Chapitre 3. Morale antique et paidopoía
p. 109-143
Texte intégral
1Les considérations théoriques des deuxième et troisième registres étudiés précédemment, ont assez peu de rapport à la sexualité puisque les causes sont avant tout d’ordre social et rituel. En revanche, dans le premier, celui du particulier, le contexte reste lié à la teknopoía et la littérature ethnographique est riche de ces croyances qui menacent d’une descendance monstrueuse ceux qui transgressent certains comportements : lorsqu’ils ne sont pas sexuels, ils restent cependant relatifs à la reproduction. Ainsi, dans ces cultures anciennes, la question posée pour le corps est celle de l’existence de lois intrinsèques qui sanctionnent les contrevenants de manière à la fois morale et physiologique. En clair, si le corps bénéficie de ce que l’on pourrait nommer une autonomie morale active, nous ne sommes plus forcément dans le cadre d’un univers où des dieux interviennent et agissent sur le corps de manière exogène. Il est plutôt question d’une autonomie des éléments physiologique, autonomie effective en deçà des limites du corps (endogène), lequel est considéré comme un petit grand-vivant ou plus exactement comme un microcosme.
2Ici, les problématiques s’articulent autour de deux notions principales : le tabou et la souillure. Ils relèvent à la fois de l’interdit sexuel au sens moral et de la prescription hygiénique et/ou médicale. Certes, la médecine antique a pu écarter les valeurs de souillure et de tabou mais les contenus, c’est-à-dire certains principes « épurés », ont très souvent été repris. Pour bien comprendre tout cela, il faut sans cesse accomplir des allers et retours entre les règlements qui régissent plusieurs domaines : le domaine religieux avec les lois des dieux, le domaine éthique, avec les lois d’une certaine bienséance sociale, et médical, avec les lois de la nature et du corps. Il faut encore souligner un point important concernant la souillure sexuelle : elle n’est pas forcément une définition absolue, c’est-à-dire que – contrairement à la sexualité de l’époque chrétienne – la sexualité païenne n’est pas souillure en soi mais ce sont en réalité des circonstances particulières qui peuvent souiller. Sa signification est ainsi relative au contexte. Cette souillure fonctionne fréquemment comme un court-circuit où entrent en contact deux éléments qui auraient toujours dû demeurer distincts comme par exemple, la semence auprès du foyer, situation fortement déconseillée par Hésiode dans ces deux vers : « ne va pas non plus dans ta maison, montrer indécemment près du foyer tes parties souillées de sperme1 » ; ce peut être encore l’acte charnel accompli par les amants Comaithô et Mélanippos dans le sanctuaire de la vierge Artémis2. En clair, toutes les fois que les choses ne sont pas à leur place, notamment lorsqu’elle côtoie sa complémentaire virginité.
3Ce chapitre a pour but d’étudier quelques thèmes dont les interdits, et contribuera à définir la monstruosité vécue comme une véritable angoisse et ce aux côtés de la mort et de la stérilité. En effet, les particuliers engagés dans le processus teknopoïque ont à redouter les conséquences d’actes aussi condamnables que l’inceste, la bestialité, l’adultère ou le non-consentement de l’un des deux époux. Reste, en plus de ces domaines plus ou moins réalistes, le thème mythique et fantasmatique de la parthénogenèse considérée de manière unanime par les auteurs, comme un réel pouvoir de la nature féminine.
Interdits physiques
Rapports avec le trop proche : l’inceste
4Avant d’examiner ce qu’il en est dans l’Antiquité, précisons que depuis le xixe siècle, les interprétations des érudits occidentaux pour expliquer la quasi-universalité de la prohibition de l’inceste peuvent se classer en trois catégories3. Le type défendu par Westermarck et Havelock Ellis mais aussi par un grand nombre de sociologues et de psychologues, envisage la prohibition comme « la projection ou le reflet, sur le plan social, de sentiments ou de tendances que la nature de l’homme suffit entièrement à expliquer ». Cette interprétation fait intervenir soit la nature physiologique de l’homme soit ses tendances psychiques. Dans tous les cas, la prohibition serait d’ordre instinctif et la répugnance à la transgresser serait donc congénitale. L’affaiblissement de l’excitabilité érotique vis-à-vis des personnes fréquentées depuis toujours et quotidiennement en découlerait. L’on pourra cependant émettre cette objection : pourquoi si la nature s’oppose si radicalement, la culture renforce de manière sévère cet interdit qui n’aurait en fait que peu de chance d’être transgressé ?
5Au contraire du précédent, un autre groupe d’explications limite le tout au plan social, l’expression en termes biologiques étant accidentelle. Ainsi, pour Durkheim4 et pour d’autres, la prohibition n’est plus la cause mais une conséquence des règles exclusivement sociales, celles de l’exogamie.
6Le dernier type enfin se place à cheval entre les domaines biologique et social. La prohibition de l’inceste serait une réflexion sociale sur un phénomène naturel : l’interdit tendrait à limiter les résultats néfastes des unions consanguines. Cette interprétation a été notamment soutenue par Lewis H. Morgan, Henry S. Maine et l’on peut déceler chez Bergson une analyse très comparable5. L’erreur fondamentale de cette théorie consiste à assimiler la raison première inconnue des particuliers et les discours des sociétés. Sur ce problème, certaines croyances, par exemple celles du folklore populaire européen ou des primitifs australiens, promettent diverses monstruosités aux fruits des unions incestueuses6 mais l’explication biologique ne tient pas face à plusieurs objections. D’abord, la manifestation des tares physiques est représentée par un nombre infinitésimal. De ce fait, les sociétés auraient dû pour cela établir des statistiques sur un grand nombre de personnes, ce qui apparaît souvent inconcevable. D’autre part, Françoise Héritier a rappelé que le champ d’application de la notion ne se limitait pas aux parents biologiques mais qu’il fallait tenir compte de diverses sortes d’alliance7. C’est en effet dans le cadre de la condamnation de cet inceste dit du « deuxième type » que le parrain ou la marraine sont interdits de rapports avec leur filleule et filleul ou qu’un homme ne peut épouser ou connaître charnellement la femme de son frère ou la femme de son fils8... Dans tous les cas, le « cumul des identiques » est à éviter. Enfin, rappelons que les naissances monstrueuses ne sont pas réservées au seul domaine de la reproduction et que certaines sociétés promettent d’autres maux aux contrevenants à l’interdit de l’inceste : c’est le cas par exemple des Nuers qui assimilent inceste et syphilis9.
7À propos de l’aire culturelle européenne, il est courant de dire que cette crainte n’apparaît pas clairement exprimée avant le xvie siècle et qu’à l’exception d’un texte de Grégoire le Grand laissé sans suite, les monstres n’ont pas menacé les unions incestueuses de l’Antiquité et du Moyen Âge10. Il nous semble cependant important de reprendre cette question qui ne nous apparaît pas aussi tranchée.
8Dans le monde grec classique, prenons le cas d’Antigone : eu égard à l’obligation d’accorder aux morts une sépulture et face à l’interdiction énoncée par Créon, elle n’invoque pas une loi humaine, écrite ou énoncée par un tyran, mais une loi des dieux. Aucun mortel ne saurait aller à l’encontre de cette loi sans encourir une lourde punition. En effet, les lois des dieux sont supérieures à celles des hommes11. En ce qui concerne l’inceste, la position est comparable : il n’existe pas de lois écrites qui précisent l’interdit ; d’ailleurs, la langue grecque va jusqu’à ignorer le mot12. Cependant, le sentiment de répulsion existe bel et bien13.
9Il est souvent question dans le mythe, de relations coupables entre père et fille, mère et fils ou encore entre frère et sœur, relations qui suscitent l’horreur des dieux aussi bien que des mortels. Toutefois, la notion d’inceste ne se limite pas à ces relations consanguines aussi directes. De plus, dans l’Athènes classique, une nuance fondamentale est établie entre la relation de germains utérins, issus de la même mère, formellement proscrite, et celle de germains agnatiques, issus du même père, qui,, elle au contraire, est autorisée lorsqu’elle n’est pas conseillée14. Tout cela s’insère dans la logique d’une pratique traditionnellement endogame dont le but est de limiter les risques pour une « race » de voir ses biens disperser et surtout son culte familial disparaître. En effet, la jeune fille – héritière dans le cas d’un père mort sans héritier mâle et que l’on nomme épiclère – était vivement encouragée à épouser un proche parent, fût-il son oncle15. Les mariages entre cousins germains étaient également fréquents : non seulement les mariages d’un degré rapproché n’étaient pas interdits mais au contraire, ils étaient favorisés. Mais tout cela n’atténue en rien l’horreur ressentie à l’encontre de ceux qui ont enfreint les limites. Le respect de l’interdit de l’inceste est une condition nécessaire à la civilisation et « l’exception égyptienne » mérite quelques précisions.
10Dans le monde grec hellénistique, les souverains grecs de l’Égypte lagide sont célèbres pour leur pratique incestueuse : huit Ptolémée épousèrent leur sœur de père et de mère (adelphê amphotérôthen) à partir de l’exemple donné par Ptolémée II (285-246 av. J.C.) et sa sœur Arsinoé. Pausanias précise que ce Ptolémée ne suivit « en cela nullement la coutume des Macédoniens, mais bien celle des Égyptiens qu’il gouvernait16 ». À la fin du iie siècle ap. J.-C., l’époque de Pausanias, les mariages consanguins symbolisaient bien une pratique égyptienne. Par contre, sept siècles auparavant dans le livre II de ses Histoires, Hérodote n’y fait nullement allusion. Platon passe également cette question sous silence alors que c’était une pratique effective limitée toutefois aux couples royaux. Il en est question chez Diodore, au ier siècle av. J.-C., à l’époque de la conquête romaine. « Ils [les prêtres] disent que, si les Égyptiens ont légiféré à l’encontre de la coutume générale des hommes en instituant d’épouser les sœurs, c’est qu’Isis s’en était fort bien trouvée17. »
11Le silence des auteurs antérieurs est assez curieux et il est probable que ce ne soit pas le fait d’une relative tolérance vis-à-vis de l’acte impie. La fascination exercée par l’Égypte et son idéalisation par les auteurs pourraient expliquer l’absence de ce détail qui d’ailleurs ne devait concerner – du moins aux ve et ive siècles – que le pharaon et sa sœur. Il semblerait en effet que la pratique se soit démocratisée à une époque tardive, plus précisément à l’époque romaine : elle y fut plus admise que fréquemment attestée et se limitait à la communauté indigène sans concerner les colonies grecques.
L’homme opposé à l’animal
12Dans une fable d’Ésope, on peut découvrir les ruses d’une belette qui, voulant se régaler d’un coq, cherche à justifier la mort de sa proie par un quelconque prétexte. Ainsi, elle l’accuse d’avoir indifféremment des rapports sexuels avec sa mère et ses sœurs. Le coq tente alors de justifier son acte mais la belette lui reproche d’« outrager la nature » (ὡς ἀσεδὴς εἴη περὶ τῆν øύσιν) et le tue pour le dévorer. Comme à son accoutumée, le fabuliste a attribué à la belette des sentiments bien humains. En effet, l’observance de cet interdit constitue l’une des nombreuses frontières qui séparent l’animal de l’homme c’est-à-dire la nature de la culture. Le contexte est ici ambigu. La belette parle de pratique contre nature mais elle emploie un discours proprement humain, puisque si l’inceste est contre nature, c’est par rapport à la nature propre de l’homme et ce au contraire de la nature du coq qui autorise, voire encourage ce type d’unions ; il en est de même pour la belette qui de surcroît met bas par la gueule ! La nature des animaux permet tout cela et à propos du désespoir d’Oedipe qui vient de découvrir l’inavouable vérité, Dion Chrysostome ajoute : « mais de cela les coqs ne s’indignent, ni les chiens, ni aucun oiseau18 ». En des termes semblables, Ovide expose cette différence : « Tous les autres animaux s’accouplent sans choix, il n’y a point de honte pour une génisse à sentir son père peser sur ses reins ; le cheval fait de sa fille son épouse ; le bouc féconde les chèvres qu’il a engendrées, et du germe dont il a été conçu lui-même l’oiseau conçoit à son tour. »
13Et si cette loi est le fruit des scrupules des hommes, sa violation irait aussi contre « les lois de la nature toute puissante19 ». L’obéissance à l’interdit de la prohibition n’est pas fondée seulement sur des considérations sociales puisque le recours aux principes de la Nature est invoqué.
14L’articulation entre les deux mondes animal/humain s’énonce plus précisément encore en d’autres circonstances. En premier lieu, parmi les critères de non-civilisation que les géographes anciens attribuent aux peuplades plus ou moins humaines, voire monstrueuses, qui vivent aux limites du monde connu, figurent l’absence de pratique agricole, le non-usage du feu (manger cru) et entre plusieurs autres, la non-organisation de la vie sexuelle20. Inversement, plusieurs anecdotes reconnues comme des prodiges rapportent le cas d’animaux d’élevage qui refusèrent d’accomplir l’acte forcé qui les aurait unis à un proche. Selon Aristote, le chameau y serait même réticent par nature. Il poursuit et raconte l’histoire d’un roi de Scythie qui possédait une jument de laquelle tous les poulains étaient bons : « Voulant avoir un produit du meilleur de ces poulains et de la mère, il le fit amener pour la saillie. Mais le poulain ne voulait pas. On couvrit la mère d’un voile et il la monta sans la reconnaître. Mais après la saillie, on découvrit la face de la jument, et le poulain à sa vue prit la fuite et alla se jeter dans un précipice21. »
15De ce récit, il est difficile de désigner lequel des épisodes est le plus surprenant, les scrupules du cheval ou son suicide final ?
16Dans l’histoire humaine, l’élevage et l’agriculture n’ont eu de cesse de faire se reproduire entre eux des fruits consanguins. Pour obtenir un bon résultat, le roi de Scythie a le dessein de faire croiser sa superbe jument avec le plus beau de ses poulains. Il était manifeste pour les éleveurs que cette pratique endogame particulièrement poussée n’affecterait en aucun cas la santé des rejetons qui en seraient issus, bien au contraire. Le résultat escompté est une amélioration de la race puisque l’on ne fait se reproduire entre eux que les meilleurs de chaque génération. Nulle trace de menace sur la descendance.
