Chapitre 4. Rhétorique télévisuelle et incarnation politique
p. 97-114
Texte intégral
« Vaut-il mieux avoir à Matignon un gros jovial qui ne connaît pas ses dossiers ou un sec un peu moins jovial qui les connaît ? »
A. Juppé
1« La Révolution démocratique moderne, nous la reconnaissons au mieux à cette mutation : point de pouvoir lié à un corps. »
Cl. Lefort
2C’est par ces mots qu’A. Juppé aurait formulé l’alternative un moment envisagée par J. Chirac lors des élections législatives de 1997 entre A. Juppé lui-même et Ph. Séguin comme Premier ministre1. Au-delà de l’anecdote, la formule mérite qu’on s’y arrête. Évacuant les divergences strictement politiques qui le séparent de son concurrent, l’ancien Premier ministre met le doigt sur un phénomène auquel la télévision, devenue l’un des premiers forums politiques contemporains, a donné toute son importance : le corps. L’image en effet donne au corps politique, pris cette fois-ci au sens propre du terme, au corps des politiques, une visibilité jamais atteinte dans notre démocratie contemporaine, illustrant une fois de plus la prégnance de la dimension figurative et esthétique dans la médiatisation télévisuelle du politique.
« Dans nos sociétés audiovisuelles avancées, écrit E. Véron, la médiatisation a mis au devant de la scène, pour la première fois dans l’histoire, les mécanismes de la dimension indicielle où se structure la présentation de soi. […] Une élection est en quelque sorte la mise en place d’un dispositif où quelques corps se donnent à voir et des millions de gens se mettent à pratiquer, plus ou moins consciemment, au fil des jours et des semaines, la lecture des indices de la présentation de soi2. »
3Ce retour de l’incarnation par le biais de la scène télévisuelle s’effectue selon un mode qu’il nous paraît d’autant plus urgent de préciser que le corps des candidats, dans sa dimension physique comme dans la mise en scène figurative qu’il permet, est passé au rang d’argument politique au même titre que leur programme ou les éléments symboliques de leur parcours rituel, notamment en période électorale.
4Les éléments de réflexion qui suivent constituent une première approche d’un phénomène qui nous paraît central, approche qui ne saurait toutefois se dispenser de vérifications et d’approfondissements ultérieurs, notamment en ce qui concerne les hypothèses avancées au sujet de la réception par les citoyens téléspectateurs.
Corps politique et filmage télévisuel
Le paradoxe de l’incarnation télévisuelle
5Parler d’« incarnation » peut sembler a priori paradoxal s’agissant du média télévisuel qui, de fait, dé-réalise et abstrait tout ce dont il rend compte. En effet, contrairement aux interactions antérieures qui relevaient d’un mode de présence réelle de l’acteur politique face à la foule, la télévision organise cette rencontre sur un mode fictif : si l’image entretient un rapport d’analogie avec son référent, elle n’en reste pas moins une image, « juste une image », selon l’expression de J.-L. Godard, un simple « indice » en relation de contiguïté avec l’objet de référence, pour reprendre la terminologie de Peirce3.
6La rhétorique télévisuelle est en effet fondée sur un leurre procédant d’une double rupture : spatiale, dans la mesure où l’homme politique que l’on voit à la télévision n’est pas physiquement face aux téléspectateurs, et temporelle dans le cas des émissions en différé, si léger ce dernier soit-il. On ne peut donc parler ici que d’un « effet de présence » qui se nourrit seulement de cette présence initiale dont elle est le reflet, ou l’écho.
Le corps comme point d’ancrage et élément de cohésion du récit télévisuel
7Le corps est, en règle générale, le point d’ancrage de notre vision du monde et constitue par conséquent un repère fondamental dans l’image de la réalité. Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler le sentiment de vide provoqué par une séquence cinématographique et a fortiori télévisée caractérisée par l’absence de corps. Plus que tout autre élément, le corps fait sens et donne sens à l’ensemble dans lequel il s’intègre.
8En ce qui concerne le corps des politiques, cette fonction d’ancrage est évidente pour les émissions télévisées de plateau ; elle est encore plus pertinente pour le journal télévisé dont la fragmentation est une donnée essentielle. La récurrence des mêmes éléments, au premier rang desquels les hommes politiques, constitue sur le plan narratif le contrepoint nécessaire et l’indispensable élément de cohésion d’une structure par définition morcelée. Ainsi, dans le contexte de la campagne de 1995 et quoi qu’il arrive par ailleurs, les personnages de J. Chirac, É. Balladur, L. Jospin, Ph. Séguin, etc. apparaissent sur le petit écran au moment de la séquence politique. Ils sont le point d’ancrage du récit électoral, sortes d’anchormen de la narration politique.
Le corps et la double structuration de l’image télévisée
9Sur un plan plus technique, l’image télévisée est deux fois construite. Elle est le produit d’une double structuration, aux niveaux « externe » et « interne ». Par niveau « externe », entendons tout ce qui participe de la mise en image au niveau filmique, à savoir l’ensemble des paramètres visuels résultant des choix de mise en image opérés par l’instance de réalisation : échelles de plans, angles de prise de vue, cadrages, mouvements de caméra, etc. Dans ses travaux sur l’image télévisuelle, J.-P. Terrenoire a tenté de décrypter les techniques et procédés de la rhétorique visuelle, de la « monstration » pour reprendre un de ses termes favoris. Toute mise en image est mise en valeur et, toujours selon lui, joue sur un nombre fini de modalités valorisantes. Dans son travail sur la valorisation iconique, le chercheur retient quatre variables pour leur pertinence : la surface occupée par le protagoniste de la scène sur l’écran, son orientation, sa centralité par rapport à l’écran et la profondeur de champ dans laquelle il s’inscrit. Le corps des politiques à la télévision s’inscrit donc d’abord dans ce cadre et notre perception est tributaire de cette mise en image4.
