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L’enfant créateur

p. 157-179


Texte intégral

1Goethe a médité sur les émotions esthétiques de Wilhelm Meister enfant. Ruskin ou Viollet-le-Duc se sont penchés sur la disposition de l’enfant à dessiner. Rousseau a lui aussi abordé le problème de l’éducation esthétique dans Émile, en mettant en avant l’importance de l’inspiration naturelle, par-delà les apprentissages qui pervertissent le sens du beau, en recommandant par exemple que l’enfant dessine devant un paysage. L’enfance est bien sûr considérée par Rousseau comme un âge capable de justesse dans le jugement, état de pureté opposé à une dégradation du goût, un dévoiement de l’appréciation du beau. De toute façon, dans ces différents cas, il est question d’une expérience originelle, authentique, que les auteurs cherchent à replacer dans un itinéraire idéal, celui d’un individu dont l’âge n’anéantirait pas les acquis de ces premières expériences.

2Dans les années 1850, la question de l’éducation esthétique habite la pensée pédagogique en Europe. Un enjeu sous-jacent explique l’importance particulière donnée au dessin, qui est le développement industriel et la concurrence commerciale, qu’ils se manifestent sous l’angle de l’amélioration de la production ou du point de vue commercial, ou sous l’angle de l’éducation du goût des masses. Dans ces deux cas, une constante demeure : c’est l’art et la beauté, qu’on les conçoive comme issus de la subjectivité ou comme résultat d’un apprentissage, en tant que savoir-faire ou inspiration, qui demeurent au centre de la réflexion ; l’enfance n’y intervient que comme moyen ou prémisse par rapport à un apprentissage ou à un accomplissement futur.

3Cependant, à la fin du xixe siècle, apparaît une subversion radicale de ce point de vue : l’expression artistique devient le moyen d’appréhender le développement psychologique de l’enfant, et c’est l’enfant qui devient dans ce domaine le pivot d’une réflexion qui accorde plus de place au sujet-enfant qu’à la formation de l’artiste ou même du « technicien ». Parallèlement, l’art devient le signe par excellence de l’activité psychologique, activité dont on avait vu qu’elle était mise en évidence par les premières approches biologiques du développement de l’enfant. La création artistique devient un prolongement de cette aptitude générale à la création qui est à l’œuvre dans toute évolution psychologique.

4L’enseignement du dessin apparaît après 1850, en France, comme le lieu d’une opposition en même temps que d’une tentative de conciliation entre l’inspiration individuelle et l’apprentissage. Dans la recherche d’une bonne manière de faire progresser les élèves, une discussion oppose Félix Ravaisson à Eugène Guillaume. Elle est présentée dans les articles qu’ils y consacrent tous deux dans le Dictionnaire de pédagogie de Ferdinand Buisson. F. Buisson lui-même prend parti, par exemple dans les rapports des Expositions universelles de Vienne et de Philadelphie, publiés à l’Imprimerie nationale en 1878. On y voit comment le souci d’améliorer les compétences professionnelles futures des élèves mobilise les innovations pédagogiques. Buisson s’y montre partisan d’une initiation de l’enfant aux formes géométriques, idée issue de Pestalozzi et de Froebel, supposée le guider dans la perception des formes naturelles. Pestalozzi en effet abordait le dessin par la géométrie, son disciple Froebel n’étant pas moins attaché à l’étude des formes élémentaires. E. Guillaume considérait que le dessin tout entier est contenu dans la géométrie, le premier élément en étant la ligne droite. À l’opposé, F. Ravaisson préconise l’étude des formes à travers la reproduction d’œuvres d’art léguées par l’Antiquité classique, et en particulier l’étude de la figure humaine idéalisée. Dessiner la figure humaine est pour lui le premier pas vers la saisie de l’harmonie du visible. La beauté est alors supposée meilleur guide que l’exactitude dans l’analyse des formes. F. Ravaisson incarne ainsi de manière durable une vision de l’enseignement esthétique plus ouverte à l’inspiration individuelle, plus préoccupée de la ligne « flexueuse » qui habite les formes que d’exactitude technique.

L’enfant-artiste et la « science moderne »

5Il ne s’agit dans ce type de débat, pourrait-on dire, « que » d’enseignement et d’art. Or, un changement s’opère à la fin du xixe siècle, une inflexion de la manière de penser l’apprentissage dans ce domaine, par l’intervention d’un troisième terme qui est l’enfant ; ce troisième terme n’apparaît d’ailleurs pas dans le contexte de l’enseignement. Dans les années 1880, l’intérêt pour l’aptitude à la création devient un caractère marquant de la psychologie de l’enfant. La problématique de l’enfant-artiste consiste à prendre l’activité productrice de l’enfant, par exemple son activité graphique, comme centre de gravité de la réflexion, et à en faire un objet d’étude indépendamment de la beauté de ces productions ou d’une finalité qui serait extérieure au développement de l’enfant, c’est-à-dire, paradoxalement, indépendamment de la question de l’art.

6Jessica Boissel, dans un article qui étudie historiquement le surgissement de l’intérêt pour le dessin d’enfant, présente un certain nombre d’éléments de ce déplacement2. Elle signale la multiplication d’expositions consacrées à ce sujet, cette émergence étant enserrée dans un réseau complexe de justifications à la fois esthétiques et pédagogiques. La première exposition de dessins d’enfants à la Kunsthalle de Hambourg, en 1898, intitulée Das Kind als Künstler, comportait des dessins d’enfants de différents pays et des dessins de peuples « primitifs ». Pour éclairer le contexte de cette « innovation », J. Boissel évoque le « mouvement de l’éducation par l’art » (Künstlerziehungsbewegung), qui se donne pour but à la fois de promouvoir le bien-être collectif et individuel, en donnant à la culture des facultés contemplatives et productrices une place centrale, et d’exalter les capacités créatrices de l’enfance, à la lumière de la « science moderne »3. On trouve là deux composantes distinctes de l’intérêt pour les productions de l’enfant : d’une part, la motivation d’une amélioration de l’enseignement, surtout du point de vue des arts appliqués, et d’autre part cette science « moderne » qu’est la psychologie de l’enfant, et qui met l’accent sur le caractère spontané de l’aptitude au dessin ; les psychologues J. Sully et B. Pérez sont cités dans le texte introductif de l’exposition comme étant à l’origine de ce nouveau regard. En même temps que demeurent les objectifs de progrès industriel et commercial et de rayonnement de la nation, il s’agit cette fois d’autre chose, l’enfant étant véritablement considéré comme artiste dont on expose les œuvres. J. Boissel signale une tendance internationale de l’enseignement du dessin à privilégier la « création formelle » par rapport à la « représentation imitative »4. On peut faire l’hypothèse que ce n’est pas le résultat d’un progrès univoque dans la conception de l’art et de son enseignement, mais le corrélat de l’irruption dans ce champ de la science de l’enfant et de la question du développement psychologique.

7En effet, l’allusion à la « science moderne » et la présence à l’exposition d’œuvres ethnologiques sont liées à l’intervention dans ce champ de restructurations évolutionnistes. Cette science n’agit certes pas comme une cause unique de l’intérêt pour l’enfant comme artiste, mais elle dessine la forme de cet intérêt et lui apporte sa vision de l’enfant, ainsi que de l’art. Ce dernier peut apparaître comme effet de l’évolution psychologique, activité qui se laisse appréhender de manière privilégiée sous l’angle d’un développement. Corrélativement, un autre changement de dessine : l’activité artistique, du moins à ses débuts, pourra apparaître davantage comme une évolution spontanée que comme l’appropriation d’un savoir-faire. Finalement, le rapport de l’art en général, et pas seulement du dessin, à l’enfant pourra cesser d’être considéré sous l’angle de l’apprentissage au sens traditionnel d’une transmission d’un savoir extérieur à l’enfant. Le questionnement sur le meilleur cheminement pour parvenir à un but ou à un idéal donné, et donc sur l’éducation artistique, va laisser place à l’étude des formes spontanées de l’« art » chez l’enfant, de ses productions ou de sa faculté de réception avant tout apprentissage. La psychologie se situera en concurrente de l’esthétique pour parler des premiers pas de l’enfant vers l’art.

