Chapitre premier. Le discours scientifique et médical des Anciens : la naissance et les monstres
p. 19-58
Texte intégral
Contexte intellectuel
1Pour bien saisir les enjeux des notions d’anormalité et de monstruosité, il est essentiel d’abord de définir des mots tels que « nature », « naturel » et « contre nature » auprès des penseurs que l’historiographie a coutume d’appeler les « rationalistes présocratiques ». Ces philosophes et « physiciens » au sens ancien du mot (phúsis, nature), quelquefois médecins, appartiennent à un vaste mouvement rationaliste développé dans les cités de l’Asie Mineure durant les viie et vie siècles av. J.-C.1. Cela sera d’autant plus enrichissant que ce mouvement, tout en modifiant en profondeur la méthode d’analyse du monde (phúsis et kósmos), ne rejette pas en bloc, loin s’en faut, le fonds des connaissances anciennes. Il s’agit d’un point fondamental : il y a continuité d’un certain nombre de théories, dont la dimension religieuse, au sens traditionnel du terme est critiquée et épurée. Ainsi, il ne faudra pas être surpris, chez ces savants, de la persistance de croyances qui peuvent sembler absurdes à nos contemporains. D’ailleurs, au mot « croyance » nous préférerons le terme de « théorie ». Ces théories concernant par exemple le comportement ou les habitudes de certains animaux, les vertus de telle plante ou de tel minéral, perdurent. Toutefois, elles ne relèvent plus du registre de la magie ou du merveilleux et si à l’occasion, elles peuvent sembler étonnantes, c’est plus à la notion de « remarquable » qu’il faudra se référer.
Histoires d’animaux
2Les critiques d’Aristote au cours du ive siècle av. J.-C., relèvent de cet esprit. Il ne s’agit pas pour lui ni pour aucun de ses contemporains de faire table rase – seule la science occidentale contemporaine a été capable à l’occasion, d’une telle démarche – mais de contester telle ou telle théorie. Ainsi, tout en exerçant une démarche critique, la vision aristotélicienne de la nature – hors de toute influence surnaturelle mais soumise à une finalité d’ordre divin – contient des éléments proches du « merveilleux », à l’instar de sa théorie de la génération spontanée qui ne fut abandonnée qu’au xixe siècle à la suite des découvertes de Pasteur. Régulièrement, il remet en question certaines opinions mais il accepte pour l’essentiel, les contenus de la vulgate issus aussi bien de la tradition écrite savante que de la tradition orale. En naturaliste, il s’oppose aussi à une théorie rapportée par Hérodote2 selon laquelle les poissons se reproduiraient grâce à la simple ingestion par la femelle de la semence du mâle3. Il en critique d’autres qui, tout en appartenant à la tradition orale, pouvaient être soutenues par des naturalistes comme Anaxagore. Selon ces théories, certains oiseaux comme l’ibis ou le corbeau s’uniraient par la bouche ou la belette mettrait bas par la gueule4... La très probable antiquité de cette dernière opinion est attestée, y compris dans le mythe5, car la belette, était un symbole des accouchements, notamment pour ceux qui se présentaient mal. Cependant, si auprès de ces savants, le mythe pouvait être critiqué, aucun argument sur le plan épistémologique ne pouvait les empêcher de considérer que toutes les belettes mettent bas par la gueule. Ailleurs, Aristote reproche à Alcméon, philosophe pythagoricien du ve siècle av. J.-C., de prétendre que les chèvres respirent par les oreilles, tradition ancienne largement attestée6 ; mais il ne s’agit pas pour le Stagirite de critiquer la méthode d’Alcméon : nous avons affaire à des débats écrits, entre savants, qui ayant rejeté le mythe, dissertent sur tel ou tel point de l’histoire naturelle. D’autant que de son côté, le même Aristote accrédite des théories a priori tout aussi fantaisistes comme la fécondation des juments par le vent, la mise à bas des lézards par la bouche, la transformation d’oiseaux (le rouge-gorge, le rouge-queue, le coucou et le faucon)7 en un seul...
3De plus, dans l’ensemble de la vulgate sur les sciences naturelles, il existe deux théories particulièrement intéressantes pour nous : la génération spontanée et la mixité des espèces. Cette vulgate de la représentation du monde, peut être dite à la fois « ancienne » ou « antique », « traditionnelle », « grecque », « méditerranéenne », « savante » et « populaire », « écrite » et « orale », etc. Aristote n’y échappe pas puisque ces deux théories constituent des points importants de sa conception du vivant.
4Pour la première, la génération spontanée, elle apparaît dans la cosmogonie d’Anaximandre où les animaux naissent de la boue à la suite d’une longue évolution. Diodore, au ier siècle av. J.-C., rapporte que les Égyptiens affirment que l’humanité est née dans leur pays, en se fondant sur les facultés génératrices du limon du Nil8 dont la fertilité, cause de la naissance d’êtres extraordinaires, est devenue proverbiale dans toute l’Antiquité. On la trouve également chez Aristote, pour qui la génération spontanée (γένεσις αὐτόματη), qu’elle ait lieu dans la terre ou l’eau, nécessite une putréfaction, c’est-à-dire une forme de coction, et de l’eau de pluie. Le mystère de la naissance des anguilles, puisqu’elles ne pondent pas dans les eaux européennes, est ainsi résolu : elles sont issues de vers9, les civelles, eux-mêmes produits par la vase et la décomposition, le tout étant stimulé par une pluie salutaire. Il en est de même pour la naissance des mouches et de bien d’autres insectes comme les abeilles, ainsi que de tous les testacés à l’exception de l’escargot10. Toutefois, pour la pluie ne joue pas un rôle équivalent à celui de la semence. L’explication du biologiste ne se satisfait pas du principe de spontanéité (autómaton), principe rejeté par la pensée philosophique et médicale, notamment par l’auteur hippocratique du De l’art (c. 6)11. Aussi, ce principe semble paradoxal chez Aristote qui, loin de se contenter de l’autómaton – de rien naissent certains animaux – prétend décrire avec précision le mécanisme de ce type de génération. Il remonte pour cela jusqu’au principe initial, le souffle (pneuma) : « Les animaux et les végétaux naissent dans la terre et dans l’eau, parce que dans la terre existe de l’eau, dans l’eau du souffle, et que celui-ci est tout entier pénétré de chaleur psychique [θερμότητα ψυχικήν], si bien que tout est, en quelque sorte, plein d’âme [πάντα ψυχης ειναι πλήρη]12. » Ainsi, tout en reprenant une idée très vieille et très répandue, son épistémologie demeure cohérente.
5La seconde théorie récurrente chez les auteurs anciens est la mixité des espèces qui implique le non-cloisonnement rigoureux des races animales, question centrale en tératologie. L’expérience a pu résoudre ce problème en partie chez les végétaux par la pratique de la greffe13, il s’avère plus difficile à théoriser en ce qui concerne les animaux. La mythologie présente un certain nombre de cas de croisement entre espèces dont le plus célèbre demeure le Minotaure14. Par ailleurs, dans le domaine de l’élevage et depuis bien longtemps, l’union fructueuse des diverses espèces d’équidés constituait une activité économiquement intéressante où ânes et juments, chevaux et ânesses procréaient respectivement mulets et bardots. La grande question restait celle de la stérilité de ces hybrides, qu’Empédocle expliquait ainsi : « parce que leur matrice est trop petite, trop basse et trop étroite, et qu’elle est attachée et coudée vers le ventre, de telle sorte que la semence ne peut y être jetée et que, même si c’était le cas, elle n’y serait pas reçue15 ». Quant à Aristote, il avance l’idée qu’il existe des animaux hybrides tout aussi féconds que les autres et à cette occasion, il se réfère à une idée répandue (ως φασίν) selon laquelle le mulet peut s’unir et féconder jusqu’à l’âge de sept ans16. S’il est stérile, cela est dû à la nature même des équidés : leur semence étant particulièrement froide, surtout celle de l’âne, ils ont naturellement tendance à la stérilité, y compris entre individus de même espèce, et produisent « à plus forte raison un être stérile et contre nature, qui aura tout pour être infécond et le sera nécessairement17 ». Les mules et mulets pourraient engendrer mais seulement des avortons, des bidets, c’est-à-dire des chevaux de petite taille (γίννος), comparables au culot de portée des porcs, mutilé dans l’utérus par manque de place, ou aux Pygmées mythiques et réels qui se rabougrissent de la même manière au cours de la gestation.
6En règle générale, Aristote admet l’existence d’hybrides qui constituent parfois une race, comme les chiens indiens provienant du croisement d’un tigre et d’une chienne, tout en notant également qu’« il est fort probable que les poissons qu’on appelle anges-raies viennent d’un ange [sorte de squale] et d’une raie18 ». Par ailleurs, fréquents sont les croisements entre les chiens, les renards et les loups, entre les poules et les perdrix, réputées pour leur lubricité, ainsi qu’entre espèces d’éperviers. Selon un proverbe populaire, la Libye (en fait le désert saharien) serait même favorable aux croisements d’animaux, puisque la rareté des points d’eau y contraindrait des espèces différentes à vivre ensemble. Toutefois, il est vrai qu’à l’égard de ces phénomènes, Aristote pose deux conditions essentielles : les animaux doivent être de taille comparable et, surtout, les durées de leur gestation doivent être identiques. Quatre siècles plus tard, Pline expliquait la variété des espèces marines par cette mixité possible. Dans le livre IX de son Histoire naturelle, consacré à la faune aquatique, il se réfère principalement à l’Histoire des animaux d’Aristote. La conception chez Pline de la mer et des océans perpétue une tradition ancienne : c’est un milieu sombre et impénétrable qui renferme les créatures les plus monstrueuses, et qui s’oppose ainsi à l’élément aérien, beaucoup plus pur. C’est un lieu où tout se mélange, où toutes sortes de semences peuvent se rencontrer et produire toujours du nouveau, du monstrueux et du démesuré, tout comme dans la Libye d’Aristote19. Les semences venues d’en haut (accipiente causas genitales <e> sublimi [...] natura) y fécondent tout et n’importe quoi, théorie qui n’est pas sans rappeler la panspermie d’Anaxagore, pour qui les semences mâles tombent depuis l’Éther avec la pluie et ainsi fécondent la terre et les eaux. C’est aussi, nous l’avons vu, en partie par la pluie qu’Aristote résout ou reprend l’énigme de la génération des anguilles, conception adoptée par Pline20.
7Cependant, Aristote critique longuement la tératogenèse empédocléenne notamment à propos de l’intervention du hasard21. Si Aristote ne refuse pas par principe une mixité fructueuse des espèces, il lui impose toutefois des limites. Ainsi, en ce qui concerne les enfants à tête d’animaux, il est très clair : on peut prétendre qu’ils ont une tête de bélier, de bœuf, etc., et chez les animaux on peut aussi trouver un veau à tête d’enfant ou un mouton à tête de bœuf mais il ne s’agit que de ressemblances. C’est de cette façon que nous nous moquons d’une personne peu avantagée par la nature et sur ce sujet pensons aux esquisses du peintre Lebrun qui, au xviie siècle, s’efforça de trouver des caractères animaux dans certaines figures humaines22. On le voit donc, sur la question de la bestialité, la position d’Aristote n’est catégorique ni dans un sens ni dans l’autre. S’il admet un croisement entre différentes espèces, c’est entre animaux de même taille et de même temps de gestation23. Pline s’aventure beaucoup plus lorsqu’il accepte qu’un escargot marin et un cheval puissent féconder24. Il n’en reste pas moins qu’il est admis dans le monde savant d’expliquer certaines formes monstrueuses par la mixité des espèces. Cependant, comme nous le verrons plus loin, la bestialité ne fut que très peu sollicitée dans les argumentations tératogéniques au cours du Moyen Âge et de l’époque moderne25.
L’épistémologie des philosophes physiciens
8Nous avons souligné la continuité du fonds, certes passé au crible de la critique savante. Reste à aborder la méthode scientifique des penseurs antiques.
Les cosmologies et le recours au surnaturel
9Nous en avons dit deux mots précédemment, cette critique philosophique s’attaque d’abord au mythe et tout particulièrement aux mythes relatifs à la formation du monde. Les premiers « physiciens » ou « physiologues »26 expliquent le monde et sa création en rejetant les grandes personnifications divines. Aux théogonies et cosmogonies des poèmes religieux comme celui d’Hésiode, succèdent les cosmologies d’Anaximandre ou de Thalès par exemple27. Lors de sa formation, le monde a dû se conformer à des lois constantes. La notion de Nature intègre tout le réel, y compris le divin : elle est soumise à des lois (nomós) internes fixes, tout comme le Grec qui vit dans la Cité, à la différence du Barbare qui, lui, est soumis à un monarque aux décisions arbitraires. La Nature de ces philosophes refuse les concepts d’autómaton, « spontané », « sans cause », et de túkhè, « fortune », « hasard »28. Toutefois, la pensée de ces philosophes n’est pas la seule à concevoir des lois et à rationaliser. Prenons l’exemple du héros Teucros qui, lors d’un combat de la guerre de Troie, vise Hector avec son arc dont la corde est neuve. Or, celle-ci se casse29. L’expérience de Teucros en la matière lui permet de concevoir une ligne de démarcation entre ce qui est normal, prévisible, habituel, et ce qui ne l’est pas. En bon archer, Teucros sait bien qu’une corde neuve ne casse pas de cette manière : il est donc victime d’une volonté divine. Ainsi, pour qu’il prenne conscience d’une intervention extérieure, c’est-à-dire le surgissement de la surnature dans le réel habituel du technicien, il faut bien que Teucros ait conçu un ensemble de lois naturelles. Comme l’enseignait le philosophe stoïcien Cléanthe, ce sont toutes ces « exceptions » tels les orages, les foudres, la peste, la tempête ou la naissance de monstres humains et animaux qui constituent l’une des quatre causes de l’universalité auprès des hommes, de l’idée de divinité30. Certes, comme pour de nombreux systèmes de pensée31, est délicat de parler de « surnature » dans le cas de la Grèce ancienne, car les forces religieuses font partie intégrante de la nature à l’instar des daimones, qui expliquent aussi bien le cours normal des choses qu’une situation pathologique. Le terme est cependant pratique pour désigner tout ce qui bouleverse l’ordre habituel des choses. Tout comme Teucros qui maîtrise un savoir-faire à partir de principes (résistance des matériaux, durée prévisible de l’usage d’une corde d’arc), le maçon doit tenir compte des lois de l’architectonique et le potier de règles afin que ses vases ne se brisent pas lors de la cuisson. En bref, il s’agit de savoirs techniques nécessaires pour mener à bien une opération.
