goody. Ce dernier (Goody 1968, p. 225) parle de peripatetic system dans le nord Ghana, tandis que Batran (1979, p. 120) décrit les religious wandering des Kunta du Sahara. Voir aussi Hiskett (1973, pp. 15-58) à propos d’Usman Dan Fodio et Kaba (1976, p. 411) à propos des Jaxanke du Haut Sénégal et de la Guinée.
13 Sur ces titres de lettrés voir Botte 1990.
14 Sur les « autorités » et les livres (ou les manuscrits arabes) dont l’apprentissage s’effectuait en Mauritanie du xvie siècle au xixe siècle voir l’ouvrage majeur de Rainer Oßwald1986. L’auteur y dresse le réseau des références les plus fréquentes : on ne trouve pas de travail analogue pour l’aire sénégambienne.
15 D’après Ould Bah (1981, p. 43) la Risāla était récitée comme on récite le Coran. Le livre était divisé en deux parties – as Sifr (le livre) et al-Bāb (le chapitre) –, puis chaque partie en paragraphe, et l’intégralité était versifiée pour être plus facilement mémorisée.
16 Samb (1972, pp. 129-130) donne des exemples d’enseignants appartenant aux Aan de Ngijiloñ (Ng 6) qui portaient comme sobriquets le nom des deux tomes du Mukhtasar de Khālil.
17 La traduction de ces deux passages montre qu’ils sont presque identiques : pour le Zuhūr voir infra (chap. 5, fos 250-252) et pour l’autobiographie voir SAMB (ibid., p. 113), qui traduit intégralement le portrait que fait Kamara de Moodi Aalimu (correspondant aux pages 31-33 de l’autobiographie). Dans la version du Zuhūr Kamara ajoute quelques éléments dus au témoignage de son informateur, Abdallah ibn Ceerno Jiinge, qui fut également son disciple. Le passage forme une digression insérée dans la partie consacrée aux Talla, groupe auquel appartient l’informateur. On a là un exemple d’un ordre d’exposition qui suit les relations propét eutiques/pédagogiques.
En ce qui concerne le lieu de la rencontre entre les deux hommes les trois textes qui ont utilisé l’autobiographie (Samb 197. 1, p. 109, Hilliard 1977, p. 124 et Bousbina 1992, p. 76) commettent la même erreur de traduction en la situant au cours d’un voyage au Fuuta Jaloo, puisque Kamara mentionne l’appartenance ethnique de ses maîtres, sans mesurer le caractère international de la communauté musulmane au xixe siècle dont témoigne l’importance de la colonie des lettrés du Fuuta Jaloo au Fuuta Tooro. Mais l’identification des villages – Golleere et Bokkijaawe – ne laisse aucun doute. Nous remercions ici Roger Botte qui nous a confirmé l’inexistence de ces deux villages au Fuuta Jaloo (communication orale).
On peut penser que l’importance de cette colonie de marabouts originaires du Fuuta Jaloo peut expliquer la dépréciation du niveau de culture arabo-islamique des lettrés du Fuuta Tooro.
18 Aaliw Buuba Ndiang écrira une chronique de l’almamiat du Fuuta Jaloo de 1868 à 1893 (Soh 1968, pp. 25-31). Le village de Golleere est mentionné parmi les étapes d’apprentissage d’al-Hājj Bademmba Sefure dans la province du Kolaade de Ditin (Marty 1921, p. 281). Sur les principaux personnages mentionnés ici, voir Botte 1990.
19 Ce dernier avait été formé, non pas directement par Ceerno Moodi Daara mais par un disciple de ce dernier, Ceerno Ahmad Halima, qui résidait non à Golleere mais plus à l’est, à Seeno Palel, dans le Damnga [Da 6].
20 On ne trouve pas de trace de ce personnage dans Marty (1915-1916) sinon peut-être à travers la mention de « Cheik Amidou de Gollere » (p. 285).
21 Dans un passage précédent (id, p. 299) Marty déclare que les principaux marabouts et maîtres d’école du Booseya relèvent de son enseignement.
22 « Né vers 1870, maître d’une école florissante et assesseur suppléant du tribunal de province » (Marty 1915-1916, p. 306).
23 Voir Marty (ibid., p. 306) et surtout le court chapitre qu’A. Samb (1972, pp. 128-133) a consacré à ce personnage. Selon Thiam (1987, p. 153) qui a recueilli le témoignage de Mahmoudou Dia, professeur d’arabe et animateur de l’émission de radio « Visages du Fouta » dans les années 1960, Ceerno Yoro Bal ne ferait pas partie des Aan du Ngijiloñ qui portent le titre de Ceerno Tillere. Il serait originaire de Bode (La 3), village situé dans le Laaw, mais aurait épousé Aawa Abdul qui était la fille d’un autre maître, Abdul Siree Aan. Ce dernier fut le premier à porter le titre de Ceerno Tillere car il aurait été choisi par son propre père, Ceerno Siree Baaba, qui lui aurait transmis son charisme par l’intermédiaire de sa salive. Ces deux éléments – succession parallèle au don de la fille et incorporation du charisme sous forme d’humeur – montrent bien que la transmission du savoir islamique déborde le canal de la filiation.
