Habermas chez les Autochtones : droits collectifs et reconnaissance
p. 1-28
Texte intégral
1Au Canada comme au Québec, les relations entre les Autochtones et les gouvernements en place ont longtemps pris la forme d’une domination politique, économique et sociale1. Deux aspects importants de la politique intérieure canadienne fournissent la preuve de cette volonté de domination. D’une part, l’exploitation des ressources s’est accompagnée d’une occupation territoriale sous l’égide d’une Loi suprême. D’autre part, la réponse à la résistance, prévisible, des communautés autochtones a pris la forme d’une politique d’extinction de leurs droits. Elle consistait à « éteindre » de manière préventive les droits que pourraient faire valoir les autochtones sur les territoires convoités, en proscrivant tout usage futur de ces droits en échange de compensations monétaires et de réserves sous tutelle gouvernementale2. L’objectif de la politique d’extinction des droits était double : acquérir les territoires autochtones et assimiler ses occupants à la société néo-européenne, ou du moins les mettre hors d’état de nuire. La première partie de cet objectif fut couronné de succès : les Autochtones occupent un territoire aujourd’hui presque réduit à néant. En revanche, l’assimilation s’est soldée par un échec. Loin d’avoir abandonné leurs droits, les Autochtones continuent de les revendiquer haut et fort, allant même jusqu’à remettre en question les ententes signées durant l’ère coloniale, sous prétexte qu’elles ratifièrent un marché de dupes. Depuis que la Constitution du Canada reconnaît l’existence des droits autochtones, depuis plus d’une vingtaine d’années donc, le rapport de domination, maintenant démasqué, est devenu insoutenable au regard de plusieurs et ce, tant du côté des Autochtones que des non-Autochtones. La question qui se pose n’est donc plus de savoir si les autochtones ont des droits spécifiques, puisque la Constitution canadienne reconnaît ces droits ; il s’agit plutôt de savoir quel contenu leur donner.
2Il est permis de croire qu’au moins un des objectifs visés par la reconnaissance de ces droits consiste à mettre en place un système de droits qui traiterait les individus comme égaux, peu importe leur communauté d’appartenance. Cet objectif ne paraît pas très controversé, du moins à première vue. C’est plutôt quand il s’agit de déterminer la manière d’instaurer une telle égalité que les divisions sautent aux yeux. Certains diront qu’il suffit, dans un premier temps, de considérer les individus comme étant tous égaux, peu importe leur communauté d’appartenance et, dans un second temps, de corriger les inégalités entre individus, par exemple en compensant les privilèges des uns avec des droits individuels spécifiques pour les autres. Certains diront que cette conception individualiste du droit est insuffisante et qu’il faut également insérer les communautés dans des relations égalitaires si l’on souhaite que les individus deviennent concrètement des égaux. La première version correctrice de l’égalité des individus a été défendue par Jürgen Habermas ; pour ma part, je voudrais montrer que c’est la seconde version qui doit l’emporter. Je vais me limiter aux arguments de type a priori qui sont souvent rencontrés dans ces débats. Cette stratégie consiste à déployer un argument qui rejette d’emblée les droits collectifs. Ainsi selon Habermas, il faudrait rejeter les revendications exigeant la reconnaissance des droits ancestraux des autochtones au motif qu’elles reconduisent une forme inacceptable de droits collectifs. C’est ce type d’argumentation a priori que je vais repousser. Je voudrais cependant élever cette objection de manière interne, car j’accepte les prémisses d’une théorie délibérative de la démocratie telle que l’a développé Habermas. C’est d’ailleurs ce souci d’une critique interne qui m’exhorte à utiliser le critère d’égalité pour déterminer le contenu des droits ancestraux. Je maintiendrai pour ma part que ce critère doit aussi s’appliquer aux collectivités.
3Pour arriver à mes fins, je vais procéder en deux temps. Je vais d’abord exposer brièvement la position de Habermas en ce qui a trait à la reconnaissance des droits des autochtones. Il faut accueillir avec enthousiasme les récents textes de Habermas qui commentent plusieurs exemples de droits collectifs et de protection des identités culturelles ; ces études de cas précisent mieux que jamais les réflexions de Habermas sur les politiques de la reconnaissance. Je tenterai de montrer dans un second temps que le rejet des droits collectifs interprète mal certains faits, en particulier le danger que représentent les droits collectifs pour les droits individuels. Il y a longtemps que les tribunaux canadiens ont dépassé cette dichotomie simpliste. Ce n’est qu’une fois dépassée une perspective juridique strictement individualiste qu’il devient possible de comprendre les bénéfices importants d’une reconnaissance des droits ancestraux des autochtones. Un système de droits qui équilibre droits individuels et droits collectifs insère le développement des individus et des communautés dans une relation complémentaire et dynamique.
I.
4La position de Habermas en ce qui a trait aux identités culturelles a évolué de concert avec ses autres écrits. La plupart des commentateurs, sinon tous, s’accordent à dire qu’un premier jalon fut posé à la parution d’un article dans le célèbre recueil de Charles Taylor sur le multiculturalisme, en 1993. Il faut remonter bien plus loin pour voir surgir le thème de l’identité dans l’œuvre de Habermas ; une analyse généalogique nous éloignerait cependant de notre propos3. Quoiqu’il en soit, Habermas a publié en 2005 un article qui étaye l’argument le plus complet, à ce jour, visant le rejet des droits collectifs. Avant de faire une analyse détaillée de certains passages de cet article, je voudrais brièvement rappeler quelques points à propos du constructivisme juridique sur lequel Habermas fonde sa réflexion à propos du droit.
5Le constructivisme juridique est une position générale qui stipule que la validité d’une norme dépend de son acceptation à travers une procédure adéquate de construction. Chez Habermas, cette procédure définit une norme comme étant valide si et seulement si tous les locuteurs potentiellement ou réellement affectés par la norme ont, ou du moins auraient pu, signifié leur assentiment, dans une discussion rationnelle, aux conséquences et aux effets secondaires liés à l’observation générale de la norme4. Dans ce texte, je voudrais m’en tenir à ce point de départ, que je considère par ailleurs comme étant la meilleure manière de concevoir la justice dans les sociétés modernes. Par conséquent, je défendrai l’idée selon laquelle les revendications collectives devraient être acceptées pour la seule raison qu’elles s’insèrent adéquatement dans des procédures de résolution des conflits moraux et légaux dans une perspective constructiviste.
