Chap. 18
Travail des matières osseuses et productions associées : la particularité de Klimonas
Osseous material work and production : the peculiarity of Ayios Tychonas–Klimonas
p. 321-337
Résumés
La série en matières osseuses d’Ayios Tychonas - Klimonas ne compte que 43 vestiges au total (dont 34 objets finis) mais elle est riche de renseignements sur les productions domestiques des villageois PPNA de Klimonas. La présence in situ de toutes les catégories d’artefacts (déchets de débitage et de façonnage, blocs abandonnés en cours de débitage, objets) atteste du caractère autochtone de la production des outils en matières osseuses. Seul l’os a été travaillé (essentiellement os longs d’oiseaux et de suidés, seuls grands vertébrés présents à Chypre à cette époque). Quatre schémas de transformation ont été identifiés avec une nette prédominance du façonnage direct et de l’extraction qui se décline en deux variantes. Tous ont conduit à la production d’outils appointés – majoritaires dans l’équipement – à partir de supports allongés, à l’exception du schéma de transformation par tronçonnage (production de tube). L’emploi dominant du schéma de transformation par extraction est plutôt original et signerait une spécificité de l’île. En effet, sur le continent, ce sont surtout les schémas de transformation par bipartition et par façonnage direct qui sont suivis pour les mêmes objectifs (produire des outils appointés) sur les mêmes blocs osseux. Or, ces façons de concevoir l’exploitation du bloc sont bien différentes de celle mise en œuvre à Chypre où les artisans ont aussi conduit de façon peu commune l’extraction par rainurage longitudinal bilatéral. La question se pose de savoir ce qui a motivé ces choix qui sortent de la tradition technique continentale. Mais nous avons aussi observé l’existence d’affinités avec les productions osseuses du continent proche-oriental ce qui rejoint ce qui a été vu dans d’autres domaines sur les relations entre les groupes du continent et ceux de Chypre. Néanmoins, les systèmes d’exploitation de l’os du PPNB ancien et moyen de Shillourokambos puis du Néolithique acéramique de Khirokitia pourraient refléter d’importantes fluctuations dans les convergences techno-culturelles entre Chypre et le Levant continental.
The Ayios Tychonas–Klimonas osseous industry, attributed to the PPNA, is not particularly abundant (43 remains in total), but is nonetheless rich in information on the domestic production of PPNA groups on the island of Cyprus. Bone is the only selected and processed osseous raw material. The assemblage here consists mainly of long bones – mostly tibias and ulnas – from the most consumed species (wild boar and birds). Four transformation schemes have been identified. Two of the main ones are extraction transformation schemes, involving two variants of debitage, and the direct shaping transformation scheme. The fracturing scheme is attested by several remains, while a single element was produced by sectioning. Apart from the latter, associated with the production of a tube, all of the schemes generally focused on the production of elongated blanks for making pointed tools. These tools constitute almost all of the bone equipment. The predominance of the extraction scheme for the debitage of these long bones is rather original in comparison to the preferential use, on the continent, of bipartitioning and direct shaping transformation schemes for the same objectives – the production of pointed tools. This production clearly shows varying degrees of investment and differs markedly from direct shaping or bipartitioning, in terms of planning (choice of location and delimitation of the future blank) and practice (preparation for extraction by bilateral longitudinal grooving). It will be interesting, in the future, to verify whether this choice was a constant in the hard animal material productions of the Cypriot PPNA. The in situ presence of all the categories of artefacts produced during the different transformation phases (debitage and shaping waste, material abandoned during debitage, finished objects) attests to the indigenous character of bone tool production. Their distribution shows that these operations took place in the structures of Sector St 10 (Communal building) and Sector B. A lot of the remains were found in a primary position, in the abandoned layers of the structures; others were found in a secondary context, reused in walls, post holes or foundation trenches, for example. The latter correspond to certain types of products (bones abandoned in the course of debitage, extraction matrices and some finished objects) which, unlike most other worked bone remains, are complete or almost complete. However, other types of remains (faunal – such as Suidae tibias, commonly used in the working of hard animal materials – tools made of bone or lithic materials, ornamental objects) were also buried in this type of deposit. Equivalent practices have been recorded on the Near Eastern continent, where deposits consisting of selected anatomical animal parts played an important role in the economic system. In spite of a necessary adaptation to Cypriot insular contingencies, especially in terms of the exploited species, we observe the existence of technological affinities with the production of bone materials on the Near Eastern continent (similar types of objects produced and methods employed). This is in line with observations in other spheres of activity concerning relations between groups on the continent and those on the island of Cyprus. Finally, the bone production of early and middle PPNB Cypriot groups, documented at the Shillourokambos site, marks a rupture with the Klimonas PPNA. PPNB production shows an evolution in supply and transformation systems, and becomes more similar to continental production. Subsequently, during the recent Khirokitia PPNB, Cypriot productions seem to have evolved locally, without any new exterior input. These data could be indicative of a non-linear process of contacts between Cypriot island societies and those of the Levantine mainland.
Remerciements
Delphine Gilot pour la restauration des pièces et pour les discussions sur leur état de conservation. Nous remercions également Karyne Debue pour sa disponibilité et ses conseils pour une première identification taxinomique de la matière première.
Texte intégral
Introduction
1Avec 43 vestiges au total, deux blocs en cours de débitage, trois déchets, trois produits indéterminés et trente-quatre objets, la série en matières osseuses d’Ayios Tychonas - Klimonas, relative au PPNA, n’est pas particulièrement riche mais elle renseigne sur les productions des groupes les plus anciens qui peuplèrent l’île de Chypre.
2Cette industrie, sur os exclusivement, témoigne de l’emploi de quatre schémas de transformation, dont deux – le schéma de transformation par extraction et le schéma de transformation par façonnage direct – ont largement prédominé sur les deux autres. Tous, à une exception, ont conduit à la production d’outils appointés dont est constituée la quasi-totalité de l’outillage présent.
1. État de conservation du corpus
3L’évaluation de l’impact des agents post-dépositionnels sur les vestiges en matières dures animales travaillées est nécessaire pour deux raisons : détecter la préservation dite « différentielle » du matériel osseux et déterminer le potentiel de la série en évaluant le degré de lecture des surfaces (Auguste 1994a, p. 18 ; voir aussi Auguste 1994b, Behrensmeyer et Hill 1980, Shipman 1981, Averbouh et al. 2010, p. 67 ; Fernandez-Yalvoet rews 2018). À Klimonas, les vestiges en matières osseuses travaillées présentent un état de conservation assez médiocre, comparable à celui des autres ossements (chap. 24). La presque totalité du corpus (42 pièces) a subi l’action de divers processus taphonomiques qui ont altéré les surfaces rendant souvent difficile voire impossible la lecture des stigmates techniques et des microtraces fonctionnelles (fig. 18-1, A).
