Habitat rural, systèmes de production et formations socio-spatiales dans le Haut Atlas central
p. 377-392
Texte intégral
1Dans le Haut Atlas central, l’habitat rural apparaît moins que jamais comme un cadre bâti que les collectivités se transmettraient inchangé d’une génération à l’autre. Depuis trois ou quatre décennies, les constructions se multiplient rapidement, les plans des maisons sont adaptés aux besoins de la production et de la vie sociale. Cet habitat de terre et de pierre se transforme, et l’un des secrets de sa beauté réside dans sa sobre fonctionnalité.
2La dynamique de l’habitat révèle l’évolution des systèmes de production tout comme elle apparaît guidée par les limites des entités socio-spatiales anciennes, tributaires des principes coutumiers de répartition des terres et des ressources.
3Mieux qu’un exposé théorique, l’étude d’un « cas de figure » choisi au coeur de la province d’Azilal suggérera, pensons-nous, la richesse de ces thèmes.
1. HABITAT ET SYSTEMES DE PRODUCTION
4Dans la partie orientale de la commune d’Azilal, deux m’chikhat1 actuels, les Aït Oufza et Aït Barka se réclament d’une même origine tribale, les Aït Ougoudid : de fait, de nombreux documents anciens attestent la présence de l’ancienne tribu sur ces plateaux situés au nord du Jbel Mezgounane ; ces mêmes documents rattachent les Aït Ougoudid à la confédération des Aït Messat (Institut géographique, 1962 ; Couvreur, 1968).
1.1. Territoire des Aït Ougoudid et distribution générale de l’habitat.
5Ce territoire est formé pour l’essentiel du Jbel Mezgounane (2 366 m) et du vaste ensemble de plateaux qui s’abaissent en direction de la vallée de l’Oued El Abid désormais ennoyée par le retenue de Bin El Ouidane (820m).
6Entre cette vallée, dont le climat relève de l’étage semi-aride frais (Sauvage, 1963), avec des précipitations moyennes de l’ordre de 360 mm, et le massif du Mezgounane où règnent les conditions subhumides froides et où les précipitations dépassent probablement 800 mm, le gradient climatique est très marqué. La végétation climacique est une iliçaie qui revêt aujourd’hui l’allure de boisements et de mattorals moyens, troués à clairs ; elle a disparu des interfluves, remplacée par des cultures, des jachères et des parcours totalement déboisés.
7L’habitat s’intègre harmonieusement dans ce paysage aux lignes très amples ; il est constitué pour l’essentiel de maisons de pierre et de pisé qui paraissent assez uniformément disséminées sur l’ensemble du territoire ; mais l’examen plus attentif de cette répartition fait apparaître bien des nuances (carte n° 1).
8La dispersion intégrale est de règle sur certains plateaux comme celui des Ait Barka, à l’ouest. Ailleurs, on a plutôt affaire à une dispersion ordonnée de maisons distantes de 50 à 300 m situées à un même niveau altitudinal au pied d’un talus ou sur le rebord d’un plateau. Quelques grands parcours sont dépourvus de tout habitat et de végétation arbustive ou arborée.
9Dans certains secteurs boisés comme le bassin de l’Assif n’Ouhansal, les maisons forment des groupements lâches dans des terroirs-clairières. Sur le Mezgounane on note l’absence de maisons dans le massif forestier lui-même et la présence de nébuleuses de bergeries à l’est et à l’ouest.
1.2. Mutations du contexte socio-politique.
10L’habitat étant ici en évolution rapide, il importe moins d’en donner une description statique que d’en resaisir la dynamique. Pour ce faire, une étude particulière a été menée dans la fraction Aït Oufza choisie en raison de la diversité écologique de son territoire. Dans une vingtaine d’unités familiales d’exploitation, nous avons analysé de près les plans de maisons, les techniques et coûts de construction, les fonctions des pièces, l’évolution des modèles d’habiter (§ 3.1) ainsi que les habitats secondaires.
11Cette enquête a confirmé qu’antérieurement au Protectorat, c’est-à-dire jusque dans les années 1916-1920, les maisons en dur étaient peu nombreuses et localisées dans la partie aval du finage Aït Oufza. Il s’agissait essentiellement de greniers collectifs (ighrem n’khzin) isolés sur des pitons, de maisons fortes (tighremt) généralement entourées de cultures, de vergers ou d’habitations plus modestes (tighemmi, taddert), parfois groupées autour d’un ighrem, comme à El Modaâ2 ou à demi dispersées sur les replats étagés entre 1200 et 1500 m. Ces constructions ont été décrites en particulier par E. Laoust (1920 ; 1930-1934) et par D. J. Jacques-Meunié (1951).
