Introduction
p. 13-16
Texte intégral
1Un parti politique de gauche, prévoyant dans son programme, pour les élections présidentielles françaises d’avril 2002, de conclure « un pacte de confiance avec la jeunesse » ; un autre parti, de droite celui-ci, adoptant ce slogan de compagne : « La société de confiance » ; et une candidate, de gauche également, menant la sienne sur le thème de la « confiance sociale ».
2Des pays d’Europe de l’Est confrontés, nous dit-on dans une note de conjoncture, à de graves déséquilibres « qui ont sapé la confiance des populations envers leur propre monnaie et le système d’épargne » ; et des économistes de la BCE soulignant que la nouvelle monnaie, l’euro, n’est pas seulement un moyen d’échange mais aussi « un signe de confiance dans l’Europe ».
3Un chancelier d’Allemagne, avant d’engager la Bundeswehr en Afghanistan, réclamant de son Parlement un « vote de confiance ».
4Des éducateurs de rue tentant d’instaurer, dans des banlieues en déréliction, « une relation de confiance avec des jeunes en difficulté, basée sur la discrétion, la confidentialité et le principe de libre adhésion à la prise en charge ».
5Un ministre russe, après que les présidents Poutine et Bush se furent, en janvier 2002, chaleureusement serré la main et que le second ait déclaré accorder une totale confiance au second (cette poignée de main devant utilement remplacer, selon lui, d’interminables palabres).
6Un directeur de l’OMC estimant que le lancement d’un nouveau cycle de négociations lors de la conférence de Doha était « un signe de confiance dans ces temps difficiles ».
7Un vice-président de la FED, la Réserve fédérale des États-Unis, faisant remarquer, après le scandale (et la faillite) d’Enron (mais avant celui de WorldCom, qui fit redoubler ces mêmes commentaires), que « sans une information honnête et fiable, un marché financier ne peut tout simplement pas fonctionner » ; et le PDG du cabinet PricewaterhouseCoopers publiant, quelques mois après ces sinistres impliquant de grands cabinets de conseil, un ouvrage au titre évocateur : Restaurer la confiance.
8Une technique de financement d’activités illégales, dite hawala (littéralement « confiance », en hindoustani), consistant à déposer de l’argent chez un courtier à Dacca, celui-ci avertissant alors son correspondant à Londres du dépôt de fonds, et qui remet la somme correspondante à un « client ».
9Que retenir de cet inventaire d’événements, relevés au hasard de la presse quotidienne de ces derniers mois ? Essentiellement deux points :
la présence, aujourd’hui massive, de la notion de confiance (sa nécessité ou sa perte) dans les catégories de pensée et de pratique des acteurs sociaux ;
le fait que cette dimension de l’activité sociale est désormais (et systématiquement) mesurée, abondamment commentée ou dramatiquement recherchée par ces mêmes acteurs.
10Jamais ce mot, en effet, n’a été autant prononcé ou écrit, jamais la confiance n’a été aussi invoquée qu’à l’heure actuelle (pour en regretter le déclin comme pour en saluer les vertus). Pour quelles raisons ? L’objectif de ce livre est précisément de les inventorier et, ainsi, de mieux comprendre le rôle de la confiance dans nos sociétés. Au travers de dix-sept contributions, il esquisse diverses hypothèses pour expliquer l’émergence de la notion, au milieu des années 1990, tant dans les sciences humaines qu’en sociologie, en sciences politiques, économiques ou de gestion - c’est le côté performatif de cet ouvrage : contempler une émergence pour mieux l’affirmer, pour mieux légitimer la notion dans le corpus des sciences sociales ; mais il vise également à explorer - c’est son côté illocutionnaire, pour demeurer dans le langage de la philosophie du langage, soit : questionner, affirmer, commenter - diverses situations où la confiance est mobilisée (l’élevage bovin au Cameroun, l’organisation d’obsèques en France, l’usage de drogues en Belgique, etc.).
11Nous rejoignons par là – ou plutôt nous contribuons à – une tradition fort récente (et européenne) de travaux autour de cette notion. Celle-ci commence à être relativement travaillée car jugée digne d’attention par différents chercheurs ; il suffit d’examiner, par exemple, les contributions récemment réunies par Romain Laufer (2000) pour s’en convaincre. Elles font suite, après les premières synthèses venues d’outre-Atlantique (Gambetta, 1988 ; Lorenz, 1993), à d’autres contributions, pour le champ français, auxquelles le présent travail est redevable : le numéro spécial de la Revue du MAUSS (1994), les séminaires de l’ADSE, de l’université Lyon 2, de l’UT de Compiègne, de Grenoble 2, etc., dont la plupart des actes ont été publiés (Bernoux et Servet, 1997 ; Thuderoz, Mangematin et Harrisson, 1999), le numéro spécial de la revue Économies et sociétés (1998), sans oublier les publications séminales de Bernard Baudry (1992) et, bien sûr, de Lucien Karpik (1996). Bref, une efflorescence de travaux qui érige désormais la confiance en sujet de controverse dans les sciences sociales, lui ôtant peu à peu une part de son « mystère », même si celle-ci recouvre encore bon nombre de ses dimensions - Louis Quéré (2001), en présentant le dossier qui lui est consacré dans la revue Réseaux, souligne ainsi que sa structure nous échappe encore en partie, que la notion demeure peu opérative et que le phénomène lui-même est fort hétérogène.