10Dans les sciences naturelles, la question est très comparable. La « rationalité » n’est donc pas le propre de la pensée philosophique. Teucros comme le « primitif » font preuve d’une rationalité qu’on peut qualifier de « cognitive ». De même, les ethnographes et ethnologues ont pu très souvent constater une grande connaissance du milieu naturel chez les cultures observées. La « pensée sauvage » de Claude Lévi-Strauss met en œuvre tout un processus de classifications complexes32. Donc, ni le principe de classification ni le déterminisme, pas plus que la notion d’expérience, ne sont le propre de la pensée philosophique. La différence entre cette dernière et la « pensée sauvage » est plus évidente lorsqu’il est question du pathologique au sens large : événements inhabituels, irréguliers et anormaux comme les grands phénomènes climatiques et terrestres ou encore les accidents et la maladie. Selon Aétius, pour Leucippe, disciple de Zénon d’Élée, lui-même disciple de Parménide, « nulle chose ne se produit fortuitement, mais toutes choses procèdent de la raison et de la nécessité33 ». Nous l’avons vu plus haut, cette même idée fut exprimée en médecine par l’auteur hippocratique du De l’art qui refuse toute notion de « spontanéité » (autómaton) puisqu’elle est, par essence, négation de la causalité34. L’originalité du raisonnement philosophique des penseurs de la Grande-Grèce mais aussi des Ioniens comme Thalès, Héraclite ou Anaximandre, apparaît de manière la plus éclatante lorsqu’il s’agit d’expliquer des événements peu courants, ceux dans lesquels le commun pourra y voir les signes d’une intervention divine. Ainsi, dans le mythe, la foudre exprime la colère de Zeus mais pour Leucippe, c’est le feu emprisonné dans les nuages qui, en s’échappant, produit le tonnerre35. Les tremblements de terre ne sont pas dus à Poséidon furieux frappant de son trident le fond des mers : Thalès, concevant la terre comme un navire flottant, les explique par les mouvements de l’eau, tandis que pour Anaxagore, c’est l’air qui s’infiltre sous terre qui cause les séismes36. Ces explications concernent tous les séismes et toutes les foudres, et non pas ceux survenus en telle ou telle circonstance ; elles sont donc universelles. À l’arbitraire d’un dieu à la psychologie trop humaine, est substituée une loi valable pour tous les cas d’un même phénomène.
Les sciences de l’homme et de la nature
11Au ve siècle, la médecine entreprend une démarche comparable et des écoles philosophiques l’étudient et en débattent. Ainsi, certains des philosophes physiciens exercent l’art de soigner et de guérir. La médecine appartient à un ensemble d’arts (téchnai), au même titre que la rhétorique, la diététique, la sculpture, la musique ou encore la gymnastique, dont les règles sont consignées dans des ouvrages du ve siècle et du début du ive. Parmi ces philosophes médecins, citons Alcméon, Philolaos et Empédocle qui, installés en Italie du Sud près de Crotone, furent en contact avec des écoles médicales célèbres. Toutefois, ce lien trop étroit entre philosophie et médecine attira les critiques du courant hippocratique37 qui, en outre, chercha à se distinguer des « charlatans » et des guérisseurs qui bénéficiaient d’un grand succès auprès de la population38. La maladie étant le domaine privilégié des explications surnaturelles, les critiques furent virulentes. Ancrée dans les esprits (d’ailleurs, dans le vocabulaire hippocratique même, l’expression « maladie sacrée » désigne l’épilepsie), la croyance en des maux dus à une volonté divine se retrouve chez Homère, Hésiode ou dans la tragédie. Au début du premier livre de l’Iliade, pour venger l’outrage fait à son prêtre Chrysès, Apollon descend de l’Olympe et de son arc commence à abattre indistinctement hommes et bestiaux. Le loimós, le fléau contagieux, envoyé par Zeus sur la cité abritant le coupable se retrouve chez Hésiode39, Sophocle et dans bien d’autres épisodes mythologiques. La pestilence est une punition divine frappant aussi bien les plantes, les animaux et les hommes : de son côté, l’auteur hippocratique des Vents précise a contrario l’existence de maladies spécifiques à l’homme ou à certains animaux et végétaux. Débarrassé de sa connotation religieuse de souillure, notamment provoquée par le versement coupable de sang, c’est en suivant sa propre nature que le míasma hippocratique nuit à la nature humaine, ou plus spécialement à tel ou tel individu40. Ainsi, le miasme obéit aux lois de sa nature et de celles des hommes, ce qui implique une certaine régularité de la cause. De même, les maladies des filles pubères sont souvent dues à une mauvaise ou inexistante évacuation du sang, ce qui rend inutile toute offrande à Artémis41. Toutefois, si l’auteur de la Maladie sacrée qui aborde l’épilepsie, refuse d’y voir une intervention divine, il ne rejette pas pour autant toute origine divine à cette maladie : en effet, c’est parce que la Nature est divine, Nature dont dépendent toutes les maladies42, que tous les phénomènes le sont, qu’ils soient normaux ou pathologiques43. Même si cette épistémologie ne fait pas forcément l’unanimité, beaucoup de ces philosophes l’adoptent, tout comme les médecins hippocratiques dont l’auteur de la Maladie sacrée. Si les « merveilles », les « prodiges » (θαυμαστά) et les « monstres » au sens large (τέρας) peuvent être dits « contre nature » (παρά φύσιν), c’est au sens restreint du terme : « naturel » est ce qui est fréquent et régulier, et « contre-nature » ce qui est inhabituel. Ces phénomènes exceptionnels n’en demeurent pas moins intelligibles selon des causes exclusivement mécaniques et donc naturelles.
12Nous y avons insisté plus haut, un grand nombre d’anciennes théories des sciences naturelles persiste chez les savants. Dans les multiples ouvrages intitulés De la nature (Περί φυσεως), les auteurs reprennent souvent d’anciennes idées mais celles-ci sont sélectionnées, compilées, ordonnées, c’est-à-dire classées par thèmes, structurées, mises en relation avec d’autres, et pour la plupart épurées d’explications surnaturelles. Les savants des vie-ive siècles av. J.-C. sont – pour reprendre une image de Max Weber44 à propos des élites religieuses –, des « virtuoses » au regard du plus grand nombre dont les connaissances ne sont pas du même type. À partir de ces savoirs hérités, ils ont mis au point des concepts et des catégories linguistiques45, toutefois leur nouvelle classification a brouillé bien souvent les anciens complexes symboliques que l’on peut malgré tout reconstituer. L’articulation entre ces deux modes de pensée ne se situe donc pas dans l’élaboration de lois ni même dans leur contenu, mais plutôt dans leur universalisation. Ce qui manifestait chez Homère ou Hésiode leur suspension – et c’est la définition du miracle – disparaît dans les théories des philosophes présocratiques. Tous les événements, même les plus extraordinaires, font partie intégrante de la Nature et il n’y a plus lieu de penser en termes d’intervention divine. C’est pourquoi la démarche intellectuelle que les φυσιολόγοι ont suivie pour élaborer leur regard sur le monde se distingue principalement par l’abord de ces phénomènes qui brisent la régularité du cours des choses. Dans leur pensée, l’événement jugé « contre nature » s’explique par des causes physiques : il est réellement et seulement extra-ordinaire. Ainsi, quelle que soit la nature du phénomène, sismique, météorologique ou biologique (un nouveau-né monstrueux), l’explication ne retient que les causes naturelles. Si la mise en relation systématique d’événements et de causes fonctionne en général comme dans la pensée magique, en revanche, dans le cas de la naissance d’un monstre par exemple, la pensée philosophique ne prend en compte que les aspects matériels où interviennent les différentes humeurs du corps (sang, sperme) et les organes mis à contribution (verge, matrice).
13Pour mieux faire ressortir les aspects originaux de la réflexion philosophique, nous avons précédemment souligné qu’elle reprenait certaines opinions anciennes. Certes, pour les auteurs naturalistes, le corbeau n’est plus le compagnon maudit d’Apollon mais rien ne les empêche de considérer que cet animal s’unit par le bec. De même, la belette n’est plus Galinthias, la compagne d’Alcmène, et si Anaxagore en croise une, il n’y verra pas un signe de mauvais augure à l’instar du superstitieux de Théophraste qui aurait craché dans ses vêtements en guise de protection46. Cependant, rappelons-le une nouvelle fois, rien sur le plan épistémologique, ne dissuade Anaxagore de continuer à penser que toutes les belettes mettent bas par la gueule et que cette particularité relève de leur nature. Le travail que les historiens ont accompli pour les mythes : séparer le probable de l’impossible afin d’en dégager une vérité historique, dépouillant ainsi les héros de leur surnaturalité, les naturalistes l’ont également réalisé vis-à-vis des mythes étiologiques. Chez les historiens, il n’était retenu de Thésée que sa fonction royale et le Minotaure était devenu éventuellement un personnage cruel nommé Taureau. Chez les naturalistes, le mythe était mis de côté pour ne garder que la définition naturelle de l’animal. Ainsi, à propos de l’influence lunaire sur le cycle menstruel féminin, Plutarque expose au iie siècle ap. J.-C. une théorie tout à fait représentative de cette épistémologie où seul l’aspect mythologique est rejeté47 : la lune met en mouvement l’humidité des corps et contribue de ce fait à relâcher les humeurs ; les douleurs de l’enfantement s’en trouvent ainsi diminuées. C’est pour cela qu’Artémis « qui n’est autre que la lune » (« ούκ ουσαν έτεραν ἤ τὴν σελήνην »), est appelée aussi Locheía ou Eileithya. L’erreur des anciens – poursuit Plutarque – est d’avoir personnifié un corps céleste48. Tous les savants ou presque, y compris Aristote, reconnaissaient l’influence de la lune sur la physiologie féminine. Ce dernier se contentait de critiquer ceux qui avaient attribué à cet astre, un sexe, en l’occurrence féminin49. L’originalité ne consiste donc pas en la nouveauté systématique d’un savoir mais plutôt en la critique « démythologisante » d’un savoir ancien. Nous ne pensons donc pas que le mouvement des naturalistes et celui de la critique du mythe diffèrent dans leurs fondements épistémologiques.
14Deuxièmement, ce n’est pas non plus la constitution de lois de la nature qui représente la grande originalité de la démarche philosophique. En effet, pour reprendre le parallèle politique, il est vrai que l’apparition de lois écrites constitue un phénomène important mais il n’est ni nécessaire ni suffisant. Tout d’abord, la présence de lois ne se limite pas au contexte démocratique50. Elles peuvent certes vite transcender le particulier c’est-à-dire le monarque qui les conçoit et sont alors présentées comme ayant été dictées par une divinité : Shamash à Hammourabi, Yahwé à Moïse, Zeus à Minos. En fait, la régularité des décisions est ressentie comme également nécessaire dans un contexte monarchique. Ce n’est donc pas la notion de loi qui détermine la démarche des présocratiques. La reconnaissance de lois de la nature est une constante universelle et constitue d’ailleurs une condition préalable pour déceler le prodige et l’irrégularité puisque c’est la contradiction de ces lois qui définit elle-même le prodige. Pour filer la métaphore politique, nous dirons que la nature des anciens physiciens refuse d’admettre tout décret royal qui pourrait outrepasser les lois, voire les contredire, c’est-à-dire aller à l’encontre du cours naturellement légal des choses : le propre de la représentation du monde de ces savants ne se situe pas dans l’existence de la loi écrite mais dans le refus du tyran qui quelquefois passe outre aux usages collectivement admis. Tous les cas observables sont prévus dans les lois naturelles et aucun « article 16 »51 ou loi d’exception ne saurait être prononcé par une quelconque divinité. Le soleil ne peut pas ne pas se lever tous les matins. Quant aux malformations congénitales de certains enfants – les monstres toujours désignés par le mot téras, « signe » –, elles ne sont pas des oukazes d’origine divine mais doivent être expliquées par les lois internes du Code civil naturel.