L’homme opposé aux dieux
17Quant aux dieux, s’ils transgressent quelquefois l’interdit de l’inceste, ce n’est certainement pas pour l’autoriser auprès des mortels mais bien pour accomplir une inversion22. Le couple royal que forment Zeus et Héra est le type grec du couple divin incestueux. Ils sont issus du même père, Cronos, et de la même mère, Rhéa, et cela n’empêche pas Zeus de prendre sa sœur comme épouse23. De plus, durant le mois de Gamelion (janvier-février), les Athéniens et les Athéniennes fêtaient lors des Theogamia, le mariage divin, ou Gamelía, la fécondité des couples légitimes représentés par le couple modèle que forment Zeus et Héra. Le caractère incestueux du couple est gommé par la cérémonie du mariage dont ils sont le symbole, à l’instar du couple divin égyptien Isis et Osiris. Le gámos n’est non seulement pas dit ánósios, sacrilège, mais au contraire il est íéros, sacré.
L’homme opposé aux rois
18Le cas des souverains ptolémaïques pourrait le confirmer : les mariages consanguins frère/sœur dont la série fut inaugurée par Ptolémée II et Arsinoé, se réfèrent sans cesse à l’exemple de Zeus et d’Héra. Si ces mariages ont aussi obéi à une logique conjoncturelle diplomatique – c’est-à-dire l’impossibilité d’alliances avec une puissance étrangère dans un monde où la domination romaine isole de plus en plus l’Égypte –, leur justification s’établit sur l’exemple des divers couples divins comme Zeus-Héra ou Osiris-Isis. Avec le troisième couple incestueux de la série – Ptolémée IV et Arsinoé III – le culte de la dynastie s’instaure et les mariages consanguins ont la volonté, avec la même logique de l’élevage, d’assurer une pureté parfaite à la race24. Le raisonnement dynastique ne se fonde pas sur l’interdit de « cumul d’identique ». Il essaie au contraire d’éviter le plus possible une dégénérescence due à un apport de sang extérieur forcément inférieur. Dans de nombreuses sociétés, d’origine indo-européenne25 ou non, l’inceste rituel ne concerne que les classes dirigeantes ; il est absolument exclu des autres catégories et tout particulièrement de celles qui relèvent de la troisième fonction, c’est-à-dire la prospérité. La logique de l’élite est celle de l’élevage26. Ainsi, entre pureté de sang et exogamie, il y a incompatibilité, à la différence de la troisième fonction où s’impose l’échange. C’est entre autres sur cet écueil que les discours de l’Église catholique se sont heurtés, c’est-à-dire sur l’attitude – encore vivace au xiie siècle – d’une élite militaire « germanique » soucieuse de conserver en son sein et en son sang sa probitas27 et pour des raisons semblables, l’empereur Frédéric II interdit à ses sujets siciliens d’épouser des étrangers28. Les Incas comme les souverains ptolémaïques, et ce malgré toutes les différences et les particularités propres à chacune de ces civilisations, tenaient en matière de mariages royaux incestueux un raisonnement très voisin29 : la pureté du sang royal était garantie par une pratique endogame extrême.
19L’inceste des dieux et des rois obéit à une logique différente de celle qui tend à le proscrire du sein des simples mortels. Ainsi, la descendance, réduite, de Zeus et d’Héra n’en est pas affectée : Hébè, Arès ou encore Illithyie, déesse de l’enfantement, le cautionnent. Il y aurait bien Héphaïstos qu’Homère désigne comme le fruit du couple royal et pour qui la tare de l’illustre boiteux serait congénitale. En effet, le dieu forgeron s’insurge et déclare :
20« Si je naquis infirme, à qui la faute ? À moi ?... Ou à mes père et mère ?... Ah ! Comme ils auraient dû ne pas me mettre au monde. »30. L’inceste est-il sous-entendu ici ? C’est peu probable. On pourrait supposer qu’Héphaïstos ait été conçu au temps où Zeus et Héra « s’étaient unis d’amour à l’insu de leurs parents »31 ? Mais si rien ne l’infirme rien ne le confirme. Cependant, si pour l’auteur homérique il existe un lien entre l’infirmité du dieu forgeron et les circonstances de sa conception, l’amour avant le mariage – c’est-à-dire avant sa consécration officielle, sociale et religieuse – pourrait constituer un facteur plus déterminant à l’instar de ce que nous verrons ultérieurement pour les bâtards.
21Quant aux mortels mais toujours dans le cadre du mythe, l’incidence physique sur la progéniture n’est pas attestée. Aucune marque n’atteint les enfants conçus par Œdipe et par sa mère Jocaste, que ce soit Polynice, Étéocle, Ismène ou Antigone. Il existe un autre cas d’inceste on ne peut plus provocateur puisque le fruit des amours incestueuses de Myrrha et de son père Cyniras n’est autre qu’Adonis32, le type de la beauté juvénile masculine. En fait, la sanction demeure dans un destin particulièrement tragique où la mort est bien souvent prématurée33. Cette sanction divine dépasse largement les seuls personnages concernés puisqu’elle frappe toute une descendance. Cependant, la place de l’inceste n’y est pas déterminante d’autant que cette union illicite ne produit pas de monstruosités physiques. Quant aux justifications de l’interdit, Plutarque reste muet et peu d’auteurs abordent cette dimension du problème. L’on pourrait alors conclure que dans la culture grecque, jamais n’ont été établis des liens directs entre inceste et progéniture monstrueuse alors que cela est clairement le cas dans la culture européenne dès l’époque moderne. Cependant, un passage de Xénophon doit attirer tout particulièrement notre attention. En voici la traduction intégrale :
Et l’interdiction des rapports sexuels entre un père et ses filles et entre un fils et sa mère ? – Pour ceci, Socrate, dit-il [Hippias], je ne crois plus que ce soit une loi d’origine divine. – Pourquoi donc ? dit Socrate. – Parce que, dit-il, je la vois transgresser par certaines gens. – On en transgresse bien d’autres, dit Socrate ; mais ceux qui transgressent les lois établies par les dieux subissent un châtiment auquel il est absolument impossible à l’homme de se soustraire [...]. – Et quelle est cette punition, Socrate, demanda-t-il, que ne peuvent éluder le père qui a des rapports sexuels avec sa fille, le fils qui en a avec sa mère ? – C’est, par Zeus, la plus grande de toutes ; car qu’y a-t-il de plus à craindre pour des gens qui procréent des enfants que d’en voir de mal venus (κάκως τεκνοποίειεθαι) ? – Comment, demanda-t-il, en ont-ils de mal venus (κακως [...] τεκνοποιουνθαι) quand rien ne les empêche, s’ils sont bons eux-mêmes d’avoir des enfants de mères également bonnes ? (αγαθους αὐτους ὄντας ἐξ ἀγαθων παιδοποίεισθαι ;)34 – C’est que, par Zeus, dit Socrate, il ne suffit pas que ceux qui s’unissent pour faire des enfants soient bons, il faut encore qu’ils soient dans la vigueur de l’âge, ou crois-tu qu’il n’y ait pas de différence entre la semence des hommes à la fleur de l’âge et celle de ceux qui ne l’ont pas encore atteinte ou qui l’ont dépassée ? – Non, par Zeus, répondit-il ; il est vraisemblable qu’il y a de la différence. [.....] – Alors ceux qui procréent dans ces conditions procréent autrement qu’il ne faudrait35.
22Xénophon (Socrate) se limite aux relations verticales et laisse de côté celles de germanité. La situation envisagée ne correspond qu’aux cas d’Œdipe, fils et mère, et de Myrrha, fille et père. Donner naissance à des monstres ou des infirmes, voilà la sanction des couples incestueux qui ne respectent pas la loi des dieux.
23Manifestement, Socrate rationalise, c’est-à-dire qu’il sur-explique un interdit mais à quel niveau ? Justifie-t-il un principe médical, celui de l’âge idéal pour la procréation, par l’éventualité d’un inceste tératogénique ? Ou inversement, justifie-t-il la prohibition de l’inceste par des risques tératogéniques attribués par ailleurs aux écarts d’âge trop élevés ? En clair, la crainte de la progéniture incestueuse monstrueuse est-elle rationalisée, c’est-à-dire qu’elle précède Socrate, ou sert-elle ici la rationalisation de la théorie des écarts d’âges ? Il est impossible de répondre avec certitude. En revanche, une chose semble nette : Hippias ignore la croyance. Néanmoins, si elle précède Socrate, il est probable qu’elle soit le fait d’une tradition orale plutôt réduite, par exemple celle des matrones et des entremetteuses que Socrate put tenir de sa mère. En bref, il pourrait s’agir d’une histoire de « bonne femme » qui ne faisait pas l’unanimité36. Pour étayer le deuxième cas de figure, rappelons que dans les sociétés traditionnelles, l’écart d’âge soulève souvent une forte réprobation. L’ancienne France connaissait des charivaris particulièrement bruyants à cette occasion37 et d’autres cultures menaçaient les époux d’une descendance monstrueuse : au monstre social que représente ce type d’alliance répond le monstre biologique. Ainsi, la contamination du thème de l’inceste par celui de l’écart des âges semble plus convaincante mais nous pouvons toujours considérer comme plausible l’existence, en Grèce ancienne à une époque reculée, d’une croyance aux relations incestueuses tératogènes
24Au regard de la « mécanique des fluides », la prohibition de l’inceste vise à éviter d’accumuler trop de semblable. Jongler entre ces deux pôles, identique et différent, correspond bien à l’enjeu des diverses lignes de conduite – interdictions, autorisations, encouragements ou obligations – que l’homme civilisé doit suivre dans de nombreux domaines comme par exemple ceux de la sexualité ou de l’alimentaire. La conduite humaine se présente comme un compromis. De même que les bêtes sauvages, celles de Libye notamment, n’hésitent pas à se croiser entre espèces – excès de différent –, elles ne reculent pas non plus devant l’inceste que l’on peut définir comme l’excès d’identique. Cette prohibition est une des nombreuses marquent qui placent l’homme en une position intermédiaire entre les mondes animal et divin.
Inceste | Rapports hors espèce | |
Dieux | pratiqué | pratiqués |
Hommes | interdit | interdits |
Animaux | pratiqué | pratiqués |
25En revanche, en ce qui concerne la logique médicale, c’est-à-dire physiologique, elle semblerait intervenir surtout en faveur de l’inceste ou plutôt d’une consanguinité poussée, utile dans l’élevage animal et dans une stratégie de « conservation de la pureté de sang », celui de l’animal comme celui de l’humain. Il n’existe pas de lecture hygiéniste vraiment claire de la prohibition de l’inceste déterminée par des risques tératogènes, hormis le passage de Xénophon qui demeure sujet à discussions. Cependant, l’on retiendra de ce dernier une énonciation explicite d’un lien entre une sanction morale traditionnelle – une naissance monstrueuse – et un écart de nature sexuelle : même s’il y a rationalisation, elle s’établit dans un contexte plus moral que médical.
Rapports avec le trop lointain : la bestialité
26Alors que la prohibition de l’inceste condamne l’excès d’identique, vivre une sexualité hors de son espèce pèche au contraire par un excès de différent. Dans l’introduction de son manuel d’oniromancie, Artémidore classe la bestialité dans la série des actes contre nature. C’est une offense à la nature et aux dieux et l’horreur qu’elle suscite est en tout point comparable à celle de l’inceste. Dans le mythe, l’amour ne peut être provoqué que par la volonté d’une divinité, Éros étant le plus courant mais d’autres peuvent s’y atteler comme Aphrodite par exemple. Selon l’objet convoité, cet amour s’avère parfois une terrible punition car il peut concerner un animal : c’est le cas dans la célèbre histoire de Pasiphaé, l’épouse de Minos. Ce dernier ayant soustrait d’un sacrifice, un superbe taureau blanc, il attira la vengeance de Poséidon38 qui fit inspirer à sa femme une passion impie pour l’animal jalousé. Aidée de Dédale qui conçut pour elle une vache mannequin où elle put se glisser, elle parvint à ses fins et mit au monde le Minotaure de nature mi-humaine mi-bovine. Quant à la légende de Polyphantè, elle fait intervenir un animal proche de l’homme par son aspect et ses habitudes : l’ours. Le nom de l’héroïne, Poly-phontè « Très-meurtrière », pourrait être une épithète cultuelle d’Artémis, une sorte de synonyme. Dans l’histoire racontée par Antoninus Libéralis qui prétend l’avoir lu dans le livre II de l’Ornithogonie de Boïos, Polyphantè est fille d’Hipponoos et de Thrassa39. Dédaigneuse des choses de l’amour, elle gagna la montagne et devint compagne d’Artémis. Aphrodite offensée, lui inspira une passion pour un ours avec qui elle s’unit, sa maîtresse horrifiée la fit poursuivre par des bêtes sauvages. Elle put se réfugier dans la maison de son père où elle mit au monde les fruits de ses amours contre nature, deux enfants40 à l’allure humaine mais douée d’une force prodigieuse : Agrios, « Campagnard » d’où « Sauvage », et Oréios, « Montagnard ». Mis à part leur grande force, leur aspect est humain. Le croisement ours-femme ne produit pas d’êtres hybrides mi-ours mi-humain comme c’est le cas du Minotaure ; il est vrai que l’ours est très souvent considéré comme très proche de l’homme41. Le caractère ursidé résidait en fait dans leur moralité : ils étaient sauvages, loin du monde civilisé comme l’indiquent leurs noms, ils n’honoraient pas les dieux par un culte et de plus, ils pratiquaient le cannibalisme sur les voyageurs égarés. Ils furent pris en horreur par Zeus et furent transformés en oiseaux rapaces : le lagôs42 et le vautour.
