Chapitre 2. Le discours moral et religieux des Anciens : sexualité, faute et monstruosité
p. 59-107
Texte intégral
1Nous l’avons vu, la recommandation morale ou déontologique n’est pas absente des principes médicaux et des considérations physiologiques, et ce surtout dans le domaine du comportement sexuel. Cependant, qui dit morale dit obéissance ou désobéissance à des lois d’ordre divin. C’est pourquoi, nous proposons d’analyser ces facteurs exogènes. Ces derniers ne constituent pas une catégorie homogène, bien au contraire puisqu’il faut notamment distinguer :
les situations où la pathologie observée demande une explication plus ou moins médicale et/ou plus ou moins morale : la pathologie précède le discours moral.
les situations où la pathologie est considérée comme la conséquence d’une désobéissance à une théorie morale et/ou médicale : le discours moral précède la pathologie.
2Dans le domaine de la reproduction, les occasions d’intervention des influences divines ou surnaturelles sont nombreuses. S’il y a surnature dans l’origine de naissances monstrueuses ou dans un accident biologique quelconque, ce peut être de multiples façons et il n’existe pas de cas de figure homogène qui correspondrait à l’explication dite « superstitieuse » ou « fabuleuse ». Pour la Grèce ancienne, nous nous proposons d’en établir et définir les nombreux aspects qu’ils soient cultuels, éthiques ou prophylactiques. De ces catégories, il ressort trois types principaux :
Le recours au divin est incontournable pour obtenir une fécondité faste : le culte, public et privé, permet des mariages heureux et de bonnes récoltes tant agricoles qu’humaines ; « moissons humaines » à prendre donc dans la version faste du sens1.
La punition divine frappe une collectivité : toutes les femmes mettent au monde des monstres. C’est une situation extrême qui ne correspond pas à un vécu effectif mais dont la signification se limite au prophylactique : les événements décrits représentent des risques envisagés comme possibles mais non expérimentables. Le registre est exclusivement mythique ou religieux, notamment dans le cadre de serments.
Quant au troisième type, il s’agit d’une situation bien réelle : une femme a mis au monde un monstre. Le registre est potentiellement historique mais le récit peut aussi appartenir à la légende. Il correspond à un aspect particulier de la prophylaxie propre au registre mythique : les divinités sont en colère contre un particulier ou une collectivité et le font savoir en faisant naître un monstre au sein d’une famille. Dans ce cas, la sanction ne s’intéresse pas aux problèmes techniques – c’est-à-dire pratiques et moraux – mais dépasse souvent le seul contexte familial pour concerner toute la collectivité. Le monstre est un message.
3Cette typologie des situations n’est cependant pas explicite dans les sociétés concernées, elle n’est donc pas indigène. En effet, ces registres ont tendance à s’alimenter et à se justifier les uns les autres, tout particulièrement le deuxième et le troisième. Il convenait toutefois de les distinguer car selon qu’ils sont théoriques ou expérimentaux, ils ne répondent pas aux mêmes enjeux.
Culte et fécondité
4Dans le premier de ces registres, la monstruosité n’intervient qu’à l’occasion, aussi nous nous contenterons d’en exposer seulement quelques-uns des aspects. Toutes les enquêtes d’ethnographie l’ont souligné : la grossesse, où pendant plusieurs mois, l’enfant est en cours de gestation, est une période dangereuse. La mère, pour reprendre la terminologie de Van Gennep, est alors en perpétuel passage et donc en situation de marge. C’est une période forcément critique au cours de laquelle les interdits et les obligations propres abondent2. Dans toutes les anciennes sociétés et dans les sociétés non occidentales contemporaines, les taux de mortalité puerpérale – aussi bien celle des nouveau-nés des mères – sont élevés3. Moments redoutés dans la vie de toute femme, la grossesse et surtout l’accouchement sont à ce point marqués d’incertitudes que la dimension surnaturelle et divine y est très importante. Face à cette situation physiologique où l’arbitraire d’un bon vouloir supérieur semble prédominer, l’idéologie médicale masculine des savants s’éclipse devant les impératifs psychologiques des intéressées.
Technique et divinités
5Pour revenir à la Grèce ancienne, rappelons que les auteurs hippocratiques ainsi qu’un certain nombre de philosophes défendent une position de type matérialiste où seule compte la maîtrise technique des événements pour obtenir le résultat escompté. Selon l’auteur des Maladies des jeunes filles (ve siècle av. J.-C.), il ne sert à rien d’accomplir des offrandes à Artémis4 et dans la société romaine du ier siècle av. J.-C., Lucrèce plaint « les malheureux [qui] arrosent de sang les autels et les couronnent de la fumée de leurs sacrifices pour obtenir des dieux l’abondance virile qui féconde les épouses5 ».
6Cette tendance n’est toutefois pas générale : les croyances, les « superstitions » ou les pratiques liées à une certaine sorcellerie demeurent nettement ancrées, et la position des auteurs cités ci-dessus paraît bien minoritaire, lors même que ce sont surtout leurs textes qui nous sont parvenus. D’ailleurs, au sein même de cette élite intellectuelle, les choses ne sont pas aussi nettement tranchées. La technique est nécessaire certes mais il est tout aussi utile de demander la protection divine. Ainsi, Xénophon, à propos de l’agriculture, souligne bien la nécessité de la technique et du travail, mais les accidents comme la grêle, la pluie, la sécheresse, les gelées ou la nielle étant nombreux, il convient, comme à la guerre et à l’instar des sages, d’honorer les dieux pour que ces derniers protègent les fruits et les troupeaux6. Malgré une dévalorisation progressive de la dimension magique de l’artisan-démiurge, des divinités comme Héphaïstos ou Athéna restent présentes dans l’imaginaire de l’artisan hellénique7. Nous avons vu au chapitre précédent l’exemple des potiers qui font appel à cette dernière pour prévenir les attaques des démons briseurs de leurs vases8. Bien entendu, cette croyance ne se limite pas à la civilisation grecque mais constitue un topos épistémologique très répandu, pour ne pas dire universel9.
7En ce qui concerne la procréation, la « laïcisation » dont font preuve les ouvrages de médecine ne s’est pas imposée auprès de tous. De ce point de vue aussi, la reproduction s’apparente moins à l’art de l’artisan qu’à l’agriculture où la dimension théologique est encore bien présente. Cette idée est explicite chez Platon, lorsqu’il affirme que le commencement est un dieu et que pour cette raison, il ne faut pas faire n’importe quoi lors de l’acte de procréation10. Concevoir un enfant reste une action religieuse. Cette opinion se trouve partagée par de nombreux philosophes, et ce malgré leur refus partiel de voir la marque d’une quelconque action divine dans les accidents et la pathologie.
8Dans le domaine public, les rapports entre hommes et dieux sont identiques, notamment en ce qui concerne le personnage du roi archaïque et mythique. Ce dernier ne doit sa place qu’à la seule volonté des dieux et, de ce fait, il se situe dans une position d’intermédiaire qui le rend garant de la fertilité des sols, des troupeaux et des femmes. Ses compétences ne se limitent pas seulement à la maîtrise politique et économique de la société mais s’étendent aussi aux phénomènes naturels, atmosphériques et saisonniers. Ainsi, en cas de manquements rituels et moraux, tous ces dons accordés par les autorités divines disparaissent et toute la contrée plonge dans le chaos. Lorsque la fécondité cesse ou se dévoie et que surviennent les mauvaises récoltes, la stérilité, les avortements ou les naissances monstrueuses, ces sanctions ne s’adressent pas au mauvais technicien de l’agronomía ou de la teknopoía, mais visent celui ou ceux qui auraient manqué à certains de leurs devoirs rituels. C’est pourquoi, « apud veteres neque uxor duci neque ager arari sine sacrificiis peractis », nous dit Servius à propos de Rome11.
Les divinités de la procréation et leurs actions
9En Grèce, trois grandes divinités féminines sont particulièrement sollicitées dans le domaine de la reproduction, depuis la conception jusqu’à la naissance : Héra, Aphrodite et Artémis. Cependant, les nombreuses assimilations et les variables géographiques et culturelles tendent à gommer leurs différences, notamment sur le plan cultuel : selon la cité, on invoque aussi bien Héra qu’Aphrodite pour le mariage et la fécondité12 ou on accorde sa préférence à telle ou telle. Quant à l’Artémis d’Éphèse elle s’éloigne assez de son homonyme de Délos, décrite notamment par Callimaque dans l’Hymne à Artémis – dont le caractère de déesse des marges a été souligné par les érudits13. Elle est celle qui protège les divers passages et à qui l’on s’adresse pour ne plus en être souillé14. Elle préside aux carrefours, lieux de passage, aux décès, passages entre la vie et la mort, ou encore aux naissances, passages de la vie intra-utérine à la vie indépendante, ainsi qu’à bien d’autres passages : sociaux, comme l’initiation, l’éducation ou le mariage ; éthiques, comme les excès dans la guerre, la chasse ou l’amour, à caractère technique, comme le don des prémices agricoles15, ou physiologiques, notamment chez la femme avec les menstrues, l’accouchement ou la ménopause. Cette dimension apparaît de manière tout aussi claire dans la nature des dons que lui accordent les jeunes filles ou les femmes enceintes : principalement certaines parties de leur corps, cheveux et ongles, qui sont marginales, mortes ou du moins placées entre le vivant et le non-vivant du fait de leur insensibilité16.
10Pour les autres déesses, les choses sont moins marquées : Aphrodite17 contribue à bien des égards au rapprochement, aussi bien social par le mariage ou moral avec l’amour et la promesse des fiancés, que physiologique et sexuel. Elle préside aux aphrodisía indispensables à l’union des corps et au mélange des semences. Quant à Héra, son action s’inscrit dans la continuité des processus et la poursuite des engagements comme la durée du mariage, la fidélité, la gestation de l’enfant, les soins du nouveau-né et son développement.
Aphrodite | Union | →← |
Artémis | Passage | —/.../→ |
Héra | Continuité | ——————→ |
11Au-delà de ces principes généraux, chacune de ces divinités exerce concrètement son action sur les femmes. Comme son frère Apollon, l’Artémis délienne est armée de l’arc et comme son frère elle est la cause des morts subites par arrêt cardiaque mais les femmes en couches constituent sa cible de prédilection18. L’autre déesse grecque de l’enfantement est Ilithye et plusieurs divinités semblent se mélanger dans sa représentation : sa référence lunaire (Artémis) est évidente au vu du lien étroit entre les cycles féminins et ceux de l’astre ; la divinité nocturne Hécate est dite poluphásmatos19, « aux nombreuses formes » – cruelle (άπηνής), porteuse de flèches d’or (χρυσοθέλεμνος) comme Artémis, elle est en même temps Ilithye20. Une prière à Hécate, rapportée par l’auteur de la Préparation évangélique21, souligne ces diverses assimilations. Elle est ainsi la déesse de la bonne délivrance tout en incarnant aussi le versant néfaste de la complication obstétricale qui peut provoquer la mort de la parturiente, de l’enfant ou des deux. En plus de ces déesses, il existe également des démons provoquant des malformations ou plus souvent des pathologies particulières à ces moments : mort du nourrisson par fièvre puerpérale, hémorragie, etc. Ces démons mâles ou femelles interviennent directement sur la matière puisque l’ensemble des phénomènes du monde sont accomplis par l’intermédiaire de ces divinités secondaires22. Pour s’en défendre, la protection des divinités qui les combattent ou leur ordonnent simplement de cesser leurs assauts23.
12Pour revenir aux trois grandes déesses, leurs correspondantes romaines, Vénus, Diane et Junon, occupent des fonctions proches, et leur assimilation progressive a dû largement y contribuer. Toutefois, la religion romaine a particulièrement développé la division en étapes du long processus biologique de l’agriculture et de la reproduction, surtout à l’occasion de rituels de prières nommés « indigitations » (indigitamenta)24 : chacune des étapes est placée sous l’auspice d’une divinité particulière dont on implore la protection et la bienveillance. Ces entités représentent en fait les actions successives d’une divinité plus importante, en l’occurrence Junon pour la procréation. Par ailleurs, d’autres divinités secondaires peuvent intervenir à certains moments de la gestation :
Janus, Saturne25 : préparation à l’éjaculation, ils « ouvrent les portes » de la semence ;
Liber et Libera26 : éjaculation ;
Fluvonia, Mena27 : débit du sang menstruel qui constitue la matière du corps de l’enfant ;
Alemona28 : alimentation du fœtus ;
Ossipagina29 : constitution et solidification de la charpente osseuse ;
Vitumnus : animation et donc à partir des mouvements in utero ;
Carmenta Postvorta et Carmenta Antevorta30 : retournement de l’enfant pour une bonne ou une mauvaise présentation
Opigena, Partula, Lucina31 : accouchement ;
Sentinus : don des sens.
13Ces indigitations démontrent un fait important : le raisonnement religieux, ou la « pensée primitive » pour reprendre la terminologie de Lévy-Bruhl, n’est pas forcément de nature automatique, loin s’en faut. Les actions magiques peuvent également être décomposées en moments qui n’excluent pas toute représentation des événements internes au corps32. La frontière avec la pensée médicale n’est pas étanche car la pensée qui accepte l’intervention divine, comme la pensée dite « primitive » de Lévy-Bruhl, admet aussi, et non exclusivement, l’automatisme dans l’ordre des phénomènes possibles. De plus, ces descriptions ne sont pas uniquement métaphoriques mais aussi littérales.
14Ainsi, un certain nombre de croyances se réfèrent à la notion de nœud et de ligature dont voici quelques exemples : lorsque les jeunes filles romaines se rendaient au temple de Lucine, elles devaient le faire sans nouer leurs cheveux33, ni leurs vêtements, ni leurs doigts. En Grèce, elles offraient à Artémis des objets personnels dont leur ceinture34, mais dans l’île de Sphaïra, en face de Trézène, c’est à Athéna Apatouria qu’elles les donnaient35. Il est vrai que la ceinture bénéficie d’une symbolique importante dans la vie de la femme athénienne : absente de son costume d’enfant, elle apparaît à l’âge pubère pour être par la suite offerte à Artémis à l’occasion du mariage. Au cours de cette cérémonie, elle est remplacée par le « nœud d’Héraclès », Hèrákleios désmos ou Hèrákleion hámma36, lié par le mari. Pauline Schmitt replace cette symbolique dans l’idéologie de la division et des rapports des sexes que résume la formule « le mariage est à la femme ce que la guerre est à l’homme ». Sans que ce rapport symbolique convaincant soit remis en question, l’on peut supposer qu’il s’est construit sur une notion plus générale et moins socialement connotée. « Desserrer la ceinture » est une périphrase courante pour exprimer l’acte sexuel et tout particulièrement celui de la nuit de noces37. L’on dit à ce propos que les héroïnes « dénouent leur virginité ». Mais la notion de ligature ne s’arrête pas là. Afin d’empêcher une naissance ou du moins une délivrance facile, il est recommandé aux témoins mal intentionnés de croiser leurs doigts ou leurs jambes38. Analogiquement, le sexe de la femme est comme un sac qui s’ouvre et se ferme, qui aspire la semence de manière à concevoir et expulse ce qu’il a en lui, le sang ou le fœtus, accomplit des mouvements d’ouverture et de fermeture. Les médecins en ont une conception très comparable. Dès que son « sac » est susceptible de fonctionner, c’est-à-dire à la puberté, la femme est affublée d’une ceinture. La ceinture nubile le ferme provisoirement jusqu’au jour du mariage où la femme le dénouera ou se le fera dénouer par son mari dans un souci non exclusivement érotique. Les divinités romaines qui surveillent ces événements portent des noms évocateurs : Iuno Cinxia (cinctus, ceinture) ou Solvizona, « dénoueuse ». De plus, un rite pour un bon accouchement recommande à l’homme de dénouer sa ceinture, de la mettre à sa femme puis de la lui enlever en disant : « Celui-là même qui l’a liée la déliera39. » Pour la femme enceinte, « être déliée40» signifie être délivrée, autrement dit desserrer le sac pour que l’enfant puisse enfin sortir. Toute cette symbolique se retrouve par exemple chez les Saxons41 et dans l’Inde védique42 où tous les nœuds de la parturiente doivent être défaits. En Provence, on ceignait le ventre de la future mère d’un cordon qui avait été au préalable mesuré sur une statue de Madeleine ou de la Vierge ; en Italie du Sud, on défait les coutures du matelas pour faciliter la naissance de l’enfant. Que les stratégies diffèrent selon les contextes culturels, la chose est indéniable, mais il n’en demeure pas moins que le fonds symbolique demeure très semblable et qu’il s’appuie sur une vision figurative et littérale de l’action des forces surnaturelles éventuellement tératogènes.
15Tous ces usages sont d’abord préventifs puisqu’ils se fondent sur la réalité des pathologies nombreuses, souvent douloureuses, et quelquefois mortelles : le mal précède le discours moral. Ce souci des rites est tout aussi préventif que le discours technique médical. Il partage même avec celui-ci le fait de mêler actions matérielles et préoccupations morales qui, loin de se contredire, se complètent parfaitement. Il serait donc illusoire de les opposer ou de montrer l’un des deux comme l’aboutissement ou le dépassement de l’autre.
16Enfin, qu’elles soient connues par l’archéologie, notamment les ex-voto anatomiques43, par les sources écrites concernant les cultes (même si pour l’Antiquité, elles sont rarement explicites), ou encore, pour d’autres aires, par la littérature ethnographique, il existe de nombreux cas de croyances pour lesquelles la monstruosité ou la non-conformité de la descendance n’intéressent que le simple particulier. Ces croyances sont répandues dans la population et correspondent à une attente bien précise : « réussir » sa descendance et éviter les multiples pathologies.
Punition divine et collectivité
17Toutefois, les théories que nous allons aborder maintenant répondent assez peu aux préoccupations générales d’une population soumise à des pathologies et à une morbidité fréquentes. Inverse et symétrique du précédent, nous qualifierons ce registre de mythique et de littéraire. On peut le résumer par la formule « toutes les femmes mettent au monde des monstres » : le discours moral précède ici la pathologie. En fait, ce processus n’est qu’imaginaire puisqu’il ne correspond pas à une réalité concrète : sa nature est donc essentiellement celle d’une prophylaxie morale qui cependant, entretient souvent des relations de complémentarité avec le registre précédent. Les raisonnements a priori et a posteriori relèvent d’une même conception : un intime lien entre discours moral et réalité matérielle.
Le principe
18Prenons d’abord le cas d’une collectivité punie par la stérilité des femmes, idée qui n’est pas propre à la culture hellénique. Pour l’aire européenne antique, elle se retrouve dans l’histoire mythique des Latins. Malgré l’enlèvement des Sabines, les Romains ne parviennent pas à obtenir de descendance car leurs femmes sont frappées de stérilité. Dans le meilleur des cas, elles ne parviennent pas à mener leur grossesse à terme et c’est une épidémie d’avortements qui survient. Une voix se fait alors entendre dans le bois sacré de l’Esquilin : « Que le bouc sacré pénètre les matrones italiennes. » Un oracle étrusque interprète ce prodige : le bouc désigne Iunnus44, incarnation du dieu Faunus. Le devin fait tuer et écorcher un bouc, tailler des lanières (februa) de sa peau pour que l’on en fouette les femmes : la fête des Lupercales était née. De même, la flagellation du sol se pratique lors des Feriae sementinae, forme de lustration intimement reliée au thème de la fécondité dans la culture latine45. Dans ce mythe des Sabines, il est clair que la sanction frappe la violence du rapt. En demeurant stériles, les Sabines incarnent la punition des Romains mais elles ne mettent pas au monde de monstres. L’historiographie romaine a limité cette sanction à l’absence, la stérilité, au lieu de développer le thème de la déviance et de la monstruosité.
19En revanche, dans la culture grecque ce genre de punition collective suit un cours très souvent différent : d’une part, la fécondité est affectée dans tous les domaines de la vie (femmes, terres et troupeaux), d’autre part, à la stérilité, se substitue la monstruosité46.
20La forme originelle du thème pourrait être celle que présente Eschine. Il nous apprend qu’après la guerre contre Cirrha, provoquée par l’accusation portée à l’encontre de ses habitants de profaner la terre de Delphes, cause des Guerres sacrées, sa population fut réduite en esclavage sous les coups d’une coalition dont les membres, les Amphictyons, jurèrent de ne jamais cultiver la terre sacrée delphienne et que serait puni tout coupable quel qu’il fût47: « Et l’on demande à ces dieux que la terre coupable ne porte pas de fruits, que les femmes ne mettent pas au monde des enfants semblables à leur père, mais des monstres, que leur bétail n’ait pas sa progéniture naturelle [...]48. »
21Cette malédiction qui lie les acteurs du serment se présente comme une ancienne formule que le contexte stéréotypé des imprécations religieuses aurait permis de conserver. Dans le cas d’un appel au serment ou d’un engagement moins solennel, Hérodote attribue au roi des Perses des propos très semblables. Blessé et sentant la mort venir, Cambyse demande à ses proches de ne pas laisser choir le pouvoir aux mains des Mèdes et en particulier des mages – l’histoire donna d’ailleurs tort au roi. « Si vous le faites, puisse la terre porter pour vous des fruits, vos femmes et vos troupeaux être féconds, [...] ; mais si au contraire vous ne récupérez pas le pouvoir, ou que vous ne l’essayez pas, je fais vœu pour que le sort inverse vous échoie49. »
22Ici la punition se limite au strict inverse de la fécondité, c’est-à-dire la stérilité, mais le sens du discours demeure identique. Cette malédiction n’est pas une simple formule religieuse qui n’aurait que peu d’importance hors du contexte des serments. Au contraire, elle reprend le type même de la malédiction, celle qui frappe le particulier, la cité ou la nation coupables de parjure ou de n’importe quel autre sacrilège, qu’il ait été individuel ou collectif.