10L’étude que nous avons effectuée de l’élection présidentielle de 1988 à la télévision a permis de conclure au caractère fortement contraignant des normes de filmage à cet égard, les hommes politiques bénéficiant en général du premier plan, d’une surface correspondant à un plan cravate, d’une centralité maximale, et d’une orientation de face sauf dans les cas d’interview où, deux personnes occupant l’écran, le trois-quart-face et la symétrie des deux personnes par rapport à un axe central sont de mise5. Tout est fait pour permettre l’illusion du contact avec l’homme politique dans le cadre d’une relation interpersonnelle sans intermédiaire. Se dégage ainsi une norme qui nous fait percevoir comme naturel le filmage des hommes politiques suivant ces critères.
11Tout écart par rapport à cette norme est donc d’autant plus signifiant ; ainsi de cette séquence, la seule de notre corpus, diffusée durant le JT du 1er mars 1995, où É. Balladur est interviewé par J.-M. Sylvestre, spécialiste d’économie sur TF1. Curieusement, le journaliste est installé sur un siège beaucoup plus bas que celui du candidat, à quoi s’ajoute le fait, rarissime dans ce type de séquences, qu’É. Balladur est filmé en légère contre-plongée, ce qui accentue encore l’inégalité entre les deux protagonistes de la scène. Le but de ce filmage surprenant est peut-être, compte tenu de ce que l’on croit savoir du projet communicationnel de la chaîne et de ses options idéologiques6, de convaincre le citoyen-téléspectateur de l’incontestable supériorité du candidat – Premier ministre, à un moment de la campagne où les sondages concernant ses chances de remporter l’élection étaient en chute libre7.
12L’analyse de l’image au niveau interne s’intéresse quant à elle au « montré » résultant de la mise en scène des sujets filmés. Dans cette épiphanie du corps politique assurée par la télévision, on peut retenir comme essentiellement pertinents les éléments relevant de la physiologie des personnages ainsi que de leur mise en scène figurative8.
13Les codes anthropologico-culturels qui organisent l’espace interne et les codes techniques qui organisent l’espace externe (qui ne sont pas non plus indépendants de codes culturels) forment deux blocs qui réagissent et se conditionnent mutuellement : « le film est un langage qui parle un autre langage préexistant, tous deux en interaction avec leur système de conventions », observe à ce propos U. Eco9. Le corps que nous voyons est à la croisée de ces deux logiques.
La co-construction du corps politique
14La double structuration interne et externe de l’image révèle en outre combien la mise en scène du corps des hommes politiques est tributaire d’instances diverses : les conseillers en communication, le candidat lui-même, mais aussi le caméraman, le journaliste, le présentateur, les divers spécialistes convoqués, la chaîne avec ses impératifs idéologiques et/ou commerciaux.
15En effet, la mise en scène du corps politique, compte tenu de son impact supposé auprès des citoyens, est l’objet des plus grandes attentions de la part des conseillers en communication qui veillent sur l’image, le « look » de leurs clients. La stratégie du candidat et de son équipe de communication constitue un premier élément, en amont, à prendre en compte dans la construction du corps politique.
16La maîtrise de la mise en scène ne dépend toutefois pas d’eux seuls. La chaîne peut avoir son projet communicationnel, fonctionner selon des impératifs propres. Ainsi, en ce qui concerne la campagne présidentielle de 1995, l’analyse de P. Péan et Ch. Nick tend-elle à montrer que TF1 avait choisi de soutenir le candidat Balladur et réquisitionné l’ensemble de ses moyens pour la promotion de son candidat10.
17À un premier niveau, on peut donc parler de stratégies croisées de la chaîne et des candidats dans la mise en scène de leur personne.
18Mais la co-construction du corps des candidats ne se limite pas à ce premier niveau de stratégies conscientes et organisées. La multiplicité des intervenants dans le cadre d’un JT diffracte cette notion de stratégie volontaire. Le caméraman qui filme en fonction d’impératifs techniques et/ou idéologiques, le journaliste qui interviewe l’homme politique, ses partisans, ses opposants, le monteur, le présentateur et ses commentaires, les divers spécialistes intervenant dans le cadre du JT contribuent aussi à cette construction du corps politique. C’est donc une fois de plus à la notion de « médiativité télévisuelle » telle qu’on l’a définie plus haut que l’on se réfère en dernière instance.
19Ainsi par exemple du personnage de J. Chirac dans sa mise en scène d’un corps de proximité : « Martine Aubry trouve Jacques Chirac proche des gens » cite un journaliste (JT du 15 février 1995) ; « Jacques Chirac a fait sonner trompettes et grosses caisses lors de son meeting porte de Versailles. Au diable les dîners en ville et les attitudes un peu coincées des chiraquiens d’autrefois ; aujourd’hui, plus de complexes, on se veut plus près du peuple » commente le reporter chargé de « couvrir » le meeting chiraquien (JT du 17 février 1995) ; A. Madelin évoque sa « capacité à écouter les petites gens et à les comprendre » (JT du 18 février 1995) ; des militants chiraquiens trouvent que J. Chirac renoue avec « les racines populaires du gaullisme » (JT du 25 février 1995), etc.