8Les propos du rédacteur du catalogue de l’exposition de Hambourg cités par J. Boissel révèlent bien cette dimension : « L’exposition offre une image du domaine peut-être le plus charmant sur lequel travaille la science moderne, c’est-à-dire celui des recherches sur l’enfant (et, s’il en est beaucoup à qui) les premiers essais dessinés paraissent insignifiants et sans art, ceux-ci nous permettent pourtant d’obtenir des aperçus de la phase la plus intéressante de la vie spirituelle enfantine, à savoir les commencements de l’activité artistique5. »

9Certes, la « science moderne », ou psychologie évolutionniste de l’enfant, si elle déplace l’intérêt de ce qui est enseigné vers l’enfant qui progresse, n’opère pas automatiquement pour autant la libération de la création formelle par opposition à l’imitation de la nature. L’interrogation psychologique sur le dessin d’enfant peut parfaitement coexister avec une vision assez conservatrice, sur le plan plastique, du but à atteindre, et le thème nébuleux de l’« imitation » de la nature est très présent chez les psychologues qui par ailleurs prônent le respect de la spontanéité de l’enfant. Il s’agit en fait de deux problèmes distincts bien que liés, et pour approfondir les raisons pour lesquelles il y a valorisation de la création formelle, il faudrait interroger l’histoire de l’art elle-même.

10L’innovation qui nous intéresse ici est donc l’annexion au domaine de la psychologie du rapport à l’art de l’enfant, le fait que l’art apparaisse désormais comme le produit et le témoignage de l’évolution psychologique, plus que comme une expérience originelle, ainsi que le veulent les romantiques et Rousseau. À cet égard, le fait que parmi les ouvrages du psychologue B. Pérez on trouve L’Art et la Poésie chez l’enfant est en lui-même révélateur d’un déplacement, le sentiment esthétique et la création artistique y étant décrits comme effets du développement psychologique. De ce fait, c’est son caractère d’être en développement ou plutôt en évolution qui donne à l’enfant son rapport privilégié à l’activité esthétique à la fois comme contemplation et comme production d’œuvres. Le problème n’est plus de savoir de quelle manière l’esprit humain se rapproche de la beauté ou de l’art véritables, opposés à des formes dévoyées du goût ou de la production artistique, mais de saisir de quelle manière l’enfant élabore des conduites qui sont considérées comme la base des capacités de jugement esthétique et des talents de création futurs, que certains adultes seulement manifestent de façon aboutie, sous la forme du génie artistique proprement dit.

11B. Pérez paraît avoir été l’un des premiers à procéder à des investigations au sein des productions « artistiques » de l’enfant et à avoir inauguré le thème de l’enfant-artiste, à avoir ouvert la nouvelle problématique, celle de l’enfant comme créateur, lieu privilégié du surgissement et de l’observation du processus créatif. Concentrer la réflexion sur l’aspect spontané de l’activité esthétique confère à cette dernière un caractère étranger aux références culturelles ; malgré certaines ressemblances extérieures et un vocabulaire qui est parfois le même, cette approche d’inspiration biologique et psychologique ne doit pas être confondue avec celle de F. Ravaisson, qui au contraire puisait ses modèles de l’idéal humain dans le beau antique.

Bernard Pérez et l’art comme évolution psychologique

12B. Pérez était attaché à la méthode monographique, dont il souhaitait diversifier les objets, et prévoyait d’effectuer une monographie sur « le sens du beau chez la petite fille6 ». Ce problème lui tenait à cœur depuis le début de ses recherches sur l’enfant, et en tant que pédagogue, puisqu’il avait consacré dès 1879 un article à l’éducation esthétique7.

13L’ouvrage qu’il consacra finalement au sujet en 1888, L’Art et la Poésie chez l’enfant, dépassa ces modestes limites. L’art de l’enfant y est présenté comme un embryon d’art : méconnaissable, il porte néanmoins à l’état naissant des attitudes et activités dont l’état abouti se reconnaît à l’époque actuelle. Cette idée est corrélée à une théorie esthétique évolutionniste qui fait le fonds de la pensée occidentale de la fin du xixe siècle : pour B. Pérez, il y a un progrès dans l’art et ce progrès s’explique par celui de l’espèce. Les productions « artistiques » de l’enfant avant tout apprentissage sont donc primitives à un double titre ; elles le sont par rapport à l’artiste en tant qu’adulte, et par rapport à l’histoire de l’art, donc à l’art moderne, incarnant la dernière forme du développement. Peut-être B. Pérez avait-il pu rencontrer cette idée courante à l’époque dans l’article que J. Sully, son alter ego anglais en ce qui concerne la psychologie de l’enfant, lui avait consacré en 1876 dans laRevue philosophique  ; ce denier espérait trouver dans la science de l’évolution mentale la clé du développement de la faculté esthétique, et donc un critérium sûr pour juger du beau8.

14B. Pérez découvre tout un pan de l’activité de l’enfant, multiplie les observations, recueille les témoignages biographiques ou littéraires et, comme à son habitude, entasse les anecdotes illustrant cette conviction que l’enfant est déjà artiste, tout en faisant ressortir l’infériorité de ses productions ou de ses sentiments, n’hésitant pas à les comparer à des exemples pris dans l’histoire de l’art. Une attention vigilante envers les productions de l’enfant coexiste avec leur dépréciation : elles ne sont plus en effet tentatives négligeables destinées à être supplantées par les apports de l’apprentissage, mais un cheminement nécessaire et lui-même plein d’enseignements sur le développement psychologique de l’individu et de l’espèce, un cheminement qui mène à l’art proprement dit mais qui est aussi le progrès de l’esprit en général, l’art étant comme un symptôme de ce progrès.

15Dans son article de 1879 déjà, B. Pérez propose une réinterprétation des observations concernant le développement sensoriel du jeune enfant et ses premiers développements psychologiques, qui aboutit à construire un tableau chronologique de l’évolution du sentiment esthétique.

16L’intérêt du nouveau-né pour les sensations visuelles est considéré comme la préfiguration du plaisir visuel de la contemplation du beau naturel ou artistique9. Sur la base de cette première manifestation, B. Pérez ébauche la marche du développement psychologique du sentiment du beau tel qu’il pense pouvoir le reconstituer : vers dix mois, l’enfant n’a pas encore développé de sentiment « intellectuel » du beau, où dominent les notions de « proportion » et de « convenance », mais est séduit par les jouets gros et éclatants, par le spectacle des animaux ; et si, vers dix à quinze mois, l’enfant devient sensible à un beau visage, c’est plus en raison de son expression bienveillante que de la beauté intrinsèque et de l’harmonie de ses traits. B. Pérez interprète cela comme une phase intermédiaire d’une évolution qui mène à goûter la beauté plastique pour elle-même dans le progrès de l’espèce : « […] si l’hérédité, et même les expériences personnelles, disposent l’enfant âgé de dix ou quinze mois à sentir vaguement le charme d’un beau visage, d’un arrangement convenable de formes et de couleurs, une tendance encore plus forte le rend apte à sentir et à goûter l’effet résultant de l’expression vraie d’un sentiment10. »

17Continuant d’exposer l’évolution psychologique et esthétique, B. Pérez estime que si l’enfant de dix-huit mois a entendu porter autour de lui des jugements et dispose ainsi d’une idée abstraite « rudimentaire » du beau, il n’est encore capable que de juger l’utile ou le « joli ». Finalement, le psychologue qui décrit ce développement spontané est amené à constater que même chez l’adulte, qui en principe a développé ses virtualités au contact de l’expérience, et a pu élaborer « le sentiment des harmonies de la nature, de l’unité des proportions, de l’unité et de la diversité des formes et des couleurs », les sentiments actuels empêchent la prééminence de l’idée de beau ; se pose donc le problème de son éducation esthétique : le pédagogue peut alors se demander comment assurer le développement de « l’instinct de beau11 ».