27Comme nous l’avons déjà souligné, la mixité des espèces était acceptée dans le milieu savant. Citons sur le cloisonnement des genres, l’anecdote de Plutarque à propos de Thalès43. Rappelons les faits : un des amis du sage organise chez lui un banquet mais peu de temps avant le début des festivités, on annonce au maître la naissance dans son troupeau, d’un hippocentaure ; l’hôte interprète cela comme de fort mauvais augure mais Thalès qui est présent observe le jeune et beau palefrenier. Il conseille plutôt à son ami, afin que ce genre d’incident ne risque plus de se reproduire, de donner une femme à celui qui a la garde de ses juments. La mixité des espèces s’érige ici en argument matérialiste puisqu’il n’y a pas lieu de concevoir une influence divine. Cette théorie des croisements de genres n’est pas propre au mythe souvent décalé par rapport aux faits possibles. Au contraire, une partie non négligeable du monde savant lui accorde foi. La punition de cet acte délictueux et sexuellement impie coule de source puisqu’il s’inscrit dans le physiologique : c’est la conception de monstres hybrides. Pour ne pas être expérimentable, cette théorie n’en est pas moins intéressante et très riche, puisque la logique qui régit la sanction est de nature mécaniste, au même titre que se jeter d’une falaise est sanctionné par la chute. Que ce soit Agrios, Oréios ou de manière plus probante le Minotaure, les monstres conçus sont viables et se posent comme la manifestation honteuse de la faute maternelle. La logique du corps est ici si évidente que la dimension morale de la punition tend à s’éclipser. Aussi, il faut garder à l’esprit que la vengeance divine a commencé bien avant ces naissances, c’est-à-dire dès l’inspiration de l’amour bestial, en représailles d’un autre délit.
28Toutefois, rappelons que dans les discours médicaux sur les monstruosités, la théorie n’est à aucun moment sollicitée. Si elle est considérée comme plausible, elle reste périphérique et loin des causes les plus admises.
Interdits sociaux : La question du consentement
Le consentement des conjoints
29Le consentement des époux n’est pas un argument essentiel dans l’Athènes classique. Dans le cas type, le père de la jeune fille s’entend directement avec le prétendant, obéissant lui-même aux accords passés au préalable entre les pères des mariés44. L’accord, l’engyesis, a non seulement force de serment mais il peut être conclu lors de la toute petite enfance de la fiancée45 qui ne fait souvent la connaissance de son mari que le jour de son mariage46. D’un autre côté, la morale ne voit pas d’un mauvais œil un père qui laisse le libre choix à ses enfants, y compris à ses filles, bien au contraire. Hérodote ne tarit pas d’éloges pour un certain Callias qui un siècle auparavant, au vie siècle av. J.-C., donna à chacune de ses trois filles une belle dot et les laissa épouser les jeunes gens qu’elles avaient choisis47. Mais bien que louable et loué, cet usage devait être assez exceptionnel48. La règle qui régissait les unions matrimoniales se rapprochait plutôt de cette maxime : « Prends pour mari celui que veulent tes parents49» et son application ne se limitait pas aux jeunes filles.
30Mais ces convenances semblent aller à l’encontre de la théorie reconnue par la majorité des médecins. Pour qu’il y ait fécondation, la femme doit, selon eux, ressentir du plaisir et donc de l’amour, l’enfant étant d’autant plus beau que l’amour est partagé. C’est cette idée que Xénophon attribue à Lycurgue, lequel aurait décrété que serait honteux celui qui serait surpris entrant dans la chambre de son épouse. Pour quelles raisons ? Parce que ainsi séparés « les époux se désirent davantage l’un l’autre et les enfants, s’il en naît, sont plus vigoureux que si les époux sont rassasiés l’un de l’autre50 ».
31Le désir est indispensable : il faut que les époux soient amoureux pour que soit procréé un bel enfant. Les propos de Diotime que rapporte Socrate vont dans le même sens. Le beau ne peut provenir que du désir : notre nature ne peut engendrer que dans le beau et non dans le laid. La génération, œuvre divine, permet à l’individu mortel de participer à l’immortalité. Le beau est nécessaire « or le laid ne s’accorde jamais avec le divin, tandis que le beau s’y accorde ». La Beauté, compare Diotime, est pour la génération, une Moire ou une Ilithye, c’est-à-dire une « accoucheuse » ; elle est donc une condition nécessaire. « Aussi quand l’être pressé d’enfanter s’approche du beau il devient joyeux, et, dans son allégresse, il se dilate et enfante et produit ; quand au contraire, il s’approche du laid, renfrogné et chagrin, il se resserre sui lui-même, se détourne, se replie et n’engendre pas ; il garde son germe et il souffre51. »
32Pour les médecins aussi, la femme doit ressentir du plaisir. À l’exception d’Aristote qui dans sa théorie de la génération n’accorde pas de semence à la femme et de ce fait considère son plaisir inutile, tous reconnaissent que l’épouse doit aussi éjaculer sa semence. Se présente alors le problème du viol fécond. Pour le Stagirite, il suffit que l’orgasme atteigne l’utérus pour s’ouvrir à l’unique semence masculine. Plusieurs siècles plus tard, le médecin Soranos au iie siècle ap. J.-C., reconnaît à la femme un rôle actif dans la reproduction avec un sperme féminin et explique le cas du viol fécond par l’existence d’un désir physique non reconnu par l’esprit52. Quoi qu’il en soit, rien de bon ne peut être produit à partir d’un viol. Si l’union forcée s’avère fructueuse, cela ne sera pas sans incidence sur l’enfant. Les circonstances physiques et morales de la conception jouent un rôle essentiel sur le physique et la moralité de l’enfant : il faut qu’entre les deux époux, il existe de la cháris, le plaisir sensuel, alors que de peithô, « persuasion », ou de bía, « violence », il ne peut rien sortir de bon53.
33À bien des égards, le cas romain présente des aspects comparables aux pratiques sociales grecques. La pratique des mariages impubères était répandue et il semble certain que ceux-ci auraient été effectivement consommés54. L’âge minimum légal pour une fille fut fixé à douze ans et quatorze pour les garçons alors que les fiançailles pouvaient être célébrées dès l’âge de sept ans55. Les médecins grecs contemporains de l’Empire comme Soranos ne cessaient de s’opposer à cette pratique bien trop ancrée dans les esprits. Le cas fameux de Calpurnia, la très jeune et troisième épouse de Pline le Jeune en dit long sur certains aspects de la condition féminine. Par contre, au iie siècle ap. J.-C., le droit stipulait le consentement mutuel56. Le principe en vigueur sous la République et même le Haut-Empire était certes plus sévère mais l’on y découvre malgré tout la trace d’une volonté sous-jacente de consentement, fut-il exprimé par simple omission : « Une jeune fille qui ne s’oppose pas explicitement à la volonté de son père est considérée comme donnant son consentement. Et l’on ne permet à une fille d’être d’un avis différent de son père que si celui-ci choisit pour fiancé un homme indigne ou taré » dit le droit57.
34Au iie siècle, à l’époque d’Hadrien, le consentement devient une condition sine qua non de la validité d’un mariage et le jurisconsulte de l’époque Salvius Julianus écrit : « Nuptiae consensu contrahentium fiunt ; nuptiis filiam familias, consentire oportet58. » En réalité, la question n’est pas de savoir si les règles furent ou non respectées mais de souligner le principe théorique : l’amour partagé et le consentement des époux sont toujours ressentis comme indispensables pour conclure un mariage, souci exprimé tout particulièrement dans les cultures méditerranéennes, comme l’a souligné Jack Goody59. Le mariage est alliance de deux familles par l’intermédiaire de deux conjoints et s’il se distingue du rapt c’est bien par cet aspect. D’ailleurs, la philosophie stoïcienne qui eut son influence à cette époque avait même réussi à contourner le problème en prétendant que le fils marié contre son grès y consentait cependant par nature. Ainsi, que ce soit en Grèce ou à Rome, face à la pratique sociale qui tend à forcer l’enfant, le discours moral établit dans le même temps la nécessité de l’amour partagé. Comme dans toutes les sociétés où la logique collective prime sur l’individu, vient s’ajouter un troisième facteur : le consentement parental.
Le consentement des parents
35Dans l’histoire de Comaithô et de Mélanippos, il est possible que les relations amoureuses des amants qui outrepassèrent l’opposition de leurs parents aient contribué aussi à la colère de la déesse Artémis, garante du mariage officiel et de la virginité nubile. L’aval du groupe et des parents, c’est-à-dire du seul père la plupart du temps ou éventuellement du conseil de famille, se présente comme une condition indispensable. Si elle est malgré tout contournée, une sanction morale peut se faire sentir. Concevoir un enfant dans ces conditions implique que l’acte sexuel ait lieu avant le mariage officiel et selon une scholie à Homère, certes d’époque chrétienne, la boiterie d’Héphaïstos semble être liée à ce délit60. Le passage pourrait être traduit ainsi : « En cachette de leurs parents (λα´θραι δὲ τών γονὲων), ils [Zeus et Héra] allèrent l’un vers l’autre et eurent un fils, Héphaïstos, lequel n’était pas parfait, il était boiteux des deux pieds, “ amphiguēnta ” comme dit le poète61. » Il est vrai que l’ensemble de la scholie rappelle plusieurs fois ce détail : la chose est accomplie à l’insu des parents. La phrase suivante reprend l’expression λάθραι δὲ τών γονέων62 et plus loin dans le texte du scholiaste, on peut lire comme commentaire au vers xiv, 296 : « ayant l’habitude de se retrouver au lit, ils en oublièrent leurs chers parents63 ». On le voit, ce détail des circonstances semble important, y compris pour les auteurs anciens non chrétiens comme Homère ou Apollodore. Toutefois, pour revenir au physique de Héphaïstos, rien n’est vraiment explicite. Le dieu est dit οὐχ ὁλόκληρος c’est-à-dire « non fini », « non achevé ». Peut-être est-il un enfant prématuré que Héra ne put garder dans son ventre le temps nécessaire, peut-être est-il le résultat d’une tentative d’avortement ? Il est impossible de répondre avec certitude mais l’insistance sur le caractère clandestin des amours divines – λήθοντο τοκηας, κρύøα ou encore λάθραι τών γονέων – est le pendant de l’imperfection bien visible de l’enfant ainsi produit. Comme nous l’avons vu plus haut, Xénophon le fait dire à Socrate : « quelle est la punition (δίκην) que ne peuvent cacher (οὐ δύναται διαΦεύγειν) ceux qui ont des relations intimes (μιγνύμενοι) » non conformes ? Si l’on peut commettre des délits sexuels en cachette, on ne peut en cacher le résultat désastreux car « qu’est-ce qui est le plus oppressant pour les hommes qui font des enfants que de les faire mal ? »64. Il apparaît déjà dans ce discours, le clivage qui fut plus tard, particulièrement développé par les auteurs chrétiens : à l’intimité de l’acte sexuel s’oppose la publicité de la conséquence néfaste, l’enfant difforme ou monstrueux.
36Le décalage apparent entre la pratique où s’exprime d’abord le droit des parents et une certaine morale officielle qui reconnaît un droit des mariés, découle directement de la fonction sociale fondamentale du mariage. Ce dernier s’intègre dans une stratégie d’alliance en vue d’un équilibre social assurant la paix et la prospérité. Il va de soi que le consentement des partis(les clans) comme celui des intéressés,(les mariés), sont une condition nécessaire car il en va de la santé de cet équilibre recherché : le mariage est un échange et ne peut de ce fait s’accomplir dans un contexte de violence, qu’il soit rapt ou amour forcé. Le viol est souvent stérile et peut être tératogène, c’est ainsi que peut être lu le mythe grec d’Ixion. Quant au thème romain de la stérilité des Sabines, étudié précédemment, il va dans ce sens : le rapt ne peut être une solution matrimoniale. Comme les moralistes, les médecins insistent sur ce principe essentiel, certes peu explicité, que le viol peut engendres ds monstres, principe constituant un moyen terme entre morale et physiologie, entre éthique sociale et logique du corps.
Le cas de l’adultère
Ambivalence du bâtard
37Le texte de Xénophon sur la honte des Lacédémoniens pourrait tout aussi bien s’appliquer aux amours adultères. En effet, l’interdit social de l’adultère tout comme sa honte tendent à provoquer une excitation et un fort désir. Ainsi, en tant que fruit d’un amour véritable, l’enfant adultérin pourrait bénéficier d’une constitution plus avantageuse. La plus grande clémence dont pouvaient bénéficier les violeurs au regard du sort réservé aux adultères tend à le supposer65. Dans le premier cas, l’âme de la femme n’est pas conquise et une grossesse illégitime est peu probable. Par contre, en ayant rendu sa victime consentante, le séducteur provoque le trouble et on ne sait plus de qui sont les enfants. Le bâtard correspond alors à la définition fondamentale du monstre : sa mère met au monde un enfant qui ne ressemble pas à son père, le père social bien entendu.
38D’autre part, nombreuses sont les traditions qui font des fruits d’amours adultères des enfants plus beaux et plus intelligents que les autres parce que nés d’un amour partagé et véritable66. Diotime dont Socrate rapporte le discours dans le Banquet de Platon, ne pourrait rien dire contre de tels propos traditionnels. Le cadre d’une relation adultère est bien celui d’un grand amour plutôt favorable à la génération et même une génération réussie. Cependant, il faut être prudent et il ne s’agit pas pour les auteurs anciens de confondre d’un côté, le tendre amour conjugal et de l’autre, la passion amoureuse toute imprégnée d’hubris. Les médecins le reconnaissent, une femme trop passionnée, et donc trop « chaude », fait courir le risque à la semence masculine d’être cuite dans l’utérus et ainsi de dépérir. D’autre part, une croyance populaire, du moins répandue dans la Rome de l’Antiquité, versant funeste et complémentaire, irait chercher comme cause des naissances monstrueuses des unions adultères. Si l’on en croit l’astronome et poète Manilius(fin du ier siècle av. J.-C.) qui s’y oppose d’ailleurs, la croyance était répandue. Aux vers 102-104 de son Astronomica on peut lire : « Non seminis ille/partus erit ; quid enim nobis commune feris que, / quisve in portenti noxam peccarit adulter ? »
39À première vue et selon Manilius, cette croyance était – à Rome du moins – une explication couramment admise pour les naissances d’enfants monstrueux. Elle serait la superstition populaire type, celle que combat l’astronome savant. L’on pourrait encore faire appel à une lecture de type évhémériste présente chez le lexicographe Festus qui rapporte – sans en préciser la source – que pour certains, le Minotaure serait le fruit de Pasiphaé mais non pas unie à un taureau mais à son amant appelé Tauros. Les liaisons adultères auraient ainsi produit un petit monstre mais l’auteur n’en explicite pas véritablement la cause théorique67.