15Reste enfin à apporter une dernière précision : le stoïcisme qui reconnaît une valeur à la divination – et donc à la notion de monstre présage – ne nie pas pour autant les positions précédentes. Le modèle n’est certes pas celui de la religion traditionnelle civile qui conçoit une intervention divine extérieure. Il s’aligne cependant sur les principes philosophiques établis. Loin de signifier une suspension provisoire des lois de la nature, le monstre était considéré comme la conséquence naturelle d’une réaction légitime. Il était dans l’essence même de la nature, du fait de la bienveillance des dieux depuis les origines, que celle-ci prévînt par des présages, les événements graves à venir : une naissance monstrueuse ou n’importe quel autre prodige annoncent des bouleversements prochains. La nature répond ainsi à une offense faite par un homme52. Cette vision d’une nature conçue comme un « grand vivant » où tout est solidaire semble bien correspondre à une sorte de synthèse entre la religion traditionnelle et la philosophie. Quant au présage lui-même, il n’est pas tant constitué par du merveilleux que par un réseau sémantique plus ou moins complexe. Ainsi, un serpent qui s’enroule autour d’une serrure peut être vu comme un signe, surtout si la porte est celle d’un homme illustre mais, comme le soulignent depuis des siècles, les détracteurs de la divination, il y aurait réellement prodige si c’était la serrure qui s’enroulait autour du serpent53.
Les lois naturelles du corps : idées et théories
16Dans leurs ouvrages, les physiologues comme les médecins ont exposé diverses théories de la reproduction au nombre desquelles, celles qui abordent :
l’origine de la semence : le sang (Alcméon), la moelle (Hippon) ou l’ensemble du corps (Hippocrate) ; on lui reconnaît une nature écumeuse, c’est-à-dire un mélange d’eau et d’air54, et sa formation est en tout point semblable à la fabrication du fromage avec la séparation du serum et du caseum55 ;
le sexe de l’enfant, fruit de combinaisons diverses où interviennent des facteurs comme le côté gauche ou droit, le chaud et le froid, le sec et l’humide, ou le fluide et l’épais ;
le rôle de la femme et l’existence ou non d’une semence féminine ;
la ressemblance des enfants avec leurs parents, souvent pensée en termes d’affrontement et où interviennent les éléments précédents.
17En bref, il s’agit d’interrogations classiques des théories de la conception qui relèvent de ce que l’on nommera une « ethnobiologie » ou des « ethnosciences naturelles ». En réalité, tous les débats qui opposent les savants cachent l’essentiel : chaque auteur ne se limite pas à une seule théorie mais en combine plusieurs. Par exemple, le Corpus hippocratique reconnaît la sexualisation des côtés56 qu’Aristote cumule avec la fluidité57 et pour certains, si le côté droit produit des mâles c’est parce que la présence du foie en augmente la chaleur, etc. Tous les propos convergent sur un point, la valorisation du mâle : il est admis que la grossesse d’un enfant mâle se passe mieux, les envies y sont moins violentes et la délivrance moins douloureuse58 ; le garçon brille par sa nature plus vigoureuse, il bouge de manière plus et corps se forme plus tôt59. De plus, malgré quelques débats contradictoires comme celui du premier organe formé, la plupart de ces questions (nature de la semence, sexe de l’enfant) puisent dans un fonds collectif partagé par tous les penseurs. Dans ce système, les différents couples d’opposés peuvent se superposer et se correspondre : à côté de mâle-femelle, l’on trouvera épais-fluide, chaud-froid, sec-humide, droite-gauche, extérieur-intérieur, haut-bas, soleil-lune, méridional-septentrional, limité-illimité, impair-pair... Aristote le souligne, ce dualisme a été particulièrement présent chez les pythagoriciens60 dont Alcméon pour qui « la plupart des choses vont par deux » mais ils n’ont pas été les premiers à en parler. Dans la série de couples, le premier terme représente la perfection, la limitation et le bien, le second correspondant à l’imperfection, au moindre bien pour ne pas dire au pire. Ainsi, l’on y retrouve des éléments anciens, disons plus prudemment « traditionnels », fondamentaux dans la culture grecque et re-théorisés par les penseurs de l’époque historique. Par exemple, la dévalorisation du côté gauche se retrouve chez Aristote hors tout contexte de superstition et de religion61, et demeure une constante dans la culture occidentale. Ainsi on constate sans surprise que les discours médicaux et physiologiques se présentent comme des applications en un domaine particulier d’une idéologie plus vaste où les notions se répondent. Par exemple, aux fonctions sociales – domestique pour la femme et donc relevant de l’intérieur et de la passivité, et politique pour l’homme qui est de nature active et tourné vers l’extérieur – correspond une structure identique dans la physiologie et la sexualité. Les appareils génitaux masculin et féminin s’opposent également de cette manière, en fonction de ce même clivage intérieur-extérieur et actif-passif. De cette façon, l’idéologie sociale dans son ensemble se trouve inscrite et par là même légitimée par les lois biologiques. Elles n’ont rien de gratuit et constituent bien au contraire, une référence indispenable. En bref, le bouillonnement apparent que laisse entendre le nombre des débats masque la réalité : le lourd poids de l’héritage et l’importance de la continuité.
La ressemblance
18Un enfant qui ressemble à ses parents, quoi de plus naturel ? Cette ressemblance est une évidence souvent expérimentée, impliquant de plus une forte dimension affective. Toutefois, dans de nombreuses aires culturelles, elle ne se limite pas à une vague constatation flatteuse pour la famille mais, fondamentale dans le processus de reconnaissance de l’enfant et ce dans tous les sens du terme, elle constitue une part essentielle dans les théories et les représentations relatives à la reproduction. Reconnaître physiquement l’enfant et donc constater qu’il ressemble à sa parenté plus ou moins élargie est une condition pour qu’il soit socialement reconnu comme légitime et ainsi maillon direct dans la succession des générations. La non-ressemblance trahit donc le bâtard et à plus forte raison le monstre. Nous le verrons plus loin, la définition principale du téras est « celui qui ne ressemble pas à ses parents ».
19Dans les théories antiques, cette ressemblance est d’origine génétique, c’est-à-dire due au principe même des semences parentales. Pour reprendre le cas classique en anthropologie des Trobriandais qui, selon Malinowski, n’attribuaient aucun rôle à l’homme dans la génération, la ressemblance était acquise par la fréquentation régulière du père et de l’enfant, ce dernier en quelque sorte marqué et impressionné ex utero par l’image de ce modèle qui ne pouvait être qu’un père social62. Ce n’est pas le cas en Grèce ancienne ni à Rome où cette ressemblance est d’emblée inscrite dans les éléments constitutifs du corps. L’ensemble des auteurs physiologues et médecins, à l’exception d’Aristote et d’Anaxagore63, reconnaissent l’existence des deux semences, masculine et féminine. L’acquisition du sexe de l’enfant est dès lors conçue comme un affrontement entre les principes du père et de la mère. Certes, pour les auteurs tardifs comme Soranos ou Galien (iie siècle ap. J.-C.), bien que plus faible, la semence féminine entre malgré tout dans la fabrication de l’enfant. Le sexe comme la ressemblance sont déterminés à l’issue d’une véritable guerre d’influence entre les semences64 : la dominante impose ses particularités comme le sexe, la forme et les traits du visage. L’auteur hippocratique du Régime65 propose un ensemble de combinaisons que nous avons résumées en un tableau synoptique : entrent en jeu les semences de chacun des deux parents, lesquelles contiennent une double nature, à la fois mâle et femelle.
AFFRONTEMENT DES PRINCIPES | Principe du père | ||
mâle | femelle | ||
Principe de la mère | mâle | [pas d’affrontement] | Le principe mâle l’emporte : homme efféminé |
homme très viril et courageux | Le principe femelle l’emporte : femme virile | ||
femelle | Le principe mâle l’emporte : homme moins fort mais viril | [Pas d’affrontement] | |
Le principe femelle l’emporte : femme hardie mais modérée | femme féminine et très belle |
20Le discours sur la ressemblance pose également la question de l’hérédité ou justement de la non-hérédité de certains caractères physiques. Ainsi, pour les tenants de la théorie pangénétique de la semence, se pose le paradoxe du père infirme d’un enfant sain66. C’est aussi la question de l’hérédité des caractères acquis qui apparaît de manière sous-jacente. Puisque la semence provient de tout le corps, si chez l’un des parents, il manque un bras, une jambe ou un doigt, la semence en est altérée et normalement l’enfant devrait être affecté de la même tare. Or, constatent les auteurs, ce n’est pas toujours le cas. L’auteur du De la génération (XI, 1) le reconnaît : « De parents estropiés [πεπηρωμένων άνθρόπων], il arrive souvent que les enfants naissent normaux, en effet la partie mutilée a tous les composants d’une partie saine. » Il précise malgré tout comment, par le pangénétisme de la semence, l’infirmité du parent peut se transmettre à l’enfant : « Ce qui provient de la partie mutilée est plus faible et il ne paraît pas étonnant que l’enfant soit estropié par le parent. » La semence n’est pas fournie complètement et l’enfant peut connaître la même tare (τὴν γονὴν οὐχ ὅλην παρέχουσιν).
21Aristote établit ce même constat : de parents estropiés, il arrive que les enfants naissent malformés mais plutôt rarement67. Comment expliquer ce paradoxe apparent ? Ailleurs, il critique la théorie pangénétique de la semence et rejette donc l’argument de l’hérédité des tares68. Pline fait des remarques identiques69 : il n’y a donc pas de règle et toutes les combinaisons sont possibles. La statistique ne peut donc que faire pièce au raisonnement par trop systématique de l’hérédité des malformations70. Mais ici intervient une notion importante : le saut de génération (δὶα γενεων). Aristote l’invoque dans sa réfutation du pangénétisme et, à l’occasion, fait appel à une anecdote : une femme d’Élis ayant eu un rapport avec un Éthiopien, ce ne fut pas son fils qui fut noir mais le fils de celui-ci qui présenta les traits du grand-père éthiopien71. À la lecture des auteurs antiques, ce serait apparemment le cas le plus fréquent dans l’hérédité des tares. Ainsi, selon la situation type, l’enfant porte comme son nom, la tare du grand-père en sa chair. Obtenue par hérédité – comme par héritage – cette tare ne relève en rien du monstrueux, puisque le semblable a reproduit le semblable et que preuve est ainsi faite que l’enfant est légitime et qu’il trouve sa place dans la continuité familiale.
22En fait, pour revenir à la ressemblance, il existe un véritable code d’une certaine bonne ressemblance. Le petit-fils, image du grand-père, en est une des données positives. Pour Aristote et sûrement pour l’ensemble de la société, la règle « normale » veut – même si, bien sûr, les « exceptions » sont fréquentes que le fils ressemble plus au père et la fille plus à la mère72. Ce schéma type de la bonne ressemblance défendu par Aristote et correspondant à la logique de parenté athénienne constitue la référence, les autres situations devenant ainsi des écarts. Justement, Aristote dresse une série de degrés qui, de cette bonne ressemblance, vont, à force d’écarts, jusqu’à la monstruosité. Certains enfants ressemblent plus aux parents qu’aux ancêtres, d’autres plus aux ancêtres qu’à n’importe qui, d’autres à aucun des parents et enfin, certains n’ont pas même forme humaine et n’ont de commun que l’animalité73. Comme nous le verrons plus loin, la ressemblance est le critère central de la définition aristotélicienne du téras : celui qui ne ressemble pas à ses parents est dèjà dans une certaine mesure un monstre74.
23Ainsi, le bâtard devient un véritable monstre social. Dans la non-ressemblance aux parents, il est dangereux de s’écarter de manière trop horizontale alors que le saut vertical de génération n’a rien de répréhensible, bien au contraire. Le matérialiste Lucrèce l’exprime à sa manière75 : « Parfois aussi les enfants ressemblent à un aïeul, ou même font revivre les traits d’un bisaïeul76, parce que le corps de chacun des deux époux renfermait un grand nombre de principes divers remontant de père en père (patribus patres), à la souche primitive (a stirpe profecta) C’est ainsi que Vénus varie la production des visages en imitant les traits des ancêtres avec leur voix et leurs cheveux. »
24L’exemple du bisaïeul, proavus, déjà mort à la naissance du descendant, montre comment les ressemblances pouvaient être véritablement cherchées au sein des familles. C’était à la mémoire collective ou à la confiance de celle d’un ancien que l’on devait ces rapprochements dont on suppose bien qu’ils étaient trouvés dès lors qu’on cherchait à les établir. Pour les traits du visage à Rome, dans les familles plutôt aristocratiques, l’on peut toujours supposer le recours soit aux portraits réalistes de la tradition républicaine et ce durant tout l’empire, soit aux masques de cire à l’effigie des ancêtres, que la famille conservait dans des armoires et qu’elle sortait à l’occasion de défilés funéraires. Ces masques étaient ressemblants, nous affirme Polybe77 mais que dire sur le souvenir de la voix de l’arrière grand-père, critère particulièrement subjectif qui ne pourrait souffrir la moindre contre-preuve ? Ainsi, qu’il s’agisse d’une marque physique particulière ou d’une ressemblance globale, puisque c’est l’assemblage qui produit l’effet78, porter les mêmes traits que le père ou l’ancêtre n’est pas si anodin et ne se limite pas au plaisir de se l’entendre dire au grès des compliments bienveillants. Si l’enfant ressemble, c’est la garantie qu’il appartient bien à cette verticalité familiale dans ses traits comme dans son nom, celui du clan ou de la phratrie. Pour Rome, faut-il évoquer si besoin est, l’exemple de Cicéron qui devait son cognomen, c’est-à-dire le surnom de sa gens, Cicero, de cicer,-eris « pois-chiche », à la verrue devenue proverbiale qui marquait le visage de l’un de ses ancêtres79 ? L’orateur ne portait plus la marque qui ne s’était pas transmise mais il y a fort à parier que si tel avait été le cas, il aurait été, malgré ce défaut, considéré comme rectus au sens de « conforme à l’aspect humain » mais aussi au sens de « droit », c’est-à-dire dans la continuité verticale. Ainsi, il n’y eut point de bâtardise à redouter. Ces marques que sont les naevi, les cicatrices ou d’autres particularités, peuvent donc être recherchées pour que l’on puisse être affilié aux ancêtres. Des anecdotes circulent aussi à ce sujet où de simples caractères acquis comme le tatouage peuvent être transmis. Aristote réfute mais cite cet exemple : on a déjà vu des enfants porter la même cicatrice au même endroit que leur parent et à Chalcédon, un père au bras tatoué (stigma) eut un fils qui portait, bien que confuse et dessin80. Pour Pline des éléments autres que les anecdotes aristotéliciennes, ce qui démontre la pérennité de la théorie. Chez les Daces, une marque au bras acquise toutes les quatre générations seraient la preuve de leur origine et donc d’une certaine continuité génétique81. L’encyclopédiste rapporte encore l’exemple de la famille des Lépides où trois individus naquirent avec la même particularité, une membrane recouvrant l’œil82. Par numismates auraient, semble-t-il, déceler des rois parthes une sorte de verrue héréditaire, l’épithéliome adénoïde cystique ou tricho-épithéliome, adénome transmis par un gène dominant. La présence de ce point sur la tempe des monarques depuis Mithridate II (roi de 123 à 88 av. J.-C.) jusqu’à Volagèse II et ses successeurs au début du iiie siècle ap. J.-C., c’est-à-dire sur une dizaine de génération, souligne que le souci esthétique – la verrue est quelquefois cachée par une mèche de cheveux – ne l’emporta pas sur la volonté d’exhiber cette marque d’ascendance familiale et donc de légitimité royale83.