6Il serait plus juste de dire que la position de Habermas s’appuie sur une reconstruction du système du droit. Au lieu de dériver un modèle juridique à partir de principes généraux, une reconstruction part de faits sociaux et cherche à les agencer dans un modèle théorique qui s’accorde avec « nos » croyances morales considérées comme justifiées. Le modèle abstrait est ainsi reconstruit en aval des pratiques, pour ainsi dire, et non pas en amont. Cette méthodologie s’apparente à l’équilibre réflexif auquel John Rawls nous a habitués5. En partant de pratiques déjà établies, mais considérées comme justifiées, elle prend son appui sur le discours que le modèle cherche à réformer. En ce sens, il s’agit d’une méthode de saine argumentation6. Habermas soutient ainsi que l’introduction de droits collectifs aurait des effets indésirables et que, pour cette raison, ils doivent être rejetés. En conséquence de ce rejet, le droit adopte une structure individualiste. Habermas rejette donc l’introduction des droits collectifs dans un système légal en raison des effets jugés indésirables qui en résulteraient, et non pas en se fondant sur un principe moral individualiste. Ma réplique devra donc démontrer que les effets empiriques des droits collectifs sont souhaitables et que pour cette raison, il faut leur faire une place dans la structure générale du droit.
7Que veut dire, pour Habermas, reconnaître l’égalité des appartenances culturelles ? Il s’agirait de « désolidariser » les liens, considérés injustifiables, qui unissent la majorité culturelle avec les institutions étatiques. Cette opération va de pair avec la théorie de la démocratie de Habermas. Plutôt que de dériver les normes communes à partir du mode de vie d’une majorité, les normes légitimes sont, nous dit Habermas, valables pour tous, car leur légitimité dépend de leur généralisation dans une procédure d’acceptation. C’est ainsi que son ouvrage majeur en philosophie politique, Droit et démocratie, veut montrer comment la normativité dépend de l’existence de procédures qui réalisent le principe démocratique d’institutionnalisation de la justice politique, c’est-à-dire où tout un chacun aurait eu la possibilité réelle de donner son assentiment à la norme juridique par la voie d’une discussion rationnelle.
8Tout ceci demeure fort abstrait. Habermas se lance dans des explications plus concrètes dans son récent article sur l’égale reconnaissance des cultures. Il se penche sur les cas où l’identité culturelle de certains citoyens les empêche d’être des participants de plein droit aux institutions politiques de leur société. Bien que formellement, les citoyens soient considérés comme égaux, certains voient leur propre conception du bien promue par l’État, du fait de leur appartenance à une majorité, tandis que d’autres voient leur conception du bien rejetée ou même dénigrée. Dans ces cas, nous ferions face à « une inclusion incomplète ou inégale des citoyens, à qui le plein statut de membre de la communauté politique est dénié7 ».
9Habermas considère deux solutions à ce problème. La première développe le principe d’égalité civique. Ce sont les cas où les tribunaux corrigent les effets asymétriques de la loi, par exemple en permettant des dérogations au financement public des écoles lorsque ni l’intérêt de l’enfant, ni aucun principe de tort ne justifie un cursus scolaire unifié. Ainsi, les écoles se voient reconnaître la vocation d’enseigner des contenus culturels particuliers. Certains groupes peuvent aussi obtenir des droits spéciaux de représentation, par un découpage habile des circonscriptions électorales, ou à travers des mesures de discrimination positive à l’embauche ou à l’inscription scolaire8. Dans chaque cas, il s’agit de modifier l’application d’une loi en faveur de l’égalité de traitement de l’individu devant la loi. La prise en compte des identités culturelles, religieuses ou même raciales vise de cette manière à garantir l’égal accès à « des formes de communication, des relations sociales, des traditions et des relations de reconnaissance qui sont requises, ou plutôt souhaitées, pour le développement, la reproduction et le renouvellement de l’identité »9.
10Les droits publics de participation ne pourraient pas se déployer équitablement sans tenir compte à la fois des normes d’action communes, effectivement valables pour tous les membres d’une communauté politique, et des particularités individuelles qui font intervenir des formes de vie collective. Les particularismes parviennent à l’expression publique grâce à la réalisation concrète du principe démocratique d’inclusion égale, mais inversement, ce principe d’inclusion ne se réalise que s’il ouvre une place aux particularismes.
11On comprend mieux ce lien entre la reconnaissance des particularités et la réalisation du principe démocratique d’inclusion égale en rappelant le cadre profondément délibératif dans lequel s’insère la théorie de la démocratie chez Habermas. Dans un tel cadre délibératif, les citoyens sont compris comme des agents pour qui l’accès à la connaissance de soi et du monde passe par un processus constant de socialisation10. C’est pour cette raison précise que les contextes de communication et de reconnaissance mutuelle doivent être universellement accessible pour tous : le but de cette mise à disposition est de permettre le déploiement des capacités de délibération. Pour articuler une compréhension adéquate de leur identité politique, les individus doivent acquérir une connaissance profonde d’eux-mêmes, de leur vision du monde, bref de leur identité prise au sens large, ce qui ne peut se faire que dans un processus d’échange avec autrui dans un environnement social. L’égalité de traitement culturel compenserait les effets de rapports sociaux qui, nécessairement, mettent en circulation des contenus identitaires majoritaires bloquant l’accès des identités minoritaires au statut de membre plein et entier de la communauté politique.
12L’autre solution envisagée par les pouvoirs publics et que Habermas commente est celle des droits collectifs. Habermas considère qu’il est parfaitement compréhensible d’en venir à ce type de droits, car ils stabiliseraient des ressources culturelles et sociales dont les individus appartenant à des groupes ont besoin pour maintenir et développer leur identité11. Bien que l’on puisse admettre ces objectifs, les conséquences d’une introduction de droits collectifs dans le système légal auraient, selon Habermas, un pouvoir néfaste. Les États modernes et les structures économiques créent des opportunités nouvelles, mais ils peuvent aussi prendre la forme de « systèmes » de domination. Les ressources sociales et culturelles, canalisées dans des droits collectifs, pourraient être stratégiquement accaparées par les systèmes de domination ; dès lors, les individus se trouveraient irrémédiablement dominés par les mêmes processus qui leur permettent de construire leur identité. Les droits individuels ont pour fonction de pourvoir l’individu d’une sphère de protection contre ces éventualités ; les droits collectifs, contredisant cette fonction, insèreraient un dangereux mécanisme dans le système légal.