18B. Pérez propose d’une part une pédagogie active qu’il qualifie de « à la Froebel » parce qu’il considère que l’enfant doit d’abord observer, les observations à finalité scientifique ou artistique n’ayant pas au départ à être distinguées. Les interventions de l’adulte, dans ce but, sont censées éviter les apports intempestifs de l’extérieur : ses jugements en présence de l’enfant favoriseront la « sélection naturelle » des impressions12 ; la pratique du dessin d’imitation, du dessin d’après nature, par l’adulte en exemple devant l’enfant, fera renoncer ce dernier à ses « gribouillis », ce qui vaut mieux que d’essayer de lui faire copier des modèles.

19À l’époque de Bernard Pérez, préconiser le dessin d’après nature basé sur l’observation reflète une bonne information sur l’esthétique moderne ; il est remarquable que cette idée soit étayée par la théorie de l’évolution biologique, que le dessin naturaliste soit présenté comme un résultat du développement des facultés mentales. Une nouvelle philosophie de l’éducation se manifeste à cette occasion, dont on peut définir ainsi l’idée majeure : l’enfant, en se développant, rejoint naturellement les avancées de la modernité. Tout se passe comme s’il existait une harmonie préétablie entre le progrès dont la société est le théâtre, et les progrès de l’enfant qui grandit.

20Cette conception n’est pas étrangère aux dérives spontanéistes de l’éducation durant le xxe siècle. Croire que l’enfant est capable de rencontrer par lui-même les innovations politiques, esthétiques ou éthiques du présent ne peut qu’engendrer la confusion dans les règles de la transmission.

Les figures primitives du sentiment artistique

21Le livre de 1888, L’Art et la Poésie chez l’enfant, fournit un tableau plus cohérent de cette vision évolutionniste dans la mesure où il dépasse le point de vue de l’observation du jeune enfant pour replacer nettement le développement de ses facultés esthétiques dans un contexte phylogénétique. Le développement de l’enfant y est mis en rapport avec l’histoire de l’art, considérée comme un développement psychologique à l’échelle de l’humanité. C’est ainsi que s’organisent ce que l’on peut nommer des figures « récapitulatives » qui ont un rapport privilégié à l’art – l’enfant, la femme, l’homme primitif, l’animal même – par opposition à l’orientation de l’activité de l’adulte occidental et mâle, qui le porte vers les sciences, la pensée rationnelle et abstraite.

22Le goût de la parure, auquel est consacré le premier chapitre du livre, le montre. On peut supposer que B. Pérez s’est inspiré des Essais de H. Spencer, où le phénomène de la mode est analysé comme une forme primitive de la contrainte sociale13. L’enfant, montre B. Pérez, comme le sauvage, a un désir irrépressible de se parer. L’éducation a plus de mal, chez la petite fille, à venir à bout de cette tendance qui perdure d’ailleurs chez la femme, dont B. Pérez se défend de faire l’image du primitif tout en développant imperturbablement cette argumentation qui condamne la parure au nom de son caractère infantile et, par voie de conséquence, primitif. Il ne s’agit là pour B. Pérez évidemment que d’une forme rudimentaire d’intérêt esthétique. L’exploration de la formation du sentiment esthétique culmine avec l’analyse du goût pour le paysage, le spectacle des beautés naturelles, qui s’articule, d’une part, avec la réflexion sur les facultés de création et l’aptitude au dessin, et d’autre part met en évidence le rôle particulier de cette figure récapitulative qu’est la femme.

23L’article consacré à l’éducation esthétique faisait remonter le sentiment esthétique à l’éveil sensoriel ; le « sentiment poétique de la nature » y trouve également son origine. Le jeune enfant, s’il l’éprouve, le fait de manière analogue à l’animal, à qui l’on prête donc un embryon de ce sentiment, dans une logique extrême qui identifie le développement psychologique de l’enfant à celui des êtres inférieurs14.

24La femme se trouve ici en connivence avec l’enfant pour se laisser aller aux « tendres impressions »15 et cultive ce qui deviendra le sentiment poétique de la nature ; c’est elle, parce qu’elle vit sous le règne de l’impression sensible, qui est l’éducatrice par excellence du sentiment esthétique. On a ici en quelque sorte le cas de figure idéal du développement du sentiment poétique de la nature : la mère guide sa fille dans cette découverte, en répétant les promenades au jardin, les accompagnant de récits et de chansons. Il faut se rappeler ici que B. Pérez s’est intéressé tout d’abord à l’éducation esthétique de la petite fille, pour finalement élargir son point de vue ; la majorité de ses exemples, témoignages personnels ou littéraires qui y décrivent la genèse subjective du sentiment esthétique, concernent des filles ou des femmes ; ainsi, B. Pérez relève régulièrement des passages chez Mme de Staël ou George Sand. Ce choix reflète la vision récapitulative de l’art, dans laquelle la femme est un élément de la continuité qui relie l’animal à l’homme civilisé, c’est-à-dire occidental. On peut dire, en exprimant un principe qui ne fonctionne qu’implicitement pour B. Pérez dans ces évocations lyriques, que l’enfant, après avoir éprouvé la nature comme l’animal, le fait à la manière de la femme, son sentiment poétique offrant un substitut aux goûts plus brutaux du primitif…

25Toutefois, l’enfant n’est qu’un enfant et il ne peut éprouver ce sentiment en tant que tel, encore moins l’exprimer. B. Pérez n’hésite pas, dans un rapprochement assez étonnant, à comparer, pour montrer ces limites, une lettre écrite par un enfant pendant ses vacances et un passage extrait du Voyage aux Pyrénées de H. Taine. Le jeune Paul, qualifié « d’intelligence et d’expérience ordinaire », n’éprouve, dit-il, qu’un sentiment primitif et animal de la nature, quand, face à la mer, « que d’eau ! » est la seule remarque qu’il puisse écrire16. Pérez constate par ailleurs que les enfants de cet âge (dix-douze ans) sont imperméables à la belle prose de H. Taine quand elle est par exemple ainsi tournée : « La mer sourit dans sa robe bleue, frangée d’argent, plissée par le dernier souffle de la brise »… Force est de constater que H. Taine incarne ici, pour B. Pérez, dans le récit, effectivement nouveau à l’époque, de ses impressions de voyage, le génie poétique accompli, vers lequel tend le développement après être passé des sensations animales à la culture de la sensibilité dans le cadre familial, sous l’égide de la mère, pour trouver dans la poésie l’expression de son raffinement.

Le dessin

26Si B. Pérez s’intéresse à la capacité d’éprouver le sentiment poétique chez l’enfant, il se penche aussi sur sa capacité de produire des œuvres, la seconde étant liée à la première, et cette double orientation structure aussi bien L’Art et la Poésie chez l’enfant que l’article consacré au dessin paru dans la Revue philosophique17. Bernard Pérez met tous les arts sur un pied d’égalité, mais l’actualité de la question de l’enseignement du dessin à l’époque explique qu’il ait privilégié ce sujet pour parler de l’éducation artistique.