25En revanche, le bâtard ne ressemble pas au père social mais comme tous les enfants, il est un reflet du père biologique. Une certaine conception symbolique place la femme – ou son utérus – dans un rôle assimilé à un miroir. Le mari s’y reflète, y reproduit son image et le schéma idéal est donc un fils qui ressemble à son père. Au iie siècle ap. J.-C., Artémidore présente dans sa Clef des songes une telle traduction symbolique. Voir dans un miroir son propre visage annonce la naissance d’un enfant du même sexe : « Pour un homme sans enfant, cela prédit la naissance d’un fils, pour une femme la naissance d’une fille ; lui-même84. » Les de ressemblance entre fils et père et fille et mère sont donc bien établis. En outre, d’autres rêves sont lus au regard d’une symbolique identique. Un homme, nous dit Artémidore, se vit en rêve en train de se mirer dans un miroir taché, sûrement un peu corrodé par la rouille. Ce fut le signe qu’il aurait un enfant d’une putain dont il était épris. La courtisane lui donna un fils. Quant à la tache du miroir, elle représentait aussi bien l’aspect moral de la situation – nature matérielle de la souillure – que la marque concrète qui frappa l’enfant puisque ce dernier naquit atteint de strabisme85.
26Un enfant trop différent peut donc dénoncer le bâtard et de ce fait, le délit d’adultère. Deux anecdotes grecques tardives sont ainsi construites, l’une dans un roman et l’autre considérée comme authentique. La première correspond bien aux exigences romanesques de l’époque hellénistique tardive. C’est dans les Éthiopiques d’Héliodore que l’on lit l’histoire d’une princesse éthiopienne qui mit au monde un enfant blanc. Accusée d’adultère elle dut fuir peu de temps après alors qu’elle était innocente car si l’enfant était née blanche, c’est que durant la conception, elle avait regardé avec insistance un tableau représentant l’héroïne Andromède : l’imagination avait marqué l’enfant86. L’autre histoire est symétrique, puisqu’il s’agit d’un enfant noir né parmi les blancs : une femme grecque qui met au monde un noir est accusée d’adultère (κρινομένη μοιχείας) et se rend compte bientôt qu’elle a une ascendance « éthiopienne »87. Ces deux histoires témoignent d’une conception très relativiste du bâtard et du monstre : ce n’est pas la chose en soi qui le définit mais bien le fait qu’il ne naisse pas là où il faut. L’imagination est à chaque fois un recours dans ces quasi-actes de médecine légale. Ce fut le cas longtemps durant les périodes postérieures où cette théorie était très attestée et Pline, dans son chapitre sur la ressemblance, le disait aussi : la ressemblance peut être altérée par les images de l’esprit88. « Altéré » est bien le mot qui convient car, que ce soit par l’imagination ou l’adultère, les principes sont mélangés et l’image du père devient autre (alter) par la même occasion elle est falsifiée. C’est bien le fait de devenir autre (ad-alter) qui sous-tend le sens de l’adultère latin (adulterium)89.
27Il faudra donc toujours garder ceci à l’esprit : la ressemblance des enfants aux parents constitue une importante ligne de démarcation entre d’un côté, l’enfant légitime reconnu et de l’autre, le bâtard et le monstre. C’est pourquoi une situation collective faste peut être définie lorsque les enfants ressemblent aux parents, alors qu’une dissemblance généralisée entre les enfants et les parents, manifeste une malédiction90.
Monstre ou infirme ?
28Dès qu’il s’agit de pathologie humaine, les réflexions des philosophes ou physiologues divergent de celles des médecins. Nous allons le voir à propos des malformations congénitales.
Typologies des philosophes
29C’est à Empédocle que, dans l’Antiquité tardive (iie-ive siècles ap. J.-C.), la doxographie attribue la première réflexion systématique sur ce sujet : « Empédocle prétend que les monstres naissent soit par excès (πλεονασμὸν) de semence, soit par défaut (ἕλλειψιν), soit par perturbation du mouvement (κινήσεως άρχήν), soit par division (διαίρεσιν), soit enfin par une déviation (άπονεύειν) ; ainsi il semble avoir fait le tour de toutes les causes possibles91. »
30Straton proposait une typologie assez voisine : « Straton [pensent qu’ils naissent] par addition (πρόσθεσις), soit par soustraction (πφαίρεσις), soit par un changement de place (μετάθεσις), soit par le gonflement (ἐμπνευμάτωσις)92. »
31Dans le même ordre d’idée, la typologie de Galien ne s’articule plus que sur les deux points essentiels, formant une polarité de deux opposés : le défaut et l’excès. Le passage galénique cité ci-après s’insère dans la description de certaines monstruosités, et l’exposé de l’opinion de certains médecins comparant la semence à du plomb fondu et la matrice à un moule qui, s’il est incliné, produit un ouvrage inégal93. Puis vient l’opinion personnelle de l’auteur, relevant plus de la philosophie que de la médecine : « Les monstres naissent par défaut (ἔλλειψις), ou par excès (πλεονασμὸς) : [ce qui se manifeste] soit par une grandeur excessive comme les “grandes têtes” (μεγαλοκέφαλα), soit par la petitesse comme les “têtes de moineaux” (ϭτρουθοκέφαλα)94 ou encore par l’excès comme les sédigitaires (ἑξαδάκτυλα), pourvus d’un doigt surnuméraire95. »
Empédocle | Straton | Galien |
Excès | Addition | Excès |
Défaut | Soustraction | Défaut |
Division | Changement de place | |
Déviation | Gonflement | |
Perturbation du mouvement |
32Typologie des monstres
33L’axe central de ces typologies repose sur un principe déjà souligné : une structure bipolaire, en l’occurrence le trop et le pas assez. La différence essentielle qui distingue ce couple d’opposés de certains autres couples comme gauche-droite ou masculin-féminin, consiste en la dévalorisation des deux pôles. L’excès comme le défaut sont condamnables, ils constituent des tendances à éviter et dont il faut rester à égale distance afin de conserver la mesure. Il est ici fait référence à un autre axe de valeurs. Alors que la droite est bonne en soi et préférable à la gauche, il n’en est pas de même du sec. Dans ce second cadre d’analyse le bien ne réside pas dans une qualité mais dans un moyen terme, c’est-à-dire dans un équilibre (isonomía) qu’il faut établir entre les contraires. C’est la condition nécessaire et suffisante au règne de la santé. Celle-ci s’efface devant la maladie lorsqu’il y a suprématie (monarkhía) de l’une de ces qualités.
Monarkhía | Isonomía | Monarkhía |
trop peu ← | quantité équilibrée | → excès |
34Cette conception n’est pas sans rappeler la réflexion de Georges Canguilhem : « Le normal est le degré zéro de la monstruosité96. » Le monstre est à ce niveau défini comme l’incarnation de l’excès, sans que des cas tératologiques soient décrits.
Typologies du Corpus hippocratique
35Il est essentiel de noter que nulle part dans le Corpus hippocratique, l’on ne trouve le mot τέρας au sens de monstre physique97. Pour désigner les individus atteints de malformations congénitales, les auteurs emploient le plus souvent le terme ἀνάπηρος, « infirme » ou « estropié » (de ἀναπηία, « infirmité »), ainsi que πήρωμα, πηρός « estropié », « mutilé » (de πήρωσις, « privation » d’un membre ou d’un sens)98. Le Corpus ne se préoccuperait que des infirmes » et non des « monstres ». Quelle en est donc la signification et quel est l’enjeu de ce manque qui ne peut être attribué au seul hasard ?
36– Tout d’abord, l’on peut supposer qu’au ve siècle, le τέρας comporte toujours, aux yeux des auteurs hippocratiques, une trop forte connotation religieuse, celle de « signe des dieux ». Ainsi, se limiter à un adjectif plus neutre constituerait un choix inspiré par des préoccupations de nature matérialiste. Certes, pour l’épilepsie il n’existait pas d’autre formule que l’expression « maladie sacrée » mais il était facile dans le cas qui nous intéresse, d’éviter un mot à consonance trop surnaturelle ou merveilleuse. Ce domaine était désigné dans la langue latine par le pluriel mirabilia et correspondait au grec teratôdes et teratología : chose ou discours extraordinaire. Toutefois, d’autres explications peuvent être envisagées.
37– Cette distinction pourrait relever d’une question de degré, c’est-à-dire que le téras serait affecté d’une infirmité plus grave que celle de l’ánaperos. C’est ce qui pourrait être établi chez Denys d’Halicarnasse lorsque à propos de la loi de Romulus qui autorisait le citoyen romain à tuer son enfant, il précise que ce dernier pouvait le faire seulement si c’était un téras ou un ánaperon (τέρας η ἀνάπηρον), en bref s’il s’agissait d’un monstre ou simplement d’un infirme99. En effet, dans le droit romain, on emploie selon les cas pathologiques des mots différents. Au début du iiie siècle ap. J.-C., le jurisconsulte Ulpien distingue trois types de déficiences physiques, « vel portentosum, vel monstruosum, debile100 », mais sans véritablement les définir. Dans la loi 38 du Digeste, le même Ulpien rapporte la terminologie de Labéon, ier siècle av. J.-C., pour désigner le monstre humain, lequel emploie le mot ostentum. Il y est question d’un être à trois mains ou à trois pieds ou encore pourvu d’une autre partie du corps contre nature101 ; l’auteur différencie par ailleurs l’ostentum d’un autre type de phénomène prodigieux que les Grecs nomment fantasmata « apparition », « prodiges », « fantômes ». Dans la loi 14 du Digeste, 1, (De statu humana) reprenant une sentence du jurisconsulte Paul, on distingue les adjectifs monstrosus et prodigiosus mais encore une fois, leur réalité pathologique n’est pas détaillée dans ses nuances. En fait, si les mots ne sont pas toujours clairement déterminés, deux catégories apparaissent plus clairement dans le droit romain. Ce sont d’une part, les êtres qui ressemblent à des humains et d’autre part, ceux qui n’ont plus rien d’humain, « non humanae figurae, sed alterius, magis animalis quam hominis102 ». Cette distinction téras-ánaperos peut cependant s’appuyer sur un autre critère que celui du degré.
38– En effet, le discours hippocratique sur les malformations se construit autour de deux axes : l’hérédité avec la semence défectueuse et la forme de la matrice qui peut gêner la croissance du fœtus. Pour le premier des facteurs, la chose est simple : reprenant la théorie de l’hérédité et de la spermatogenèse, les auteurs avancent le fait que d’un parent infirme il peut naître souvent des enfants infirmes bien que les exemples contradictoires soient majoritaires. Nous l’avons vu plus haut, « de parents estropiés, il arrive plus souvent que les enfants naissent normaux ; en effet, la partie mutilée a tous les composants d’une partie saine » : c’est donc le pangénétisme qui est à l’origine de cette théorie. Avec l’exemple des Macrocéphales, l’auteur des Airs, eaux, lieux103 affine un peu plus le propos. Ce peuple pratiquait une déformation rituelle du crâne, un allongement, au moyen de bandages appliqués sur la tête de l’enfant. Au bout de quelques générations, la culture avait intégré la nature et les enfants naissaient la tête allongée104. Rien d’étonnant à cela car « la liqueur séminale provient de toutes les parties du corps, saine des parties saines, altérée des parties malades ». Cependant, le chapitre de l’hérédité nous fait sortir du domaine propre de la monstruosité en tant qu’écart. Car si d’un monstre il naît un monstre identique, c’est que la nature aura reproduit le semblable et l’on ne pourra plus alors parler de déviance. Dans ce contexte précis, le mot anápêros convient tout particulièrement.
