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Introduction à la première partie

p. 21-23


Texte intégral

1La science psychologique de l’enfant s’élabore dans le champ des sciences et en fonction de la logique du raisonnement biologique. Dans cette mesure, on peut dire que, de façon paradoxale, la science de l’enfant ne vient pas d’un intérêt pour l’enfant, ni du progrès d’un sentiment de l’enfance ou d’une conscience nouvelle de sa valeur !

2Le terme d’« intérêt » peut désigner l’attention que l’on porte à l’enfant, et le souci d’améliorer son éducation. Cet intérêt existe sans aucun doute au xixe siècle. Pourtant la science de l’enfant n’en procède pas, et, au moins à ses débuts, elle se développe indépendamment de tout souci d’application. Il serait certes excessif de suggérer que les savants ne s’intéressent pas à cet objet, mais dans leur questionnement l’enfant est davantage un moyen qu’une fin, et c’est seulement au tournant du siècle que cette connaissance paraîtra s’organiser autour de buts pratiques concernant l’éducation, jusqu’à prétendre dominer totalement la réflexion dans ce domaine, d’ailleurs. Car la réflexion scientifique qui conditionne la naissance de la science de l’enfant engendre une certaine vision du développement de l’enfant basée sur son activité et un style nouveau de théories de l’éducation intégrant cette donnée.

3Pour définir la nouvelle idée de l’enfance qui apparaît, il est nécessaire de préciser les contenus de la notion, centrale en biologie au xixe siècle, de développement. Parler du développement de l’enfant est banal parce que cette idée se confond aisément avec la croissance ; mais cela ne doit pas dissimuler que les remaniements théoriques dont cette notion fait l’objet aux xviiie et xixe siècles rejaillissent directement sur la manière d’envisager le déroulement et les enjeux de cette croissance. En effet, elle servira d’exemplification et de champ de recherche expérimental pour étudier le développement de l’espèce humaine et plus précisément son évolution. Porter sur l’enfant le regard objectif de la science reviendra pour une part à y transporter les visions de la nature, de la vie, de l’histoire ainsi que les espoirs contenus dans les notions de développement au sens d’évolution. Affirmer cela n’implique pas de pratiquer une réduction de l’objectivité scientifique à des positions idéologiques : les mutations de l’idée de développement à l’intérieur même de la science biologique suffisent à rendre compte des prolongements qui lui seront donnés, dans le domaine de la connaissance de l’enfant, et de leur articulation à une théorie du progrès. Il n’est pas nécessaire de faire appel à la notion d’idéologie au sens de renversement de l’image de la réalité ou d’illusion, ou encore à celle de justification : si une telle lecture peut être faite, c’est d’abord parce que la possibilité d’un discours cohérent a été ouverte au préalable dans le champ des sciences de la nature.

4Revenons à un questionnement radical : il ne va nullement de soi que la connaissance de l’enfant soit la connaissance de son développement. S’il tombe sous le sens que l’enfant grandit, ou se « développe », cela n’entraîne pas que s’ouvre là un domaine de connaissance pertinent. Plutôt qu’une réflexion sur l’enfant qui engendrerait sur un désir de connaître son développement, c’est bien plutôt un certain type de réflexion sur le développement qui finit par conduire à une réflexion sur l’enfant. Comment cela a-t-il pu se produire ?

5Dans l’apparition de l’étude de l’enfant d’un point de vue scientifique, intervient tout d’abord la mise en chantier de la psychologie expérimentale, corrélativement à un rejet violent de la psychologie spiritualiste, le principal représentant de ce courant étant en France Théodule Ribot. La physique fournit depuis longtemps un idéal d’explication par les forces naturelles (Newton est déjà la référence de Locke dans l’explication de l’association des idées et il continue à inspirer E. Haeckel). D’autres sciences proposent une autre vision de la nature et du vivant : la physique et la physiologie deviennent à leur tour le modèle de la démarche et du progrès scientifiques. La physiologie met à jour le fonctionnement des organismes, où ce qui se présentait comme occulte devient apparent – cette analyse ouvre des perspectives à l’approche matérialiste de la pensée. C’est alors que des novateurs comme Théodule Ribot peuvent rêver de faire entrer la psychologie dans le cercle de ces sciences rigoureuses.

6Les premières observations de l’enfant, conformément à cette nouvelle orientation de la psychologie, revendiqueront un esprit expérimental. Mais, comme le fait observer Edwin G. Boring, l’objet de la psychologie expérimentale est « l’esprit humain, adulte » tel qu’il se révèle en laboratoire de psychologie 1. Passer à une observation directe de l’enfant suppose d’y chercher ce que l’adulte ne peut donner : l’éveil de l’intelligence et pas seulement son fonctionnement, la transition de l’animal à l’homme, puis, pour finir, la gradation de diverses formes d’intelligence 2.

7La possibilité d’une science de l’enfant est due pour une grande part à l’irruption de la théorie de l’évolution dans le concept de développement, qui, originellement, n’avait pas suffi à déclencher ce type de curiosité du savant. C’est pourquoi il faut s’interroger en premier lieu sur la notion de développement, et en particulier préciser la différence entre un concept préformationniste (et créationniste) de développement et un concept évolutionniste de ce développement, même si derrière cette simplification de nombreuses formes d’expression du concept peuvent trouver place.

Notes de bas de page

1 E. G. Boring, A History of Experimental Psychology, New York, Appleton Century Crofts, 2e éd., 1957, p. x (1re éd., 1929).

2 Ibid., p. 507. Boring note le passage d’une psychologie universalisante à une psychologie des différences individuelles.

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