4La présence envahissante des concrétions carbonatées (fig. 18-1, F), identifiées sur un grand nombre des pièces (NR = 35), a exigé l’intervention d’une restauratrice sur 14 pièces pour ouvrir à la lecture les zones les plus intéressantes ce qui a parfois permis de retrouver des stigmates techniques, même à l’état vestigial. Pour une autre partie des vestiges concrétionnés, en revanche, il n’a pas été possible de conduire une étude technique de détail car la surface n’a pu être nettoyée efficacement. De la même manière, les surfaces des pièces touchées par la dissolution d’origine biochimique (NR = 25), en grande partie due à l’action des racines, ont perdu à jamais leur aspect d’origine (fig. 18-1, B-E). N’étant que rarement très étendues, ces modifications n’ont généralement pas empêché l’observation des stigmates techniques mais ont grandement limité l’identification et l’interprétation des microtraces d’origine fonctionnelle.
5La fragmentation, quant à elle, concerne un grand nombre de pièces (NR = 38), notamment les objets. Ainsi, en dépit des tentatives de recollage des fragments entre eux, ces pièces sont majoritairement présentes sous forme de petites portions, parfois d’ordre millimétrique. Ces forts taux et degré de fragmentation des objets témoignent de l’abandon des objets usés, devenus non fonctionnels, mais aussi, potentiellement déjà fragmentés sur lesquels les agents d’ordre taphonomique ont poursuivi leur œuvre.
6Les altérations chromatiques, dont la plupart ont été causées par le contact avec le feu, restituant une surface teintée de brun clair à blanc ou noir, ont été observées sur 15 vestiges (fig. 18-1, E). Enfin, l’exfoliation des surfaces a été identifiée sur une seule pièce. Ces deux dernières modifications n’ont pas empêché la lecture des stigmates techniques mais ont limité fortement la conservation des microtraces fonctionnelles.
7Sur le plan spatial, on ne relève aucune concentration particulière des pièces altérées, à deux exceptions près. L’une renvoie à un petit ensemble dont les pièces qui le composent – un déchet, quelques objets finis et deux blocs abandonnés au cours du débitage – ne sont pas fragmentées ce qui semble être en relation avec leur lieu de découverte : ils proviennent, en effet, pour la plupart, de dépôts primaires (sauf le n. 29 inv. MDA, Secteur B, St 6600), d’ailleurs en partie intentionnels (cf. chap. 31). L’autre concerne l’action de la dissolution (cupules, traces de racines), reconnue dans tous les types de structures et tous les secteurs, mais davantage observée sur les vestiges du Secteur du Bâtiment communautaire (NR = 14 sur 25 en total).
2. Approche technique
8Même si parfois l’état de conservation des pièces a fait obstacle à leur lecture technologique, la détermination taxinomique associée à l’observation et la caractérisation technique et fonctionnelle des pièces ont permis de collecter l’essentiel du potentiel informatif de la série. Complémentairement, l’application de la démarche technologique, et plus particulièrement du remontage par défaut, nous a permis de reconstituer l’histoire technique et économique des blocs de matière première, de leur acquisition à leur abandon en passant par leur transformation et les productions associées (Averbouh 2000, 2001).
2.1. L’acquisition de la matière première
9Le fort taux de fragmentation et le fort degré de transformation des produits finis n’ont pas permis de déterminer précisément l’espèce et la partie anatomique de plus de la moitié des vestiges (NR = 24). Pour les autres, identifiables (NR = 18), ce sont les ossements du petit sanglier chypriote qui arrivent en tête (tab. 18-1) avec une sélection prédominante de tibias et de fibula sur celle de fémur et d’humérus représentée de façon marginale (NR = 4). Une autre famille de taxons, celle des oiseaux, a également été exploitée mais seuls deux éléments en témoignent.
Tab. 18-1 – Répartition du nombre de vestiges par attribution taxinomique.
Espèce | Partie anatomique | NR |
Sus scrofa | fémur | 1 |
fémur ? | 1 | |
fibula | 6 | |
fibula ? | 3 | |
humérus | 1 | |
tibia | 6 | |
Cf. Sus scrofa. | tibia ? | 1 |
Ruminant | ind. | 1 |
Oiseau/Corvidé ? | radius ? | 1 |
Oiseau | os long | 1 |
Mammifère petites dimensions | os long | 1 |
Mammifère moyennes dimensions (Sus scrofa ? Capriné ?) | os long | 1 |
Mammifère moyennes dimensions | ind. | 1 |
os long | 5 | |
Mammifère | os long | 1 |
Indéterminé | os long | 8 |
ind. | 4 | |
TOTAL | 43 |
La détermination a été effectuée par J.-D. Vigne, CNRS.
10Ce choix très prononcé des occupants de Klimonas pour une matière première issue d’une ressource exclusivement îlienne traduit une dépendance forte entre l’accès aux ressources osseuses et leur intégration économique – et nous le verrons plus tard, leur adaptation technique – au système de production des équipements. De fait, l’étude des restes fauniques a mis en évidence que le sanglier constituait la base des ressources alimentaires carnées (Vigne et al. 2012 ; chap. 24), complétée par la consommation d’oiseaux et encore plus rarement d’autres espèces (crabes d’eau douce et reptiles), ces derniers n’ayant pas été utilisés à des fins techniques.
2.2. La transformation
11Quatre des cinq schémas de transformation connus (Averbouh 2000) sont représentés à Klimonas mais de façon très inégale. Dix-sept pièces renvoient aux deux schémas de transformation majoritaires : par extraction et par façonnage direct. En revanche, deux seulement relèvent du schéma de transformation par fracturation mais, son imbrication avec la fracturation des os pour des raisons alimentaires ou utilitaires (l’obtention de la moelle osseuse pour graisser les peaux, par exemple) rend plus difficile l’identification des produits de cette transformation, en particulier celle des déchets de débitage. Enfin, un seul élément, un objet, atteste a minima de la représentation du schéma de transformation par segmentation (dit aussi, par tronçonnage).
12Au total, ce sont donc 21 vestiges d’industrie osseuse qui sont attribuables à des schémas de transformation déterminés et constituent, dans le premier cas, l’ensemble technologiquement homogène à partir duquel ont été réalisés les remontages par défaut puis, caractérisés les débitages correspondants. Le reste (NR = 22), composé de fragments d’objets millimétriques à centimétriques, est resté sans attribution ce qui limite son apport à l’étude technologique aux seuls aspects pratiques techniques.