12A ce niveau altitudinal, de Manar à El Moudaâ (carte n° 1), ont existé dans le passé cinq greniers collectifs dont un seul est actuellement fonctionnel : leur situation tout à fait à l’aval du territoire s’explique par des raisons d’ordre à la fois géographique et historique. A cette altitude (1 250-1 350 m) où la neige ne tient jamais longtemps et où nombre d’arbres précieux (olivier, amandier) donnent encore des fruits, il était naturel que l’on vienne passer les périodes les plus froides de l’année. Mais les anciens n’ont pas oublié non plus les durs conflits qui opposaient les Aït Ougoudid aux Aït M’hammed (installés au Sud du Mezgounane) et aux Aït Isha (établis à l’est de l’Assif n’Ouhansal) pour l’utilisation des pâturages de la montagne.
13Les hostilités qui étaient chroniques entre ces tribus et leurs alliés respectifs, motivaient des attaques contre les habitats permanents et les greniers : ceux-ci étaient donc éloignés des théâtres d’opération3.
14Les ighrem et tighremt des environs de Taguine et d’El Modaâ étaient les pôles de part et d’autre desquels s’organisait l’existence des Ait Oufza : en hiver beaucoup de grandes familles descendaient avec leurs troupeaux dans les tribus alliées de la basse montagne et jusque sur les parcours du Tadla ou des Sraghna. Au printemps, on remontait vers le Mezgounane par étapes en se gardant des dangereux voisins de l’est et du sud ; on parquait les troupeaux durant la nuit dans de simples enclos de pierres ou d’épineux (amazir, pl. imizar) les bergers s’abritant sous des huttes (anoual, pl. inoualane) ou des abris recouverts d’un toit de branchages (asqif, pl. isqifen).
15Après les durs conflits de la période 1916-1934 et l’installation du Protectorat, les conditions socio-politiques furent complètement modifiées : la limite entre Aït Ougoudid et Aït M’hammed fut établie au sud du Mezgounane4. Les conflits intertribaux étant apaisés, les Aït Ougoudid purent occuper durablement la totalité de leur territoire. De nombreux habitats précaires furent remplacés par de véritables maisons d’autant plus que la population entra dans une phase de fort accroissement (tableau 1).
16Entre 1936 et 1982, la population de l’ensemble des deux fractions a plus que doublé, l’augmentation ayant été maximale pendant la période intercensitaire 1960-1971 et plus forte chez les Aït Barka que chez les Aït Oufza. Depuis 1971, en revanche, l’accroissement est quasi nul.
1.3. Démultiplication des habitats.
17Conséquence de ces évolutions, les terres cultivées ont été largement étendues aux dépens des friches, les maisons se sont multipliées (carte n° 2).
- L’axe principal d’habitat ancien n’a pas été abandonné même si la quasi-totalité des greniers ne sont plus entretenus et si les maisons fortes sont quelque peu dépréciées : les anciennes demeures sont celles dans lesquelles on stocke la production des vergers à proximité des ma’sra.
- Les maisons neuves se sont particulièrement multipliées dans la partie médiane du territoire Aït Oufza (1 500-1 700 m) en relation avec la transformation de vastes espaces pastoraux en terroirs cultivés. Beaucoup de maisons se sont développées autour d’une ancienne bergerie (Fig. 1) ; elles s’adossent à des talus ou s’alignent en bordure des plateaux, les terres abondamment fumées où les troupeaux passaient la nuit ayant été mises en culture. D’autres maisons parmi les plus imposantes occupent le milieu d’une propriété, exploitée en deux soles pour que les troupeaux puissent pâturer une jachère d’un côté ou de l’autre de la maison.
- Des pôles nouveaux se sont créés à proximité des sources et résurgences qui jalonnent le pied des escarpements du Mezgounane : à Tifahalonane, Taoualouine, Aska, Tisselouine... là où n’existaient jadis que de petites bergeries dominant des prairies humides (almou), des périmètres de cultures irriguées ont été créés, des habitats permanents édifiés.
- Dans les secteurs boisés du territoire, les maisons conservent leur disposition en groupements lâches dans d’anciennes clairières progressivement élargies et transformées en véritables terroirs de culture. De simples chèvreries avec cour fermée et une seule pièce d’habitation sur terrasses sont agrandies par l’adjonction de pièces supplémentaires.
