Performativité, pouvoir, vulnérabilité. À propos de quelques immanquables corrélats de l’idée de reconnaissance
p. 303-320
Remerciements
Je voudrais remercier Axel Honneth, Sandra Laugier, Patrick Pharo, Christian Nadeau, et Martin Blanchard pour leurs précieux commentaires de versions antérieures de ce texte.
Texte intégral
1Je voudrais démontrer que penser en termes de reconnaissance, c’est-à-dire assumer l’hypothèse que la constitution de soi s’opère dans des rapports de reconnaissance, a deux implications théoriques, distinctes et se confortant l’une l’autre : d’une part qu’une relation de reconnaissance est toujours-déjà une relation de pouvoir ; d’autre part que l’acte de reconnaissance est un acte de type performatif.
2Ce thème du pouvoir peut sembler évident, puisque l’idée de la reconnaissance apparaît dans la plupart de ses variations liée à celle de luttes. Mais l’on peut facilement constater que le motif du pouvoir s’efface dès lors qu’il s’agit de faire de la reconnaissance autre chose qu’un élément d’une théorie de la société, sous l’espèce soit d’un ressort d’une conception de la justice, soit d’instrument de légitimation d’une politique.
3Contre ces approches, la thèse de cet article est que reconnaissance et pouvoir sont indissociables, sans pour autant que le second soit la réalité de la première, ni que la première soit fausse en tant qu’intuition normative. Je tenterai ici de défendre un raisonnement qui, s’il s’appuie fréquemment sur la théorie d’Axel Honneth, ne s’applique pas moins à l’ensemble de la nébuleuse des théories de la reconnaissance, en dépit de la dissolution fréquemment relevée du sens du mot. Mes arguments ont leur source dans les prémisses même de ce concept, pour autant qu’il se rattache à la réflexion hégélienne, moyennant un détour par la théorie de George Herbert Mead.
4Je traiterai les deux implications de l’idée de reconnaissance en procédant chronologiquement, par ordre de leur constitution dans la relation de reconnaissance : l’émergence d’un pouvoir, qui naît d’une attente, la performance de l’identité ou du statut « reconnu ».
Prétention à la reconnaissance et émergence d’un pouvoir
5Le principe d’une vulnérabilité constitutive est au cœur de l’idée de reconnaissance, selon laquelle ne pas être reconnu, c’est ne pas être en mesure de développer une relation intacte à soi-même. En d’autres termes, selon les théories de la reconnaissance, on vient à être par le biais d’une dépendance à l’égard de l’autre. L’idée d’individuation dans la socialisation développée par Mead, et reprise entre autres par Jürgen Habermas, Charles Taylor, Paul Ricœur, Ernst Tugendhat et Axel Honneth2, pose un soi qui rompt avec l’idée de propriété, de sphère par excellence où s’exerce la souveraineté du sujet, en décrivant une individualité qui se constitue dans les conditions à la fois d’une reconnaissance intersubjective et d’une entente avec soi médiatisée par l’intersubjectivité. Cette individuation dans la socialisation signifie la stabilisation de l’identité dans des rapports de reconnaissance réciproque, d’où le besoin qu’a chacun de la reconnaissance de l’autre, et sa vulnérabilité à un éventuel déni. Sans doute convient-il ici de relever que ces auteurs se livrent à une reformulation sérieuse de la théorie, voire des intentions de Mead pour pouvoir en dégager l’idée d’intersubjectivité. Chez Mead en effet, « quand un soi apparaît, il implique toujours l’expérience d’un autre3. » Néanmoins, cette expérience de l’autre prend chez lui la forme d’une intériorisation des évaluations de la société, qui s’éprouve sous la forme de la constitution d’un « moi » « représentant de la communauté » au sein du soi : « L’individu s’éprouve lui-même comme tel non pas directement, mais seulement indirectement en se plaçant aux divers points de vue des autres membres du même groupe social, ou au point de vue généralisé de tout le groupe social auquel il appartient. »4. C’est ce motif de l’intériorisation qui est abandonné dans les théories actuelles, laissant la place à une relation de type je-tu, tissée d’une vulnérabilité partagée, pour penser la reconnaissance.
6Recourir au paradigme de la reconnaissance revient alors, outre qu’à ouvrir l’individuation à la contingence de l’interaction, à transformer autrui en instance. En octroyant à l’autre la tâche de reconnaître, je lui reconnais le droit de me conférer ou non l’égalité ; de m’instituer ou non en membre d’un « nous » ; ou encore de m’infliger, ou non, un tort qui me placera dans l’impossibilité de nourrir un respect, ou une estime de moi-même.
7En ce sens un acte de reconnaissance implique toujours un pouvoir.