39Mais dans le Corpus hippocratique, il existe un autre facteur de difformité en vertu duquel le semblable n’a pas reproduit le semblable : c’est la forme de la matrice. Celle-ci, avons-nous vu avec l’exemple de Galien, est pensée comme un moule et si la place manque, la croissance et le développement de l’enfant seront contrariés, ce qui pourra entraîner une difformité plus ou moins grave. Deux raisons expliquent le manque de place : d’une part, la nature de la matrice trop étroite qui ne peut produire que des êtres faibles ou déformés et d’autre part, les accidents. Dans les deux cas, la croissance de l’enfant est gênée. « Si l’endroit de la matrice correspondant à telle articulation du fœtus est étroit, il est fatal que, le corps se mouvant à l’étroit, le fœtus soit estropié à cet endroit. C’est comme les arbres qui dans la terre n’ont pas d’espace, mais sont arrêtés par une pierre ou autre chose : en poussant, ils sont tortus (ϭκολιὸν), gros d’un côté, minces de l’autre ; de même, l’enfant, si un endroit quelconque de la matrice est trop étroit pour la partie (correspondante de l’enfant)105. »
40Deux tendances essentielles se dégagent donc de la collection hippocratique où la réflexion est de nature principalement étiologique :
Principe | Hérédité | Accident |
Moteur | Semence | Matrice |
41L’interrogation hippocratique diffère nettement des typologies philosophiques. Elle ne recherche pas les principes théoriques comme l’excès ou le défaut mais elle s’interroge sur les causes mécaniques et matérielles qui peuvent être à l’origine de naissances contrefaites. Elle décrit le processus même de la fabrication d’un être difforme. En effet, plus qu’une question de degré, c’est une définition qui sépare le monstre de l’infirme. Le téras possède une définition théorique relative à son organisation alors que celle de l’ánaperon est descriptive correspondant au laid (kakomorphos). Il est tordu physiquement tandis que le téras est monstre d’abord d’un point de vue philosophique, il ne ressemble pas à ses générateurs et surtout son organisation intrigue. Le laid possède un ou plusieurs membres difformes, déviés ou tordus ; le monstre, lui, est composé de membres sains pris en eux-mêmes mais leur organisation générale est défectueuse. Il est muni de trois bras, de deux têtes, de mains et de pieds à six doigts, c’est l’exemple bénin choisi par Galien, sur le modèle des fameuses générations monstrueuses de la cosmogonie d’Empédocle. Durant cette cosmogonie, des membres d’animaux s’assemblent sans ordre et au hasard des combinaisons, provoquant la naissance de bœufs à tête humaine ou d’autres fantaisies de ce genre106. Ainsi, contrairement à la monstruosité, l’harmonie – la philía empédocléenne – sait organiser les membres ou les éléments d’un corps à l’instar de ceux d’un discours ou d’une création plastique tendant vers et atteignant parfois le sublime107. En posant l’éternel rapport entre les parties et le tout, la définition du téras et du teratôdes est avant tout philosophique.
Aristote
42Ce n’est certainement pas Aristote qui nous contredirait sur ce point. Au chapitre 4 du livre IV de la Génération des animaux, Stagirite aborde le sujet et partant d’une réflexion critique à l’égard de Démocrite108, il expose les causes matérielles des monstres. Il emploie certes le mot téras mais lors de la description du processus mécanique, ce sont les mots pêrôma et kolobà qui sont usités. Selon lui, les causes tératologiques sont à chercher du côté de la multiparité et certains animaux seraient plus particulièrement exposés à ces phénomènes :
les oiseaux et surtout les poules : quand les poussins sont séparés par la membrane, il naît deux jumeaux distincts mais quand la membrane fait défaut, il naît des poussins monstrueux « avec un seul corps et une seule tête, mais quatre pattes et quatre ailes109 »,
les chèvres et les moutons, les chiens,
les hommes s’ils sont fertiles, comme en Égypte, pays pris en exemple.
43En revanche, d’autres animaux ne produisent jamais de ratés : grâce aux alvéoles, les « enfants » des abeilles et des guêpes ne peuvent combiner leur corps.
44Il est remarquable que ces exemples appartiennent tous au domaine domestique avec les volailles, les caprins et les ovins facilement observables et connus des éleveurs. Si les explications d’Aristote prennent en compte d’autres paramètres, celui-ci est néanmoins déterminant : c’est dans la proximité domestique que l’expérience des monstruosités a pu se faire de manière plus évidente surtout pour les esprits qui les ont considérés comme des signes divins. Comme pour l’imaginaire d’une Égypte foisonnante à la fertilité quelquefois excessive ou celui d’une Libye où tout se mélange et où la nature produit toujours quelque chose de nouveau, Aristote garde à l’esprit l’ancienne notion d’une monstruosité domestique s’opposant à une nature sauvage plus apte à la perfection.
45Sa tératologie ne se limite pas aux monstres par excès (πλεονάζοντες) car elle est complétée de quatre autres catégories :
461. Les monstres par défaut (ἐλλείποντες) ou mutilés (κολοβὰ) dont l’explication est le pendant des monstres par excès : les animaux multipares peuvent produire un ultime enfant déficient, par manque et faiblesse de semence, dont le « culot de portée », ou avorton, est l’exemple courant. Le rejeton est faible et quelquefois mutilé110. Tout est en fait question de nuance :
1 | 2 | 3 | ... | n | (n’) |
47Dans ce premier cas, n est un monstre par excès et ainsi n’ n’existe pas. L’ampleur est variable depuis le doigt surnuméraire jusqu’au monstre double
1 | 2 | 3 | ... | n | (n’) |
48Dans ce second cas, n’est un monstre par défaut c’est-à-dire qu’il peut avoir un doigt en moins (ectrodactylie) ou être le « culot de portée », le μετάχοιραν, littéralement « [celui qui naît] parmi les cochons ».
492. Les changements de place (μεταβολαὶ) dont il cite de nombreux cas de situ inversus des organes internes. À ce propos, les renseignements fort précis ont pu certes être recueillis auprès de bouchers et de professionnel de la viande mais comme nous l’avons souligné pour les autres typologies, certains soucis semblent plutôt relever de préoccupations divinatoires que les prêtres examinateurs d’entrailles ont pu communiquer au philosophe. Nous touchons du doigt la clef de voûte de toute la tératologie laïque antique : la mise à l’écart de toute explication surnaturelle.
503. La bisexualité qu’Aristote présente comme un résultat si particulier de l’affrontement entre forme et matière, monstruosité par excès qui serait particulièrement présente chez les chèvres111. En réalité, un seul sexe domine et chez un hermaphrodite, un seul sexe peut produire112.
514. Diverses monstruosités, notamment les obstructions et imperforations des orifices comme celui du sexe, de l’anus ou des oreilles113.
52L’intérêt aristotélicien pour les monstres ne s’arrête pas à cette classification de types mais toute sa réflexion s’intègre dans une philosophie globale de la nature où la notion de finalité est fondamentale. Chez Aristote comme chez ses prédécesseurs, le monstre relève d’abord d’une philosophique. En ce qui concerne la reproduction, cet enjeu se manifeste comme suit : seul le mâle est acteur dans la génération et il tend à se reproduire lui-même, c’est-à-dire à donner naissance à un autre mâle qui lui ressemble. Donc, il y a monstre lorsqu’il y a dissemblance entre le produit et le générateur114, nous retrouvons ici le bâtard avec les degrés de non-ressemblance. Ainsi, lorsque à partir d’un mâle naît une femelle, on peut considérer qu’il y a production tératologique puisqu’il y a eu déviance définie comme une « résistance de la matière » (ὕλη), contribution féminine, face à l’action de la forme (μορϕὴ), contribution masculine. En vertu de ces postulats, la femme devient le premier degré de la monstruosité : elle n’a de commun avec son générateur non pas le sexe mais seulement l’appartenance à l’espèce. Le produit n’est pas un anêr mais demeure néanmoins et nécessairement un ànthrôpos puisque la femelle est utile pour la reproduction. Un autre degré d’écart plus grave se manifeste lorsqu’il n’y a plus en commun que l’appartenance à la gent animale et il s’agit alors du proprement dit115. Les monstres, les térata, sont mis en parallèle avec deux autres catégories d’êtres : les animaux « défectueux » (anápêra) et les animaux « incomplets » (pêromata) c’est-à-dire ceux qui n’ont pas encore accompli leur fin téléologique et qui s’opposent ainsi aux téleia. Il faut voir dans ces ateleía, les larves et plus généralement les enfants. Cette classification repose sur un référent universel qui est l’humain adulte mâle. Eu égard aux écrits politiques d’Aristote, nous pourrions préciser « grec ». Alors, deux schémas de la définition aristotélicienne du monstre et du défectueux peuvent être proposés :
Le schéma dynamique (définition des térata) où le générateur (A) est défini au moyen de trois critères : il est animal, humain et mâle. Ainsi, quatre cas de figure peuvent être envisagés à propos du produit (B).
Il est animal, humain et mâle, A = B. La finalité est accomplie.
Il est animal, humain mais femelle, A ≠ B. La résistance de la matière se manifeste dans le sexe. Il s’agit d’une première déviance qui est nécessaire : la femme est un monstre utile.
Il est animal mais non humain, A ≠ B. C’est une déviance plus grave et inutile qui produit un monstre proprement dit.
Il n’est pas même animal, comme par exemple la môle, et aucune finalité n’est accomplie. La résistance de la matière a fonctionné à l’encontre de tous les items.Schéma statique (définition des pêrômata) où le référent type par la forme est l’animal, humain, adulte et masculin. Les déviances sont ainsi :
les êtres inanimés par rapport à l’animal
les animaux qualifiés d’anápêra par rapport à l’humain
les enfants et les larves dits pêromata par rapport à l’adulte
les femmes par rapport à l’homme
53Par rapport à sa nature qui n’a pas su se reproduire à l’identique, le générateur mâle donne naissance à une femelle qui est la première catégorie de déviance monstrueuse mais Aristote ne peut nier la nécessité de l’existence des femelles pour la procréation puisque c’est elle qui, lors de la gestation, apporte la matière à l’enfant. De ce fait, elle participe à l’accomplissement de la finalité. La femelle est définie comme une déviance nécessaire116.
54Cette distinction entre πήροματα et τέρατα rejoint nos réflexions sur le corpus hippocratique dont les auteurs n’emploient jamais le second terme. Une des explications tératogéniques se fonde sur l’hérédité : l’enfant hérite des tares de ses parents. Cette catégorie des ἀνάπερα correspond au groupe aristotélicien des πήροματα, définition statique du monstre. En effet, ce n’est pas l’écart vis-à-vis du générateur qui constitue le référent mais l’écart par rapport à un modèle : c’est la définition morphologique qui l’emporte et qui justifie chez Ambroise Paré par exemple, la présence d’animaux comme la baleine et le caméléon au sein d’ouvrages consacrés aux monstres et aux prodiges. Ce flottement sémantique jamais dépassé – que ce soit dans les langues grecque, latine ou française – se manifeste de manière évidente chez Pline117, Augustin118 ou Isidore de Séville119 qui traitent conjointement les malformations congénitales et la question des races monstrueuses. Chez Aristote cependant, l’articulation entre les deux termes est un peu plus nette, car il tente de systématiser une notion passant sans cesse d’un référent à l’autre, morphologique ou étiologique : la femme est téras par sa cause et l’enfant même mâle est pêromata par sa forme. Les deux champs sont bien distingués et ne sont d’ailleurs pas parallèles. On saisira alors véritablement toute la portée des propos d’Aristote lorsqu’il écrit que l’infirmité est une forme de monstruosité : l’infirmité est une description alors que la monstruosité est une définition et une définition de principe.
Opposition des points de vue philosophique et médical
55Opposition de nature et opposition d’angle d’analyse, cette distinction entre téras et anáperos, construite sur le clivage philosophie/médecine, n’est pas apparue ex nihilo. En effet, avant d’être posée comme monstre philosophique et infirme médical, elle a d’abord été pensée comme une distinction entre infirmité physique simple, non dénuée nécessairement de gravité, et forte pathologie à valeur religieuse ajoutée. Dans la Grèce archaïque et mythique, l’infirmité ne bénéficie pas forcément d’une valeur religieuse ou magique : si la cécité connaît un grand prestige, notamment dans les attributs prophétiques ou poétiques comme chez le devin Chalcas ou dans la représentation traditionnelle d’Homère, en revanche le bossu ou le difforme sont particulièrement déconsidérés à l’instar de l’anti-héros homérique Thersite. Le téras est différent. D’abord physiquement : un sixième doigt est plus marquant qu’une bosse qui, même plus grave, reste une pathologie assez commune. Quant à sa dimension du non ressemblant, elle est également ancienne : lorsque Hésiode menaçait certaines femmes de mettre au monde des enfants qui ne ressembleraient pas à leurs parents120, il s’appuyait sur une traditionnelle définition monstre punitif. C’est donc sur un plan épistémologique que les philosophes se sont intéressés aux térata et les médecins aux anápera, pérennisant ainsi une distinction préexistante et sûrement consciente chez Denys d’Halicarnasse. Leurs soucis étant d’abord préventifs et curatifs, les auteurs du corpus hippocratique n’avaient pas de raison particulière de se préoccuper du téras ; il n’en était pas de même des philosophes pour qui l’examen d’une définition d’abord religieuse ou touchant le merveilleux représentait une tâche fondamentale. Ainsi, la définition religieuse du téras (Hésiode) est modifiée d’un point de vue philosophique dans la typologie d’Empédocle ou chez Aristote, alors que l’anáperos en tant qu’infirmité neutre et dépourvue de toute valeur religieuse relève du domaine médical hippocratique.