23Ainsi, le loimós décrit par Sophocle dans son Œdipe roi, souvent à tort qualifié de peste, serait, selon Marie Delcourt50, une épidémie bien particulière. Les femmes de Thèbes mettraient exclusivement au monde des enfants monstrueux que les parents seraient tenus ou choisiraient d’exposer. La chose relève du possible mais il est délicat de l’affirmer avec certitude.
Variations littéraires
24Si les textes s’en tiennent souvent à décrire la situation néfaste, d’autres se limitent à la situation heureuse. Optimistes ou pessimistes, certains débordent le cadre traditionnel de la fécondité, qu’elle soit terrestre, animale ou humaine. D’ailleurs, la volonté des auteurs joue un rôle non négligeable, privilégiant un domaine aux dépens des autres en fonction du contexte. Ils peuvent aussi ajouter des éléments que la tradition religieuse, rapportée avec fidélité par Eschine, ignorait. Par exemple, Hésiode au viiie siècle av. J.-C., brosse le portrait de deux cités imaginaires, l’une juste et l’autre vivant dans la démesure. Le poète veut insister sur le pouvoir de Zeus qui punit ou récompense les mortels selon leurs actes et leur moralité. Il commence par la cité juste :
Sur leur pays s’épand la paix nourricière des jeunes hommes, et Zeus au vaste regard ne leur réserve pas la guerre douloureuse. Jamais ces droits justiciers ne sont suivis de la famine ni des désastres : ils jouissent dans les festins du fruit des champs auxquels ils ont donné leurs soins. La terre leur offre une vie abondante ; sur leurs montagnes, le chêne porte, à son sommet, des glands, en son milieu des abeilles ; leurs brebis laineuses sont alourdies par leur toison ; leurs femmes leur enfantent des fils semblables à leurs pères ; [...] ; et ils ne partent point en mer, le sol fertile leur offrant ses moissons51.
25Au contraire, dans la cité de l’húbris, « les hommes se meurent, les femmes cessent d’enfanter, les maisons dépérissent52. ».
26Dans les vœux formulés par le chœur des Suppliantes d’Eschyle, les descriptions des maux menaçant la cité d’Argos alternent avec les souhaits bénéfiques53 ». La fécondité chaque fois en positifs : que les terres et les troupeaux soient fertiles et que les femmes accouchent sans difficulté grâce à l’aide d’Artémis. De leur côté, les malheurs sont exprimés par des fléaux comme la guerre et la maladie.
27À la fin de l’Odyssée, Homère insiste sur l’aspect faste de l’influence des dieux et ne se prive pas – dans cette description d’un royaume dirigé par un homme juste – de quitter les trois domaines traditionnels de la fécondité. Ulysse s’adresse à Pénélope et la compare à un roi qui « craignant les dieux, gouvernant sur des peuples nombreux et forts, tient ferme les sentences justes, et la terre noire porte froment et orge ; les arbres plient sous les fruits, les brebis mettent bas régulièrement ; la mer donne du poisson ; tout cela vient de règne54 ». La présence de la mer poissonneuse est une nouveauté et même un hapax : on ne peut cependant le considérer comme fantaisiste car le versant faste de l’élément marin se rapporte bien au thème de la profusion, s’opposant ainsi à la vision hésiodique de la mer qui, plus qu’une source de richesses, constitue plutôt une source de dangers pour celui qui devra l’affronter.
28Le chœur des Euménides exprime des vœux à l’égard de la cité d’Athènes, notamment que son terroir soit fécond55. Ici aussi, les différents points traités se démarquent du schéma traditionnel, Eschyle y apportant des éléments nouveaux. La fécondité des femmes y est abordée d’assez loin, dans le cadre du mariage heureux, sous-entendu en amour mais également, bien sûr, en descendance. Quant au terroir, il offre aux hommes tout ce que le sol peut produire :
Qu’un vent funèbre n’endommage jamais les arbres ! Voilà quel sera mon bienfait ; que le feu qui arrête l’éclosion des bourgeons ne passe point les frontières du pays [øλογμοὺς τ’ὀμματοστερεĩς øυτѽν τὸ μὴ περα˜ν ὅρον τόπων]56 et que les tristes maladies qui ravagent les moissons n’en approchent jamais ; que la terre nourrisse des brebis fécondes qui mettent bas deux agneaux au temps fixé ! et que le produit tiré d’un sol riche fasse toujours honneur à l’heureux présent des dieux57 !
29Dans ce texte, l’auteur insiste sur les risques climatiques, guerriers ou pathologiques qui menacent les cultures et surtout, il ajoute un élément au premier abord assez éloigné du thème de la fécondité. Les commentateurs de ce passage reconnaissent souvent dans les derniers vers (946-948 : « γόνος <δ’ἀεί> πλουτόχθων έρμαίαν δαιμόνων δόσιν τίοι ») une allusion aux mines du Laurion découvertes en Attique au ve siècle58. Cette interprétation ne nous semble pas évidente car nous pourrions traduire ce passage ainsi : « que toujours le produit d’un sol riche soit considéré comme un présent bienveillant des dieux59 ». Les Euménides souhaitent que les Athéniens n’aient jamais l’occasion de constater la colère divine dont la stérilité serait la manifestation. Cependant, l’allusion aux mines de métaux n’est pas impossible. Les richesses minérales du sous-sol, les pierres et les métaux précieux sont aussi des « dons bienveillants des dieux », notamment de Ploutos, dieu de la richesse assimilé à l’Hadès infernal. Ces richesses sont le fruit d’une gestation accomplie dans le ventre d’une divinité, la Terre, et tout comme en agriculture, les mines ont besoin d’être mises en jachère pour produire à nouveau60. De ce fait, ne plus y trouver de métaux serait dû à une action néfaste des dieux en colère.
30Ces descriptions prophylactiques des malheurs soutiennent l’image d’un Zeus juste et exerçant une justice immanente : le mal ne paye pas, affirme ces discours. C’est pourquoi, lorsqu’un cynique – ou plutôt un réaliste pour ne pas commettre de contresens philosophique – comme Adimante, interlocuteur de Socrate dans la République de Platon, critique l’hypocrisie, voire l’immoralité de cette croyance, c’est aux textes d’Homère et d’Hésiode qu’il se réfère61.
31Bien entendu, cette trilogie « terres, troupeaux, femmes » n’est pas aussi systématique. On peut ne trouver qu’un seul des trois éléments. Des fléaux touchant la terre ou les troupeaux pris séparément se rencontrent fréquemment dans la réalité comme la sécheresse, la nielle ou une quelconque épizootie. En revanche, la généralisation des naissances tératologiques aux milieux humain ou animal est un phénomène totalement hors du commun, et donc plus marquant. On en a un dans certains récits de l’histoire des Locriens. En vertu des termes d’un accord, ces derniers devaient envoyer régulièrement des servantes à Ilion au temple d’Athéna mais « les jeunes filles envoyées à Troie y ont vieilli jusqu’à la mort, celles qui devaient leur succéder n’arrivant pas. Les femmes se mirent alors à enfanter des infirmes et des monstres62 ». D’autres versions de cette histoire font d’ailleurs mention d’une stérilité du sol. Les Locriens vont alors à Delphes interroger Apollon qui finit par leur répondre : il faut remplacer les deux servantes décédées. La sanction vise ici le non-respect d’un contrat.
Transgressions et punitions
32Après avoir cerné le thème dans un contexte littéraire large, nous voudrions pousuivre notre exploration en abordant la symbolique des punitions.
33Les trois niveaux de ce loimós, femmes, troupeaux, terres, sont complémentaires et correspondent – pour reprendre la terminologie dumézilienne – à la troisième fonction de l’idéologie indo-européenne : celle de la fécondité, de l’échange et du commerce. À priori, il pourrait donc sembler étonnant qu’elles soient intimement liées au personnage royal63. En réalité, le personnage royal n’est pas envisagé dans le cadre de la deuxième classe de la société, celle des guerriers, mais il se rapporte bien à la troisième fonction, celle de la prospérité que le monarque est censé réguler. Pour cela il doit manifester trois qualités : le courage, l’absence de jalousie et la générosité, c’est-à-dire éviter l’avarice64. Dans le monde celtique65, les délits et les calamités correspondant aux qualités requises pour chaque fonction se manifestent ainsi : pour la première, c’est un druide ignorant ou menteur ; pour la deuxième, c’est un guerrier lâche ou traître ; pour la troisième, c’est un roi avare, injuste ou mesquin. Un texte celtique tardif fournit un exemple clair de cette trilogie à l’œuvre dans la culture grecque (terres, troupeaux, femmes), mais aussi dans d’autres ères culturelles66 :
Le deuxième fléau c’était un grand cri qui se faisait entendre chaque nuit de premier mai au-dessus de chaque foyer dans l’île de Bretagne ; il traversait le cœur des humains et leur causait une telle frayeur que les hommes en perdaient leurs couleurs et leurs forces ; les femmes, les enfants dans leur sein ; les jeunes gens et les jeunes filles, leur raison. Animaux, arbres, terre, eaux, tout restait stérile67.
34Dans l’esprit de la méthode dumézilienne – et de l’« idéologie » indo-européenne – nous pouvons proposer une sous-division dans ces calamités :
les hommes qui perdent leur courage : deuxième fonction ;
les jeunes gens qui perdent la raison : première fonction ;
la stérilité sur toute la terre dont les femmes qui avortent : troisième fonction.
35En examinant attentivement les délits que sanctionnent ces naissances monstrueuses ou ces stérilités, nous pouvons en cerner la logique. Il existe quatre types de fautes :
Les serments non respectés : celui de Cambyse (Hérodote, III, 65) qui menace aussi bien la terre de stérilité que les troupeaux et les femmes de descendance monstrueuse ; le serment de Delphes (Eschine, Ctésiphon, 110) qui recouvre aussi ces trois domaines – ainsi que le faux serment de Platée par lui influencé ; le manquement des Locriens (Élien, Histoires véritables, frag. 47) avec seulement l’enfantement de monstres.
Les meurtres : celui de Laïos selon l’oracle de Delphes (Sophocle, Œdipe roi) avec une possible allusion aux monstres ; celui des enfants des Athéniennes par les Pélasges de Lemnos (Hérodote, Histoires, VI, 139) où se retrouvent les trois domaines mais avec la stérilité ; celui d’Androgée (Plutarque Thésée, 22, 6-7) où il est question des terres, des bêtes et des fleuves.
La démesure d’un monarque et l’hubris au sens large : la démesure des rois (Hésiode, TJ, v. 228-245), où les trois domaines sont traités (terre, troupeaux et femmes) ; Agamemnon brutalise le prêtre Chrysès (Homère, premier livre de l’Iliade), avec loimós épidémique et épizootique.
Le vol et le rapt (exemple latin) : l’enlèvement des Sabines (Ovide, Fastes, II, 25 sq.) avec stérilité ou avortements des Sabines.
36Parmi ces délits présentés dans les textes anciens, on ne trouve aucune mention directe de crimes ayant trait à la procréation, autrement dit les écarts accomplis ne concernent pas des pratiques sexuelles proscrites et réputées fort graves. Nous nous sommes ainsi éloignés de la moralisation technique entourant l’euteknía mais que dire alors de l’inceste d’Œdipe ? À ce propos, il est toujours possible d’envisager cette question de l’inceste souvent invoquée par les commentateurs tardifs. Un acte aussi impie, négation des obligations d’échanges exogamiques et de surcroît exercé par un monarque, pourrait constituer une raison suffisante pour voir la terre devenir stérile et les femmes enfanter des monstres.
37Frazer en donne de nombreux exemples68. Les Battas de Sumatra (en 1886) attribuent à l’inceste la plupart des calamités qui frappent le peuple : épidémies et destruction de récolte... Cette croyance se retrouve encore à Bornéo, chez les Macassar et les Bugins au nord des Célèbes : les calamités se manifestent par l’assèchement des rivières, la rareté du poisson, les mauvaises récoltes et les maladies. Au contraire, chez les Galelareeses de Halmahéra, on pense qu’un inceste, frère-sœur ou père-fille, est en train de s’accomplir lorsqu’il pleut à torrents, et autrefois (1895), précise Frazer, les fautifs étaient noyés ou précipités dans le volcan. Les Toradjas des Célèbes détournent à leur profit ces conséquences de l’inceste et des débordements sexuels en les faisant commettre par les animaux : les dieux se vengent en faisant pleuvoir. Dans l’archipel des Banggai à l’est des Célèbes, ce sont les esprits qui provoquent les tremblements de terre pour protester contre les amours coupables. Cette croyance n’est pas le seul fait des sociétés océaniennes. Dans de nombreuses sociétés d’Afrique, les crimes sexuels de tout genre comme l’inceste mais aussi l’adultère ou les grossesses illégitimes sont censés provoquer des sécheresses. Frazer fait encore allusion à la croyance celte ainsi qu’aux malheurs (incendie) survenus à la ville de Munster au xiiie siècle qui furent attribués à un couple incestueux. Nous voyons bien ici que la correspondance – c’est-à-dire une sorte de porosité – entre les niveaux social, biologique et cosmique ne constitue pas une originalité grecque ou indo-européenne. Il s’agit plutôt d’un invariant culturel qui établit des rapports entre débordements et déséquilibres de toute nature. Ces excès se correspondent dans un univers où tout est relié, comparable au « grand vivant » comme peuvent le décrire le Quintus de Cicéron (De la divination) ou Pline dans le second livre de son Histoire naturelle.
38D’autre part, à partir des sociétés africaines et en particulier des Samo, Françoise Héritier a proposé un mode de lecture nommé « mécanique des fluides » qui permet d’envisager une correspondance entre les différents registres ou domaines que sont le corps et sa physiologie, la société et le cosmos69. Fondée sur des couples d’opposés universels comme le chaud et le froid, le sec et l’humide, etc., cette notion repose sur la crainte du rapprochement d’éléments identiques. Chez les Samo, l’inceste se manifeste par un cumul d’identiques, chaud sur chaud, qui provoque l’assèchement du corps mais aussi du cosmos comme l’assèchement d’une rivière, l’absence de pluie ou une trop forte chaleur. Il en est de même des rapports pendant les règles : la chaleur du sang menstruel se conjugue à celle du sperme. D’autres situations se lisent en des termes semblables : ainsi, on considère que la femme enceinte est chaude car elle accumule dans son ventre le sang menstruel particulièrement chaud ; au contraire, l’accouchée, qui a perdu toute cette chaleur, cherche à compenser cette perte à n’importe quelle source : four, feu ou femme enceinte. Cette interprétation permet de lire un grand nombre d’interdits découlant de ces réalités physiologiques : nous aurons largement l’occasion d’y avoir recours car elle donne des résultats satisfaisants pour la culture occidentale. Mais, pour revenir à la légende d’Œdipe, l’inceste n’y joue qu’un rôle très secondaire : c’est le parricide qui est un crime bien plus déterminant.
Sens des délits
39Les délits dont nous avons eu l’occasion de parler dans les cultures grecque et romaine se limitent à quatre groupes. Aux serments non respectés, à la violence (meurtre) et au vol, s’ajoute la démesure d’un monarque, notion très générale, pouvant recouvrir les trois premières. Ces délits s’avèrent tout particulièrement dangereux pour la cohésion sociale, la paix et la prospérité, ausssi n’est-il pas surprenant que la vindicte divine les punisse aussi lourdement. En effet, le vol de troupeaux et le rapt de femmes caractérisent un état qui précède tout ordre social, c’est-à-dire antérieur à l’établissement des lois. Une fois installé, cet ordre social impose un tout autre type d’accroissement. De ce fait, la razzia doit laisser sa place à la moisson et à la reproduction (troupeaux), quant à l’échange exogamique dont les femmes sont l’objet, il doit se substituer au rapt ou à l’inceste endogamique70. Il en est de même du meurtre et, notamment, celui du père ou du roi, c’est-à-dire celui qui détient l’autorité. Au sein de l’ordre social, la succession doit s’accomplir sans violence et en vertu de règles précises alors que la prise de pouvoir par meurtre est le fait de l’usurpateur ou du tyran71. Enfin, le respect des serments comme celui des règles sociales s’avère de la même manière, une garantie incontournable de l’ordre et du bien-être cosmique. Les contrevenants sont punis au travers de leurs revenus agricoles et de leur descendance. Sans enfants et donc sans femmes à échanger, sans troupeaux renouvelés ni moissons récoltées, les coupables – qu’ils fussent des particuliers comme le roi ou des collectivités comme une population impie – sont ainsi frappés d’immobilité : tout échange leur devient impossible. Dans ce contexte, la monstruosité et la stérilité possèdent des significations très proches. Mais l’élément prépondérant de ce discours n’est pas la naissance tératologique qui est conçue comme une vague notion punitive et de ce fait théorique. L’important réside en fait dans le contenu moral, en l’occurrence l’obéissance aux lois sociales fondamentales. Le rapport de causalité se pose alors de cette manière : la morale induit la pathologie.
40Quant aux modalités d’action, l’intermédiaire d’une ou de plusieurs divinités dans les sanctions, n’est pas systématiquement explicité. Ainsi, l’on peut poser deux cas de figure possibles bien qu’il ne soit pas toujours évident de les distinguer :
le type psychologique : délit → colère divine → sanction ;
le type mécanique : délit et démesure humaine → démesure de la nature [correspondance des domaines].
41J. G. Frazer proposait de voir dans le premier cas qui fait appel à des entités supérieures, dieux ou démons..., un stade plus accompli et historiquement plus récent que le second, comme s’il était le produit d’une évolution positive. Rien n’est moins évident et il est bien clair que cette théorie est redevable aux a priori culturels de Frazer, l’évolutionnisme culturel et religieux. Type religieux ou type magique, les deux constituent des directions possibles. Selon la conception évolutionniste de Frazer, il faudrait considérer le système de la mécanique des fluides comme primitif par rapport au système religieux de la Grèce ancienne mais sur quels arguments et avec quelle légitimité ? Chacun de ces deux systèmes s’adapte au reste du contexte culturel et aucun d’eux ne constitue un stade plus ou moins avancé par rapport à l’autre. En effet, lorsque le médecin Eryximaque critique la démesure sous tous ses aspects en analysant les maux de la nature comme une conséquence du déséquilibre, œuvre de polymnía l’amour désordonné, il disserte sur un thème ancien, ce déséquilibre :
[il] gâte et abîme bien des choses ; car ses dérèglements occasionnent d’ordinaire des pestes et beaucoup d’autres maladies variées aux animaux et aux plantes ; les gelées, la grêle, la nielle proviennent en effet du défaut de proportion et d’ordre que cet amour met dans l’union des éléments72.
42Cette description s’appuie exclusivement sur les qualités fondamentales du chaud, du froid, du sec ou de l’humide : il n’intervient aucun dieu et tout est mécanique. En respectant ainsi les impératifs épistémologiques des penseurs philosophiques et médicaux, il n’y a pas lieu de considérer ce schéma comme primitif, pas plus qu’il serait opportun d’ailleurs d’en faire l’accomplissement positif du système religieux. Il s’intègre à la représentation du monde d’un certain matérialisme grec mais il ne lui est pas exclusif, comme nous venons de le voir avec la mécanique des fluides présente en d’autres cultures. Ce dernier exemple du médecin Eryximaque démontre une fois de plus la proximité morale entre d’un côté, le discours tragique et religieux et de l’autre, l’analyse scientifique. L’excès et la démesure y sont condamnés et l’on passe du schéma religieux au schéma magique de manière progressive comme au travers d’un prisme. La cosmologie adoptée par la plupart des écoles philosophiques – à l’exception des Épicuriens et des Sceptiques – présente l’univers comme un Grand Vivant (ζѽον ἔν) où des correspondances peuvent s’établir entre des actions cosmiques et humaines. Il s’agit d’ailleurs de l’une des bases théoriques de l’astrologie antique. Dans certaines théories de la nature, la dimension morale y est bien développée comme chez Pline : face à l’affront commis par un homme, la nature peut réagir dans d’autres domaines73. Pour cela, elle obéit à des lois précises car la divinité n’est pas extérieure mais inhérente au monde. Ainsi, le rentrait des divinités classiques n’ôte pas systématiquement les dimensions morales à l’obéissance des lois naturelles. Le sens de la monstruosité demeure une punition et reste ainsi une notion théorique que les traités de gynécologie plus concrets définissent ainsi : donner naissance à un monstre est le propre de celui ou de celle qui n’ont pas respecté les règles, les lois et les principes de la nature et qui au contraire, ont commis bien des excès. Les différences que l’on serait tenté au premier abord de considérer comme catégoriques tendent à s’estomper grandement. Entre l’explication religieuse ancienne qui présentait le phénomène tératologique comme la punition d’une faute non-sexuelle et l’éthique philosophico-médicale, la nuance est quelquefois difficile à établir. Il ne faut certes pas nier pour autant les divergences mais nous retiendrons que les discours savants – religieux comme philosophiques – construisent une définition plutôt que de fournir une solution concrète à des pathologies véritables que l’on voudrait éviter.