2.2.1. Le schéma de transformation par extraction
13Attesté par la majorité des vestiges identifiables typo-technologiquement, ce schéma, représenté par des déchets de débitage et des objets, a été conduit sur plusieurs blocs – exclusivement des tibias de sanglier – au cours de l’occupation du site. Deux variantes ont été reconnues : la première (variante 1) conduit à la production d’une baguette extraite de la face postérieure de l’os ; la seconde (variante 2) conduit à celle d’une baguette constituée par la crête tibiale, extraite de la face antérieure de l’os.
2.2.1.1. Les vestiges
14Une matrice à extraction unique, deux blocs en cours de débitage, six objets appointés et deux objets indéterminés composent l’ensemble des produits techniques relatifs au débitage par extraction.
15La matrice à extraction unique relève de la variante 1. Sur tibia droit de sanglier, elle a été retrouvée en deux fragments dont le recollage a été réalisé au cours de l’étude en laboratoire. Les deux proviennent du Secteur B mais de contextes archéologiques différents : un fragment, correspondant à la partie mesio-proximale, a été trouvé dans la St 649, une fosse ovalaire creusée dans l’US 6007 (TB2, n° 26 de l’inventaire MDA, St 649 ; fig. 18-2, 1) et l’autre, constitué de la partie mesio-distale, a été découvert dans l’US 6033, couche de démolition du bâtiment B12 (n° 27 de l’inventaire MDA ; fig. 18-2, 1). Tous deux sont très concrétionnés mais de manière inégale : la surface du premier est trop altérée pour être lisible alors que celle du second l’est encore. Le tibia conserve les faces antérieure et latérale ainsi qu’une partie de la face médiale. Les deux extrémités ne sont pas conservées, tout comme la face postérieure. Sur cette dernière on remarque un espace vide délimité des deux côtés par des pans très réguliers, orientés longitudinalement par rapport à l’axe principal de la pièce. Ces pans (pan droit : 170,5 x 4,2 mm ; pan gauche : 157 x 4,5 mm) sont marqués par des stries profondes ou superficielles, longues, continues et parallèles entre elles, orientées parallèlement à l’axe longitudinal de la pièce. Ces caractéristiques conduisent à l’identification de deux sillons de rainurage, matérialisés par deux demi-pans. L’espace vide central est celui qui était occupé par la baguette extraite. Compte tenu de la morphologie générale de la pièce et de l’organisation des deux pans de rainurage entre eux, il est possible de confirmer l’attribution technologique à ce schéma et cette variante. Les deux portions réunies, cette matrice d’extraction mesure 184,3 mm de longueur, 33,6 mm de largeur maximale pour 23,2 mm d’épaisseur. Le support de type baguette, extrait de la face postérieure, devait avoir une section sub-rectangulaire et selon l’espace identifié en négatif, une longueur maximale de 173 mm pour une largeur maximale de 14 mm.
16Le premier bloc en cours de débitage (n° 29 de l’inventaire MDA ; fig. 18-3, 1) appartient à la variante 2. Il s’agit d’un tibia gauche de sanglier presque entier, dépourvu des extrémités proximale et distale et de la périphérie mésio-distale, mais conservant la crête tibiale. D’une longueur maximale de 142 mm pour une largeur maximale de 26 mm et une épaisseur de 26 mm, il est relativement bien conservé. Les concrétions, concentrées sur des zones assez limitées de la face médiale et latérale – anatomiques – et sur les fonds des sillons de rainurage, ont permis une observation approfondie des stigmates techniques. Témoignant d’un rainurage, les pans des sillons sont plans, d’inclinaison oblique et couverts de stries longues, parallèles entre elles. Parallèles à l’axe longitudinal de l’os et parallèles entre eux, les sillons délimitent une partie sub-rectangulaire de la surface correspondante à la face antérieure. Tous ces éléments concourent à reconnaître une préparation à l’extraction d’un support de type baguette. Long et robuste (approximativement 140 mm de longueur, au plus, pour 12 mm de largeur maximale), celui-ci conserve la crête tibiale et présente de ce fait une section triangulaire à proximité de la crête tibiale mais elliptique sur la partie mésiale de l’os.
17On peut s’interroger sur l’arrêt de ce débitage avant l’extraction du support. Il est possible que le creusement inégal des deux sillons, l’un suffisamment profond pour permettre le détachement de la baguette, l’autre, non abouti et de trop faible profondeur pour y parvenir, en soit la raison. Mais rien ne permet d’affirmer que l’extraction n’a pas été réalisée car ce déséquilibre ne pouvait plus être corrigé et conduisait inévitablement à un accident lors du détachement ou si elle pouvait être menée à bien en augmentant la profondeur du sillon à reprendre. Dans le premier cas, nous aurions un déchet de débitage abandonné pour erreur rédhibitoire, dans le second, nous aurions un bloc en cours de débitage mais non abouti pour une raison qui nous échappe.
18Le deuxième bloc (n° 30 de l’inventaire MDA, St 10, US 168.5, tranchée de fondation du Bâtiment communautaire St 10 ; fig. 18-3, 2) est attribuable à la variante 2. Il s’agit également d’un tibia gauche de sanglier conservé dans son intégralité à l’exception des extrémités distale et proximale. Avec une longueur résiduelle de 155 mm, 23 mm de largeur et une épaisseur de 27 mm, ce bloc est très bien conservé par rapport à la moyenne avec seulement de petites zones concrétionnées. Des incisions superficielles, situées sur les faces médiale et latérale, -délimitent une portion de l’os correspondant à la future baguette à extraire. Une troisième incision, moins profonde, est tracée sur la face postérieure. Ces incisions témoignent d’une tentative d’extraction (simple ou multiple ?) abandonnée à ses débuts, peut-être à cause d’un manque de précision dans la réalisation des incisions préparatoires au rainurage (voir partie sur les techniques). Les -dimensions de la baguette délimitée sur la face antérieure, calculées en considérant les bords internes des incisions les plus profondes, sont très similaires à ceux du support du bloc précèdent : 155 mm de longueur pour 12 mm de largeur. Toutefois, on peut estimer que si la préparation à l’extraction avait été menée à son terme, la largeur de la baguette serait moindre car le rainurage, même précis, conduit inévitablement à l’élimination de matière sur la matrice mais aussi sur le futur support. On peut alors se demander si ce support aurait été adapté ou non à sa future fonction. Dans la négative, cela pourrait expliquer l’abandon de ce débitage qui ne répondait plus aux objectifs visés : la production d’un support destiné à être façonné en objet appointé d’un certain calibre (cf. infra).
19Les objets relevant du schéma de transformation par extraction sont dans tous les cas des objets appointés. Deux types se distinguent selon leur morphologie. Ils sont chacun compatibles avec l’une des variantes.