8Encore faut-il préciser le sens attribué ici au mot pouvoir. Une interprétation de l’essai d’Axel Honneth, La Lutte pour la reconnaissance, comme la réponse à la question soulevée par son ouvrage antérieur, Kritik der Macht, quant à la possibilité d’une analyse du pouvoir qui offre une alternative à la dimension « stratégique » de « l’intersubjectivité stratégique de la lutte »5 qu’il trouve chez Foucault, me semble ouvrir une voie particulièrement fructueuse pour circonscrire la nature et la forme de l’objet de cet article.
9La lutte pour la reconnaissance n’a de fait rien d’un conflit instrumental entre des sujets stratégiques ; la volonté de reconnaissance n’est pas davantage la volonté de puissance qui chez Hobbes, motive le combat. L’émergence d’un pouvoir ne suppose même pas, ou en tout cas pas nécessairement, d’intentionnalité chez celui qui le détient, c’est-à-dire chez celui qui se trouve constitué en instance. En ce sens, la question de l’intentionnalité du pouvoir doit être distinguée de celle de l’intentionnalité de l’acte de reconnaissance, intentionnalité qui lui est inhérente ; faute d’une orientation affirmative vers l’existence de l’autre, que ce soit sous la forme d’expressions ou de dispositions (au sens où la législation et les pratiques des institutions peuvent être comprises comme des cristallisations de modèles de reconnaissance, j’y reviendrai plus tard), un acte de reconnaissance n’en est pas un. On ne reconnaît pas par mégarde, pas davantage que par coïncidence.
10Ne supposant ni volonté instrumentale, ni même intentionnalité, le pouvoir inhérent à la relation de reconnaissance réside dans la possibilité qui est donnée de ne pas répondre à la demande, ou de répondre de manière inadéquate, ou d’une manière qui causera un tort. Que cette possibilité soit utilisée ou non ne change rien à la réalité de ce pouvoir ; celui-ci est présent même si celui qui reconnaît ne fait que reconnaître exactement et sans reste la prétention qu’on lui adresse. Il peut toujours refuser de conférer sa reconnaissance. Voici donc un pouvoir qui naît d’une logique de la dépendance et du besoin ; ce qu’avoue finalement une lutte pour la reconnaissance c’est : « si tu ne révises pas ton jugement sur moi je ne puis devenir autre ». C’est la vulnérabilité constitutive de l’individu (Habermas parle même « d’extrême » vulnérabilité), qui ne peut se constituer sans la reconnaissance de l’autre, qui est à l’origine inévitable de la constitution d’un pouvoir.
11Une fois celui-ci débarrassé de sa nature stratégique, quel éclairage le pouvoir pensé par Foucault jette-t-il sur le pouvoir inhérent à la relation de reconnaissance ? Le premier volume de l’Histoire de la sexualité précise : « par pouvoir, il me semble qu’il faut comprendre d’abord la multiplicité des rapports de force qui sont immanents au domaine où ils s’exercent, et sont constitutifs de leur organisation ; le jeu qui par voie de luttes et d’affrontements incessants les transforme et les renforce ».6
12L’inéradicabilité de la lutte est pleinement acceptée par Honneth, même si son propos est plutôt d’attester d’un progrès historique guidant le développement des formes de reconnaissance : « Je ne me contente pas simplement de présenter le lien entre intégration sociale et reconnaissance mutuelle ; m’appuyant sur Hegel, je parle plutôt d’une relation agonistique qui implique une lutte permanente pour la reconnaissance ».7
13Quant à la nature émergente et immanente des relations de pouvoir, attestée par cette propriété qu’elles ont de ne se créer que pour autant que surgit une demande ou une prétention à la reconnaissance, elle permet de préciser que le pouvoir inhérent à la relation de reconnaissance ne relève pas d’une logique distributive à somme nulle. Il ne peut être envisagé comme existant en quantité finie dans une société donnée, dont les membres s’affrontent pour obtenir une part, en dépossédant par là même un autre détenteur possible. Non seulement la quantité de pouvoir qui peut se créer est illimitée, mais ce pouvoir ne se laisse pas penser, ou pas d’abord, en termes cumulables de provision constituée par des acteurs, de propriété durablement attachée à un sujet individuel ou à un groupe. Cette ultime caractéristique résulte notamment du fait que si le pouvoir en jeu ici est, comme posé plus haut, possibilité, il existe aussi parce que celle-ci est conférée. Comme relevé plus haut, demander, exiger, ou même arracher une reconnaissance implique la propre reconnaissance de l’instance, et de sa légitimité à être telle, par celui qui veut être reconnu. En appeler par exemple à la reconnaissance par l’État de sa propre identité revient à offrir à l’État la reconnaissance qu’il exige de sa propre souveraineté. En ce sens, une théorie de la reconnaissance qui s’appuie sur la prémisse d’une vulnérabilité constitutive ne peut éviter d’entrer en résonance avec les théories de la servitude volontaire. À ceci près, mais la différence est fondamentale, qu’il n’est pas possible d’échapper au pouvoir en tant que tel, puisqu’il n’est pas possible d’échapper à sa propre vulnérabilité ; le jeu ne porte que sur ceux à qui est conféré ce pouvoir. Certes, il ne saurait être question de parler de « choix » de l’instance, particulièrement en des termes stratégiques ; on ne change pas d’instance de reconnaissance comme on change de projet ou de tactique parce que le précédent s’est dérobé, jusqu’à obtenir le succès désiré. Certaines instances nous sont plus chères, ou plus incontournables, que d’autres ; des cadres conventionnels ou des modèles suffisamment contraignants nous en imposent d’autres encore.
