Assumer l’héritage de la théorie critique : sauver Marx par la reconnaissance ?
p. 65-85
Texte intégral
1Axel Honneth a conçu sa théorie de la reconnaissance comme un moyen d’infléchir le tournant communicationnel habermassien en renouant avec le programme initial de la théorie critique, élaboré par Horkheimer principalement dans les années 19301. Or, le terme de théorie critique ne correspondait initialement qu’à une manière euphémisée de se référer au marxisme. Il n’est donc pas surprenant que la question controversée du rapport de la théorie de la reconnaissance au programme initial de la Théorie critique conduise souvent au problème du rapport à Marx.
2L’idée de théorie critique recouvre aujourd’hui des projets théoriques divergents, y compris chez ceux qui se réclament d’une tradition francfortoise. Elle est également l’objet de nombreux conflits où entrent en jeu des divergences théoriques et politiques, mais aussi des stratégies de captation d’héritage. Parmi ceux qui se réclament de la tradition francfortoise, on compte des partisans de la théorie de la reconnaissance, mais aussi des indifférents et des adversaires, et chez ces derniers, la question du rapport à Marx est souvent jugée décisive. Les reproches adressés de ce point de vue à Honneth sont de différentes natures. Ils concernent le type de lecture de Marx qu’il a proposé, auquel on reproche parfois de comporter le même biais que les interprétations développées par les fondateurs, Horkheimer et Adorno, et l’inspirateur Habermas2. Ils concernent également ce qui est conservé et abandonné du programme marxien. Les objections portent sur le fait que la philosophie normative semble éclipser la théorie sociale3, mais on s’en prend parfois également au fait que la théorie sociale est développée selon un modèle trop étroitement interactionniste4, et certains jugent que l’analyse des conflits sociaux sous-estime l’action de composantes structurelles usuellement désignées par des notions comme idéologie, classes sociales et capitalisme5. Bien souvent, ces critiques sont animées par la conviction qu’il convient de distinguer rigoureusement entre la véritable théorie critique des fondateurs, qui conserverait toujours un lien avec les intentions marxiennes, et la soi-disant théorie critique de ceux qui ont accepté le tournant communicationnel à la suite de Habermas6. Ces différentes critiques peuvent également conduire à des conséquences divergentes : certains concluent à la nécessité d’un abandon du paradigme de la reconnaissance, d’autres à la nécessité de sa reformulation ou à son intégration dans un cadre théorique plus général.
3Dans ses premiers textes publiés, Honneth a présenté sa propre entreprise comme une forme de « critique rédemptrice » (rettende Kritik) du marxisme7. Après avoir élaboré sa théorie de la reconnaissance, il a continué à se réclamer d’une tradition plus large que celle de la seule Théorie critique, où Marx a toujours figuré comme un élément central : dans La lutte pour la reconnaissance, il s’agit de la tradition cherchant à penser l’évolution des sociétés du point de vue des conflits à composante normative, dont Marx, Sorel et Sartre seraient les principaux représentants ; dans des articles ultérieurs, il s’agit de la tradition de l’hégélianisme de gauche, initiée par les jeunes hégéliens, qu’il s’agirait de renouveler aujourd’hui sous la forme d’un néo hégélianisme8. Par ailleurs, plusieurs textes récents semblent tenter de répondre à certaines critiques d’inspiration marxienne. Dans l’introduction du débat avec Nancy Fraser, l’objectif affirmé est de combler l’une des principales lacunes de la Théorie critique, à savoir le manque d’attention accordé à l’Économie politique9. Dans deux textes récents, l’article « La reconnaissance comme idéologie »10 et l’essai sur La réification11, Honneth cherche à intégrer dans son cadre théorique les thèmes marxiens de l’idéologie et de la réification, thèmes dont l’absence était considérée par certains comme révélatrice d’une insuffisance générale. Enfin, dans un article récent rédigé avec Martin Hartmann sous le titre « Paradoxes du capitalisme »12, Honneth s’engage dans une entreprise de diagnostique historique qui adopte le point de vue d’une théorie des transformations du capitalisme.
4Cependant, si ces différents développements témoignent d’une indéniable continuité avec certaines motivations de la théorie critique des origines, ils donnent également à penser qu’un certain nombre d’alternatives restent aujourd’hui ouvertes pour la théorie de la reconnaissance, des alternatives par rapport auxquelles le rapport à Marx peut jouer un rôle de révélateur. Dans ce qui suit, nous considérerons des alternatives relatives a) au rapport de philosophie normative et de la théorie sociale, b) au rapport de la théorie sociale et de la théorie des mouvements sociaux, c) au rapport de l’interaction et des structures sociales, d) au diagnostic historique portant sur le présent.
Philosophie normative ou théorie sociale ?
5Un des reproches les plus fréquemment adressés à la théorie de la reconnaissance, est de prolonger une tendance, héritée de Habermas, consistant à réduire la théorie critique à une réflexion sur les normes de la critique. Habermas a reproché à Adorno comme à Foucault de laisser inexplicités les présupposés normatifs de leurs modèles critiques, et même de présupposer des principes normatifs contredisant certaines de leurs thèses fondamentales. Au demeurant, l’effort pour articuler réflexion normative et théorie sociale, encore central dans la Théorie de l’agir communicationnel, a ensuite été abandonné pour des réflexions relevant exclusivement de la philosophie morale et de la théorie du droit. Si certains louent Honneth d’avoir tenté de maintenir le point de vue de la Théorie de l’agir communicationnel tout en affrontant certaines de ses insuffisances13, d’autres déplorent au contraire que Honneth s’éloigne par trop de Habermas14, étant notamment conduit à rompre le lien essentiel de la critique et de la raison, et d’autres encore identifient au contraire une trop forte proximité. On a pu reprocher à Honneth de tenter de refonder une théorie critique sur une philosophie sociale à contenu normatif en centrant exclusivement ses réflexions sur les présupposés éthico-moraux des modèles de critique sociale, en abandonnant conjointement l’effort pour élaborer une critique sociale effective. En langage marxien, Honneth autant qu’Habermas serait coupable de transformer la théorie critique en philosophie politique, et il faudrait opposer à ces dérives aussi bien l’exigence d’une critique de la philosophie que celle d’une théorie des tendances sociales porteuses d’émancipations possibles.