Les notions
Léotychidès le bâtard
40Cette croyance a quelques résonances dans la culture grecque. Le rapport étroit entre bâtardise et boiterie a été déjà largement souligné par les érudits, intégrant un ensemble de notions dans un plus vaste cadre68 :
bâtardise : la filiation ne se transmet pas en ligne droite
boiterie : le déplacement ne se fait pas droit
bégaiement : le discours n’est pas énoncé droitement
oubli : il n’y a plus de fil conducteur entre une consigne et son souvenir
Notions | Droit | Tordu |
Transmission de la vie | Enfantement normal | Stérilité, malformation, monstruosité |
Lien entre générations successives | Liens de père en fils | Rupture : bâtardise, prise de pouvoir par un tyran |
Échanges verbaux | Compréhension | Malentendu |
Communication de soi avec soi | Présence d’esprit | Oubli |
41Ce cadre a été proposé par Claude Lévi-Strauss dans son étude sur Œdipe69. La catégorie du « boiteux » est vaste mais si l’on s’en tient au rapport entre « bâtard » – nóthos qui s’oppose à gnēsios – et « boiteux » (chōlós), le cas étudié par Vernant, du roi de Sparte Âgésilas ne doit pas nous faire commettre de contresens. L’histoire de ce roi nous est racontée avec toute son ambiguïté par Xénophon et Plutarque70. À la mort d’Agis, son frère Âgésilas et son fils Léotychidès se disputent le trône. Ce dernier n’a pas été reconnu par son père – il est supposé être le fils naturel d’Alcibiade qui l’aurait conçu lors de son exil à Sparte – , quant à son oncle Âgésilas, il est boiteux. L’oracle interrogé recommande – dans une réponse toujours à double sens – de ne pas choisir une « monarchie boiteuse »71 ; selon l’interprétation admise par la suite, le message divin ne désignerait pas le personnage atteint de claudication physique (Âgésilas) mais le bâtard qui est un véritable boiteux social (Léotychidès). En fait, les Spartiates ont le choix entre deux boiteux, un nóthos ou un chōlós. C’est soit l’un soit l’autre mais l’un des deux est préférable. Le schéma que pose cette anecdote historique peut s’écrire en terme de symbole logique : nóthos – chōlós. En aucune manière cependant, les liens entre les deux notions ne sont établis comme nóthos → chōlós, « tout bâtard est physiquement boiteux » ou nóthos → chōlós, « il est boiteux donc c’est un bâtard »72
La verticalité sociale
42La proximité de ces notions se manifeste en d’autres occasions. Dans les rites anciens de reconnaissance, l’enfant déposé à terre dès sa naissance est pris dans les bras de son père et soulevé : à partir de ce moment, il est reconnu et légitimé. La formule de Tertullien ut auspicaretur rectus est, littéralement « pour voir s’il est droit », peut faire référence à la conformité physique, c’est-à-dire qu’avant de la reconnaître, le père vérifie s’il n’a pas affaire à un infirme. Mais la notion de rectitude peut aussi se référer à la verticalité symbolique, celle de la parenté : elle signifie que le père accepte de donner à l’enfant la lignée de ses ancêtres. Ainsi, si la naissance biologique est horizontale, la reconnaissance sociale se lit sur un axe vertical73. En latin, le verbe tollere comporte aussi la polysémie du verbe français « élever », c’est-à-dire qu’il se comprend aussi bien dans les sens matériel qu’éducatif. D’un autre côté, dans l’ancienne France et dans toute l’Europe, l’éducation et surtout les soins des nouveau-nés et des jeunes enfants par la pratique de l’emmaillotage serré accompli jusqu’à un âge avancé, contribuaient à former la rectitude de l’homme au sein de la culture. Laissé à l’abandon ou tout simplement à sa nature, celui-ci ne se tiendrait pas debout, c’est-à-dire sur deux pattes, mais sur ses quatre membres à la manière des animaux. Souvent, le fait de ne pas pouvoir se tenir debout est avancé parmi les critères de réussite ou d’échec de sa descendance. Lorsque Artémis punit Patras, elle frappe les femmes en les tuant en couches ou en leur faisant mettre au monde une « progéniture qui ne se tient pas droit et ferme74 ». Dans le mythe mésopotamien qui relate le défi lancé entre Enki et Ninmah, le monstre créé par le premier du sein d’une femme se définit de cette manière75 : il ne peut tenir debout sur ses jambes. L’enfant qui ne se tient pas droit ou qui n’est pas droit physiquement est difficilement admis dans la continuité sociale et rectiligne de sa famille.
43Toutefois, il n’est pas exprimé de lien de causalité inverse : un bâtard n’est pas forcément monstrueux. Si l’on se limite aux liens symboliques évidents que la culture grecque entretient entre bâtardise et boiterie, on constate qu’il n’existe pas de lien de cause à effet entre l’enfant adultérin et la claudication. Ces deux données ne se cumulent pas forcément mais relèvent d’une même notion dans des domaines différents. Elles appartiennent toutes les deux à la même catégorie, celle du « tordu » ou de la « déviance ». Il est vrai que l’enfant légitime défectueux est souvent écarté de son droit, notamment celui d’aînesse (à l’écart biologique se rajoute un écart social) mais le symétrique, écart social → écart biologique, n’est pas nécessairement vrai76. Dans la France et l’Italie anciennes par exemple, ces deux déviances étaient regroupées dans un ensemble plus grand, une catégorie que caractérise souvent une réduction et que la langue définit comme les « B » néfastes qu’il faut éviter77. Ce sont les bègues, les borgnes, les bossus, les bigles, les boiteux et les bâtards. Il n’est pas question non plus dans ce contexte culturel, d’un lien de causalité mais il s’agit plutôt d’une mise en parallèle d’infirmités au sein d’une même catégorie et renforcée sur le plan linguistique, par le b initial.
Sur le plan du corps
44Les conséquences physiologiques de l’adultère commis par une femme mariée se manifestent d’abord par le contact entre deux semences masculines, celle du mari et celle de l’amant. La littérature ethnologique présente de nombreux cas où le problème s’exprime en terme de « conflit des semences » : chez les Nzakara, Afrique équatoriale, la femme enceinte adultère provoque ce conflit des « eaux » des deux hommes. Ainsi, l’enfant meurt ou porte une blessure, plaie ou malformation. On retrouve dans le traité mésopotamien Šuma izbu, des considérations voisines. « Si une femme donne naissance à un géant mâle ou femelle, un pécheur féconda cette femme dans la rue78. » Nous n’avons pas affaire à un pronostic oraculaire mais à un diagnostic. La femme a fauté – commis l’adultère et qui plus est dans la rue –, c’est la raison pour laquelle l’enfant mis au monde est atteint de gigantisme. Il n’est pas précisé si la punition vient d’une divinité ou si c’est par la physiologie des corps que survient cette sanction morale. Est-ce le mélange de deux semences masculines qui provoque la naissance d’un géant79 ?
45Bien que l’anecdote ne relève pas totalement de l’adultère ni d’ailleurs du monde exclusif des mortels, le cas d’Alcmène nous présente une situation comparable. Durant la même nuit80, Alcmène, l’épouse d’Amphitryon, connaît d’abord Zeus apparu sous les traits de son mari et avec qui elle conçoit Héraclès, puis c’est au tour de son authentique époux, union dont naît Iphiclès. Les deux semences, s’il est permis d’appliquer ce terme aux dieux, ne se sont ni mélangées ni concurrentes. Les deux enfants sont nés distincts, l’un humain, l’autre demi-dieu.
46Il est bien clair que la physiologie des dieux est différente tout autant que certaines de leurs pratiques matrimoniales mais dans l’histoire d’Alcmène, deux acteurs n’appartiennent pas à la race divine : elle-même et son mari Amphitryon. C’est d’ailleurs cet exemple qu’Aristote utilise à propos de la superfétation : conçus dans le même temps, les enfants sont parvenus à terme ensemble81. Ce qui eut pu porter préjudice à l’un des deux fœtus serait d’avoir été conçu à des époques différentes, à l’instar de cette femme qui, grosse de deux jumeaux, en conçut un troisième qui n’avait que cinq mois lorsque les autres naquirent. Cet enfant mourut aussitôt, précise-t-il. Ce dernier détail pourrait nous permettre de progresser dans le cas des conceptions adultérines.
47Qu’en est-il pour les animaux ? « si une jument couverte par un cheval est saillie par un âne, l’embryon qu’elle portait est détruit », écrit Aristote82. Au contraire, le cheval ne détruit pas le produit de l’âne83. L’explication ne repose ici, ni sur la superfétation ni sur la différence des époques de conception. C’est bien l’incompatibilité de nature – l’affrontement des principes – qui en est la cause : c’est celui de l’âne qui l’emporte84. C’est pour Aristote, une question de température. La semence de l’âne est froide car l’animal est originaire des régions froides alors que celle du cheval est plus chaude. Ainsi, l’effet de la première sur la seconde est destructeur85. Le froid impose sa nature au chaud, lequel faillit et s’incline. Il est question ici de différence de nature, plus précisément de qualité, celle des semences qui appartiennent à des espèces différentes. Entre individus de la même espèce, les choses diffèrent. Il n’y a chez les médecins nulle trace de « conflit de semence ». Aristote rapporte le cas d’une « femme adultère [qui] mit au monde un enfant qui ressemblait à son mari et un autre qui ressemblait à son amant86 ». Dans ce passage où il présente plusieurs anecdotes dont le cas mythique d’Alcmène, le Stagirite ne cherche pas, contrairement à Manilius, à attaquer une théorie soutenue soit par des auteurs savants soit par le bouche-à-oreille des bonnes femmes, des entremetteuses, des sages-femmes ou autres nourrices toutes au fait de ces choses-là. Ce serait pourtant bien dans son habitude et cette absence laisserait supposer que cette croyance n’avait tout simplement pas cours dans les divers milieux culturels de la Grèce du ive siècle av. J.-C.
48La relation conflictuelle de semences apparaît chez certains auteurs mais elle y explique la détermination du sexe ou la ressemblance à l’un des deux parents c’est-à-dire qu’elle a lieu entre la semence du père et la semence de la mère. Fruit d’un mélange de semences, l’enfant ne peut pas « mélanger » les sexes comme chez les hermaphrodites. Ainsi, à l’issue de cet affrontement, un seul sexe doit l’emporter. Par contre, la question de l’adultère n’est pas vraiment abordée par les médecins. On trouve certes chez Plutarque la trace d’une réflexion physiologique où le bâtard peut être défini comme celui qui naît du mélange de deux semences masculines. En effet, à propos du mot latin spurius qui sert à désigner l’enfant sans père, c’est-à-dire sans père biologique précis et sans père social, il rapporte tout en la contestant, l’étymologie que les Grecs de l’Empire donnaient à ce mot latin. Pourquoi les Romains appellent-ils spurii les enfants naturels ? « Ce n’est pas, comme les Grecs le pensent et comme les hommes de lois l’affirment au cours des procès, qu’ils soient nés d’une semence composite et commune87. » La dimension monstrueuse du bâtard pourrait ainsi consister à mélanger non seulement des lignages mais aussi des ressemblances physiques entre deux hommes de familles différentes. L’idée n’est cependant pas développée de manière suffisamment claire pour en tirer des conclusions.
49Par ailleurs, dans le livre IV de la Génération des animaux, Aristote cite l’explication que donnait Démocrite au sujet des membres ou des parties surnuméraires : « deux semences tombent dans l’utérus, l’une s’élançant d’abord, l’autre ensuite ; et cette dernière une fois sortie du mâle pénètre elle aussi dans l’utérus : si bien que leurs parties confondent leur croissance et s’entrecroisent88 ».
50En fait, il s’agit ici d’une seconde éjaculation durant le même rapport qui, comme le signalent Hippocrate et d’autres, s’accomplit en plusieurs étapes, souvent deux. La deuxième semence provient du même père et très certainement du même coït. Françoise Héritier89 interprète ce passage comme la présence dans le même utérus de deux semences issues d’êtres différents, conséquence d’un adultère ou d’un inceste du deuxième type. Cela nous semble peu envisageable pour ce contexte-ci car nulle part il n’y a chez les autres médecins, une rationalisation en terme de physiologisation des interdits. Cela est vrai aussi bien pour l’inceste que pour l’adultère.
51À propos des jumeaux, Pline expose l’explication de la superfétation en citant lui aussi l’exemple mythique d’Héraclès et d’Iphiclès90. Il a très certainement puisé ce renseignement chez Aristote mais il ne signale pas de théories, latines ou étrangères, concernant l’adultère ni un éventuel « affrontement des semences ». Dans tous les cas, il est clair qu’il coexiste deux raisonnements contradictoires qui se retrouvent fréquemment dans toute l’Antiquité :
Morale médicale | Morale sociale | |
positive | négative | négative |
amour partagé | superfétation → | parenté de notion entre bâtard (νόθος) et boiteux (χωλός) |
52À propos de l’adultère, il est important de souligner l’absence de moralisation dans les lois corporelles ou inversement, de physiologisation des principes moraux. Les notions sont ressenties comme très proches mais aucun lien de causalité ne s’exprime clairement dans la culture grecque, que ce soit chez les moralistes ou chez les médecins. À part une trop brève réflexion de Festus, le témoignage de Manilius demeure sans échos. Énoncé rare, il semble mettre en évidence l’existence d’une telle croyance dans la Rome du ier siècle après J.-C., époque de Manilius, mais il n’est pas possible d’en établir un cadre plus précis. Toutefois, le rapport entre les deux notions reste riche de sens.