L’apparition réelle du monstre
43Ce troisième registre que nous qualifions d’« historique » correspond à un comportement effectif, c’est-à-dire qu’il est un vécu réel. C’est l’une des façons de réagir à l’occasion d’une naissance monstrueuse. Comme nous l’avons souligné pour la nécessité cultuelle dans l’acte de procréation (registre A), c’est la pathologie qui précède la cause. Ici, contrairement au registre précédent où l’essentiel portait sur les principes moraux à forte teneur sociale, c’est la monstruosité constatée qui est l’objet de la réflexion (monstre → réflexion moral). Toutefois, le registre mythique (B) et le registre historique (C) se répondent l’un l’autre, se font échos et se justifient en se donnant mutuellement du sens. Ils diffèrent malgré tout sur plusieurs points, que ce soit pour la nature des événements, pour la recherche des causes et aussi pour les réactions rituelles de traitement (dimension expiatoire). Le registre mythique (B) se présente principalement sous la forme « si un délit est commis, toutes les femmes mettront au monde des monstres », alors que le registre historique se construit autour de l’événement : une femme a mis au monde un monstre (éventuellement décrit), ce qui signifie ceci. Il ne s’agit plus de la population féminine totale mais d’une ou de quelques femmes ou femelles animales. Le signe incarné de la déviance marque également un désordre et en particulier celui des relations entre les hommes et les dieux. À Rome, ce genre de prodige marque le glas de la pax deorum, la « paix des dieux ». Il arrive comme pour le registre mythique que l’on reproche au prince d’être le premier responsable de ce genre de dérèglements de la nature, puisqu’il en est le garant auprès des divinités74 : cependant le sens du signe n’est pas compréhensible par tous. Qu’un corbeau se mette à chanter la nuit au sommet d’un temple, qu’une statue saigne ou qu’un enfant naisse avec quatre mains, les dieux manifestent leur colère et il importe de savoir lire ce message. Alors, aussi bien dans la pratique historiquement attestée que dans le mythe, le recours à un devin s’impose.
44Concernant la nature des événements dans le registre mythique, toutes les femmes et toutes les femelles mettent au monde des monstres, des térata qui ne sont jamais décrits : on sait seulement qu’ils sont différents de leurs parents. Dans le registre historique, les maux collectifs comme les épidémies, les épizooties ou les maladies végétales possèdent aussi cette dimension collective mais à propos des naissances monstrueuses, les choses sont différentes : une épidémie tératologique ne peut guère être observée, même si l’on peut toujours la trouver en la cherchant. Ainsi, l’on nous apprend qu’une femelle ou une femme a mis un monstre, lequel est le plus souvent décrit : sa forme est un code qui peut être déchiffré.
45Sur la recherche des causes, le mode divinatoire employé dans le registre mythique est la divination inspirée avec fréquemment une consultation de la pythie de Delphes. Dans le registre historique elle est quelquefois inspirée mais elle est surtout déductive, c’est-à-dire que le sens est tiré de la forme monstrueuse elle-même. Quant au traitement des causes, dans le mythe comme dans certaines pratiques religieuses attestées historiquement, il consiste à chasser l’agòn du loimós, le véhicule du mal contagieux. L’on a alors recours soit à la pratique du pharmakós dans un contexte propitiatoire, un être se charge de toute la souillure, soit à l’expulsion ou la punition de l’auteur du crime ou du sacrilège : l’action est alors expiatoire.
46Le cas de la naissance monstrueuse effective correspond à une situation individuelle, c’est-à-dire qu’une seule femme est concernée. Par là, elle diffère grandement de la maladie épidémique qui concerne le collectif. L’imaginaire de la monstruosité ne cesse toutefois de se référer à une prophylaxie mythique. La monstruosité tend à s’aligner sur ce cas extrême jamais atteint où toutes les femmes seraient concernées sur le modèle des épidémies75. La terminologie que nous avons adoptée, registre mythico-littéraire et registre historique, peut s’avérer quelquefois contestable, puisqu’il arrive que dans le cadre d’une histoire légendaire apparaisse un seul monstre-présage dont il convient de tirer un sens. Le contexte n’est plus celui de la monstruosité générale non descriptive et assimilée à la stérilité mais celui de pratiques divinatoires et expiatoires. Sur l’articulation mythique/historique, on peut superposer le clivage inexpérimentable/expérimentable. C’est en effet, à partir de l’expérience effective de la monstruosité qu’est construit ce discours même si, il est vrai, ce dernier peut extrapoler des formes monstrueuses imaginaires. Il existe à ce propos, une technique particulière dont l’importance au sein de la population n’est pas toujours aisée à établir : c’est la tératomancie. Qu’est-ce à dire ?
Les interprétations divinatoires
47Cette divination déductive à partir des formes tératologiques s’est particulièrement développée dans l’aire de la culture mésopotamienne où fut pour la première fois employée un système d’écriture. À côté de la divination de type inspirée, la divination dite déductive que l’on pourrait nommer divination écrite, a bénéficié d’une plus grande attention76. L’univers est pensé en quelque sorte comme une tablette d’argile sur laquelle les dieux ont la possibilité d’écrire. Lorsque l’un d’eux veut exprimer un sentiment ou un dessein, il écrit sur le monde. Ce langage ou plutôt cette écriture des dieux, tout comme celle des humains (cunéiforme), utilise un code qu’il convient d’apprendre. La connaissance ainsi que la lecture de ces pictogrammes divins relèvent de la compétence de « devins professionnels », les bârû, c’est-à-dire les « examinateurs ». Les « supports » de cette écriture sont variés, il peut s’agir aussi bien de phénomènes météorologiques comme la pluie qui tombe anormalement durant une saison plutôt sèche ou inversement, d’événements moteurs, un coq chante la nuit, une chèvre monte sur un toit..., de certains phénomènes biologiques comme la forme du foie de victimes animales, des pathologiques comme les formes bizarres de corps et les naissances véritablement monstrueuses. Ce dernier mode est particulièrement présent dans la culture mésopotamienne où des traités de tératomancie en tant que pratique divinatoire fondée sur les formes pathologiques de nouveau-nés animaux ou humains, apparaissent dès la fin du IIIe millénaire77. Chaque oracle est composé de deux parties :
une proposition que l’on peut nommer protase, introduite par la préposition « si », en akkadien Šumma d’où le nom généralement donné à ces traités, Šumma izbu, « si l’enfant... » ;
une principale au futur qui annonce l’oracle, l’apodose.
48Nous aurons par exemple :
« Si une femme donne naissance à un nain mâle/troubles ; la maison de l’homme sera dispersée »
« Si une femme donne naissance à un enfant aveugle/le pays sera perturbé ; la maison de l’homme ne sera pas prospère78. »
49Il existe deux natures de liens. D’un côté les anciens oracles sont empiristes c’est-à-dire qu’ils établissent un lien de causalité entre deux événements qui se sont produits dans un temps rapproché. Dès lors, à l’apparition de l’un, l’autre aura de fortes de se répéter. Le raisonnement se contente de la simple coïncidence des faits sans le moindre relation logique unissant protase et apodose. Cependant, pour les oracles plus tardifs, il convient de regarder de plus près le texte dans la langue originale. En effet, au sein d’une culture où le mot et la chose sont si intimement liés, les jeux de mots ont toute leur importance. Ainsi : « S’il pleut (zunnu iznum) le jour [de la fête] du dieu de la ville, ce dernier sera fâché (zéni) contre elle » ; « Si la vésicule biliaire est en retrait (nahsat) c’est inquiétant (nahdat) » ; « Si la vésicule biliaire est prise (kussa) dans la graisse, il fera froid (kussu). » D’autres liens logiques extra-linguistiques sont encore possibles en témoigne cet oracle : « Si une femme donne naissance à des jumeaux soudés l’un à l’autre par le côté : le pays qu’un seul gouvernait, deux le gouverneront. » Ici et contrairement aux cas précédents, le lien n’est pas phonologique mais métaphorique.
50Ce mode particulier d’explication d’un monstre insiste sur la dimension sémantique et s’y limite de manière exclusive. Comme dans le registre précédent, tout le versant mécanique, c’est-à-dire tout ce qui relève de la matière est négligé. Ainsi, le sens prime sur le support.
51Cette réalité n’est pas absente des cultures grecque et romaine puisqu’en effet, dans les langues et y compris chez les médecins – ou plutôt les philosophes – les mots usuels servant à désigner les cas de fortes malformations congénitales conservent cette connotation religieuse divinatoire. Le mot grec τέρας a d’abord pour sens « signe envoyé par les dieux », racine que l’on retrouve dans le nom de l’un des plus célèbres devins de la tradition grecque, Tirésias (Τειρ-εσίας)79. Le mot latin monstrum fait partie d’un ensemble de six dont les sens n’étaient pas réellement distingués par les anciens Romains. Miraculum, omen, ostentum, portentum et prodigium désignaient la même chose et étaient employés indifféremment80. Parmi ceux-ci, certains ont donné des mots français dont les registres appartiennent encore au religieux et au merveilleux. Ce sont « prodige » et surtout « miracle ». En revanche, le mot « monstre » a pris un sens beaucoup plus neutre, plus précis et plus imagé.
52Quant à cette tératoscopie définie comme la consultation divinatoire des formes tératologiques, il semble qu’elle ait inspiré un intérêt assez réduit en Grèce. Elle est certes attestée et les devins savent à l’occasion lire cette part d’avenir que le monstre annonce. C’est d’ailleurs cette pratique et donc cette définition du monstre qui est la cible de certaines attaques philosophiques. Toutefois, la chose semble moins prononcée que dans la ville de Rome où les différentes fonctions religieuses se spécialisent selon la nature des présages. Les monstres y relevaient principalement de la compétence des prêtres étrusques, les haruspices, pour lesquels l’influence mésopotamienne est indéniable. L’extispicine par exemple, c’est-à-dire l’observation des entrailles et plus particulièrement l’hépatoscopie avec l’observation du foie divisé en zones, en est la manifestation la plus probante81. L’intermédiaire grec s’impose comme le schéma le plus logique. En effet, l’extispicine mésopotamienne est sûrement à l’origine de celle pratiquée en Grèce, d’où elle aurait été apportée chez les Étrusques puis chez les Latins. À Rome, elle était la spécialité des haruspices toscans dont le nom même évoque l’origine asiatique, le mot akkadien bârû, « prêtre », aurait donné le mot étrusque haru, d’où le latin haruspex. Quant à la tératoscopie à proprement parler, le schéma n’a pas lieu d’être différent. Si l’on regarde de plus près les textes de ces oracles, on constate des ressemblances évidentes. D’ailleurs, les oracles chaldéens n’étaient pas inconnus des anciens à l’instar de Cicéron qui écrit quant à leur contenu : « s’il naissait une fille à deux têtes, il y aurait sédition dans le peuple, corruption et adultère chez les particuliers ; si une femme rêvait qu’elle accouchait d’un lion, l’État où se produisait le rêve serait vaincu par des nations étrangères82 ».
53Ces oracles sont effectivement authentiques, puisqu’on peut les retrouver tels dans les traités mésopotamiens dont le Šumma izbu. Pour le second, le texte original dit : « Si une femme enfante un lion, la ville sera prise ; son roi sera mis dans les fers83. » Cette croyance à propos d’un lionceau né d’une mère d’une autre espèce que la gente féline se retrouve dans le contexte culturel grec. C’est à l’occasion d’une anecdote rapportée par Élien que l’on peut lire : « Les habitants de Cos disent que chez eux, dans un troupeau du tyran Nicippos, une brebis avait mis bas (τεκεĩν) ; mais au lieu de mettre au monde (τεκεĩν) agneau, ce fut un lionceau. Ce signe (σημεĩον) présagea à Nicippos sa tyrannie à venir alors qu’il n’était qu’un simple particulier84.
54La naissance d’un monstre assimilé de par sa forme à un lion et réellement considéré comme tel – ou plus plausiblement le rêve de sa naissance – annonce à chaque fois des troubles politiques dont le renversement du pouvoir en place : prise de la ville par un ennemi ou prise du pouvoir par un tyran85. On pourra objecter que l’image est suffisamment allégorique pour n’être qu’une coïncidence, l’équivalent de notre loup dans la bergerie qui a peu de chance d’être directement issu du Proche-Orient antique. Mais l’allusion directe de Cicéron aux oracles chaldéens ne laisse aucun doute quant au schéma diffusionniste. De plus, d’autres exemples de ressemblances existent. Le premier oracle cité par Cicéron apparaît dans les traités mésopotamiens. Il écrit, rappelons-le : « s’il naissait une fille à deux têtes, il y aurait sédition dans le peuple, corruption et adultère chez les particuliers ». L’on retrouve il est vrai, le même oracle dans une vieille version babylonienne : « Si un anormal naît avec deux têtes/une personne sans droit pour le trône s’en emparera86. » Un autre oracle plus récent dit encore : « Si une femme donne naissance à un enfant à deux visages,, le règne d’un roi despotique sera changé87. » L’opinion des haruspices consultés pour des cas semblables survenus en 65 ap. J.-C., est aussi très proche. Il naquit, nous dit Tacite, des « embryons à deux têtes, soit d’hommes, soit d’autres êtres jetés dans les chemins ou trouvés dans les sacrifices où l’usage est d’immoler des victimes pleines88 ». Un autre prodige survint cette même année concernant une monstruosité céphalique : un veau né avec la tête au niveau de la cuisse89. Les haruspices en conclurent qu’« on voulait donner à l’empire une autre tête mais qu’elle ne serait pas forte et serait connue parce que le développement de l’animal avait été arrêté dans le ventre < de la mère >90 ». Pour l’auteur, ces présages funestes pourraient avoir annoncé le complot raté de Pison contre Néron en 65. Le changement de régime évoqué bien que manqué, s’annonçait ici aussi par divers cas de monstruosités bicéphales ou du moins en rapport à la tête. Toujours à propos des luttes politiques, Plutarque nous rapporte un fait aux sens assez comparables. Dans l’une des terres de Périclès, naquit un bélier qui n’avait qu’une seule corne au milieu du front. Le devin Lampon qui était présent interpréta le signe comme une union prochaine des deux partis de la ville, celui de Périclès et celui de Thucydide. Il en conclut que « la puissance des deux serait toute réduite en une, et notamment en celle de celui en la maison duquel ce signe était advenu »91. De plus, le fait qu’il s’agisse d’un bélier n’est peut-être pas innocent. En effet, un oracle mésopotamien dit : « Si une femme donne naissance à un bélier, le prince n’aura pas d’adversaire »92, et il est possible que l’analyse de Lampon soit le fruit d’une contamination d’un oracle par un autre. Quoi qu’il en soit, la structure de cette dernière anecdote est symétrique. Dans les premiers cas, c’est ce qui était normalement unique qui se doublait (1 → 2), alors qu’ici, c’est la paire réduite à l’unité qui constitue la monstruosité (2 → 1). La teneur politique du message demeure cependant et le devin Lampon – si l’anecdote est réelle – était forcément sensible à l’esprit des décodages de cette science divinatoire.
TEXTES GRECS ET LATINS | TEXTES MÉSOPOTAMIENS | ||
Références | Présages | Références | Présages |
Cicéron De la divination, I, 121 (les Chaldéens) | accoucher d’un lion = pouvoir renversé | Leichty, p. 32 [5] | Si une femme accouche d’un lion, la ville sera prise |
Elien Histoires variées, I, | brebis accouche d’un lion = prise de pouvoir | ||
Tacite Annales, XV, 47 | enfants à deux têtes = conspiration (analyse étrusque) | Leichty, p. 204 [vieilles versions babyloniennes 23] | Si un produit a deux têtes, usurpation du pouvoir |
Tite-Live 27, 11, 5 Pline VII, 34 Valère Maxime I, 65 | enfant à tête d’éléphant93 | Leichty, p. 33 [12] | Si une femme accouche d’un éléphant, le pays sera mis en friche |
55La thèse diffusionniste est convaincante pour le monde antique et entre la Mésopotamie et le monde gréco-latin, on peut encore supposer un intermédiaire hittite mais là n’est pas notre propos94. Toutefois, des ressemblances existent entre des cultures pour lesquelles cette explication est difficilement recevable. Pour nous en convaincre nous reprendrons l’oracle des enfants bicéphales. On le retrouve avec les mêmes significations dans la civilisation chinoise où plusieurs traits de culture se rapprochent assez de ce que nous avons vu pour l’Antiquité classique. Dans la Chine ancienne, le souverain est nommé « fils du Ciel » (Tian zi) et pour se maintenir au pouvoir il doit bénéficier du Tian ming, le « Mandat du Ciel », équivalent chinois de la pax deorum romaine. S’il est indigne de sa fonction, des catastrophes naturelles, sécheresse et inondations, s’abattent sur le pays et des signes tels que les malformations humaines ou animales (wou hing) apparaissent. Tous ces événements fourmillent dans les annales chinoises comme les Mémoires historiques de Sseu-ma Ts’ien95. Il est clair au travers de ces textes que la culture chinoise n’ignorait pas non plus les experts en lecture de monstre et que sur cette science, il existait des traités comme le commentaire du Yingjing de Jing Fang. Voici quelques exemples96 très genre de littérature :
« Au cours de l’ère yongjia (307-313) dans la ville de Shouchun (Anhui) une truie mit au monde un porcelet à deux têtes qui ne vécut pas. Zhou Fu le fit examiner. L’expert dit : “le cochon est animal du nord ; il symbolise les barbares. Il a deux têtes. Il n’y aura donc pas de chef. Il est mort tout de suite après sa naissance : la rébellion avortera [...]” »,
« Au vingt-deuxième jour du dixième mois de cette année (316), une jeune femme de vingt-cinq ans, née Hu, mariée à un certain Ren Jiao, mit au monde deux sœurs siamoises. Elles se faisaient face. Le cœur et les viscères étaient communs et elles se séparaient au-dessus du buste et au-dessous du nombril. Le prodige annonçait la division de l’Empire »,
« Au septième mois de la première année de l’ère Jianwu de l’Empereur Yuan des Jin (317) [...], une vache mit bas un veau à deux têtes. Le commentaire du Yinjing de Jing Fang dit : “lorsqu’une vache met au monde un veau à deux têtes l’Empire sera divisé” »,
« Dans la seconde année de l’ère taixing (318), une jument [...] mit au monde un poulain à deux têtes. Elles se séparaient en haut du cou. L’animal mourut juste après sa naissance. Les deux têtes annonçaient que le pouvoir allait tomber entre les mains de particuliers ».
56L’aire asiatique qui a donné aux tératopages leur nom commun en Occident, « siamois », fournit d’autres exemples. Au Siam justement, les enfants éponymes Chang et Eng Bunker naquirent en 1811 et auraient dû être exécutés sur l’ordre des autorités, d’origine chinoise, afin qu’ils ne portassent pas malheur au Royaume97: message politique pouvait correspondre à la signification courante des monstres doubles. Il est vrai que cette métaphore politique ne nous est pas inconnue. La tête surnuméraire ou quelquefois les corps complets d’enfants siamois tératopages représentent une révolte, une division ou une dyarchie, bref, une remise en question du pouvoir établi. Dans le cas chinois, comment envisager le schéma diffusionniste ? Il est toujours possible de supposer l’intermédiaire de l’Inde védique entre la culture mésopotamienne et l’aire chinoise car d’autres éléments laissent penser une telle diffusion. Cependant, le diffusionnisme atteint ses limites lorsque nous entrons dans le domaine de l’Amérique précolombienne. L’effondrement de l’empire aztèque aurait été annoncé par de nombreux présages comme des comètes ou des cris venus de nulle part. Il y eut aussi de nombreuses naissances d’enfants monstrueux qui présageaient la fin du pouvoir, il naissait « des hommes à deux têtes mais à un seul corps98 », signe particulièrement expressif en ces circonstances et analysé ainsi par Moctézuma II. Par ailleurs, à la même époque, à la fin du xve et au cours du xvie siècles, ces phénomènes biologiques reprennent une place importante dans la culture de l’Europe occidentale chrétienne. Fruits du développement de l’imprimerie – plus précisément des bois gravés – les feuilles volantes ou canards circulent dans toute la population qui se met à se passionner plus que jamais pour les phénomènes prodigieux et merveilleux au sein desquels, des enfants ou des animaux monstrueux occupent une place capitale pour qui l’analyse prophétique est souvent préférée99. Parmi ces nombreux auteurs d’ouvrages consacrés aux phénomènes tératologiques, Pierre Boaistuau est en France l’un des plus illustres. De manière plus intense que Ambroise Paré, son contemporain et auteur lui aussi d’un traité100, il est attentif à l’aspect prophétique de ces naissances et à trois reprises dans ses Histoires prodigieuses (1560), la métaphore politique des enfants doubles apparaît. Dans le premier cas, ce sont deux enfants siamoises nées en 1475 qui pronostiquèrent certains malheurs, les guerres de succession en Lorraine, en Espagne et au Portugal. Le deuxième cas est celui de deux enfants identiques nés à Rome qui annoncèrent les calamités du pontificat d’Alexandre VI telles les dissensions politiques et les guerres civiles. Enfin, le troisième cas est un symétrique d’autant plus intéressant. Un enfant né avec quatre bras et quatre jambes mais pourvu d’une seule tête (monstre xiphadelphe ou jancipeps) fut « engendré en Italie le propre jour que les Venitiens & les Genevois [les Génois] (après avoir respandu tant de sang d’un costé & de l’autre) confirmerent leur paix, & furent reconciliés ensemble101 ». Les deux enfants siamois ne possèdent qu’une seule tête qui symbolise une unité perdue puis retrouvée.