20On assiste ici à la co-construction, par les diverses instances à l’œuvre dans le cadre du récit informationnel (journalistes, reporters, militants, opposants, partisans politiques etc.), d’un corps chiraquien de proximité. Les exemples cités ici convergent. Mais d’autres voix dénoncent le caractère artificiel de cette construction : on a déjà eu l’occasion de citer R. Hue (« Bientôt il vendra des merguez à la sortie du métro ») et J.-M. Le Pen (« Je mange de la choucroute, je suis de gauche ! ») dans leur commune dénonciation. Le corps ainsi mis en scène est l’objet de tensions qui, si elles s’avéraient trop fortes, nuiraient à la cohérence globale du personnage dont elles feraient un corps écartelé, paradoxal au sens propre du terme11.
21Avant la télévision, mises à part les actualités cinématographiques dont l’audience était limitée, la peinture ou la photo étaient les principales responsables de la diffusion de l’image des politiques qui en avaient donc une bien meilleure maîtrise dans la mesure où ils accréditaient des peintres ou des photographes officiels12. À la télévision, la multiplicité des instances intervenant dans la réalisation du texte télévisuel, l’éclatement des sources de réalisation, qui toutes participent de cette mise en sens, complexifient la problématique en diffractant la notion de stratégie consciente et organisée qui structure le projet communicationnel à certains niveaux.
Corps politique : questions de physique
Une silhouette, un visage, une voix
22Tributaire dans sa mise en image des données filmiques précédemment évoquées, le corps des politiques se caractérise d’abord sur le plan physique. L’homme politique à la télévision, c’est en première approche une silhouette : courte ou élancée, menue ou trapue. Les images des sommets européens ont été, pendant plus d’une décennie, dominées par ce couple curieux apparaissant régulièrement sur nos écrans, un géant et un nain, H. Kohl et F. Mitterrand. La position dominante de l’Allemagne au sein de l’Europe se trouvait ainsi confortée par l’incarnation qu’en proposait son premier représentant.
23Durant la campagne de 1995, J. Chirac et L. Jospin, grands et charpentés, donnent un sentiment d’équilibre qui représente une moyenne entre l’aspect incontestablement moins physique d’É. Balladur, et la force massive de J.-M. Le Pen. Par cette prégnance charnelle, J.-M. Le Pen incarne d’ailleurs l’extrême-droite de façon toute différente de l’incarnation proposée par B. Mégret par exemple qui, petit et menu, incline à faire percevoir son mouvement de façon plus intellectualisée.
24Le corps des politiques, c’est ensuite, la télévision privilégiant les plans moyens et les gros plans, un visage. On sait l’attention dont il est l’objet de la part des candidats et de leurs équipes de communication. C’est ainsi que l’on a vu F. Mitterrand se faire limer les canines supérieures, celles-ci risquant de le faire apparaître comme « ayant les dents longues », métaphore dont on perçoit les ravages potentiels ; que l’on a vu J.-M. Le Pen coiffer ses cheveux en arrière et abandonner la raie de côté dont la proximité avec la coiffure d’Hitler facilitait les caricatures, et J. Chirac délaisser ses lunettes à montures rectangulaires qui accentuaient le manque de rondeur de son visage.
25La télévision étant un média audio-visuel, le corps du politique, c’est aussi une voix. Rien en effet ne renvoie plus à la réalité d’un corps que la voix qui participe de l’incarnation au même titre que l’image du corps qu’elle contribue à concrétiser.
26Si la voix d’É. Balladur est à maintes reprises qualifiée de « monocorde » par les journalistes chargés de rendre compte de ses interventions (JT du 13 février 1995, du 16 février 1995, etc.), celle de J. Chirac en revanche se caractérise par une excessive volonté articulatoire : accentuation systématique de la première syllabe des mots, d’où le caractère saccadé et martelé de son élocution, liaisons sans enchaînement (« les (pause)habitudes »), souvent fautives d’ailleurs, et tendance à prononcer comme des géminées des consonnes simples. Comme le souligne I. Fonagy, « en interprétant automatiquement les sons produits en fonction de leur production, on croit percevoir directement, revivre pour ainsi dire, l’effort articulatoire de la personne qui parle13 ». L’articulation chiraquienne se veut énergique et renvoie à une forme de volontarisme.
27La voix de L. Jospin en revanche se caractérise par un timbre plutôt aigu, assez juvénile, et une intonation ascendante même en fin de groupe rythmique, un peu sur le modèle de mélodie suspensive initié par F. Mitterrand et qui s’est trouvé progressivement adopté par plusieurs dirigeants du PS. La voix constitue donc ici une marque identitaire qui n’est pas indépendante d’une identité de groupe.
28On l’a vu avec le contraste des silhouettes, des visages et des voix des candidats, la perception que l’on peut avoir des caractéristiques physiques d’un individu varie en fonction de ses concurrents immédiats, des personnages amenés à occuper une position similaire sur l’échiquier politique à un moment donné. Ainsi du visage de J. Chirac, longtemps perçu comme dur, et dont le rapprochement avec celui d’É. Balladur a probablement modifié la perception : le faciès quelque peu empâté de ce dernier, des yeux petits soulignés par des poches, le menton double, le nez bourbon renvoyant bien à l’image consensuelle d’un candidat soucieux d’arrondir les angles (« La réforme sans rupture ni fracture ») ont contribué à faire percevoir le visage de J. Chirac comme plus franc que dur.
29En dehors de ce jeu en synchronie, les individus amenés à occuper successivement la même fonction sont d’abord perçus à travers un prisme comparatif : c’est ainsi que la rondeur de l’actuel premier secrétaire du PC, R. Hue, apparaît d’autant mieux qu’on le confronte à G. Marchais. L’incarnation du communisme se fait de façon toute différente dans les deux cas, de même que l’incarnation de l’extrême-droite par un J.-M. Le Pen et un B. Mégret.