24 Les terres les plus valorisées sont les terres inondées annuellement par la crue du fleuve qui se déroule durant la saison des pluies, de juin à septembre. Elles sont cultivées après le retrait des eaux, en saison sèche, en profitant de l’eau stockée dans le sol mais sans apport d’eau de pluie jusqu’à la récolte au mois de mars ou avril. Le calendrier annuel permet donc l’association de deux cultures, une culture sous pluie et une culture de décrue, constituée en majeure partie de sorgho. Sur ce système de culture qui a été ruiné par la sécheresse des années 1970, voir l’ouvrage majeur de Boutillier et al.1962.
25 Parmi ses disciples figure l’autre traditionniste du Fuuta Tooro, Siré Abbâs Soh, « lettré et généalogiste remarquable » selon Marty (1915-1916, p. 193) qui rédigea les Chroniques du Foûta sénégalais publiées par Gaden et Delafosse en 1913 (voir infra).
26 Sur cett attitude qui influencera profondément Kamara (Djenidi 1983) voir Dedoud Ould Abdellah 1994.
27 A Saint-Louis s’était constituée une communauté de traitants musulmans qui avaient réussi à conserver une certaine autonomie vis-à-vis des maisons de commerce bordelaises qui les employaient pro parte. Mamadou Diouf (1992) analyse la biographie d’un des plus importants de ces personnages, Hamet Gora Diop (1846-1910), que les affaires menèrent de Saint-Louis à Rosso puis à Médine, dans le Haut fleuve. Il entretenait de bonnes relations avec les Shaykh maures, ainsi qu’avec Buh el-Mogdad et aurait construit une mosquée à Médine. D’après Mamadou Diouf il aurait donné à Kamara un certain nombre d’ouvrages en arabe, car il possédait une bibliothèque importante (Diouf 1992, p. 122 ; et communication orale). Sur le rôle de la politique musulmane de Faidherbe ou la spécificité de la « cité » de Saint-Louis, voir aussi Robinson (1987) et Diouf (1995).
28 Sur le modèle algérien, voir Bathily 1976, Barrows 1974, Pasquier 1974, et Saint-Martin 1989. Sur les explorations organisées par Faidherbe, voir infra.
29 Buh el-Mogdad est mentionné à propos du récit d’un des nombreux miracles qui attestent de la sainteté de Sa’d Būh lors de son premier séjour à Saint-Louis (Marty 1915-1916, p. 186). Son fils, Dunndu Kummba, épousa Hinndu, petite-fille par sa mère d’Hammaat Njaay Aan et fille du Shaykh Muḥammad al-Māqāmi.
30 Ensemble de personnes unies, non par des relations de consanguinité ou de filiation, mais par des mariages (affinal set en anglais) qui peuvent s’enchaîner, se redoubler ou engager une ou plusieurs alliances à la génération suivante.
31 D’après l’administrateur Vidal (1924, pp. 73-74) Kamara aurait reçu deux terrains : le falo (champ de berge) Diaranguel situé sur la rive droite et le kolangal (cuvette de décrue) Boli Bavé (ou Bali Bavé) sur la rive gauche. Sur le fond de carte de Lericollais, repris par Schmitz et Sow 1989, Diaranguel est identifiable mais est situé plus au nord que le village de Jiintan en face duquel Vidal situait ce terrain de berge : il serait cultivé par les taalibe de Kamara. Pour Boli Bavé on peut se demander s’il ne s’agit pas de Beli-Diané de la carte situé à l’ouest de Ganguel, vu la variation des transcriptions dans ce type de rapport.
32 Comme en témoigne la formule qu’on trouve dans le rapport Vidal (ibid., p. 74) : « Le dernier colladé [plur. de kolangal, terrain de culture de décrue] Bali Bavé appartient en propre à Cheikh Moussa Kamara de Ouali, beau-frère de Samba Diom dont il a hérité par sa femme. » En réalité le mari n’a que l’usufruit de ce type de terre, qui ne devient propriété qu’aux mains des enfants. Sur l’importance de ces terres qui sont transmises par les femmes, voir Schmitza 1985.
33 Les terres reçues étant sur la rive droite, elles dépendaient du commandant de cercle de Kayhaydi, tandis qu’Abdu Salaam résidait à Kanel, sur la rive gauche, qui était administré par celui de Mataam
34 Il s’agit de dossiers de lettres qu’on trouve soit dans le Fonds Kamara de l’IFAN-CAD à Dakar et qui ont servi de sources principales à Anna Pondopoulo (voir son article de 1993), soit dans les dossiers Affaires politiques des Archives de la France d’Outre-mer à Aix-en-Provence. Nous remercions ici David Robinson de nous avoir communiqué les copies des lettres de Gaden issues de cette série.