57Que penser du modèle diffusionniste à partir de ces exemples ? Certes, les auteurs du xvie siècle ne connaissaient plus les traités mésopotamiens mais dans ce cas précis ils n’ignoraient pas l’œuvre de Cicéron dont le De divinatio citant cet oracle. La tête est le lieu de la pensée et de la conscience puisqu’elle renferme le cerveau. C’est en elle que le sujet suppose penser et c’est elle qui donne ses ordres à un corps entièrement soumis ou presque. L’univers comme la hiérarchie sociale se structurent sur le modèle du microcosme corporel et le monarque se trouve « à la tête » de son royaume102. Cette vision très répandue dans l’Occident médiéval103, celle de l’isomorphisme entre le corps humain et l’État avec assimilation de la tête au gouvernement, est une donnée universelle. Dans la langue grecque, l’adjectif aképhalos, « sans-tête », désigne une des races monstrueuses censées peupler les limites du monde connu, en Inde, en Libye ou en Éthiopie104. Ce peuple d’Acéphales figurant au milieu des Sciapodes, des Arimaspes, des Monocoles et autres Troglodytes a pu être considéré, selon la méthode positive, comme une race de papier. Selon cette interprétation, le mot ne désignait pas l’absence de tête au sens physique mais plus symboliquement l’absence de chef. Ce peuple forcément primitif et barbare était monstrueux sur le plan de son organisation sociale, précisément absente puisqu’il vivait sous le mode de l’anarchie. La déformation supposée d’un peuple sans chef en un peuple d’individus sans tête correspond en quelque sorte au processus inverse de l’interprétation tératomantique car c’est à partir du registre politique qu’est déduite la description des corps monstrueux. Cette hypothétique construction de monstres de papier constitue un pan de ce symbolisme très riche en occurrences que l’héraldique a particulièrement bien traité en particulier avec l’aigle à deux têtes. Il faut toutefois avoir à l’esprit que cette lecture d’esprit évhémeriste et positive des races monstrueuses fut aussi celle des auteurs antiques puis médiévaux, en parallèle avec celle sur les mythes : chercher dans le discours merveilleux, le noyau véridique pour trier et séparer le mensonge du plausible. C’est pourquoi ce type d’analyse sur les races monstrueuses appartient aussi à l’histoire de la pensée ancienne.
58En réalité, l’universalité de certaine lecture ne fait aucun doute et le schéma diffusionniste semble souvent douteux. De même, la référence à la surpopulation fait partie des lectures courantes des naissances multiples. On la trouve chez Pline105 et dans nombre de cultures d’Afrique noire. La structure de la métaphore est aisée à saisir : à naissances surnuméraires répond la conséquence population surnuméraire, d’où famine. La nature de cette relation sémantique est simple et il n’est pas surprenant qu’elle se retrouve dans des cultures différentes et éloignées106.
59Pour revenir plus proprement à la tératomancie, a-t-on véritablement affaire à une pratique courante et partagée par tous ? Est-ce que cette manière de comprendre un monstre en décelant un message est accréditée par une grande partie de la population ? En l’absence en Grèce ancienne, de l’équivalent des annales pontificales romaines, peu d’anecdotes y font référence. Il y a certes l’histoire du bélier unicorne analysé conjointement par Anaximandre et le devin Lampon ainsi que l’histoire de l’hippocentaure né dans les terres de Périandre et expliqué en termes de bestialité par Thalès. Ces deux histoires nous sont rapportées par Plutarque au iie siècle ap. J.-C., donc assez tardivement : quel crédit leur accorder107 ? Un troisième récit tout aussi tardif raconte l’histoire de Polycrite dont voici la trame simplifiée108 : Polycrite est élu chef des étoliens – il épouse une locrienne – il meurt quatre jours plus tard – sa veuve met au monde un hermaphrodite – l’enfant est porté sur la place publique où les devins discutent109 – interprétation : il y aura un différend entre Locres et l’Étolie – certains pensent qu’il faut mener la mère et l’enfant au-delà du pays et les brûler – le spectre de Polycrite apparaît et demande grâce pour l’enfant – il n’obtient pas gain de cause – la foule veut supprimer le monstre – le spectre dévore l’enfant sauf la tête – celle-ci se met à parler et annonce un avenir funeste (une guerre). Il nous semble clair que l’une des morales de l’histoire conduit à observer une grande réticence à l’égard de l’analyse divinatoire tératoscopique. En insistant, les prêtres provoquent la colère du fantôme : la guerre se produit malgré tout et elle est annoncée sous forme de divination directe et inspirée, ou plutôt révélée, puisque la tête se met à parler.
60Il existe toutefois une tradition littéraire qui, à propos d’Alexandre le Grand, met en scène un cas d’analyse tératomantique. À la fin du iiie siècle avant J.-C. – soit un siècle après la mort de l’intéressé – un texte faussement attribué à Callisthène parle d’une naissance monstrueuse annonçant la fin du règne du conquérant macédonien110. De retour à Babylone, peu de temps avant sa mort, Alexandre apprend qu’une des femmes de ce pays a mis au monde un nouveau-né monstrueux. Des interprètes convoqués, un seul osera dire la vérité : ce prodige annonce la mort d’Alexandre L’oracle s’accomplira malgré la mesure expiatoire (τὸ δὲ βρέος καῆναι εἶπεν / mortis impetunt)111. Tradition certes tardive dont il est malaisé de déceler les sources historiques mais qui nous parle assez bien de la tératomancie. Il faut certes noter que les sources moins fantaisistes ne parlent pas de cette naissance et malgré la venue de prodiges, ce petit monstre humain n’y figure pas112. Cependant, il faut souligner : l’analyse mantique de monstres humains est l’objet d’une compétence de la part d’experts et est le propre d’une région bien déterminée du monde. Alors que sur le territoire « national » grec, cette mantique semble peu suivie, la terre babylonienne – celle du Proche-Orient ancien – semble être le lieu privilégié non seulement des analystes mais d’abord des phénomènes eux-mêmes. Ce qui se produit en terre d’Hellade n’est pas forcément vérifié sous les cieux mésopotamiens et inversement : la région du Tigre et de l’Euphrate serait plus propice aux naissances tératologiques de la même manière que la région de l’Étrurie apparaît comme naturelle aux expressions des foudres. Ainsi, ce qui est crédible sous les cieux babyloniens, s’avère-t-il moins évident sous les latitudes helléniques. Il n’est pas innocent que la mention positive de cette science dans les sources grecques ait lieu en terre proche-orientale.
L’accueil réservé au monstre
61Les données dans la Rome ancienne sont nombreuses mais difficiles à exploiter car peu explicites. Le père antique peut exposer son enfant de sa propre volonté. Cependant, certaines prescriptions légales n’accordent pas ce droit au père. À Sparte, une loi attribuée à Lycurgue imposait aux parents de soumettre leurs enfants au conseil des anciens. Si l’enfant était mal conformé ou tout simplement jugé pas assez robuste, il était exécuté113. Nous avons vu précédemment que pour Rome, le Grec Denys d’Halicarnasse parle d’une loi attribuée à Romulus interdisant aux parents d’exécuter leurs nouveau-nés, sauf s’ils étaient infirmes (anápèron) ou monstrueux (téras). Dans ce cas-là seulement et après consultation de cinq hommes libres du voisinage, le père pouvait abandonner son enfant114. Si l’on accorde du crédit à Denys, cette loi considérerait le monstre comme le cas unique où le père pouvait abandonner un enfant mâle. Elle constituait une mesure limitant la pratique légale de l’abandon115. Toutefois, un passage de la loi des Douze Tables, en partie reconstituée, exprime peut-être plus clairement cette obligation : « Comme est tué en vertu de la loi des Douze Tables, l’enfant difforme116 », mais ici également, on peut supposer qu’il s’agit du seul cas autorisé. De plus, c’est l’adjectif deformitas qui est usité et non le mot monstrum ou l’un de ses cousins comme portentum par exemple.
62En fait, l’inspiration de ces lois semble plus de nature économique ou démographique que de préoccupations religieuses. Pour Plutarque, le cas spartiate est clair : c’est parce que l’enfant faible ou difforme ne pourra pas servir militairement qu’il est exécuté. De leur côté, les auteurs politiques de l’époque classique, admirateurs du modèle spartiate, recommandent l’exécution des difformes et sur ce point ils se fondent sur des raisons eugéniques et économiques. C’est le cas de Platon117 pour qui la race des gardiens doit rester pure et il en est de même d’Aristote118 qui ne fait allusion qu’à l’enfant pepêrôménon et non au téras. Tous les deux recommandent la mort des enfants qui, atteints d’une malformation faible, pourraient survivre à la différence des monstres plus graves, condamnés à plus ou moins long terme par la nature. Cette pratique était de toute manière très acceptée au point de devenir métaphorique119 et à n’en pas douter, c’est la raison économique qui domine. La crainte de posséder trop d’enfants – exprimée dès Hésiode – justifiait l’abandon, y compris d’enfants sains. A fortiori les enfants infirmes qui de ce fait n’auraient pu être d’un quelconque secours plus tard, constituaient une charge inutile. Abandonner des enfants était courant ou du moins moralement admis et même approuvé : dans l’esprit des Grecs et des Latins, l’accueil et l’éducation de tous les enfants constituaient un critère de distinction entre les peuples civilisés et les barbares au nombre desquels les Juifs, les Germains ou les Égyptiens chez qui l’on s’amusa, nous dit Strabon, à nourrir un homme « qui avait sur chaque face de la tête, deux yeux, lesquels d’ailleurs ne voyaient pas120 ». Il ne faut toutefois pas se représenter une société antique à ce point eugéniste qu’elle serait dépourvue de toute difformité physique. Les représentations iconographiques de pathologies sont malgré tout fréquentes121 et les discours contradictoires à l’égard de l’eugénisme sont à replacer dans le contexte du débat moral plutôt que d’une pratique sociale quasi systématique.
63Cependant, Marie Delcourt a voulu discerner pour la Grèce deux types d’exposition dont la distinction n’aurait plus été consciente à l’époque historique mais que seul le vocabulaire grec aurait conservée. D’un côté, l’ekthésis concernerait l’abandon d’enfants sains et susceptibles d’être recueillis, situation dont la comédie est friande. Par ailleurs, l’apothésis désignerait l’abandon des enfants difformes en des lieux retirés, à l’écart du monde social. Dans le premier cas, le choix serait le fruit d’une initiative privée : le père refuse de reconnaître l’enfant, de le prendre dans ses bras comme c’est l’usage et de célébrer les Amphidromies, cérémonie athénienne de la reconnaissance collective du nouveau-né. Dans le second cas, la chose publique primerait et ce serait l’État qui imposerait comme à Sparte, l’élimination des enfants susceptibles de transmettre un loimós122. Il est toujours possible en effet d’envisager qu’au fur et à mesure de l’évolution, ce genre d’obligation rituelle ait été rationalisée et limitée aux seules justifications démographique et eugénique. Ce schéma demeure de l’ordre du possible mais aucune source grecque ne précise l’obligation.
64À Rome, cette obligation n’est pas non plus attestée véritablement pour les monstra, prodigia et autres portenta. Les prodiges privés, c’est-à-dire ceux survenus en des lieux privés comme les naissances monstrueuses pouvaient être communiqués aux autorités à l’initiative du particulier. Sous présentation par les Pontifes, le Sénat décidait si tels prodiges étaient pris en charge par la ville et devenaient ainsi prodigia publica ou si tels autres devaient être traités par le particulier et restaient de ce fait prodigia privata123. Dans ces deux cas, il faut comprendre la requête des dieux (postiliones) et préparer une parade (responsa). Il est donc tout à fait concevable que bien des naissances monstrueuses humaines ou animales soient passées inaperçues, soit que le foyer concerné n’ait pas jugé utile de s’y attarder, soit que ce fut l’État qui l’ait négligé. Cependant, de nombreux cas foisonnent dans les ouvrages de Tite-Live ou de Julius Obsequens, auteurs qui se sont servis tous deux des Annales pontificales dans lesquelles étaient inscrits tous les prodiges survenus dans l’année124.
65Nous présentons en Annexe I un certain nombre d’anecdotes appartenant au monde romain qui évoquent, parmi bien d’autres prodiges, des cas curieux de la nature – comme des mules fécondes – et des malformations congénitales plutôt courantes puisqu’il y apparaît essentiellement des êtres doubles, des cas d’ectromélie (membre en moins) et de pygomélie (un ou plusieurs membres surnuméraires) ou d’hermaphrodisme très certainement partiel. D’autres descriptions peuvent être lues comme des monstruosités plus complexes ou plus rares, à l’instar par exemple, de l’enfant à « tête d’éléphant » mais toutes semblent correspondre à des réalités. En effet, l’on y découvre peu de fantaisie, si ce n’est dans certaines appellations qui évoquent des ressemblances mais les cas pathologiques décrits sont connus en tératologie vétérinaire.
66Les sources ne précisent pas toujours si l’enfant ou l’animal monstrueux sont exécutés et si c’est le cas, le mode d’exécution peut aussi faire défaut. Reflet des usages ou imprécisions, il est difficile de juger avec certitude. Cependant, en ce qui concerne l’androgynie considérée dans l’Antiquité comme la forme de monstruosité la plus funeste125, le mode d’exécution est presque toujours précisé. Il ne se limite certes pas aux hermaphrodites mais leur sort est toujours la noyade. Le second mode très présent dans ces sources est le bûcher dont nous avons pu constater la présence dans l’histoire du fils de Polycrite. Que peuvent signifier ces modes particuliers d’exécution ?
67À propos du bûcher, avant que les coutumes funéraires ne se modifient dans les premiers temps de l’ère chrétienne, les funérailles des enfants mort-nés ou en bas âge ne s’accomplissent pas par le feu mortuaire mais par un mode qui s’imposa par la suite à tout le monde, l’inhumation126. Dans le cadre de certaines conceptions, l’inhumation qui consiste à redéposer l’être dans le sein de la Terre, permet à l’enfant de pouvoir « revenir », c’est-à-dire à son âme de se réincarner en un autre corps127 tant il est vrai que le sort réservé au cadavre détermine irrévocablement l’avenir de l’âme du défunt. Dans le mythe et la comédie, l’enfant abandonné vivant est placé dans un coffre ou un pot (khútra, óstrakon). Symboliquement cela revient à le remettre dans un autre ventre d’où il sortira lors de sa découverte par ses parents adoptifs pour une seconde naissance, sociale cette fois. Si le petit monstre, vivant ou mort, est brûlé de la même manière que les adultes, c’est qu’on ne lui propose qu’un aller simple sans espoir de retour. On lui réserve cependant une sorte de funérailles pour éviter qu’il ne revienne sous forme d’âme malfaisante, ces terribles áôroi thanátoigrecs128. Pour l’eschatologie chrétienne, la Résurrection de la chair au jour du Jugement Dernier ne s’accomplit que pour les personnes décédées ayant reçu les ultimes sacrements et inhumées selon les rites. Le bûcher imposé aux hérétiques, morts ou vifs et quelquefois aux petits monstres humains tel le nouveau-né de 1565 sans os et muni d’une oreille sur une épaule et d’une bouche sur l’autre129, s’inscrit dans la continuité de cette symbolique. Selon d’autres croyances et représentations, ce n’est pas le feu calcinant qui accomplit cette tâche destructrice post mortem mais le broyage qui sous l’action de meules peut punir une personne bien longtemps après sa mort. L’idée demeure la même : broyer les ossements comme les calciner et en répandre les cendres au grès du vent sont des usages qui visent à se débarrasser d’un être de manière efficace. Le fait que les os aient été souvent considérés comme le lieu de la spermatogenèse – ou du moins un lieu de son passage – pourrait expliquer en partie la pratique du broyage des ossements accomplie en punition post-mortem.
68Quant à l’immersion du monstre ou de l’être indésirable, elle apparaît de manière plus systématique et la symbolique n’en est pas très éloignée. Elle est très représentée à Rome aussi bien en milieu fluvial que maritime. On la trouve également dans l’aboutissement d’un rite exorcistique mésopotamien accompli à l’encontre d’un cochon monstrueux130. Elle est aussi le mode d’exécution de certains monstres durant l’époque moderne tel le monstre de Genève (1609) qui fut jeté dans le Rhône131 et elle apparaît souvent dans la littérature ethnographique des cultures non occidentales. Françoise Héritier analyse cet usage selon une logique thermique en vigueur chez les Samo (Afrique de l’Ouest) : les produits monstrueux ou douteux comme les cadavres de jumeaux, d’albinos ou de ceux suspectés de zoophilie, d’inceste ou de n’importe quel autre crime qui contribue à « concentrer de la chaleur », ne sont jamais inhumés dans le sol du pays car leur chaleur naturelle pourrait se transmettre à la terre et provoquer une sécheresse132. Les corps sont de préférence suspendus aux arbres ou précipités dans les fleuves, c’est-à-dire dans des éléments froids comme l’air ou l’eau. Toutefois, une deuxième explication non pas thermique mais analogique peut se substituer à celle-ci. Tous les éléments de l’univers sont reliés par des correspondances et dans ses travaux sur le thème mythique de la naissance du héros, Otto Rank133 avait constaté que le nouveau-né est très souvent abandonné dans un panier ou un pot mais qu’au lieu d’être déposé en terre, il est confié au courant d’un cours d’eau ou d’une mer. Les exemples sont nombreux : la légende mésopotamienne de Sargon, le récit non moins légendaire de la naissance de Moïse, la toute prime enfance de Romulus et de Rémus, celle de Persée, etc. De manière analogique, le héros est replacé dans une poche au sein d’un univers aqueux comparable au liquide amniotique. En quelque sorte, le rite contribue à faire dé-naître l’enfant. En ce qui concerne le héros, la corbeille est avec bienveillance dirigée vers les berges ou le rivage d’où les parents adoptifs pourront lui faire accomplir une seconde naissance (sociale) pourvue de nombreuses analogies avec la première. L’immersion du monstre fonctionne sur le même modèle symbolique, que ce soit en Mésopotamie, à Rome et dans bien d’autres cultures : il est déposé sur une embarcation et si tout se passe comme prévu, il ne parvient pas à gagner la terre ferme et il est englouti. Il « dé-naît » de manière irrévocable sans espoir de retour. Ce rite comporte une forte valeur ordalique c’est-à-dire que la ou les divinités choisissent le sort de l’individu ainsi exposé : sera-t-il sauvé et ainsi marqué d’un signe divin ou périra-t-il ré-englouti ? Il existe dans l’aire culturelle celte, un rite de légitimation qui fonctionne de manière comparable. En cas de doute de paternité, le père pouvait placer l’enfant sur un bouclier qui errait au grès de l’eau de la rivière ou de la mer. L’échouage signifiait la légitimité alors que l’engloutissement était la preuve d’une bâtardise aussitôt sanctionnée. En quelque sorte, le père remettait son enfant en jeu pour lui faire accomplir une seconde naissance plus importante que la première qui n’était que biologique134. En fait, l’explication thermique des Samo n’est certainement qu’un habillage d’une première symbolique à la portée plus générale. Il en va en effet de même pour les Nuer : ils déposent l’enfant monstrueux dans les cours d’eaux car il est à leurs yeux un hippopotame, né par erreur parmi hommes, qu’il faut rendre à ses semblables135. L’axe central du rituel demeure le même et le discours explicite indigène est une rationalisation au sens d’une ré-explication d’un rite ressenti comme nécessaire mais dont les causes originelles sont inconscientes et oubliées. Cependant, ces exécutions et leur mode particulier ne prouvent en rien la valeur véritablement prophétique du monstre. Il est certes indésirable et bien d’autres explications peuvent intervenir mais, que ce soit pour l’Antiquité préchrétienne durant laquelle l’exposition d’enfants, y compris normaux, étaient possibles ou dans d’autres contextes culturels, la dimension collective d’un message apporté par le monstre est dans l’ensemble assez peu attestée. Si message il y a, c’est souvent à ds occasions polémiques. Toutefois, un schéma diachronique n’est peut-être pas inutile pour préciser cette question.