30Comme pour les rituels ou la symbolique politique analysés dans les chapitres précédents, la télévision, parce qu’elle fait converger à la surface de son écran tous les individus présents dans des temps et dans des lieux différents, rend possible ce travail de comparaison, en diachronie comme en synchronie, et permet le décryptage sur la base de cette confrontation.
Du physique au psychologique
31On le voit au travers de ces différents exemples, des caractéristiques qui semblent purement physiques n’en renvoient pas moins à des traits plus psychologiques. C’est ainsi que dans l’expression citée en épigraphe de ce chapitre, « un sec un peu moins jovial » employée par A. Juppé pour se désigner lui-même, l’adjectif « sec » renvoie aussi bien à un trait physique que moral, comme le confirme le parallèle avec « gros jovial » où « gros » caractérise l’apparence extérieure de Ph. Séguin mais sous-tend aussi un trait de caractère, tant il est vrai qu’il est plus facile d’imaginer un gros jovial qu’un maigre jovial.
32Par ailleurs, les caractéristiques morphologiques suscitent des interprétations qui, selon certains travaux de morphopsychologie, renvoient à un système de valeurs en cours dans une société donnée. C’est ainsi que la culture européenne percevrait une silhouette élancée comme plus distinguée qu’une silhouette massive, ou un crâne dolichocéphale et un visage allongé plus positivement qu’un crâne brachycéphale et un visage rond et large14. On peut contester le fondement scientifique de ces associations, elles n’en sont pas moins « opératoires » : les sorcières n’ont pas existé, mais la croyance commune en leur existence a produit des effets bien réels.
Du physique au social
Enfin, l’aspect physique des individus renvoie à une dimension sociale. La notion d’hexis corporelle est, chez P. Bourdieu, indissociable de l’habitus comme expression des valeurs sociales. Le sociologue définit l’hexis corporelle comme une « transsubstantiation » où les valeurs sont faites corps : « l’hexis corporelle, écrit-il, est la mythologie politique réalisée, incorporée ». Il évoque par ailleurs « la vertu de l’incorporation qui exploite la capacité du corps à prendre au sérieux la magie performative du social ». Le corps « parle » donc le social, c’est un corps « pense-bête »15. Il est clair que chaque classe entretient un rapport différencié au corps, les usages du corps étant socialement déterminés. Ainsi, plus on s’élève dans la hiérarchie sociale et que décroît le travail manuel, moins on entretient un rapport instrumental à son corps. La relation au physique devient principalement esthétique, le corps devient une image : c’est un corps représentation16.
33On sait l’importance de cette dimension sociale du corps dans l’identification suscitée par les hommes politiques. La perception d’É. Balladur comme grand bourgeois a sans nul doute joué dans son échec électoral (comme en témoignent les caricatures de Plantu à la « une » du Monde, figurant le candidat portant culotte et perruque poudrée), de même qu’en leur temps le côté aristocratique de V. Giscard d’Estaing et le côté populaire de G. Marchais les ont fait percevoir comme étant en phase avec leur électorat17.
34Mais si le corps « parle » le social, on ne saurait toutefois sans sombrer dans le déterminisme le plus absolu, nier la part de jeu qui peut exister dans le rapport au corps. Comme le langage, le corps peut apprendre, feindre ou simuler. S’inspirant parfois sans le savoir des procédés de la rhétorique la plus classique, les modernes conseillers en communication vendent ce savoir-faire à leurs clients. Entre l’illusion de maîtrise absolue que tendent à véhiculer ces pratiques et une forme de déterminisme social à laquelle conduisent parfois les études à caractère sociologique sur le corps, nous considérerons que l’exploitation de ce jeu au sens mécanique du terme, constitue un des ressorts de l’habileté politique, mis au premier rang par la scène télévisuelle.
35L’aspect physique des personnages que la télévision place au centre de la perception que l’on a de la (des) politique(s), renvoie en effet à tout un système de valeurs, le plus souvent non explicites, qui prennent force d’arguments dans le débat politique.
L’incarnation symbolique
Le corps, premier opérateur d’une mise en scène figurative
36Le corps politique tel que la télévision en assure la promotion ne se limite toutefois pas à sa dimension physique ou psychosociologique. Lorsque J. Lang déclare « Je suis prêt à me porter candidat sauf si quelqu’un d’autre incarne mieux ce combat d’unité et d’enthousiasme » (JT du 17 janvier 1995) ou que J. Chirac affirme « É. Balladur incarne une voie et j’en propose une autre » (JT du 7 février 1995), cette « incarnation » qu’évoquent les candidats est à prendre au sens plus abstrait de « représentation symbolique » et renvoie à tout un ensemble de valeurs dont le candidat serait porteur. Le corps du politique devient ainsi le premier opérateur d’une mise en scène figurative intégrant l’apparence physique en général, le rapport à l’espace (codes kinésiques de comportements corporels et codes proxémiques d’organisation de l’espace), au temps, aux gens et au monde en général. L’analyse, au chapitre précédent, de la symbolique politique contemporaine, a permis de constater que ses éléments les plus synchroniques relevaient le plus souvent d’une relation au corps des candidats.
37Ainsi des « deux voies » évoquées par J. Chirac, le maire de Paris incarnant un gaullisme plus populaire que son concurrent du RPR. Cette dimension populaire s’actualise chez lui par la mise en scène d’un corps de proximité relevant d’un « ethos populaire », pour reprendre une expression de P. Bourdieu, par opposition au corps balladurien qui s’actualise dans la distance.