56D’ailleurs, ce caractère philosophique du monstre se vérifie dans la littérature scientifique plus tardive. Ainsi, chez Galien comme chez le pseudo-Galien, les réflexions tératologiques d’esprit philosophique apparaissent dans les moins médicaux des traités121. Inversement, le nom d’Hippocrate est absent des diverses doxographies où l’intérêt est d’abord philosophique. De plus, étonnamment, Aristote ne figure pas au nombre des auteurs cités dans le paragraphe consacré aux monstres des traités Opinions des philosophes, que ce soit celui du pseudo-Plutarque, au iie siècle ap. J.-C., ou celui d’Aétius, au ve siècle. Sur cette question, la pensée empédocléenne avec ses différentes catégories théoriques fait référence aux premiers siècles de notre ère. D’un autre côté, les œuvres médicales tardives comme celle d’Oribase ne disent mot sur la question tératologique à l’exception certes de la môle. Pour les traités de Galien, nous l’avons souligné, seule est présente la typologie systématique car le problème ne se traite pas sous un angle médical. Chez Paul d’Égine enfin, viie siècle ap. J.-C., quelques cas sont cités mais leur présence ne se justifie pas par des explications causales ni même préventives puisque le souci est avant tout curatif et ne concerne donc que de légères malformations122.
57Dans la tradition médicale savante de l’Antiquité, ce sont en fait les auteurs du corpus hippocratique et surtout celui du De la génération qui se sont le plus intéressés aux malformations congénitales. Mise à part la théorie de l’hérédité que les auteurs postérieurs comme Aristote ou Pline ont reprise, la mécanique de la forme demeure fondamentale. Elle est d’ailleurs l’explication type des médecins, selon le doxographe Aétius c’est le « gonflement de la matrice » qui est évoqué le plus souvent parmi eux (των ἰατρων). Cette explication par le moulage est bonne et facile. Elle appartient pour ainsi dire au registre expérimental car sa représentation est aisée. En outre, elle est la correspondance in utero des procédés tératogéniques artificiels accomplis extra utero sur le corps de malheureux enfants dont on gêne la croissance par des moyens cruels. Il y a certes la technique des Macrocéphales123 qui se déformaient la tête au moyen de bandage, déformation rituelle que l’on retrouve dans de nombreuses aires culturelles124. On peut aussi penser aux procédés décrits et dénoncés par Sénèque le rhéteur ou Longin125, lesquels ne sont pas sans rappeler les usages des énigmatiques comprachicos de l’Espagne du xviie siècle, immortalisés par Victor Hugo dans L’Homme qui rit.
Les cages où l’on élève les pygmées, qu’on appelle des nains, non seulement empêchent la croissance de ceux qui y sont enfermés, mais encore les estropient par les prisons qui contraignent leur corps (Longin).
58Qu’il ait lieu à l’intérieur ou au dehors du corps maternel, le mode de fabrication est le même126. C’est pourquoi, cette notion de corps contraint est mieux exprimée par les mots de la famille de pêrôma que par le trop vague et peut-être trop racoleur téras.
59En fait, la réflexion tératologique de la médecine apparaît en négatif puisque la monstruosité ou la difformité – comme l’on voudra – c’est-à-dire la non-conformité du corps aux attentes des hommes, est précisément ce contre quoi lutte l’art médical. Il propose, quant à lui, un ensemble de conseils, une ligne de conduite propre à un certain art, la paidopoía, kallipaidía ou encore l’euteknía, termes différents pour désigner la même chose : l’art de faire de beaux enfants. Ces prescriptions se retrouvent réunies dans des traités dont l’objet essentiel demeure la physiologie féminine et le but avoué, la réussite d’une belle descendance. Ce sont les γυναικεία, terme que l’on traduit couramment par « gynécologie » et dont la transcription correspondrait plutôt au néologisme « féminitude ». Une procréation peut revêtir un caractère monstrueux à défaut de cet art et dans l’ignorance de ces conseils pratiques dont la maîtrise caractérise l’honnête homme, admirablement personnifié par Ischomaque dans les Économiques de Xénophon au ive siècle av. J.-C. Dans ce cadre toute réflexion sur une éventuelle bestialité fructueuse est absente, même si cette théorie est pourtant approuvée par une majorité de savants antiques, dont Aristote.
Les stratégies techniques
60Ce mot de Louis-Ferdinand Céline dans Voyage au bout de la nuit (1932), « Le ventre des femmes recèle toujours un enfant ou une maladie », pourrait tout à fait se retrouver dans un écrit médical ancien. En effet, la femme est considérée par la plupart des auteurs comme la plus sensible des femelles, sensibilité qui se manifeste d’abord par la crise d’hystérie présentée comme une « suffocation de la matrice ». La raison en est le flux menstruel qu’elle est la seule à connaître ou du moins chez qui il se manifeste le plus127. Elle est également la seule femelle à produire des môles, ces masses de chair informes que la bio-médecine moderne définit comme une dégénérescence kystique d’un embryon128. Mais pour quelles raisons la femme bénéficie-t-elle de ce triste privilège ? À l’origine, écrit l’auteur hippocratique de l’Ancienne médecine, l’homme devait se nourrir et vivre comme une bête sauvage, c’est-à-dire sans moudre, sans faire cuire ni bouillir les aliments. Durant cette époque, hommes et femmes souffraient de maux multiples qui n’épargnaient que les natures les plus résistantes alors que les personnes faibles périssaient rapidement129. Cette véritable sélection naturelle ne laissait que très peu de chance aux femmes les plus fragiles et sujettes aux maladies. Les survivantes étaient forcément plus résistantes que leurs pareilles des périodes suivantes. La pratique de la cuisine et du régime considéré comme l’ancêtre de la médecine ouvrit une nouvelle ère. Comparée à l’époque hésiodique, la situation contemporaine de la femme, la plus maladive des femelles, serait due à ce facteur culturel aussi bien que biologique : la disparition de la sélection naturelle par suite de la pratique de la cuisine et de la médecine, et (en particulier du régime. Plus physiologique que culturelle, la prédisposition féminine à la maladie s’explique aussi par d’autres facteurs, dont la station verticale. Celle-ci, caractéristique pour Aristote de la supériorité de l’espèce humaine, provoque selon Galien, avec les rétroflexions et les antéflexions de l’utérus, la plupart des féminines130. La humaine ses revers : les maladies utérines pour la femme. La domination sociale masculine s’ancre de ce fait sur une base physiologique et naturelle qu’il serait fou de vouloir nier. D’autre part, c’est parce que la monstruosité ne peut être observée que dans la proximité, celle des humains ou des animaux domestiques, que les notions de raté, de déviance et d’imperfection ont tant de force. L’immuabilité du supralunaire et l’apparente perfection d’une partie du sublunaire qu’est la nature sauvage soumise néanmoins à la corruption, relèguent l’homme dans un univers où l’erreur est partout susceptible d’apparaître et où il doit être acteur afin de repousser la menace du raté. L’agriculture comme l’élevage représentent des écarts par rapport à la nature sauvage. Ils nécessitent des soins particuliers afin que le raté ne s’impose pas. C’est le pari de la civilisation : pour compenser un état de nature parfait mais où l’espérance de vie est faible, l’homme devient acteur. Ainsi la terre doit être retournée, les plantes « cuites », le bétail sailli à la bonne saison, etc. Le rapport à la femme s’intègre dans cette même optique : il faut travailler pour obtenir une euteknía. La fabrication d’enfants, la paidopoía, s’apparente sur bien des points à ces domaines proprement humains que sont l’agriculture ou à plus forte raison, la technique et l’artisanat. L’imprécis y doit être le plus possible contenu. Tout cela constitue cet ensemble à forte connotation religieuse que décrivit Hésiode en son temps, les erga c’est-à-dire les « travaux ». Au processus naturel se substitue l’action proprement humaine, incarnée surtout par le mâle : le savoir-faire.
61Les conseils portent sur de nombreux paramètres, depuis le choix de la bonne épouse jusqu’au moment opportun pour la conception. La première étape – bien choisir sa compagne – consiste à trouver une femme susceptible de produire de beaux enfants, une eútekna, et sur ce point, les médecins ont établi de nombreux critères. Cet art qui relevait d’abord des sages-femmes et des entremetteuses, constitue un des piliers parmi les conseils prodigués au sein des ouvrages de gynécologie131. La non-communication entre la matrice et le haut du corps constitue le critère le plus important car il signifie la stérilité. Divers produits aromatiques, en particulier l’ail132, servent de marqueurs. Sous différentes formes, pessaires ou fumigation, ils sont appliqués dans le vagin. Les effluves odoriférants sont censés remonter jusqu’à la bouche et parfumer ainsi l’haleine. En ce cas seulement, la femme est jugée pubère et féconde. Hippocrate133 et d’autres médecins de cette époque dont Euryphon croient à l’infaillibilité de ce test. Ce n’est toutefois pas le cas de Soranos au iie siècle ap. J.-C., il s’oppose à ce genre de pratiques, et ne manque pas de critiquer de nombreux médecins pour qui l’aspect extérieur est le plus important : « Certains auteurs ont prétendu impropres à l’enfantement les femmes qui ne sont pas promptes à manifester joie ou peine par les regards ou par changement de couleur, et surtout en embrunissant : chez elles, disent-ils, il y a beaucoup de chaleur dans les désirs, ce qui fait varier le teint et l’assombrit. La semence rôtit pour ainsi dire à cette chaleur et disparaît134.
62Il est donc unanimement établi que d’une femme à la morphologie malheureuse, en particulier de la matrice, il ne peut sortir que des enfants malformés ou imparfaits135. Cette mauvaise disposition à la teknopoía ne peut pas être soignée. Ce constat, Ischomaque l’exprime à propos d’une terre qui est faite pour porter tel ou tel fruit : il ne sert à rien d’aller contre la volonté des dieux136. Il faut planter ce que la terre aime à porter et à nourrir car les meilleurs soins ne rendront pas une terre fertile au-delà de sa nature. La même fatalité est de rigueur dans le contexte gynécologique : certaines femmes ne sont naturellement pas aptes à procréer de manière satisfaisante et pour ces raisons, elles ne peuvent mettre au monde que des ratés. Il se dégage de cette fatalité, un énième critère de division des sexes. Par sa nature, une femme sera ou non une eútekna, c’est-à-dire bonne à procréer alors que l’homme qui se définit sur un plan d’abord culturel, pourra par son travail et une stratégie appropriée, atteindre ses buts callipédiques. Dans un paragraphe plutôt pessimiste, Galien souligne cela. L’homme et la femme doivent agir avec la sagesse de l’agriculteur mais c’est loin d’être toujours le cas. Il est donc heureux que la nature compense le plus souvent le non-respect des règles de bonne conduite :
Il est surtout admirable de voir la nature réussir presque toujours et se tromper si rarement dans ces choses si délicates, lorsqu’on voit au contraire, nos pères qui nous engendrent, et nos mères qui nous nourrissent dans leur sein, si rarement bien faire et si souvent être en faute dans l’acte de génération, hommes et femmes cohabitant, plongés dans un tel état d’ivresse et de réplétion, qu’ils ne savent même plus dans quelle région de la terre ils se trouvent. C’est ainsi qu’à sa naissance, le fruit de la conception est vicié. Faut-il citer ensuite les erreurs de la femme enceinte qui, par paresse, néglige un exercice modéré, qui se gorge d’aliments, qui s’abandonne à la colère, au vin, abuse des bains, fait un emploi intempestif des plaisirs vénériens ? Qui pourrait compter toutes ses fautes ? Néanmoins la nature résiste à tant de désordres si dommageables et remédie au plus grand nombre137.
63Suit une comparaison avec la sagesse du laboureur. Ce témoignage d’une morale sexuelle tardive et d’un esprit plutôt stoïcien, résume la conception traditionnelle de la paidopoía et nous livre quelques-unes des prescriptions adressées à la femme enceinte, nous y reviendrons plus loin.
64Pour réussir au mieux sa descendance, il convient donc de suivre une ligne de conduite stricte. Sans but forcément procréatif, ces conseils médicaux et moraux constituaient des arts d’existence ou des techniques de soi pour reprendre la terminologie de Michel Foucault138. Outre l’âge lors du mariage et de la procréation qui ne doit être ni précoce ni tardif139, il reste pour l’homme à saisir le kairós, c’est-à-dire le moment le mieux adapté et le plus opportun. Il faut tenir compte du moment physiologique, les règles féminines, de la saison de l’année, éviter l’été, de l’heure de la journée et de la nourriture consommée avant la tâche reproductrice notamment en évitant absolument l’ivresse140. Grâce à sa connaissance technique, destinée principalement à l’homme, ce comportement choisi tend à produire de beaux enfants et à écarter autant que possible l’apparition d’un raté. Ainsi, la fatalité propre à la situation féminine peut dans une certaine mesure être corrigée. Par conséquent, la médecine propose une définition particulière de l’infirme, voire du monstre, définition négative que caractérise l’absence de savoir-faire : le raté est de la nature brute, de la matière non travaillée et résistante, comme le dirait Aristote. Il est la marque de l’ignorance, un degré zéro de la technique culturelle dont la race humaine ne peut s’écarter sans risques. C’est dans ce contexte qu’une certaine dimension éthique imprègne la naissance d’un petit monstre.