- Sur le Jbel Mezgounane, de par la volonté des collectivités, l’habitat est demeuré pour l’essentiel formé de bergeries relativement élémentaires (3.2) groupées en ordre lâche autour de certains parcours hors forêt, sans cultures.
18Au total, on observe que l’habitat Aït Oufza s’est particulièrement multiplié dans les secteurs d’altitude : il est en quelque sorte remonté, en un mouvement inverse de celui que l’on constate dans d’autres régions du Maroc où les périmètres irrigués et les routes revêtues des vallées attirent la population (Maurer, 1986). Ce type de mouvement est très fréquent dans le Haut Atlas : il accompagne l’extension des cultures en bour, l’utilisation plus permanente des parcours d’altitude.
1.4. L’intégration des unités familiales de production.
19La démultiplication de l’habitat qui permet d’exploiter les ressources naturelles de façon plus continue ne signifie pas que les grandes familles patriarcales de jadis se soient atomisées.
20Les principes coutumiers se perpétuent plutôt : en général, les biens ne sont pas partagés tant que le chef de famille est vivant. Ce dernier, relayé progressivement par son fils aîné, assume la gestion de l’ensemble de l’exploitation. Les fils mariés sont installés dans un habitat distinct leur permettant d’assumer au mieux l’une des tâches d’intérêt commun5.
21Après le décès du père de famille, certains fils demandent le partage des biens et s’autonomisent plus ou moins complètement ; d’autres continuent à former avec leurs frères une unité de production partiellement intégrée : les échanges de produits remplacent les déplacements anciens de familles entières avec leurs troupeaux.
22L’investigation précise qui a été menée dans vingt maisons Aït Oufza a montré que celles-ci étaient occupées par 39 ménages réunissant 210 personnes (soit 2 ménages et 10,5 personnes par maison) ; une minorité seulement de ces maisons (moins d’un tiers) ne diposait d’aucun habitat secondaire alors que les 2/3 avaient au moins une maison ou un asqif, comme le montre le tableau 2.
23L’évolution récente et actuelle de l’habitat signifie donc pour l’essentiel une occupation plus complète de l’espace et une exploitation plus soutenue des ressources naturelles, dans le cadre d’unités de production correspondant souvent à des familles étendues.
2. PROJECTIONS SPATIALES DE LA SEGMENTARITE
24L’évolution de l’habitat révèle également la manière dont les différents segments sociaux de l’ensemble Aït Ougoudid se sont répartis le territoire.
2.1. Deux grands finages, un espace pastoral commun
25Dans la partie orientale de la commune d’Azilal qui nous intéresse ici, il a été possible de distinguer nettement les territoires des m’chikhat Aït Barka et Aït Oufza, mais la limite entre les deux entités n’a pu être prolongée dans le massif du Mezgounane : les Aït Ougoudid considèrent ce massif comme un espace pastoral commun qu’ils gèrent effectivement dans le cadre de la tribu. Pour s’en tenir à l’habitat, l’existence déjà notée de quelques vraies maisons dans ce vaste domaine montagnard est une survivance des périodes pendant lesquelles le contrôle social s’était relâché. Actuellement, les Aït Ougoudid se sont mis d’accord pour reconnaître aux ressortissants de l’ex-tribu le droit d’édifier une ou plusieurs bergeries sur terrain collectif. Les Aït Barka ont édifié les leurs principalement dans les secteurs de Tisdaouine Igli Leben, tandis que les Ait Oufza se groupaient à Taouerda6. Les droits de parcours sont les mêmes ; les troupeaux doivent évacuer la montagne pendant la période de mise en défens (agdal) et les bergeries ne sont pas considérées comme de pleines propriétés privées7.
26En somme, Aït Barka et Aït Oufza apparaissent comme deux formations socio-spatiales qui, structurées depuis des temps fort anciens autour de la gestion de territoires distincts, se sont organisées pour maintenir indivis un espace pastoral montagnard. On retrouve ici des pratiques analogues à celles analysées dans le Moyen Atlas (Roblès, 1965 ; Fay, 1979). Le fait que les limites ne soient pas d’une netteté absolue dans le détail s’explique parce que, pendant longtemps, des terroirs aujourd’hui cultivés ont été des parcours communs aux deux sous-ensembles, et parce que, traditionnellement, les pasteurs se reconnaissent le droit de déborder les limites strictes de leurs territoires respectifs : les habitats s’interpénètrent de quelques centaines de mètres tout comme les droits d’usage anciens.