27L’étude de l’aptitude au dessin de l’enfant exemplifie celle de son talent artistique en général. Cependant, le dessin permet aussi, pour le psychologue, de connaître le progrès intellectuel, progrès de la représentation de la réalité et des facultés perceptives. Le dessin est comme le signe de l’évolution psychologique et intellectuelle en même temps qu’il représente l’éveil de dispositions artistiques ; la confusion est permanente entre le problème de la constitution, dans l’esprit de l’enfant, d’une représentation exacte du réel, et le problème d’une figuration méritant d’être qualifiée de belle. À cet égard, on peut dire que B. Pérez, comme beaucoup de ses contemporains, est prisonnier de l’équivalence entre l’art et la représentation du réel. Il conçoit la peinture moderne (académique ou réaliste) occidentale comme l’aboutissement de la représentation de la réalité18. Ceci est « aggravé » par la conception évolutionniste de l’art évoquée plus haut.

28Si donc, de ce point de vue, le raffinement du sentiment du beau et de son expression sont un des termes actuels du progrès psychologique, la représentation exacte de la réalité en est un autre, et d’une dignité supérieure d’un point de vue évolutionniste. Le dessin de l’enfant, habité par ce double progrès, sera réputé en révéler les étapes.

29C’est la raison pour laquelle, dans une perspective qui évoquerait à tort, pour un esprit d’aujourd’hui, le stade du miroir de J. Lacan, B. Pérez accorde un rôle important à la représentation du miroir et à son expérience par l’enfant. Se référant à l’observation de Ch. Darwin qui note que son fils de quatre mois prend plaisir à l’image du miroir19, et est même capable de se retourner pour voir son père après avoir vu son reflet, ainsi qu’aux observations similaires de W. Preyer, B. Pérez n’accorde pas à l’enfant, contrairement à ses prédécesseurs, une identification de l’image comme telle, mais prétend que l’enfant, qui y porte un intérêt inné, y voit d’abord une autre réalité et non une image. Puis, l’enfant grandissant, « l’illusion du réel n’y est plus, l’illusion de l’idéal n’y est pas encore20 ».

30Dans l’une des anecdotes qu’il se plaît à détailler, le plaisir pris par une petite fille de dix-huit mois à contempler le gave de Pau reflété par la grande glace de l’hôtel où elle se trouve est longuement décrit ; cet exemple n’est pas indifférent, car il concerne le paysage et donc, encore, le sentiment poétique de la nature. Plus que de la représentation elle-même, on peut supposer que l’enfant, du moins à travers les yeux de Pérez, tire sa satisfaction d’une belle nature que le miroir transforme en spectacle et encadre comme une peinture. Le psychologue estime que l’enfant en est d’autant plus séduit qu’aucune interprétation ou expression d’un « idéal » ne modifie l’image de la réalité. L’interprétation, qui vient ensuite, permet par exemple à l’enfant de voir dans les motifs d’un rideau des choses qui n’y sont pas représentées, donnant libre cours à son imagination21. Mais cette imagination n’offre, pour B. Pérez, aucune perspective directe vers le dessin : l’interprétation trop libre est rejetée du côté de la fantaisie qui égare l’esprit. B. Pérez abandonne ainsi les pistes offertes par la rêverie et la perception de l’image, ce qui confirme que l’enjeu n’est pas ici « l’invention formelle », pour reprendre l’expression de J. Boissel. C’est le progrès de la faculté d’observation qui va assurer le passage à la « langue du dessin », permettre à l’enfant de produire des images exactes, le beau ne pouvant par ailleurs être qu’exact, quand bien même il dépasserait la simple réalité en recherchant, dans l’image, l’idéal.

31L’évolution propre du dessin ouvre sur l’observation de ses progrès, dans une première version de l’étude de l’évolution du célèbre « bonhomme ». Comme l’artiste préhistorique qui gravait des figures humaines et animales, manifestant par là ses intérêts vitaux22, l’enfant commence, de trois à cinq ans, par la représentation de l’homme, de l’animal, et principalement de la tête humaine, reflet de son attirance pour le visage de ses proches. Il est à noter tout d’abord que B. Pérez emprunte à la science préhistorique de son temps une idée aujourd’hui rejetée mais qui entre très commodément dans le débat sur les commencements du dessin : les hommes du paléolithique représentaient bien des animaux, mais très peu d’êtres humains, et d’une manière fort déroutante pour nous. Cependant, cette idée que les préhistoriques représentent la figure humaine offre l’occasion d’une convergence avec les idées de Ravaisson, qui considérait cette figure comme première dans l’apprentissage. La différence dans la manière dont les deux auteurs justifient ce privilège reflète bien la mutation en cours. Ravaisson considérait la figure humaine comme exemplaire par sa dignité, sa beauté, alors que le psychologue la considère comme première par rapport à un intérêt primitif, et aussi par rapport au développement de l’enfant.

32Examinant ces premières productions, B. Pérez attire l’attention sur la tendance de l’enfant à la répétition des mêmes dessins une fois qu’il a appris à les faire ; il note aussi la difficulté particulière que représente l’insertion des bras sur le tronc des personnages, et la variété dans la précision de la représentation de la terminaison des membres, émettant l’idée que selon son degré d’intelligence l’enfant rend la figure humaine de façon plus ou moins complexe23. Est ainsi inaugurée l’idée d’un « style » propre au dessin d’enfant, descriptible par un certain nombre de caractéristiques qui demeurent des repères, même si elles se modifient dans le temps24. Les défauts mêmes de ce dessin, qui constituent la base de sa description25, forgent par leur constance ce style ; ainsi, en évoquant l’excès de logique qui mène par exemple l’enfant à figurer les deux yeux dans un visage de profil, ou à improviser un quadrupède à partir de l’ébauche d’un oiseau26. Il qualifie cette démarche de « logique étourdie ». Pourtant, c’est celle qui sera décrite par Georges-Henri Luquet comme le « réalisme intellectuel », par lequel l’enfant représente ce qu’il sait, plutôt que ce qu’il voit, des objets.

33G.-H. Luquet marche dans les pas de B. Pérez, quoique son étude du dessin d’enfant soit plus approfondie, lorsqu’il définit le dessin enfantin comme un tout stylistique dominé par des « types », et qu’il analyse lui aussi la progression dans la maîtrise de ces étapes en termes d’évolution vers un « réalisme maîtrisé ». De la même façon enfin que B. Pérez, il considère que ce progrès est orienté vers la représentation réaliste, et notamment vers la représentation de l’espace et la recherche de la perspective. La conséquence pédagogique majeure de cette analyse est qu’il faut laisser à l’enfant la liberté de parcourir les étapes d’un progrès spontané, avant de tenter un apprentissage ; celui-ci ne pourra être justifié qu’à partir du moment où l’enfant lui-même réclame des moyens plus efficaces de réaliser son ambition réaliste.