14C’est d’ailleurs pourquoi le principe d’une lutte continuelle n’exclut pas l’idée que les rapports de pouvoir qu’instituent une demande, et l’octroi, de reconnaissance peuvent se déposer, se sédimenter, y compris jusqu’à constituer dans certaines circonstances des régimes de domination. C’est cette sédimentation qui est à la base de la théorie de la reconnaissance de Nancy Fraser, et de sa caractérisation du déni de reconnaissance par l’existence de modèles institutionnalisés de valeurs culturelles empêchant la parité de participation. Reconnaître est alors institutionnaliser des modèles de valeurs culturelles favorisant la parité, dans une pluralité de lieux, et selon une multitude de modalités. Dans certains cas « juridicisé[s], expressément codifié[s] dans une loi formelle », les actes de reconnaissance, comme les dénis de reconnaissance, peuvent être dans d’autres, institutionnalisés « à travers des politiques gouvernementales, des codes de l’administration ou des pratiques professionnelles [ou même] être informellement institutionnalisé[s], dans des schémas d’association, des habitudes anciennes ou des pratiques sociales sédimentées de la société civile ».8
15Néanmoins, en l’absence de régimes de domination, la relation constituée à la fois de reconnaissance et de pouvoir que je m’emploie à cerner est une relation dans laquelle les forces et les acteurs sont radicalement et dynamiquement différenciés. Dans une relation agonistique les actions de chaque partenaire génèrent des événements qui stimulent et engagent l’autre, non parce qu’elles sont matérialisées dans des « choses » qui sont vraies pour tous, mais dans la mesure où ce sont des événements auxquels chaque partenaire s’est exposé par la vertu de ses propres actions, et qui ont la valeur ou la fonction conférée par ces opérations.
16Ainsi, parler de la relation de pouvoir inhérente à la relation de reconnaissance ne revient pas à nier le moment des attentes normatives sur lequel repose la théorie de la reconnaissance ; la vulnérabilité constitutive de l’individu est simultanément à l’origine de la formation et de l’élévation d’attentes normatives, et de la constitution d’un pouvoir.
17Or, dans l’acte de reconnaissance il s’agit toujours de reconnaître quelqu’un comme. Ce « comme », qu’il soit suivi d’égal, d’être autonome, d’être différent de soi…, m’amène à pousser mon raisonnement un peu plus loin.
L’acte de reconnaissance, un acte performatif ?
18De la prémisse dont je suis partie, selon laquelle nous sommes constitués par la reconnaissance de l’autre, il résulte également que ce dernier, cet autre, se trouve en mesure de créer ce qu’il nomme.
19Tout en prenant la forme d’une prise d’acte d’une réalité qui lui préexiste, voire d’une résignation à un accord qui est arraché, puisque, comme le relève Ricœur, parmi les sens du mot reconnaissance se trouve celui d’« admettre après avoir nié, ou après avoir douté, accepter malgré les réticences »9, l’acte de reconnaissance crée le statut, la définition, l’identité qu’il reconnaît. Il est performatif au sens où comme l’écrit Austin, il accomplit (« performs ») son objet au moment de l’énonciation.
20Les théories normatives de la reconnaissance, pourvu qu’elles admettent que lorsque l’adresse de l’autre prend la forme d’un discours de haine, le sujet se trouve constitué dans son assignation même à une position subordonnée – ce qui est en général le fondement des propositions qu’elles développent – ne reposent pas sur un autre postulat.
21Le renversement de perspective est pourtant beaucoup plus rarement pratiqué. On voit mal pourtant pourquoi un acte de reconnaissance serait moins efficace qu’un acte de déni de reconnaissance, si l’on part dans les deux cas de l’idée d’une individuation s’effectuant dans des rapports de reconnaissance.