35 D’après Monteil (1965, p. 535) John Hunwick remarquait déjà en 196 ; au cours d’un séminaire sur les manuscrits arabes d’Afrique de l’Ouest tenu à Legon au Ghana : « les difficultés (de traduction) proviennent de la transcription des noms propres qui est toujours une devinette à partir des graphies arabes ». Il suggérait de dresser un répertoire critique comparé des noms propres dans les manuscrits arabo-africains de l’Ouest. Dans le cas du manuscrit de Kamara, nous avons décidé de ne traduire que la partie sur le Fuuta Tooro car il n’y a que là que l’on bénéficie à la fois d’une localisation des terrains de cultures de décrue effectuée par Lericollais et Diallo 1980 à partir de laquelle nous avons reconstitué les anciennes limites des territoires ou leydi (Schmitz et Sow 1989) ainsi que d’une identification des différentes charges à titre – chef de territoire, de village, imām de la mosquée (infra) qui sont à la tête d’unités sociales souvent distinctes des lieux d’habitation (Schmitz 1994). Ce niveau intermédiaire, articulant une grammaire profonde du peuplement qui est de l’ordre de la généalogie et la hiérarchie statutaire propre à chaque leydi, permet de ne pas se perdre dans les digressions et les enjambements onomastiques de Kamara.
36 Le livre aurait été publié dans la série « Documents arabes relatifs à l’histoire du Soudan » où avaient été publiés les Tārikh soudanais, selon la promesse faite par le directeur de l’ELOV de l’époque, M. Boyer (lettre du 27 janvier 1937).
37 Comme nous l’indiquons infra l’ordre d’exposition aborde successivement chaque province (diwal) qui correspond à un tronçon de la vallée. Rétrospectivement et en forçant sur l’anachronisme on peut dire que ces matériaux constituaient une base de données, susceptibles de réorganisations problématiques.
38 Par hétérotopie (terme emprunté à Michel Foucault qui l’appliquait aux reducion du Paraguay) nous désignons une utopie musulmane qui prend corps dans un espace triplement séparé. L’environnement humain est présumé païen à l’inverse du Fuuta Tooro d’où vient Mammadu Saydu puisqu’il s’agit de Peuls du Fuladu, les Peuls éleveurs étant de façon récurrente, pour tout réformiste musulman, la population à convertir, ce qui est rendu aisé du fait qu’elle parle la même langue. D’autre part, il s’agit d’une zone pionnière et l’espace est à humaniser, pour créer une communauté agro-pastorale : ce n’est sans doute pas par hasard si le grand rassemblement annuel à Médina Gounass, la « daaka », s’accompagne du défrichement de la forêt. Enfin l’État n’intervient pas dans la gestion de la communauté qui constitue une zone franche. Cette triple altérité permet que se réalise le retournement caractéristique de la troisième phase de la formation coranique : la fixation résultant aussi bien du rassemblement d’un certain nombre de disciples que d’alliances matrimoniales conclues au cours de la pérégrination à la recherche du savoir. S’opère alors la fondation d’une dynastie de saints qui régit aussi bien l’espace – l’agglomération est quadrillée en damier et les concessions sont attribuées au début par le marabout – que le temps – rythme des cinq prières quotidiennes à la mosquée – et qui, de plus, a prise sur les corps : réclusion et voilage des femmes, vêtements blancs et port de la barbe pour les hommes...
39 Sur l’importance de l’ajami au Fuuta Jaloo, voir Botte 1990. Plus généralement voir Robinson 1982.
40 Cette sorte de micro-prosopographie qui procède par reconstruction de « vies parallèles » ne s’appliquant pas à de grands nombres ne peut donner lieu à description statistique, mais s’attache à identifier des concordances de temps, des récurrences ou des influences différées.
41 Sur l’importance, au xviiie siècle, du découpage cartographique de l’espace selon une série de bassins de drainage séparés par des montagnes, et en particulier chez Philippe Buache qui fut géographe du Roi de 1729 à 1773, voir les travaux de Numa Broc résumés dans l’article de Bassett 1994, p. 332.
42 Les cartes anciennes présentées dans ce volume ont été rassemblées et annotées par Charles Becker, Victor Martin et Yveline Diallo dans un dossier inédit de 1984 : l’abondance et la précision de ces cartes plaident en faveur d’une publication exhaustive de cet ensemble. Nous remercions ici Charles Becker de nous avoir autorisé l’utilisation de ce dossier.
43 Il semble que Labat critique surtout la qualité des sources – les « mauvais mémoires » – plus que l’absence d’observation directe puisqu’il partage l’art de la compilation avec les géographes qu’il critique...
Plus étrange est la présence contradictoire, dans le même ouvrage, de cette critique des géographes et de l’importante cartographie de d’Anville. A moins d’attribuer à d’Anville la paternité de ce jugement, car les historiens de la cartographie s’accordent à lui attribuer, dans une carte d’Afrique il est vrai postérieure, puisqu’elle date de 1749, le mérite d’y avoir ménagé de grands espaces blancs au lieu de les peupler d’animaux fantastiques ou de reliefs imaginaires (Bassett et Porter 1991 et Bassett 1994, p. 322). Ces blancs furent d’abord des vides de connaissances anticipant de futures explorations, avant de se transformer en appel aux impérialismes à contrôler des territoires vacants un siècle plus tard. Cette sorte « d’appel d’empire » (call for empire) par un moyen graphique supposait alors une phase de neutralisation conduisant à effacer toute trace d’État ou de groupe ethnique déjà connus (Bassett 1994, p. 326).