J. Chirac : un corps de proximité
38Le corps chiraquien est un corps dont le rapport au monde se traduit d’abord par le contact physique, la proximité par rapport aux gens et aux choses. On a évoqué plus haut sa relation à la nourriture (la tête de veau étant présentée comme son plat préféré et la bière comme sa boisson de prédilection), à l’espace (fréquentation des banlieues ainsi que des lieux de « sociabilité populaire » comme marchés et cafés) ; la scénographie modeste et égalitaire de ses « réunions thématiques » ; l’organisation de ses meetings avec le passage d’un groupe antillais en première partie, incarnation de cette « France pour tous » dont le candidat veut être le champion ; des moments hautement symboliques comme sa déclaration de candidature effectuée depuis « la province », par le biais d’un quotidien régional, ou sa première sortie en tant que chef d’État, faite dans un véhicule dont la commercialisation a cessé depuis des années. Autant d’éléments figuratifs qui contribuent, de même que les discours des uns et des autres, à cette incarnation modeste et populaire dont le corps dans sa dimension physique, est le premier opérateur.
É. Balladur ou le corps à distance
39Le corps balladurien figure aux antipodes. Le début de sa campagne est à l’image de sa déclaration de candidature, effectuée depuis Matignon, geste liminaire et symbolique s’il en est. Amené de par ses fonctions de Premier ministre à être filmé dans des lieux de pouvoir, il est par ailleurs reçu par ses comités de soutien dans les plus somptueux hôtels parisiens et lorsqu’il reçoit les journalistes de Paris Match, c’est pour révéler l’intérieur bourgeois de son domicile du XVIe arrondissement. Qu’il s’agisse d’espace public ou privé, le candidat manifeste une radicale étrangeté par rapport au quotidien vécu par la majorité des Français. C’est bien évidemment la métaphore d’un positionnement social qu’il convient de lire dans ce rapport du corps à l’espace.
40Si le corps chiraquien avait pu être défini par un contact physique privilégié avec le monde, le corps balladurien frappe par sa retenue, particulièrement perceptible dans quelques scènes où se manifestait la proximité chiraquienne : les bains de foule lors des meetings, sur un air du très classique Beethoven, où le candidat répugne visiblement au contact avec les gens, sa gêne manifeste lors de sa visite au Salon de l’agriculture où s’exprime l’animalité dans sa dimension la plus charnelle, son rapport à la nourriture avec la façon dont il chipote le méchoui, boit le champagne ou grignote toasts et petits fours, notamment lors des cérémonies des vœux, largement retransmises à la télévision.
41Le corps balladurien ainsi mis en scène est un corps distant, caractéristique de l’ethos bourgeois et aux antipodes de la proximité incarnée par J. Chirac.
L. Jospin ou l’élision du corps
42L’incarnation jospinienne quant à elle est tout entière dans la désignation de L. Jospin comme candidat, les militants du PS ayant dû trancher entre celui-ci et H. Emmanuelli. Présenté comme « un exercice de citoyenneté vivante », comme « une leçon de démocratie » (JT du 5 février 1995), cette désignation relève d’une pédagogie proprement républicaine qui se lit aussi dans la représentation que se fait le candidat de son propre rôle : « En tant que candidat au nom des socialistes, mais aussi au nom d’hommes et de femmes plus largement représentés dans leurs sensibilités… » (JT du 5 février 1995) ; « mon entrée en campagne, l’entrée en campagne du candidat socialiste » (idem), etc. La dialectique qui est au principe de tout processus de représentation entre l’un et le multiple, l’unité et la diversité, est ainsi clairement exprimée par le candidat. Cette conscience de la fonction représentative paraît toutefois conduire L. Jospin à un fantasme de pure transparence, transparence qui semble être la première caractéristique de l’incarnation jospinienne.
43« Lionel Jospin, c’est clair », affirme son slogan de campagne. « Dire ce que je ferai, faire ce que je dirai » : le chiasme autour duquel se structure la formule répétée à l’envi par le candidat durant toute la campagne peut être lu comme l’équivalent verbal de la transparence visuelle, les mots s’annulant et se répétant (dire, faire/faire, dire). « Je suis clair » affirme-t-il par ailleurs au cours de diverses émissions télévisées.
44Incarnation de la proximité caractéristique d’un ethos populaire pour J. Chirac, de la distance pour É. Balladur, incarnation de la transparence pour L. Jospin, l’ethos renvoie ainsi à une éthique, rien de moins que politique, qui suscite ou non l’empathie des citoyens.
Incarnation politique et imaginaire citoyen
Une fantasmatique des corps
45Les corps ainsi mis en scène et offerts aux regards permettent aux citoyens téléspectateurs un travail de décodage du signifiant qui n’est probablement pas exempt pour une partie d’entre eux, d’une forme d’identification, elle-même inséparable de toute une part d’imaginaire.
46En l’absence d’études de réception portant sur cette question précise, nous ne pouvons ici que faire des suppositions. Risquons néanmoins quelques hypothèses et interrogeons-nous sur ces témoignages de militants chiraquiens, par ailleurs aussi téléspectateurs – comme le révèle la remarque sur les Guignols de l’Info – diffusés lors d’un JT : « Il faut un homme, un véritable homme pour gouverner, pas une hommelette [ ?], vous comprenez ? Moi, j’ai mon franc-parler », commente l’un d’entre eux, interviewé lors d’un meeting de son champion (JT du 17 février 1995). La revendication du « franc-parler » comme inscription dans une authenticité populaire aux antipodes des « chichis » des bourgeois est confirmée par le propos qui met clairement l’accent sur la virilité présumée de J. Chirac : l’opposition d’« homme » à « hommelette » redoublée par l’opposition masculin – féminin et le diminutif ici péjoratif, révèle la dimension physique dans ce qu’elle a de plus primaire, sa composante sexuelle. « Véritable homme », J. Chirac incarnerait le mâle capable de « prendre la France à bras le corps » pour citer une formule de F. Mitterrand, qui se situe dans la même vision sexuée des rapports pays-gouvernants.