22Les traits caractéristiques de la performativité se découvrent d’ailleurs sans peine en transparence dans la manière dont la plupart des théories de la reconnaissance reformulent la catégorie de l’autonomie, par exemple. Ce qu’elles énoncent, c’est que si je ne suis pas reconnu comme membre de la communauté de ceux qui sont dotés d’une capacité d’agir, je ne suis pas en mesure de nourrir la conviction que mes aspirations valent la peine d’être poursuivies, de développer une relation pratique à moi-même, c’est-à-dire de devenir un être autonome.10
23Et tel est en tout cas bien l’intuition qui pousse à élever une prétention à la reconnaissance : j’ai besoin que tu me reconnaisses comme être autonome/humain/différent de toi. Sans cela je ne le deviens pas. Je ne requiers pas seulement que tu l’admettes (sinon il ne s’agirait que d’une simple victoire d’ordre cognitif), seul toi peut rendre cela vrai ; c’est précisément la raison pour laquelle je suis contrainte de formuler cette prétention.
24On cherchera peut-être à réfuter l’argument en invoquant la multiplicité et la pluridimensionnalité des actes et des dénis de reconnaissance auxquels est confronté un individu donné. Mais cette critique n’effacerait pas l’effet performatif de dénis ou d’actes de reconnaissance particulièrement massifs, convergents et/ou institutionnels, ou encore particulièrement attendus.
25On pourra à meilleur droit objecter l’impropriété de l’usage de la locution « acte performatif ». L’acte de reconnaissance oblige à extraire la notion de la philosophie du langage qui la fonde ; c’est un acte débarrassé des contraintes grammaticales propres au performatif qu’Austin s’emploie (d’ailleurs vainement) à dégager, et qui ne nécessite peut-être même pas d’acte locutoire. Que l’on pense en effet à la reconnaissance affective prodiguée par les parents au nouveau-né, ou au geste d’un président de séance qui inviterait une personne qui n’aurait été jusque-là que simple spectateur à rejoindre la table des intervenants. Outre ces ruptures conceptuelles, il est cette difficulté supplémentaire qu’Austin pose pour première condition de réussite d’un acte performatif qu’« il doit exister une procédure, reconnue par convention, dotée par convention d’un certain effet, et comprenant l’énoncé de certains mots dans certaines circonstances. »11 Même s’il y figure parfois, en particulier dans les cas de reconnaissance institutionnelle, cet aspect rituel n’est pas intrinsèque à l’acte de reconnaissance.
26Je persisterai néanmoins dans cette définition de l’acte de reconnaissance comme acte performatif parce qu’elle offre, de par les caractéristiques dont Austin a paré le concept, deux avantages. D’une part, elle permet de rendre compte de la force d’accomplissement de la reconnaissance (1). D’autre part, elle ouvre la possibilité de concevoir l’acte de reconnaissance comme un acte de création sans pour autant que cette création ne procède d’une simple imputation d’un statut ou d’une identité (2).
27(1) Concernant le premier point, je procéderai par comparaison. Je prendrai un autre anglicisme, peut-être légitimement utilisable dans ce contexte, puisqu’il provient de la sociologie, et renvoyant également à la capacité d’un énoncé à se rendre vrai à l’issue de sa propre énonciation, celui de prophétie auto-réalisante (self-fulfilling prophecy). Robert K. Merton désigne en effet de cette expression une « prédiction qui est au début une description fausse d’une situation […] qui rend vraie la conception originalement fausse12 ». Une telle confrontation permet de mettre en évidence par défaut certaines propriétés de l’acte de reconnaissance. D’abord, il est évident qu’un acte de reconnaissance n’a rien d’une prophétie ; au contraire, affirmant prendre acte de réalités cachées, ignorées ou réprimées, il semble renvoyer au passé, et ne s’assume pas comme geste initiateur ; comme l’écrit Patchen Markell, « une de [ses] conditions de réussite est de sembler constatif13 ». En outre, et plus fondamentalement, la capacité d’un énoncé à se rendre vrai par sa propre énonciation ne résulte pas, dans le cas d’une reconnaissance, d’une logique de l’effet, direct ou indirect, mais d’une logique de l’action. Dans les situations envisagées par Merton, la prédiction devient vraie parce qu’elle affecte le contexte, notamment de perceptions et de croyances, dans lequel elle est énoncée, au point que se forment les conditions qui la rendront vraie. Par contraste, et conformément aux exemples examinés par Austin comme « je promets » ou « je vous condamne », dans le cas d’une reconnaissance une action, dotée d’une force propre, est exécutée. La reconnaissance est le geste, le discours, la disposition qui l’énonce.