13Si cette analyse est juste, on peut comprendre pourquoi Habermas demeure sensible aux possibles conflits entre droits individuels et droits collectifs. Les droits collectifs, nous dit Habermas, ne sont pas intrinsèquement suspects. Tout comme les mesures d’accommodements par les droits individuels, le but est de conduire à l’égalité de participation politique. Mais en ce sens, Habermas considère qu’ils échouent et qu’en outre, ils véhiculent potentiellement des oppressions eu égard aux individus. Pour illustrer son propos, Habermas cite trois exemples. Le premier est celui de la fameuse décision juridique aux États-Unis – Wisconsin v. Yoder – grâce à laquelle certaines communautés Amish ont obtenu le droit de retirer leurs enfants de l’école plus tôt que ce que la loi permet normalement, afin d’éviter que leurs enfants ne contemplent des notions remettant en question les dogmes religieux de leur communauté. Il est difficile d’être en désaccord avec Habermas sur ce cas ; il s’agit probablement d’un cas de dérapage des droits collectifs. Par contre, ses autres exemples étant moins convaincants, il est permis de douter que ce potentiel néfaste soit généralisable à tous les cas. Habermas cite la législation au Québec sur la langue française et soutient qu’elle serait « potentiellement oppressive ». Il s’agit là d’un jugement plus que hâtif. Que certaines dispositions de la loi 101 soient contestées ou controversées n’implique nullement qu’elle soit potentiellement oppressive envers les individus ; la grande majorité des acteurs impliqués conviendront qu’elle est le résultat satisfaisant d’un équilibre entre les droits individuels et collectifs des individus et des communautés habitant le Québec12. L’autre cas cité par Habermas est celui des ententes récentes signées par les Autochtones avec les paliers fédéral et provincial de l’État canadien. Ces ententes sont en effet littéralement fondées sur l’idée que les communautés autochtones possèdent des « droits ancestraux » reconnus par les tribunaux canadiens et que les ententes cherchent à implémenter. Selon Habermas, la notion de droit ancestral représente un danger à l’égalité des individus et en particulier en ce qui concerne les femmes. Je reviendrai sur les détails de ce cas dans la partie suivante de mon texte. Pour mieux comprendre sa position, je vais terminer cette section en prétendant qu’il aurait vu juste : les droits collectifs conduisent à des aberrations.
14Ces aberrations proviendraient du fait qu’il n’existe pas de critères permettant de départager une intrusion légitime d’une intrusion illégitime des droits collectifs sur les libertés individuelles. Il existe deux modèles, selon Habermas, pour opérer cette distinction, qui tous deux auraient lamentablement échoué. La première, sur laquelle Charles Taylor a fondé sa « politique de la reconnaissance », consiste en une analyse, au cas par cas, qui repère ou non la présence d’une valeur inhérente des cultures, du moins celles qui respectent l’idée de droits fondamentaux13. Or, ce modèle heuristique ne ferait que reporter le problème à un autre niveau, car il existe de nombreux cas où des valeurs inhérentes entrent en conflit avec ce que certains membres de ces cultures comptent comme des droits fondamentaux. L’autre modèle, de source libérale, consiste à insister sur l’inviolabilité des droits individuels, mais à admettre des droits collectifs se situant hors de la sphère d’action des droits individuels. C’est ainsi que Will Kymlicka distingue les restrictions internes et externes, seules ces dernières étant légitimes. Autrement dit, les droits collectifs seraient autorisés seulement si le résultat serait de protéger la viabilité d’une collectivité lorsque mise en danger par l’existence d’une autre collectivité. Ils seraient interdits dans tous les autres cas, en particulier lorsque le résultat est de restreindre l’action des membres de la collectivité. Habermas rétorque avec raison qu’il existe toutefois des cas où les droits collectifs desservent tout autant la protection externe qu’interne14.
15Admettons, pour les fins de l’argumentation, qu’il n’existe aucun critère permettant d’équilibrer sainement les droits individuels et collectifs. L’introduction de droits collectifs poserait alors un grave danger pour les droits fondamentaux des individus. Pourquoi en est-il ainsi ? L’explication que donne Habermas se rapporte à la « constitution ontologique des objets symboliques », qui contredirait « l’idée de culture se qualifiant comme sujets de droit »15. Pour ces « raisons empiriques », les identités culturelles ne sauraient être garanties par des droits collectifs. En résumé, les cultures ne se reproduisent pas par elles-mêmes, étant des objets artificiels qui dépendent de l’approbation des individus. Il ne saurait alors être question d’assurer la survie d’une culture par le biais de droits collectifs, car les cultures dépendent des volontés individuelles.
16La structure de cette explication ne tient pas. Une prémisse implicite de cet argument est que la qualité de sujet légal est déterminée par la capacité de pouvoir justifier par soi-même ses propres intérêts ; c’est-à-dire, comme le dit Habermas, qu’un sujet légal doit « rencontrer les conditions pour se reproduire avec ses propres capacités »16. Cette prémisse est fausse. Il est erroné de dire que les seules entités détenant des droits possèdent la capacité d’approuver ou de désapprouver leurs actions et celles des autres. Les nourrissons et les personnes gravement handicapés dépendent entièrement d’autrui ; or, nous ne pensons pas qu’elles n’ont aucun droit. Une « personne légale » est une fiction qui n’a pas à rencontrer des conditions d’autonomie ontologique. Même les corporations peuvent se parer du concept de personne légale. Cette fiction légale est justifiée en regard des objectifs à atteindre : il s’agit de conférer un statut légal à un acteur (collectif ou non) en vue de satisfaire les intérêts de cet acteur, en concordance avec ceux des membres d’une société. Il ne paraît pas très prometteur de déterminer l’extension d’un statut légal en observant la structure ontologique des corporations ou des nourrissons.
17Mais regardons plus en profondeur la critique contre les droits collectifs. Peut-être faisons nous fausse route en insistant sur l’ontologie des sujets de droit. Habermas développe son objection en arguant que les cultures survivent en demeurant efficaces. Les cultures qui traversent les siècles ont su résoudre les problèmes qu’elles ont rencontrés. Ainsi, les cultures viables seraient celles auxquelles les individus apporteraient leur consentement. Les individus soutiennent, dans leurs activités quotidiennes, les cultures qui répondent à leur besoin. S’il fallait introduire des droits collectifs pour protéger les cultures, ce serait les traiter comme des espèces menacées qu’il importerait de faire vivre en dépit de leur inadaptation ; bref, ce serait réifier les cultures.
18Habermas oppose erronément la capacité des individus de choisir leur culture à la réification des cultures. D’une part, un environnement social n’est pas neutre du point de vue des choix possibles. Le processus de reproduction des cultures s’apparente non pas à la survie du meilleur, mais bien plutôt à la survie du plus fort, tous les coups étant permis ou presque. Bien des individus appartenant à une culture affichent fièrement leur appartenance à leur culture, que celle-ci doive ou non sa survie à un processus de domination et de destruction. D’autres ont dû abandonner leur appartenance culturelle parce que celle-ci fût interdite de diffusion. Les cultures se reproduisent, la plupart du temps, de manière (au mieux) amorale, sinon de façon immorale. C’est d’ailleurs la pression de conformité à une histoire nationale qui, souvent, crée des pressions illégitimes sur les droits individuels. Ainsi, il faut s’empêcher de considérer l’identité culturelle comme étant strictement une affaire de choix, si l’on désire rendre visible et critiquer les strates idéologiques qui envahissent l’identité individuelle.