La parthénogenèse
53Contrairement aux précédents, ce thème ne concerne pas de pratiques prohibées mais relève du discours théorique sur la femme. Cependant, et ce n’est pas la moindre des curiosités, l’expérience n’y fait pas défaut. En effet, le fantasme parthénogénétique énonce la possibilité pour la femme de pouvoir enfanter sans recours à la sexualité, c’est-à-dire en évitant le rôle déterminant du mâle. Ce type de renversement effrayant apparaît à l’occasion dans la culture grecque ancienne. Toutefois, même dans la société des Amazones, on ne trouve pas d’échos de cette théorie sur le plan biologique. Les mâles dominés et asservis y sont encore nécessaires pour la procréation. C’est le renversement complet du schéma aristotélicien pour qui la femme est considérée comme un « monstre utile » : chez les Amazones, les hommes sont des indésirables utiles à la reproduction. Les enfants mâles y sont estropiés dès la petite enfance afin que par leur nature forcément plus forte, ils ne rétablissent pas la hiérarchie naturelle dont la société civilisée doit s’inspirer.
54C’est cependant dans ce discours théorique que la monstruosité est la mieux explicitée car, loin des préoccupations morales préventives, il correspond d’abord à une définition. La morale qui s’en dégage ne condamne ni n’encourage certaines pratiques mais se présente comme un critère supplémentaire au sein d’un véritable édifice discursif, celui de la différenciation des sexes.
Les générations des dieux
55Dans l’histoire des dieux, la reproduction sexuelle, c’est-à-dire l’union utile de deux êtres pour en constituer un troisième, est une évolution récente et pour tout dire bénéfique et nécessaire. Dans le récit mis en poème par Hésiode dans la Théogonie, deux modes de procréation coexistent durant un certain temps : le premier s’opère par division et le second par union. Les premières divinités se multiplient par le premier mode. La Terre met au monde Ouranos, les Montagnes et Flot sans amour91. Il en est de même pour Nuit et de tous ses enfants souvent néfastes qu’« elle enfanta seule, sans dormir avec personne92 ». De la même manière, Nuit est issue de Chaos (Béance). Elle est née comme sa descendance par un « processus de scissiparité, et non par un processus d’union, selon la guerre et non selon l’amour, comme toutes les premières procréations93 ». Le principe en est la division. Pour deux des enfants, d’ailleurs les seuls bénéfiques, Éther et Lumière du Jour (Αἰθήρ καὶ Ἠμέρα), le doute demeure. Le vers 125 que Paul Mazon considère comme interpolé, précise « οὒς τέκε κυσαμένη’Ερέβει Φιλότητι μιγείσα »94. Il est possible que ce vers ait été effectivement interpolé mais l’époque de cet éventuel commentateur demeure impossible à déterminer. Si l’on considère que ce vers n’est pas de la plume d’Hésiode, il reste cependant très évocateur. Pour ce commentateur plus ou moins tardif, les deux enfants bénéfiques de Nuit ne pouvaient être, à l’instar de leurs germains, conçus sans amour et terrifiants pour la plupart. La descendance parthénogénétique ne peut rien produire de favorable. Paul Mazon analyse la suite de la Théogonie d’Hésiode comme la victoire de l’Amour. Cet Amour apparu au tout début du poème pourrait avoir bénéficié d’un modèle orphique mais sa signification semble avoir échappé au poète d’Ascra95. L’ère de la procréation par union amoureuse voit donc le jour avec la naissance d’Aphrodite née de la castration d’Ouranos96. Le poète précise d’ailleurs que cette nouvelle ère où Aphrodite apparaît, concerne aussi bien les hommes que les Immortels97. Cette idéalisation de la reproduction sexuée ne concerne d’abord que les divinités. Il est mis un terme aux productions monstrueuses et anarchiques puis à la troisième génération, c’est-à-dire celle des Olympiens, l’ordre définitif est établi. Les théogonies d’Hésiode et d’Orphée se retrouvent sur la présence de l’Amour bien que son rôle y soit différent dans l’une et dans l’autre. Il est le principe de la formation du monde par rapprochement, comparable à la génération humaine98. Cette notion apparaît plus tard chez Empédocle sous le nom de Philía dont le défaut ou la faiblesse empêche la nature de créer du beau. Ainsi, les premières générations étaient constituées de monstres hybrides, imparfaits, inadaptés et non viables. Puis, les membres d’abord dispersés se sont retrouvés harmonieusement. Cette idée d’une évolution positive au rythme des progrès de l’amour et cet esprit sous-jacent d’une reproduction sexuée faste sont demeurés très forts dans la philosophie ancienne. L’on retrouve d’ailleurs sur la même toile de fond, le principe qui exige de la charis dans l’acte de procréation. Quel qu’ait été la théorie dominante de la procréation à l’époque archaïque, la reproduction accomplie selon le bon modèle se présente comme une union. C’est donc un mélange des semences, des corps et des humeurs mais aussi des âmes, que la langue grecque désigne par le mot μίξις99, « mélange » d’où « union sexuelle »100. Avec μιγείσα, l’auteur hésiodique du vers 125 de la Théogonie emploie bien cette racine pour désigner l’union d’amour entre Nuit et Érèbe.
L’apparition de la femme
56La question est toutefois bien différente pour les mortels. Dans le même texte d’Hésiode, la création de la « race des femmes » est présentée comme une sanction à l’encontre des humains. Dans un premier temps, anthrôpoi et andrès ne se distinguent pas. Lors du partage du bœuf sacrifié, Prométhée a cependant voulu tromper les dieux en ne leur laissant que les os et les graisses et en réservant aux hommes les parties nobles (v. 535-560). Alors Zeus refuse de leur procurer du feu. Alors, Prométhée le vole dans une férule et en fait don aux mortels. Ulcéré, Zeus décide de créer la femme en punition à l’égard des hommes et des deux Titans, Prométhée et Épiméthée. C’est Héphaïstos, l’« illustre Boiteux », qui modèle le corps de Pandore dans de la terre, puis diverses déesses dont Athéna, la parent de vêtement, de bijoux et de charme101. Les vers 590-591 l’expriment ainsi : « Εκ της γάρ γένος ἐστὶ γυναικών θηλυτερὰων / Της γὰρ ὀλώιόν ἐστι γένος καὶ Φῦλα γυναικών » (Car c’est d’elle qu’est sortie la race des femmes, nées femmes / Car c’est de celle-là qu’est sortie la race, l’engeance maudite des femmes)102.
57La femme est une calamité sociale pour l’homme : elle faute par son ventre inassouvi et elle mange le bien patiemment accumulé à l’instar du frelon dans une ruche (v. 594-599)103. Mais désormais l’homme a besoin de la femme pour la reproduction. Un lourd dilemme se pose à lui : le célibat prolongé et l’usage de ses biens en pleine maturité physique deviennent un obstacle à la constitution d’une descendance, de préférence un enfant mâle unique, le soutien des vieux jours104. Au contraire, le mariage expose l’homme au risque d’être victime d’une femme dépensière ou au mieux si elle est sage, de voir « le mal compenser le bien105 ».
58La sexualité, celle qui permet la postérité et l’immortalité dans la race, on le voit, n’est pas aussi bien vécue par les hommes que par les dieux. La nécessité de s’unir pour se reproduire en ayant affaire de ce fait aux terribles affres de l’amour, constitue la punition de Zeus à l’encontre des hommes. C’est le sens qui ressort du curieux mythe raconté par Aristophane dans Le Banquet de Platon106. À l’origine, l’espèce humaine comptait trois genre : le mâle de nature solaire, la femelle de nature lunaire et l’androgyne qui relève des deux astres. Les individus de chacun des trois sexes étaient pourvus de quatre jambes, quatre bras, quatre mains, deux dos, deux têtes, deux organes de la génération... Leur corps rond et leur huit membres leur permettaient de se déplacer rapidement en roulant. Mais ces hommes bénéficiaient d’une grande force et d’un grand courage, aussi ils décidèrent d’attaquer les dieux. Zeus choisit alors de les diviser en deux moitiés : pour les mêmes griefs, le dieu de l’Ancien Testament « divise » les hommes par le langage (mythe de Babel), ici, ils sont divisés en leur chair ; le résultat est identique. Ainsi, chaque humain n’eut plus que deux bras, deux jambes, une seule tête, un seul dos mais un ventre pourvu d’un nombril que façonna Apollon. Alors, ils ne passaient leur temps qu’à essayer de retrouver leur ancienne moitié perdue, ils s’enlaçaient et tentaient ainsi de reconstituer l’ensemble originel. Les mâles de l’ancien monde formèrent deux mâles distincts en quête l’un de l’autre et il en fut de même pour les femelles. Ceux et celles qui les ont comme ascendants penchent du côté de l’homophilie. Par contre, des anciens androgynes, se formèrent des couples hétérosexuels, les seuls qui furent aptes à se reproduire. Comme elle était désespérée, la race des humains périssait. Aussi, Zeus modifia de nouveau leur nature. Auparavant, les humains se reproduisaient et engendraient sur la terre, comme les cigales précise Aristophane. Y avait-il d’abord rapport sexuel puis ponte de la femelle comme cela est le cas chez tous les ovipares ? Assurément non. La cigale est prise en exemple pour sa tige caudale qui lui permet de creuser et de pondre des œufs en terre, comme le faisaient les humains de jadis, au temps où leurs organes génitaux étaient situés à l’arrière, comme l’appendice de l’insecte. Zeus fait déplacer les organes vers l’avant et institua la gestation intra-utérine : « Il plaça donc les organes sur le devant et par là fit que les hommes engendrèrent les uns des autres, c’est-à-dire le mâle dans la femelle. Cette disposition était à deux fins : si l’étreinte avait lieu entre un homme et une femme, ils enfanteraient pour perpétuer la race, et, si elle avait lieu entre un mâle et un mâle, la satiété les séparerait pour un temps, ils se mettraient au travail et pourvoiraient à tous les besoins de l’existence107. »
59Pour les dieux, la reproduction par sexualité que caractérisent l’union et le mélange s’avère une grande étape fondamentale et bénéfique. En revanche, au regard d’un âge d’or et tant chez Hésiode que dans le mythe de Platon(Aristophane), la sexualité nécessaire est acquise dans le cadre d’une sanction qui marque la condition humaine. Cela ressort davantage chez Hésiode : cette contrainte de la sexualité apparaît dans un ensemble plus vaste de calamités que les dieux adressent aux mortels comme le travail de la terre et la consommation des céréales, la vieillesse, les maladies... Dans un contexte culturel géographiquement proche, il est tentant de songer à propos de ces thèmes – ceux de l’homme au travail et de la femme au prise avec les douleurs de l’enfantement – à la punition de Yhawhé108 et aux mythes mésopotamiens109. Il n’est bien évidemment pas question de parler d’influence orientale à ce bref niveau. Il s’agit plutôt d’une constante de la condition humaine, un vécu universel et intemporel des hommes.
Les écarts
60À ce principe fondamental de la reproduction, dieux et humains doivent se soumettre avec une liberté plus ou moins grande. Dans la Théogonie d’Hésiode, la troisième génération des dieux, celle des Olympiens, voit ce principe dominer définitivement mais deux écarts sont accomplis par les plus puissants d’entre eux, Zeus et Héra.
61Pour le premier, il est dit que Zeus « tout seul de son front, il donne le jour àTritogénie110 », c’est-à-dire Athéna. Une autre tradition précise que Zeus a dû au préalable avaler Métis afin de concevoir la vierge déesse111. En fait, dans cette seconde tradition, Métis était enceinte d’Athéna lorsqu’elle fut engloutie par Zeus112. Quoi qu’il en soit, l’iconographie de cette scène présente souvent Zeus en parturiente, assis sur une sorte de fauteuil obstétrical où des sages-femmes s’affairent tout autour. C’est une variante du thème de l’homme enceint qui a pu s’autoféconder. Dans tous les cas, Hésiode est clair : Zeus a conçu Athéna tout seul (autós).
62Après le récit de la naissance d’Athéna, le poète présente celle d’Héphaïstos comme une riposte d’Héra : « Héra, elle, enfantait l’illustre Héphaïstos, sans union d’amour, par colère et défi lancé à son époux113. » Héphaïstos est crée par parthénogenèse mais le résultat reste imparfait. Au contraire d’Athéna qui est bien constituée, le dieu forgeron est boiteux (v. 571 : amphiguêeis). Alors que la tradition homérique semblait accuser les amours illicites prémaritales – et en quelque sorte incestueuses –, Hésiode et certains scholiastes homériques tardifs manifestent leur préférence pour l’explication parthénogénétique114.
63Les personnalités des dieux ainsi créés sont riches de sens. C’est aux cultes observés par les artisans que se trouvent très intimement associés Hépahaïstos et Athéna. À Athènes, la déesse Athéna est dite Hephaistía et de même, la fête en l’honneur du dieu forgeron, les Khalkeía, porte aussi le nom d’Athênaía115. Ce sont les dieux de la téchnê qui savent associer philosophía et philotékhnê, sagesse et savoir-faire. Il faut avoir à l’esprit que dans son aspect positif, l’artisan (dêmiourgós) bénéficie d’une intelligence, sa mêtis, qui lui permet de fabriquer tout seul quelque chose à partir de la matière brute. Contrairement à l’agriculteur, il n’a pas besoin d’une divinité comme la terre parce que la forme de l’objet façonné est présente dans son esprit et qu’il ne tient qu’à lui de la faire s’imprimer dans la matière. C’est pourquoi, l’association des deux divinités Héphaïstos et Athéna dans les cultes des artisans fait écho à Zeus et Héra. Ce sont deux dieux nés par parthénogenèse ou du moins d’un seul parent. Tous deux n’ont pas eu recours à la sexualité, notion plus proche de l’activité agricole. Le corps et les humeurs du partenaire absent ainsi que les lois transgressées de la gestation ont été compensés par le recours au savoir-faire technique. Cependant, rien n’indique de manière certaine que la claudication de Héphaïstos est tributaire de cette impuissance féminine dans l’acte de reproduction et a fortiori, dans la parthénogenèse.