44 Nous remercions ici P. Bonte de nous avoir signalé l’intérêt du texte et de nous en avoir fourni une copie.
45 Les explorateurs publiaient dans les revues des Sociétés de Géographie ou dans des publications de vulgarisation (Broc 1982, pp. 339-346). Sur les Sociétés de Géographie, voir la synthèse récente de Lejeune (1993).
46 Le retour de l’expédition de Binger coïncide avec la mort de Faidherbe qui fait dire à Binger : « Quelques temps après, j’eus la douleur de conduire à sa dernière demeure le général Faidherbe, mon vénéré chef, au contact duquel j’avais fait mon apprentissage d’explorateur et d’administrateur » (Binger 1938, p. 184).
47 Selon Sibeud (1994, p. 643), on assiste en France, entre 1905 et 1914, à un double renversement : les revues d’ethnographie ont plus de succès auprès des auteurs que les revues de géographie ou de vulgarisation où publiaient les explorateurs – Brazza, Gallieni... – et, parallèlement, l’ethnographie supplante l’anthropologie (physique), dont la vision naturaliste avait triomphé dans les années 1880-1890.
48 Selon J.-L. Amselle on peut distinguer nettement dans la vie de Delafosse une période où prédomine une activité d’ethnologue – en Côte-d’Ivoire précisément – et d’autre part l’orientalisme qui caractérisera le reste de sa vie (communication orale).
49 Cette réhabilitation s’appuie sur un positivisme historique qui était dans l’air du temps – Lavisse, Langlois et Seignobos J.-L. Triaud, communication orale). D’où la critique des sources par le recours aux manuscrits arabes qu’invoque Delafosse dans la préface de Haut-Sénégal-Niger Une autre discipline, la nouvelle linguistique, dont le chef de file était Antoine Meillet, fournissait également une légitimité scientifique : Delafosse faisait partie de la Société linguistique de Paris (E. Sibeud, communication orale).
50 Plus lointainement ces entreprises ne sont pas sans rappeler la statistique départementale de l’époque napoléonienne analysée par Bourguet (1988) qui avait pour but de faire l’inventaire et le « bilan de la Révolution ». Or dans ce projet de topographie statistique le territoire de la France, comme le département, est « donc au statisticien ce qu’est au naturaliste l’espace de l’herbier » (Bourguetibid., p. 83). De même le projet de Delafosse, que l’on peut qualifier d’ethnographie monumentale, prend pour point de départ les monographies de cercle.
51 Au Maghreb, Houdas était appelé « Cheikh Houdas » car, même rentré en France, il continuait à effectuer des tournées d’inspection des Medersa. Aussi dans la figure 3 nous avons reconstitué, cum grano salis, à propos de l’amitié entre Houdas et Delafosse, ce paradigme de l’alliance entre clercs musulmans qu’est le « mariage du disciple avec la fille du Shaykh ».
52 Houdas et Gaudefroy-Demombynes publiaient des articles dans la Revue des traditions populaires dirigée par Sébillot (E. Sibeud, communication orale).
53 Nous remercions Bruno Halff qui a bien voulu vérifier un certain nombre de transcriptions arabes. Le titre entre parenthèse est conforme au système que nous avons adopté par rapport au titre du livre édité au début du siècle.
54 Ces manuscrits sont rassemblés dans le fonds Archinard de la Bibliothèque nationale qui a été présenté et analysé par Ghali, Mahibou & Brenner (1985). Comme pour le Zuhūr il aura fallu attendre plus d’un demi-siècle pour qu’une telle entreprise voit le jour. Cet effet retard a probablement les mêmes causes que celles que nous analysons infra.
55 Sur les vacances studieuses du gendre et du beau-père on lira le récit très vivant de Louise Delafosse, (1976, p. 293) qui témoigne de l’effervescence intellectuelle qui précéda la Première Guerre mondiale.
56 C’est Delafosse qui lui rendra hommage après sa mort dans un article au titre révélateur « Clozel, un grand Africain disparu » paru dans le Bulletin du Comité de l’Afrique française, (avril-juin 1918, pp. 76-82). Sur Clozel, voir Bouche 1975, p. 726 ; Harrison 1988, pp. 97-102 ; Conklin 1995, pp. 4-7.
57 Avec lequel Delafosse collaborera également dans Les Coutumes du groupe agni en 1904.
58 Ce passage est cité par Kamara dans une lettre envoyée à Théodore Monod en 1944 dans laquelle il rappelle les circonstances qui l’ont amené à écrire le Zuhūr, lettre citée dans l’article de Pondopoulo (1993, p. 108). D’où l’importance que revêt la citation de ces deux ouvrages pour écrire l’histoire de la dynastie peule au début de ce volume, comme si Kamara prenait la suite des Tārīkh...
59 Il avait le projet d’écrire une étude sur la langue mandingue et une autre sur le peul en collaboration avec Gaden (Delafosse 1976, p. 365).
60 Ce paradoxe permet de comprendre pourquoi ce livre sera publié là aussi dans la Collection de la Revue du monde musulman.