L’art et la vie

34Chez B. Pérez, toutefois, la question de la pédagogie du dessin, comme celle des autres arts d’ailleurs, comporte une autre dimension ; il s’agit du rapport entre l’art et la vie, du rapport de l’art à l’émotion, au sentiment, et, corrélativement, de la capacité d’expression de ce sentiment : la construction d’une image exacte ou idéale du réel s’accompagne de l’expression des émotions qui sont liées à la vie dans ce réel. Le raffinement du sentiment, la complexité du vécu, sont l’objet de l’art : « L’art est pour la vie. Il semble ne viser qu’au plaisir, et il atteint de surcroît l’utilité. Il est fait tout ensemble de fantaisie et de réel, d’exaltation et de pondération, de folie et de raison, de sens mystique et de sens pratique. C’est une des formes suprêmes, sinon la forme supérieure, de l’adaptation27. »

35Le réel et l’émotion qui accompagne la vie et son travail d’adaptation sont la matière de l’activité artistique. Si l’émotion et le sentiment ont un aspect sauvage, primitif, ils sont toutefois, dans la vie civilisée, de plus en plus riches et raffinés. Ils représentent la part de plaisir de la vie, mais ce plaisir n’est pas superflu parce qu’il est partagé et signifie donc solidarité et sympathie. Le progrès de la vie sociale qu’on peut en attendre fait partie de ce que B. Pérez nomme ici adaptation. Il faut voir dans cette idée un reflet de l’esthétique de Jean-Marie Guyau, le philosophe précoce, beau-fils d’Alfred Fouillée, dont l’ouvrage Problèmes de l’esthétique contemporaine parut en 188428. Son beau-père enthousiaste, Alfred Fouillée, le compara à Nietzsche en raison de l’exaltation des forces vitales, manifestées par l’art, qui évoquent le vouloir-vivre. Mais cette idée se double d’une autre qui accorde à l’art une fonction sociale : il représente la part d’adhésion affective aux formes de vie civilisées, et pour cette raison a une utilité éminente. Une discussion entre J.-M. Guyau et H. Spencer eut d’ailleurs lieu à ce sujet, ce dernier considérant que l’art n’est que la dépense d’un surplus d’énergie, et est donc foncièrement inutile. Parce qu’il se rallie à l’esthétique de Guyau, B. Pérez estime que la finalité du progrès de la figuration enfantine est la représentation des émotions et des « couleurs » de la vie, terme qu’il prend au sens propre et au sens figuré.

36Il suggère donc, dans une déconcertante mais, dans ce contexte, très cohérente recommandation, d’encourager l’enfant à l’étude des expressions à la manière de Mantegazza, l’inspirateur de Ch. Darwin pour l’étude des émotions et l’autorité de référence, en quelque sorte, en matière de figuration de celles-ci ; cela, pour atteindre en priorité la représentation des émotions de la vie par opposition au dessin académique qui enferme cette représentation dans des règles froides.

37Pour parvenir à cette expression de la vie, il envisage de mélanger, dans l’éducation de l’enfant, toutes les techniques du dessin, de la géométrie de E. Guillaume à l’usage de la couleur préconisé par Spencer en passant par le dessin « d’objet concret » et le dessin académique. Par cette revendication d’une « libération » des contraintes techniques traditionnelles, B. Pérez s’oppose aussi bien à F. Ravaisson qu’à E. Guillaume, ou encore à H. Spencer lui-même. Ce dernier, qui réduit l’art à la dépense d’un surplus d’énergie, recommandait de faire faire des coloriages au jeune enfant parce que (suppose-t-il) c’est son plus grand plaisir ; B. Pérez estime que l’usage de la couleur, et non le coloriage, est nécessaire à l’expression, et que là est le vrai motif de son usage par l’enfant. Car, quelles que soient les techniques, il recommande surtout de permettre à l’enfant de faire place à « l’attitude de la vie29 », à la couleur, au mouvement, à l’expression.

38De même que dans l’art de l’enfant on pourra désormais penser saisir la genèse de la représentation objective du monde, l’enfant devient donc le lieu privilégié de l’émotion et de son expression. Bien que la valorisation du « vécu » en pédagogie trouve déjà son origine dans l’« éducation des choses » d’Émile, ne peut-on voir ici une autre forme de cette valorisation, celle du sentiment éprouvé plus que de l’expérience active ? En tout cas, il serait possible de repérer la même logique dans la genèse d’autres arts. Ce que B. Pérez préconise pour l’art dramatique est à cet égard remarquable : il s’agit de faire représenter aux enfants des scènes qu’ils ont vécues30 plutôt que des scènes de théâtre classique, à la manière des jésuites. On assiste ainsi, de nouveau, à l’association d’une prise de position moderniste – ici, l’opposition à l’autoritarisme jésuite – et de l’idée que l’art spontané de l’enfant est préférable à l’inculcation de modèles hérités du passé.

39Ceci mène à un autre important déplacement : la valorisation de la création présente au détriment de l’imitation de l’art existant. La représentation de la vie par le dessin et la peinture ou la pantomime apparaît comme le résultat d’une tendance spontanée de l’enfant à exprimer les émotions aussi bien que d’une évolution de la faculté représentative des arts, mais elle est aussi comme l’amorce d’un art du présent, d’un art correspondant à l’état actuel des facultés de l’homme et à l’état présent de la société, comme le voulait J.-M. Guyau et avant lui H. Spencer (bien qu’avec une conception différente de la fonction de l’art). Ces suggestions s’opposent à d’autres approches de l’art considérées comme artificielles, ne tenant pas compte de l’évolution psychologique non plus que du progrès, et basées sur l’héritage du passé. Tout se passe comme si, désormais, l’entrée de l’enfant dans le domaine artistique ne dépendait plus tant du contact avec les œuvres existantes et de l’apprentissage d’un savoir-faire, que de sa liberté expressive, cette liberté puisant dans le vécu actuel son inspiration.

James Sully et l’enfant-artiste

40Il serait injuste de passer sous silence le rôle du psychologue anglais James Sully dans l’invention de l’enfant-artiste. B. Pérez trouva en lui un émule qui contribua beaucoup à la diffusion de ses idées. Dans la préface qu’il fit pour la réédition en 1886 des Trois Premières Années de l’enfant de B. Pérez31, il salue les contributions des psychologues H. Taine, B. Pérez à la science de l’enfant, à côté de celles de naturalistes comme Ch. Darwin et W. Preyer, ou de « physiciens » comme T. Tiedemann32. Pour James Sully, cette science nouvelle est appelée à devenir « un grand dictionnaire biographique de l’enfant33 ». Les Studies of Childhood parurent pour la première fois en 1895 et le livre est donc exactement contemporain de celui de J. M. Baldwin. Ce dernier lui reprocha son talent de vulgarisation et de synthèse au détriment de la production d’idées nouvelles. Aujourd’hui, on peut justement apprécier le panorama un peu éclectique donné par James Sully des idées de ses contemporains.

41Si le livre de J. Sully est décidément une compilation qui va des origines européennes de l’observation de l’enfant jusqu’aux psychologues américains du Pedagogical Seminary (voir infra), il comporte cependant un aspect novateur et, de plus, spectaculaire dans ses illustrations, dans les chapitres consacrés à l’art et l’enfant : « Child as an Artist », traduit dans l’édition française comme « L’Enfant-artiste », complété par une étude plus précise sur le dessin, « The Little Draughtman », « Le Jeune Dessinateur »34.

42B. Pérez abordait en pionnier un domaine qu’il a contribué à définir ; à la différence de son prédécesseur, J. Sully put englober dans sa synthèse les travaux américains, et en particulier ceux de Earl Barnes, collaborateur de G. Stanley Hall qui avait effectué un certain nombre d’enquêtes sur le dessin d’enfant dans le cadre du Pedagogical Seminary35. La méthode suivie par les Américains avait consisté, selon les directives de G. Stanley Hall, à rassembler et à confronter un grand nombre de dessins, pour beaucoup réalisés dans des écoles. Les dessins constituent pour le psychologue un substitut de l’observation, qui rend de plus possible une étude différée : trace matérielle de l’activité de l’enfant, on peut y traquer des processus mentaux.

43L’hypothèse qui présidait à la constitution de cette collection était que le progrès de la figuration à l’échelle de l’humanité se retrouve dans le développement spontané du dessin d’enfant, idée déjà familière à B. Pérez mais qui se trouve renforcée par l’importance que lui accordait G. Stanley Hall. À la suite, une exposition de dessins d’enfants avait d’ailleurs été présentée par les États-Unis à l’Exposition universelle de 1900. C’est à l’image de ces travaux, comme, plus tard, le livre de Georges-Henri Luquet, que les Studies of Childhood sont richement illustrées de dessins d’enfants. Cet aspect à la fois scientifique et concrètement illustré du livre lui a donné une allure de guide à l’usage des enseignants pour interpréter le dessin d’enfant, ce qui explique sans doute sa grande diffusion dans le domaine de la formation des maîtres. Mais là n’est pas directement l’intention affichée par l’auteur.