6Cependant, même si les travaux de Honneth ont surtout porté jusqu’à présent sur le versant normatif de la théorie critique, ils se sont orientés depuis quelques années déjà vers l’approfondissement de la théorie de la reconnaissance en tant que théorie sociale15. En outre, la théorie de la reconnaissance proposée par Honneth tente à sa manière proposer une critique de la philosophie politique, et de développer une analyse des virtualités sociales émancipatrices.
7D’une part, en effet, la théorie de la reconnaissance conteste l’une des orientations fondamentales de la philosophie politique contemporaine, à savoir le privilège qu’elle accorde à la définition de la justice et à l’identification de ses critères. Honneth montre que les théories de la justice tendent à passer sous silence des caractéristiques centrales de l’expérience de l’injustice, et à méconnaître l’importance des questions relatives à ce qu’il nomme « l’autre de la justice », c’est-à-dire les pathologies sociales16. Il peut ainsi présenter son mode d’intervention dans le champ de la philosophie politique normative en termes marxiens, en associant dans un même mouvement théorie critique et critique de la morale. C’est le cas dans l’article « Conscience morale et domination de classe »17, qui souligne que c’est seulement dans certaines conditions sociales privilégiées que les individus ont l’occasion de se référer explicitement à des principes moraux consciemment formulés pour orienter leur existence, alors qu’inversement, la plupart des mouvements de résistance des dominés s’ancrent dans des expériences qui sont vécues comme insupportables avant d’être formulée dans un langage normatif.
8Par ailleurs, dans Kritik der Macht, Honneth développe une critique de la théorie sociale habermassienne qui consiste précisément à lui reprocher de minimiser le rôle des luttes sociales dans l’évolution historique18. Ce n’est pas parce qu’il abandonne l’idée d’une articulation des principes normatifs et des dynamiques historiques que Honneth se concentre ensuite sur l’élaboration d’une éthique de la reconnaissance19. C’est au contraire, parce que les luttes sociales ne sont pas seulement des luttes motivées par des intérêts matériels, mais aussi par des composantes normatives que l’éthique de la reconnaissance tente d’expliciter (d’où le sous-titre de La lutte pour la reconnaissance : « grammaire morale des conflits sociaux »). En ce sens, la théorie de la reconnaissance peut bien être considérée comme un projet de relance de la théorie critique destiné à renouer par delà Habermas avec des motivations et des principes marxiens.
9Mais l’importance accordée aux dynamiques normatives propres aux luttes sociales fait surgir deux problèmes : le premier est relatif à la fonction attribuée aux composantes normatives dans les luttes sociales, le second à la fonction attribuée aux luttes sociales dans l’évolution historique.
Quelle conception des luttes sociales ?
10Trois reproches peuvent être adressés à la théorie honnethienne des conflits sociaux. Le premier impute une surestimation du rôle des composantes normatives par rapport aux intérêts matériels. L’objection est injuste puisque La lutte pour la reconnaissance déclare que c’est toujours une question empirique que de déterminer quel rôle jouent les intérêts matériels et les attentes de reconnaissance. Une seconde critique concerne la séquence : attentes normatives déçues, blessures morales, honte ou lutte pour la reconnaissance. Honneth est loin de soutenir que le déni de reconnaissance conduit nécessairement à une lutte pour la reconnaissance, et il souligne que différentes conditions sociales et culturelles doivent être remplies pour que les individus s’engagent dans des pratiques de résistance individuelles ou collectives. Ici encore, c’est à l’enquête empirique que La lutte pour la reconnaissance renvoie pour décrire les conditions du développement des dynamiques de résistance. Toutefois, on a pu lui reprocher de n’expliquer assez ni les conditions du développement de telles dynamiques, ni les raisons pour lesquelles elles conduisent soit à des transformations émancipatrices de l’ordre social, soit à des revendications qui ne contribuent qu’à reproduire ou renforcer la domination.
11Ces reproches ont été formulés dans le cadre de différentes traditions théoriques. Dans le cadre d’une tradition foucaldo-deleuzienne, on reproche parfois aux luttes pour la reconnaissance de se réduire en définitive à des luttes pour la reconnaissance d’identités qui consistent toujours en des effets d’assujettissement20.
12Lorsque cette critique est développée dans un horizon marxien, elle prend plutôt la forme d’un soupçon portant sur la dimension idéologique de la reconnaissance. On reproche alors à Honneth de méconnaître les contraintes symboliques et les rapports de pouvoir pouvant conduire les individus à revendiquer des formes de reconnaissance ne faisant que déplacer les dominations et les injustices qu’ils endurent21.