19D’autre part, cette discussion sur la réification par les droits collectifs néglige le fait que les cultures majoritaires sont de facto réifiées, car elles survivent généralement en dépit de leur inadaptation ou de leur inefficacité. Les cultures sont réifiées de toutes sortes de façon : par des actes stratégiques (guerres et conquêtes de marchés) ; par des interactions et des amalgames de préférences individuelles durant les élections ; par ce que la littérature anglo-saxonne nomme l’ascription des déterminations individuelles, comme dans les actes de racisme et dans la prolifération des stéréotypes17, etc. Dans un tel contexte, le but des droits collectifs est de protéger les individus appartenant à des cultures minoritaires contre les nombreuses réifications de facto imposées par les cultures majoritaires, du moins dans les cas où la protection des libertés individuelles par la voie de l’expansion civique ne suffit pas à bloquer la domination d’une culture majoritaire. Il n’est pas question de réifier le contenu particulier d’un mode de vie, mais de donner aux individus les moyens de s’organiser comme ils l’entendent.
20Bien qu’il y ait encore beaucoup à dire sur ce point, je ne vois pas chez Habermas un argument réellement convaincant, qui expliquerait pourquoi, dans la plupart sinon dans tous les cas, l’introduction de droits collectifs, même faite avec soin, constituerait un danger pour l’individu. L’idée de relier le statut de sujet légal à son autonomie effective tombe à plat : une entité peut posséder des droits même si elle n’est pas en mesure de les faire valoir de manière autonome. La version plus sophistiquée de cet argument, selon laquelle l’approbation des individus serait la seule protection nécessaire pour les cultures méconnaît le contexte dans lequel les cultures se reproduisent : elles perdurent au mieux de manière amorale, mais souvent de façon totalement immorale, dans un contexte donc qui n’est pas toujours réductible aux choix personnels. C’est d’ailleurs pourquoi toute culture est réifiée pour une raison ou pour une autre. La réification n’est pas un phénomène propre à l’introduction de droits collectifs. Au contraire, l’idée est de corriger les phénomènes de réification qui mettent en danger la reproduction des modes de vie minoritaires. Dans ce qui suit, je vais donc prendre la charge de la preuve à mon compte et démontrer pourquoi, et dans quelle mesure, la reconnaissance des droits collectifs de certains groupes non seulement ne met pas en danger le développement des individus, mais constitue un instrument appréciable pour le développement des individus et des groupes.
II.
21Pour Habermas, la possibilité pour les communautés de devenir des sujets de droit aboutirait nécessairement à des empiètements illégitimes sur les droits individuels. Cette conclusion est d’autant plus forte si l’on conçoit les droits collectifs comme le prolongement juridique d’une conception fortement communautaire du rapport entre les identités individuelle et collective. Ainsi chez Charles Taylor, la structure holiste de la compréhension de soi émerge d’un dialogue où les évaluations fortes d’une communauté précèdent et déterminent la rationalité individuelle. Nul n’est surpris qu’un tel point de départ conduise à des droits collectifs compris comme la protection de caractéristiques humaines essentielles appartenant à une identité particulière, puisque la manière dont cette culture se définit collectivement est inséparable de la question « qu’est-ce que l’homme ». Pour cette version culturaliste des droits collectifs, le but est de stabiliser une culture comprise comme un milieu organique où l’humanité se déploie objectivement : protéger une culture, c’est préserver un ensemble de contenus culturels qui n’est pas seulement la conjonction de comportements individuels. Cette version culturaliste justifie les droits collectifs dans la mesure où ils permettent à un groupe « différent » d’un autre groupe de construire un ordre juridique protégeant des valeurs « différentes », qui représentent un segment de l’humanité en devenir18.
22Habermas a toujours compris les droits collectifs à l’aune de cette interprétation communautarienne. Il considère toutefois, mais à tort selon moi, que le bien recherché par la conception communautarienne, la protection des cultures riches d’enseignement, peut s’obtenir, de manière bien plus économe, par le déploiement des droits civiques de participation égale. Il utilise aussi la conception communautarienne comme un exemple de ce qui met en danger les libertés individuelles. Contre la liberté d’expression et la liberté de conscience, les droits collectifs sont dépeints comme des instruments d’oppression aux mains du pouvoir. Comme l’a montré la section précédente, le noeud de la critique porte sur la réification des ensembles culturels. Habermas a raison de transposer son analyse des situations de parole dans un vaste cadre social : les demandes de reconnaissance mutuelle des locuteurs se rattachent à un ensemble très vaste de problèmes qui outrepassent une analyse purement culturelle du monde vécu19. Mais à regarder de plus près, sa critique des droits collectifs est tout autant coupable d’essentialisme culturel que ce dont elle accuse les droits collectifs. Elle détourne les interprétations sociale et politique des luttes pour la reconnaissance entre groupes en direction de considérations culturelles. Inévitablement, les demandes de reconnaissance des groupes sont perçues comme une reconnaissance de la différence culturelle. Le nationalisme québécois est, nous dit Habermas, une forme de vie « éthique » qui ne doit pas se confondre avec son devenir politique20 ; les droits ancestraux revendiqués par les autochtones s’inscrivent dans cette même logique, dix ans plus tard. Or, même si Habermas émet une critique valable des droits collectifs d’inspiration communautarienne, ce n’est pas la seule manière de comprendre les demandes de reconnaissance des groupes et les droits collectifs.
23Le rejet des droits collectifs en fonction des prétendus dangers qui pèsent sur l’individu tombe dans un écueil culturel, dans la mesure où les droits collectifs sont perçus comme un danger pour une conception juridique particulière des droits individuels. Il ne s’agit pas ici de réitérer la critique, faite par Sandel, selon laquelle Rawls projetterait un « moi désincarné » dans les dispositifs juridiques du libéralisme politique. La critique que je voudrais faire est plutôt la suivante. Habermas concentre ses énergies à analyser un seul aspect de la formation de l’identité, celui du contenu d’une identité politique universelle. À ce niveau, l’individu intègre le contenu identitaire de citoyens engagés à reconnaître leur égalité mutuelle dans un processus de démocratisation. Cette identité citoyenne (parfois nommée « patriotisme constitutionnel ») est fondamentalement universelle : bien que traversée par les modes de vie des communautés où elle s’incarne, elle reconduit toujours un contenu compatible avec les conditions de délibération dans un espace politique. Ces conditions sont le reflet, selon Habermas, de l’identité d’individus appartenant à une communauté de communication universelle21.