20Le type 1, allongé et présentant une section rectangulaire ou elliptique, renvoie à la production des supports issus de la face postérieure – anatomique – des tibias (variante 1). Quatre vestiges appartiennent à ce type. Ils sont tous fragmentaires et portent des traces de contact plus ou moins prolongé avec le feu (n° 10 de l’inventaire MDA, US 10.28, B36 ; n° 11, US 10.5 ; n° 12, St 10, C37.1, US 10.5 sous AJ ; n° 25, US 10.38, D35, déc. 3). Deux pièces correspondent à la partie mésio-proximale (fig. 18-4, 1-2) et une à la partie distale (fig. 18-4, 3) des objets. Bien que la quatrième soit conservée seulement sur une petite portion mésiale, sa morphologie est compatible avec ce type de support (fig. 18-4, 4). La largeur et l’épaisseur des vestiges sont similaires à celles du support théorique obtenu de la matrice (fig. 18-2).
21Le type 2, allongé et de section triangulaire, est compatible avec les supports obtenus sur la face antérieure – anatomique – des tibias (variante 2). Trois exemplaires présentent les caractéristiques du deuxième type. Ils sont entiers ou presque entiers (n° 17 de l’inventaire MDA, St 6927 ; n° 28, St 6633, dans St 691 ; n° 7a et n° 24, TB 12, US 6069, St 6826), la pointe de l’un d’eux ayant été cassée accidentellement au cours de la fouille. Deux d’entre eux sont très bien conservés (fig. 18-4, 5-6) alors que le dernier est couvert de concrétions qui masquent la surface (fig. 18-4, 7). Dans ce dernier cas, ce sont la morphologie générale de la pièce, l’espèce et la partie anatomique qui permettent de l’assimiler à ce schéma de transformation. Les dimensions des objets illustrent, dans deux cas, une incohérence entre la longueur des supports potentiellement obtenus (voir deuxième bloc) et la longueur des objets. Ces constats aboutissent à formuler deux hypothèses. L’une renverrait à la mise en œuvre d’un débitage secondaire : les supports extraits seraient de nouveau débités en deux supports mais par segmentation ; l’autre supposerait une utilisation intensive de ces outils avec pour corollaire la réduction importante de leur longueur au gré des réfections de leur partie active. L’absence de produits potentiellement compatibles avec la mise en œuvre d’un débitage secondaire nous permet de pencher vers la deuxième option, toutefois sans certitude.
2.2.1.2. Techniques et procédés techniques
22Au cours de la première phase de transformation, ce sont les techniques d’usure en profondeur (rainurage et incision) et d’éclatement (percussion indirecte) qui ont été employées par les artisans de Klimonas. Pendant le façonnage, ce sont les techniques d’usure en surface (raclage) qui ont été mises en œuvre.
23Le rainurage, généralement réalisé avec un outil lithique ayant une partie active burinante, procède à l’élimination de la matière par un mouvement répété unidirectionnel (Averbouh 2000). Il porte à la création des profonds sillons creusés dans l’épaisseur corticale de l’os présentant deux pans inclinés (ou un abrupt et l’autre incliné) couverts par de fines stries parallèles entre elles, parfois intercalées de stries plus profondes. À Klimonas, comme nous l’avons précédemment décrit, le rainurage a été identifié sur la matrice, sur les blocs en cours de débitage (fig. 18-2, fig. 18-5, 1) et sur plusieurs objets. Sur ces derniers, l’inclinaison abrupte à légèrement oblique des pans de sillons et leur orientation parallèle par rapport à l’axe principal des pièces nous a permis de reconnaître cette technique. L’identification se base aussi sur la concordance dimensionnelle entre les objets et les supports identifiés et la correspondance des origines anatomiques entre les divers types de produits. Les blocs abandonnés en cours du débitage témoignent de la réalisation d’incisions préparatoires, discontinues et courtes, aux sillons de rainurage. Si cette opération n’était pas bien menée, cela pouvait compromettre toute la chaîne de production.
24La percussion indirecte est réalisée avec un outil à partie active tranchante, comme le montrent les négatifs d’enlèvement observables sur un objet (fig. 18-5, 2). La matière osseuse est écrasée et arrachée en trois points distincts successifs (fig. 18-5, A-C) dans une zone où le sillon de rainurage n’a pas été réalisé. Mesurant la largeur des négatifs d’enlèvement, nous avons pu avoir une idée de la largeur de l’outil utilisé (max 15 mm).
25Les stries identifiées sur la surface des vestiges relèvent du raclage (fig. 18-5, 3-4). Utilisant cette technique, les artisans ont mis en forme les parties actives des outils en grattant la surface avec un mouvement longitudinal, généralement monodirectionnel, effectué dans le sens de la croissance de l’os. La longueur, la profondeur, le contour des stries et leur organisation suggèrent l’emploi d’un tranchant lithique rectiligne ou légèrement courbe.
26L’association de ces techniques dans un but technique permet de reconstituer les procédés mis en œuvre (Averbouh 2000, Manca 2013). Dans le cadre du schéma de transformation par extraction, le support est obtenu par la délimitation d’une zone de la surface osseuse par des incisions successives. Par la suite, en creusant autour du volume du support choisi par double rainurage parallèle et par détachement « en levier » ou à l’aide d’une percussion indirecte successive. Toutes ces opérations sont appliquées dans le sens longitudinal du bloc. Nous ignorons, par l’absence de témoins, de quelle manière les supports ont été détachés dans le sens perpendiculaire, sur les bords supérieur et inférieur. Aucun vestige portant des stigmates techniques liés au débitage ne conserve les extrémités épiphysaires des blocs exploités. Une fois les supports obtenus, c’est un raclage très poussé qui permet de créer la partie active, réalisée par appointage.
2.2.1.3. Les méthodes de transformation
27La méthode de débitage par extraction a pour objectif la production de supports de forme artificielle qui varient légèrement selon la partie de l’os exploitée et le type de baguette recherchée. Les déchets, les blocs et les objets témoignent pour la plupart d’une extraction unique. Néanmoins, un bloc abandonné au cours du débitage (n° 30 de l’inventaire MDA) illustre probablement le début d’une tentative d’extraction multiple que nous n’avons pas pu caractériser faute d’autres éléments observables. Ici, le débitage par extraction est utilisé pour produire des supports allongés, aplanis et robustes destinés à la production d’outils appointés. Dans l’ensemble, pour ce que nous avons pu observer sur la matrice d’extraction, les blocs abandonnés en cours de débitage et les objets, les dimensions des baguettes obtenues sont régulières. La longueur étant variable (de 184 à 140 mm), la largeur et l’épaisseur se maintiennent entre 10 et 12 mm pour la variante 1 et 9 et 16 mm pour la variante 2.
