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Application de la microspectroscopie de réflexion diffuse à l’analyse de pigments rouges organiques

p. 153-162

Résumé

D’après la théorie de Kubelka-Munk*, la lumière diffusée par un échantillon dépend de son coefficient de diffusion S et de son coefficient d’absorption K. La fonction F(R’∞) de Kubelka-Munk est liée aussi à la granulométrie du composé et s’exprime par :

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avec R’∞ = réflectance absolue et d = granulométrie de l’échantillon.
La microscopie de réflexion diffuse permet de réaliser des mesures spectro-colorimétriques et par un traitement de données approprié permet ainsi d’étudier et de différencier les teintes de pigments purs ou en mélange. Ses résultats donnent une information caractéristique du composé étudié obtenue dans un temps relativement court (de l’ordre de quelques dizaines de secondes). Cette information est complémentaire souvent aussi d’autres résultats obtenus en spectrométrie de fluorescence ou en spectrométrie Raman.
Néanmoins, le spectre de réflexion diffuse d’un pigment n’est caractéristique que dans certaines conditions bien définies. Plusieurs paramètres peuvent influer en effet, sur les spectres mesurés. Ces paramètres sont liés d’une part, à l’instrumentation utilisée (réponse spectrale pour le domaine étudié, présence de lumières parasites,...) et d’autre part à la préparation des échantillons. On présentera en particulier l’effet de la dispersion, de la dilution, de la pression et de l’influence du milieu sur le spectre de réflexion diffuse d’un pigment.
On montrera aussi les limites et les difficultés rencontrées, notamment pour l’étude de composés de teintes voisines mais de granulométrie différente et inférieure à la longueur d’onde d’observation.

Note de l’éditeur

*KUBELKA D., MUNK L. : « Ein beitrag zur optik der Farbanstriche », Zeits. F. Teck. Physik. 12, (1931), p. 593-601.


Texte intégral

1La teinte observée pour un composé va dépendre d’une part, de la réflexion diffuse dans le visible de l’échantillon, c’est-à-dire de ses propriétés électroniques inter et intra moléculaires et d’autre part, de paramètres liés à l’observation et à la mesure :

  • la réponse spectrale de l’observateur

  • la distribution spectrale de la source lumineuse

  • la relation géométrique existant entre l’observateur, la source et l’objet.

2Outre des variations de couleur dues à une structure chimique différente, pour des composés de même structure moléculaire, la phase, la taille et la forme des particules ainsi que l’addition de stabilisants (de la phase du pigment) peuvent également modifier leur couleur.

3Le tableau 1 résume les différents paramètres pouvant influer sur la couleur de composés de phases cristallines différentes.

Tableau 1. Paramètres pouvant influer sur la couleur d’un composé.

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4L’étude des spectres électroniques est l’un des moyens principaux pour identifier la couleur d’un composé 2.

Réflexion diffuse

5Lorsqu’un faisceau de lumière de longueur d’onde X arrive sur un élément de surface plane sous un angleα, il peut être réfléchi de deux façons :

6-de façon spéculaire : c’est-à-dire dans une seule direction de l’espace avec la même énergie. La surface se comporte alors comme un miroir plan.

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λj = longueur d’onde incidente
λr = longueur d’onde réfléchie

7-de façon diffuse : c’est-à-dire réémis de façon isotrope après avoir été absorbé partiellement ou totalement par l’échantillon.

8La théorie de la réflexion diffuse a été établie par Kubelka-Munk pour une couche infiniment épaisse . La fonction F(R’∞)) de Kubelka-Munk reliant la réflexion absolue R’∞ de la couche en fonction de son coefficient d’absorption K et de son coefficient de diffusion S, dépendant tous les deux de la granulométrie de l’échantillon, s’exprime par la relation :

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9Lorsque l’échantillon est dispersé dans une poudre peu ou non absorbante (KBr, BaSO4, TiO2), la fonction de Kubelka-Munk s’exprime alors en fonction de la concentration molaire c de l’échantillon et de son coefficient d’extinction e, il s’établit donc une relation linéaire entre F (R) et c selon :

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10Un écart à cette linéarité peut s’observer avec des échantillons très absorbants et de granulométrie supérieure à 1 µm. Il s’explique par la présence de réflexion spéculaire. Différentes techniques utilisées en spectroscopie (sphères d’intégrations, éclairages sous incidence oblique) permettent de s’affranchir en totalité ou en partie de la réflexion spéculaire.

11Pour un échantillon donné le spectre de réflexion diffuse peut varier en intensité et en fréquence selon les conditions de mesures. Toute interprétation et étude comparative entre plusieurs échantillons devenant alors difficiles, il nous est apparu nécessaire de bien maîtriser les principaux paramètres influant sur la réflexion diffuse de l’échantillon étudié.

Application à l’étude de composés, de granulométrie inférieure à la longueur d’onde d’observation

12Comme nous l’avons déjà dit, dans le cadre de la théorie de Kubelka-Munk, S et K dépendent de la granulométrie d de l’échantillon. Pour des échantillons peu absorbants et de fine granulométrie (quelques µm2) le pourcentage du rayonnement diffusé est d’autant plus important que le diamètre des particules est petit. En effet, plus les particules sont petites, plus la profondeur du rayonnement incident est faible et plus le rayonnement sera diffusé.

13Dans le cas d’échantillons de granulométrie inférieure à λ, tels les composés que nous avons étudiés, S devient alors proportionnel au diamètre d.

14Le facteur de diffusion S est proportionnel à la fréquence v à la puissance α (La puissance α est reliée au diamètre des particules).