24Le patriotisme constitutionnel ainsi compris ne peut manquer d’incarner une identité politique relativement semblable pour tout citoyen engagé dans une délibération politique. Il s’agit, n’oublions pas, d’une identité politique désolidarisée des identités culturelles particulières, celles-ci ne possédant aucun lien nécessaire, dans cette théorie de l’identité, avec la formation de l’identité politique. Certes, des liens recoupent les identités culturelles et politiques, mais ceux-ci sont simplement contingents. Il suffirait alors d’accorder aux minorités des protections culturelles garanties par le traitement égal des individus, comme le fait Habermas, au motif que la délibération politique est, de toute manière, « imprégnée » ou « colorée » par les contenus éthiques d’un mode de vie particulier.
25Mais il appert que cette manière de caractériser la délibération politique passe sous silence les conditions de coexistence des groupes dans les États multinationaux. Ces communautés politiques canalisent des ressources collectives qui sont aussi nécessaires à la bonne marche des démocraties délibératives. En outre, elles permettent aux individus de résister à des pratiques de réification imposées par d’autres groupes. En d’autres mots, elles permettent le déploiement d’un contexte de participation politique qui est essentiel à la délibération. Or, il ne me semble pas possible de comprendre adéquatement les conditions de coexistence des groupes si l’analyse de l’identité se borne à cerner une identité politique universelle au niveau strictement individuel. L’individu peut certainement comprendre son appartenance culturelle comme étant contingente, comme dans les cas où, pour certaines questions, son regard se porte sur ce qui fait de lui un individu comme tous les autres.
26Par contre, s’il s’agit de comprendre la signification de l’appartenance culturelle au niveau des conditions de coexistence des groupes, la culture n’est plus seulement une ressource contingente. L’appartenance culturelle prend ici la forme de ressources participatoires, que seule une structure culturelle suffisamment élaborée est en mesure d’offrir aux individus. La délibération passant par les canaux communicationnels, il faut partager avec autrui un monde vécu bien structuré pour espérer avoir une influence politique. Cette caractéristique structurelle des communautés politiques fait de la culture un bien positionnel : la culture est un bien pour l’intérêt politique des individus et des collectivités, mais dont on ne peut jouir que si un nombre limité de collectivités en profitent. Comme le pouvoir, la valeur du bien qu’est la culture augmente avec l’exclusion d’acteurs collectifs capables d’en profiter. La culture, comme l’a d’ailleurs compris Habermas, est alors manipulée pour des fins qui servent les rapports de force et non le développement individuel. Ainsi, pour certaines collectivités, une protection adéquate par le biais de droits collectifs permet de contrecarrer la conséquence du regroupement des individus dans des groupes, un résultat tout à fait prévisible, où les groupes majoritaires cherchent à s’accaparer les ressources culturelles. C’est pourquoi les individus appartenant aux groupes minoritaires ne conçoivent pas leur appartenance comme étant contingente, au sens où Habermas l’entend. Leur identité est plutôt le lieu où les luttes sociales et politiques des membres d’une même communauté convergent pour faire valoir leurs droits politiques. Dans ce qui suit, je vais transposer ce versant exploratoire de l’identité, qui se rattache à la formation de l’identité à travers un processus de luttes collectives pour la reconnaissance, dans le contexte des droits ancestraux revendiqués par les communautés autochtones au Canada.
III.
27Plutôt que d’aborder la question par la lorgnette de l’identité des sujets de droits, je vais concentrer mon regard sur les objectifs et les résultats attendus d’une introduction des droits collectifs. Du point de vue pragmatique, les droits collectifs sont justifiés par l’introduction de mesures servant à contrebalancer les rapports entre groupes minoritaires et majoritaire. Pour actualiser leurs intérêts, les individus ont besoin de s’organiser en groupe : le pouvoir collectif crée des ressources, telle la culture, que les individus utilisent pour leur propre développement. Le pouvoir collectif peut être utilisé à bon ou mauvais escient ; le résultat attendu de l’introduction des droits collectifs est de rendre des ressources collectives disponibles pour des fins légitimes, à l’usage de groupes politiques soutenus de manière continue dans l’histoire et dont la survie dépend de ces instruments légaux.
28Avant de se demander quelles fins peuvent remplir les droits collectifs et quels groupes y sont éligibles, il faut veiller à ne pas trop restreindre la question. Il ne faut pas reconduire l’erreur d’une analyse individualiste du sujet de droit. Les fins desservies par les droits collectifs ne sont pas toutes réductibles dans un cadre individualiste. Il y a certes beaucoup de choses qui dépendent ultimement des besoins de l’individu et la sphère politique est le lieu par excellence de l’actualisation des intérêts individuels. Mais il est permis d’aller plus loin et de dire que, si les bénéfices pour le développement individuel sont immenses, la diversité sociale possède également une valeur pour l’ensemble de la collectivité humaine. Non pas dans le sens d’une écodiversité, car la collectivité humaine pourrait peut-être survivre même si elle était culturellement monolithique. Il s’agirait là toutefois d’une humanité qu’il serait difficile de ne pas considérer comme extrêmement appauvrie. Dès que les intérêts des individus sont regroupés et organisés en force collective, une société pacifique qui réalise une pluralité d’ensembles culturels devient un idéal régulateur qui profite à l’ensemble de la collectivité humaine, et non pas uniquement à l’individu. Ce n’est pas seulement pour satisfaire les préférences d’individus socialisés que la diversité doit être préservée, mais aussi pour étendre la richesse d’une expérience humaine conçue comme étant traversée par le dialogue avec autrui.
29Le cas des droits ancestraux revendiqués par les autochtones m’intéressera particulièrement dans ce qui suit. Des évolutions récentes dans les tribunaux et les négociations politiques font bien ressortir les bénéfices attendus de la reconnaissance de la diversité. En effet, les tribunaux canadiens intègrent de plus en plus une perspective non particulariste et évolutive sur les droits ancestraux. Les acteurs politiques, quant à eux, négocient les jalons d’une nouvelle relation entre l’État et les Autochtones, qui met l’accent sur les aspects socioéconomiques de la reconnaissance de la diversité. Ainsi se dégagent deux objectifs visés par les droits ancestraux, soit la mise en place d’une relation d’égal à égal entre l’État canadien et les communautés autochtones, ainsi que des leviers au service du développement social, économique et politique des individus et des groupes.