13Pour répondre à ces objections, Honneth a tenté de distinguer reconnaissance idéologique et reconnaissance non idéologique. L’argument consiste pour l’essentiel à avancer qu’une promesse institutionnelle de reconnaissance est idéologique lorsqu’elle ne peut pas être véritablement honorée par l’institution en question22. Il n’est pas difficile de comprendre comment cette définition de la reconnaissance comme idéologie s’applique aux promesses managériales de la reconnaissance de la créativité et de l’autonomie du travail flexible, dans des contextes où les collectifs de travail sont fragilisés voire déstructurés, où par ailleurs les marges de manœuvre sont souvent plus qu’étroites. Quoiqu’on puisse penser plus généralement de cette définition de l’idéologie23, il faut bien concéder que l’idée d’une dimension idéologique de la reconnaissance ne débouche pas nécessairement sur une réfutation du programme de la théorie de la reconnaissance. Elle définit bien plutôt un défi qu’elle tente de relever pour être à la hauteur de ses ambitions critiques.
14Un troisième reproche concerne la manière dont l’idée de lutte pour la reconnaissance articule une référence au conflit et une référence à la réconciliation. On a pu reprocher à Honneth de toujours penser les luttes sociales dans l’horizon hégélien de leur réconciliation24, en manquant ainsi le type de conflictualité spécifique qui donnait son sens au concept de lutte de classe chez Marx, concept qui suppose tout à la fois qu’aucune réconciliation véritable n’est possible entre les partenaires en lutte, et que seules des transformations des conditions sociales de la lutte peuvent offrir une solution pleinement satisfaisante25. Cette objection soulève deux problèmes distincts. Le premier est de savoir si les luttes pour la reconnaissance peuvent être conçues adéquatement sans analyse approfondie des conditions sociales du déni de reconnaissance. Nous y reviendrons dans la section suivante. Le second concerne le rapport du déni de reconnaissance avec la volonté d’être reconnu par autrui.
15Lorsque l’on reproche à Honneth de donner une version des luttes de reconnaissance trop hégélienne en interprétant les luttes de façon téléologique du point de vue de leur résolution réconciliatrice, on méconnaît la pensée de Hegel lui-même, et on confond les niveaux d’analyse dans la théorie de la reconnaissance. Chez Honneth, le besoin de reconnaissance est fondé sur la constitution intersubjective de l’intersubjectivité, et les luttes contre le déni de reconnaissance prennent toujours sens dans l’horizon d’un rétablissement d’un rapport positif à soi intersubjectivement constitué. Mais il est clair qu’il existe deux manières différentes de répondre au déni de reconnaissance : soit en recherchant la reconnaissance positive qui dans un premier temps est refusée, soit en transformant, ou en éliminant, les conditions ou les vecteurs du déni de reconnaissance. Ces deux possibilités correspondent à des formes de revendications différentes. Certaines luttes sociales visent à obtenir une reconnaissance positive de la part d’un groupe économiquement ou culturellement opposé, selon une logique qui est donc consensuelle, ou si l’on préfère, réconciliatrice. D’autres luttes sociales, au contraire, se développent dans un horizon purement agonistique. Elles se dirigent contre les agents, les complices, ou les vecteurs du déni de reconnaissance soit pour les détruire, soit pour les transformer, soit pour leur faire payer l’injustice, et non pour obtenir directement une reconnaissance positive. Les luttes des infirmières, au cours des années 1990 en France, illustrent le premier type de revendication. Les infirmières cherchaient à ce que la valeur sociale de leur travail soit reconnue à la fois par les médecins, groupe social dominant au sein de l’institution hospitalière, et plus généralement, par l’ensemble de la société. C’est bien une reconnaissance positive de la part de l’ensemble des agents sociaux qui était visée. La révolte des banlieues de l’automne 2005 illustre quant à elle le second type de lutte. Même si l’on a souvent souligné l’absence de revendication explicite, et même s’il est toujours risqué de se livrer à des généralisation à propos des revendications des populations subalternisées26, il était question de « respect » dans les discours des émeutiers et de ceux qui se solidarisaient avec eux, et il est permis d’avancer l’hypothèse qu’il s’agissait d’une lutte visant à répliquer à ce qui était vécu et exprimé comme un mépris social général, que celui-ci prenne la forme des insultes officielles d’un ministre où qu’il prenne les formes plus diffuses des discriminations et de la disqualification sociale. Il semble légitime d’ajouter que ce déni de reconnaissance était conçu comme donnant droit de détruire tout ce qui symbolise le déni de reconnaissance, et que cet agir protestataire se développait dans un horizon principalement agonistique (celui de la destruction et de l’opposition)27.
16Pour distinguer ces deux formes de réponses bien différentes au déni de reconnaissance, nous proposons de distinguer au sein des luttes de reconnaissance d’une part des luttes de reconnaissance réconciliatrices (ou luttes pour la reconnaissance), et des luttes de reconnaissance agonistiques. Ces conventions terminologiques peuvent s’autoriser de Hegel qui utilise plus souvent la notion de « lutte de reconnaissance » (Kampf des Anerkennens) que celle de « lutte pour la reconnaissance » (Kampf um Anerkennung)28. C’est en effet une caractéristique du déni de reconnaissance qu’il peut conduire à tenter de détruire les facteurs du déni de reconnaissance par différents moyen, y compris par la lutte à mort, comme Hegel le soulignait dans la Phénoménologie de l’esprit.
Interactions, institutions, structures sociales ?