47Quant à l’« hommelette », le terme désigne sans doute possible l’alter ego de J. Chirac, É. Balladur, ici présenté comme double symétrique puisque présentant en négatif, en creux, les attributs de son concurrent. Un autre militant interviewé lors de ce même meeting observe par ailleurs : « Je trouve que le grand tout mou des Guignols de l’Info correspond très bien à la représentation qu’on a de lui » (JT du 17 février 1995). Mollesse qui, au-delà du rapport explicite au tempérament, renvoie à n’en pas douter à une dimension sexuelle. Ceci en effet n’est pas sans rappeler la façon dont la marionnette de J. Chirac désigne É. Balladur dans la même émission satirique, « couilles molles », ainsi que le refrain préféré du maire de Paris : « j’ai niqué couilles molles18… »
48Corps qui se construit dans l’image et dans le discours par l’ensemble de ceux qui interviennent dans le processus politico-médiatique, l’incarnation paraît donc renvoyer, en dernière instance, à tout un imaginaire, voire une fantasmatique du corps par le biais de l’identification spectatorielle d’une partie des citoyens téléspectateurs.
Pour une érotologie du politique
49En effet, cette érotisation des rapports entre un pays et un homme est explicitement formulée dans les textes juridiques médiévaux sur l’époux et l’épouse, relation inspirée de celle du Christ avec l’Église. Le concept de corps politique, observe E. Kantorowicz, est une formidable réserve de métaphores : « Un mariage moral et politique est contracté entre un Prince et la respublica. De plus, tout comme un mariage spirituel et divin est contracté entre l’Église et son prélat, un mariage temporel et terrestre est consacré entre le Prince et l’État » écrit L. de Penna, tandis qu’un juriste de l’époque des Tudor renchérit : « Le roi dans son corps politique forme un seul corps avec ses sujets et eux avec lui19. » Cette métaphore devient l’un des fondements juridiques des relations entre le roi et son royaume. Ainsi le roi, lors de son couronnement, reçoit-il un anneau par lequel « le roi épouse solennelle ment le royaume » tandis que par la même cérémonie, il reçoit de la respublica les biens fiscaux en dot. E. Kantorowicz constate par ailleurs que c’est en France que la métaphore du mariage est la plus développée20.
50J. Michelet quant à lui rappelle dans l’introduction de son Histoire de la Révolution française la force de la représentation inconsciente de ce « principe charnel » qui précipite les Français dans une identification amoureuse avec leur souverain : « La seule question obscure était celle de la royauté. Question non de pure forme, comme on l’a tant répété, mais de fond, question plus intime, plus vivace qu’aucune autre en France, question non de politique seulement, mais d’amour, de religion. Nul peuple n’a tant aimé ses rois21. »
51Cette logique de l’amour que l’historien décèle dans la relation entre le souverain et la Nation et qui a pris le relais de la logique mystique médiévale se retrouve, modifiée mais néanmoins présente, dans la relation instaurée entre le pays et ses dirigeants, notamment dans cette période de séduction que constitue une campagne électorale. Cette métaphore organique ancrée dans le passé le plus lointain des monarchies occidentales explique bien des comportements et des discours. Ph. Séguin ne compare-t-il pas une campagne électorale à « une affaire entre les Français et chaque candidat » (JT du 6 février 1995), le mot « affaires » se chargeant de connotations matrimoniales tandis que les partis politiques ici dénoncés sont assimilés à des entremetteurs indignes ?
52Si, dans cette érotologie du politique, J. Chirac propose de « labourer le terrain » (c’est en ces termes qu’il caractérise une campagne électorale), la distance incarnée par É. Balladur lui permet tout au plus un mariage en blanc. En fait, É. Balladur est à J. Chirac ce que les Windsor furent à Diana. Or la société indicielle qui est la nôtre s’accommode mieux de la proximité que de la distance : on pleure plus facilement sur Diana que sur le Prince Charles, on s’identifie plus aisément à J. Chirac qu’à É. Balladur.
53Quant à L. Jospin, il s’agirait davantage d’un mariage spirituel…
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54Soulignons, pour conclure, que par opposition « au » politique au masculin, « la » politique comme ensemble de pratiques relevant du politique, a toujours été incarnée, l’importance accordée à ce phénomène variant toutefois selon les temps et les lieux. Nous limitant au cadre occidental, rappelons que la démocratie grecque lie étroitement l’apparence physique et l’accès aux charges politiques.
55La notion d’« éthos » aristotélicien témoigne de cette conscience de la centralité du corps dans les procédés rhétoriques au fondement du processus politique en Grèce22. Le jour sous lequel apparaît l’orateur, son apparence physique, sont déterminants pour Aristote qui va jusqu’à esquisser une typologie des individus sur cette base23.
56N. Élias souligne de son côté
« […] le rôle joué dans les Cités-états grecques par l’apparence physique en tant que déterminant du prestige social des dirigeants. Dans cette société, il n’était guère possible à un homme au corps faible ou difforme d’atteindre ou de conserver une position sociale ou un pouvoir politique importants ; la force physique, la beauté physique, l’équilibre et l’endurance jouaient dans la société grecque un rôle beaucoup plus grand qu’ils ne le font dans la nôtre24 ».
57À Rome et plus particulièrement à l’époque républicaine, l’homme politique est d’abord un acteur dont le jeu s’exprime en priorité par le corps, et la politique est d’abord un art de la mise en scène. F. Dupont nous rappelle que les grands principes de la rhétorique politique latine se fondent sur l’actio où sont associées les attitudes du corps, l’expressivité des gestes (mains, jambes, etc.) et du visage, la modulation de la voix25. Le corps du dirigeant est donc ici un des premiers vecteurs du sens.