44Pour l’essentiel, J. Sully reprend, mais d’une manière beaucoup plus affirmée, les étapes du développement psychologique menant à l’activité artistique dégagées par B. Pérez. Ainsi, l’attirance du nouveau-né pour la lumière est interprétée comme prémice très lointaine de l’attirance pour la beauté visuelle. De même, il note, en reprenant quasiment textuellement son inspirateur, le caractère tardif, et donc « évolué », de l’intérêt pour le paysage chez l’enfant36. Mais là où B. Pérez avait tendance à ne voir que balbutiement et imperfection, et développait une vision négative de l’activité esthétique enfantine, J. Sully voit la possibilité d’une activité déjà véritablement esthétique chez l’enfant ou, du moins, pose les bases d’une appréciation positive de son « art », d’un rapprochement plus net de l’enfant et de l’artiste, par le biais du rapprochement entre l’art et le jeu : « Il est probable que les premiers essais artistiques de notre race sont sortis, tout au moins en partie, d’un déploiement d’activité se rapprochant beaucoup du jeu ; en tout cas, leurs points de ressemblance sont indiscutables. C’est ce lien entre le jeu et l’art que nous espérons mettre en relief dans cette étude et qui nous autorise à parler des dispositions artistiques comme étant un des traits caractéristiques de l’enfance37. »

45Cette activité libre qui absorbe attention et effort rapproche l’enfant de l’artiste ; il y a dans le jeu les prémisses de l’art. Dans la mesure où l’enfant progresse, c’est cette activité – et non ses résultats – qui mérite d’être considérée comme artistique. Ce qui intéresse le psychologue, c’est l’aptitude non apprise (self taught38), spontanée de l’enfant à trouver le chemin d’une activité traditionnellement référée à un apprentissage qui inféode l’enfant au savoir et à l’expérience de l’adulte. Bien que la position de James Sully soit très proche de celle de Bernard Pérez, il introduit ainsi une nuance dans l’appréciation des aptitudes artistiques de l’enfant ; le témoin des lointaines étapes de l’évolution, perdues dans les brumes de la préhistoire, devient aussi le représentant des posssibilités psychologiques actuelles et futures de l’humanité, ici dans le domaine de la création artistique.

46L’attachement aux manifestations spontanées de l’art enfantin mène d’ailleurs J. Sully, dans son étude du dessin, à des considérations surprenantes si on les compare à l’ouvrage classique dans ce domaine, le livre de G.-H. Luquet ; en effet, J. Sully considère qu’à un moment de son évolution, l’enfant commence à manifester, dans ses dessins, une intention d’exactitude. Ce que G.-H. Luquet nomme le « réalisme intellectuel » du dessin d’enfant et qu’il interprète comme un progrès dans l’intention de se référer à la réalité, même si le réalisme n’est pas atteint au niveau du résultat, est jugé par J. Sully comme un défaut dû à l’apprentissage et au progrès parallèle du raisonnement, qui éloignent l’enfant de ses sensations, source primitive de ses tentatives de figuration : remarquant que l’enfant est capable de représenter sans en être choqué les deux yeux simultanément sur une tête de profil, défaut déjà stigmatisé par B. Pérez, il en conclut qu’il s’agit de l’application d’une connaissance véhiculée par les mots, au mépris de ce qui est vu. Il en conclut : « Cela prouve que l’œil de l’enfant perd de bonne heure son innocence première et qu’au lieu de voir ce qui est réellement devant lui, il voit, ou prétend voir, ce que lui ont appris à connaître l’étude et la logique ; en d’autres termes, ces perceptions sensorielles ont été gâtées, sous prétexte d’art, par trop de raisonnements intellectuels39. »

47Alors que G.-H. Luquet considérera que cette étape est l’apogée du dessin enfantin et l’aboutissement de son évolution spontanée, tandis que Pérez s’attarde sur les « défauts » de ce dessin, J. Sully considère qu’il y a alors altération du sens artistique, donc une forme d’affaiblissement des capacités spontanées de l’enfant. Il s’agirait plutôt d’une perversion de l’art enfantin et de ce qu’il recèle de potentialités expressives, détachées de toute exigence d’excellence formelle40.

48Indépendamment de cette divergence entre des auteurs qui participent par ailleurs du même type de pensée, on peut dire que le point de vue de J. Sully s’explique par sa psychologie. Il n’envisage pas que l’intelligence puisse s’appliquer à la figuration elle-même et à la construction de son rapport avec le réel ; il envisage bien plutôt un conflit entre l’intelligence, réputée exprimer un concept et un savoir de l’objet, et la perception, réputée pouvoir guider avec justesse à elle seule le geste de l’artiste. C’est que le jeu comme l’art relèvent du règne de l’imagination, c’est-à-dire, pour lui, d’une pensée en images qui préexiste à la pensée exprimée par le langage. Cette pensée sans langage est celle des origines, comme celle du sauvage, comme celle de l’enfant, de la même manière que le monde des émotions, lui aussi lié à l’art et à la poésie, était le domaine de la femme et de l’enfant pour Pérez.

49Cette théorie, développée dans le livre de J. Sully au chapitre « The Age of Imagination » des Études sur l’enfance, a été reprise textuellement par Th. Ribot, en 1900, dans l’Essai sur l’imagination créatrice, où il se livre à une étude génétique de l’imagination. L’imagination créatrice y est décrite en terme de développement à l’échelle de l’espèce humaine, et la psychologie de l’art chez l’enfant y est intégrée comme l’un des maillons de la chaîne. Th. Ribot décrit différents stades du développement de l’imagination créatrice chez l’enfant ; ce chapitre prend place entre celui qui est consacré à l’imagination chez l’animal et celui qui concerne « l’homme primitif et la création des mythes ». Cette hiérarchisation est couronnée par « les formes supérieures de l’invention » chez l’homme civilisé. Le premier stade est constitué par la possibilité de l’illusion, où il y a déjà plus que dans la perception ; le second stade où apparaît l’imagination créatrice proprement dite est l’animisme où l’enfant prête vie et sentiments aux êtres inanimés, dont les jouets ; c’est pourquoi le troisième stade, celui du jeu, coïncide avec le deuxième. Dans le jeu, l’intérêt de l’enfant est absorbé par ce qu’il produit lui-même et dont il se sent la cause, ce qu’il crée, et cela même si l’adulte trouve pauvre cette création de l’enfant, dit Th. Ribot en citant B. Pérez. Le quatrième stade est celui de l’invention romanesque, des histoires et des légendes. Th. Ribot y ajoute, invoquant cette fois H. Taine et Ch. Darwin, le rôle créateur de l’imagination dans l’apprentissage du langage, l’extension du sens des mots étant permis par la ressemblance et la contiguïté.

50Th. Ribot réalise ainsi la synthèse d’une idée diffuse : l’enfant est, parmi les civilisés, le lieu privilégié de la création, de l’invention de la nouveauté, car il est dominé par l’imagination. Faute de produire une explication rationnelle du monde et une pensée abstraite, son activité créatrice est un fil conducteur qui mène de l’imagination animale à l’invention de l’artiste.