Changements dans les comportements ?
Usages religieux antiques
69En effet, l’on ne peut aborder ce sujet sans préciser l’époque de la manière la plus rigoureuse possible. Dans la Grèce ancienne, cette attitude religieuse semble avoir été peu suivie. Selon nos sources assez réduites et si il y eut en Grèce, comme le supposait Marie Delcourt, une prescription d’écartement des monstres, la pratique courante, que nous qualifierons de laïque, de l’exposition prima. C’est donc à Rome que cette page de l’histoire religieuse est réellement écrite mais il faut encore préciser les époques. Dans l’œuvre de Tite-Live, ces actions expiatoires sont surtout signalées lors des pires heures des guerres puniques à la fin du iiie siècle av. J.-C. Lucain en signale l’existence durant la guerre civile au ier siècle av. J.-C. et Tacite rappelle cette attention – sans exécution rituelle – dans le cadre de la fin du principat de Néron dans les années 60 ap. J.-C. : les périodes troubles semblent tout naturellement plus propices à ce type de recours. Si l’on regarde de plus près le cas des hermaphrodites chez Tite-Live et Julius Obsequens, on se rend compte que quatre d’entre eux n’ont pas été exécutés dès leur naissance mais bien plus tard puisqu’ils étaient âgés de huit, dix, douze et seize ans. On pourra toujours objecter que la difformité sexuelle put ne devenir manifeste qu’ultérieurement, à la puberté pour deux d’entre eux. En effet, il existe des anecdotes avec des femmes mariées qui au cours de leur vie, peut-être dans leur adolescence, constatent sur leur corps un développement anatomique viril de plus en plus évident au point qu’elles en viennent à changer officiellement de sexe et de nom : Diodore de Sicile nous rapporte les histoires de l’arabe Héraïs qui devient Diophante et de Callo de la cité d’Épidaure qui masculinise son nom en ajoutant un « n » pour devenir Callon136. Ces histoires obéissent au même schéma : il s’agit d’une femme qui devient un homme, et jamais l’inverse, sûrement – comme cela arrive en ces occasions d’hermaphrodisme – lorsque le clitoris est d’une certaine ampleur et qu’il prend l’aspect d’un pénis pourvu d’un gland. Contrairement aux cas de l’époque moderne étudiés par Michel Foucault, ces femmes devenues hommes sont socialement reconnues comme telles ou plutôt comme tels, l’une d’entre elle subissant d’ailleurs une intervention chirurgicale. Pline rapporte aussi des exemples où il est question non pas de mélange de sexe mais d’un changement de l’un à l’autre, sûrement imposé par la logique sociale :
Le changement de femmes en hommes n’est pas une fable. Nous avons observé dans les Annales que, sous le consulat de P. Licinius Crassus et de C. Cassius Longinus, une fille, encore sous la puissance paternelle, devint un garçon à Casinum, et fut transportée, par l’ordre des haruspices, dans une île déserte. Licinius Mucianus rapporte qu’il vit à Argos Arescon qui avait porté le nom d’Arercuse, qui avait même pris mari : il lui vint de la barbe et des parties viriles, et il prit femme. Il en arriva autant à un garçon de Smyrne qu’a vu le même Licinius Mucianus. Moi-même j’ai vu en Afrique L. Cossicius, citoyen de Thysdris, qui fut changé en mâle le jour de ses noces137.
70La fille devenue garçon n’est pas exécutée, elle est juste recluse sous ordre des haruspices. Elle dut très certainement son salut aux circonstances politiques du temps : l’époque de ces consuls, an 581 de la fondation de Rome c’est-à-dire 172 av. J.-C., n’est pas particulièrement troublée. Il n’en fut pas de même pour cette femme de Naples dont Diodore nous raconte la mésaventure. Mariée, il s’avéra bientôt qu’elle était un homme ou du moins qu’elle possédait aussi un membre viril, très certainement un clitoris phallique révélé tardivement. Malheureusement, Rome entamait sa guerre contre les Marses138, peuple du Latium, et la valeur prophétique dut prendre d’autant plus d’importance. Aussi, le mari la dénonça au sénat et les devins étrusques la condamnèrent à être brûlée vive139 contrairement aux femmes des histoires précédentes, elle n’eut pas à changer de sexe et à s’y tenir mais, considérée comme androgyne, elle fut supprimée en tant que mauvais présage. Ainsi, à propos des hermaphrodites exécutés tardivement dont parlent Tite-Live et Julius Obsequens, il serait préférable d’attribuer ce décalage au fait que la dimension prophétique passa inaperçue à l’époque de leur venue au monde pour revenir au galop par la suite et pour leur plus grand malheur, à un moment où l’on cherchait des prodiges susceptibles d’apporter une justification et surtout pour mettre un terme aux catastrophes du temps. Il est vrai qu’un siècle et demi après la dernière exécution par noyade d’un androgyne, la plus récente rapportée par Julius Obsequens datant de 99 av. J.-C.140, Pline constate un changement radical en leur faveur et caricature un peu rapidement la situation. De prodiges antérieurement, ils n’étaient plus à l’époque contemporaine, nous dit l’encyclopédiste, que des objets de plaisir. Pline idéalise ! Comment est-on passé d’un sentiment d’horreur religieuse à une excitation érotique ? par l’intermédiaire d’Hermaphrodite, personnage imaginaire de la mythologie grecque. La statuaire sut le représenter en des positions lascives suggestives141. Il y a là une forte part de phantasme que pouvaient certes assouvir certains grands personnages et qu’une partie de la pornographie contemporaine semble redécouvrir142. D’ailleurs, Pline souligne le changement de vocabulaire : « il naît aussi des enfants qui ont les deux sexes : nous les appelons hermaphrodites ; on les appelait autrefois androgynes, et on les regardait comme des prodiges : aujourd’hui on en fait un objet de délices143». Les deux mots sont toutefois d’origine grecque ; le latin, semble-t-il, ne disposait pas vraiment de mot spécifique autre que les génériques monstrum ou portentum, à l’exception toutefois du terme semimas,- aris, « moitié mâle », qui désigne aussi bien les hommes et les animaux châtrés que les débauchés144. Le premier, « androgyne », formé sur les racines andr-, « homme » et gyn-, « femme », en grec androgúnos (ἀνδρογύνος), est un adjectif éventuellement substantivé appartenant à cette famille d’adjectifs qui se déclinent au féminin comme au masculin, c’est-à-dire selon la deuxième déclinaison. Ici, la grammaire se garde tout particulièrement d’imposer un choix ! En fait, le grec semble distinguer les tendances sexuelles selon l’organisation des mots puisqu’il existe le symétrique gúnandros (γύνανδρος). Ainsi, androgúnos, littéralement « homme-femme » désignerait d’abord un homme efféminé et éventuellement un hermaphrodite selon le processus ♂ → ♀ En revanche, le ou la gúnandros, « femme-homme », correspondrait à une femme virile et à l’occasion un être bisexuel dans le sens ♀ → ♂ En réalité, la valeur de cet « homme-femme » et de cette « femme-homme » est plus souvent conçue comme une qualité morale – certes déterminée par la physiologie avec notamment la proportion des semences145 – et plus rarement comme un réel mélange des sexes. Toutefois, la forme gúnandros ne semble pas être usitée en latin, le mot *gynandrus, -a n’étant pas attesté. Dans les textes relatant des prodiges, nous venons de le voir, c’est la forme générique androgynus qui est employée, forme qui semble être populaire comme en témoigne cette réflexion de Tite-Live, « androgyne, comme on les appelle couramment (vulgus... appelat) ». Dans ce cas précis, seule la forme masculine est employée : si l’androgyne mélange les deux sexes, la grammaire lui impose toutefois son appartenance au genre masculin. C’est en fait dans un tout autre contexte que l’on rencontre la forme féminine d’androgynus puisqu’il s’agit de décrire non pas un physique ambigu mais une qualité morale. Dans ses Faits et dires mémorables, Valère Maxime (début du ier siècle ap. J.-C.) nous parle d’une certaine Amesia, de la ville de Sentinum en Ombrie, qui se serait défendue seule en justice avec une telle ardeur qu’elle avait été surnommée par la suite, Androgyne146. Or l’auteur écrit « Androgynen appelabant » alors que la forme accusative attendue en latin serait soit androgynam soit androgynem. Cet androgynen est en réalité l’accusatif correspondant dans la langue grecque (ἀνδρογύνην), ce qui souligne d’une part l’importance du référent hellénique dans ce domaine et d’autre part, le caractère néologique de la forme féminine. L’imaginaire – positif – de ce quasi-oxymore, « feminae virilem », est ici exclusivement moral, sans aucune allusion physique, à la différence d’une formule telle que « feminae marem » qui aurait plus impliqué le mâle du côté de la nature. Cette dimension morale n’est d’ailleurs pas absente des mots grecs et avec androgúnos, on approche de l’idée de débauche, c’est-à-dire de rôle et d’obligations non assumés selon son sexe. Ainsi, dans une épigramme attribuée à un certain Myrinos en qui certains ont voulu voir la forme hellénisée de Lucinius Varron Murena (siècle d’Auguste), érudit latin qui se plaisait à écrire aussi en grec, le vieux Ploutôn Statylios, débauché qui se parfume à outrance, qui porte des habits féminins, se maquille et s’est affublé de cheveux postiches, est-il qualifié d’androgúnos, qu’il faudrait traduire ici par « homme féminisée »147. L’univers du plaisir et de la perdition morale n’est donc pas loin : il est tout à fait condamnable de ne pas faire honneur à son sexe, comme put l’être aussi durant un temps de sa vie mythique, le héros Héraclès sous l’influence d’Omphale148. Ainsi, lorsque Pline constate le recul du mot « androgyne » face à « hermaphrodite », le premier pouvait posséder déjà, pour une bonne part, cette connotation qu’il attribue entièrement au second, celle d’objet de délices, mis particulièrement en valeur dans la sculpture. L’hermaphrodite fut un thème de prédilection pour la sculpture mais ce personnage mythique d’Hermaphroditos, fils d’Hermès et d’Aphrodite, incarne l’union des corps dans l’amour149. Pour le héros, il ne s’agit pas d’une pathologie de naissance mais d’un état acquis qui, d’une certaine manière, apparaît comme le symétrique du mythe des trois sexes originels raconté par Aristophane dans le Banquet de Platon. Les représentations iconographiques de cet Hermaphrodite n’ont rien de pathologique au sens qu’elles ne veulent pas figurer une horreur repoussante, bien au contraire. Il n’y a donc pas de clitoris excessivement développé ou de barbe poussant sur le visage d’une femme. L’hermaphrodite présente l’union des deux sexes de manière bien typée où taille et poitrine de femme accompagnent un membre viril parfaitement formé et dépourvu de toute vulve attenante. La représentation d’abord d’origine hellénique, consiste en réalité à mettre en parallèle les attributs considérés comme les plus beaux de chaque sexe, les seins et le phallus150. Elle va même jusqu’à symboliser la mixité sexuelle dans le cadre de bains ouverts aussi bien aux femmes qu’aux hommes151.
71Pour revenir aux actions de grande ampleur entreprises à Rome à l’encontre des monstres, l’une des dernières semblerait celle attribuée dans la Pharsale de Lucain au vieux devin étrusque Arruns, en 48 av. J.-C. alors que César vient de franchir le Rubicon et marche sur Rome. De nombreux prodiges néfastes se produisent alors au nombre desquels des naissances monstrueuses152. Le vieillard toscan propose de brûler tous les produits mal nés : « Monstra iubet primum quae nullo semine discors/protulerat natura rapi sterilique nefandes/ex utero fetus infaustis urere flammis153. »
72Par la suite, ce genre d’action n’a plus eu tellement cours. La stabilité politique et la « paix » d’Auguste dut jouer pour beaucoup. Toutefois, la pratique publique et privée de la divination toscane ne faiblit pas. Le sénat avait déjà vers le iie siècle av. J.-C., légiféré pour que soit poursuivi l’enseignement de cette science154 mais le mouvement de ce que l’on a pu appeler la « renaissance étrusque » ne s’arrête pas là : les savoirs furent mis par écrit et des traités anciens traduits en latin155. Par ailleurs, au ier siècle ap. J.-C., l’empereur Claude créa le collège des Haruspices156. Ainsi donc, une chose est claire, cette disparition au début de l’Empire des procurationes expiatoires et cette évidente inflation des naissances tératologiques dans les pratiques divinatoires ne correspondent pas véritablement à un déclin d’influence de la culture étrusque.
Le droit romain
73Le droit s’intéresse aux monstres mais pour des questions juridiques matrimoniales ordinaires. L’on ne trouve nulles traces d’exécutions obligatoires de ces enfants. Les auteurs jurisconsultes se demandent plutôt si un petit monstre peut être comptabilisé au nombre des enfants légitimes et s’il peut ainsi contribuer à donner à la mère le titre privilégié de ter enixa, « trois fois mère ». Selon Ulpien, iiie siècle ap. J.-C.157, le monstre même le plus éloigné de l’humanité (non humanae figurae sed alterius, magis animalis quam humanis) compte parmi les enfants car comme l’enfant mort-né, il est la marque de la bonne volonté des parents. De son côté, le jurisconsulte Paul est plus sévère puisqu’il distingue deux situations : si le nouveau-né a plusieurs membres en trop, il peut être comptabilisé mais s’il n’a pas forme humaine, il ne peut être quantifié (non sunt enim liberi, qui contra formam humani generis [...] partum, qui membrorum humanorum officia duplicavit, aliquatenus videtur effectus et ideo inter liberos connumerabitur)158. En revanche, les triplés donnent en une seule fois à la mère son statut privilégié. D’autres questions portent encore sur l’enfant posthume monstrueux et sur son pouvoir de briser le testament159. Nous voyons bien avec ces quelques exemples que les soucis juridiques sont de nature bien différente, le droit ayant exclu de son domaine, les aspects surnaturels. Quant à son effort de classification rigoureuse, il va jusqu’à nier la définition médicalement reconnue de l’hermaphrodisme. Ainsi, selon le droit romain, on ne peut être à la fois homme et femme160: les anecdotes de Diodore vues plus haut vont dans ce sens. Quant à la loi 135 du Digeste (50, 16), elle définit trois types de malformations, c’est-à-dire trois types de gravités, les êtres portentosa, monstruosa et debile, le sens religieux des deux premiers mots étant étranger aux préoccupations juridiques.
Christianisme versus paganisme
74Au ive siècle, cette dévaluation progressive est largement entamée. À propos des sacrifices lustraux, Jérôme ne fait allusion à aucun rite en vigueur auprès de ses contemporains païens mais il se réfère seulement aux « vielles histoires161 ». D’ailleurs, Augustin parle d’un monstre double en Y qui vécut longtemps et que beaucoup allaient visiter :
Il y a quelques années, à notre époque cependant, naquit en Orient, un homme double quant à ses membres supérieurs, simple quant aux inférieurs : il avait deux têtes, deux poitrines, quatre mains ; mais comme un homme normal, un seul ventre et deux pieds. Il vécut assez longtemps pour que la renommée lui attirât un grand nombre de curieux162.
75S’agit-il du monstre qui serait né en 358-359 à Daphné, faubourg d’Antioche, dont parle Ammien Marcellin et qui était « horrible à voir et à décrire, un enfant bicéphale, avec une double dentition, une barbe, quatre yeux et deux oreilles minuscules163 ». Selon la signification classique des monstres bicéphales, ce nouveau-né si contrefait aurait laissé présager l’avilissement de la puissance romaine. Cependant, précise l’auteur, « des naissances de ce genre se produisent souvent et annoncent le tout que vont prendre différentes affaires, mais comme elles ne sont plus l’objet de purifications officielles, comme elles l’étaient chez nos ancêtres (ut apud veteres), on en parle point et elles passent inaperçues ». Le ton semble assez nostalgique et sous la plume de ce partisan de Julien l’Apostat, il est tentant d’y déceler une attaque toute particulière contre le christianisme, religion reconnue et adoptée par le pouvoir impérial depuis le début du siècle. L’importance accordée aux naissances monstrueuses décline depuis longtemps164 mais si Ammien Marcellin se réfère à d’anciennes pratiques déjà chancelantes, c’est pour revigorer l’identité païenne à l’encontre d’un christianisme qui manifeste à haute voix son hostilité vis-à-vis de la divination et de toute la religion traditionnelle. Ce thème fut l’un des sujets de polémique entre intellectuels des deux courants religieux adverses : dans sa critique du passé non encore chrétien, Orose (390-418) ironise sur l’attention des païens à l’égard des prodiges au nombre desquels les naissances monstrueuses165. Il poursuivait les attaques proférées par son maître Augustin (354-430), lequel d’ailleurs ne l’approuva pas en tout, lui qui construisit la critique la plus virulente à l’encontre des païens, notamment sur la divination et la place des monstres dans la nature. Pour l’évêque d’Hippone, le monstre ne présente aucune dimension divinatoire. Dans l’esprit d’Aristote et de la philosophie plinienne de la nature, il refuse de le considérer comme un être contre nature puisque le créateur sait ce qu’il fait : « les éclipses [...], les tremblements de terre, les naissances monstrueuses chez les animaux et mille choses semblables n’arrivent sans la volonté de Dieu166». Quant aux races monstrueuses qui peupleraient le monde à la périphérie des terres connues, elles sont humaines et donc descendent des enfants de Noé et même d’Adam167 Tous ces phénomènes révèlent la beauté générale de la Création et Dieu ne peut s’être trompé lorsqu’il crée un enfant avec plus de cinq doigts aux mains. En réalité, dans ces controverses entre chrétiens et païens, Augustin attaque moins la vision proprement religieuse de ses adversaires et leur attention toute particulière pour les prodiges que la méthode philosophique dont il condamne la vanité (vanitas philosophorum). Ces philosophes, poursuit-il, ne s’intéressent qu’aux causes matérielles et secondes au lieu de remonter à la cause première qui est la volonté divine (id est voluntatem Dei)168. Sur les monstres, sa position est donc plus anti-matérialiste qu’anti-païenne au sens religieux. Le monstre comporte une finalité divine – il s’écarte donc sur ce point d’Aristote pour qui le monstre pouvait être défini par l’absence de finalité – qui n’est pas prophétique mais contemplative : il montre la toute-puissance divine et la variété du monde en tant qu’œuvre de Dieu. C’est cette position intermédiaire qui pourrait expliquer la valeur prophétique que les docteurs chrétiens postérieurs ne craignirent pas d’attribuer à nouveau aux monstra et autres portenta.
76Durant toute cette période d’affrontements idéologiques des ive et ve siècles, les naissances monstrueuses comme les prodiges en général apparaissent comme l’une des pierres d’angle des joutes rhétoriques et philosophiques mais certains événements politiques troublent quelque peu les données établies. Comme le regrettait en son temps Thucydide169, les peuples en danger se jettent toujours dans les bras des superstitions les plus folles et bien des anecdotes rapportent des faits comparables dans les moments critiques : par exemple, durant le siège de Rome par le Goth Alaric (408), le pape Innocent Ier consulte les haruspices170 ou encore, assiégés par les Arabes en 717, les habitants de Pergame tuent une femme enceinte, l’éventrent et confectionnent avec le fœtus une soupe magique171. Peu importe la véracité de ces dire, ils expriment à leur manière une donnée psychologique indéniable. Quoi qu’il en soit, l’enjeu idéologique du monstre semble décliner au vie siècle. Grégoire de Tours (538-594), homme d’Église issu de la gente patricienne gallo-romaine, multiplie dans ses écrits les récits de prodiges172. Le refus identitaire de se référer à des signes n’est plus strictement observé et le contexte trouble du règne de Chilpéric (580) contribue largement à ce recours. Parmi tous les prodiges cités, il n’est fait aucune allusion à des naissances monstrueuses. Ce ne sont souvent que des phénomènes astrologiques, géologiques ou humains de grande ampleur comme des épidémies ou des incendie de villes etc. La question du monstre difforme est pourtant abordée par Grégoire mais dans un autre contexte, celui de la sexualité. Déjà, Jérôme voit dans une naissance monstrueuse la punition des seuls parents. En se limitant à la sphère privée, le monstre devient un élément central de la prophylaxie sexuelle chrétienne. Toutefois, pour les périodes antérieures, on peut se demander si l’importance de la croyance n’a pas été exagérée aussi bien par les chrétiens que par les païens c’est-à-dire s’ils n’ont pas surestimé l’ancrage d’une telle théorie qui relevait plus d’une culture religieuse d’élite que d’une croyance répandue dans la population.