64Cette notion de parthénogenèse ne s’inscrit pas dans le seul domaine du mythe puisque les naturalistes et les médecins l’ont abordée, et ce par le biais de phénomènes physiologiques réels : les œufs clairs et les môles. Pour Aristote, les œufs clairs n’ont pas été fécondés et n’ont pas bénéficié du principe (archê), c’est-à-dire de l’action fondamentale du mâle. Le savant emploie le mot courant pour cette sorte d’œuf, ὑπηνέμια « qui ne contiennent que du vent » ἅνεμος)116, adjectif que Pline transcrit en latin en hypenemia117. Nous connaissons par Aristote une autre terminologie où il est question d’œufs κινόσουρα, οὐρία, ou encore ζεɸύρια, « œufs de zéphyr »118. Le premier pourrait se traduire, propose Pierre Louis119, par « pisse de chien » si la finale se rapporte bien au verbe ούρέω « uriner ». Par contre οὐρία est traduit par « séreux ». Dans l’Histoire des animaux, Aristote prétend que sur trois œufs de pigeons ou de colombe, deux seulement éclosent alors que le troisième est un œuf clair120. Dans la Génération des animaux, il étend cette caractéristique aux oiseaux à serres recourbées et en explique la cause : les œufs sont entretenus dans une certaine chaleur jusqu’à ce que l’oisillon éclose. La mère, la terre et le soleil contribuent à fournir cette chaleur nécessaire. Lorsque la chaleur est excessive, notamment à cause du climat ou de la nature des oiseaux – et ceux à serres recourbées sont de nature chaude –, les œufs sont trop chauffés et le liquide qu’ils renferment bouillit121. Ce serait donc l’excès de chaleur qui provoque les œufs ouria. Quant aux zephuria qui désignent la même chose, ils seraient ainsi appelés « parce que au printemps les femelles d’oiseaux reçoivent évidemment des souffles chauds »122. La chaleur du Zéphyr, vent doux de l’Ouest, contribuerait à chauffer outre mesure les œufs, action que l’on peut provoquer soi-même en les palpant avec les mains d’une certaine façon123. Ici, Aristote reprend et adapte à sa biologie une ancienne théorie qui attribuait une certaine fertilité au vent et plus précisément au zéphyr. Les œufs hupênémia sont « plein de vent » parce qu’ils ont été conçus par lui et il en est certainement de même pour les zephúria. L’explication par la chaleur – le zéphyr est un vent chaud – pourrait être une rationalisation aristotélicienne et le thème du vent fécondant les juments serait un autre aspect de cette croyance124. En effet, selon Ovide, c’est au jardin de Flore, déesse enlevée par Zéphyr, que Junon put concevoir Mars à partir d’une fleur et donc de manière parthénogénétique125.
65Cependant, on peut se demander si les termes hupênémia ou zephuria ne sont pas à considérer aussi sur un plan plus imagé que littéral. Le champ sémantique d’hupênémia s’est par la suite élargi en un sens figuré se rapprochant de l’adjectif « vain ». C’est un œuf qui, n’ayant pas été fécondé, ne peut rien produire. La même remarque vaut aussi pour zephúria et ouría126. Ce sont des œufs auxquels seules des femelles ont contribué. Quand il n’y a pas de pigeon mâle, explique Pline, les femelles se cochent et produisent les hypenemia127. La tentative parthénogénétique des femelles oiseaux se solde par un échec et les hypenemia, cynosures, zephyria et ouria illustrent la même réalité : l’impossibilité pour la femelle de procréer seule.
66Pour les mammifères et tout particulièrement la femme, l’équivalent de ces œufs clairs se présente sous la forme de ces productions monstrueuses, amas de chairs informes nommés par les auteurs μύλη (en grec) ou mola (en latin), c’est-à-dire la « môle » que la médecine définit aujourd’hui comme une dégénérescence kystique d’un embryon128. Pour Aristote129, elle est la marque de l’insuffisance de coction de l’embryon. La nature ne peut parvenir à l’achèvement de son œuvre et ce manque de chaleur est la cause de la dureté quasi proverbiale de la môle130. De son côté, les auteurs hippocratiques attribuent son origine à un sperme trop faible, donc pas assez chaud131. De ce fait, le sperme masculin ou féminin ne peut se développer. Quant aux encyclopédistes plus tardifs comme Pline et Oribase, ils privilégient la thèse d’une conception survenue sans l’intervention du mâle comme les œufs clairs : « molas,..., gigniputant, ubi mulier non ex mare, verum ex semet ipsa tantum conceperit ». Comme elle n’est pas constituée par le mélange des deux sexes, la môle ne possède qu’une vie « végétative » (habere per se vitam illam quae satis arboribusque contingat)132. Oribase est encore plus précis et sa démonstration compare explicitement la môle féminine avec les hypénémia des oiseaux :
67Si les femmes n’ont pas de sperme provenant du mélange (μὴ μεμιγμένον) des deux sexes, et si l’utérus, au contraire, conçoit, pour ainsi dire, un œuf de vent, dans ce cas dis-je, (ὥσπερ ὑπηνέμιον δέξηται ἀπὸ θατέρου) il se forme ce qu’on appelle une môle, et cette môle n’est ni un animal, parce qu’elle ne provient pas des deux sexes, ni un être inanimé, attendu que ce qui a été conçu était animé comme les œufs de vent. (οὔτε ζᾠον διἁ τὸ μὴ παρἁ ἀμφοῖν, οὔτε αψυχον διἁ τὸ ἕμψυχον ληΦθὲν εἶναι ὤσπερ τα` ὑπηνέμια)133.
68L’équivalence est donc claire entre les deux déviances :
chez les ovipares, les femelles qui se cochent toutes seules ou la chaleur (dont celle du vent) produisent des œufs clairs,
chez les mammifères, le sang menstruel – avec ou sans semence féminine – produit des môles.
69La définition de la môle rejoint d’autres aspects propres à la monstruosité. La conception d’Héphaïstos accomplie sans père, selon la version hésiodique, peut s’y intégrer ainsi que la définition aristotélicienne, elle qui pose comme principe la résistance de la matière femelle à la forme mâle. Sur les divers plans de la pensée, mythique, médicale ou philosophique, le monstre fait irruption à l’occasion d’un excès de féminin. Les occurrences sont multiples et elles ont pour fil conducteur les diverses circonstances où le féminin sort du domaine qui lui est strictement limité, outrepassant ainsi ses vocations naturelles. En résumé, dans différents domaines, la monstruosité est pensée comme un excès voire une exclusivité du féminin.
70Monstre social : domination féminine dont le type est la société des Amazones.
71Monstre moral : dans les relations de couple, c’est la femme plus âgée qui commande ou la femme qui prend l’initiative en amour.
72Monstre biologique : femme qui se passe de l’homme et crée une môle parthénogénétique / « résistance de la matière » du schéma aristotélicien qui produit un monstre.
73On le voit, la définition éthique du monstre par excès de féminin a une expression physiologique, y compris chez les auteurs médicaux. D’un côté, la sanction morale se conjugue avec la sanction biologique et de l’autre, la science des médecins n’est pas dépourvue d’une dimension éthique, notamment contre les abus de tout genre. Toutefois, ce thème où s’exprime le mieux la question tératologique ne constitue pas à proprement parler un discours sur la sexualité. Il n’y est pas question de dynamique des rapports ni de leurs limites. Cette théorisation de la monstruosité construit elle aussi des limites, donnant à chaque sexe des attributions propres. C’est dire combien l’enjeu n’est pas une éthique des comportements sexuels : l’idéologie générale de la division des sexes et son expression sociale prime ici.
L’éthique sexuelle païenne et le monstre
74La littérature ethnographique présente de nombreux exemples d’une autonomie morale du corps. Les lois qui régissent le corps sont aussi les gardiennes des lois sociales, puisque par les maladies, les grossesses difficiles, les avortements ou les naissances monstrueuses, elles sanctionnent des fautes, non spécifiquement sexuelles (pratiques prohibées). En d’autres termes, pour bien comprendre un discours médical, il faut l’inscrire dans le cadre social et culturel où il a été développé : il faut connaître les normes imposées par la société, quels en sont les interdits et les obligations. Cela semble une évidence aujourd’hui et cette problématique constitue d’ailleurs l’objet de l’anthropologie médicale et plus précisément dénommée en France, l’« anthropologie de la maladie »134.
75Nous avons pu constater pour l’Antiquité classique païenne, l’existence de considérations similaires : les notions de monstruosité et de pathologie s’éclairent à la lumière des préceptes moraux collectifs. En ce qui concerne l’inceste, le problème pèche par une trop grande incertitude, même si quelques bribes de discours nous ont apporté des renseignements. Pour l’adultère, la chose est plus probable puisqu’elle est au moins explicite dans un témoignage latin mais elle reste toutefois ambivalente. Il existe une forte parenté entre les notions de bâtardise et de boiterie mais à ce versant néfaste, correspond un versant plutôt bénéfique. En effet, le bâtard peut être quelquefois supérieur en beauté, en intelligence et en qualités morales car il est certainement né de la cháris. Quant au fantasme parthénogénétique, il est le thème explicitement le plus développé et conjugué sous tous les registres. Toutefois, il ne correspond pas à une pratique sexuelle prohibée mais se présente comme une limite extrême des lois naturelles, limite qui définit et légitime non seulement les compétences de chacun des deux sexes mais encore leur organisation sociale, c’est-à-dire leur différenciation.
76L’existence d’une médecine qui s’est souvent positionnée contre certaines croyances peut poser quelques problèmes de méthode mais son étude nous a permis de définir les pans d’une morale sexuelle païenne. L’on saisit la présence de la monstruosité aux abords de l’interdit. Certes, dans le discours savant, la monstruosité collective tient la part belle mais la responsabilisation individuelle existe bel et bien et sanctionne les limites de ce qui est naturel. Comme l’univers, le corps vivant réagit à ces outrepassements de la mesure. Pour les savants, l’enjeu se limite à une technique. Le quidam qui ne respecterait pas les prescriptions s’expose à concevoir un enfant malade, faible ou difforme, conséquence comparable à celles des abus alimentaires, sexues ou physiques. Il faut bien sûr établir une nuance entre cette autonomie moralisante et l’hygiène dont la nature s’apparente au bon sens mais cette nuance est très subtile voire inexistante car le rapport à l’hygiène – tel qu’il apparaît également de nos jours – est construit aussi sur le modèle moral. En outre, il faut tenir compte d’une évolution accomplie entre le ve siècle avant et le iie siècle après J.-C. En effet, selon Paul Veyne, Michel Foucault et d’autres érudits135, la morale sexuelle du début de l’Empire(ier siècle ap. J.-C.), annonce la période chrétienne sur de nombreux points, les significations restant malgré tout très différentes. La virginité par exemple, commence à être idéalisée au iie siècle après J.-C, au sein des écrits médicaux. C’est aux alentours de ce siècle que l’on peut observer une première étape d’universalité : la sexualité est jugée de plus en plus dangereuse pour le corps, elle est apparentée à la maladie, voire au mal. Le discours médical se soumet au discours moral. La moralité du corps suit toujours la courant dominant. Ainsi, l’idéal sexuel se rapproche du contenu de la future morale chrétienne. C’est pour cela que les excès se doivent d’être dominés non plus au regard du statut social de la personne mais au nom de la fragilité universelle du corps136. Tous les humains sont ici concernés tant sur le plan de la nature que sur celui de la raison. Quant à la question tératologique, les premiers auteurs chrétiens ont développé le thème des naissances monstrueuses dans le cadre réduit des particuliers. C’est ainsi qu’à l’instar de la médecine antique, la nouvelle prophylaxie sexuelle religieuse a circonscrit la place du monstre à la sphère privée, en lui attribuant une simple fonction, celle de sanctionner les parents coupables de péchés exclusivement sexuels.
77Toutefois, dans ces discours théoriques savants païens, nous n’avons trouvé nulle trace d’une réelle politique morale préventive construite sur l’expérience effective de naissances malheureuses et de sa mise en pratique dans la population. L’arrivée du christianisme, à l’origine d’une nouvelle politique sexuelle avec des conceptions telles que le mal et la chute, pourrait avoir modifié les données. Ni prophétique, ni de nature sociale ou cultuelle, du moins pour les premiers siècles, la dimension du monstre dans la morale chrétienne est proprement inscrite dans la sexualité.
Notes de bas de page
1 Hésiode, Travaux et Jours, v. 733-734, trad. Paul Mazon, CUF, 1982 : « Μηδ’ αἰδοῖα γονῇ πεπαλαγμένος ἔνδοθι οἴκου / ἱστίῃ ἐμπελαδὸν παραøαινέμεν ». Le mot histíē, « foyer », est une variante de hestia divinisée en Hestia, déesse du foyer familial. Déesse virginale tout comme Artémis et Athéna, elle comporte aussi une symbolique sexuelle construite en partie sur l’image du four et de la cuisson. Sur cet aspect d’Hestia, voir Jean-Pierre Vernant Mythe et pensée chez les Grecs, Maspero, 1974, t. I, p. 124-170, et Mythe et société en Grèce ancienne, Points-Seuil, 1974, p. 131.
2 Pausanias VII, 19-20.
3 Claude Lévi-Strauss, Structures élémentaires de la parenté, Mouton, 1947, p. 14-19.
4 Émile Durkheim, « La prohibition de l’inceste », in L’Année sociologique, vol. 1, 1898.
5 Henri Bergson, Les deux sources de la morale et de la religion (1935), coll. PUF Quadrige, 1995, p. 128-133. La religion est une « réaction défensive de la nature contre l’intelligence » de l’individu. Chaque interdit religieux est utile à la nature et à la communauté. « C’est ainsi que les relations sexuelles, par exemple, ont pu être utilement réglées par des tabous. Mais, justement parce qu’il n’était pas fait appel à l’intelligence individuelle et qu’il s’agissait même de le contrecarrer, celle-ci, s’emparant de la notion du tabou, a dû en faire toute sorte d’extensions arbitraires, par des associations d’idées accidentelles et sans s’inquiéter de ce qu’on pourrait appeler l’intention de la nature ».