30Habermas rejette les revendications des Autochtones au Canada au motif qu’elles prolongeraient la vie de cultures non libérales qui mettraient en danger les individus et en particulier les femmes22. S’il faut généreusement interpréter ce que dit Habermas sur la culture non libérale des Autochtones, il faudrait comprendre qu’il se réfère à un test imaginé par les tribunaux canadiens afin de déterminer quelles seraient les pratiques autochtones protégées par la notion de droit ancestral. Ce test consiste à déterminer si la pratique en question fait partie de la « culture distinctive » du groupe autochtone qui en revendique la protection, au sens où, d’une part, cette pratique possèderait une importance fondamentale et particulière à cette société et où, d’autre part, cette pratique préexistait au « contact » avec les Européens23. Le test de la culture distinctive vise à maintenir un mode de vie historique, ou traditionnel, grâce à la protection apportée par des droits culturels.
31Il y a plusieurs problèmes à considérer les droits ancestraux comme des droits qui ne feraient que protéger un mode de vie traditionnel. De nombreuses critiques se sont élevées contre cette interprétation. Le problème fondamental est que, contrairement à ce qu’elles veulent encourager, les décisions qui utilisent le test de la culture distinctive n’arrivent pas à concilier l’existence de plusieurs groupes sur un même territoire24. Les droits ancestraux interprétés comme droits historiques ratent en effet cet objectif. En figeant de manière arbitraire les pratiques à protéger comme étant celles datant de l’époque dite de pré-contact, les droits ancestraux ne tiennent pas compte des problèmes actuels des sociétés autochtones. Par exemple, une décision récente de la plus haute Cour canadienne refuse de considérer l’exploitation forestière comme un droit ancestral des autochtones, au motif que cette pratique n’existait pas avant le contact avec les Européens. Les droits historiques dressent ainsi une barrière infranchissable à l’évolution des communautés autochtones.
32L’interprétation historique des droits ancestraux, contrairement à ce que laisse entendre le texte de Habermas, n’est toutefois pas la seule issue possible. L’interprétation historique pourrait être comprise comme une modalité particulière des droits collectifs spécifiques des communautés autochtones, dans la mesure où il s’agit de déterminer le contenu de certains types de droits là où ceux-ci gagnent à recevoir une interprétation historique. Mais ces droits spécifiques opèreraient eux-mêmes sur l’arrière-fond de droits plus généralisables dont le contenu, loin d’être réductible à une pratique particulière, se généralise à toutes les communautés autochtones. Brian Slattery tente ainsi de démontrer que les plus récentes décisions des tribunaux canadiens se réfèrent non plus seulement aux droits particuliers détenus par des communautés particulières, mais également à des principes qui s’appliquent de manière plus universelle25. Une telle perspective sur les droits ancestraux est alors dite générique, la Cour se retenant de définir le contenu des droits ancestraux et demande plutôt aux parties concernées – les gouvernements provincial et fédéral, ainsi que les groupes autochtones – d’en négocier le contenu de bonne foi.
33Une série de décisions qui ont suivi Van der Peet penchent du côté de ce que Slattery dénomme les droits génériques26. Il est impressionnant de voir s’opérer sous nos yeux, en ce moment même, ce changement important dans la jurisprudence canadienne. Certes, comme le souligne Slattery, cette interaction entre des droits spécifiques et des droits génériques existait déjà dans la Common Law au niveau des relations entre les provinces et l’État fédéral27. Mais l’introduction des droits autochtones dans la Common Law est en soi un événement dont l’impact commence seulement à se faire sentir28. Quoiqu’il en soit des détails de ces impacts, les tribunaux canadiens font preuve d’une grande sagesse s’ils sont effectivement en voie de considérer les droits ancestraux sous leur aspect évolutif. Ceci permet aux juristes de considérer les aspects sociaux et politiques, et non pas uniquement culturels, des luttes pour la reconnaissance.
34Si l’évolution de la jurisprudence canadienne démontre comment il est possible de sortir d’une interprétation culturaliste et non évolutive des droits collectifs, les ententes récentes signées entre les Autochtones et les gouvernements provincial et fédéral illustrent de leur côté comment il est possible de retirer des bénéfices du pluralisme juridique et politique avec les droits ancestraux.
35Ces ententes de grande envergure rejettent la doctrine de l’extinction des droits ancestraux, qui était, comme mon introduction l’a rappelé, à la base des politiques précédentes d’assimilation. Elles proposent en outre un partage de ressources sur un très large territoire, ce qui peut ressembler au prélude d’une autonomie gouvernementale des Autochtones assez poussée. Le traité établissant le territoire du Nunavit (Nord du Canada) fait partie de ces ententes, de même que le traité de Nisga’a (Colombie-Britannique), l’Entente de principe relative au territoire du Nistassinan (Innus du Québec) ainsi que La paix des braves signée par les Cris (Nord du Québec). Le but explicite consiste à sortir ces communautés d’un état de dépendance, grâce à des outils socio-économiques visant une prise en charge responsable par les communautés autochtones de leur destin. Ainsi, ces ententes reprennent les deux objectifs des droits collectifs identifiés plus haut, c’est-à-dire la construction d’une relation d’égal à égal entre l’État et les communautés autochtones et la concrétisation de cette relation pour le développement des individus et des groupes.
36Les ententes signées avec les Cris et les Innus sont parmi les plus récentes et aussi les plus ambitieuses. La Paix des Braves, ainsi appelée communément, a pour titre complet Entente concernant une nouvelle relation entre le gouvernement du Québec et les Cris du Québec. La « nouvelle relation » rappelée par le titre est définie de la manière suivante au paragraphe 2.3 :
La présente Entente permet de marquer une étape importante dans une nouvelle relation de nation à nation, ouverte, respectueuse de l’autre communauté et favorisant une responsabilisation de la nation crie dans son propre développement et ce, dans le contexte d’une plus grande autonomie.
37Il est vrai que depuis la signature de cette entente, les relations semblent s’être améliorées sur plusieurs plans, en particulier parmi l’élite politique, économique et académique. La communauté crie commence également à recueillir les dividendes des mesures compensatoires qui ont fait suite à la signature : un meilleur climat et de nouvelles structures ont permis un boom économique qui n’est pas négligeable (cf. Air Creebec, La Compagnie de Construction et de Développement Cris, CREECO, CREEADGA, etc.).
38Mais il reste encore beaucoup à faire. L’Entente de principe signée avec les Innus, et qui devrait bientôt déboucher sur un traité, permet de prévoir certaines formes politiques nouvelles que les institutions canadiennes pourraient un jour adopter. Je terminerai cette section avec deux remarques. La première concerne les nouvelles formes de gestion territoriale qui sont mises de l’avant dans L’Entente de principe. La seconde portera sur l’ampleur des compétences politiques qui pourraient être ainsi transférées aux communautés innues.