L’Occident chrétien postérieur : Moyen Âge et Renaissance
77Nous avons insisté précédemment sur l’importance du contexte de la naissance. Cependant, il est bien évident que le réflexe ne se construit pas ex nihilo et qu’il n’a rien de naturel. Cependant la conjoncture n’est pas créatrice mais agit plutôt comme catalyseur, le recours à certaines croyances religieuses ne pouvant se faire que si ces croyances préexistent et si elles demeurent latentes dans le milieu culturel. Nous l’avons dit, une certaine ambiguïté d’Augustin a permis au monstre de retrouver rapidement en terre chrétienne, sa valeur de présage. Sur cette question, Isidore de Séville (560-636) apparaît comme une charnière. Ce contemporain de Grégoire de Tours et proche du pape Grégoire le Grand, consacre aux monstres un paragraphe non négligeable de sa synthèse encyclopédique, les Origines ou Étymologies (livre XI, chap., De portentis173). Du temps s’est écoulé depuis Augustin et Orose et l’évêque de Séville se trouve sur ce point, plus proche de l’esprit d’un Grégoire de Tours. Bien entendu, l’époque n’est plus aux lustrations et aux rites expiatoires qui pouvaient se terminer par l’exécution du monstre174 mais dans ce texte qui inspira une bonne part de la tératologie médiévale, Isidore développe de manière claire la théorie divinatoire des phénomènes tératologiques. Deux siècles plus tard, en se fondant sur ce texte, Raban Maur (780-856), abbé de l’abbaye de Fulda, louait encore cette forme de tératomancie175. Toutefois, il convient de souligner que ces auteurs du Haut Moyen Âge appartiennent au cercle réduit de la culture savante ecclésiastique et on ne peut pas véritablement se fier à leur seul témoignage pour déduire une éventuelle théorie divinatoire dans la population. Dans l’imaginaire savant, l’esprit demeura présent notamment avec la légende d’Alexandre le Grand et l’enfant monstrueux qui aurait pronostiqué sa mort à Babylone. Isidore résume brièvement cette vieille histoire, qui comme nous l’avons vu, remonte au IIIe s. av. J.-C.176. Même si pour l’époque médiévale, il existe des représentations iconographiques diverses de ce monstre, nous avons affaire à des sources d’esprit avant tout littéraire177.
78Au xiie siècle, une certaine exégèse des monstres est établie mais elle repose d’abord sur le thème des races monstrueuses dont chacune contient une signification morale, positive ou négative178. À côté de cette tendance, au xiiie, Albert le Grand fonde son discours tératologique essentiellement sur Aristote et n’accorde aucune valeur prophétique à ces frères siamois qui auraient vécu vingt ans et dont il a entendu parler par des témoins dignes de foi (narraverunt nobis multi fide digni)179. Ce regard, curieux mais dépourvu de toute analyse divinatoire, semble une tendance générale dans les écrits savants. Au xiiie siècle encore, l’encyclopédie écrite en langue vernaculaire, le Dialogue de Placide et Timeo180, la par causes exclusivement matérielles ; diverses anecdotes décrivent le monstre, en particulier les monstres doubles, comme une curiosité de la nature attirant le public. Ce comportement est souvent évoqué durant le Moyen Âge et l’époque moderne pour devenir fréquent au xixe siècle avec les cirques où l’on allait admirer les « phénomènes ». Augustin connaissait de réputation ce monstre double qu’en payant l’on venait voir. Le christianisme ayant prohibé l’infanticide, ces cas de figures pouvaient être devenus plus fréquents, alors qu’à l’époque préchrétienne, de tels enfants étaient tués comme tous ceux déclarés indésirables sans que la raison en fût forcément religieuse181. Citons comme exemple les deux filles siamoises qui naquirent le 6 juin 1429 à Aubervilliers : « deux testes, quatre bras, deux coulz, quatre jambes, quatre piez, et n’avœint que ung ventre, ne que ung nombril182 ». La mère, Gillette Discret, s’en sort vivante, elle reçoit de la part des curieux, « plus de dix mil personnes », offrandes et aumônes et les deux enfants sont baptisées (christiennées) – très certainement deux fois comme les théologiens le préconisaient car deux têtes signifient deux âmes183 – d’ailleurs, elle reçoivent deux prénoms, « la dextre fut nommée Agnès, la senestre Jehanne » ; après leur baptême elles vivent une heure.
79Le Bourgeois de Paris qui nous rapporte ce récit, précise qu’il a pu les tenir dans ses bras et on peut se représenter la scène grâce à une enluminure contemporaine des événements184. Dans l’esprit de ces témoins, ces faits divers ne s’analysent pas autrement que comme des curiosités de la nature. Pas de dimension prophétique et ce malgré le contexte politique difficile que fut le début du règne de Charles VII. Il n’est fait nullement allusion à un quelconque message divin néfaste bien que la situation semble idéale : il naît des monstres doubles alors que la France connaît une contestation du trône ! Seul le choix de l’un des deux prénoms, Jehanne, nous replonge dans l’actualité du temps. D’ailleurs, quelques décennies plus tard, dans les présages favorables à la victoire de Charles VII, les Vigiles de Charles VII de Martial d’Auvergne n’évoquent qu’une croix apparaissant dans le ciel : pas de monstre humain ou animal au service d’un quelconque message185. En fait, dans les manuscrits illustrés de Tite-Live ou dans les traditions historiques médiévales, les nombreux présages signalés sont, comme nous l’avons dit pour Grégoire de Tours, essentiellement de nature sismique ou céleste à l’instar des conjonctions des astres, des éclipses, des comètes, des météores ou encore du comportement des oiseaux : c’est le cas notamment des prodiges qui annoncent la mort de Charlemagne dans les Chroniques françaises de Guillaume Crétin186. Il existait donc de nombreux moyens divinatoires plus ou moins tolérés et encadrés – d’origine savante comme l’astrologie – visiblement préférés à la lecture des monstres biologiques. Il y a certes un passage de Vincent de Beauvais (1190-1264) qui rapporte une anecdote accompagnée d’une analyse tératomantique : au début du règne de Guillaume de Normandie (Guilielmus), vers 1060, naquit deux filles doubles avec deux têtes, quatre bras et tout le reste en double jusqu’au nombril. L’encyclopédiste médiéval ajoute, sur la foi de ses sources, que l’une des deux têtes mangeait plus que l’autre et qu’elle commandait le reste du corps, symbolisant ainsi l’union de la Normandie et de l’Angleterre, sous autorité de la première, et préfigurant l’issue politique de la bataille d’Hastings en 1066187. En fait, il s’agit, comme pour l’enfant d’Alexandre, d’une histoire officielle, tirée d’annales savantes écrites après coup et éventuellement contaminées par d’autres sources antérieures. Rien ne prouve que, sur le moment, les siamoises furent ainsi analysées et Vincent précise bien avant son commentaire : « il est possible à partir [...] de la tradition savante... (Putatum est a quibusdam, et literis traditum quod...) » Chez le Bourgeois et les Parisiens de 1429, la lecture prophétique de la naissance d’un être double n’allait pas de soi, et n’était pas réinterprétée a posteriori : aurait-elle été trop défavorable à la cause par une union symbolisant les couronnes de France et d’Angleterre ? De fait, elle n’est pas énoncée, l’explication mantique d’un monstre double n’a rien d’un réflexe évident. La lecture tératomantique du monstre double lui attribue très souvent – et nous avons pu dire de manière universelle – un sens de dyarchie ou de discorde politique mais cela ne signifie pas pour autant que cette tératomancie est universelle et systématiquement évoquée.
80En fait, le retour du monstre, dès la fin du xve siècle, dans la sphère publique s’établit sur des facteurs littéraires et non politiques. C’est la redécouverte, la traduction et l’exégèse des traités anciens qui sont déterminantes, ainsi qu’une tradition savante sur le point de se répandre par les feuilles volantes ou « canards ». Le phénomène culturel appartient d’abord à la culture savante écrite avant d’être, pour un temps seulement, démocratisé. De même, si l’attention portée à l’égard des monstres et des prodiges a été forte dans une période de l’histoire romaine, c’est qu’elle venait d’une science constituée et complexe, la mantique étrusque d’origine mésopotamienne. Les circonstances conjoncturelles n’ont fait que stimuler une réalité déjà existante. Dans l’Europe du xvie siècle, la montée rapide de l’intérêt prophétique des monstres n’a d’égal que son déclin assez net, dès la fin du siècle et ce du moins, dans les écrits savants188. En effet, le manque de relais efficace dans le reste de la société n’a pu contenir les critiques des uns et l’indifférence des autres pour qui la monstruosité de certains rejetons, humains et animaux, trouvait son explication dans d’autres causes et d’autres théories, notamment celle de l’imagination et de l’émotion. Il est ainsi impossible d’établir une vision proprement chrétienne ou propre à l’époque moderne. Les écrits les plus contradictoires peuvent être comparés et on pourra encore les confronter à des faits. Indifférence, simple curiosité ou peur panique accompagnée de l’exécution du petit être et de sa mère. La palette est large et dans ce dernier cas, comment définir le référent ? Est-il inquisitorial – théories officielles de l’Église catholique – ou s’appuie-t-il plutôt sur les lectures des Anciens comme Tite-Live ou Julius Obsequens ? En bref, pour chacun de ces faits divers, il conviendrait de prendre en compte de nombreux paramètres, sociaux, religieux ou intellectuels. Il n’existe pas en la matière, de théorie véritablement propre à son époque ni même à son contexte culturel, intellectuel et social. Certes, des historiens ont pu souligner certains changements dans les théories savantes dominantes, entre le début du xvie et le début du xviie siècles189 mais la chose ne peut être conçue comme une évolution nécessaire et positive. Ces évolutions ou ces changements s’accomplissent en fonction d’un nombre limité de directions, prises ou rejetées en un moment et dans un contexte donné pour des raisons que l’historien tente d’établir. Dans tous les cas, il semble que la théorie tératomantique n’était pas tellement inscrite dans les usages mais qu’elle appartenait plutôt à une culture d’élite. C’est le cas aussi bien pour l’Antiquité païenne que pour les époques postérieures, les périodes médiévale et moderne.
81Ces théories dites « surnaturelles » sont variées et il apparaît bien illusoire de les présenter au sein d’une catégorie homogène caractéristique d’une pensée religieuse et primitive : il convenait donc d’en discerner les aspects essentiels. Les trois registres que nous avons distingués selon plusieurs critères, convergent sur quelques points notamment dans leur dimension morale.
82Cependant, il n’y a guère que le premier registre, celui du particulier, qui soit attesté de manière durable et disons le mot, universelle. On explique une naissance malheureuse par une faute morale ou cultuelle accomplie par le particulier ou ses proches et stigmatisée dans la chair de sa descendance. Un devoir religieux complémentaire a fait défaut dans la fabrication d’un enfant. La culpabilité individuelle s’en trouve grandie mais l’ensemble du discours conserve une certaine crédibilité. D’un côté, la dimension trop mythique et théorique du second registre, de l’autre, la complexité du troisième (tératomancie) avec son caractère virtuose (culture d’élite) ne permettent pas d’apporter une solution satisfaisante aux interrogations quotidiennes. La réponse au pourquoi y est essentiellement collective et ne parvient donc pas à assouvir la quête individuelle (généthliaque) du sens.
83C’est dans le premier registre, en réalité le plus répandu, qu’apparaît en filigrane le thème de la sexualité. C’est pourquoi il va nous falloir étudier les aspects moraux de la teknopoía, lesquels comptent parmi les soucis les plus représentés au regard des considérations théoriques ou trop impersonnelles des deux autres registres. Les prohibitions – ou recommandations – sexuelles apparaissent comme des ponts jetés entre deux dimensions complémentaires : l’une est matérielle et physiologique comme l’acte sexuel de la procréation, l’autre est divine, c’est-à-dire qu’elle relève de la loi morale. Ce va-et-vient incessant entre ces deux pôles que sont la physiologie et la morale constitue un point fondamental de cette question.
Notes de bas de page
1 La dimension néfaste des moissons humaines correspond à celles que pratique Arès en fauchant les jeunesses dans la guerre : par exemple Eschyle, Suppliantes, v. 637 sq.
2 Arnold Van Gennep, Les rites de passage, Picard, 1909, p. 57-64.
3 Sur la question dans l’Europe moderne, voir par exemple Mireille Laget, Naissances : l’accouchement avant l’âge de la clinique, Seuil, 1982, passim. Pour la grossesse et l’accouchement, Ernesto de Martino parle de « condition organico-psychique de morbidité magique » (Italie du sud et magie, Gallimard-NRF, 1963, p. 45).
4 C. 1. Voir aussi par exemple Maladie sacrée, c. 2.
5 Lucrèce, De la nature des choses, IV, 1233-1238, trad. Henri Clouard (Garnier, 1964) : « Ce ne sont pas les puissances divines qui refusent à un être humain la semence créatrice, le privent de ce qu’il y a de douceur dans le nom de père et le condamnent à passer tout son âge en amours stériles. C’est pourtant ce qu’on croit trop souvent. » Sur l’ironie à l’égard de ces sacrifices, voir Diogène Laërce, VI, « Diogène » (GF, t. II, p. 30).
6 Xénophon, Économique, V, 18-19.
7 Françoise Frontisi-Ducroux, Dédale. Mythologie de l’artisan en Grèce ancienne, La Découverte, 1975.
8 Quelques exemples dans Martin P. Nilsson, La religion populaire dans la Grèce ancienne, Plon, 1954, p. 149-153.
9 Par exemple Bronislaw Malinowski, Les Argonautes du Pacifique occidental (1922), Gallimard-NRF, 1963, p. 173-176.
10 Platon, Lois, VI, 775e : « archè gàr kaì theòs ». Procréer c’est lui rendre culte.
11 Sur l’Énéide, III, 136, trad. personnelle : « chez les anciens, l’on ne prenait pas femme ni ne labourait son champ sans avoir d’abord offert des sacrifices ».
12 Par exemple Homère, Odyssée, V, 429 ; Pausanias, II, 32, 12 ; III, 13, 9 (Aphrodite).
13 Jean-Pierre Vernant, La mort dans les yeux. Figures de l’autre en Grèce ancienne, Hachette, 1985, p. 15-38.
14 Par exemple Plutarque, Superstitions, 10, 170b.
15 Anthologie palatine, VI, 157 ; 267. Pour ne pas avoir observé ces rites, Oineus vit son champ dévasté et son fils Méléagre périr des conséquences du ressentiment de la déesse (Homère, Iliade, IX, 533 sq.).
16 Anthologie palatine, VI, 271 ; 274. Voir l’interdit hésiodique – et pythagorique – de se faire les ongles dans les lieux de culte.
17 Par exemple Euripide, Hippolyte, v. 448 ; Apulée, Métamorphose, IV, 29.
18 Callimaque, Artémis, 126 : « les femmes meurent en couches d’un coup subit, ou, si elles échappent, mettent au monde une progéniture qui ne se tient pas droit et fermes ».
19 Déjà chez Eschyle, il y a un rapprochement entre Artémis et Hécate : Suppliantes, v. 675-680, dont 678-679 : « qu’Artémis Hécate veille aux couches de ses femmes ».
20 Εἰλείθυια. Une étymologie possible du nom renvoie à la divinité sémitique Lilith (תליל) qui est la représentation de la nuit (הליל). Elle est une sorte de sorcière qui se venge en volant ou en affaiblissant les nouveau-nés et les enfants. Une autre étymologie sémitique consiste à rapprocher le nom de la racine yld (רלי) : « enfant, enfanter ».
21 IV, 23, 7.
22 La démonologie ancienne présente un ensemble complexe de théories nombreuses et fort diverses. Voir par exemple Marcel Detienne, De la pensée religieuse à la pensée philosophique : la notion de daïmôn dans le pythagorisme ancien, Paris, Les Belles Lettres, 1963.
23 En Grèce, il existe un démon femelle, Gellô (Γελλώ), qui vole les enfants ou leur suce le sang : les enfants ainsi atrophiés sont dits γιλλόδρωτα. Les folklores des divers pays d’Europe ou d’ailleurs comportent des entités semblables, comme la Babayaga russe ou la fée Carabosse. On peut en outre penser au thème plutôt médiéval des enfants changelins.
24 Connues en particulier par trois auteurs chrétiens qui auraient puisé leurs renseignements chez Fabius Pictor (Libri iuris pontifici) et Gravius Flaccus (De indigitamentis) : Tertullien (v.155-v. 220) en son traité De l’âme, Arnobe († 327) dans son Contre les païens et Augustin (354-430) en sa Cité de Dieu.
25 Augustin, Cité de Dieu, VII, 2. Janus était tantôt Patulcius (celui qui ouvre), tantôt Clusius (celui qui ferme). Voir Ovide, Fastes, I, 129-130 ; Arnobe, Contre les païens, IV, 7.
26 Augustin écrit (Cité de Dieu, VII, 2) : « Ibi Liber, qui marem effuso semine liberat ; ibi Libera, quam et Venerem volunt, quae hoc idem beneficium conferat feminae, ut etiam ipsa emisso semine liberetur. » Libera aussi est censée libérer la semence de la femme. Cela ne doit pas nous pousser à conclure que la théorie de la double semence était partagée par l’ancienne tradition romaine. Augustin est plutôt redevable à la culture médicale savante qui reconnaissait unanimement – le point de vue d’Aristote n’étant pas retenu dans la compilation d’Oribase au ive siècle ap. J.-C. – une semence féminine certes de moins bonne qualité.
27 Arnobe, Contre les païens, III, 30 ; Tertullien, De l’âme, II, 11. Fluvonia, Fluone a la même racine que le verbe fluo, -ere, « couler », et le substantif fluxus, « fluide ». Le nom Mena se rapporte à la lune : racine grecque mên-.
28 Elle nourrit l’enfant dans le ventre maternel (« Alendi in utero fetus »).
29 Arnobe, Contre les païens, III, 30 ; IV, 7.
30 Sur les deux aspects de Carmenta, son rôle embryologique et son rôle divinatoire, voir L. L. Tels de Jong, Sur quelques divinités romaines de la naissance et de la prophétie, Amsterdam, Hakkert, 1960 ; Nicole Belmont, Les signes de la naissance, Plon, 1971, p. 161-180 ; Georges Dumézil, Apollon sonore, Gallimard, 1992, p. 101-106.
31 Lucine a pour fonction de « mener l’enfant à la lumière » (lux). Ovide, Fastes, III, 255-256 : « Dicite “Tu nobis lucem, Lucina, dedisti” / dicite “tu voto parturientis ades”. »
32 Nous pouvons encore évoquer les imprécations inscrites sur des amulettes ou des papyrus magiques du genre : « Toi qui mets en place le disque du soleil, mets en place où elle doit être la matrice d’une telle. » Voir Danielle Gourévitch, « Grossesse et accouchement dans l’iconographie antique », Dossiers histoire et archéologie, n° 123, janvier 1988, p. 42-48 (dont p. 43-44).
33 Ovide, Fastes, III, 257-258 : « Siqua tamen gravida est, resoluto crine precetur / ut solvat partus molliter illa suos. »
34 Anthologie palatine, VI, 59 ; 200-202.
35 Pausanias, II, 33, 1. C’est un cas unique concernant Athéna et sa signification serait différente de celle du culte plus répandu d’Artémis. Voir Pauline Schmitt, « Athéna Apatouria et la ceinture : les aspects féminins des Apatouries à Athènes », Annales ESC, 1977, n° 6, p. 1059-1073.
36 Ce nœud dit d’Hercule est aussi l’objet de commentaires dans le monde romain. Il en est question chez Pline l’Ancien (HN, XXVIII, 64 : nodus Herculis) Festus lui consacre un article (in Paul, 55, 16 L) : la source serait Verrius Flaccus selon qui ce type de nœud servait entre autre à nouer la robe de la mariée.
37 Plutarque, Lycurgue, 15.
38 Ovide, Métamorphoses, IX, 310 sq. ; HN, 28, 59 rappelle les situations où il est très déconseillé de croiser doigts, bras ou jambes.
39 Pline, HN, 28, 42 : « adicit Granius efficaciorem ad hoc esseferro exemptum. partus accelerat et mas, ex quo quaeque conceperit, si cinctu suo soluto feminam cinxerit, dein solverit adiecta precatione, et cinxisse eundem et soluturum, atque abierit ».
40 Il s’agit notamment d’une expression biblique où il est dit que Dieu « ouvrit » la matrice de Rachel (Genèse, 30, 22) et inversement qu’il « ferma » la matrice d’Anne (1 Samuel, 1, 5). La Septante grecque dit « ανεώξεν [ἄνοιξις, ouverture] ἀυτὴς τήν μητράν » [...] τήν μητράν » ; la Vulgate latine de Jérôme : « aperuit vulvam illius » et « concluserat vulvam eius ». Ces traductions rendent fidèlement le sens concret des mots hébreux PTH (התפ) et SGR (רגס), ouvrir et fermer la matrice (RèHèM, пהר) comme on ferme une porte.