17Mais qu’en est-il exactement du rapport de cette théorie des luttes sociales avec la théorie sociale à proprement parler ? Ce problème conduit plus généralement à la question suivante : comment une théorie de la reconnaissance s’articuler avec une théorie sociale ? Les thèses fondamentales de sa théorie sociale furent élaborées par Honneth dans Kritik der Macht. Et c’est bien à ces thèses que s’en prennent certaines critiques. Elles en perçoivent les ambiguïtés, mais elles se concentrent le plus souvent sur des aspects isolés de cette théorie sociale, sans tenir compte du fait qu’elle définit un programme de recherche pouvant être orienté dans différentes directions, et que certaines d’entre elles correspondent précisément à ce qui est exigé, ou ce qui pourrait l’être, par ces critiques.
18a – Une première ambiguïté est relative à la distinction habermassienne du système et du monde vécu. Dans Kritik der Macht, Honneth explique qu’aucune sphère sociale ne peut totalement s’affranchir du poids des attentes normatives et que l’« administration » aussi bien que le « marché » sont soumis aux contraintes morales du monde de la vie. Mais cette objection peut être entendue en deux sens différents. En un premier sens, elle peut signifier que la théorie de la reconnaissance, entendue comme une analyse des présuppositions normatives de l’interaction, est à même de décrire toutes les relations sociales car celles-ci consistent toujours en des interactions et en des modes de coordinations des actions qui doivent être reconnues comme légitimes par les agents sociaux29. C’est alors l’idée de contrainte systémique comme telle qui peut être rejetée (en entendant « systémique » en un sens large, au sens de contraintes fonctionnelles ou structurales en général). Mais cette critique peut également être développée en un sens plus modéré, et récuser seulement l’idée suivant laquelle les relations systémiques existent sous la forme de sphères sociales séparées et autonomes. Il ne s’agirait plus alors de critiquer l’idée de contrainte systémique (fonctionnelle ou structurale) comme telle, mais d’en contester seulement une interprétation déterminée. En ce sens, la théorie de la reconnaissance aurait à expliquer comment les contraintes normatives et les contraintes systémiques se combinent dans l’interaction sociale et comment les situations sociales déterminées, ou se produisent de telles combinaisons, peuvent faire surgir des luttes à potentiel émancipateur. Cette ambiguïté n’a jamais été levée par Honneth et explique pour une part les critiques qui lui ont été adressées par Fraser30.
19Selon la première hypothèse, la théorie de la reconnaissance doit être considérée comme une théorie sociale générale. Mais si l’on s’en tient aux thèmes abordés explicitement par La lutte pour la reconnaissance, il apparaît que la théorie de la reconnaissance a pour objet principal l’expérience de l’injustice et qu’elle ne fournit pas par elle-même de théorie des causes sociales de l’injustice. De ce fait, les critiques qui reprochent à Honneth de ne pas proposer une théorie du pouvoir ou une théorie du capitalisme manquent partiellement leur objet : théoriser l’expérience de l’injustice et théoriser les causes de l’injustice constituent en effet des objectifs complémentaires entre lesquels il n’y a pas à choisir31.
20Interpréter la théorie de la reconnaissance comme une théorie de l’expérience de l’injustice n’implique pas pour autant lui dénier toute pertinence en matière de théorie sociale. Honneth ne se contente pas de décrire les formes du déni de reconnaissance et leurs effets sur l’expérience individuelle, il s’engage également dans une analyse des formes de résistance collective au mépris et dans une réflexion sur les effets sociaux qui peuvent en résulter. En ce sens, il situe bien son intervention dans le champ de la théorie sociale mais en proposant des considérations qui doivent être intégrées dans une théorie sociale plus large, afin de rendre compte des causes de l’injustice, des contraintes spécifiques qui portent sur l’agir protestataire, et des effets sociaux de la résistance.
21Il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la tâche consistant à articuler une théorie de l’expérience de l’injustice et une théorie des contraintes systémiques ne s’impose pas seulement aujourd’hui aux partisans de la théorie de la reconnaissance, mais aussi à tous ceux qui veulent continuer à maintenir une référence vivante à Marx. La mondialisation néolibérale a en effet conduit à accélérer les tendances motivant l’un des constats les plus typiques du post-marxisme : les luttes sociales et politiques sont trop hétérogènes pour être ramenées à l’homogénéité d’un même intérêt matériel, comme celui du prolétariat, selon le schéma qui avait servi à penser l’internationalisme prolétarien32. Il n’est pas non plus possible de réduire les luttes sociales et politiques à une expression immédiate des contradictions du mode de production capitaliste en général, ou du régime d’accumulation actuel. La question de l’unité des luttes sociales s’étant de ce fait relativement autonomisée, il n’est pas absurde de chercher à y répondre à partir d’une analyse du contenu normatif spécifique des revendications. La théorie de la reconnaissance peut être mobilisée à cette fin.