28Et c’est un acte d’une force telle que qu’elle est en mesure de borner la réalité de celui qui est reconnu ; le contenu conféré lui échappe.
29Le problème ne se laisse pas saisir et régler sous le terme d’idéologie, au sens où les formes de reconnaissance présentes au sein d’une société, ou certaines d’entre elles, fourniraient des dispositions motivationnelles à se soumettre à un certain ordre, au sens que cherche à réfuter Axel Honneth dans son article sur « la reconnaissance comme idéologie ». Il y entreprend de combattre l’objection qui « peut se résumer en disant que les individus sont poussés à adopter, au travers du processus de reconnaissance mutuelle, un rapport à soi spécifique qui les incite à assumer de leur plein gré des tâches et des devoirs servant la société14 ». Mon propos, sans pour autant suggérer que toute reconnaissance est un assujettissement, et donc que la subordination est l’inéluctable prix de la subjectivation, excède ce cas de figure. Un individu ou un groupe peut se trouver épinglé à un statut ou à une identité qui lui aurait été reconnu et conféré même si la communauté n’en tire aucun bénéfice, que ce soit en termes de surcroît de contribution ou simplement d’obéissance. De même, l’existence d’une confirmation « matérielle » de la reconnaissance, consistant, selon le degré de complexité de l’interaction, soit en des modes de comportements appropriés, soit en des dispositions institutionnelles correspondantes, dont l’absence permettrait, selon Honneth, de distinguer les formes vides, « idéologiques » de reconnaissance, ne permet pas d’échapper au problème. Ainsi dans le roman de Max Frisch, Stiller, ce sont la considération, les droits et l’amour qui vont avec le nom Stiller (celui d’un artiste renommé, qui plus est auréolé de la gloire d’avoir participé à la guerre d’Espagne), qui ne cessent de s’imposer au héros, de limiter l’espace qu’il occupe. Indifférente à ses protestations (le roman s’ouvre et se construit sur la vaine assertion « Je ne suis pas Stiller »), la force de la performance continue son œuvre. L’existence d’une composante matérielle n’évite pas, voire contribue, à la limitation de l’espace des possibles.
30On répliquera peut-être que le problème que je soulève se limite à la demande de reconnaissance d’une identité particulière ; qu’une approche plus universaliste balaierait l’argument ; et que l’acte de reconnaissance dont je parle assigne une substance et une caractéristique, ce qui n’est pas le cas lorsqu’on défend le principe d’une reconnaissance comme individu rationnel et doué de langage par exemple. Je ne crois pas que la réponse soit aussi aisée. En effet, même dans le cas de la définition la plus universelle du « quoi » de la reconnaissance – je pense, celle qui est fournie par Habermas –, il existe, en dessous, une référence à la singularité. Pour Habermas en effet, un principe de reconnaissance réciproque est porté par la discussion : au cours de celle-ci s’opère une constitution réciproque en sujets autonomes et responsables, par le simple fait d’élever et de défendre des prétentions à la validité, de les soumettre au jugement d’autrui et d’interpeller celui-ci comme quelqu’un qui peut répondre, approuver ou critiquer. Mais les interlocuteurs se font également face avec une prétention à être reconnus en tant qu’individus irremplaçables15. Pour laisser la reconnaissance dans les termes des règles universelles de grammaire dans laquelle Habermas la place, on pourrait dire, en suivant Jean-Marc Ferry, que la reconnaissance implique qu’« une personne soit comprise aussi dans ce qui la différencie des autres personnes, c’est-à-dire dans sa propre schématisation du code langagier plus ou moins universel. Chacun veut se communiquer comme personne unique qui a sa façon propre d’exprimer son identité ou d’affirmer sa liberté, c’est-à-dire son universel singulier »16. Dissocier revendications universaliste et singulière de reconnaissance apparaît donc bien difficile, et la performativité, qui pose problème surtout lorsque est assignée une identité ou une caractéristique particulière, c’est-à-dire en particulier dans le cadre du multiculturalisme, ne semble donc pas pouvoir être évacuée en tant que difficulté.
31(2) Toutefois, et c’est la deuxième précision que permet l’usage de l’expression « acte performatif », je ne cherche pas à défendre ici une conception de la reconnaissance comme acte de création par imputation, de type démiurgique.