Quelques métaphores de la gestation
65Cette conception technique de la fabrication d’un enfant n’apparaît pas pour la première fois au sein de ces traités gynécologiques mais on peut la voir déjà exprimée dans certaines images, métaphores ou analogies. Avant même les écrits médicaux hippocratiques, ces images anciennes des processus internes apparaissent chez des auteurs scientifiques. La première analogie, nous en avons dit quelques mots, renvoie au domaine agricole. L’homme ensemence la matrice de la femme. Celui-ci, à la fois soc de charrue et graine, plante son rameau dans les sillons maternels141. Les auteurs médicaux dont les hippocratiques ont régulièrement employé l’image à des fins soit de parabole soit de démonstration d’une structure identique : la femme est une terre fertile ou stérile, la mère est un arbre qui porte un fruit, son ventre peut contraindre la forme de l’enfant telle une pierre peut gêner la croissance d’une racine142. Le rapprochement est très fréquent et relève d’une appartenance symbolique très forte qui regroupe les divers domaines de la fertilité143.
66En revanche, les autres images correspondent plus à la technique artisanale. Par exemple, en vertu d’un certain holisme, le rapprochement de la spermatogenèse hématologique avec séparation de la semence et du sang sur le modèle de celle du caseum et du serum dans le lait, fait que l’enfant intra-utérin est pensé comme un fromage. D’abord constitué d’humeur liquide comme le sang et la semence, il est ensuite coagulé pour devenir un être solide fait de chair et d’os. La semence agit comme présure sur le sang menstruel assimilé au lait. La matrice est alors véritablement conçue comme une forme dans laquelle l’enfant est moulé144. Cette image qui bénéficia longtemps d’une grande faveur en milieu savant grâce à une réflexion d’Aristote et à un passage de la Bible, était aussi courante dans la population comme en témoignent quelques éléments relevés dans les enquêtes folkloriques des xixe et xxe siècles145. L’image du four et de la cuisson en général est aussi utilisée. Le thème de l’enfant-pain et de la force du levain sert également à expliquer les phénomènes intra-utérins. Le levain (ζύμη) permet de se représenter les phases diverses de développement varié : la création du monde chez Platon et la croissance des œufs des poissons chez Aristote, qui s’inscrit une nouvelle fois dans la tradition146. La femme est un four, cette idée est présente dans le langage courant. Lorsque Trygée, dans La Paix d’Aristophane « monsieur Lavandange », présente Théoria devant l’assemblée, et lui ordonne de se déshabiller et de dévoiler son intimité, il déclare : « Regardez cette cuisine147 ! Cette association relève également du langage symbolique que l’on comprend facilement et c’est tout particulièrement l’enfant-pain qui est ainsi décliné. Dans son récit de l’histoire du tyran Périandre, Hérodote dit que le fantôme de Mélissa, épouse défunte du tyran, lui apparaît et pour qu’il en soit convaincu, elle lui donne sous forme codée, un détail sordide que lui seul peut connaître, l’amour nécrophile que la tyran assouvit sur le cadavre de son épouse : « il enfourna ses pains (ἄρτους) dans le four froid (ἐπὶ ψυχρὸν τὸν ἰπνόν)148 ».
67Cette conception technique de la cuisson est par ailleurs conjuguée non plus avec le four mais avec le chaudron149. L’enfant cuit dans le ventre-marmite et les images symboliques sont nombreuses, rappelons en particulier celle qui met en scène la magicienne Médée. Pour montrer ses pouvoirs à Pélias, elle fait découper un vieux bélier et le met à mijoter dans un chaudron dans lequel elle rajoute des plantes magiques nécessaires à la réussite de l’opération. Après quelques instants, le bélier ressort jeune et fringant. En revanche, lorsque l’expérience est tentée sur la royale personne de Pélias, la magicienne échoue volontairement et le roi finit à l’état de pot-au-feu150.
68Dans ces représentations métaphoriques, la cuisson n’est pas exclusivement de nature alimentaire, puisqu’on la retrouve dans certaines techniques comme la cuisson de vases. En Mésopotamie, la fabrication des verres était placée sous la protection d’une sorte de génie aussi bien bénéfique que maléfique, le Κūbu. Les statuettes en terre cuite ou en bronze le représentaient sous la forme d’un être en position fœtale, on les plaçait à proximité des fours auprès des libations qui lui étaient offertes151. Ce génie intervenait aussi bien pour ces artefacts que dans la gestation d’un enfant à qui, s’il avait été sauvé d’un mal, on pouvait en guise d’ex-voto donner un nom composé avec kubu152. Dans la Grèce ancienne, les potiers pouvaient, au cours de la cuisson, invoquer Athéna, déesse des artisans, pour la protection de leurs vases, et dans le même sens, la déesse virginale possédait également des prérogatives en matière gynécologique comme la protection de l’enfant durant la gestation153. Ventre et four entretenaient traditionnellement des relations de type isomorphique. Enfin, dans la religion romaine, la déesse Ossipagina ou Ossipango organisait les os de l’enfant durant sa vie utérine154. L’image pouvait être celle d’une construction de charpente comme le dit le verbe pangere, « enfoncer », « ficher », « fixer », mais on peut y voir aussi un écho de l’image fromagère avec la notion de solidification, ce que semble impliquer la racine * pāk/-g- que l’on retrouve dans le latin pax, « paix » et qui est apparentée aux mots grec de la famille de πηξις, « coagulation ». Ici, les deux domaines techniques se conjuguent.
69Tous ces exemples nous incitent à inscrire l’image métallurgique de la fabrication des monstres, présente chez Galien, dans un contexte plus large. L’assimilation de la gestation à des techniques était fréquente et les naturalistes ne firent que reprendre un matériau existant, pour rejeter par exemple le mythe. Certes, Athéna ou Ossipagina pouvait ne plus être évoquées mais l’idée d’une structure identique entre gestation et cuisson ou coagulation demeurait. C’est l’intervention extérieure de la divinité qui fut contestée, laissant à l’homme et la femme l’entière responsabilité d’une euteknía pour laquelle il fallait par exemple éviter une chaleur excessive. On le voit, les analogies ou métaphores anciennes, reprises pour une grande part dans les écrits médicaux et philosophiques, assimilaient clairement la reproduction à une technique comparable aux divers savoir-faire quotidiens et l’assimilation du ventre au four comptait parmi les plus répandues. « Bonne à penser », on la retrouve déclinée au sein de contextes les plus variés comme l’imaginaire grec, tant religieux que philosophique, celui de sociétés traditionnelles exotiques155 ou encore en Europe156.
70Des divers sujets abordés, nous retiendrons ces quelques points importants. Tout d’abord, les médecins et les naturalistes anciens critiquent et repensent la notion de « contre nature », antichambre nécessaire du domaine plus vaste qu’est la « surnature ». Si une chose se produit, selon eux, c’est qu’elle fait partie intégrante de la nature et de ce fait, elle ne peut prétendre s’ériger contre elle. Si c’était le cas, il faudrait considérer l’événement comme le résultat d’une action et d’une volonté extérieure, dimension que l’on dirait alors « surnaturelle ». Cette action ferait ainsi irruption dans une nature dont le territoire serait limité à ce qui est courant et habituel. Il en est ainsi de la procréation : les causes et les facteurs agissants ne peuvent être qu’internes à la nature. Les naissances d’un petit monstre bicéphale, de frères siamois ou d’un simple bossu se justifient donc par des principes mécaniques. Toute la réflexion philosophique antique sur le monstre s’insère dans une épistémologie particulière de la nature où le monstre est systématiquement défini comme un écart.
71D’autre part, d’un point de vue médical, rater un enfant est le fruit d’une logique mécanique que la maîtrise d’un art permet d’éviter. Les personnes qui conçoivent des enfants difformes ou monstrueux sont certes responsabilisées mais comme pourrait l’être un mauvais technicien ou un mauvais artisan, et d’ailleurs, la connaissance de cette science callipédique est élevée au rang de critère de distinction. La dimension morale n’est donc pas absente. Si la ligne de conduite du stoïcien lui recommande de ne pas agir « contre » la nature, c’est que sa propre santé ou celle de sa descendance sont leurs propres fins : c’est ce qui relève de l’éthique. Sur ce point, nous nous situons dans un univers bien différent de celui des écrits chrétiens de l’époque postérieure. Les auteurs scientifiques de l’Antiquité préchrétienne qui ont traité de la sexualité ne classent pas de manière uniforme et systématique les attitudes en deux catégories, les licites d’un côté et les interdites de l’autre. L’attitude idéale se présente au contraire comme un jeu d’oscillations évoluant entre le plus et le moins, au sein duquel il faut éviter les extrêmes et où chaque particulier doit trouver sa voie selon qu’il est grand ou petit, chaud ou froid, sec ou humide... Cependant, les évolutions sont très nettes sur la longue durée et les conseils varient quelquefois du tout au tout157. Le christianisme se démarque ici nettement avec sa volonté affichée d’universalité. Sa morale impose à tous sans distinction aucune, aux gros et aux maigres, aux jeunes comme aux vieux de pratiquer la sexualité seulement les jours autorisés et dans des conditions bien définies. Cet aspect est déterminant pour saisir chez les savants antiques, la nature du rapport entre morale et hygiène. Dans l’optique païenne, c’est la santé physique qui prime car tout se joue au niveau de la mécanique du corps. Pour réussir sa descendance, il faut parvenir à trouver un moyen terme entre des excès opposés. Cette dimension stratégique s’intègre bien dans la notion que la langue grecque désigne par le mot τέχνη, « art » et « savoir-faire »158.
72Toutefois, c’est à l’art agricole que la paidopoía, l’euteknía ou encore la kallipaidía sont assimilées de manière la plus convaincante, l’importance des métaphores le confirme. Idée très largement exprimée chez Hésiode, elle est véritablement théorisée par Xénophon : partie intégrante de l’oikonomía c’est-à-dire la gestion du bien privé, la reproduction humaine se présente aux côtés de l’agronomía comme le seul moyen sûr et noble d’accroissement des biens et des richesses. Les correspondances s’articulent ainsi :
Agronomia | Teknopoia | |
+ | terre fertile | femme féconde |
– | terre inculte : mauvais produits | femme stérile |
+ | mauvaises récoltes | enfants difformes, monstres |
– | bonnes récoltes | euteknía |
73Dans l’idéologie générale, cette dimension technique de la reproduction, développée notamment par l’exégèse médicale, contribue à la domination du registre mécanique des facteurs agissants. L’intérêt se porte d’abord sur les causes matérielles et ainsi, dans la représentation des phénomènes internes au corps, la valeur matérielle finit par se suffire à elle-même pour expliquer les erreurs. De son côté, la question morale est limitée à des considérations d’ordre pratique. Le monstre est une erreur technique qui ne ressemble pas à ses créateurs comme l’artefact raté ne ressemble pas à ce qu’envisageait de faire le paysan ou l’artisan : le champ ne donne pas ou que fort peu de blé, le vase a été brisé par la chaleur excessive du four, le pain a pris une curieuse forme ou la statue de bronze a mal été fondue. Pour emprunter à Rabelais une expression fameuse, le père d’un monstre se trouve en situation d’être « tout estonné comme fondeur de cloche », lequel peut, selon la lecture aristotélicienne, assister plus ou moins régulièrement au spectacle d’une matière qui aura résisté à la forme.
Notes de bas de page
1 Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, Maspero, 1974, t. II, p. 95-124.
2 Hérodote, Histoires, II, 93.
3 Aristote, Génération des animaux (GA), III, 5, 756b 5 sq.
4 Ibid., III, 6, 756b 13 sq.
5 Le mythe rapporte que la servante Galinthias, ayant trompé Ilithye et ainsi permis la délivrance d’Alcmène, fut par vengeance transformée en belette et condamnée à mettre bas par la bouche, légende rapportée par des auteurs postérieurs à Aristote. Voir Ovide, Métamorphoses, IX, 314 sq. : « Elle conserve son ancienne promptitude ; son dos n’a pas perdu sa couleur [cheveux blonds] ; mais elle a changé de forme. Parce que sa bouche avait secouru par un mensonge une femme près d’enfanter, elle enfante par la bouche » (trad. Georges Lafaye) ; Antoninius Liberalis, Métamorphoses, 29 : ce dernier précise en outre que la belette conçoit également par les oreilles.
6 Histoire des animaux (HA), I, 11, 492a = frag. Alcméon A 7 Diels-Kranz (DK). Pour les auteurs postérieurs, voir Oppien, Cynégétique, II, 340 ; Varron, De l’agriculture, II, 3 : ces auteurs ne se rapportent pas à une tradition orale mais à Alcméon ou à Archélaüs, peut-être pour donner plus de crédit à une croyance répandue. Par contre Élien Personnalité des animaux, I, 53, se réfère à l’ouï-dire : « d’après ce que racontent les bergers ».
7 Sur le lézard, voir Pline, Histoire naturelle (HN), X, 84, et sur le reste Aristote, HA, VI, 7, 563b ; IX, 51, 632b et ailleurs : 633b (les tourterelles sont les seuls oiseaux qui pètent)...
