Analyses topographiques et chimiques des pigments des œuvres peintes
p. 127-130
Texte intégral
Problématique de l’analyse
1La détermination de la nature des pigments, des charges de la préparation et leurs successions dans les couches picturales apporte un enseignement fondamental sur la technologie, la provenance géographique et la datation des œuvres peintes. Cependant, la petitesse des prélèvements, leur complexité nécessitent l’utilisation de techniques d’observation et d’analyse de petites surfaces telle que la microsonde électronique de Castaing.
Méthodologie analytique
2Une œuvre peinte se présente comme un ensemble de couches superposées où seule la plus externe est visible et éventuellement analysable. Pour observer les couches sous-jacentes, il est nécessaire d’effectuer un micro-prélèvement (qq. µg) qui, orienté convenablement, révèlera la répartition topographique des couches les unes par rapport aux autres. Le prélèvement solide est enrobé en deux temps. Un premier enrobage à « plat » est réalisé dans quelques gouttes de résine polyester. La lentille obtenue est alors placée verticalement dans un moule en polyéthylène au diamètre standard de 25 mm (dépendant uniquement de la sonde utilisée) et recouverte de résine. L’inclusion subit ensuite un polissage grossier à l’alumine ou au carbure de silicium. La finition est effectuée à l’aide de suspensions diamantées de 3 à 1/10 µm afin d’obtenir une surface plane de type métallographique.
• Examen au microscope
3Les inclusions sont observées au microscope photonique équipé d’un système d’éclairage en lumière réfléchie. Les grandissements utilisés sont généralement de 100 ou 200 fois. Ces observations préliminaires renseignent sur la couleur du pigment, sa granulométrie, sa forme cristalline. Ces éléments sont autant d’indices qui permettent d’orienter le choix des éléments à rechercher en microanalyse (fig. 1).
• Analyse des pigments par microsonde électronique
4L’échantillon est analysé couche par couche à l’aide d’une microsonde de type CAMEBAX. On irradie chacune de ces régions, de l’ordre du micron-cube, par un très fin faisceau d’électrons incidents. Il en résulte l’émission de rayonnement X caractéristique d’un atome. Les rayonnements X primaires sont analysés par trois spectromètres à dispersion de longueur d’onde (WDS).
5Les résultats sont visualisés de la façon suivante : une surface carrée de l’échantillon est balayée par la sonde ligne par ligne.
6Les impulsions du détecteur produisent des impulsions électroniques du faisceau d’un oscilloscope en balayage synchrone. Chacune de ces impulsions donne un point sur l’écran. Le spectromètre étant réglé sur le rayonnement d’un élément, la densité de points lumineux sur l’écran est proportionnelle à la concentration de cet élément aux points correspondants. On détermine ainsi pour chaque élément recherché une carte de répartition ou image X où la concentration maximale de l’élément apparaît en blanc sur un cliché photographique de l’écran. On réalise également une image en électrons rétrodiffusés. Ces images peuvent éventuellement apporter des informations sur le numéro atomique moyen des phases présentes. Ainsi des pigments constitués d’éléments lourds tels que Fe, Au, Hg, ou Pb apparaissent en clair, alors que des pigments composés d’éléments légers comme Al, Si, S ou Ca apparaissent en foncé.
7Dans le cadre de cette étude, les conditions opératoires sont : tension 15 kV, intensité 12 nA. Pour éviter les effets de charges, les échantillons sont rendus conducteurs par évaporation sous vide d’une fine couche de carbone d’environ 100Å (fig. 2).
• Diffraction des rayons X
8L’observation en microscopie photonique et l’analyse élémentaire ne permettent pas toujours la reconnaissance rapide de certains pigments comme les terres naturelles. Il s’agit en effet de minéraux ferrifères comme l’hématite, la goethite ou la glauconie où la présence seule du fer ne suffit pas pour caractériser le minéral. On recourt alors à l’analyse des structures cristallines par diffraction des rayons X selon la méthode des poudres. L’échantillon est finement broyé dans un mortier en agate et étalé sur une lame de verre dépolie. La prise d’échantillon doit nécessairement être plus importante et toutes les couches de l’échantillon sont alors analysées.
Résultats et conclusion
9L’analyse et la reconnaissance d’un pigment pour relativement aisées qu’elles puissent paraître, nécessitent néanmoins une méthodologie analytique rigoureuse dans le cas des prélèvements sur les œuvres d’art. Ceux-ci doivent en tout cas rester limités aussi bien en nombre qu’entaille. Dans l’exemple de ce type d’étude, les principes valables pour d’autres sciences restent applicables : toujours du plus simple au plus complexe et des grandissements les plus faibles aux plus élevés.
10Nous avons développé cette méthodologie analytique dans le cadre de la recherche de paramètres qui permettent de décrire de façon la plus objective possible, la technologie de fabrication des icônes byzantines et post-byzantines.
11L’examen au microscope photonique permet d’observer les stratigraphies représentatives de l’œuvre et de sa technologie : on observe ainsi la superposition de couches travaillées en opalescence en allant du plus sombre pour aller vers la lumière (alliance de la technique et du symbolisme). Une première approche de la composition des pigments est possible dès cette étape. Toutefois, très vite l’apport de techniques d’analyses sophistiquées s’avère indispensable.
12Sur 18 icônes étudiées, 11 présentent une préparation à base de carbonate de calcium, CaCO3 et 7 une préparation à base de sulfate, CaSO4, 2H2O. On observe parfois et corrélé au gypse la présence d’anhydrite CaSO4. Ces informations permettent une première hypothèse sur l’origine des icônes : les écoles russes d’icônes utilisent plutôt le carbonate de calcium facile à trouver sur place et lié généralement à des colles protéiques, alors que les écoles du sud utilisent plutôt le sulfate de calcium.
13 L’éventail des pigments reconnus est large et correspond aux données des historiens d’art. On trouve ainsi du cinabre, HgS, du minium,Pb3O4, des ocres rouges et jaunes, Fe2O3, de l’orpiment, AS2S3, de l’azurite, 2 CuCO3, Cu(OH)2, du lapis-lazuli, 3 Na2O3, 3Al2O3, 6 SiO2, 2 NaS2, de la malachite , CuCO3, Cu(OH)2, du vert de gris, Cu(CH3COO)2, 2 Cu(OH)2, de la terre verte, présence simultanée de Fe, Si, Al, Mg, K. Pour les blancs on distingue deux espèces minérales par diffraction des rayons X : la cérusite, PbCO3 et l’hydrocérusite, 2 PbCO3, Pb(OH)2. Les terres naturelles vraisemblablement utilisées n’ont pu être mises en évidence avec certitude.
14En règle générale, la double observation au microscope photonique et à la microsonde de Castaing permet d’identifier et de localiser sans ambiguïté la plupart des pigments minéraux. La microanalyse permet de lever les incertitudes dans le cas des mélanges, citons par exemple le blanc de plomb avec l’azurite, les terres ou les ocres. On ajoutera enfin que l’on peut déterminer avec précision l’épaisseur moyenne des couches picturales qui peuvent varier de 10 à 100 μm.
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Pigments et colorants de l’Antiquité et du Moyen Âge
Teinture, peinture, enluminure, études historiques et physico-chimiques
Institut de recherche et d'histoire des textes, Centre de recherche sur les collections et Équipe Étude des pigments, histoire et archéologie (dir.)
2002