61 D’une certaine façon Sa’d Būh occupe au sein de ce dernier ensemble une place symétrique à celle de Gaden parmi les administrateurs et ethnologues.
62 Yoro Dyao étant surtout connu par ses œuvres, nous ne transcrivons pas son nom qui devrait être « Jaw ».
63 « Légendes et coutumes sénégalaises : les cahiers de Yoro Dyao », Revue d’ethnographie et de sociologie, 3-4, pp. 119-137 ; 191-202.
64 Sur Yoro Dyao voir l’article de Boulègue 1988 et Manchuelle 1995, pp. 342-345
65 « Histoire des Damels du Cayor », Moniteur du Sénégal et dépendances, 1864, pp. 448-453.
66 Les Confréries religieuses musulmanes, Alger, Jourdan, 1897. Sur l’importance de cette publication en ce qui concerne la politique musulmane coloniale en Afrique Occidentale voir Harrison (1988, pp. 18-23). J. Frémeaux (1991, p. 98 et m) a bien montré que le principal résultat de ce type d’investigation était de diminuer la crainte générée par le mythe très xixe siècle du complot et de la société secrète qui s’appliquait à des groupes ou à des institutions très diverses qui s’opposaient à l’ordre républicain – congrégations religieuses, groupes politiques anarchistes... Il en sera de même pour les ouvrages de P. Marty et en particulier de son enquête sur la confrérie plus centralisée du Sénégal à l’époque, la confrérie mouride.
67 Ce phantasme de la société secrète explique que les confréries musulmanes aient fait l’objet d’un traitement policier dont témoigne le vocabulaire employé : surveillance des marabouts, exil de leur leader, description systématique du réseau, dont on peut se demander si certaines analyses contemporaines de l’islam des banlieues sont si éloignées.
68 Telle était, semble-t-il, l’optique de Louis Rinn qui dirigeait le Service des affaires indigènes et avait rédigé en 1884 une étude importante déjà sur les confréries. Ce type de débat trouvera un écho décalé dans le temps au sud du Sahara lorsqu’un autre « Algérien », Mariani, qui fut inspecteur de l’enseignement musulman en AOF de 1906 à 1911, exprimera le souhait de former un corps officiel de marabouts enseignants dans des medersa où serait enseigné un islam laïc et modernisé (Bouche 1975, p. 724). Par ailleurs c’est Mariani qui fournit un des manuscrits de Siré Abbâs Soh (1913) traduit par Delafosse et annoté par Gaden.
69 A la suite de l’enquête effectuée avec Depont, Coppolani fit le projet d’une étude sur les ordres religieux dans tout le monde musulman. C’est parce qu’il n’obtint pas les crédits nécessaires qu’il participa à la mission des « compétents techniques » organisée par le général Trintinian, en vue d’étudier les confréries musulmanes au Soudan occidental, dans l’extrême sud marocain et le sud-ouest algérien (Brasseur 1980, pp. 138-141). Accompagné de Robert Arnaud, dont le père, en tant que traducteur officiel du Service des affaires indigènes, avait traduit des documents insérés dans l’ouvrage de 1897, Coppolani prendra contact avec les Twareg de la boucle du Niger et mettra au point les techniques d’apprivoisement des marabouts et de division des guerriers qui lui vaudront certains succès en Mauritanie, avant son assassinat en 1906. Bien qu’Arnaud rédigeât la biographie de Coppolani qu’il considérait comme son père spirituel, il avait une vision moins unitaire de l’islam et fut un des inventeurs de « l’islam noir » qui accentua le particularisme de l’islam ouest-africain (Frébourg 1993).
70 Merlin préconisait aux administrateurs et aux colons de « se documenter pour pouvoir réfléchir utilement » (cité in Sibeud 1994, p. 641).
71 Au sortir de la guerre, en 1919, Delafosse proposait non pas une extension de la citoyenneté française, mais la création d’un nouveau statut, le « statut ouest africain », proposition qui demeura sans lendemain (Michel 1975, p. 315).
72 Cela supposait la suppression des grands chefs ou des « grands commandements » ; cette politique fut tentée dans les années 1905 en pays wolof (Searing 1989, pp. 217-228).
73 Sur les prises de positions « indigénistes » de de Lamothe voir Manchuelle 1984.
74 Nous remercions Jean-Louis Triaud de nous avoir communiqué l’essai historiographique qu’il a rédigé en 1987 (pp. 67-68) et d’où sont tirées les citations de Quellien, Arnaud, et Marty. Voir également sa contribution sur « L’islam sous le régime colonial » dans le livre collectif de Coquery-Vidrovitch et Goerg 1992, p. 153.
75 Les berbères étaient qualifiés d’« anciens chrétiens, musulmans aussi peu que possible » par l’homme politique algérien, le docteur Warnier, qui allait « faire de la kabylophilie une pièce maîtresse de l’idéologie coloniale algérienne » dans les années 1860 (Ageron 1968, p. 271).