L’enfant et la réforme pédagogique41

51Déjà, en 1901, l’inspecteur primaire M. Baudrillard, prenant acte de l’intérêt des psychologues américains pour le dessin d’enfant, pouvait dire dans une communication à la SLPEPE qu’il était erroné de chercher « dans le dessin lui-même42 » une méthode d’enseignement, voulant dire ainsi qu’il fallait chercher du côté de l’enfant. Il formule ainsi d’une manière nette un décentrement de la pédagogie particulièrement sensible dans cette discipline. En 1909, l’inspecteur Gaston Quenioux fut à l’origine d’une réforme de l’enseignement du dessin, à la fois dans l’enseignement primaire et secondaire. Il avait d’ailleurs, pour appuyer ses vues, fait réaliser dans certains arrondissements de Paris des expositions de dessins d’enfants. On peut supposer que cette réforme s’inspire, compte tenu des atténuations et compromis habituels dans les textes officiels, de la nouvelle représentation de l’art enfantin. Il s’agit en effet de donner comme modèles à l’enfant des objets réels, lorsqu’on lui propose des modèles, car on demande aussi à l’élève de dessiner sans modèle et de traiter des sujets proposés grâce à son imagination. Il est recommandé de lui laisser le choix des moyens techniques, et de toute manière d’autoriser la couleur, l’apprentissage des règles de la proportion et de la perspective ne devant venir qu’après ce cheminement où le jugement du maître doit se faire discret pour ne pas l’entraver. Dans un livre intitulé L’Art et l’Enfant, Marcel Braunschvig résume ainsi les intentions de cette réforme :

« Avant tout, il importe de laisser l’enfant développer librement son goût naturel pour le dessin, dont on tâchera de lui rendre l’étude aussi attrayante que possible. Par conséquent, point de leçons didactiques ; quelques brèves indications du maître suffisent avant que les élèves ne commencent leurs dessins ; et, les dessins une fois terminés, le professeur en fait une correction générale, mais se garde bien de retoucher le travail de chacun. Avec cette méthode intuitive, qui demande simplement à l’enfant de faire effort pour rendre l’impression qui résulte en lui de la vue des objets, le maître, à vrai dire, n’a pas besoin de savoir dessiner lui-même : il faut seulement qu’il ait du goût43. »

52Certes, on assiste, avec l’idée que le maître n’a pas besoin de savoir dessiner lui-même, à un retour à Émile de Rousseau ; la réforme s’intègre dans un contexte où la psychologie de l’enfant n’est pas la seule composante du débat. Mais une autre idée s’ajoute à celle-là : l’enfant est le sujet d’un art spontané, l’art progresse non moins spontanément vers la représentation du réel et l’expression des sentiments.

53Les références à Froebel, Rousseau ou Pestalozzi que l’on trouve dans la littérature de l’époque (et déjà, par exemple, le terme de pédagogie « intuitive ») opèrent en réalité une synthèse entre des points de vue différents, l’un restant dans ce que nous appellerons une problématique de l’apprentissage proprement dit, l’autre se situant dans une problématique de l’expression des forces créatrices de la subjectivité chez l’enfant en développement.

54La nouvelle forme de psychologie qui opère derrière cette réforme postule qu’il existe un rapport spontané à l’art, lié aux expériences sensorielles originelles, et que l’enfant a la capacité de rééditer ces expériences sensorielles originelles. D’autre part, elle souscrit à cette croyance du xixe siècle : il y a un progrès de la pensée, la connaissance scientifique est l’aboutissement de ce progrès, et l’art est une forme ancestrale, originelle, pré-scientifique, de pensée. L’enfant est à l’intersection de ces deux idées, d’abord parce qu’il est l’expérimentateur toujours renouvelé des premières sensations, antérieurement à la civilisation ; et d’autre part, parce qu’il est une figure récapitulative de la civilisation, il est en connexion directe avec l’origine de l’art. Une relation inédite jusqu’alors, un rapport naturel de l’enfant à l’art peuvent apparaître.

55On peut se référer aux débats pédagogiques antérieurs à l’inflexion produite par la psychologie de l’enfant pour mieux mettre en évidence son caractère de nouveauté : Félix Ravaisson et Eugène Guillaume ne voyaient, chacun à leur façon, aucune cause naturelle à l’art et à son histoire. Cela ne les empêchait pas d’y voir comme un aboutissement. Pour F. Ravaisson, l’art a depuis longtemps dépassé son apogée, et l’on se situe à son égard dans un rapport d’héritage, doublé d’une nostalgie de l’âge d’or ; pour E. Guillaume, l’enseignement du dessin ne doit pas être artistique mais instrumental, en accord avec l’époque industrielle. Tout au plus envisage-t-il une progression du dessin vers les « arts du dessin », les beaux-arts, mais il s’agit d’une progression « grammaticale », déterminée à l’avance par des règles. Que F. Ravaisson mette en avant le poids de l’histoire ou E. Guillaume l’intemporalité des règles, aucune explication naturelle de l’art n’est possible.

56L’idée d’enfant créateur est constituée autour d’un paradoxe : selon la nouvelle psychologie, créer, c’est laisser faire la nature, au sens du xixe siècle qui inclut l’idée d’un développement ouvert. Par voie de conséquence, créer revient à s’affranchir de la culture (au sens où les créations héritées du passé peuvent constituer des modèles ou simplement des références) pour s’abandonner à une destinée biologique. L’enfant, chez qui se manifeste par excellence cette nature créatrice, ne doit donc pas être réprimé par la pédagogie, que cette dernière se justifie par l’imitation du beau ou par l’apprentissage de règles. C’est ainsi que l’art, domaine où prédomine traditionnellement la relation de maître à disciple, se trouve investi par l’idéal de la table rase.

57Les tenants de la nouvelle pédagogie, qui consiste à ne rien faire pour entraver le développement de l’enfant, pourront proclamer leur affranchissement à l’égard de l’académisme et de ses contraintes ; ils le feront au nom de ce rapport naturel à l’art, du déroulement de la récapitulation culturelle que la mémoire biologique contient. Un « élémentarisme » organisant la progression du simple au complexe subsistera également, soutenu par des lois qui ne sont plus des règles académiques ou géométriques, mais des lois organiques.

58La non-intervention de l’adulte, qui se justifie alors par cette certitude que l’enfant se détermine lui-même dans une progression guidée par son développement, peut mener à une difficulté, voire à une contradiction, celle qui ferait coïncider la propension de l’enfant à créer et les attentes de l’adulte dans le domaine artistique, ces dernières étant forcément culturellement et historiquement déterminées. Cette difficulté est inaperçue tant que la notion de progrès de l’enfant dans le domaine des arts demeure virtuellement orientée par l’idée de progrès artistique ou par celle de progrès intellectuel.

59On peut identifier là une matrice théorique des discours sur l’émancipation par la créativité qui fleuriront entre les deux guerres et après la Seconde Guerre mondiale. Pour aller plus loin, il faudrait s’engager dans une exploration de la manière dont les artistes se sont intéressés à l’art enfantin, poursuivre la réflexion entamée par Jessica Boissel. Sans doute les artistes ont-ils recherché dans cette voie un affranchissement de la tradition, et une origine, au sens où l’origine est une source permanente de renouvellement, plus que l’affirmation d’une récapitulation et d’un progrès. Ils ont pu également, dans la valorisation de l’origine, chercher des éléments constitutifs du processus créatif, comme la matière, la forme, la couleur. Il s’agirait plus d’une primitivité que de l’enfance des psychologues.

60En tout état de cause, ceci doit suggérer que la modernité artistique du xxe siècle n’est pas la source de la modification de la pédagogie de l’art, mais que celle-ci tire davantage son origine, au moins au départ, de la notion de progrès biologique appliquée à la pensée.

Notes de bas de page

1 Certains passages de ce chapitre sont parus dans Le Télémaque, n° 12, 1997, p. 51-59.

2 J. Boissel, « Quand les enfants se mirent à dessiner », Cahiers du musée national d’Art moderne, printemps 1990, n° 31, p. 15-43.

