Introduction à la troisième partie
p. 155-156
Texte intégral
1La première psychologie de l’enfant, dominée par la méthode monographique, nous surprend par sa forme autant que par les espérances qui s’y attachent, habitués que nous sommes à l’association qui lui succédera, de la psychologie de l’enfant et du système scolaire. Nous ne nous étonnons plus de la psychologie qui compare et qui hiérarchise les enfants rassemblés en collectivité. Cette prégnance de la quantification, des tests dans le cadre de la rationalisation du système scolaire, la dénonciation même de cette orientation de la psychologie1 et les débats qui en ont résulté ont certainement contribué à masquer une autre dimension des développements de la science de l’enfant : presque simultanément à l’approche monographique émerge, sous des formes variées, une idée qui devait jouer durablement un rôle dans le domaine de l’éducation, que l’on peut appeler par commodité « l’enfant-créateur » ; l’enfant innove, intervient spontanément sur le monde, surprend l’adulte par ses initiatives, son énergie…
2Définissons cette inflexion : alors que, précédemment, l’enfant apparaissait comme chargé du poids du passé, dépositaire de l’évolution de l’espèce et associé à l’idée de mémoire, il se transforme en potentiel d’avenir, en intermédiaire entre un passé cumulatif et un avenir encore indéterminé. Bernard Pérez qualifie ainsi ce changement qui se joue pour l’essentiel au tournant du siècle : pour lui, l’éducation « est un des mille canaux de l’hérédité, elle fait du nouveau avec l’ancien2 ». Peu importe ici le flou de la notion d’hérédité, dans laquelle B. Pérez confond la transmission et l’héritage biologique proprement dit : l’essentiel est l’insistance sur l’aspect créateur de l’enfance, sa destination, qui est de renouveler l’héritage quel qu’il soit, d’innover.
3Cette figure de l’enfance comme re-création de l’espèce dans le futur prend forme de façon privilégiée du côté de la psychologie américaine, où les premières formes de psychologie « génétique » systématiques apparaissent. À travers l’étude de l’adolescence, tout d’abord ; dans un cadre encore strictement récapitulatif, elle assume le rôle d’avenir imprévisible de l’humanité. Dans la psychologie génétique de James Mark Baldwin, l’enfant, à travers son activité, devient lui-même producteur de ses progrès, progrès individuels qui sont appelés à se prolonger au niveau de l’espèce également, bien que J.-M. Baldwin relativise la théorie de la récapitulation proprement dite.
4Enfin, à la fois en parallèle et en continuité avec cette pensée américaine, la figure de l’enfant-créateur prend forme en Europe dans le cadre d’une réflexion sur le rapport de l’enfant à l’art, où l’art est considéré comme une forme d’activité intrinsèquement liée à l’enfance.
5Les figures de l’enfance issues de ce mouvement peuvent être résumées ainsi : l’enfant devient à l’adolescence un révolutionnaire sous l’impulsion d’une évolution biologique. L’enfant devient novateur et créateur de son propre apprentissage ; enfin, l’enfant devient, plus qu’un sujet en formation, un créateur sur le plan artistique. De nombreux recoupements entre ces trois aspects pourraient être mis en évidence, mais nous privilégierons l’étude en quelque sorte à l’état pur de ces figures de l’enfance. L’émergence de l’enfant-créateur sera mise en évidence chez Bernard Pérez, qui en est le principal porte-parole ; l’émergence de la nouveauté et de la jeunesse comme valeurs sera mise en évidence chez les psychologues américains Granville Stanley Hall et James Mark Baldwin.
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