22b – Une seconde ambiguïté tient au rôle que les luttes sociales jouent dans l’évolution sociale. Dans Kritik der Macht, Honneth a critiqué l’interprétation habermassienne de l’évolution sociale suivant le modèle d’un processus d’apprentissage fondé dans les dynamiques immanentes du mode de la vie et du système. Il a déploré que Habermas ait substitué, dans la Théorie de l’agir communicationnel, un tel modèle de rationalisation sociale à un autre modèle, celui de Connaissance et intérêt, où les conflits sociaux jouaient un rôle déterminant. Il est clair que l’un des objectifs de la théorie de la reconnaissance est de décrire la contribution des luttes sociales à l’évolution sociale. Cependant, la poursuite d’un tel objectif peut emprunter deux voies différentes. En un premier sens, la théorie de la reconnaissance peut-être interprétée comme un modèle d’évolution sociale susceptible de se substituer purement et simplement à celui de Habermas. Il faut alors soutenir que les institutions ne peuvent subsister durablement que si elles satisfont les attentes normatives des individus, et ajouter que leurs transformations renvoient toujours à des luttes visant à faire reconnaître la légitimité d’attentes normatives non institutionnalisées. Mais la critique de Habermas peut de nouveau être entendue en un sens plus modeste. Elle peut en effet être comprise comme un modèle complémentaire à celui de Habermas, ne cherchant pas à proposer une théorie globale de l’évolution sociale, mais seulement à décrire la contribution réelle, bien que limitée, des luttes sociales. Dans le cadre du premier modèle, les institutions tendent à être réduites à l’effet de luttes pour la reconnaissance dans le cadre d’une philosophie sociale qui fait peser toute la réalité sociale sur les interactions. Dans le cadre du second modèle, il est possible de soutenir au contraire que les relations de reconnaissance ont toujours lieu dans des cadres institutionnels qui, en tant que tels, sont irréductibles à de simples effets produits par les luttes de reconnaissance. Il est également possible d’ajouter que si les institutions ne sont pas réductibles à des productions de l’agir social conflictuel, c’est parce qu’elles entretiennent entre elles des relations fonctionnelles ou structurales ; on retrouve ici la première alternative relative aux rapports entre interaction et contraintes systémiques33.
23Dans ses derniers textes, en proposant de développer une théorie des paradoxes de la modernisation du capitalisme, Honneth semble reconnaître la pertinence d’une notion macro-sociale et systémique comme celle de capitalisme. Il semble donc s’engager dans une tentative visant à articuler une conception de la reconnaissance centrée sur l’analyse des conditions normatives des interactions, et une prise en compte de la consistance propre des conditions institutionnelles et structurelles de la reconnaissance. Cependant, Honneth n’a pas encore explicité la théorie sociale permettant de rendre compte des évolutions sociales non expliquées directement par des luttes pour la reconnaissance. À cette fin, il lui faudrait d’une part décrire le rapport des demandes de reconnaissance avec les dispositifs institutionnels, d’autre part, proposer une analyse des relations entre institutions, et enfin, préciser la nature du rapport entre institutions et structures sociales (pour autant que le terme de capitalisme semble désigner une structure sociale).
24Ici encore, ces tâches rencontrent les objectifs de programmes de recherche marxistes contemporains. En effet, on reconnaît fréquemment depuis l’École de la régulation que l’un des points faibles de la critique marxienne de l’économie politique est sa théorie des institutions, et qu’une théorie des institutions est nécessaire à rendre intelligible la spécificité de chacun des régimes d’accumulation. Si l’on en croit l’École de la régulation, une conception adéquate des institutions ne doit pas seulement être attentive aux relations fonctionnelles dans lesquelles ces dernières sont prises, mais aussi aux modes de justification et aux compromis qu’elles institutionnalisent34. Elle reconnaît ainsi une place qui pourrait être occupée par une théorie de la reconnaissance dans le cadre d’une théorie néo-marxiste de l’évolution sociale. Il est vrai que dans une tentative d’actualisation du marxisme comme celle que propose l’École de la régulation, l’évolution sociale s’explique bien plutôt par une crise des régulations fonctionnelles que par l’effet des luttes sociales. Mais d’autres versions du marxisme mettent au premier plan le rôle des luttes de classe dans l’évolution historique et elles peuvent être formulées dans le cadre de théories sociales de ce type.
25À propos de l’évolution sociale, il est bien connu que Marx lui-même a proposé deux schémas explicatifs : celui de la lutte des classes et celui de la contradiction des rapports de production avec les forces productives. Il a également exigé qu’ils soient articulés l’un à l’autre mais les opinions divergent quant à la manière dont ces deux modèles peuvent être mobilisés aujourd’hui. La question est à la fois d’ordre théorique et d’ordre politique puisque l’un des enjeux est bien de déterminer à partir de quel type de diagnostic historique la critique sociale doit être conduite.
Quel diagnostic historique pour quelle critique
26En dernier lieu, cherchons donc à déterminer comment la théorie de la reconnaissance peut intervenir dans ces débats en posant le problème général du contenu politique de la critique sociale que propose Honneth. Sa démarche consiste à élaborer un mode de critique approprié à partir d’un diagnostic global sur le post-fordisme. Dans le débat contemporain, cette orientation générale est largement partagée par ceux qui continuent à se référer à Marx, et elle peut conduire à des positions divergentes. Certains, en comparant les mérites de la société salariale aux effets sociaux du post-fordisme, apparaissent comme des partisans d’une défense du fordisme35. D’autres, soulignent au contraire que le post-fordisme a répondu à la critique des aliénations caractéristiques du fordisme, et ils prônent l’accélération politique de certaines des mutations actuelles36. A travers la thématique des paradoxes de la modernisation capitaliste, Honneth défend une position intermédiaire : animée par des dynamiques émancipatrices, la modernisation du capitalisme produirait néanmoins des effets opposés à ceux qui étaient visés par les acteurs sociaux qui résistaient au fordisme. Le post-fordisme serait donc marqué par des mutations paradoxales qui appelleraient une critique radicale de ses traits les plus caractéristiques mais il incarnerait également des exigences normatives qui périmeraient définitivement les principes fordistes37.