6 J.M. Cooper, « Incest prohibitions in primitive culture », in Primitive man, vol. 5, n° 1, 1932.
7 Françoise Héritier, Les deux sœurs et leur mère, Odile Jacob, 1994.
8 Sur les relations parrains-filleuls dans la France traditionnelle, voir Agnès Fine, Parrains, marraines : la parenté spirituelle en Europe, Fayard, 1994.
9 E.E. Evans-Pritchard, « Exogamus Rules Among the Nuer », in Man, vol. 35, n° 7, 1935.
10 H.F. Muller, « A Chronological Note on the Physiological Explanation of the Prohibition of Incest », in Journal of Religious Psychology, vol. 6, 1913, p. 294-295.
11 Sophocle, Antigone, v. 450 sq.
12 Voir G. Humbert in C. Daremberg et Saglio, Dictionnaire des antiquités grecques et romainess, t. III, 1, p. 449-456 sv. « Incestum, incestus ». Il existe le composé γάμος ἀνόσιος, littéralement « union impie » ou « sacrilège ».
13 Edmond Lévy, « Inceste, mariage et sexualité dans les Suppliantes d’Eschyle », in La femme dans le monde méditerranéen, actes de colloque, Lyon, Maison de l’Orient méditerranéen, 1985, p. 29-45.
14 Plutarque, Thémistocle, 32 ; Demosthène, Contre Euboulidès, 20-21. Il n’est pas inutile de souligner l’importance de la maternité dans le vocabulaire grec de la parenté germaine : ἀδελøός et ἀγάστωρ (frère, soeur) formés respectivement sur δελøύς, « matrice » et sur γαστήρ, « ventre », « matrice », « entrailles ».
15 Sur ce problème de la transmission du patrimoine et des pratiques sociales conséquentes dans la Grèce ancienne voir Claudine LEDUC, « Réflexions sur le système matrimonial athénien à l’époque de la Cité-État vie-ive s. av. J.-C. », in ouv. coll. du GRIEF La dot. La valeur des femmes, Toulouse, Le Mirail, 1982 p. 7-29 et « Comment la donner en mariage ? La mariée en pays grec, viiie-ive s. av. J.-C. », in G. Duby et M. Perrot (dir.), Histoire des femmes en Occident, 1990, t. I, p. 259-316.
16 I, 7, 1. Trad. Jean Pouilloux, CUF, 1992, t. I. « Μακεδόσιν οὐδαμώς ποιὼν νομιζόμενα, Αἰγυπτίοις μέντοι ὧν ἧρχε ».
17 I, 27, 1. Trad. Michel Casevitz, Belles Lettres, coll. "Roue à livres", 1991.
18 X, 29
19 Métamorphoses X, 324-331 Trad. Georges Lafaye. « humana malignas / Cura dedit leges, et, quod natura remittit, invida iura negant ». Ailleurs, en VII, 386-387 il écrit : « Ménéphron devait s’accoupler à sa mère comme le font les bêtes sauvages (cum matre Menephron / Concubiturus erat saevarum more ferarum) »
20 Voir références des auteurs de l’Antiquité et des époques postérieures dans Edward Westermarck Histoire du mariage, trad. fra., Mercure de France, 1934, t. I, p. 119-121.
21 HA IX, 47, 631a. Trad. Pierre Louis. Nous remarquerons que curieusement Aristote ne fait pas d’allusions aux pères des poulains D’autres auteurs rapportent des anecdotes semblables : [ARISTOTE] Des faits surprenants 2, 830b 5 ; Élien Histoires variées III, 47 ; Pline HN VIII, 64 ; Varron, Économie rurale III, 7, 8.
22 Voir à ce propos la révolte de Biblis amoureuse de son frère Caunus (Ovide, Métamorphoses, IX, 490 sq.)
23 Hesiode,Théogonie 453-457. Hésiode emploie le mot ἄκοιτις (v. 921).
24 Claude Vatin, Recherche sur le mariage et la condition de la femme mariée à l’époque hellénistique, éd. E de Boccard, BEFAR, 1970, p. 61
25 Georges Dumézil, Du mythe au roman, PUF Quadrige, 1970, p. 59-60 n. 3.
26 À sa manière, le très moraliste poète Théognis de Mégare (vie siècle avant J.-C.), défenseur des petits propriétaires terriens, assimile quasi les mariages morganatiques à la bestialité et à la mixité des espèces, élargissant donc cette préoccupation à toute une population. Théogins, Élégies, v. 183-192 : « Les béliers, les ânes et les chevaux, nous les cherchons de bonne race, et l’on veut qu’ils aient une bonne origine ; mais épouser une vilaine, fille de vilain, n’inquiète pas un homme bien né [...] la race de nos concitoyens s’altère ; bon et mauvais, tout est mêlé ». Trad. E. Bergougnan in Poètes élégiaques et moralistes de la Grèce, Paris, Garnier.
27 Georges Duby, Le chevalier, la femme et le prêtre, Coll. Pluriel, 1981, p. 42.
28 Ernst Kantorowicz, L’empereur Frédéric II (1927), Gallimard, 1987, p. 269.
29 Alfred Métraux, Les Incas, Points-Seuil, 1983, p. 73 : « Vers la fin de la dynastie, le principe de la pureté de sang divin que les Incas tenaient de leur ancêtre le Soleil fut porté à sa conséquence logique : l’empereur ne pouvait prendre pour principale, la coya, qu’une sœur de père et de mère. Cette forme extrême de l’endogamie ne s’est imposée que graduellement, car parmi les premiers souverains il y en eut qui choisirent leur épouse dans des lignages étrangers. Cependant, selon la mythologie officielle, Mama-Ocllo, la première impératrice, aurait été fille du Soleil et par conséquent sœur de Manco-Capac »
30 Homère, Odyssée VIII, 310-312. Trad. Victor Bérard, CUF, 1933. « αὐτὰρ ἐγώ γε ἠπεδανὸς γενόμην. αὐτὰρ οὔ τι μοι αἴτιος ἄλλος, αλλα τοκῆε δύω ».
31 Iliade XIV, 295-296. Trad. Paul Mazon, CUF, 1937-1938. « οἷον ὅτε πὼρτόν περ’ἐμιογέσθην øιλότητι, εἰς εὐνὴν øοιτώντε, øίλους λήθοντε τοκῆας »
32 Ovid,e Métamorphoses, X, 298-520 ; Antoninius Libéralis Métamorphoses, 34 ; Apollodore III, 14, 4 ; Hygin, Fables, 58
33 Françoise Héritier, Les deux sœurs et leur mère, p. 59-67 : la malédiction n’accable pas uniquement les incestueux du « premier type » mais aussi ceux du « second type ».
34 On retrouve la classique opposition ἀγαθός / κακός c’est-à-dire bon / mauvais.
35 Mémorables, IV, 4, 21-23. Trad. Pierre Chambry, Garnier, 1967.
36 Avons-nous affaire à ce que Michel Foucault dans l’Archéologie du savoir, nommait un énoncé rare ? C’est l’évidence du discours qui contribue au fait qu’il soit peu énoncé. Ici, c’est peu probable au vu du reste du texte.
37 Arnold Van Gennep, Manuel de folklore français, t. I-2, p. 614-628.
38 Diodore IV, 60 ; Pausanias VII, 4, 5 ; Virgile, Églogues, VI, 5 sq. ; Apollodore II, 1, 2 ; III, 1, 4. Selon certaines versions c’est Aphrodite qui se vengea directement de Pasiphaé en lui inspirant cet horrible amour.
39 Antoninus Libéralis, Métamorphoses, 21.
40 δύο παιδάς.
41 Bien des versions pyrénéennes de Jean de l’Ours sous-entendent la paternité animale non seulement sociale mais aussi biologique.
42 Manolis Papathomopoulos (traduction des Métamorphoses, CUF, 1968) ne traduit pas ce mot de lagôs qui signifie en quelque sorte « lièvre des airs » mais si l’on en croit Isidore de Séville (Origines, XII, 7, 53), il pourrait s’agir de la foulque, oiseau noir aquatique : « Fuliga dicta, quod caro eius leporinam sapiat ;lagos enim lepus dicitur, unde et apud Graecos lagos vocatur ». Fuliga est une forme tardive du latin classique fulica ou fulix.
43 Plutarque, Banquet des sept sages, 149c-e.
44 Par exemple Démosthène Contre Boéotos, II, 12 sq.
45 Démosthène, Contre Aphobos, III, 43.
46 Claude Mossé, La femme dans la Grèce ancienne, Complexe, 1991, p. 158.
47 VI, 122
48 Sur les différents types de mariage en usage en Grèce ancienne voir Jean-Pierre Vernant, Mythe et société en Grèce ancienne, 1974, chap. « Le mariage », les travaux de Claudine Leduc cités plus haut et la somme de Anne-Marie Verilhac et Claude Vial, Le mariage grec du vie siècle avant J.-C. à l’époque d’Auguste, De Boccard, 1998.
49 Naumachos, Conseils conjugaux, v. 12.
50 Xénophon, La République des Lacédémoniens, 1. Trad. É. Chambry, Garnier, 1967. Cette conception est également présente dans le Talmud et chez Maïmonide : il faut que les parents s’aiment sinon l’enfant sera médiocre de corps et d’esprit.
51 Platon, Le Banquet, 25, 206d. Trad. É. Chambry, Garnier, 1964 : « διἁ ταῦτα ὅταν μὲν καλᾧ προσπελἁζῃ τὸ κυοῦν, ἵλεών τε γίγνεται καὶ εὐøραινόμενον διαχεῖται καὶ τίκτει τε καὶ γεννᾷ ὅταν δὲ αἰσχρᾡ, σκυθρωπόν τε καὶ λυπούμενον συσπειρᾰται καὶ ἀποτρέπεται καὶ ἀνείλλεται καὶ οὐ γενᾷ αλλἁ ἴσχον τὸ κύημα χαλεπώς øέρει ».
52 Gynécologie, I, 37
53 χάρις, πειθώ et βία. Le mythe d’Ixion présente une morale identique (Pindare Pythiques II, 32 ; Eschyle Ixion F 314 éd. H.-J. Mette). Ixion essaie de séduire Héra et tente de la violer. Elle est substituée par une Nuée et de cette union naît un monstre, Kéntauros, ancêtre éponyme des centaures. Sur la notion de cháris voir Marcel Detienne Les jardins d’Adonis, Gallimard, 1972, p. 166-169 et Michel Foucault, Le souci de soi, Gallimard, 1984, p. 238-240 (à propos du Dialogue sur l’amour de Plutarque).
54 Marcel Durry, " Le mariage des filles impubères à Rome ", in CRAI, 1955, p. 84 sq.
55 Digeste, XXIII, 1, 4. Voir Pierre Grimal L’amour à Rome, 1979, p. 91-98
56 Digeste, XXIII, 1, 4 ; 5
57 Digeste XXIII, § 12
58 Digeste XXIII, 1, 11. Voir Ulpien in Digeste L, 17, 30 : « Nuptias non concubitus sed consensus facit ».
59 Jack Goody, L’évolution de la famille et mariage en Europe, trad. fra., Armand Colin, 1985, p. 154-155 ; 194 ; 207
60 Scholie à Homère Iliade (Scholia D in Iliadem), I, 609 (= A 609/Zs), 5-7 : « λάθpαi δὲ τών γονέων ἀλλήλoiς συνερχóμενοι ἔσχov υἱὸν ῎Ηøαιστον οὐχ ὁλόκληρον, ἐκατέρους δὲ τοὺς πόδας χωλόν, ὥς øησιν αὐτὸν “ἀμøιγυήεντα” ὁ ποιητής ». Le scholiaste commente l’expression πρὸς ὂν λέχος « vers le lit conjugal »
61 Scholie à Homère Iliade I, 609, 5-7. Trad. personnelle
62 I, 609, 8-9. Trad. personnelle
63 « εὶς εὐνὴν øοιτώντε øίλους λήθοντο τοκηας ». En fait, ce commentaire est la reprise du vers XIV, 296 et la seule différence est λήθοντε. Sur ce vers précisément, le commentaire de la scholie cite Apollodore (κρύøα τὸν Δία τηι ῞Ηραι συγκεκαθευδηκέναι) : « Apollodore rapporte que Zeus avait en cachette couché avec Héra » (= FGH 244 F 119).
64 Xénophon, Mémorables, IV, 4, 22. Trad. personnelle. Au paragraphe 21, Xénophon attribue à Socrate des propos semblables concernant l’impossibilité de se soustraire aux lois divines. C’est « la punition (δίκην) [... ] à laquelle aucun homme ne peut se soustraire (ἡν οὐδενί τρόποι δυνατόν ἂνθρωποι διαøεύγειν)
65 Lysias, Sur le meurtre d’Ératosthène, 33 : le mari trompé peut tuer l’amant de sa femme pris en flagrant délit d’adultère. La racine μιχ du mot grec qui désigne le délit d’adultère, μοιχεία, est d’ailleurs intéressante. Elle signifie « mouiller » d’où « uriner », voir les mots latins mictus et mictio, -onis. C’est dire sa valeur de pollution et de mélange (des semences ?).
66 Georges Devereux, Essais d’ethnopsychiatrie générale, Gallimard, 1970, p. 370 sq.
67 Festus sv. minotaurus
68 Jean-Pierre Vernant, « Le tyran boiteux : d’Œdipe à Périandre », in Œdipe et ses mythes, Complexe, 1988, p. 54-78 ; édités et commentés par Manolis Papathomopoulos Nouveaux fragments d’auteurs anciens, Ioannina, 1980 en part. p. 11-29 : sur le personnage de Plisthène.
69 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale, Plon, 1958, p. 235-265 Le cadre est jugé par Vernant « trop général pour rester pertinent » : Jean-Pierre Vernant, Religions, histoires, raisons, Maspero, 1979, p. 31.