3 L’expression est de C. Gotze, auteur du catalogue de l’exposition de Hambourg, cité par J. Boissel, ibid., p. 22.

4 Ibid., p. 24.

5 C. Gotze, auteur du catalogue de l’exposition de Hambourg, cité par J. Boissel, ibid., p. 22.

6 B. Pérez, « L’âme de l’embryon et l’âme de l’enfant », Revue philosophique, 1887, t. XIII, p. 583-602, p. 584.

7 B. Pérez, « L’éducation du sens esthétique chez le petit enfant », Revue philosophique, 1879, t. VIII, p. 585-609.

8 J. Sully, « L’art et la psychologie », Revue philosophique, 1876, t. II, p. 321-334.

9 B. Pérez, « L’éducation du sens esthétique chez le petit enfant », article cité, p. 586.

10 Ibid., p. 588.

11 Ibid., p. 591.

12 Ibid., p. 592-593.

13 B. Pérez, L’Art et la Poésie…, op. cit., p. 4 ; voir H. Spencer « Les manières et la mode », Essais de morale, de sciences et d’esthétique, t. I, Essais sur le progrès, Paris, Germer-Baillière, 1877.

14 « Le plaisir de la vue que procure le contact immédiat de la nature suffirait donc à lui seul, et abstraction faite des plaisirs des autres sens, pour expliquer l’émotion toute particulière que le jeune enfant et aussi l’animal éprouvent en présence des objets naturels », ibid., p. 40.

15 « Nous ne pouvons pour Hélène, remonter bien loin dans cette recherche des influences héréditaires : les deux aïeux, du côté du père, étaient paysans, fils de paysans ; le grand-père maternel était lui aussi né à la campagne. […] Je suis porté à croire que c’est la mère, avec son bon cœur ouvert aux tendres impressions, et le petit parc du Jeudi, avec son mystère invitant aux douces rêveries, qui ont fait l’œuvre presque à eux seuls », ibid., p. 62.

16 Ibid., p. 121.

17 B. Pérez, « L’art chez l’enfant ; le dessin », Revue philosophique, 1888, t. XXV, p. 280-300.

18 Il ne serait pas satisfaisant de porter un jugement sur les opinions de Pérez au nom d’un préjugé moderniste, qui opposerait en particulier la figuration à l’abstraction. Pour s’en garder, il faut distinguer figuration et représentation : le premier terme peut être défini comme production d’image quelconque, et le deuxième comme code culturel déterminant historiquement cette image (voir G. Deleuze, Francis Bacon). Cette nuance dans la notion d’image permet de ne pas opposer brutalement la figuration à la non-figuration, la représentation du réel et l’abstraction. Les auteurs du xixe sont enfermés dans une conception académique de la représentation dont ils ne sortent pas ; ils ne font pas la distinction entre représentation (image réaliste ou renvoyant au réel idéalisé) et figuration (image en général, renvoyant au réel sur une infinité de modes possibles, ou n’y renvoyant pas). La modernité, quant à elle, a montré que la représentation académique n’était pas hégémonique, mais pour s’en dégager elle a invoqué l’abstraction contre la représentation académique, condamnant toute image figurative. Or, la fonction de la figuration ne se réduit pas à représenter le réel dans le cadre du code académique de la « représentation » réaliste, vraisemblable ou idéalisée. Pérez, donc, ne distingue pas la figuration-image et la représentation codée, ce qui ne l’épuise pas. Il accorde une prééminence absolue à la représentation codée de la fin du xixe siècle.

19 B. Pérez, L’Art et la poésie…, op. cit., p. 176.

20 Ibid., p. 177.

21 Ibid., p. 182.

22 Ibid., p. 204.

23 Ibid., p. 188-192. Cette remarque ouvre la possibilité de l’utilisation du dessin comme test pour la psychologie différentielle.

24 Ces points seront développés par G.-H. Luquet en 1927. Voir G.-H. Luquet, Le Dessin enfantin, Delachaux et Niestlé, Neuchâtel, 1977, 1984 ; 1re éd., 1927.

25 B. Pérez, L’Art et la poésie…, op. cit., p. 194.

26 Ibid., p. 193.

27 Ibid., préface, p. VII.

28 J.-M. Guyau, Problèmes de l’esthétique contemporaine, Paris, Germer-Baillière, 1884. Sur la personnalité de Jean-Marie Guyau, fils de G. Bruno, voir J. et M. Ozouf, « Le tour de France par deux enfants », Les Lieux de mémoire, sous la direction de Pierre Nora, t. I, La République, Paris, Gallimard, 1984. Cet ouvrage fut suivi de L’Art au point de vue sociologique, Paris, Alcan, 1889, 13e éd., 1923 ; il y est dit par exemple p. 383 : « […] l’art étant par nature un phénomène de sociabilité – puisqu’il est fondé tout entier sur les lois de la sympathie et la transmission des émotions –, il est certain qu’il a en lui-même une valeur sociale : de fait il aboutit toujours soit à faire avancer, soit à faire reculer la société réelle où son action s’exerce, selon qu’il la fait sympathiser par l’imagination avec une société meilleure ou pire, idéalement représentée ».

29 B. Pérez, L’Art et la poésie…, op. cit., p. 207.

30 Ibid., p. 230.

31 B. Pérez, Les Trois Premières Années de l’enfant, avec une introduction de James Sully, Paris, Alcan, 1886.

32 B. Pérez, Les Trois Premières Années de l’enfant, op. cit., p. VIII.

33 Ibid., p. VIII.

34 J. Sully, Studies of Childhood, London, Longmans, Green and Co, 1895 ; trad. fr., Études sur l’enfance, Paris, Alcan, 1898, avec une préface de Gabriel Compayré.

35 E. Barnes, « A Study of Children’s Drawings », Pedagogical Seminary, 1893 ; « Studies in Children’s Drawings », Studies in Education, t. II, Philadelphia, 1902.

36 J. Sully, Études sur l’enfance, op. cit., p. 425.

37 Ibid., p. 413.

38 « Un autre aspect de l’art enfantin doit être étudié avec soin, le dessin, et cela pour la bonne raison qu’il n’est absolument pas un produit de notre influence et de notre éducation, mais révèle par ses caractéristiques essentielles une activité spontanée, un apprentissage autonome de l’enfance qui en fait prend naissance dans le jeu. Ceci sera le sujet d’un prochain essai. » Le texte anglais est plus explicite que sa traduction : « There is one other department of this child-art which clearly does deserve to be studied with some care-drawing. And this for the very good reason that it is not wholly a product of our influence and education, but shows itself in its essential characteristics as a spontaneous self-taught activity of childhood which takes it rise, indeed, in the play-impulse. This will be the subject of the next essay  » ; J. Sully, Studies…, op. cit., p. 330, et trad. fr., op. cit., p. 458.

39 Ibid., p. 545.

40 « Même dans les essais informes où la convention et la tradition règnent en maîtresses, on voit de vagues indications d’une initiative individuelle plus libre. Examinez, par exemple, les diverses manières de représenter les cheveux, les mains, les pieds. Nous pouvons dire alors que même les enfants mal dégrossis des écoles primaires, qui probablement ne développeront jamais un talent artistique, manifestent un véritable sentiment de l’art. Il est juste d’affirmer que, malgré l’insuffisance de leurs dessins raides et anguleux, ils expriment une certaine individualité de sentiment et de tendance et que, comme les œuvres vraiment artistiques, ils nous transmettent une impression personnelle » ; ibid., p. 547.

41 Ce paragraphe s’inspire d’une recherche effectuée par Didier Caron et Jean-Claude Morice dans le cadre de l’INRP en 1993, demeurée inédite.

42 Bulletin de la SLPEPE, n° 2, 15 janvier 1901.

43 M. Braunschvig, L’Art et l’enfant, Toulouse, Privat, Paris, Didier, 1910, p. 295. Marcel Braunschvig fut l’un des fondateurs de la Société nationale de l’art à l’école, en 1907.

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