27Même si ces modèles critiques sont élaborés à partir de l’examen sociohistorique des spécificités du présent, ces options semblent à première vue assez éloignées d’un type de positionnement proprement marxiste. En effet, elles semblent comparer le fordisme et le post-fordisme sans s’attacher aux dynamiques de l’accumulation capitaliste qui devrait donner leur signification propre aux caractéristiques spécifiques de ces deux formations sociales. Néanmoins, chacune de ces options correspond à une manière d’invoquer Marx dans le débat :
28a) L’interprétation de la sortie du fordiste en terme de progrès repose sur un diagnostic suivant lequel le développement des forces productives a conduit tout à la fois à faire éclater des rapports sociaux de production étriqués et à rendre possible une libération de la créativité du travail social. La défense du fordisme apparaît alors comme fondamentalement passéiste et victime de l’illusion de la politique (en l’occurrence, d’une défense abstraite de principes normatifs détachés des évolutions sociales)38.
29b) Mais la sortie du fordisme peut être présentée sous des jours beaucoup moins favorables, puisqu’il est possible d’interpréter le néolibéralisme comme un régime d’accumulation résultant d’une victoire dans la lutte sociale engagée par la bourgeoisie financière (propriété) contre les « cadres et compétents » (bourgeoisie salariée définie par la compétence associée aux fonctions de direction et professions intellectuelles), les employés et les ouvriers, afin de rétablir le taux de profit. De ce point de vue, les partisans du post-fordisme apparaissent comme des fétichistes des évolutions capitalistes et comme aveugles à la lutte qui traverse les fractions de la classe dominante, et plus généralement, l’ensemble des classes sociales39.
30c) Quant à la troisième position, elle tente de recycler le thème des contradictions spécifiques d’une phase du capitalisme, en tentant de les situer dans les tensions entre base sociale et justifications normatives (d’où la substitution de la problématique des « paradoxes » à celle des « contradictions »). Ces justifications seraient contredites par un contexte social leur faisant perdre tout leur sens, de sorte qu’elles porteraient également en elle l’exigence d’une transformation sociale40.
31Du point de vue d’une analyse marxienne, la comparaison du fordisme et du post-fordisme ne peut être bien établie sans que les processus socio-historiques qui gouvernent le passage de l’un à l’autre de ces régimes d’accumulation soient explicités. Mais ici encore, il est difficile d’identifier la position véritablement marxiste. La question de la genèse de ce nouveau régime d’accumulation est en effet particulièrement controversée. Chez certains, comme dans l’École de la régulation, ce sont les disfonctionnements institutionnels et les contradictions spécifiques d’un régime d’accumulation capitaliste qui sont mis en avant. Mais d’autres privilégient une genèse politique du postfordisme, comme Duménil et Lévy qui décrivent une nouvelle étape du développement de la lutte de classe, en l’occurrence, d’une lutte de la bourgeoisie financière pour rétablir la position hégémonique qu’elle avait perdu dans le fordisme, et pour réduire l’influence sociale des cadres (contrer aussi bien leur prétention à diriger l’économie à travers l’administration, que leur prétention à structurer l’entreprise comme une organisation plutôt que comme un marché). Chez Negri et Hardt, dans la lignée operaiste, l’accent est mis sur l’importance des luttes pour libérer le travail social de son emprise capitaliste, et le modèle privilégié par Honneth n’est pas très éloigné de ce type d’interprétation lorsqu’il souligne l’importance des luttes contre les modèles de reconnaissance associés aux dispositifs d’assujettissement disciplinaires (État nation, ouvrier taylorien, famille patriarcale) caractéristiques de la société salariale. Certes, Honneth ne conçoit ces luttes sociales ni comme des luttes de classes ni comme des luttes ancrées dans le développement des forces productives, et s’il s’agissait de leur donner une autonomie complète par rapport aux dynamiques des régimes d’accumulation capitaliste, tout en y cherchant le seul facteur explicatif de l’évolution sociale, le lien avec un programme de recherche marxiste ne serait que ténu. Mais comme nous l’avons montré précédemment, rien n’impose d’interpréter la théorie de la reconnaissance comme une théorie sociale globale et comme une théorie de l’évolution sociale complète.
32Considérée dans son évolution globale, la production théorique de Honneth se caractérise par une remarquable continuité. L’objectif initial d’une « critique salvatrice » de Marx conduisait à l’esquisse d’une théorie sociale susceptible d’identifier des possibilités d’émancipation dans l’agir social ainsi que des processus engageant cet agir sur la voie de l’aliénation. En développant une critique de la distinction habermassienne du système et du monde de la vie, en élaborant une théorie de la lutte pour la reconnaissance, Honneth s’est engagé sur le premier versant de ce programme de recherche. Dans les textes récents sur les pathologies du social, sur la réification et sur l’idéologie, c’est le second versant du programme qu’il a pris en charge. Les intentions puisées chez Marx sont encore aujourd’hui à l’œuvre, et conceptualité mobilisée accorde elle aussi une place à des notions typiques de la tradition marxistes (réification, idéologie). Sur ce point notamment, Honneth représente une exception tout à fait remarquable dans le paysage de la philosophie politique contemporaine41.
33Son originalité tient plus fondamentalement à la défense du projet horkheimerien de philosophie sociale puisque c’est dans le cadre de ce projet que les références à Marx et au marxisme sont orchestrées. Par « philosophie sociale », les fondateurs de l’École de Francfort entendaient un programme de recherche interdisciplinaire dans lequel la conception matérialiste de l’histoire avait notamment pour fonction de déplacer les questions de philosophie politique sur le terrain de la théorie sociale. Honneth reprend ce projet à son compte, et la théorie sociale reste chez lui un enjeu fondamental42. Certes l’objectif visant à élaborer une théorie sociale complète, cohérente et convaincante reste un défi à relever pour la théorie de la reconnaissance ; et ce défi est ambigu dans la mesure où le relever signifie sans doute pour la théorie de la reconnaissance s’intégrer dans une théorie sociale plus large. Mais l’articulation d’une philosophie politique et d’une théorie sociale représente également un défi pour toute théorie critique aujourd’hui.