En AOF, il suffisait de remplacer christianisme par animisme pour aboutir à la troisième phase d’élaboration de l’islam noir, l’extranéisation de ce dernier, qui se déroule après la Première Guerre mondiale. En 1923 Jules Brévié, alors directeur des Affaires politiques et administratives au gouvernement général de l’AOF, publiait, avec une préface de Delafosse, Islamisme et naturisme au Soudan français où il retrace le combat séculaire entre les religions traditionelles – le naturisme – et l’islam considéré comme une religion étrangère (Triaud 1992, p. 154).
76 Sur la « colonisation » de l’ethnographie par les administrateurs et les militaires avant 1914, voir Sibeud 1994, pp. 651-654.
77 Ce primat de la vue a pris différentes formes depuis le xviiie siècle : importance des relevés topographiques et place de la géographie comme discipline fédérative des grandes expéditions scientifiques au xixe siècle (Nordman 1993) ; à la fin du siècle, naissance simultanée du cinématographe et de l’ethnologie de terrain (Piault 1995 b, p. 12 ; 199 5 a) ; enfin, durant la première moitié de ce siècle, intérêt porté à la photographie ou à la cinématographie (Sibeud 1994, p. 655) par les administrateurs-ethnographes qui cherchaient à fixer définitivement l’image des civilisations en voie de disparition (Pondopoulo 1995).
78 Kamara (voir le chap. 6 et l’annexe d’I. Sall) est une des principales sources qui permettent de reconstituer ce système d’oppositions et d’alliances sur un axe méridien et transversal au fleuve.
79 C’est la démarche quer suit Y. Wane dans son ouvrage de référence Les Toucouleurs du Fouta Tooro (1969). Voir nos observations in Schmitz 1994.
80 De même en Mauritanie, C. Stewart avait pu interpréter les deux « ordres » maraboutique et guerrier en terme de vastes ensembles de « segmentary patrilineal groupings » complémentaires et opposés (Stewart et Stewart 1973, p. 63).
81 Ce modèle, qui semble avoir été véhiculé au Soudan par les Kunta (Withcomb 1975) a été imité aussi bien au Maasina (actuel Mali) qu’au Fuuta Tooro. De façon générale, sur l’origine arabe des Peuls et leur rattachement à un conquérant arabe, Uqba b. Nafi ou Uqba b. Yasir, lié à un gouverneur d’Egypte, voir Robinson 1988a, pp. 83-90.
82 Voir Samb in Kamara 1970, p. 52. D’où les précautions que prend Kamara et qui témoignent d’un souci de critique historique analysé par Moustapha Ndiaye (Kamara 1978) : envoi d’enquêteurs sur place, confrontation des différentes versions à propos d’un événement – la mort de l’Almaami Abdul (chap. 6) – ou d’un processus – l’origine des factions Yaalalbe à Maatam (chap. 2) – mention des sources, sans parler des formules de scepticisme qui scandent le texte comme « Allah Le Très-Haut est plus savant... »
83 Ce passage du Zuhūr (fos 147-166) se trouvant dans la partie consacrée au petit État du Bunndu situé à l’Est du Fuuta Tooro, n’a pas été pris en compte dans cet ouvrage, mais a été traduit par M. Ndiaye et publié en 1975. Nous nous permettons de renvoyer également à notre article de 1990 où nous analysons le spectre des changements onomastiques induits par le passage du statut de Ceddo à celui de Tooroodo (Schmitz 1990). Dans ce texte Kamara analyse également des cas de mobilité descendante à propos des Fulbe qui, ayant perdu leur troupeau, deviennent des pêcheurs Subalɓe.
84 Tout en montrant leurs liens avec ceux qui sont restés Peuls.
85 Nous remercions ici Constant Hamès qui a rédigé ces passages de l’introduction consacrés aux manuscrits arabo-musulmans de Mauritanie.
86 Ce manuscrit était également en la possession de Delafosse qui avait commencé à le traduire avec Paul Marty en 1919 (Delafosse 1976, p. 379).
87 Comme en témoigne l’existence du Programme de recherches interdisciplinaires sur le monde musulman périphérique du CNRS auquel participent J.-L. Triaud et C. Hamès, responsables du projet.
88 Kamara parle très peu des techniques propédeutiques ou pédagogiques, mais beaucoup des effets de cette transmission du savoir dans des domaines variés. En deux mots, il faut que les islamologues sortent de l’école ou du « foyer » d’enseignement, un peu comme les sociologues du travail sont sortis du cadre de l’usine pour analyser la vie ouvrière.
89 Voir supra la partie consacrée à l’apprentissage des sciences islamiques.
90 Le même nom ou le même titre se retrouvent à des distances souvent considérables, sans qu’il soit possible d’en déduire une orientation de peuplement avérée.
91 En pulaar cette relation est appelée ceernagal car elle s’instaure entre un lettré, un ceerno et son élève, un almuudo. Ces relations, qui prennent comme modèle celles qui liaient Muḥammad à ses compagnons (Sahāba), sont homologues avec la walāya, l’amitié avec Dieu qui est une caractéristique du saint, en particulier dans sa double valence affection/protecton, clientèle, service (Touati 1994, p. 260).