2.2. Ikhsan intriqués.
27Dans le cadre de la présente étude, il a semblé intéressant d’affiner l’analyse précédente en cartographiant au 1/50 000ème la distribution géographique des sept ikhzan qui traditionnellement sont considérés comme formant les Aït Ougoudid (carte n° 1).
28Première observation : la carte ne représente aucune maison habitée par des étrangers alors même que des investigations plus détaillées font apparaître des lignages venus d’ailleurs. Ces lignages ont été intégrés à la structure segmentaire8.
29Seconde observation : dans quelques secteurs de la partie la plus basse du territoire, la carte montre une partition selon les lignes de plus grande pente qui rappelle le schéma général évoqué ci-dessus. Ainsi à l’aval de Tidioua, une limite nette sépare à l’est toutes les maisons des Aït Ouazzoud, à l’ouest celles des Aït Saïd : partage rayonnant qui laisse aux uns et aux autres la même gamme de terroirs. Mais une séparation aussi nette est plutôt exceptionnelle. Dans la plupart de ces cas, on observe la semi-dispersion en nébuleuses des différents segments sociaux : aboutissement d’un groupement spatialement maintenu des clans, ou encore du partage de certains terroirs entre ihksans selon une pratique qui a été analysée dans d’autres anciennes tribus du Haut Atlas Central (Lefébure, 1979).
3. EVOLUTION DES MODELES ET DES TECHNIQUES
30Ainsi, la nouvelle répartition de l’habitat dans le territoire Aït Ougoudid traduit avant tout le souci d’occuper le plus grand nombre possible de sites permettant de développer des activités agro-pastorales complémentaires9. L’observation des maisons nouvellement édifiées révèle la recherche d’un « cadre bâti » à la fois plus fonctionnel et plus confortable.
3.1. L’aspiration à un habitat amélioré.
31Tout autant qu’« outil de production » la maison est un signe social dans lequel on s’accorde à reconnaître la stabilité ou l’aisance acquises par une famille10. Et l’on a vu que la plupart des chefs de familles s’efforçaient d’établir leurs fils mariés chacun dans une maison où ils se sentiront chez eux...
32On construit des maisons neuves et plus encore, presque chaque année, on aménage ou réaménage tel ou tel élément de l’habitation. Ainsi l’enquête menée en pays Aït Oufza incluait l’observation sur place des aménagements réalisés pendant la dernière décennie. Il s’avère que sur 20 chefs de famille, 12 avaient construit au moins une pièce d’accueil ou de séjour, 6 avaient aménagé une chambre ou une cuisine, deux avaient construit un local pour leurs animaux (une écurie, une chèvrerie).
3.2. Complexification de la maison.
33Ne pouvant, dans les limites de cet article, analyser en détail les transformations de la maison, nous présenterons seulement un « plan- type » montrant que la maison ancienne est devenue plus complexe et plus complète (fig.1). L’ancienne tighremt n’ouvrait sur l’extérieur que par quelques fenêtres très étroites ; elle était organisée autour d’une vaste pièce éclairée par un puits central aux quatre coins de laquelle se répartissaient les différentes activités : cuisine, repos, couchage, élevage (Laoust, 1930, 1934). Ce oust ed dar est aujourd’hui moins utilisé ; les activités se répartissent dans différentes pièces adjacentes qui ont une destination principale mais non exclusive. Ainsi, dans les 20 maisons qui ont été analysées, on trouve en moyenne 9,6 pièces qui sont affectées : à l’habitation (cuisine, séjour, chambres), au bétail (écuries, chêvreries, bergeries, étables ouvrant sur enclos extérieur -amazir- ou sur une cour intérieure), au stockage de paille, fourrage, grain..., au dépôt d’outils agricoles...
34La cour intérieure, les terrasses utilisées comme dégagement des pièces de séjour et les locaux pour bétail couvrent les plus grandes superficies comme le montre le tableau 3.
35Mais l’élément d’habitation auquel on accorde aujourd’hui le plus de soins, pour des raisons plus sociales qu’économiques, est la pièce de réception (tamsrit) : une pièce spacieuse (19 m2 en moyenne) généralement édifiée au niveau le plus élevé de la maison et ouvrant sur une terrasse. Le sol est lissé, parfois recouvert d’une moquette ; les murs sont enduits, le plafond souvent décoré de peintures sur panneaux de bois (ifalouane) ou de moulures en plâtre. Cette pièce est destinée à recevoir les hôtes, éventuellement l’un des fils émigrés pendant ses congés.