34La force de la première théorie critique tenait partiellement au fait que le marxisme tenait une théorie sociale marxiste à sa disposition. L’influence exercée par le tournant communicationnel de la théorie critique s’explique en partie par le fait que Habermas a été capable de formuler une théorie sociale de substitution. Celle-ci prétendait dépasser les unilatéralités de ce qui était identifié, à tort ou à raison, comme le fonctionnalisme marxien, et elle proposait des hypothèses théoriques quant au rapport des différentes sphères sociales entre elles et quant aux différentes luttes sociales qui se développaient en elles. Aujourd’hui, les enjeux du rapport de la théorie critique avec le marxisme restent liés au défi que représente l’articulation de la critique et de la théorie sociale. Les principes marxiens permettent en effet de mettre au jour certaines des insuffisances de la Théorie de l’agir communicationnel, mais la question de savoir comment construire une théorie sociale de remplacement reste indécise.
35C’est pourquoi les critiques marxistes de la théorie de la reconnaissance restent souvent peu convaincantes. En définitive, lorsqu’elles ne reposent pas purement et simplement sur des malentendus, elles ne font que prendre acte de ce qui reste un problème à résoudre, aussi bien pour les différents programmes de théorie critique que pour les différentes versions du marxisme lui-même.
Notes de bas de page
1 Voir notamment, A. Honneth, « La dynamique sociale du mépris. D’où parle une théorie critique de la société ? », in Ch. Bouchindhomme, R. Rochlitz, Habermas, la raison, la critique, Cerf, Paris, 1996.
2 Voir par exemple, H. Müller, « Praxisphilosophie oder Intersubjektivitätstheorie ? Replik zur Erhellung eines philosophien Grundlagenproblems », www.praxisphilosophie.de/honneth.pdf
3 C’était notamment la position de J.-M. Vincent, voir par exemple « Nouveaux regards sur l’héritage critique d’Adorno », in L’humanité, 10/06/2003.
4 Cf. J. P. Deranty, « Les horizons marxistes de la théorie de la reconnaissance », Actuel Marx n° 38, 2005.
5 R. Forster, « Recognition and Resistance. Axel Honneth’s critical social theory », in Radical Philosophy, n° 94, 1999, p. 6-18.
6 La question du rapport à Habermas continue de cliver la Théorie critique. De ce point de vue, rien n’a changé depuis la situation analysée par H. Dubiel dans « Der Streit um die Erbschaft der kritischen Theorie », in Ungewissheit und Politik, Suhrkamp, 1994.
7 Cf. A. Honneth, « Domination and moral struggle : the philosophical heritage of marxism reviewed », in The Fragmented world of the social, New-Fork University Press, New-York, 1995, chap. 1 ; pour d’autres textes exprimant la position défendue à cette période, voir Travail et agir instrumental. À propos des problèmes catégoriels d’une théorie critique de la société », Travailler, n° 18, 2007 et « Conscience morale et domination de classe. De quelques difficultés de l’analyse des potentiels normatifs d’action », in La société du mépris. Vers une nouvelle théorie critique, La Découverte, 2006.
8 Voir les textes réunis dans A. Honneth, Pathologien der Vernunft. Geschichte und Gegenwart der Kritischen Theorie, Suhrkamp, Francfort, 2007. Voir également A. Honneth, Leiden an Unbestimmtheit, Stuttgart, Leipzig, 2001.
9 Cf. N. Fraser, A. Honneth, Umverteilung oder Anerkennung, Suhrkamp, Francfort, 2004, p. 7-11.
10 Cf. A. Honneth, « Anerkennung als Ideologie », in WestEnd, n° 1, 2004.
11 Cf. A. Honneth, La réification, Gallimard, Paris, 2006.
12 Cf. A. Honneth, M. Hartmann, « Les paradoxes du capitalisme : un programme de recherche », La Société du mépris, op. cit.
13 Voir par exemple Y. Cusset, « Lutte sociale et éthique de la discussion », Actuel Marx, n° 25, 1999.
14 Voir par exemple, N. Kompridis, « From Reason to Self-Realisation ? Axel Honneth and the Ethical Turn in Critical Theory », in Critical Horizons, vol. 5, 2004.
15 Voir le débat avec N. Fraser, et les recherches entreprises dans le cadre des programmes de recherche de l’Institut de recherche sociale portant sur « les paradoxes de la modernisation capitalistes », et « les métamorphoses de la reconnaissance ».
16 Voir A. Honneth, « Les pathologies du social. Tradition et actualité de la philosophie sociale », et « La critique sociale comme mise à jour », in La Société du mépris, op. cit.
17 Cf. A. Honneth, « Conscience morale et domination de classe », in La Société du mépris, op. cit.
18 Cf. A. Honneth, Kritik der Macht. Reflexionsstufen einer kritischen Gesellschaftstheorie, Suhrkamp, Francfort, 19882.
19 Cf. A. Honneth, La Lutte pour la reconnaissance, Cerf, Paris, 2000.
20 CF. J. Butler, La Vie psychique du pouvoir, Léo Scheer, Paris, 2002 ; P. Markell, Bound by Recognition, Princeton University Press, 2003. Voir également la discussion du rapport pouvoir-reconnaissance dans B. van den Brink, R. Owen, Recognition and Power. Honneth and the Tradition of Critical Theory, Cambridge University Press, 2007.