En Mauritanie l’allégeance religieuse, le lien de talmadḥa – qui croise souvent la généalogie, le nasab – a servi de fil conducteur, de principe d’organisation des données, d’un autre manuscrit monumental mais plus récent, le Kitāb al-akḥbār écrit par Hārūn wuld al-Shaykh Sidiya (1919-1977) en vue de retracer l’histoire des héritiers de Shaykh Sidiya al-Kabīr (Ould Cheikh 1995). Ce type d’ordre d’investigation et d’exposition n’est pertinent que dans une société où pouvoir politique et fonction religieuse étaient nettement séparés, comme ce fut le cas dans la Mauritanie du sud-ouest.
92 Le plus célèbre des hijra fut la guerre sainte de Shaykh Umar au milieu du xixe siècle qui provoqua un immense exode vers l’est et qui est désignée par le mot qui lui correspond en pulaar, fergo (Robinson 1988a ; Schmitz 1988). Ce mouvement de population trouvait sa justification dans la progression des Français à partir de Saint-Louis. Kamara lui consacre un passage au début du premier tome du Zuhūr qui a été traduit par Samb (Kamara 1970).
La fitna sera invoquée au moins deux fois à cette occasion. Une première fois avant, durant l’affrontement avec Ahmad qui régnait sur l’État musulman du Maasina, ce dernier reproche à Umar de ne pas se soumettre à l’autorité légitime qu’il représente (Mahibou et Triaud 1983, p. 41). Et surtout après, au moment du bilan, cette notion sera un élément central dans la condamnation de la guerre sainte, aussi bien pour Sa’d Būh (Ould Abdellah 1995), que pour Kamara (Kamara 1976 et Djenidi 1983). Ces deux auteurs mettront en avant le fait que l’extension de la légalité du jihād à l’encontre des prétendus musulmans aboutit à des affrontements et donc à des morts de musulmans, ce qui est contraire aux prescriptions du Coran.
93 Cette inversion des relations d’amitié, que nous avons rencontrée dans la propre biographie de Kamara (fig. 2) a également fait l’objet d’une représentation graphique dans le chapitre 7 (fig. 8).
94 Le deuxième titre de l’ouvrage est Intiṣār al-mawtūr fi ta’riikh qabā’il Fūta Tūr (Victoire de l’opprimé [par l’ignorance en ce qui concerne] l’histoire des tribus du Fuuta Tooro).
95 Professeur d’histoire à Michigan State University, il a, dès 1975, confronté des sources orales – publiées depuis dans un ouvrage en 1984, The Islamic Regime of Fuuta Tooro. An Anthology of Oral Traditions (en collaboration avec le regretté M. Kane), East Lansing, Michigan State University – les informations de Kamara et les documents d’archives, dans son premier ouvrage intitulé Chiefs and Clerics : Abdul Bokar Kan and Futa Toro, ainsi que dans un article portant sur la naissance du régime des Almaami, « The Islamic Revoluion of Futa Toro », dans l’International Journal of African Historical Studies (voir infra le chap. 6). Ce projet lui doit beaucoup puisqu’il a fourni à l’équipe de Paris la copie du microfilm de Yale.
96 Nous tenons à remercier vivement M. Diop sans lequel ce type d’opération de coopération à distance entre institutions de recherches sénégalaise (IFAN-CAD, mais aussi ENS) et française (ORSTOM, CNRS, EHESS), n’aurait pas été possible.
97 Ce qu’on pourrait appeler la « vérité terrain » en utilisant cette terminologie qui provient de la télédétection.
98 Action scientifique programmée. Le but de cette action est d’associer des équipes issues des deux organismes de recherche.
99 C. Hamès anthropologue et arabisant, responsable du projet, est membre du Centre Interdisciplinaire du fait religieux, URA 1733, CNRS-EHESS : il fait partie en outre du GDR 745 du CNRS « Anthropologie comparative des sociétés musulmanes ». Il est spécialiste de l’islam maghrébin (Bonte et al 1991) et mauritanien (Hamès 1983).
J.-L. Triaud, historien arabisant et islamologue, autre responsable du projet, est professeur à l’Université de Provence (Aix-Marseille I). Il vient de publier en 199 ; deux volumes sur la Sanusiyya (Lybie/Tchad) : La Légende noire de la Sanûsiyya. Une confrérie musulmane saharienne sous le regard français (1840-1930). Il fait partie du GDR 0122 du CNRS « La transmission du savoir dans le monde musulman périphérique » et du GDR 1118 « Histoire de l’Afrique : Mémoires et identités xviie-xxe siècle ». Directeur de la revue Islam et Sociétés au Sud du Sahara qui a accueilli un certain nombre d’articles sur Kamara, il a déjà été à l’origine de la traduction du Bayân d’al -Hājj Umar (Mahibou et Triaud 1983).