41 James George Frazer, Le rameau d’or, Robert Laffont, 1981, t. I, p. 652-654.
42 Jeannine Auboyer, La vie quotidienne dans l’Inde jusqu’au viiie siècle, Hachette, 1961, p. 234.
43 Par exemple, pour les ex-voto anatomiques de la Gaule notamment ceux trouvés dans les sources de la Seine, voir Aline Rousselle, Croire et guérir. La foi en Gaule dans l’Antiquité tardive, Fayard, 1990, p. 66-73 et complément de références à la note 10, p. 272. Sur ces ex-voto gynécologiques avec des photographies voir aussi Danielle Gourévitch, « Grossesse et accouchement dans l’iconographie antique », et Mirko D. Grmek et Danielle Gourévitch, Les maladies dans l’art antique, Fayard, 1998, p. 309-313.
44 Les Anciens rapprochaient son nom du verbe ineo, « saillir ».
45 Ovide, Fastes, II, 32 ; Servius, Sur l’Énéide, VIII, 343 ; Jean Lydus Des mois, IV, 20.
46 Textes réunis par A. Dieterich, Mutter Erde, 1913, p. 44 sq. : certains insistent sur la stérilité, d’autres sur l’imperfection ou encore sur la non-viabilité des produits.
47 Eschine, Contre Ctésiphon, 110 : « ἣ πόλις ᾓ ἰδιώτης ἣ ἔθνος ».
48 Ibid., 111, trad. Victor Martin et Guy de Budé, Paris, CUF, 1928 : « Καὶ ἐπεγεύται αὐτοῖς μήτε γῆν καρποὺς øέρειν, μήτε γυναῖκες τέκνα τίκτειν γονεῦσιν ἐοικοτα, αλλάτέρατα, μήτε βοσήματα κατά øύσιν γονἀς ποιεῖσθαι » Cette formule semble avoir contaminé le faux serment des Athéniens avant Platée (– 479) qui daterait plutôt du ive siècle av. J.-C. D’ailleurs, le texte que donne Diodore (IX, 29) ignore cette allusion aux monstres. Pour l’étude épigraphique de cette stèle athénienne du dème d’Acharnie, voir Louis Robert, Études épigraphiques et philologiques, Paris, Champion, 1938, p. 307-316.
49 Hérodote, III, 65, trad. Ph.-E. Legrand, Paris, CUF, 1939 : « Καὶ ταῦτα μὲν ποιεῦσι ὑμῖν γῆ τε καρπὸν ἐκøέροι καὶ γυναῖκές τε καὶ ποῖμναι τίκτοειν. »
50 Marie Delcourt, Stérilités mystérieuses et naissances maléfiques dans l’Antiquité classique, Liège, Bibliothèque de la faculté de philosophie et de lettres de l’université de Liège, 1938, p. 21.
51 TJ, v. 228-237, trad. Paul Mazon, CUF, 1982.
52 Ibid., v. 243-245.
53 Eschyle, Les Suppliantes, v. 634-639 et 659-665 : guerre (néfastes) ; 666-678 : piété et naissance heureuse d’enfants (fastes) ; 679-687 : guerre civile et maladies (néfastes) ; 689-697 : terres et troupeaux féconds, joie et poésie, (fastes) ; 698-709 : conduite à suivre (éviter la guerre, piété à l’égard des dieux et des ancêtres).
54 XIX, 109-114, trad. Victor Bérard, CUF.
55 Eschyle, Les Euménides, v. 938-948. Plus loin elles souhaitent des mariages heureux (956-967) et condamnent la guerre civile (976-987).
56 øλογμὸς peut désigner le feu de l’incendie criminel, auquel cas Eschyle pense à la guerre, ou le feu ardent du soleil, c’est-à-dire une sécheresse apportée par un vent chaud et sec, ou le feu du gel, la notion de « brûler » étant ambiguë, ou encore le « feu » de la maladie : la nielle.
57 Eschyle, Les Euménides, Trad. Émile Chambry, Garnier.
58 Paul Mazon, Marie Delcourt (p. 22), Émile Chambry.
59 « πλουτόχθων » peut aussi avoir un sens agricole. De toute manière, la richesse du sol de l’Attique était réputée autant pour la fertilité agricole que ses potentiels miniers et carriers. Voir Xénophon, Les revenus, 1.
60 Robert Halleux, « Fécondité des mines et sexualité des pierres dans l’Antiquité gréco-romaine », Revue belge de philologie et d’histoire, n° 48, 1970, p. 16-25.
61 Platon, République, II, 363b-c.
62 Analyse générale de cette histoire dans Pierre Vidal-Naquet, Le chasseur noir, Maspero-La Découverte, 1983, p. 249-266. Élien, Histoires véritables, frag. 47 = II, p. 205-206 Hercher. Comme le souligne Pierre Vidal-Naquet, ce sont bien évidemment les femmes de Locride qui mettent au monde des enfants difformes et non les esclaves envoyées à Ilion.
63 Georges Dumézil, L’idéologie tripartie des Indo-Européens, 1958, § 13 ; Mythe et épopée, Gallimard, t. I, 1968, p. 613-616.
64 On reconnaît la dominante des deuxième et troisième fonctions : vertu guerrière et abondance.
65 Françoise Leroux et Christian Guyonvarc’h, La société celtique, Ouest-France Université, 1981, p. 154-157, 170-171.
66 Par exemple sémitique : Deutéronome, 18, 1-14 et 18.
67 Récit de Lludd et Llevelys. Trad. J. Loth. Étudié dans Françoise Leroux et Christian Guyonvarc’h, La société celtique, p. 171 ainsi que par Georges Dumézil, Mythe et épopée, t. I, p. 613-616, comparé à des sources iraniennes – inscriptions de Darius – et indiennes du Rig Veda (p. 617-623).
68 Frazer, Le rameau d’or, op. cit., t. I, p. 327-333.
69 Françoise Héritier, Les deux sœurs et leur mère, Odile Jacob, 1994, p. 273 sq.
70 À propos de l’absence de charis dans les relations, mot que nous pourrions traduire par « consentement ».Voir Marcel Detienne, Les jardins d’Adonis. La mythologie des aromates en Grèce, Gallimard, 1972, p. 169 : « En Grèce archaïque, comme dans les sociétés du même type, la circulation des femmes est inséparable de l’échange et de la circulation des biens ; [...]. Bloquer la charis à l’un de ces niveaux, c’est perturber tout le système des échanges et des prestations, c’est porter la corruption jusqu’au cœur du rapport social. »
71 Dans l’ère celtique, c’est le cas du roi d’Irlande Carpre Cennchait. Parvenu à ce titre par le meurtre, les arbres ne portent plus de fruits et lui-même ne met au monde que des monstres.
72 Platon, Banquet, 188a-b. Trad. É. Chambry, Garnier, 1964.
73 Pline HN, II, 7.
74 Sous l’Empire, les empereurs n’échappaient pas à ce type de soupçons à l’occasion de catastrophes naturelles. Voir par exemple Tacite, Annales, IV, 64 ; XII, 43.
75 L’auteur hippocratique des Airs, eaux, lieux (10) conçoit qu’en raison du climat ou de la saison, les femmes auraient tendance à mettre au monde des enfants imparfaits. « Si l’hiver est pluvieux, austral et chaud, le printemps boréal, sec et froid, les femmes qui se trouvent enceintes et qui doivent accoucher à la fin du printemps, accoucheront prématurément ; celles qui arrivent à terme mettent au monde des enfants infirmes ; maladifs, qui périssent immédiatement [après leur naissance], ou qui vivent maigres, débiles et maladifs. » Bien entendu, la cause est absolument explicable par les qualités de l’airs et n’ont rien de divines. On le voit, l’épidémie tératologique était tellement considérée comme un phénomène possible par le mythe que la médecine ne l’a pas rejetée mais l’a expliquée selon sa propre méthode.
76 Jean Bottéro, Mésopotamie, Gallimard, 1987, p. 199 sq. ainsi que le rapport sur les conférences de l’Annuaire du Collège de France, 1971, p. 104-131 et « Symptômes, signes et écritures », in Jean-Pierre Vernant (dir.), Divination et rationalité, Seuil, 1974, p. 70-92.
77 The Omen Series, trad. Anglaise de E. Leichty, Texts from cuneiform sources, New York, J.J. Augustin, 1970
78 E. Leichty, The Omen Series, p. 36 [54 et 60].
79 Voir Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, 1968, p. 1106.
80 Servius, Sur l’Énéide, III, 366 : « modico fine discernuntur, sed confuse plurumque pronuntur ». À l’époque préhistorique, il est probable que les sens étaient distingués. Festus tente de les distinguer par leur étymologie mais rien n’est véritablement déterminant. Isidore de Séville (Origines, XI, 3, 2-3) aborde aussi la question par l’étymologie mais au bout du compte, c’est plus leur point commun que leur différence qui est établi : les portenta, ostenta, prodigia et monstra annoncent l’avenir. Pour un peu plus de précisions sur cette question, voir Émile Benveniste, Le vocabulaire des institutions indo-européennes, Minuit, 1969, t. II, p. 255-263. Sur le mot monstrum, voir Claude Moussy, « Esquisse de l’histoire de monstrum », in REL, n° 55 (1977), p. 345-369.
81 Par exemple Euripide, Électre, v. 826-833. Pour l’Italie, voir Jean Nougayrol, « Les rapports des haruspicines étrusque et assyro-babylonienne et le foie d’argile de Falerii Veteres », in CRAI, 1955, p. 509-519.
82 De la divination, I, 121. Trad. G. Freyburger et J. Scheid. Ici, l’un des oracles n’est pas une naissance effective mais le rêve de celle-ci : c’est un cas fréquent chez les auteurs qui s’intéressent aux prodiges. D’une certaine manière, cette tératologie onirique gagne en crédibilité. C’est le cas notamment d’Artémidore (Clef des songes, livre I, p. 56 Arléa) chez qui l’on retrouve ce motif de la tête d’éléphant.
83 Charles Fossey, Présages tirés des naissances, 1914, p. 3 ; E. Leichty, The Omen Series, p. 32 [5].
84 Elien, Histoires variées, I, 29. Trad. personnelle. En Nicippos il faut très certainement voir le tyran Nicias historiquement attesté à Cos.
85 Plutarque reste en effet muet quant à l’interprétation du songe que fit Agaristè la mère de Périclès : quelques jours avant sa naissance, elle rêva qu’elle accouchait d’un lion (Périclès, 3). La lecture peut être accomplie selon les deux modes, faste ou néfaste.
86 E. Leichty, The Omen Series, p. 204 : vielles versions babyloniennes [23].
87 Ibid., p. 38, Tab. I, oracle n° [74].
88 Tacite, Annales, XV, 47. Trad. Henri Bornecque, Garnier, 1965. « bicipites hominum aliorumque animalium partus abjecti in publicum aut in sacrifiis quibus gravidas hostias immolare mos est ».
89 « natus vitulus cui caput in crure esset ».
90 « secutaque haruspicum interpretatio, parari rerum humanarum aliud caput, sed non fore validum neque occultum, qui in utero repressum aut iter editum sit ».
91 Plutarque, Périclès, 6, 4-5. Trad. Robert Flacelière et Émile Chambry, CUF, 1969.
92 E. Leichty, The Omen Series, p. 33, n° [14].
93 La tête d’éléphant peut correspondre à une véritable monstruosité, la cyclocéphalie diophtalme à proboscis : « un œil au milieu du front avec une trompe au-dessus. Cette trompe correspond à l’ébauche frontale. Elle ne peut être prise pour un nez en raison de l’absence de nerfs olfactifs » (Jean-Louis Fischer, Monstres, 1991, p. 118).
94 K.K. Riemschneider, Babylonische Geburtsomina in hethitischer Übersetzung (1970).
95 Sseu-ma Ts’ien, Mémoires historiques, trad. Édouard Chavannes, Paris, Maisonneuve, 1967, XV vol.
96 Nous remercions Jean Levi de nous avoir communiqué certaines de ses traductions encore inédites.
97 Il s’agit effectivement d’une période troublée où le Siam connaît une expansion au dépend de ses voisins : conquête et mise en vassalité des royaumes de Champasak et de Vientiane.
98 Ces prodiges se trouvent dans le livre XII du Florentine Codex écrit en nahuatl, lequel fut une des sources de Sahagún pour son Historia general de las cosas de Nueva España (éd. de Mexico, 1956, t. IV, p. 78-165). Voir Nathan Wachtel, La vision des vaincus, Folio-Histoire, 1992, p. 38-41.
99 Voir quelques éditions de ces canards dans Maurice Lever, Canards sanglants. Naissance du faits divers, Fayard, 1993, p. 451-497 : neuf cas de naissances monstrueuses. Pour cette époque, Jean Delumeau parle de « prolifération du monstrueux », Le péché et la peur. La culpabilisation en Occident, xiiie- xviiie siècles, Paris, Fayard, 1983.
100 Ambroise Paré, Des monstres et prodiges (1re éd. 1573), édition commentée par Jean Céard, Genève, Droz, 1971.
101 Pierre Boaistuau, Histoires prodigieuses, c. 32, Slatkine, coll. Fleuron, p. 351-352 et c. 36, p. 387.
102 Le mot « tête » est choisi par Aristote pour argumenter sa théorie des métaphores (Poétique, 1457b). Quant au latin, il accorde au mot biceps, bicipitis aussi bien le sens concret de double têtes pour décrire en particulier des personnages mythiques dont Janus, que métaphorique, notamment dans l’expression biceps civitas, une « cité divisée en deux factions ».
103 Marie-Christine Pouchelle, Corps et chirurgie à l’époque du Moyen Âge, Flammarion, 1983, p. 198-205.
104 Hérodote III, 116 ; IV, 13 ; 27 ;191 ; Pline HN, VII, 23-32 ; Strabon I, 2, 10 ; 35 ; VII, 3, 6 ; Pomponius Méla, Chorographie, III, 46 ; Augustin, Cité de Dieu, VIII, 1 ; Isidore de Séville, Origines, XI, 3, 15-27.
105 HN, VII, 33 : « une femme du peuple, qui avait mis au monde, à Ostie, deux garçons et autant de filles, annonça sans aucun doute la famine qui survint par la suite ».
106 Sur la gémellité en Grèce, voir Claudine Voisenat, "La rivalité, la séparation et la mort. Destinée gémellaire dans la mythologie grecque", in L’Homme, n° 105 (1988), p. 88-104 ; Françoise Frontisi-Ducroux, "Les Grecs, le double et les jumeaux", in Topique, n° 22 (1992), p. 239-262 ; Véronique Dasen, Jumeaux, jumelles dans l’Antiquité grecque et romaine, Zurich, Akanthus verlag, 2005. Pour l’Afrique noire voir Luc de Heutsch, « Jumeaux. Dans les sociétés bantous », in Dictionnaire des mythologies (1981), t. I, p. 613. Pour une démarche comparative voir Samba N’diaye, Divination, prodiges et sacrifices expiatoires dans la religion antique et de l’Afrique traditionnelle, thèse de 3e cycle, Lyon (1983).
107 Plutarque, Périclès, 6, 4-5 (le bélier unicorne) ; Banquet des Sept Sages, 149c (l’hippocentaure).
108 Phlégon de Tralles, Des miracles, 2. Édition de Giannini in Paradoxo-graphorum graecorum reliquae (1966), p. 178-184 ; Proclus, Commentaire de la République de Platon, II, éd. W. Kroll (1901). Voir la traduction partielle des textes dans l’étude de Luc Brisson, « Aspects politiques de la bisexualité. L’histoire de Polycrite », in Hommages à Maarten J. Vermaseren, Leyde, Brill, 1978, vol. I, p. 80-122 et plus récemment Le sexe incertain, Belles Lettres, 1997 : comparaison entre la bisexualité simultanée et la bisexualité successive de certains médiateurs.
109 1. 130 : thútas (θύτας) te kaì teratoskópous (plus exactement : « sacrificateurs et observateurs de présages »). La racine grecque *skp (-scope) correspond par métathèse entre k et p à la racine latine *spk (spex, spectare) : le sens général est celui de « observation ».
110 Dans cette version romanesque de la vie d’Alexandre attribuée au pseudo-Callisthène, ont pris racine trois traditions, l’une orientale (arménienne : A.M. Wolohdjian, The Romance of Alexander the Great by ps eudo-Callisthenes, New York, 1969 dont une version du ve siècle est éditée par Aline Tallet-Bonvalet, Paris, éd. G-F., 1994 ; éthiopienne : E. A. Waalis-Budge, The Life and Exploite of Alexander the Great, London, 1896, reprint N.Y., 1968), une autre byzantine (grecque et slave) et une latine qui se répandit en Occident. Julius Valérius, consul en 338 ap. J.-C., réalisa une traduction latine, dédiée à l’empereur Constance II, de la version A du pseudo-Callisthène (Res gestae Alexandri Macedonis, éd. B. Kuebler, Leipzig, éd. Teubner, 1888). Au cours du ixe siècle, en fut publié un résumé latin, l’Epitome Julii Valerii (éd. Zacher, Halle, 1867) qui connut un grand succès et qui constitua la source des « romans » français d’Alexandre du xiie siècle, lesquels doivent être étymologiquement définis comme la traduction en langue romane vernaculaire de textes latins. Voir Introduction du Roman d’Alexandre d’Alexandre de Paris, édition critique, traduction et annotation par Laurence Harf-Lancner, Paris, Livre de Poche, 1994, pp. 12-58.
111 Pseudo-Callisthène, III, 30, 1-7 ; Julius Valérius, III 54 ; Epitome, III, 30 : Scriptores Rerum Alexandri Magni, Paris 1846 repris dans Karl Müller, The Fragments of the Lost Historians, reprint Chicago, Ares publishers, 1979.
112 Arrien, Anabase, VII, 16-18 ; 22 ; 24. ; Diodore de Sicile XVII, 112-116 ; Plutarque, Alexandre, 73.
113 Plutarque, Lycurgue, 16, 1-2. ἀγεννὴς καὶ ἄμορøς : de mauvaise constitution et d’un mauvaise aspect. On pourrait dire en fait « contestable tant par la matière que par la forme ». Pour Athènes voir l’étude ancienne mais riche en références de H. Bolkenstein, « The Exposure of Children at Athens », in Classical Philology, n° 17 (1922), p. 222-239.
114 Denys D’halicarnasse, Les Antiquités romaines, II, 15. Sur les différentes sources dont les lois voir H. Bennet, « The Exposure of Infants in Ancient Rome », in Classical Journal, t. XVIII (1923), p. 341-350.
115 En revanche, le père reste complètement libre en ce qui concerne les enfants femelles.
116 Cicéron, Des Lois, III, 8, 19 : « necatus tanquam ex XII tabulis insignis ad deformitatem puer ». Sur la Loi des XII Tables voir Jean Bayet, "La Loi des Douze Tables", appendice III à Tite-Live III (éd. CUF), p. 129-133. Pour certains historiens, la pratique certainement peu effective de l’exposition à Rome serait due à une influence grecque : voir Louis F.R. Germain, « L’exposition des enfants nouveau-nés dans la Grèce ancienne. Aspects sociologiques », in L’enfant ouvrage collectif, Recueil de la Société Jean Bodin, Bruxelles, 1975, p. 211-246 (dont p. 214). Avec une perspective psychologique : W. Den Boer, Private Morality in Greece and Rome. Some Historical Aspects, Leyde, Brill, 1979, dont p. 93-128 et 129-150 (sur l’enfant malformé).
117 Platon, République, V, 2, 460c.
118 Politiques, VII, 16, 15, 1335b 19-21.
119 Platon, Théétète, 160d-161a.
120 Juifs : Diodore XL, 3 ; Tacite, Histoires, V, 25 ; Germains : Tacite, Germanie, 19 ; Égyptiens : Strabon XVII, 2, 5 ; Diodore I, 80. Cependant les Egyptiens auraient exécuté les roux (Diodore I, 88, 5), fameuse coutume qui surprenait Montesquieu au xviiie siècle. Sur les usages égyptiens en la matière voir Véronique Dasen, « Homme ou bête ? Le dieu caché de l’anencéphale d’Hermopolis », in Régis Bertrand et Anne Carol (dir.) Le « monstre » humain. Imaginaire et société, 2005, p. 21-44 (dont p. 33-36). Au ier siècle avant J.-C., Diodore semble également approuver l’eugénisme pratiqué chez les Indiens du roi Sopithès (XVII, 91, 5-7) alors que vers l’an 200 ap. J.-C., Élien (Histoires véritables, I, 7) attribue aux Thébains une loi contre l’infanticide qui fait toute son admiration.
121 Mirko Grmek et Danielle Gourévitch, Les maladies dans l’art antique, p. 199-218.
122 Marie Delcourt, Stérlités mystérieuses et naissances maléfiques dans l’Antiquité classique, Bruxelles, 1938, p. 36-46. Cette thèse ne satisfait pas P. Roussel, « L’exposition des enfants à Sparte », in REA, XLV (1943), 5-17.