32Il est évident pour Austin que dans la plupart des cas l’acte performatif ne se suffit pas à lui-même :
« Prononcer des mots est un événement capital, ou même l’événement capital dans l’exécution (performance) de l’acte. […] Mais [cette énonciation] est loin de constituer d’ordinaire – si jamais elle le fait – l’unique élément nécessaire pour qu’on puisse considérer l’acte comme exécuté. Disons, d’une manière générale, qu’il est toujours nécessaire que les circonstances dans lesquelles les mots sont prononcés soient d’une certaine façon (ou de plusieurs façons) appropriées, et qu’il est d’habitude nécessaire que celui-là même qui parle, ou d’autres personnes, exécutent aussi certaines autres actions – actions “physiques” ou “mentales” […] C’est ainsi que pour baptiser un bateau, il est essentiel que je sois la personne désignée pour le faire ; que pour me marier (chrétiennement), il est essentiel que je ne sois pas déjà marié avec une femme vivante, saine d’esprit et non divorcée, etc. Pour qu’un pari ait été engagé, il est nécessaire en général que la proposition du pari ait été acceptée par un partenaire (lequel a dû faire quelque chose, dire “D’accord !” par exemple)17. »
33Qu’Austin ait prévu que l’acte performatif suppose à la fois des conventions et en quelque manière l’accord, la participation à la réalisation de l’acte, d’autres personnes que le locuteur, permet de rendre compte du fait que l’acte de reconnaissance est doublement limité, en tant qu’acte performatif, par rapport à un simple acte d’imputation.
34D’abord, on ne peut imputer n’importe quelle identité ou caractéristique, pourvu qu’elle soit positive ; celui qui reconnaît/ attribue ne peut s’en remettre ni à son seul arbitre, ni à sa seule fantaisie, faute de quoi l’acte performatif est destiné à échouer. N’importe quoi ne peut compter comme une capacité ou un statut, et celui qui reconnaît est limité par des raisons enracinées dans les pratiques sociales, par des modèles et des rôles déjà disponibles, ou encore par des attentes généralisées de comportement fonctionnant de manière implicite (et de ce point de vue celui qui réclame la reconnaissance est soumis aux mêmes contraintes ; il ne peut prétendre, ne prétend, qu’à un nombre restreint de statuts et de qualités).
35Néanmoins, que celui qui reconnaît se trouve face à un ensemble fini de possibles ne me paraît pas permettre de conclure qu’un acte de reconnaissance ne fait qu’actualiser une identité, une qualité ou une capacité existant en puissance. C’est là une proposition intéressante faite par Arto Laitinen pour tenter de dépasser, à propos de la nature de l’acte de reconnaissance, l’alternative entre le modèle constructiviste de l’imputation (lui-même parle d’attribution) et le modèle de la réponse. Ce dernier renvoie aux théories qui font des actes de reconnaissance des réponses à des raisons préexistantes18, qui résident in fine dans ce que sont vraiment, c’est-à-dire ce que sont déjà les sujets prétendant à la reconnaissance ; celles-ci, en invoquant une identité achevée, aboutissent inévitablement à la négation de leurs propres postulats intersubjectifs de départ, et donc de la réalité d’un besoin de reconnaissance. Laitinen distingue une option plus modérée, qui consiste à dire que « la reconnaissance est à la fois une réponse à quelque chose (par exemple à une autonomie potentielle), et une contribution au fait que la personne puisse jouir de ces caractéristiques (par exemple, d’une autonomie réelle) ».19 Cette proposition a été récemment reprise par Axel Honneth, pour qui, dans nos attitudes de reconnaissance, « nous répondons de manière appropriée à des qualités évaluatives que, selon les critères de notre monde vécu, les sujets humains possèdent déjà mais qui ne leur sont disponibles qu’une fois qu’ils peuvent s’identifier à eux conséquemment à l’expérience de la reconnaissance de ces qualités20 ».