100 J. Schmitz, anthropologue, responsable du projet, est chercheur à l’ORSTOM. Affecté au Sénégal, de 1977 à 1982, il a effectué des enquêtes sur le Fuuta Tooro (Schmitz 1986 et 1994). De 1993 à 1997 il a été détaché au CNRS, au Centre d’Études africaines (CNRS/EHESS) et prépare un ouvrage qui aura pour titre Les Républiques du fleuve : cités-États, territoires et irrigation au Fuuta Tooro (vallée du Sénégal) où seront publiées l’analyse des chartes politiques des villages du Fuuta Tooro et les cartes auxquelles renvoie la codification des territoires insérée dans la traduction du Zuhūr. Depuis 1990 il co-anime avec Roger Botte (CNRS) et Jean Boutrais (ORSTOM) le GREFUL (Groupe d’études comparatives des sociétés peules) : avec R. Botte il a co-édité le numéro spécial des Cahiers d’Études africaines (133-135, 1994) intitulé « L’archipel peul ».
Grâce à un échange croisé, C. Becker, historien du CNRS, est détaché à l’ORSTOM et affecté au centre de Dakar. Historien au départ, il a édité de nombreuses sources sur les anciens royaumes sereer et wolof, et publié des synthèses sur l’esclavage et la démographie historique : il a rassemblé un important dossier de cartes anciennes sur la vallée du Sénégal (Becker et al. 1984) et fait partie du « Département santé » (DES) de l’ORSTOM).
Le programme Islam Tropical de la Maison des Sciences de l’Homme en 1990, puis le Centre d’Études africaines CNRS/EHESS, à partir de 1991-1992, ont hébergé le projet dans le même immeuble du 54 Boulevard Raspail, 75006-Paris.
101 Le sujet de sa thèse de doctorat d’histoire (soutenue en 1996) est intitulé Un siècle de savoir islamique en Afrique de l’Ouest (1820-1920). La littérature de la confrérie Tijaniyya à travers les œuvres d’al-Hājj Umar, Ubayda Ben Anbuja, Yarkoy Talfi et al-Hājj Malik sous la direction de C. Coquery-Vidrovitch et J.-L. Triaud (Université de Paris I). Il a publié en particulier un article à partir de la biographie de Kamara, « Musa Kamara, le savant “autodidacte” », in Islam et Sociétés au Sud du Sahara, 1992, pp. 75-78.
102 Sa thèse est intitulée Les Hiérarchies sociales et leurs fondements idéologiques chez les Haalpulaar’en (Sénégal), Université de Paris X, UMR 116, Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative.
103 Historien et pulaarophone, Ibrahima Abou Sall prépare une thèse de doctorat à l’Université de Paris VII sous la direction de J.-L. Triaud intitulée Mauritanie : conquête et organisation des territoires du Sud (Gidimaxa, Fuuta-Tooro, Waalo-Brak). Rôle des aristocraties politiques et religieuses (1890-1945).
104 Enseignant à l’Université de Paris V et de Lille I, il vient de publier sa thèse de doctorat sous le titre La Question foncière en Mauritanie. Terres et pouvoirs dans la région du Gorgol, Paris, L’Harmattan (« Connaissance des hommes »), 1995. Il a eu l’occasion d’utiliser les données du futur volume 3 de la traduction (chapitre 10) dans un article intitulé « Histoire du peuplement et rapports fonciers à Kaédi de l’époque des Farba à la conquête coloniale », Islam et Société au Sud du Sahara, 1993, pp. 111-143.
105 Arabisant et responsable du département de civilisation arabo-islamique de l’IFAN-CAD, Khadim Mbacké a traduit le tome 3 du Zuhūr. Il a soutenu une thèse en 1992 intitulée Le Pèlerinage à La Mecque : le cas du Sénégal de 1886 à 1996, sous la direction de Dominique Chevalier.
106 Responsable du département d’arabe de l’École normale supérieure de Dakar, M. Abdoul Malal Diop est le traducteur du volume 4. Arabisant et pulaarisant, il a rédigé un projet de recherche sur Les foyers islamiques de Hoore-Fonnde (Ceerno Siree Jawo DEM, vers 1890), de Ganngel (Shaykh Muusa Kamara, 1864-1949). et de Tiloñ (Ceerno Hamme Baaba Talla, 1872-1935).
107 Historien de la vallée du Sénégal dont il est originaire et dont il parle la langue, il a eu recours au Zuhūr dans sa thèse d’État qui est en voie de publication, Le Fuuta-Tooro des Satigi aux Almaami (1912-1809), Dakar, Faculté des lettres et sciences humaines, 3 vol., 1124 p., multigr. Chercheur à l’IFAN-CAD, il exerce également les fonctions de doyen de la Faculté des lettres de l’Université Cheikh Anta Diop.
1 Cette partie a été quasi intégralement traduite par Samb, voir Kamara 1970 : 388-389, 399-410.
2 Pour comparaison, voir Delafosse 1913 : 294.
3 Cette partie a été traduite par Ndiaye, cf. Kamara 1978 ; comparer avec la traduction de Samb, ibid. 1970 : 391-398.
4 Voir la traduction de Ndiaye de cet important chapitre qui constitue une sorte d’introduction à la méthode de Kamara, cf. Kamara 1975.
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Florilège au jardin de l’histoire des Noirs (Zuhür Al Basatin). Tome 1, volume 1
L’aristocratie peule et la révolution des clercs musulmans (vallée du Sénégal)
Shaykh Muusa Kamara
1998