12Une floraison de travaux, d’ailleurs, qui s’effectue à l’occasion d’un double mouvement : d’une part, une production à vocation scientifique diagnostiquant un renforcement de l’individualisme et de l’extension du souci de soi, insistant sur la dégradation du lien social, l’exacerbation de la concurrence économique avec le lot de laissés-pour-compte qu’elle génère, ou sur les rapports de contrôle et de domination qu’elle engendre ; d’autre part, un foisonnement de recherches sur la coopération, au travail comme entre firmes, ou sur les alliances, les accords et les modalités de coordination entre agents. Dans ces divers développements, la notion de confiance (ou de défiance, ou de méfiance) tient une place importante, que celle-ci s’exprime, ou soit étudiée, au niveau interpersonnel, intra- ou inter-organisationnel, ou encore institutionnel.
13Qu’est-ce que la confiance ? À quelles occasions est-elle mobilisée, à quels besoins répond-elle ? Quels sont les mécanismes qui la sous-tendent et lui permettent de s’exprimer ? De quels autres sentiments, ou comportements, est-elle accompagnée ? L’instruction de ces questions, amorcée dans un ouvrage précédent, sera poursuivie et guidée ici par quelques principes :
explorer divers « mondes de confiance », en portant l’attention sur ceux (les individus) dont elle est requise ou auxquels elle est accordée. Cette posture nous permettra d’interroger des situations sociales ou économiques contrastées, voire colorées, souvent ordinaires, mais qui, toutes, ne peuvent se structurer, ou simplement exister, sans un travail incessant de construction, de maintenance, ou de renouvellement de la confiance ;
ne se focaliser ni sur la seule confiance institutionnelle, ni sur les seules relations de confiance interpersonnelle mais, au contraire, embrasser ces deux registres simultanément, penser leur articulation concrète dans l’action ;
enfin, multiplier les hypothèses, oser l’interdisciplinarité. Sociologues, ethnologues, économistes, juristes, gestionnaires et historiens fournissent ici de multiples clés, tracent de nombreuses pistes. Car l’enjeu de ce débat n’est pas anodin : il réside à la fois dans la capacité des sciences sociales de se saisir d’un objet encombrant, aux formes labiles et hétérogènes, mais peu théorisé – la confiance –, et de le faire en croisant les regards disciplinaires, tant la compréhension de cet objet se loge à leurs frontières, ou dans leur contiguïté.
14Préfacé par L. Karpik qui explore les fondements symboliques de la confiance, ce livre est construit autour de deux parties, complémentaires. La première, « Questions de confiance », regroupe des contributions qui interrogent la notion de confiance ou qui s’imposent d’explorer diverses situations sociales où celle-ci, alors qu’elle ne semble pas y constituer un élément fonctionnel, participe pourtant, voire est constitutive ou permissive, de ces situations : le rapport d’emploi, la relation école-entreprise, l’enquête sociologique, l’expatriation, le fonctionnement pénal, etc.
15La seconde partie, « Actes de confiance », rassemble des textes qui mettent en scène la confiance dans la relation sociale et économique. Ils décodent des situations sociales qui requièrent un degré minimal de confiance pour que la relation ait lieu.
16Là, que ce soit au moment des obsèques d’un être cher, lors de la fusion d’un groupe industriel avec son concurrent ou quand un consommateur tente de faire un choix judicieux dans l’achat de bouteilles de vin millésimé, la confiance est clairement un élément fonctionnel, sans lequel ces mondes socio-économiques ne sauraient véritablement fonctionner. Chaque chapitre montre comment les individus investissent dans des modes de construction de la confiance, qu’elle soit inter-individuelle, inter-organisationnelle ou dans des institutions.
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17Cet ouvrage poursuit ainsi l’effort engagé lors d’un précédent ouvrage collectif, La Confiance : approches économiques et sociologiques (1999). Il s’inscrit dans une même ambition : contribuer à l’effort analytique autour des notions de confiance et de méfiance ; susciter d’autres travaux d’observation de cette confiance en actes ; explorer diverses heuristiques de recherches. Il a bénéficié des suggestions et des remarques de Jacqueline Estadès, Joëlle Forest, Annette Jobert, Françoise Osty, Jacques Bélanger, André Béraud, Reynald Bourque, Michel Lallement, Bruno Lamotte, Guy Minguet, Olivier Mériaux, Jean Soubrier, lectrices et lecteurs attentifs de ces contributions. Qu’ils en soient tous remerciés.
18Mariane Damois et Valérie Wallet, de l’INRA, ainsi que Brigitte Pennaguer, de CNRS Éditions, nous ont apporté un concours précieux dans la mise en forme de cet ouvrage. Qu’elles trouvent ici l’expression de notre sincère reconnaissance. Les précautions d’usage s’appliquent. Nous restons seuls responsables des erreurs et omissions.
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