28Les méthodes de façonnage sont identifiables mais leur caractérisation technique reste très limitée (3 sur 7 objets) en raison de la fragmentation des pièces et de la lecture parfois difficile des surfaces. Les masses et les formes globales étant brutes de débitage, les supports n’ont été modifiés que sur leur partie active à l’aide d’un raclage longitudinal ou légèrement oblique. Aucun stigmate ne nous informe sur d’éventuelles -opérations de finition.
2.2.2. Le schéma de transformation par façonnage direct
29Six objets et un déchet de façonnage témoignent de ce type d’exploitation. Ce schéma est appliqué sur des blocs de matière première ayant une forme déjà très proche de l’objet recherché, des objets appointés ou des aiguilles : la fibula de sanglier. Cet os est naturellement allongé et fin, avec une section sub--rectangulaire, et très régulier dans sa forme générale, les bords sont rectilignes et parallèles entre eux. Le nombre réduit des vestiges et la rareté des déchets de façonnage ne permettent pas de définir avec précision toutes les opérations de façonnage réalisées. Toutefois, nous pouvons reconstituer les grandes lignes de cette exploitation par un remontage partiel.
2.2.2.1. Les vestiges
30Le seul déchet de façonnage identifié (n° 23 de l’inventaire MDA, US 10.28, C-D 36 base) est un fragment médial de fibula (fig. 18-6, 1). La surface, bien qu’affectée par la dissolution, montre des pans aplanis présentant un profil en escalier sur un bord, créé artificiellement par la réalisation de plusieurs plans de raclage successifs superposés. Par la présence de ces stigmates, cette pièce correspond à un déchet de façonnage obtenu par un sectionnement transversal.
31Les six autres produits sont tous des objets (n° 1 de l’inventaire MDA, Secteur B, TB10, St 644, ISO-B235 ; n° 2, Secteur B, TB10, St 6826 ; n° 13, St 65, US 10.10, sol fondation Bâtiment communautaire ; n° 31, Secteur B, US 6047 ; n° 32, Secteur B, US 6038 ; n° 41, Secteur B, US 6038), dont seulement deux sont entiers (fig. 18-6, 2-3). D’un point de vue typologique, trois d’entre eux sont reconductibles aux objets appointés. Une pièce, ayant la base perforée, est assimilable typologiquement à un fragment d’aiguille (n° 2 de l’inventaire MDA). Les trois autres pièces, trop fragmentaires pour être identifiées avec certitude, sont néanmoins compatibles morphologiquement avec les objets appointés. Deux modules de blocs sont identifiés : les fibulas issues d’animaux adultes, représentées par trois pièces (nos 1, 13 et 31 de l’inventaire MDA), et les fibulas issues d’individus immatures, également attestées par trois vestiges (nos 2, 32 et 41). La fragmentation des vestiges ne permet pas d’identifier une correspondance entre la taille des os et la production d’outils différenciés. Toutefois, en tenant compte des caractéristiques morpho-techniques des outils produits et des blocs potentiellement utilisés, on peut supposer que les poinçons sont issus des fibulas d’animaux adultes alors que les aiguilles à chas sont produites sur des fibulas d’animaux immatures, les fibulas non épiphysées étant particulièrement faciles à perforer sur leur extrémité proximale.
2.2.2.2. Principales techniques de façonnage et procédés
32Deux techniques de façonnage ont été identifiées : l’abrasion et le raclage. La première technique, attestée sur une seule pièce (n° 13 de l’inventaire MDA), a laissé des stries fines et superficielles, parallèles entre elles, ayant une orientation oblique par rapport à l’axe principal de la pièce (fig. 18-6, 8). Réalisées avec un matériau à grain moyen (≤ 0,5 mm), probablement du grès (disponible dans un rayon de 2 km autour du site), ces stries occupent une zone limitée de la surface localisée sur la partie mésiale. Le raclage, observé sur deux vestiges, se matérialise par des stries longues à très longues et peu profondes, organisées en faisceaux très peu larges (fig. 18-6, 9). Cette technique d’usure est mise en œuvre avec un mouvement longitudinal rasant et périphérique ou avec plusieurs répétitions d’un raclage modérément appuyé, localisé sur une partie déterminée de la surface osseuse.
33L’abrasion a été utilisée lors des premières opérations de façonnage pour modifier légèrement les volumes secondaires de l’objet et régulariser la surface. Le raclage, en revanche, a été utilisé à trois fins : éliminer une extrémité de l’os et, par la même occasion, calibrer la longueur de l’outil et préparer la morphologie finale de la partie active. Pour ce faire, deux procédés sont appliqués. Le premier, d’appointage, porte à la mise en forme de la partie active tandis que le deuxième, appelé raclage « en diabolo » pour la forme particulière qu’il induit sur les objets (fig. 18-6, 10), porte au sectionnement de l’os, tout en ajustant parfaitement la longueur du support et créant une extrémité appointée.
2.2.2.3. Principales méthodes
34Les méthodes de façonnages utilisées sur les blocs sont attestées pour la mise en forme des parties actives et, dans un seul cas, pour la perforation de la base d’un objet. Sans pouvoir identifier la technique employée pour la perforation, nous avons vu qu’elle est unifaciale et légèrement asymétrique (fig. 18-6, 11-12).
2.2.3. Le schéma de transformation par fracturation
35Ce schéma de transformation consiste à fracturer un bloc de matière première et façonner les éclats ayant une forme compatible avec les objectifs de la transformation. À Klimonas, seules deux pièces témoignent de l’application de ce schéma. Il s’agit d’objets finis issus du débitage d’un os long d’oiseau pour l’un et de celui d’un probable fémur de sanglier pour l’autre. L’absence de tissu spongieux sur une pièce permet d’affirmer que cet éclat est issu d’une partie diaphysaire.
2.2.3.1. Les vestiges
36Deux objets appointés relèvent de cet ensemble (fig. 18-7, A ; n° 14 de l’inventaire MDA, St 10, US 10.3, C 36, Déc. 1 ; n° 16, St 10, US 10.30, NW). Les éclats sélectionnés sont de taille différente mais possèdent les mêmes caractéristiques générales. Ils sont allongés et peu larges. Les pointes ont une section circulaire et sub-rectangulaire.
2.2.3.2. Techniques, procédé et méthodes de transformation
37La morphologie des pans de fracture indique que la percussion directe est intervenue à l’état frais de la matière première mais seul un vestige (fig. 18-7, A2) nous fournit des stigmates relatifs à la fracturation du bloc. Trois points d’impact et leurs négatifs d’enlèvement sont situés sur le bord droit de la pièce. Ils suggèrent une organisation précise dans les opérations de fracturation : les coups sont alignés longitudinalement suivant l’axe principal du bloc de matière première afin probablement de contrôler le pan de fracture, le diriger dans la direction voulue et obtenir un éclat allongé. L’absence d’autres témoins ne permet pas de décrire plus finement ce procédé ni de vérifier l’effective application systématique de ces gestes. Concernant le façonnage, l’aménagement de la pointe par raclage a été identifié sur une seule pièce (fig. 18-7, A1). La partie active de l’autre pièce, laissée entièrement brute de débitage, a été identifiée par l’arrondissement différentiel de ses bords.