36Si l’on souhaite agrandir sa maison, on le fait plutôt par l’adjonction d’un étage que par extension au sol : on craint d’empiéter plus que nécessaire sur les terres arables et l’on préfère limiter la superficie des terrasses dont l’étanchéité fait problème.
37Autour de la maison, sont groupés les annexes classiques à finalité économique comme le tas de fumier, le jardin potager enclos (tabhirt), le poulailler, l’aire à battre et certains équipements de confort nouveaux comme les petits hammam individuels.
3.3. L’assimilation de techniques nouvelles.
38Les édifices anciens témoignent du savoir-faire local : très belle maçonnerie de pierre sans liant, charpentes utilisant des troncs d’arbres fourchus... et les matériaux nouveaux, disponibles à Azilal ou sur les souks, sont progressivement intégrés, en particulier : le ciment, pour édifier des piliers de pierre qui remplacent les poteaux de bois, pour fabriquer un enduit, le martoub... ; la tôle, dont on fait des gouttières ou des couvertures (dans ce dernier cas un faux plafond est aménagé pour assurer une certaine isolation thermique) ; le plastique, qui est souvent incorporé aux terrasses de terre battue pour en augmenter l’étanchéïté.
39Portes et fenêtres sont de plus en plus formées d’éléments préfabriqués. Et l’on voit apparaître des équipements qui constituent de réels progrès : le poële avec cheminée (qui remplace les foyers et fourneaux dont la fumée envahissait la pièce centrale), la lampe alimentée au gaz en bouteille, la télévision même11.
3.4. Un artisanat local.
40La plupart des chefs de famille se débrouillent par eux-mêmes pour l’entretien courant de leurs maisons et recourent à l’entraide (tiouizi) pour la réfection des terrasses.
41Pour les travaux les plus spécialisés (édification ou reconstruction d’une pièce en maçonnerie ou en pisé, aménagement d’un plafond, revêtement de plâtre ou de martoub), on fait appel à un ma’allem local ; il en existe une trentaine chez les Aït Barka et une vingtaine chez les Aït Oufza qui travaillent gourja, c’est-à-dire à la tâche, soit avec une équipe de cinq à six ouvriers qu’ils amènent, soit avec la main d’oeuvre familiale. Ces ma’allmine sont généralement recrutés pour un travail bien précis qui les mobilisera quelques jours. Eux-mêmes originaires de l’ancienne tribu, exploitants agricoles, ils ne travaillent guère à l’extérieur de leur m’chikhat.
3.5. Un investissement important.
42Du fait des achats de matériaux nouveaux et du recours, plus fréquent que jadis, à des ma’almine, les sommes dépensées pour l’habitat tendent à augmenter. Le coût de construction d’une pièce d’hôte de 8 x 3 x 3 m, à plafond décoré s’élève en 1987 à 5 185 DH, soit 216 DH/m2 : il est, en dirhams courants, 1,5 fois plus élevé que le coût moyen des 14 pièces d’hôtes construites entre 1970 et 1987. Il demeure néanmoins à la portée des familles. Celles-ci manifestent une forte propension à investir dans les bâtiments d’exploitation et dans l’habitat proprement dit. Il est probable qu’ici, comme dans le Haut Atlas occidental12 les disponibilités monétaires sont davantage consacrées à l’habitat qu’aux aménagements fonciers ou à des achats d’animaux.
43Les Aït Ougoudid ont cependant conscience du caractère non directement économique de ces dépenses ; ils y consacrent des rentrées d’argent exceptionnelles (en particulier les apports des émigrés) mais répugnent à emprunter au Crédit Agricole pour cela.
CONCLUSION
44L’évolution de l’habitat rural dans la partie orientale de la commune d’Azilal traduit ainsi, fidèlement, l’intensification des systèmes de production agro-pastoraux : depuis l’apaisement des conflits inter-tribaux au début des années 30, les maisons solidement construites et occupées la plus grande partie de l’année se multiplient ; autour d’anciennes bergeries ou chèvreries sont édifiées des constructions permettant une installation permanente, spécialement sur les sites qui permettent d’associer le plus étroitement agriculture et élevage.