58Si les sociétés d’Ancien Régime définissent la primauté du corps du prince dans une acception toute différente, elle y reste néanmoins centrale comme on l’a vu avec la thèse d’E. Kantorowicz qui a magistralement mis en valeur la corporéité du politique dans les monarchies médiévales européennes26. En effet, une part importante de l’efficace du pouvoir sous l’Ancien Régime est fondée sur la présence du souverain, sur la prégnance du corps du roi dans sa matérialité, comme en témoignent les cérémonies de cour, du lever au coucher du roi ou la guérison des écrouelles, impensables en dehors de cette magie de la présence physique.
59La grande fracture sur ce plan est instaurée par la République française, qui rompt avec cette tradition ne concevant le pouvoir qu’incarné. Raisons d’ordre « médiologique », pour reprendre la terminologie de R. Debray, et idéologique se prêtent ici main forte pour évacuer le corps de la représentation politique27.
60Le xviie siècle et plus encore le xviiie avec le développement des journaux et des gazettes marquent en France l’imposition de l’écrit comme mode de diffusion des idées. L’écrit succédant à la parole, le corps s’en est trouvé marginalisé :
« L’on pourrait montrer, écrit P. Bourdieu, que le passage d’un mode de conservation de la tradition fondé sur le seul discours oral à un mode d’accumulation fondé sur l’écriture et, au-delà, tout le processus de rationalisation que rend possible, entre autres choses, l’objectivation de l’écrit, se sont accompagnés d’une transformation profonde de tout le rapport au corps ou, plus exactement, de l’usage qui est fait du corps dans la production et la reproduction d’œuvres culturelles ; cela se voit particulièrement bien dans le cas de la musique, où le processus de rationalisation tel que le décrit M. Weber a pour envers une véritable “désincarnation” de la production ou de la reproduction musicale (qui, la plupart du temps, ne sont pas distinctes), un “désengagement” du corps dont la plupart des musiques archaïques jouent comme d’un instrument total28. »
61Le constat effectué par M. Weber ne vaut pas seulement pour la musique.
62Fille du livre et de l’écrit, la République s’exprime d’abord dans des concepts (liberté, égalité, fraternité) et non plus dans un homme (le roi), des objets ou des images (la couronne, la main de justice, le sceptre, métonymiques de la personne royale ou métaphoriques de sa fonction). M. Agulhon rappelle par ailleurs la profonde méfiance de l’institution à l’égard des « grands hommes29 » : trop d’entre eux ont cherché à dévoyer la République pour que ses dirigeants puissent désormais être autre chose que de simples représentants du peuple, au sens le plus élémentaire du terme, des vicaires. « La révolution démocratique moderne, nous la reconnaissons au mieux à cette mutation : point de pouvoir lié à un corps. Le pouvoir apparaît comme un lieu vide… » affirme Cl. Lefort30, 31.
63Pourtant, contre ces principes, et en continuité avec les forces centrifuges que l’on vient d’évoquer, la centralité de la télévision dans les processus de communication actuels conduit, on l’a vu, à reconsidérer la question de l’incarnation en politique. Le président de la République symbolise la nation tout entière. Il est le lieu où s’effectue le passage du singulier au pluriel, de la diversité à l’unicité par production d’une identité collective. Parce qu’elle est un média audiovisuel, la télévision fait de l’incarnation dans sa dimension physique et figurative une des premières données de la représentation politique et de la puissance d’incarnation des candidats, un des premiers arguments en période électorale.
64Dans son introduction à un numéro déjà ancien d’Esprit, G. Vigarello constatant un repli général sur l’individuel et le corps, par opposition aux élans collectifs des années 1970, concluait que « Narcisse a rompu avec la polis32 ». Or l’exaltation actuelle du corps comme référence et valeur premières33 ne laisse pas insensible la sphère politique, comme on l’a vu. La dialectique concernant l’intervention du corps dans le jeu démocratique paraît donc plus complexe : Narcisse et la Polis ont, nous semble-t-il, plus que jamais partie liée.
Notes de bas de page
1 Libération du 14 mai 1997, article de J.-P. Thénard. La suite des événements a empêché que se réalise aucun des deux termes de l’alternative…
2 E. Véron, « Corps et méta-corps en démocratie audiovisuelle avancée » in Après-demain, n° 293-294, Paris, avril-mai 1987, p. 33.
3 Ch. S. Peirce, Écrits sur le signe, Paris, Le Seuil, 1978 pour la traduction française.
4 J.-P. Terrenoire, « L’analyse scénologique de l’image télévisée : la valorisation iconique » in Geste et image, Paris, Quatre Vents Éditeur, 1981 (rééd. 1985), p. 105-120.
5 M. Coulomb-Gully, Radioscopie d’une campagne, Paris, Kimé, 1994.
6 À en croire du moins P. Péan et Ch. Nick in TF1. Un Pouvoir, Paris, Fayard, 1997.
7 Il en va de même pour ce qui est de l’organisation du discours : dans cette scène, le journaliste apparaît comme un simple porte-micro, n’ayant pas même toujours la possibilité de formuler ses questions jusqu’au bout, le candidat lui coupant le plus souvent la parole.
8 Ces deux points seront développés plus loin.
9 U. Eco, La Structure absente, Paris, Mercure de France, 1972 pour la traduction française, p. 221.
10 Voir P. Péan et Ch. Nick, op. cit.
11 Les campagnes de R. Barre en 1988 et d’É. Balladur en 1995 constituent de parfaits exemples d’incohérences figuratives dans la mise en scène du corps. On a déjà pu l’observer pour ce dernier dans son rapport au matériau symbolique.