38Toutes ces informations nous conduisent à identifier l’application de la méthode de débitage par fracturation mais le faible effectif et le manque de déchets ne permettent pas de définir avec précision les moyens techniques mis en œuvre. On peut raisonnablement penser que ce débitage puisse être le fruit d’une récupération opportuniste d’éclats osseux produits initialement pour des raisons culinaires.
2.2.4. Le schéma de transformation par tronçonnage
39Un objet de type indéterminé (n° 37 de l’inventaire MDA, St 10, US 10.3, E39 passe 2, 35), probablement une portion de tube (fig. 18-7, B), est l’unique vestige témoignant de la conduite de ce schéma. Aménagé sur un os long (d’oiseau de probable corbeau), il présente à une extrémité un sectionnement par sciage et flexion, procédé communément employé pour ce type d’opération.
2.2.5. Les éléments indéterminés
40L’industrie comprend 24 produits de statut indéterminé que nous n’avons pas pu attribuer à l’un des ensembles technologiquement complémentaires évoqués précédemment. Il est cependant possible d’en tirer des informations précieuses sur la production en matière osseuse de Klimonas. Il s’agit d’un déchet, de vingt fragments d’objets finis et de trois produits indéterminés.
41Sur la surface du déchet (n° 19 de l’inventaire MDA, St 10, US 10.3, comblement banquette 1b), issu d’un fémur de sanglier, des longues stries produites par incision et par rainurage ont été identifiées sur la face externe et interne du fragment osseux (fig. 18-7, C1). Ces stries sont liées à des pans de matière arrachés de la face supérieure. La position et l’organisation des stigmates portent à identifier une extrémité de sillon, réalisé par rainurage et préparé à partir des deux faces. Dans ce cas, l’absence d’autres produits technologiquement compatibles ne permet pas d’associer cette pièce à une production particulière et de reconstituer plus précisément les opérations de débitage.
42L’ensemble des objets se compose de 15 outils appointés (fig. 18-7, C2-5), dont 13 fragmentaires – 7 fragments distaux et 6 fragments mésiaux –, deux objets assimilables morphologiquement aux objets appointés et 3 objets de type indéterminé. Tous ces objets présentent des caractéristiques morphologiques et métriques similaires (largeur, épaisseur et sections). Ils ont tous subi un façonnage très poussé qui a effacé les stigmates relatifs au débitage, empêchant, à l’heure actuelle, de reconstituer les opérations de la première phase de transformation. Les stigmates de façonnage identifiés illustrent l’emploi des techniques d’usure avec la même procédure décrite pour le schéma de transformation par façonnage direct.
2.3. L’utilisation
43L’observation des surfaces à faible (x 5-60) et fort (x 100-200) grossissements a permis d’identifier des macrotraces et des microtraces d’utilisation sur les vestiges de Klimonas. Les macrotraces d’utilisation sont les fractures et les émoussés. Sur les 34 objets, 12 présentent des macrotraces d’utilisation visibles sur la partie active. La majorité des outils pointus présente des émoussés arrondis (5 pièces ; fig. 18-8, A1), indiquant un mouvement axial de l’objet. Les émoussés à facette plane unilatérale (1 pièce ; fig. 18-8, A2) sont beaucoup moins représentés. Les fractures, reconnues sur 4 outils, sont exclusivement « en languette », suggérant une flexion sur os frais lors de l’utilisation de la partie active (fig. 18-8, A3-4).
44Les surfaces de tous les outils sont plus ou moins lustrées sur la partie active. Parfois, cette brillance ne se limite qu’à la partie distale mais elle peut s’étendre à tout l’outil. Cela ne correspond pas toujours à de bonnes conditions de lecture des microtraces, souvent illisibles en raison du mauvais état de conservation de l’outillage et de leur préservation sur de petites portions. Sur l’ensemble des pièces ayant conservé leur partie active (16 pièces), dix ont des microtraces encore observables, desquelles seulement cinq ont pu être déterminées. Avec une topographie irrégulière et des stries longues, fines et épaisses et toujours superficielles, au fond rugueux, parfois entrecroisées et localisées partiellement dans les microtrous, les microtraces identifiées sur cinq vestiges s’apparentent à celles du travail des peaux à divers états de fraîcheur (fig. 18-8, B1-2). L’orientation et la direction des stries suggèrent un mouvement rotatif pour un seul objet (n° 11 de l’inventaire MDA) et un mouvement plutôt rectiligne pour les autres (nos 1, 6, 14, 16, 33, St 10 (Bâtiment communautaire) D37-4 sous AJ). Dans quatre cas sur cinq, le micropoli est toutefois observable sur de petites portions de surface, rendant la restitution de la cinématique du geste très limitée et circonscrite aux caractéristiques des stries.
2.4. L’entretien des outils
45Un seul vestige (n° 38 de l’inventaire MDA, St.10, US 10.5, 1/4 SW) témoigne de l’entretien des instruments effectué par un raclage épars et rasant ciblant vraisemblablement le réappointage de l’objet. Les stries, longues et organisées en faisceaux, sont clairement postérieures à une première phase d’utilisation de l’objet (fig. 18-8, C). Cette pratique ne semble pas être systématique. Elle n’est toutefois pas détectable au cas d’une utilisation prolongée successive au réaffûtage des vestiges.
3. Aspects économiques et sociaux du travail des matières osseuses
46Il s’agit ici de réfléchir aux aspects qui ressortent de l’étude technologique de l’industrie osseuse : production et productivité, fonction de l’outillage, distribution des vestiges sur le site, rôle de l’industrie dans l’organisation socio-économique des groupes et éventuels parallèles ou différences entre l’ensemble de ces aspects au sein du contexte insulaire et du contexte continental. Les possibles aspects symboliques portés par l’industrie osseuse seront évoqués au chapitre 31.
47Les divers types de produits identifiés, de traces d’usure sur les objets finis et les remontages réalisés témoignent d’une production in situ et une utilisation locale de l’outillage. Le grand nombre d’objets finis et la faible représentation des déchets de débitage et de façonnage laissent penser qu’ils ont été majoritairement abandonnés dans une autre zone du village qui n’aurait pas encore été fouillée ou qui se situerait à l’extérieur du village, hors de la zone de fouille.