45Au total, l’intérêt porté à la « complémentarité verticale » (Garrigues-Cresswell, 1987) ne se dément pas : il conduit à une remontée significative de l’habitat vers les parcours d’altitude et au maintien de l’intégration de grandes unités familiales de production, quoi qu’il en soit de la dissémination des ménages.
46Autres constats importants : la démultiplication des habitats s’effectue entre les limites des territoires des collectivités et révèle à l’observateur attentif la prégnance de certains contrôles sociaux sur la gestion de l’espace. La cartographie précise de l’implantation des fractions et des clans permet la délimination rapide et sûre des formations socio-spatiales tandis que les grands vides d’habitat font apparaître très précisement les espaces que certains segments sociaux réservent à l’usage pastoral commun.
47Autoproduit pour l’essentiel, faisant l’objet d’investissements importants, l’habitat est continuellement adapté pour l’amélioration de la production et du logement des familles.
48La population fait preuve, comme par le passé, d’une parfaite maîtrise des techniques de construction traditionnelles tout en intégrant habilement les matériaux et éléments de confort nouveaux.
49A contrario, les trois bâtiments édifiés par les services publics dans les secteurs étudiés paraissent singulièrement discordants13.
50Sans doute, serait-on bien inspiré de faire confiance en ce domaine aussi au savoir-faire local, la population attendant avant tout de l’Etat qu’il garantisse une meilleure couverture de besoins fortement ressentis en matière sanitaire et scolaire.
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BIBLIOGRAPHIE
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Notes de bas de page
1 Entités définies originellement de façon plus sociologique que géographique comme l’ensemble des personnes relevant d’un même cheikh ; nombre de documents officiels traduisent d’ailleurs m’chikhat par fraction ; mais, actuellement, une acception territoriale du m’chikhat s’impose peu à peu.
2 El Moudaà était un centre important avant la mise en eau du barrage de Bin El Ouidane. Actuellement encore, on y compte 5 pressoirs d’olives (ma’sra), 5 boutiques, 2 salles de classes, 1 moulin mécanique, 2 greniers collectifs pour 27 habitations.
3 Ighrem n’Foullayt devrait son nom (« l’ighrem incendié ») à une exaction des Aït Isha.
4 Cette limite est devenue après l’Indépendance celle des communes d’Azilal et d’Aït M’hammed.
5 Nous avons pu analyser le cas d’un père de famille qui a établi 4 de ses fils dans des habitats distincts, le cinquième est berger à Mezgounane en été ; les deux derniers sont militaire et lycéen à Bzou.
6 La sectorialisation précise des habitats, même temporaires, autour des parcours communs est une pratique coutumière dans le Haut Atlas. Ainsi tout autour de l’almou du Tinguer, dans la commune d’El Arbaà Ouaqabli, les différentes fractions ayant droit à ce parcours doivent installer leurs tentes chacune dans un secteur bien défini.
7 Certains enquêtés affirment que les murs des bergeries, faits de matériaux tirés du sol, doivent être considérés comme propriété de la collectivité ; une bergerie délaissée plus de deux étés consécutifs redevient bien commun...
8 Au début des années 70, 51 familles « étrangères » ont été dénombrées chez les Aït Ougoudid ; toutes rattachées à un ikhs autochtone.
9 A. Bourbouze (1982) écrit à propos des Aït Atta de la commune de Zaouyat Ahansal : « Les éleveurs s’efforcent de conquérir des sites écologiquement complémentaires, quelques grandes familles constituées de 4 ou 5 ménages possédant jusqu’à 8 maisons disposées entre 1 400 et 2 500 m ».
10 « Qui n’a pas de maison, n’a rien. Il doit s’en construire une, dussent ses voisins l’héberger un mois », dit une sentence locale.
11 En Avril 1987, on dénombre chez les Aït Oufza 10 récepteurs de télévision alimentés par des batteries que l’on fait recharger à Azilal.
12 D’après l’étude qui a été menée dans le bassin de l’Ouneïn, les investissements opérés par les exploitants pendant la période 1956-1982 ont été consacrés à la construction de bâtiments d’exploitation (15 %) alors que les achats de terres, les aménagements fonciers, les plantations et les achats de matériel agricole ne représentent que 34 % des opérations (C. Crépeau, 1983).
13 La maison forestière de Mezgounane, les deux écoles satellites installées dans les bâtiments faits d’éléments préfabriqués, l’une à Taâbdite, l’autre à 20 mn de marche à pied au dessus d’El Moudàa, sur une crête exposée à tous vents (carte n° 1).
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2000