12 Les caricatures présentent un autre aspect de la question, et n’avaient pas l’aval des politiques.
13 I. Fonagy, La Vive voix. Essai de psycho-phonétique, Paris, Payot, 1983, p. 108. Citant M. Proust, le chercheur poursuit, soulignant la force et le caractère motivé du message corporel : « Les traits de notre visage ne sont guère que des gestes devenus, par l’habitude, définitifs. La nature, comme la catastrophe de Pompéi, comme une métamorphose de nymphe, nous a immobilisés dans le mouvement accoutumé. De même nos intonations contiennent notre philosophie de la vie, ce que la personne se dit à tout moment sur les choses. » in À l’ombre des jeunes filles en fleurs, À la recherche du temps perdu, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », t. I, p. 909, cité par I. Fonagy, op. cit., p. 156.
14 Sur cette question, voir des travaux de morphopsychologie, comme ceux de L. Corman, notamment Caractériologie et morphologie, Paris, PUF, 1991.
15 P. Bourdieu, Le Sens pratique, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 96, 117.
16 On se reportera aux travaux fondateurs de L. Boltanski. Voir aussi, de P. Bourdieu, La Distinction, critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1982.
17 Voir, à ce propos, le jeu des portraits chinois consistant à associer un personnage à une plante, un arbre, un animal, une couleur, un jeu de société, etc., qui servit de base à une étude sociologique sur la perception des hommes politiques (in Bourdieu, op. cit., p. 625 et suiv.).
18 La satire politique télévisée fonde d’ailleurs l’essentiel de ses effets sur cette « corporéité » des hommes politiques, niée dans les principes, mise sur le devant de la scène par la télévision et exacerbée par ces émissions comiques.
19 E. Kantorowicz, Les Deux Corps du roi, Paris, Gallimard, 1989 pour la traduction française, p. 160.
20 Idem, p. 164 et suiv.
21 J. Michelet, Histoire de la Révolution française, Paris, Gallimard, 1952, p. 62.
22 Rappelons en effet que si la démocratie grecque a incontestablement évolué entre Périclès et Lycurgue, le rôle de la parole comme moteur du débat démocratique est resté constant, d’ailleurs critiqué par les adversaires de ce régime. Or la parole y est indissociable de son porte-parole, de l’orateur qui incarne son discours. Comme le rappelle en effet Cl. Mossé, les séances de l’Assemblée se tenaient en général sur la colline de la Pnyx, où un hémicycle avait été aménagé. La tribune était constituée d’une plate-forme d’où les orateurs s’adressaient directement aux Athéniens, assis sur les gradins. (Cl. Mossé, Histoire d’une démocratie, Athènes, Paris, Le Seuil, 1971. Voir aussi, à ce propos, Aristote, La Constitution d’Athènes, Paris, Les Belles Lettres, 1996). La maîtrise de la rhétorique dans ses dimensions verbale comme figurative est donc une condition sine qua non de la participation au débat démocratique.
23 Sur toutes ces notions, voir Aristote, La Rhétorique, liv. 1, chap. 2 (1356 a), chap. 8 (1366 a) et liv. 2, chap. 1 (1377 b et 1378 b), Paris, Les Belles Lettres, 1932 pour le t. I et 1967 pour le t. II.
24 N. Élias, « Sport et violence » in ARSS, n° 6, Paris, 1976, p. 10.
25 F. Dupont, L’Acteur-roi, Paris, Les Belles Lettres, 1985. Sur cette dimension spectaculaire du politique à Rome, voir aussi, de Cl. Nicolet, Le Métier de citoyen romain, Paris, Gallimard, 1976.
26 E. Kantorowicz, op. cit.
27 Sur le rôle de l’écrit et ses implications idéologiques ou, pour reprendre la terminologie de R. Debray, sur le lien entre logiques médiologique et idéologique, voir R. Debray, Cours de médiologie générale, Paris, Gallimard, 1991.
28 P. Bourdieu, op. cit., p. 124.
29 M. Agulhon, Marianne au pouvoir, Paris, Flammarion, 1989, p. 22.
30 Cl. Lefort, L’Invention démocratique, Paris, Fayard, 1981, p. 172.
31 Si la réalité des faits n’infirme pas les principes ici posés, elle conduit néanmoins à nuancer quelque peu ces propos. L’épisode bien connu du boulangisme, de même que ce que d’aucuns ont nommé la « statuomania », stigmatisant ainsi la propension de la Troisième République à ériger des statues à ses héros du jour, la « panthéonisation » qui fait rage durant cette même période, rappellent que le culte du grand homme n’a pas cessé avec la proclamation de la République. Plus largement, voir incarner le pouvoir et mettre un visage sur ceux qui gouvernent le pays constituent un besoin réel des Français que des siècles de monarchie avaient d’ailleurs formés en ce sens.
32 G. Vigarello, « Le corps entre illusions et savoirs » in Esprit, n° 2, Paris, février 1982, p. 5-7.
33 La croissance exponentielle des centres de remise en forme et de toute l’industrie qui se développe autour des activités sportives et pseudo-sportives témoigne, entre autres, de cette exaltation du corps dans la société actuelle.
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L’environnement dans les journaux télévisés
Médiateurs et visions du monde
Suzanne de Cheveigné
2000
Naturaliser la phénoménologie
Essais sur la phénoménologie contemporaine et les sciences cognitives
Jean Petitot, Jean-Michel Roy, Bernard Pachoud et al. (dir.)
2002