39L’entente couvre une région d’environ trois cent mille kilomètres carrés. Elle prévoit instituer deux types de gestion territoriale (et politique) commune, les Nitassinan et les Innu Assi. Les Nitassinan couvriront de larges territoires sur lesquels les communautés innues pourront exiger et négocier des droits de redevance sur l’exploitation des ressources. Il est intéressant de noter que le terme Nitassinan synthétise deux réalités. D’une part, le terme est emprunté à la langue innue et désigne le territoire sur lequel habitent les Innus. Dans cette perspective, l’entente prévoit des droits de pêche, de chasse, de cueillette et de cogestion sur les territoires légalement désignés comme étant des Nitassinan. Mais comme le terme désigne aussi spécifiquement un mode de vie particulier, l’entente prévoit également des territoires plus petits, les Innu Assi, sur lesquels les nations innues se voient reconnaître leurs droits d’autonomie gouvernementale sur une très large gamme de domaines, c’est-à-dire presque tous les domaines à l’exclusion de la défense nationale, de l’immigration, de l’immatriculation des véhicules et de l’application de la Charte canadienne des droits et libertés.
40Sur le territoire Innu Assi, les nations innues auront le droit de mettre en place des gouvernements quasi-autonomes ayant pleine juridiction en matière d’éducation, de santé, de droit familial, de développement de la main d’œuvre, et ainsi de suite. De plus, la cogestion des plus grands territoires, les Nitassinan donc, concèdera de précieux revenus aux gouvernements innus. Évidemment, la réalité fédérale canadienne étant ce qu’elle est, il faut savoir que chaque « domaine de compétence » sera emporté à l’arraché et après de longues négociations, au terme desquelles il ne faudra pas s’étonner d’un droit de regard imposé par les gouvernements fédéral et même provincial. Mais ce qu’il importe de signaler est que cette cogestion territoriale se met en place au fur et à mesure que sont abandonnés les honteux mécanismes de colonisation et d’assimilation des politiques antérieures. L’entente prévoit « la reconnaissance, la confirmation et la continuation des droits ancestraux » (par. 2.1) et rejette explicitement l’extinction de ces mêmes droits. Les anciennes réserves sont transformées en territoires potentiellement autonomes. L’état de dépendance fait place à une relation d’égal à égal, soulignée par le préambule qui reprend presque mot à mot les mots d’ordre envoyés par les arrêts juridiques :
Attendu que les Premières Nations [...], le Québec et le Canada ont tenu des négociations en vue de la conclusion d’un Traité qui concilierait la présence antérieure des Premières Nations [...] et l’affirmation de la souveraineté de la Couronne (Entente de principe, par. 2.1).
41Cette entente est le pur produit des récentes décisions des tribunaux canadiens. Il me paraît donc tout à fait pertinent de les analyser à partir des instruments esquissés plus haut. Il faut ainsi éviter de voir dans cette entente l’intention de figer les communautés autochtones dans des traditions ancestrales. Bien qu’elle prévoit la possibilité de protéger des institutions culturelles, en particulier les techniques de chasse et de pêche, ces droits spécifiques sont clairement l’articulation de droits généralisables à toutes les collectivités autochtones. Le fond de l’entente consiste à mettre en place une relation d’égal à égal, permettant aux collectivités d’orienter leur destin comme bon il leur semble. Ceci ne préjuge en rien du type de développement qui sera à l’œuvre et il ne faut pas enfermer cette entente dans une interprétation culturaliste en n’y voyant que la reconduction de modes de vie traditionnels.
42En outre, plusieurs dispositions de l’Entente de principe montrent le potentiel des ententes et des traités pour le bien-être des individus. Toutes les ententes signées jusqu’à aujourd’hui réaffirment explicitement, et deux fois plutôt qu’une, le développement socioéconomique comme un objectif majeur. Également, ces ententes sont définies d’emblée comme des traités au sens des articles 25 et 35 de la Constitution canadienne, ce qui oblige les traités à se conformer aux dispositions de la Charte des droits et libertés.
43Mais n’est-il pas vrai qu’on y rencontre toutefois des affirmations ambiguës. Par exemple, les droits ancestraux sont reconnus en tant qu’expression de l’indianité (par. 2.1), ou encore l’autonomie gouvernementale serait transférable pour toute matière ayant un lien significatif avec l’identité des nations innues (par. 8.4.4.1). Il faut cependant remettre ces affirmations dans leur contexte. La première dit bien qu’en reconnaissant les droits ancestraux, les parties « entendent favoriser le développement des Premières Nations [...] ». La reconnaissance est donc intimement reliée au développement des communautés innues, ce qui renforce le passage où il est spécifié que le futur traité sera défini à l’intérieur des paramètres prévus par la Constitution. En effet, il aurait été presque inconcevable que le rattachement du traité à la Constitution ne s’accompagne pas de mesures favorisant le bien-être des individus. La seconde affirmation repérée doit aussi s’insérer dans son contexte. Il s’agit du chapitre huit et de la dévolution des pouvoirs. Les lois innues auraient prépondérance pour un ensemble de domaines, incluant « toute autre matière qui a un lien significatif avec l’identité des Premières Nations ou qui a pour objet de préserver l’indianité innue ou une caractéristique dominante de leur société » (par. 8.4.4.1). Cette disposition, telle quelle, n’empêcherait pas les communautés de protéger leur spécificité, mais elle n’empêcherait pas non plus la protection d’une caractéristique dominante qui ne serait ni culturelle, ni historique, ni traditionnelle.
44Par conséquent, rien ne permet de rejeter les ententes récentes avec des arguments a priori qui élèvent les libertés individuelles au rang d’horizon normatif unique. Ces ententes se situent dans le droit fil des arrêts judiciaires qui cherchent à étendre la portée des droits fondamentaux protégés par la Constitution, tout en réconciliant la présence antérieure des Autochtones avec l’affirmation de la souveraineté de l’État canadien (notons que c’est l’affirmation de cette souveraineté qu’il faudrait considérer, et non la présence de facto de la souveraineté canadienne). Ces ententes se définissent à l’intérieur de paramètres constitutionnels qui protègent solidement les droits individuels. Elles se fondent sur une philosophie évolutive des droits ancestraux, qui font de ceux-ci des droits détenus par tous les groupes ayant été victimes des affres du colonialisme, et de manière encore plus généralisable, ces droits peuvent même être compris comme un sous-ensemble des droits détenus par tout groupe sociopolitique autonome dans une démocratie délibérative29. Les nombreuses mises au point à propos du développement socioéconomique – parfois il ne semble y en avoir que pour ce type de développement dans les ententes récentes – éloignent tout doute quant à la présence de clauses qui ne chercheraient qu’à protéger la culture autochtone en tant qu’espèces menacées. Il appert alors qu’une critique judicieuse de ces ententes devra en étudier les dispositions pour voir lesquelles peuvent être améliorées ou même rejetées. Mais il n’est pas possible de repousser d’emblée ces ententes sans en approfondir les dispositions particulières et les applications concrètes.