36Cette reformulation fait problème. Son argument majeur est que, si l’attitude de reconnaissance consistait simplement à imputer des qualités positives à l’autre, nous n’aurions pas de critère interne pour juger du caractère approprié, de la justesse de telles imputations21 , ni ne pourrions rendre compte du sentiment qu’en a le sujet reconnu ; l’hypothèse d’une identité ou d’une capacité présente en puissance comble ce vide. Honneth désigne ici à l’attention une difficulté réelle, qui traverse toutes les théories de la reconnaissance (et celle que je tente de dessiner ici n’y échappe pas) : pourvu qu’il existe quelque chose comme un déni de reconnaissance, et des reconnaissances perçues comme impropres, il doit exister quelque chose comme un « cœur » du soi à même de se confronter à la reconnaissance, et de contester éventuellement sa justesse. C’est la fonction que Mead assignait, face au « moi » représentant la communauté, au « je », siège d’une résistance aux normes sociales. Néanmoins, parce qu’elle suggère un sujet défendant sa singularité contre les incursions de la société, une telle idée est délicate à manier sans contredire, comme le fait le modèle de la « réponse », les prémisses de la reconnaissance en termes de vulnérabilité constitutive et d’intersubjectivité d’une part, et sans sombrer dans de périlleuses allégations sur la nature humaine d’autre part. Et la théorie de l’actualisation semble verser au moins dans la première tendance. Elle transforme le processus de reconnaissance en une somme arithmétique d’actualisations de capacités, et dessine de la sorte un individu comptable de lui-même, à même de connaître ces virtualité qui sont les siennes, afin d’en exiger la reconnaissance (ce qui semble difficilement compatible avec le postulat, revendiqué par Honneth, d’un sujet qui n’est pas transparent à lui-même22) et cherchant à obtenir des correspondances terme à terme de ce qu’il perçoit comme lui étant propre et de ce que lui en dit le monde. Quant à la question de l’adéquation de la reconnaissance à la prétention, et de la possibilité d’en juger, qui est le point de départ de cette voie, elle n’est pas résolue. L’hypothèse d’une rencontre entre une latence et un geste actualisateur invalide la possibilité même d’une reconnaissance inadéquate. En effet, un geste actualisateur effectué en l’absence d’une capacité qui lui correspondrait se perdrait simplement dans le vide.
37Par rapport à un acte d’imputation l’acte de reconnaissance, en tant qu’acte performatif, est limité non seulement en termes de contenu – on ne peut attribuer n’importe quoi –, mais il est encore contraint par les circonstances : pour être « heureux » il doit rencontrer, au moins partiellement, une prétention. La proposition, défendue dans la première partie de cet article, selon laquelle celui qui reconnaît n’est en mesure de le faire que pour autant qu’il a été reconnu comme instance par celui qui a formulé une demande, prend ici la forme suivante : faute d’avoir été accepté comme une instance compétente par un sujet qui se place lui-même dans une position de demande, celui qui se risquerait malgré tout à un acte de « reconnaissance » ne serait pas en mesure d’opérer un acte performatif ; il ne serait l’auteur que d’un acte de parole plus ou moins sensé. Le modèle de la performativité, et la condition posée par Austin selon laquelle « il faut que, dans chaque cas, les personnes et les circonstances particulières soient celles qui conviennent pour qu’on puisse invoquer la procédure en question23 » permet d’ailleurs de complexifier le schéma, en suggérant qu’il est parfois nécessaire que l’instance de reconnaissance soit considérée comme ayant un titre à l’être y compris par des tiers. Cela permet de rendre compte des cas dans lesquels, dans le cadre d’une lutte pour la reconnaissance, l’instance légitime ne peut être que l’État.
38Reste que cette condition nécessaire de l’acte de reconnaissance barre la voie à toute assimilation de la théorie de la reconnaissance à une théorie de l’interpellation, du type de celle qui est défendue par Althusser24 dans sa célèbre saynète d’Idéologies et appareils idéologiques d’État, où le passant n’acquiert d’identité que pour autant qu’il se retourne sur l’interpellation du policier (« hé vous là-bas »), s’assignant dans ce même geste à la culpabilité. Ce qui fait problème dans cette conception, c’est ce que Judith Butler, qui commente et reprend à son compte cette idée, met en évidence : « Il n’est pas nécessaire d’être conscient ou de percevoir que l’on est constitué pour que cette constitution soit efficace », ce qui lui permet d’évoquer la possibilité de « rencontrer par hasard notre moi socialement constitué, ce qui peut nous effrayer ou nous réjouir, ou encore nous ébranler25 ». En effet, nous ne nous trouvons pas foudroyés par l’interpellation d’un autre dont nous ignorions l’existence ou en tout cas l’intention. Il n’est pas tout à fait exact que nous venions à être par l’adresse de l’autre, ex nihilo ; quelque chose la précède, et c’est la prétention à la reconnaissance elle-même.
39C’est donc d’intersubjectivité, dont rend compte l’articulation d’un pouvoir et d’une performativité pour caractériser la reconnaissance, d’intersubjectivité au sens d’une co-participation (mais non d’une coopération) à la création du sujet, de l’auteur et du juge de la prétention. Parce que se succèdent ces deux moments du processus de reconnaissance, le pouvoir qui naît d’un besoin et d’une vulnérabilité, mais est constitué par celui qui prétend à la reconnaissance, puis l’acte performatif, qui ne peut donc être un processus d’imputation contraignante précisément parce qu’il est précédé de cette constitution, ni celui qui reconnaît, ni celui qui est reconnu ne peut revendiquer la maîtrise du processus.