15Ainsi lorsque d < λ, nous voyons que S est proportionnel à v4ou v3.

Application de la microspectrophotométrie de réflexion diffuse à l’analyse de pigments de quinacridones 3

16Les quinacridones sont des pigments organiques de structure linéaire dont les teintes varient du rouge orangé au rouge magenta (violet foncé). On distingue les trans-linéaires quinacridones (TLQ) et les cis-linéaires quinacridones (CLQ) suivant les positions relatives des groupements C = O et NH.

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(TLQ) = PV 19

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(CLQ)

17Les variations de teintes peuvent être obtenues principalement par modification de la phase cristalline, par la substitution du chromophore ou par l’utilisation de ces pigments sous forme de mélange (Tableau 2).

18Plusieurs facteurs peuvent donc influer sur l’obtention d’une teinte. Dans le tableau 3 ci-après, nous avons relié ces principaux facteurs à certaines techniques les plus adaptées pour les mettre en évidence, (en illustrant dans la mesure du possible par un exemple).

19Techniques d’analyses utilisées :

  1. Spectroscopie vibrationnelle : infrarouge, Raman.

  2. Spectroscopie électronique : absorption, émission de fluorescence et réflexion diffuse visible

  3. Diffraction X

  4. Analyse thermique différentielle

  5. Microscopie électronique

  6. Fluorescence X

20Nous voyons d’après le tableau 3 ci-dessous que la spectroscopie de réflexion diffuse visible est l’une des techniques les plus appliquées pour mettre en évidence les variations de teinte de composés.

Tableau 2. Mise en évidence des paramètres influant sur la couleur des quinacridones.

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Tableau 3

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21La spectroscopie de réflexion diffuse permet de réaliser des mesures sur des échantillons opaques et d’obtenir une information caractéristique du composé en quelques dizaines de secondes (fig. 1).

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Fig. 1. Spectres de réflexion diffuse en microspectrophotométrie.(a) du PR 202 (rouge magenta),(b) du PR 122 (rouge magenta),(c) du PR 209 (rouge orangé) dispersés en pastille de KBr.

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Fig. 2. Spectres de deux sources lumineuses équipant le microspectrophotomètre. (1) lampe Xénon. (2) lampe Tunsgtène.

22Les pigments de quinacridone sont éclairés avec une lampe tungstène : λmax d’émission > 520 nm. Les longueurs d’onde des sous maxima entre 500 et 600 nm sont caractéristiques du pigment tandis que l’enveloppe de la bande (400-700 nm) caractérise la famille des pigments de quinacridone.

23Les informations recueillies ne sont toutefois vraiment caractéristiques que dans des conditions bien définies.

Instrumentation

24Le choix de la source blanche va dépendre de l’absorption du composé. En effet, pour des composés qui présentent une absorption importante dans le violet (vers 400 nm) il est préférable d’utiliser une lampe Xe, qui présente un maximum d’émission < 470 nm. En revanche, pour des composés, qui absorbent à plus grandes longueurs d’onde, tels les composés rouges et magenta que nous avons étudiés, la lampe W est mieux adaptée (fig. 2).

Préparation de l’échantillon

25– La dilution du pigment provoque un déplacement des longueurs d’onde des sous maxima (fig. 3).

26– Un effet de pression entraîne l’aplatissement des sous maxima d’absorption.

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Fig. 3. Déplacement des maxima en fonction de la dilution du pigment.

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Fig. 4. Spectres de réflexion diffuse d’une solution solide, constituée d’un mélange de deux chromophores moléculaires. Focalisation en deux points différents.

27La microspectroscopie de réflexion diffuse trouve une application de choix pour l’étude de mélanges (fig. 4) et l’analyse d’échantillons hétérogènes.

28Sur le spectre, nous mettons en évidence les maxima d’absorption caractéristiques des deux composés :

  • composé 1 : forme quinonique (jaune), absorption vers 440 nm

  • composé 2 : PV 19 (rouge), absorption à 526 et 562 nm.

29Nous montrons ici que selon le point de focalisation, les pourcentages relatifs des deux chromophores différent, ce qui apparaît sur les spectres par une modification des enveloppes des maxima de réflexion entre 600 et 720 nm.

Limite de la technique (fig. 5)

30Comme nous le remarquons dans le tableau 3, la réflexion diffuse dépend de la granulométrie de l’échantillon. En effet, le coefficient de diffusion S d’un composé va dépendre de sa granulométrie d ; ainsi lorsque d > λobs, S est proportionnel à 1/d ; lorsque d < λobs, S est proportionnel à d.

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Fig. 5. Spectres de réflexion diffuse du PV 19.

31Dans ce dernier cas pour des particules de diamètre inférieur à 1 µm et dans de bonnes conditions de dispersion, le spectre d’absorption en transmission d’un échantillon est superposable à son spectre de réflexion diffuse et il n’est pas possible de distinguer deux particules de granulométrie voisine et de teinte différente par leur spectre de réflexion diffuse, il faut donc avoir recours à d’autres techniques comme la microscopie électronique.

Notes de bas de page

2 RAO, C.N.R., « Ultra-Violet and visible spectroscopy », Ed. Butterworth, London, 1970

3 BINANT C., « Etude par microspectromêtries électroniques et vibrationnelles d’une famille de pigments : les quinacridones. Application à l’analyse d’échantillons de peintures industrielles ». Thèse de doctorat de l’Université de Paris VI, Spécialité : spectrochimie, analyse organique et biologique, Paris, 1988.

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