*
45Malgré toutes les raisons qui militent en leur faveur, la résistance générale du public face à la mise en œuvre des ententes avec les Autochtones est passablement forte. Les lignes qui précèdent ont cherché à démontrer que l’aversion pour les droits collectifs est, dans ce contexte, injustifiée. Elle repose sur une ignorance des bienfaits apportés par les droits collectifs. Chez Habermas, comme chez bien d’autres, cette ignorance est souvent le fait d’une généralisation abusive. Il existe certainement des droits collectifs inacceptables – que l’Allemagne a expérimentés en 1938 avec l’invasion de la Tchécoslovaquie. Mais ces exemples, comme celui de Wisconsin v. Yoder, ne sont pas représentatifs de la législation qui fait un usage raisonnable des droits collectifs. Les droits collectifs sont quotidiennement évalués dans les débats publics et mis en application dans les institutions politiques et par les tribunaux. Il n’y a rien de nouveau dans l’idée de droits collectifs pour nombre d’acteurs politiques et de juges (Eisenberg : 2005).
46Non seulement les droits collectifs ne représentent pas le danger auquel il est souvent fait allusion, mais il existe nombre de considérations prudentielles et morales qui motivent l’introduction de droits collectifs. Ces considérations découlent de la justification principale des droits collectifs, qui sont introduits dans l’intention de redresser des inégalités durables entre minorités et majorités, ainsi que par la nécessité de régler les différends de manière pacifique. En ce qui concerne les autochtones, les dispositions protégeant les droits fondamentaux sont nombreuses ; en fait, le principal problème vient de l’inaction des gouvernements non-autochtones. Tant par leurs visées prudentielles que morales, les traités autochtones incarnent une série de droits collectifs qu’aucun argument a priori n’est justifié de rejeter. En outre, les tribunaux canadiens ont montré leur capacité à intégrer ces types de droits. Par conséquent, il paraît injustifié de s’opposer aux traités autochtones au motif qu’ils contiendraient des droits collectifs qui seraient inacceptables dans une démocratie moderne. Au contraire, les droits collectifs sont désirables pour bien des raisons.
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Notes de bas de page
1 Jean-Jacques Simard (2003) montre bien comment le refoulement et la culpabilité face à cette histoire ont donné lieu à la figure anti-moderne, naturelle, vitaliste de l’Autochtone, par opposition au « Blanc ».
2 Renée Dupuis (20001), pp. 43-54. Lire aussi l’impressionnante documentation produite par la Commission Royale (Érasmus-Dussault) du Canada sur les Peuples Autochtones.
3 Je renvoie le lecteur curieux à un article intéressant de Patchen Markell (2000). Cet article m’a inspiré une analyse généalogique de la notion d’identité chez Habermas (Blanchard, 2004a, p. 171 sqq.).
4 Pour une discussion étayée de cette procédure, cf. le chapitre 3 de Habermas (1992).
5 John Rawls (1971).
6 Wayne Norman fournit à ce sujet un brillant commentaire. Cf. ibid.
7 Habermas (2005), p. 16 (toutes les citations de ce texte sont traduites par l’auteur de ces lignes).
8 Ibid., p. 15.
9 Ibid., p. 18.
10 Habermas (1992), Droit et démocratie, chapitre 1.
11 Ibid., p. 18.
12 Même Stéphane Dion, un politologue mais surtout un ancien ministre fédéral réputé pour ses positions tranchées contre le nationalisme québécois, abonde dans ce sens, jusque dans ses interventions publiques sur le sujet – par exemple dans Dion (2002).
13 Taylor (1993).
14 Ibid., p. 20. En outre, cette distinction entre restrictions externe et interne ne fait que présupposer ce qui est en litige. Toute la difficulté qui entoure les droits collectifs est justement de savoir si ceux-ci sont autorisés à empiéter sur les droits individuels et si oui, dans quels cas. Postuler par avance que les droits collectifs sont justifiés dans le cas où ils n’empiètent pas sur les droits individuels ne fait que contourner le problème. Pour une analyse très fine de cette discussion, lire Dwight Newman (2006a).
15 Habermas (2005), p. 22.
16 Ibid., p. 22.
17 Pour une discussion sur le phénomène de l’ascription en rapport avec le sujet de ce texte, voire la distinction que fait Avigail Eisenberg entre les associations volontaires, non-volontaires et involontaires (1995), pp. 177-183.
18 Charles Taylor ne s’est jamais prévalu de la notion de droits collectifs, mais plusieurs n’ont pas hésité à le pousser dans cette direction (par exemple Janie Pélabay, (2001), pp. 257 sqq.). Pour une version clairement communautariste des droits collectifs, cf. David Miller, pour qui le principe de nationalité consiste à découper les territoires en fonction des frontières nationales, ce qui revient à fonder un droit à l’autodétermination sur les différences culturelles (entre autres David Miller, 1993).
19 La littérature sur ce sujet est abondante. Pour commencer, Axel Honneth (1992) et Emmanuel Renault (2002).
20 Habermas, (1993), pp. 216 et 230.
21 La meilleure caractérisation de cette appartenance à une communauté universelle se trouve dans le chapitre huit de Habermas (1988), « L’individualisation par la socialisation. La théorie de la subjectivité ».
22 Habermas (2005), pp. 23-25.
23 R. v. Van der Peet.
24 « Le paragraphe 35 (1) [de la Constitution canadienne et qui reconnaît les droits ancestraux] établit le cadre constitutionnel qui permet de reconnaître que les autochtones vivaient sur le territoire en sociétés distinctives, possédant leurs propres coutumes, pratiques et traditions, et de concilier ce fait avec la souveraineté de Sa Majesté. Les droits substantiels visés par cette disposition doivent être définis à la lumière de cet objet ». R. v. Van der Peet, par. 6.
25 Brian Slattery, (2006a) et (2006b).
26 C’est le cas de R. v. Delgamuukw, R. v. Haida Nation, R. v. Taku River, R. v Marshall.
27 Brian Slattery (2006b), p. 21.
28 Dwight Newman (2006b).
29 J’ai développé un argumentaire beaucoup plus général sur les droits collectifs dans les démocraties délibératives dans Blanchard (2004a et 2004b).
Auteur
Chercheur au Centre de recherche en éthique de l’Université de Montréal (CRÉUM)
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