48Les résultats obtenus permettent d’avancer des hypothèses sur les potentiels de production des blocs de matière transformés. Si l’on considère la productivité de chaque schéma de transformation, à Klimonas on constate qu’elle est la même qu’il s’agisse d’extraction ou de façonnage direct : les blocs de matière première ont systématiquement conduit à la production d’un seul support. En outre, le choix très sélectif des tibias et des fibulas suggère que l’on ne peut potentiellement obtenir que quatre outils par individu chassé. Si l’on considère en revanche le temps consacré à la production des objets, les deux schémas de transformation diffèrent sensiblement : l’extraction d’une portion de tibia, réalisée par double rainurage parallèle, et les opérations de façonnage qui suivent nécessitent un certain investissement en temps et en moyens techniques alors que le façonnage direct des fibulas est limité au temps réduit consacré à l’aménagement de la partie active. L’emploi du schéma de transformation par fracturation, attesté sur de rares pièces, est très difficile à évaluer précisément. On peut affirmer de manière générale, sur la base de plusieurs expérimentations publiées à ce jour (Sadek-Kooros 1972, Blumenschine 1988, Brugal et Defleur 1989, Capaldo et Blumenschine 1994, Anconetani et al. 1998, Pickering et Egeland 2006, Manca 2013), qu’à partir d’un seul bloc plusieurs supports non standardisés peuvent être produits avec un investissement moindre. Ces données suggèrent que les artisans de Klimonas ont privilégié des schémas de transformation sûrs en termes d’efficacité (contrôle de la morphologie du support et obtention d’objets aux dimensions prédéterminées) plutôt qu’une rentabilité de production (obtention de plusieurs supports à la fois). Ces choix, combinés avec la standardisation recherchée des produits, pourraient également cibler des caractéristiques mécaniques des outils en lien avec les activités de transformation à pratiquer : le traitement des peaux.
49L’analyse fonctionnelle a permis de préciser que les objets appointés (poinçons, pointes et aiguilles) sont impliqués dans diverses phases du travail de la peau, aussi bien au début de la séquence (par exemple, positionner la dépouille dans un cadre en bois) et à sa fin (la couture). Leur chaîne de production et la forme des outils utilisés sont assez diversifiées (fig. 18-4, 3, fig. 18-6, 2, fig. 18-7, A1, fig. 18-7, B7), suggérant probablement une variabilité dans le travail des peaux de diverses épaisseurs (Campana 1986, Gutherie 1983, Maigrot 2003). La répartition des outils sur le site ne met pas en évidence de concentrations pouvant indiquer une ou des aires de production liées au travail de la peau. Néanmoins, il faut souligner que le mauvais état de conservation des vestiges ne permet de disposer que de données partielles, aussi bien sur la fonction des outils en os que sur leur distribution sur le site. De ce fait, on peut s’interroger sur la destination fonctionnelle des outils produits : l’ont-ils été pour servir exclusivement à la confection d’objets ou de vêtements en peau ? Ou est-ce un concours de circonstances (conservation, abandon de ces seules pièces par les occupants de Klimonas) qui nous a conduites à n’identifier que des vestiges portant des microtraces liées à la transformation de cette matière.
50De manière plus générale, la répartition spatiale des vestiges de l’industrie en os sur le site de Klimonas, témoigne de leur présence dans deux secteurs : le Secteur B et le Secteur central. Les deux ensembles sont presque égaux en nombre de pièces, 22 dans le premier et 21 dans le second.
51Dans le Secteur B, certaines pièces, très fragmentées, sont retrouvées dans les structures d’aménagement des bâtiments ou dans les sédiments de comblement de ces structures. C’est le cas, par exemple, des outils appointés retrouvés dans le comblement d’un trou de poteau situé à l’intérieur de la structure B07 (n° 17 de l’inventaire MDA), de l’outil retrouvé dans les décombres du bâtiment B10 (n° 43, US 6600 ; phase finale d’occupation du secteur), de l’aiguille provenant de la tranchée de fondation du mur du bâtiment B25 (n° 6 de l’inventaire MDA) ou encore du fragment de poinçon et la base d’aiguille trouvés dans la tranchée de fondation du bâtiment B27 (n° 24 et n° 2, St 6826). Ces vestiges sont donc clairement en position secondaire par rapport à leur lieu d’utilisation et le dépôt dans la tranchée de fondation n’est sans doute pas fortuit (cf. chap. 31). La même considération est valable pour des vestiges particuliers, comme une matrice et un bloc en cours de débitage. Ils proviennent respectivement de la tranchée de fondation TB2 (n° 26 de l’inventaire MDA) et d’un mur en terre crue du bâtiment B10 (n° 29). D’autres vestiges du Secteur B ont été au contraire trouvés en position primaire. Un fragment de pointe obtenue par extraction d’un tibia (n° 28) a été trouvé sur le vestige de sol en terre crue de la structure B17, à proximité d’un groupement de pièces en silex composé de 41 objets, 21 produits bruts et 20 outils.
52Les vestiges du Secteur central se distribuent entre les diverses phases de reconstruction du Bâtiment communautaire St 10 : phase 1 (8 pièces), phase 2 (5 pièces), phase 3 (4 pièces). Comme pour le Secteur B, certains d’entre eux se trouvaient en position secondaire par rapport au lieu de production ou d’utilisation. Des produits sont récupérés dans le démantèlement du bâtiment intermédiaire (US 10.28 ; nos 10 et 23 de l’inventaire MDA) ou dans le sédiment issu du démantèlement du Bâtiment 1 (US 10.30 ; n° 16 de l’inventaire MDA). D’autres, après abandon, sont réemployés dans le matériel de construction : la banquette ou radier de la phase 1 du Bâtiment communautaire (US 10.38 ; n. 25 inv. MDA), le remblai sur lequel repose la phase 2 de la St 10 (US 10.3/10.13 ; nos 14, 18, 19, 21, 37, 40 de l’inventaire MDA), le radier de la phase 3 (US 10.5 ; n. 11, 12, 34, 38 inv. MDA). Plus rares sont les objets trouvés abandonnés sur le sol de fréquentation des bâtiments, comme c’est le cas d’un poinçon sur fibula (n°13 de l’inventaire MDA). Ces données stratigraphiques témoignent d’une gestion précise des vestiges après leur abandon : dans la grande majorité des cas, ils sont remobilisés dans des matériaux d’aménagement. Mais pas seulement, certains types de produits (blocs abandonnés en cours de débitage, matrices d’extraction et quelques objets) sont conservés entiers ou presque entiers, à la différence de la majorité des pièces composant l’industrie. De plus, ils accompagnent des vestiges fauniques choisis et des objets de parure (cf. chap. 19 et 31), laissant penser à des dépôts intentionnels.