70 Xénophon, Helléniques, III, 3, 1-3 ; Plutarque, Agésilas, III, 1-9.
71 La notion de monarchie boiteuse est dénoncée également par Plutarque en Lysandre, 22-12 et par Pausanias en III, 1-9.
72 Platon exprime une idée comparable dans République VII, 535d-536b. Par ailleurs, dans la geste de Sunjata (Afrique subsaharienne), il est question d’un royaume qui dispose d’un choix comparable entre un infirme et un héritier illégitime. Le héros Sunjata est né infirme et ne peut tenir sur ses jambes c’est pourquoi on se moque de lui et qu’il a été écarté du trône de son père. Des forgerons lui confectionnent des barres de fer pour pouvoir se lever mais il n’y parvient pas car les barres cèdent sous le poids. Puis, on lui donne le sceptre (bâton) royal de son père : il arrive alors à se lever et la paralysie disparaît aussitôt. Voir le récit dans Maurice Delafosse, Haut-Sénégal Niger, 1912, t. 2, p. 166-167.
73 Nicole Belmont, Les signes de la naissance, Plon, 1971, p. 77-89 et « Levana ou comment “élever” les enfants », in Annales ESC, 1973, n° 1, p. 77-89.
74 Callimaque, Hymne à Artémis, v. 124-128 ;
75 Jean Bottéro et Samuel N. Kramer, Lorsque les dieux faisaient l’homme, Gallimard, 1989, p. 196.
76 Contrairement aux suppositions de Georges Devereux, Femme et mythe, coll. Champs-Flammarion, 1982, p. 190 : « l’équivalent sociologique de cette défectuosité corporelle, censée être due à la bâtardise de l’enfant, est le handicap réel que tant de sociétés imposent au bâtard – et souvent aussi à l’enfant légitime amoindri par des défectuosités, soit physiques, soit morales et donc privé de ses droits d’aînesse. »
77 René-Claude Lachal, « Infirmes et infirmités dans les proverbes italiens », in Ethnologie française, II (1972), n° 1-2, p. 67-96.
78 E. Leichty, The Omens Series, n° 69, p. 38.
79 Il est difficile de juger dès la naissance si tel enfant est un géant. Il est possible qu’il s’agisse d’un très gros bébé. Toutefois, les phénomènes tératologiques montrant la faute des parents peuvent intervenir plusieurs années après la naissance. C’est la cas des hermaphrodites pour qui la puberté reste la période déterminante.
80 « αὐτῇ μὲν γἁρ νυκτὶ... αὐτῇ δ’ » : Hésiode, Le bouclier, v. 35-37. Le récit de la conception d’Héraclès se prolonge jusqu’au vers 54, auxquels s’ajoutent les deux vers apocryphes 55-56.
81 HA, VII, 4, 585a.
82 HA, VI, 23, 577a.
83 577a 26-27 : « ὁ ἵππος τὸ τοῦ ὄννου οὐ διαøθείρει, ὅταν ᾖ ὠχευμένη ἡ ἵππος ὑπὸ ὄννου ».
84 Une fois fécondée, la jument ne peut l’être une seconde fois par superfétation (HA VII, 4, 584b).
85 GA II, 8, 748a 31-35.
86 HA VII, 4, 585a. Trad. Pierre Louis, CUF, 1968.
87 Plutarque Questions romaines, 103. L’on trouve une allusion à cette étymologie chez le juriste Gaius Institutes, I, 64 : « Nam et hi patrem habere non intelleguntur, cum is etiam incertus sit ; unde solent spurii filii appellari vel a Graeca voce quasi σποράδην concepti nel quasi sine patre filii ». Les mots grecs σπορά (f.) ou σπόρος (m.) « ensemencement », « semailles », « rejeton » d’où « postérité », comporte aussi l’idée de diffusion par le vent ou par le geste du semeur. L’adverbe σποράδην signifie « ça et là » et l’adjectif σποράς ou σποραδικός « dispersé » (voir l’archipel des Sporades). Le bâtard est né d’une semence qui a été répandue de manière excessive et l’on ne sait plus à qui elle appartient.
88 GA, IV, 4, 769b 31-34. Trad. Pierre Louis. « ἔΦησε γίνεσθαι τἁ τέρατα δια` τὸ δύο γονὰς πίπτειν, τήν μὲν πρότερον ὁρμήσασσαν τήν δ’ὓστερον, καὶ ταύτην ἐξελθοῦσαν ἐλθεῖν εἰς τήν ὑστέραν ὥστε συμΦύεσθαι καὶ ἐπαλλάττειν τα` μόρια ».
89 Les deux sœurs et leur mère, p. 301.
90 HN, VII, 9.
91 v.132 « ἃτερ øιλότητος ».
92 V. 211-232. Trad. Paul Mazon, v. 213 : « οὔ τινι κοιμηθεῖσα θεἁ τέκε ».
93 Clémence Ramnoux, La nuit et les enfants de la nuit dans la tradition grecque, coll. Champs-Flammarion, 1986, p. 64-65.
94 « qu’elle conçut et enfanta unie d’amour à Érèbe ». Trad. P. Mazon.
95 Paul Mazon, Notice, CUF, p. 27.
96 v. 188-206.
97 v. 204 : « ἐν ἀνθρώποισι καὶ ἀθανάτοισι θεοῖσι ».
98 Voir Jean-Pierre Vernant, L’individu, la mort, l’amour, Gallimard, 1989, p. 153-171. L’action de l’Éros de la nouvelle ère (sexualité) se présente 1 + 1 = 3 alors que le mythe d’Aristophane se pose comme 1/2 + 1/2 = 1.
99 Verbe μίγνυμι.
100 Le mélange des semences est nécessaire mais il en est de même de leur affrontement lors de la détermination du sexe car l’androgyne, fruit comme les autres êtres d’une mixís de semence, continue d’avoir les sexes en lui mélangés. Par exemple Isidore de Séville XI, 3, 11 : « Alia conmixtione generis, ut androguinoi et herma-froditai vocantur » (« certains mélangent les sexes comme ceux que l’on appelle androgynes et hermaphrodites »).
101 Description analogue dans une autre œuvre d’Hésiode, Les Travaux et les Jours, v. 59-82.
102 Trad. Paul Mazon qui juge le vers 590 interpolé.
103 Dans l’imaginaire grec, l’abeille est le symbole de la femme qui agit avec sagesse au foyer, et les femmes mariées qui prennent part aux Thesmophories sont appelées melissai. Voir par exemple Callimaque, Hymne à Apollon, 110-111, ainsi que la typologie animalière que dresse Sémonide d’Amorgos (vie s. av. J.-C.) dans son Poème sur les femmes.
104 Travaux, v. 378 ;
105 Théogonie, v. 609 : κακὸν ἐσθλᾧ ἀντιøερίζει ».
106 Platon, Le Banquet, 14-16, 189d-194a.
107 Trad. Émile Chambry, Garnier.
108 « Je ferai qu’enceinte, tu sois dans de grandes souffrances ; c’est péniblement que tu enfanteras des fils » ; « Le sol sera maudit à cause de toi ; c’est dans la peine que tu t’en nourriras tous les jours de la vie, [...]. À la sueur de ton visage tu mangeras du pain... » Genèse, 3, 16. Trad. TOB, 1989.
109 En particulier le Poème du Super-sage (Atra-hasîs) où après le déluge provoqué par Enlil, Enki/Ea introduit parmi les hommes une durée de vie maximale (cent ans), la mortalité infantile, la stérilité de certaines femmes, les maladies, la rage dentaire...
110 Hésiode, Théogonie, v. 924. Trad. Paul Mazon. Αὐπὸς δ’ ἐκ κεφαλῆς γλαυκώπιδα Τριτογένειαν.
111 Pindare, Olympiques, VII, 34 sq.; Apollodore I, 3, 6.
112 Voir les sources des différentes versions in Jean-Pierre Vernant et Marcel Detienne Les ruses de l’intelligence, coll. Champs-Flammarion, 1974, p. 172 ;
113 v 927-928 : ῞Ηρη δ’ ῞ΗΦαιστὸν κλυτὸν οὐ Φιλότητι μιγείσα / γείνατο καὶ ζαμένησε καὶ ἤρισε ᾦ παρακοίτη.
114 Scholie à Homère Iliade, XIV, 292 ; Eustathe, Sur l’Iliade, p. 987-988.
115 Héphaïstos s’occupe des métiers du métal (orfèvres, forgerons, ciseleurs, armuriers,...) alors que Athéna s’intéresse surtout aux métiers de la charpente et du tissage. Voir Françoise Frontisi-Ducroux Dédale. Mythologie de l’artisan en Grèce ancienne, Lac Découverte, 1975, p. 62-63 et Pierre Vidal-Naquet Le chasseur noir, La Découverte, 1983, p. 289-315.
116 GA, II, 3, 737a 29-30.
117 HN, X, 160.
118 HA, VI, 2, 560a 5-6.
119 Histoire des animaux, édition et traduction Pierre Louis, CUF, p. 66 n. 5. Pline (XN, X, 158) transcrit l’adjectif οὐρίν ou οὐρίνον par urinum.
120 HA, VI, 4, 562b 9-11.
121 GA, III, 2, 753a 31-34 : « ὑπερζεῖν τοιεῖ τήν ὑγρότητα τήν ἐν τοῖς ᾦοῖς ».
122 HA, VI, 2, 559b 7-8. Trad. Pierre Louis.
123 559b 8-9.
124 HA, VI, 18, 572a 16-30. Elle remonterait à Homère (Iliade, XX, 223) pour la tradition écrite. Voir Simon Byl Recherche sur les grands traités biologiques d’Aristote : sources écrites et préjugés, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1980, p. 287-288 ; également Virgile, Géorgiques, III, 272-275 ; Élien, Personnalité des animaux, IV, 6 ; Pline HN, VIII, 67 ; Augustin Cité de Dieu, XXI, 5. Au Moyen Âge, Albert le Grand commente cette théorie en s’appuyant notamment sur Avicenne : voir Danielle Jacquart et Claude Thomasset, « Albert le Grand et les problèmes de la sexualité » in History and Philosophy of the Life Sciences, Firenze, vol. III (1981), n° 1, p. 73-93 (dont p. 88).
125 Fastes, V, 183-184. Dans ce mythe grec à peine latinisé, l’enlèvement de Flore par Zéphyr est un thème en partie contaminé par l’histoire de l’enlèvement de Orithye par Borée.
126 Ouria peut également se rapporter à la notion de vent avec le mot οὐρός, « vent favorable ». Il est fort probable cependant qu’il faille le rapprocher de la racine des mots οὐρῆμα (urine), οὐρέω (uriner) mais qui peuvent aussi signifier « répandre le liquide séminal », c’est-à-dire « engendrer ». C’est d’ailleurs dans ce sens que Antoninus Libéralis (41) emploie le verbe οὐρεῖν. Il est à signaler que le nom du héros Orion est rapproché par certains auteurs de cette même racine : son vieux père Hyriée, veuf et sans enfant, se vit proposer par les dieux d’avoir un enfant de cette manière. Voir Ovide, Fastes V, 533-536 dont «.../ Hunc Hyrieus, quia sic genitus, vocat Uriona : / Perdidit antiquum littera prima sonum ».
127 HN X, 160.
128 Il existe aussi un mot latin de la même racine, molucrum, que Festus (sv. molucrum) définit ainsi : « C’est... de plus une enflure du ventre qui d’ordinaire se présente même chez les vierges. Afranius dit : “Le ventre d’une vierge se gonfle autant que celui d’une femme enceinte. On appelle cette enflure molucrum et elle passe sans douleur.” »
129 GA, IV, 7, 775b ; pseudo-Aristote HA, [Stérilité], 738b.
130 Les mots μύλη et mola désignent aussi la meule, pierre dure, ainsi que la dent qui broie, la molaire. L’image de la meule dure qui broie le grain pourrait aussi résonner avec la notion de stérilité : la matière brute écrase la graine de l’homme.
131 Maladies des femmes I, c. 71 = t. VIII, p. 148-150 éd. Littré ; Maladies des femmes II = t. VIII, p. 360 éd. Littré. Les traités Maladie des femmes I, Maladie des femmes II et Femmes stériles sont regroupés en un seul traité par Littré : t. VIII, p. 1-463.
132 Pline HN, X, 184. Voir aussi VII, 63 : la femme est la seule femelle qui connaît un flux menstruel et de ce fait c’est la seule qui peut concevoir des môles. Comme les embryons, les môles font cesser le flux menstruel.
133 Oribase, Collection médicale, XII, 6, 3. Trad. Ch. Daremberg = t. IV, p. 66, éd. Daremberg-Bussemaeker.
134 Sur ce domaine de recherche, citons Marc Augé et Claude Herzlich, Le sens du mal, Archives contemporaine, 1984 ; Marc Augé, « L’anthropologie de la maladie », in L’homme, n° 26 (1986), p. 81-90 ; François La plantine, L’anthropologie de la maladie, Payot, 1986 ou encore Sylvie FAINZANG, Pour une anthropologie de la maladie en France : un regard africaniste, Cahiers de l’Homme, EHESS, 1989.
135 Paul Veyne, « La famille et l’amour sous le Haut-Empire », Annales ESC, 1978, n° 1, p. 35-63 ; Aline Rouselle, Porneia. De la maîtrise du corps à la privation sensorielle, PUF 1983 ; Michel Foucault, L’usage des plaisirs, Gallimard, 1984 (Histoire de la sexualité, t. II) et Le souci de soi (t. III), Gallimard, 1984 : l’idéologie de l’époque romaine serait aussi en grande partie véhiculée au sein d’un nouveau genre littéraire, le roman ; Jacques Le Goff, L’imaginaire médiéval, Gallimard, 1985, p. 136-148.
136 Selon Paul Veyne (« La famille et l’amour sous le Haut-Empire »), c’est l’arrivée du principat qui aurait provoqué une tendance vers l’universalisation des principes.
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