123 Tite-Live XLIII, 13 : « duo non suspecta prodigia sunt, alterum quod in privato loca factum esset, alterum quod in loco peregrino ». Sur la question des prodiges à Rome : L. Wülker, Die geschichtliche Entwicklung des Prodigienwesens bei den Römern, Leipzig, 1903 (catalogue exhaustif des sources) ; Raymond Bloch, Les prodiges dans l’Antiquité classique, Paris, 1963. La distinction entre prodiges dits « publics » et « privés » surtout en ce qui concerne les monstres humains, est très nuancée par Brian Mac Bain, Prodigy and expiation : a study in Religion and Politics in Republican Rome, Bruxelles, Latomus, 1980, p. 30.
124 On en retrouve ainsi des traces dans des ouvrages tels que Tite-Live, Histoire romaine, Julius Obsequens, Des prodiges, Valère Maxime, Dits et faits mémorables ou encore Orose, Histoire contre les païens.
125 Tite-Live XXXI, 12 : « ante omnia abominati semimares ».
126 Juvénal, Satyres, XV, 140 ; Pline VII, 72.
127 Arnold Van Gennep, Les rites de passage, 1909, p. 74-75 ; 218 n. 2.
128 αωροι (βιαιο) θάνατοι : littéralement « ceux qui sont morts (par la violence) hors saison » c’est-à-dire « morts prématurément ». Au contraire, le mariage dit ἄωρος est le mariage tardif, au moment duquel l’un des deux époux est trop vieux.
129 Gazette de Tübingen de 1565.
130 Jean Bottéro, « Le péché en Mésopotamie ancienne », in Recherches et documents du Centre Thomas More, L’Arbresle, n° 43 (1984), p. 1-16.
131 Jacques Gélis, L’arbre et le fruit, Fayard, 1984, p. 365.
132 Françoise Héritier, « Étude comparée des sociétés africaines », in Annuaire du Collège de France (1984-1985), 1985, p. 531-550 et Les deux sœurs et leur mère, Odile Jacob, 1994, p. 274 sq.
133 Otto Rank, Le mythe de la naissance du héros (1909), Payot, 1983, p. 102 sq.
134 Voir Nicole Belmont, Les signes de la naissance, Plon, 1971, p. 81-84 et « L’enfant exposé » (1980) rééd. in Dialogue, n° 127 (1995), p. 30-44. Cette errance du monstre au grès des courants d’une masse aqueuse nous rappelle enfin cette Nef des fous (Nerrenschiff) peinte par Jérôme Bosch, remplie d’individus marginaux et d’indésirables chassés de divers endroits dans des embarcations : le thème n’est pas sans résonance.
135 E. E. Evans-Pritchard, Nuer religion (1956), Clarendon Press, 1970, p. 84.
136 Diodore XXXII, 10, 2 – 11 = frag. in Photius Bibliothèque, codex 244, 377b - 378b. Héraïs avait été de mauvais présage pour le séleucide Alexandre Balas (mort en 145 av. J.-C.) dans son entreprise contre Démétrius II de Syrie. De son côté, Callon eut des ennuis car, initiée aux cultes de Déméter lorsqu’elle était femme, il fut accusé de sacrilège une fois devenu homme.
137 Pline VII, 36 : « Ex feminis mutari in mares non est fabulosum. invenimus in annalibus P. Licinio Crasso C. Cassio Longino cos. Casini puerum factum ex virgine sub parentibus iussuque haruspicum deportatum in insulam desertam. Licinius Mucianus prodidit visum a se Argis Arescontem, cui nomen Arescusae fuisse, nupsisse etiam, mox barbam et virilitatem provenisse uxoremque duxisse ; eiusdem sortis et Zmyrnae puerum a se visum. ipse in Africa vidi mutatum in marem nuptiarum die L. Consitium civem Thysdritanum, vivebatque cum proderem haec. ». Fait reconnu chez des animaux comme la poule et le coq : aristote HA, IX, 49, 631b.
138 Il y eut de nombreuses guerres contre les peuples du Latium durant la seconde moitié du ive s. av. J.-C., racontées par Tite-Live dans les livres VIII et IX de son Histoire romaine, mais il s’agit ici d’une guerre sociale (revendication du droit de cité par les villes italiennes) qui eut lieu en 90-88 avant J.-C et pour laquelle Cicéron rapporte quelques prodiges (Divination, I, 99) parmi lesquels celui-ci ne figure pas. Cette guerre est brièvement résumée par Velleius Paterculus Histoire romaine, II, 15-17, sans toutefois les prodiges.
139 Diodore XXXII 12, 1-2 = frag. in Photius codex 244, 379a. L’auteur raconte que peu de temps après, il arriva un fait semblable à Athènes et que la femme connut un sort identique.
140 Le sort n’est pas précisé à propos des deux androgynes découverts à Arezzo en 94 av. J.-C.
141 HN, VII, 34 (repris en partie par Aulu-Gelle NA, 9, 4) et encore HN, XI, 262 ; XXIV, 80.
142 Pour une première réflexion sur ce phénomène comme tendance dans le cinéma pornographique ou plus exactement dans les vidéos téléchargeables par internet, la revue en ligne Hermaphrodite, n° 8, 18 juin 2005 propose un article intéressant : « Porno fric ou porno freak ». Notons au passage que le nain pouvait être dans l’Antiquité, employé en tant que personnage à valeur érotique comme en témoignent certaines fresques de Pompéi.
143 HN, VII, 34 : « Gignuntur et utriusque sexus quos hermaphroditos vocamus, olim androgynos vocatos et in prodigiis habitos, nunc vero in deliciis. »
144 Tite-Live (XXXI, 12 ; XXXIX, 22, 3) et Julius Obsequens (56 ; 2) l’emploient dans le sens d’androgyne. Il devait sûrement exister une nuance entre l’androgynnus et le semimas : la pathologie de ce dernier pourrait être l’absence naturelle des testicules. Il s’agirait ainsi d’un hermaphrodisme d’incomplétude plutôt que de mélange.
145 Comme nous l’avons vu avec [Hippocrate] Régime, I, 28-29.
146 Valère Maxime, VIII, 3, 1 : « quia sub specie feminae virilem animum gerebat, Androgynen appellabant ».
147 Anthologie palatine, VI, 254.
148 Voir par exemple la condamnation de ces travestissements par le chrétien Tertullien : Du manteau, 4, 1.
149 Par exemple Ovide, Métamorphoses, IV, 380-382 : « Ergo, ubi se liquidas, quo vir descenderat, undas / Seminarem fecisse videt mollitaque in illis / Membra,... ». Pour un exemple de statue, voir par exemple celle de marbre, l’Hermaphrodite endormi, Musée du Louvre, Répliques antiques d’après des originaux de l’époque hellénistique, aile Sully, rez-de-chausée, section 17 : l’original aurait été l’œuvre de Polyclès.
150 Anthologie palatine, II, 101 : à propos d’une statue d’un gymnase public.
151 Anthologie palatine, IX, 783 : épigramme sous forme de narration interne d’une statue.
152 Lucain, Pharsale, I, 525-583 (catalogue des présages) dont 563 : « matremque suus conterruit infans » (l’enfant provoque l’effroi de sa mère). Ce vers est d’ailleurs cité six siècles plus tard par Isidore de Séville (Origines, XI, 3, 6), Lucain étant pour son discours tératologique, une source littéraire importante avec Ovide.
153 Lucain, Pharsale, I, 589-591 : « Il demande d’abord que soient jetés dans les flammes, les monstres, fruits funestes, que, d’une semence vaine, la nature perturbée a produit d’un ventre stérile ». Trad. personnelle. Il pourrait s’agir d’une allusion au phénomène de la mule qui met bas.
154 Cicéron, De la divination, I, 92.
155 Parmi ces auteurs, Caius Nigidus Figulus souvent cité par Pline l’Ancien, et surtout Tarquitius Priscus, auteur du recueil de prodiges Ostentaria Tusca. Au nombre de ces ouvrages, certains furent traduits en grec à l’époque byzantine par Jean Lydus.
156 Tacite, Annales, XI, 15. Comme chez Cicéron, le souci exprimé est avant tout celui de la peur de l’oubli.
157 Sur les lois Julia et Papia, Digeste, 50, 16, loi 135.
158 Paul, in Digeste, 1, 5, loi 14 (Sentences IV, 9, 3-4) « Ne peuvent être comptabilisés parmi les autres enfants ceux qui sont contraires à toute forme humaine mais sont considérés comme valables et comptabilisés au nombre des enfants ceux qui ont des membres humains supplémentaires. ». Trad. Personnelle.
159 Code Théodosien, 6, 29, 3 ; Digeste, 28, 2, 12.
160 Ulpien, Digeste, 1, 5, 10 ; 28, 2, 6, 2 ; Paul, Digeste, 22, 5, 15, 1. Pour cette question, Yan Thomas parle d’une « casuistique de l’hermaphrodite », in "La division des sexes en droit romain", in Georges Duby et Michèle Perrot (dir), Histoire des femmes en Occident, Plon, 1990, t. I, p. 103-156 (dont p. 104-106). Voir aussi Eva Cantarella, « L’hermaphrodite et la bisexualité à l’épreuve du droit dans l’Antiquité », in Diogène, no 208 (2004, 4). Pour une compilation pratique des sources du droit romain sans en suivre forcément toutes les conclusions, voir Antoine Leca, « Corpus contra formam humani generis. Notes sur le monstre en droit romain », in Régis Bertrand et Anne Carol (dir.), Le « monstre » humain. Imaginaire et société, 2005, p. 89-94.
161 Jérôme, Lettre, Patrologie latine, t. 22, col. 674 éd. Migne : « Legamus veteres historias et maxime Graecas ac Latinas, et inveniemus lustralibus hostiis, secundum errorem veterum, portentuosas soboles, tam in hominibus, quam in armentis ac pecudibus expiatas ».
162 Augustin, Cité de Dieu, XVI, 8 (137). Trad. G. Gombès, Desclée de Brouwer, BA, 1960.
163 Ammien Marcellin, Histoires, XIX, 12, 19-20. Trad. Guy Sabbah, CUF, 1970.
164 Constater et peut-être regretter la moindre importance accordée aux monstres est un thème classique. Nous avons vu plus haut que Pline (ier siècle ap. J.-C.) faisait la même remarque à propos des hermaphrodites (VII, 34). De plus, au Ier s. avant J.-C., Tite-Live avait dit la même chose sur les prodiges en général (XLIII, 13, 1-2). Il y a possibilité d’une crise du prodige dès le ier siècle av. J.-C. mais il faut également se méfier de l’esprit o tempora o mores. Un certain nombre d’événements étranges dont monstrueux sont présents chez Tacite et témoignent d’une importance officielle toujours réelle. Sur la fréquence des prodiges entre les iiie et ier siècles av. J.-C., voir B. Mac Bain, Prodigy and expiation, p. 106 sq.
165 Orose, Histoires contre les païens, V, 8-11 (par ex. à propos d’un androgyne né à Rome).
166 Trinité, III, 2, 7. Trad. M. Mellet et t. Camelot, Desclée de Brouwer, BA, 1955.
167 Cité de Dieu, XVI, 8, 1 : il y a des races monstrueuses parmi les hommes comme il naît des monstres parmi nous. Argument repris plus tard par Isidore (XI, 3, 12).
168 Trinité, III, 2, 7.
169 Guerre du Péloponnèse, V, 130, 2.
170 Zosime V, 41.
171 Nicéphore (patriarche), Brevarium, 33.
172 Histoire des Francs, IX, 4. Voir V, 23 ; 41 ; VI, 14 ; 25 ; 44 ; VII, 11 ; VIII, 5 ; 8 ; 17 ; IX, 6 ; X, 21 ; 25. Trad. René Latouche
173 Les monstres sont du côté de la nature puisque produits avec la volonté de Dieu (XI,3, 1 : « non sunt contra naturam quia divina voluntate fiunt » et 2 : « portentum ergo fit non contra naturam, sed contra quam est nota natura ») ; ils sont créés pour annoncer une partie de l’avenir et c’est d’ailleurs l’étymologie des différents mots : portentum, ostentum, monstrum et prodigium. La suite du chapitre est ainsi conçue : XI, 3, 7-11 typologie des monstres et des êtres monstrueux (portenta et portentuosa) ; 12-27 : les différentes races monstrueuses ; 28-39 : analyse évhémériste de certains monstres mythologiques.
174 Un passage d’Isidore peut cependant poser problème. Il écrit en XI, 3, 5 : « Sed haec monstra quae in significationibus dantur non diu vivunt, sed continuo ut nata fuerint occidunt » que l’on traduira ainsi : « Mais ces monstres qui sont envoyés comme signe ne vivent pas un jour : à peine sont-ils nés qu’on les tue ». Le temps employé est un présent (occidunt) et non un imparfait (occidebant). Faut-il en conclure l’actualité de l’usage ou est-ce une formule intemporelle qui ne dit rien sur son temps ? Faut-il comprendre le verbe occidere au sens actif de « dépérir », le pluriel n’étant plus un impersonnel (ils = on) mais se justifiant par le sujet monstra valable pour les deux verbes : « à peine sont-ils nés qu’ils meurent » ?
175 De universo, VII, 7 = Patrologie latine, éd. Migne, t. 111, col. 195-199. À l’exception du dernier paragraphe, le texte de Raban Maur, écrit vers 844, reprend quasi mot pour mot celui d’Isidore.
176 Isidore de Séville, Origines XI, 3, 5. « Du temps d’Alexandre, une femme engendra un monstre dont les parties supérieures du corps étaient humaines mais mortes et les parties inférieurs étaient vivantes et celles de diverses bêtes ; ceci annonçait la fin brutale du règne : les pires parties avaient survécu aux meilleures » Trad. personnelle : « Alexandro ex muliere monstrum creatum, quod superiores corporis partes hominis, sed mortuas habuerit, inferiores diversarum bestiarum, sed viventes, significasse repentinam regis interfectionem : supervixerant enim deteriora melioribus ».
177 La représentations la plus fréquente est celle d’un être humain en haut du corps et d’une bête en dessous, à la manière des satyres : Pseudo-Callisthène Des combats d’Alexandre, Italie du sud, fin xiiie s., BNF ms latin 8501, folio 54 ; Alexandre de Paris Roman d’Alexandre, Paris, milieu du xive, ms. français 791, fol. 98 ; Jean Wauquelin, Histoire d’Alexandre, Flandre, milieu xve, ms français 9342, fol. 203. Par contre, une autre version du xive siècle du Roman d’Alexandre (ms français 790, fol. 168v°) présente une figure tout à fait différente et fantaisiste qui se rapporte plus à la chimère.
178 Claude Lecouteux, Les monstres dans la pensée médiévale européenne, Presse de l’Université de Paris-Sorbonne, 1993, p. 77-79.
179 Albert le Grand, De animalibus (Des animaux), XVIII, 1, 6 – 2, 3 = éd. H. Stadler, Münster, 1920, t. II, p. 1214-1226. L’argument essentiel est la multiparité qui favorise les êtres multiples et les hermaphrodites.
180 Dialogue de Placide et Timeo ou Li secrés as philosophes (anonyme du xiiie siècle), édition de Claude Thomasset, Genève, Droz, 1980. Tératologie : §§ 306-330, p. 141-156
181 Strabon avait été étonné que les chez les Égyptiens, l’on élevait tous les enfants jusqu’à garder les monstres les plus affreux.
182 Journal d’un bourgeois de Paris (1405-1449), éd. Alexandre Tuetey, Paris, H. Champion, 1881, §§ 508-509, p. 238-239. Sur le même fait, il y a aussi Clément de Fauquembergue in Registres du Parlement de Paris (conseil XIA, fol. 13) qui parle, en plus des siamoises, d’un veau à sept pattes ainsi que d’un veau et d’un porc bicéphales nés à Castelnaudary : pour le contenu de cette source voir Ernest Wickersheimer, « La descente d’une matrice d’une bourgeoise de Paris et le monstre bicéphale d’Aubervilliers », in Le Journal médical, n° 47 (1931), p. 2099. Sur le manuscrit du Journal d’Aix de la Méjanes (n° 316) dont ce passage fut retranscrit à la fin du xvie siècle, figure un croquis rapide copié sur l’original puisque le texte dit « Ainsi comme ceste figure est, ». Voir à propos de ce manuscrit, les commentaires d’A. Tuetey p. 9-11. Le manuscrit de Rome laisse la place pour une illustration, place demeurée malheureusement vide.
183 Sur ce problème théologique voir Henri de Gand (xiiie s.) Quodlibet, VI, q. 14 : « Utrum si duo capita in monstro apparerent, in baptizando debent ei imponi duo nomina, an unum ». Sur cette question théologique à l’époque moderne, voir Marcel Bernos, « Anomalies physiques, monstruosités et sacrements », in Régis Bertrand et Anne Carol (dir.), Le « monstre » humain. Imaginaire et société, 2005, p. 105-118. Le problème est toujours posé aujourd’hui, voir Raoul Naz (dir.) Dictionnaire de droit canonique, 1937, II, 135-136 notamment à propos du Codex juris canonici, canon 748 « monstra et ostenta semper baptizentur saltem sub conditione ».
184 L’on peut aussi admirer un bicéphale dans une représentation allégorique du mois de mai où le signe zodiacal des gémeaux est rendu par un enfant à deux têtes : Calendrier des travaux et des signes zodiacaux, seconde moitié du xve siècle, Musée de Cluny, Paris, cl. 2271F.
185 Représentation iconographique dans le ms. français 5054, fol. 221 (BNF) qui date de 1484.
186 Dans les manuscrits enluminés, les devins païens de la Rome ancienne sont essentiellement représentés – et ridiculisés – par les augures observant le vol de oiseaux : par exemple la traduction de Valère Maxime datant du milieu du xve s., BNF ms. français 287, fol. 39. Cependant, les prodiges et calamités subis par les populations antiques n’en sont pas pour autant niés. Elles sont représentés mais ce sont uniquement les catastrophes naturelles comme les séismes, les incendies, les pluie de sang ou les astres curieux et très rarement des monstres humains ou animaux. Sur la mort de Charlemagne, la scène est illustrée dans le ms. français 2820, fol. 145.
187 Vincent de Beauvais, Speculum historiale, XXV, 38 : « Duo erant capita et quatuor brachia, caetera gemina omnia usque ad umbilicum ». Un manuscrit du xive dans la traduction française de Jean de Vignay, possède une illustration de ces sœurs siamoises (BNF, ms. français 52, fol. 56v°). Autre mention d’un monstre à deux têtes (biceps) né en 1117 : XXVI, 27. C’est d’ailleurs dans un autre manuscrit de la même traduction française du Speculum historiale (Miroir historial), réalisé à Paris en 1396, que l’on trouve l’une des rares représentations iconographiques d’un monstre des sources antiques : BNF ms. français 312, fol. 220. C’est un enfant à quatre pieds né en 136 avant J.-C. qui est décrit chez Julius Obsequens, 86 (25).
188 L’aspect prophétique des monstres au xvie siècle où ils sont lus comme des symboles, apparaît tout particulièrement dans des écrits polémiques du contexte de la Réforme comme l’âne-pape de Mélanchthon ou le veau-moine de Luther, petits ouvrages qui furent aussi traduits en français. Voir Jean Céard, La nature et les prodiges. L’insolite au xvie siècle en France, Droz, 1977, p. 75-84 (dont n. 116, p. 80 pour la référence des traductions françaises). Dans les feuilles volantes, notamment celles réunies par Maurice Lever, dans Canards sanglants, 1993, l’aspect divinatoire est souvent soutenu et préféré aux analyses médicales (c’est la cas des feuilles n° 56 et 57 de 1578, p. 453-458). L’on peut remarquer que les anecdotes à discours prophétiques les plus tardives obéissent à une sorte d’éloignement au sens où il elles ne concernent que des naissances survenues dans l’empire ottoman, n° 61, p. 483-486 (1608) : c’est l’enfant à tête d’éléphant – motif connu – du sultan Amet qui est analysé comme signe du début de la décadence turque. Il est brûlé et les cendres sont jetées à la mer ; n° 62, p. 487-497 (1624). Cet éloignement pourrait correspondre à une distanciation comparable à celle entretenue à l’égard des sources anciennes grecques et romaines (l’on pense en particulier à l’enfant d’Alexandre décrit dans le pseudo-Callisthène, Isidore de Séville et le Roman d’Alexandre).
189 Jean Céard, La nature et les prodiges ; Katharine Park et Lorraine J. Daston, « Unnatural Conceptions : The Study of Monsters in Seexteenth and Seventeeth Century France and England », in Past and Present, n° 92 (1981), p. 20-54 ; William J. Beck, « Montaigne et Paré : leurs idées sur les monstres », in Rinascimento, Firenze, vol. XXX (1990), p. 317-342 ; Kathryn M. Brammall, « Monstrous metamorphosis : nature, morality and the rhetoric of monstrousity in Tudor England », in Sixteeth Century Journal, XXVII, (1996), 1, p. 3-21.
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