21 Voir R. Forster, « Recognition and Resistance », Radical Philosophy, n° 94, op. cit.
22 Cf. A. Honneth, « La reconnaissance comme idéologie », La Société du mépris, op. cit.
23 Classiquement, ce concept ne désigne pas seulement les justifications mystificatrices immanentes à la vie sociales, mais également la légitimation des dominations et des inégalités. Or il semble que l’instrumentalisation de la reconnaissance par le néomanagement n’est pas seulement idéologique parce qu’elle n’offre pas une véritable reconnaissance, mais aussi parce qu’elle induit des formes de domination et de légitimation de la domination et de l’inégalité (sur ce point, voir E. Renault, « Reconnaissance et travail », Travailler, n° 18, 2007). En outre, ce que l’on entend communément par idéologie, ce n’est pas seulement un mode de justification inhérent aux institutions particulières, mais aussi des formes de justifications macro-sociales. La question de la dimension idéologique de la reconnaissance pourrait sans doute d’être posée également sur ce plan.
24 Pour ce type de critique, voir par exemple R. Celikates, « Nicht versöhnt. Wo bleibt der Kampf im ‚Kampf um Anerkennung’ ? », in G. W. Bertram, R. Celikates, Ch. Laudou und D. Lauer, Socialité et reconnaissance. Grammaires de l’humain, L´Harmattan, 2006
25 Cf. J.-P. Deranty, « Mésentente et lutte pour la reconnaissance. Honneth face à Rancière », in E. Renault, Y. Sintomer, Où en est la Théorie critique, La découverte, 2003.
26 Sur cette problématique, voir G. C. Spivak, « Les subalternes peuvent-ils s’exprimer ? », in M. Diouf, L’historiographie indienne en débat. Colonialisme, nationalisme et sociétés post-coloniales, Karthala-Sephis, Paris / Amsterdam, 1999 ; voir également E. Renault, « Le discours du respect », in A. Caillé, La quête de reconnaissance. Regards sociologiques, La Découverte, 2007.
27 Pour une tentative d’application de la problématique de la reconnaissance aux « violences urbaines », et pour la description du continuum de l’agir protestataire qui est implicitement présupposée ici, voir E. Renault, L’expérience de l’injustice, La Découverte, Paris, 2004, p. 108-117.
28 On trouve dans l’Encyclopédie des sciences philosophiques 3 occurrences de Kampf des Anerkennens, pour une seule de Kampf um Anerkennung ; les deux expressions sont absentes de la Phénoménologie de l’esprit. Pour une analyse plus développée de cette distinction, voir E. Renault, « Reconnaissance, lutte, domination : le modèle hégélien », à paraître in M. Blanchard, M. Seymour, La Reconnaissance dans tous ses états.
29 Sur les interprétations qu’il convient de donner de l’interactionnisme inhérent à la théorie de la reconnaissance et sur le rapport à Marx qui est engagé par les unes et les autres, voir J.-Ph. Deranty, « Les horizons marxistes de la théorie de la reconnaissance », op. cit.
30 Cf. Ch. Zurn, « Recognition, redistribution, democracy. Dilemna in Honneth’s Theory of Recognition », European Journal of Philosophy, vol. 13, 1, 2005.
31 Sur ce point, voir E. Renault, « Reconnaissance, identité, et causes de l’injustice », in A. Benmaklouf, La Reconnaissance, à paraître.
32 Cf. E. Laclau, Ch. Mouffe, Hegemony and Socialist Strategy, Verso, Londres, 1985.
33 Pour une analyse des tensions dans la conception des institutions chez Honneth, voir E. Renault, « Theory of recognition and critique of institutions », D. Peterbridge, Honneth’s critical theory of recognition, Brill, 2008 ; E. Renault, L’expérience de l’injustice, La Découverte, 2004, chap. 3.
34 Voir par exemple, R. Boyer, Y. Sallard, Théorie de la régulation. L’état des savoirs, La Découverte, Paris, 1995.
35 Cf. R. Castel, Les Métamorphoses de la question sociale, Fayard, Paris, 1995.
36 Cf. M. Hardt, A. Negri, Empire, Exils, Paris, 2000.
37 Cf. A. Honneth (dir.), Befreiung aus der Mündigkeit. Paradoxien des gegenwärtigen Kapitalismus, Campus, Francfort, 2002.
38 Cf. M. Hardt, A. Negri, Empire, op. cit.
39 Cf. G. Duménil, D. Lévy, Crise et sortie de crise. Ordres et désordres néolibéraux, PUF, Paris, 2000 ; voir également Actuel Marx, n° 40, 2006 : Fin du néolibéralisme ?
40 D’une certaine manière, c’est un schéma semblable que l’on trouve chez J. Bidet et G. Duménil, lorsqu’ils fondent la critique du capitalisme sur une contradiction entre les principes normatifs de la modernité (métastructure) et les rapports de classe capitalistes (structure) (voir J. Bidet, G. Duménil, Altermarxisme, PUF, 2007).
41 Sur toutes ces questions, voir J.-Ph. Deranty, Critique of recognition, à paraître.
42 A. Honneth, « Les pathologies du social. Tradition et actualité de la philosophie sociale », in La Société du mépris, op. cit.
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Lucien Lévy-Bruhl
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