4. Pour conclure
53La différence de traitement et de conservation de ce petit ensemble de vestiges sur tibia de sanglier résultant de surcroît de la conduite d’un schéma de transformation peu utilisé sur le continent proche-oriental pour aboutir néanmoins à des produits similaires sur le plan typo-fonctionnel, conduit à se demander si les habitants de Klimonas ne leur ont pas porté une attention ou attribué une valeur particulière, qu’elle soit matérielle ou symbolique. En l’état des recherches, il est délicat de répondre mais on peut souligner qu’en premier lieu, l’acquisition de la matière première dépend du succès de la chasse et qu’en second lieu, ces premiers agriculteurs chypriotes ont su, en sélectionnant ce type de matière première, l’adapter à un schéma qui passe principalement par l’extraction très sélective d’une partie de l’os, à l’inverse de la pratique communément identifiée sur le continent, qui n’engage qu’une pluri-partition du bloc sélectionné. Cela traduit, a minima, une différence nette dans la façon de concevoir l’exploitation d’un bloc et, en ce sens, on peut penser que, sortant de leurs habitudes techniques, ils ont dû consacrer davantage de temps à parfaire leur maîtrise de ces débitages que ce qu’il ne leur aurait fallu pour réaliser les autres, plus communs. En ce sens, les occupants de l’île se seraient particulièrement investis dans cette production. À ce constat, s’ajoute la participation de ces vestiges aux dépôts intentionnels : cela contribue à leur attribuer une certaine valeur, distincte de celles des autres productions en matières osseuses. En effet, sur le continent proche-oriental ces dépôts se composent, non de déchets de transformation (particularité semble-t-il chypriote) mais de parties anatomiques d’animaux ayant un rôle important dans le système économique, ce qui, à ce titre, rejoint l’espèce représentée dans les dépôts de Klimonas.
54Ce lien avec les groupes proche-orientaux, déjà mis en évidence dans d’autres domaines comme l’architecture et l’orga-nisation sociale (Vigne et al. 2012), se manifeste aussi si l’on considère le savoir-faire technologique lié au travail des matières osseuses. Au cours du Natoufien et du PPNA du Levant, -l’outillage en os est principalement composé d’outils appointés, ce qui est presque exclusivement le cas des objets produits à Klimonas. Toutefois, sur l’île nous sommes très loin de la grande variété typologique continentale où les pointes de projectile, les hameçons et les manches ainsi que plusieurs objets de parure et des figurines sont produits au cours du Natoufien. Il faut y ajouter la grande richesse de l’outillage lourd pour l’agriculture émergeante, les outils tranchants, les peignes, les épingles, pour n’en citer que les principaux, qui sont représentés au PPNA. Cette diversité reflète également au Levant une diversification importante des matières premières, des espèces et parties anatomiques exploitées (Le Dosseur 2006). À Chypre, plusieurs aspects techniques présentent des caractères propres : les espèces disponibles sont extrêmement réduites et, par conséquent, les moyens pratiques et conceptuels pour leur transformation s’adaptent aux caractéristiques morphologiques et mécaniques des parties anatomiques sélectionnées. Le schéma de transformation par extraction permet aux artisans de Chypre d’obtenir des supports de morphologie contrôlée, fine et allongée. Cette même morphologie est obtenue sur le continent avec deux schémas de transformation : par partition longitudinale d’os longs, avec une prédilection pour les métapodes de ruminants (os canons, qui n’existent pas chez le sanglier), ou, beaucoup plus rarement, par extraction.
55Les techniques et les procédés de façonnage sont très similaires. Le raclage est la technique principalement employée pour la mise en place des parties actives. Le procédé de sectionnement par taillage « en diabolo » est également attesté au cours du Natoufien et du PPNB au Levant nord, zone pour laquelle d’autres similitudes étaient déjà mises en évidence pour l’industrie osseuse de Shillourokambos (Le Dosseur et Stordeur 2011).
56De fait, notons que les indices de particularismes insulaires soulignés pour le PPNA de Chypre ne sont plus d’actualité au cours du PPNB de Shillaurokambos (moitié 9e millénaire-7e millénaire avant n. è. ; Le Dosseur et Stordeur 2011). L’évolution du système d’approvisionnement des matières osseuses se caractérise alors par l’apparition, aux côté du sanglier, de ruminants de plus en plus nombreux (daims, caprinés ; Vigne et al. 2001), dont le squelette offre des supports plus propices à l’industrie osseuse. Leurs métapodes fusionnés en « os canon » sont les parties anatomiques principalement sélectionnées. Parallèlement, les moyens techniques mobilisés changent, tout comme l’outillage produit, suggérant des affinités très strictes avec les productions proche-orientales. A minima, cela témoigne, au cours du PPNB, de contacts fréquents entre les anciens chypriotes et les groupes continentaux du Levant ou encore des déplacements de groupes humains par « vagues » plus ou moins consistantes.
57L’étude de la série de Kirokitia, datée du Néolithique pré-céramique récent (7e millénaire-moitié du 6e millénaire avant J.-C.) semble témoigner, au contraire, d’une production marquée par l’évolution des particularismes insulaires enracinés dans la tradition de la production précédente (Stordeur 1984, 1985, Legrand 2003). Ce constat a notamment été réalisé sur les outils produits, les moyens de transformation et les espèces majoritairement exploitées (daim), nonobstant les changements intervenus dans le système de consommation alimentaire (augmentation de l’exploitation des caprinés ; Vigne et al. 2019).
58En mettant en perspective les données sur la production en matières osseuses de Klimonas avec les études précédemment conduites pour les phases suivantes sur d’autres sites chypriotes, un cadre hétérogène semble émerger. Tenant toujours compte du faible effectif de la série de Klimonas et de Shillourokambos, qui appelle à la prudence, force est de constater qu’existent des éléments de comparaison qui rapprochent et/ou différencient les productions insulaires des productions continentales. Ces éléments semblent souligner l’existence d’un processus non linéaire de contacts (ou d’influences ?), déjà perceptible au PPNA, alors que la production montre déjà des signes forts d’adaptation aux ressources insulaires. Au cours du PPNB ancien, les productions en matières osseuses se rapprochent de la production continentale, montrant une continuité culturelle dans toutes les phases (Le Dosseur et Stordeur 2011). Ces caractéristiques de la production, bien qu’ancrées dans cette tradition, sont moins marquées au cours du PPNB récent (Legrand-Pineau 2010).
59L’industrie osseuse semble donc être un bon marqueur culturel des sociétés insulaires chypriotes permettant de mettre en évidence des changements ou des perdurations dans les systèmes techno-économiques. Cependant, ces premiers résultats doivent être enrichis et validés par l’étude des séries provenant d’un plus grand nombre de sites chypriotes du PPNA et du PPNB afin de calibrer et décrypter au mieux la valeur des marqueurs que nous aurions identifiés à Klimonas
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