40J’ai donc voulu (re-)mettre en évidence, face aux nombreux développements contemporains sur la dimension normative de l’idée de reconnaissance, l’idée qu’au sein de toute relation ou acte de reconnaissance se trouve aussi une relation de pouvoir. Ce pouvoir, qui repose sur la possibilité qui est donnée de ne pas répondre à la demande de reconnaissance d’un sujet qui ne peut se constituer sans elle, émerge de l’acceptation, voire de la constitution par celui qui exige d’être reconnu, d’une instance.
41Il s’articule à un acte de création, de l’identité ou du statut reconnu, que j’ai choisi de qualifier de performatif, afin de souligner ses deux caractéristiques fondamentales : la reconnaissance résulte d’un acte, non d’un effet, doté d’une force contraignante ; comme tout acte performatif, il est malheureux s’il est accompli hors de certaines conditions contextuelles.
42Il ne s’agissait pas de se jeter sans prudence d’une théorie du sujet dont on cherche à préserver l’intégrité à une conception foucaldienne d’une subjectivité qui n’a d’autre réalité que celle du pouvoir, le développement, avec la modernité, de techniques disciplinaires représentant la mise au point d’une technologie « pour constituer effectivement les individus comme éléments corrélatifs d’un pouvoir et d’un savoir26 ». Mais de prendre la pleine mesure du postulat de départ, une vulnérabilité constitutive.
43Une théorie normative de la reconnaissance qui accepterait ce point de départ se devrait de prendre acte du fait que les rapports de pouvoir ne peuvent être éradiqués, et d’énoncer les conditions d’opération dans la « matrice du pouvoir27 » afin d’en modifier les rapports.
Notes de bas de page
2 En tout cas jusqu’à une révision de sa théorie qui date de l’article paru en 2002, « Grounding Recognition », in Inquiry, 45, pp 499-520.
3 George Herbert Mead, L’Esprit, le soi et la société, Paris, PUF, 1963, p. 165.
4 Ibid., p. 118.
5 Axel Honneth, Kritik der Macht, Kritik der Macht. Reflexionsstufen einer kritischen Gesellschaftstheorie, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1989, p. 176.
6 Michel Foucault, Histoire de la sexualité, vol. 1, Paris, Gallimard, 1976, p. 121.
7 Axel Honneth, « Grounding Recognition », art. cit., p. 502.
8 Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale ? Reconnaissance et redistribution, Paris, La Découverte, 2005, p. 80.
9 Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance, Paris, Stock, 2004, p. 21.
10 Cf. par exemple Axel Honneth/Joel Anderson, « Autonomy, Vulnerability, Recognition, and Justice », manuscrit.
11 John L. Austin, Quand dire, c’est faire, Paris, Seuil (Points), 2002, p. 58.
12 Robert K. Merton, « The Self-Fulfilling Prophecy », Antioch Review, 1948, 8, p. 195.
13 Patchen Markell, « Recognition of Politics », Constellations, 7 (4), 2000, p. 503.
14 Axel Honneth, « La reconnaissance et l’idéologie », in Paradoxes du capitalisme, à paraître.
15 Cf. par exemple Jürgen Habermas, La Pensée post métaphysique. Essais Philosophiques, Paris, Armand Colin, 1993, p. 226.
16 Jean-Marc Ferry, Les Puissances de l’expérience, 2, Paris, Cerf, 1991, p. 143.
17 John L. Austin, Quand dire, c’est faire, op. cit., p. 43.
18 Dont la théorie de Charles Taylor, et l’accent qu’elle place sur l’idée d’authenticité, constitue probablement l’archétype. Cf. « La politique de reconnaissance », Multiculturalisme et démocratie, Paris, Aubier, 1994.
19 Arto Laitinen, « Interpersonal Recognition : A Response to Value or a Precondition of Personhood ? », in Inquiry, 45, 2002, p. 473-474.
20 Axel Honneth, « Grounding Recognition », art. cit., p. 510.
21 Ibid., p. 507.
22 Cf. « Dezentrierte Autonomie. Moralphilosophische Konsequenzen aus der modernen Subjektkritik », in Das Andere der Gerechtigkeit, Frankfurt/Main, Suhrkamp, 2000, pp. 237-254.
23 John L. Austin, Quand dire, c’est faire, op. cit., p. 49.
24 Louis Althusser, « Idéologies et appareils idéologiques d’État », in Positions, Paris, Editions Sociales, 1976, p. 67-126.
25 Judith Butler, Le pouvoir des mots. Politique du performatif, Paris, Editions Amsterdam, 2004, p. 64.
26 Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 195.
27 J’emprunte l’expression à Judith Butler. Cf. Gender Trouble. Feminism and the Subversion of Identity, London, Routledge, 1990, p. 30.
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