8 « Pour prouver que la production d’êtres vivants trouve son origine chez eux, ils essayent aussi d’alléguer que, maintenant encore, en Thébaïde, le pays engendre en certaines occasions des rats si nombreux et si grands qu’on reste stupéfié en apercevant le phénomène ; en effet quelques-uns sont formés jusqu’à la poitrine et les pattes antérieures et remuent, mais le reste du corps est encore informe tant que la glaise reste encore dans son état naturel » (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, I, 10, 2, trad. Michel Casevitz, 1991).
9 HA, VI, 16 570a.
10 Nous lisons chez Pline une croyance semblable concernant les grenouilles en HN, IX, 159 : « semestri uita resluuntur in limum ».
11 Recueil de textes médicaux s’échelonnant semble-t-il de 450 à 350 av J.-C., le Corpus (ou Collection) hippocratique comprend quelque 50 à 70 textes, selon la façon de les regrouper. Un petit nombre seulement sont dus au médecin grec Hippocrate (environ 460-377 av. J.-C.). La première grande édition (avec traduction française) fut celle d’Émile Littré, 10 vol., Paris, 1839-1860.
12 GA, III, 11, 762a 18-21, trad. Pierre Louis. Cette présence universelle d’« âmes » rappelle la pensée de Thalès. La création « automatique » à partir de la boue apparaît comme un écho mécaniste de la création des êtres par les dieux et notamment Prométhée au moyen d’argile (voir ainsi Platon, Protagoras, 11, 320c).
13 Sur les réticences ou les méfiances vis-à-vis de la greffe, voir Jackie Pigeaud, « La greffe du monstre », in Revue des études latines, 66 (1988), p. 197-218.
14 À propos de cette légende, précisons que dès le ve siècle et durant toute l’Antiquité, le mythe est passé au crible d’une critique « évhémériste », du nom de l’écrivain grec Evhémère (v. 320 - v. 260 av. J.-C.) pour qui les dieux de la mythologie étaient d’anciens rois divinisés après leur mort. D’Aristote à Pausanias, de Thucydide à Plutarque, l’historicité du roi Thésée, par exemple, n’est pas contestée mais la bête qu’il dut combattre, fruit monstrueux de l’union entre Pasiphaé et un taureau, ne serait qu’une transformation populaire d’un roi ou d’un personnage sanguinaire. Voir Pausanias I, 3, 3 ; Plutarque, Thésée, 16, 1-2 : selon les Crétois, le Minotaure était à l’origine un dénommé Tauros, connu pour sa cruauté. Sur le sujet, voir Paul Veyne, Les Grecs ont-ils cru à leurs mythes ?, Points-Seuil, 1983, en particulier p. 17-27. Précisons cependant que ce point de vue critique sur les mythes était transmis non seulement par l’écrit mais aussi oralement.
15 Aétius, Opinions des philosophes, V, 14, 2 = frag. A 82 DK.
16 GA, 747b 25. Voir HA, VI, 24, 577b 20.
17 GA, II, 8, 748b 7-19, trad. Pierre Louis, CUF.
18 GA, 746a 29 - 746b 11 et 746a 34-35. Voir HA, VIII, 28, 607a.
19 « La cause en est évidemment la surabondance de l’élément liquide. Autre est la condition des êtres ailés, qui vivent suspendus dans les airs. Mais dans la mer, qui s’étale si largement et qui offre une nourriture aussi tendre que généreuse, la nature reçoit d’en haut les principes générateurs, et, sans cesse, elle procrée ; on y trouve même beaucoup d’êtres monstrueux, car les semences et les embryons s’y confondent et s’agglomèrent de multiples façons, roulés soit par le vent soit par la vague ; ainsi se vérifie l’opinion commune [ut fiat uolgi opinio] que tous les êtres naissant dans une partie quelconque de la nature se trouvent aussi dans la mer, sans compter beaucoup d’autres qui n’existent nulle part ailleurs. Elle renferme même des imitations d’objets inanimés, et pas seulement d’êtres vivants ; on peut s’en rendre compte en considérant le raisin [uua], l’espadon, les scies, et le concombre semblable <au concombre terrestre> et par la couleur et par l’odeur ; aussi, rien d’étonnant à ce que des têtes de chevaux surmontent de minuscules limaçons » (Pline, HN, IX, 2-3, trad. E. de Saint-Denis, CUF, 1955).
20 Aristote, HA, VI, 16, 570a 11-12 ; Pline, HN, XXVI, 95.
21 Question particulièrement approfondie dans le livre II de la Physique.
22 Dans le contexte de la physiognomonie animale, thème que nous aborderons au chapitre 6.
23 « Mais la naissance d’un pareil monstre, d’un animal dans un autre, est impossible : on le voit par la durée de gestation qui est tout à fait différente chez l’homme, le mouton, le chien, le bœuf ; or il est impossible que chacun d’eux naisse en dehors de son temps normal de gestation » (GA, IV, 3, 769b 22-25, trad. Pierre Louis, CUF). Voir Lucrèce, De natura rerum, V, 865-900.
24 Toutefois et sous l’influence d’Aristote, Pline (HN, X, 187) admet la nécessité d’un temps de gestation identique.
25 Par exemple Plutarque, Banquet des Sept Sages, 149 b-c (Thalès).
26 Physiológoi, de phúsis, « nature », apparenté au verbe phúein, « croître ».
27 Jean-Pierre Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, t. II, p. 103-104.
28 Dominent les principes d’identité et de non-contradiction (« l’être est et le non-être n’est pas ») de Parménide (frag. B6 et 7 DK) ainsi que celui de causalité (tout phénomène obéit à des lois).
29 Homère, Iliade, XV, 458 sq.
30 Cicéron, Nature des dieux, II, 12-14.
31 Émile Durkheim, Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912), Livre de poche, 1991, p. 354-355 ; 360-362.
32 Claude Lévi Strauss, La pensée sauvage, Plon, 1962, p. 3-47.
33 Aétius I, 25, 4, trad. J.P. Dumont = frag. B 2 DK. Sur la causalité, Lucien Lévy-Bruhl, La mentalité primitive (1922), Paris, Retz CEPL, 1976, p. 87-88.
34 C. 6.
35 Aétius III, 3, 10 = frag. A 25 DK. Sur ce même sujet de la foudre et des éclairs, voir d’autres penseurs comme par exemple Empédocle (frag. A 51 et A 63 DK), Anaximandre (frag. A 11, A 17a et A 23 DK), Héraclite (frag. A 10 à propos de Parménide et A 14) ou encore un auteur plus tardif (ive-iiie siècles av. J.-C.) comme Épicure (Lettre à Phytoclès, 101-104).
36 Sénèque, Questions naturelles, III, 14 = Thalès frag. A 15 DK, et Aétius, III, 15, 4 = Anaxagore frag. A 89 DK.
37 Critiques proférées dans De l’ancienne médecine et De la nature de l’homme. La Collection hippocratique comprend toutefois le traité Des chairs, fortement influencé par la philosophie d’Empédocle, d’Archélaos ou de Diogène d’Apollonie, et qui n’est pas sans rappeler non plus la théorie biologique du Timée de Platon.
38 Nombreuses attaques dans De la maladie sacrée.
39 Hésiode, Les travaux et les jours (TJ), 240.
40 Chez les médecins et les philosophes, demeure malgré tout l’idée de maladies épidémiques touchant tout ce qui vit : les vents ou la pourriture de l’air chaud et humide corrompent les fruits, les plantes les animaux et les hommes. Voir la description de la peste d’Athènes par Diodore, Bibliothèque historique, XII, 58, 3-5 : dans l’Attique et l’Athènes de 427-426 av. J.-C., tout est diaphtheiros, c’est-à-dire pourri et corrompu.
41 Maladies des jeunes filles, c. 1
42 C. 1 : « Περὶ μὲν της ἱερης νούσου καλεομένης ωδ ἔχει οὐδέν τι μοι δοκέε των ἄλλων θειοτέρη ειναι νούσων οὐδὲ ἱερωτέρη, ἀλλὰ ϕύϭιν μὲν ἒχει ἣν καὶ τὰ λοιπὰ νουσήματα, ὅθεν γίνεται. »
43 Depuis Hippocrate – et même bien avant –, Aristote et Cicéron et ce jusqu’à Montaigne au xvie siècle, en passant par Augustin, cet argument est inlassablement avancé : si la chose se produit, c’est qu’elle est naturelle.
44 Max Weber, Essai de sociologie des religions, A Die, 1992, p. 48.
45 Sur l’aspect liguistique, Geoffey E. R. Lloyd, Pour en finir avec les mentalités, La Découverte, 1993, p. 24.
46 Théophraste, Caractères, 16.
47 Plutarque, Propos de table, III, 10, 657f-659d.
48 Voir Cicéron, Nature des dieux, II, 119.
49 HA, VII, 2, 582b 1-3 ; GA, IV, 10, 777b. Galien croyait à l’influence lunaire sur les événements biologiques féminins (Des jours décrétatoires, III, 2 = IX, 903 éd. Kühn) alors que Soranos fut l’un des rares à ne pas y ajouter foi (Gynécologie, I, 21).
50 La métaphore de la loi politique est assez peu développée avant les stoïciens. Elle apparaît cependant chez Platon dans l’expression « παρὰ τοὺς της φὺϭεως νόμους » mais le mot surtout usité est δίκαιος à connotation plus morale (δίκαιον φυσικόν).
51 Article de la Constitution française de 1958 donnant au président de la République les pleins pouvoirs en cas de crise.
52 Parmi les auteurs latins voir Cicéron, De la divination, I (Quintus), 117-121, et Pline, HN, II, 7.
53 Cicéron, De la divination, II, 62.
54 Άφρὸς, « écume », est couramment rapproché du nom Αφρόδιτης (Aphrodite) et du mot ἀφρδισία, « choses de l’amour ». Hésiode, Théogonie, v. 198 ; Aristote, GA, 736a ; Clément D’Alexandrie, Pédagogue, I, 6, 48 : « Certains supposent que la semence de l’être vivant est l’écume du sang, pour la substance. Le sang fortement agité lors des enlacements, échauffé par la chaleur naturelle du mâle, forme de l’écume et se répand dans les veines spermatiques. Selon Diogène d’Apollonie, ce phénomène expliquerait le nom d’aphródisia. » Cette structure du sperme en permet la coagulation dans l’utérus. De manière analogue, la neige est de structure écumeuse pour Aristote (GA, 735b 21).
55 Par exemple [Hippocrate] Génération, I, 3. Nous avons bien affaire à une conception holiste du monde où, à différents niveaux, tout fonctionne de manière comparable : expliquer la formation du sperme avec la structure du lait, autre humeur du corps et correspondant féminin de la semence (produit du sang), est un procédé argumentatif classique présent également dans la médecine médiévale. Marie-Christine Pouchelle (Corps et chirurgie à l’apogée du Moyen Âge, Flammarion, 1983, p. 160 ; 271) les qualifie de « métaphore interne ».
56 [Hippocrate], Aphorismes, V, 48 = t. IV, p. 550, éd. Littré.
57 HA, VII, 3, 583b.
58 HA, VII, 4, 584a.
59 [Hippocrate], Aphorismes, V, 42 ; Aristote, HA, VII, 4, 584a ; Galien, in Oribase, Collection médicale, XXII, 3, 19 (t. IV, p. 59, éd. Daremberg-Bussemaker). Sur la formation, voir par exemple [Hippocrate], Nature de l’enfant, 18 le garçon se forme en trente jours alors que la fille seulement au bout de quarante. Pour Aristote (HA, VII, 3, 583b), l’embryon mâle bouge au bout de quarante jours et l’embryon femelle au bout de quatre-vingt-dix jours.
60 Aristote, Métaphysique, A, 5, 986a 20-25.
61 Marche des animaux, 4, 706a 20-21 : « Il est naturel que la droite soit meilleure que la gauche. »
62 Cette affirmation de Malinowski a souvent prêté à discussions. Voir quelques remarques dans Françoise Héritier, Les deux filles et leur mère, Odile Jacob, 1994, p. 236-237, et la défense construite par Bernard Vernier, Le visage et le nom. Contribution à l’étude des systèmes de parenté, PUF, 1999, p. 15-20 (dont la longue et pertinente note 2).
63 Anaxagore, in Aristote, GA, IV, 1, 763b 30 sq. = frag. Anaxagore A 107 DK. Aristote donne son opinion dans, entre autres passages, GA, I, 19, 727a 25-29. Pour Hippon de Rhégion, il y a une semence féminine mais elle est inutile.
64 Par exemple chez des auteurs présocratiques comme le pythagoricien Alcméon (frag. A 13 DK = Censorinus VI, 4, Aétius V, 7, 6) ou Démocrite (in Aristote, GA, IV, 1, 764a 6).
65 Régime, I, 28-29.
66 On distingue traditionnellement les théories pangénétique (semence issue de tout le corps) et encéphalomyélogénique (produite dans le cerveau et transmise aux organes générateurs par la moelle épinière). Comme pour la sexualisation de l’enfant où plusieurs théories se conjuguent (droite, chaud, masculin - gauche, froid, féminin), il y a surtout un rapport de complémentarité entre pangénétisme et encéphalomyélogénétisme (voir par exemple l’auteur hippocratique du De la génération, I, 2). Le facteur agissant de cette synthèse théorique est souvent le sang. Comme pour le lait, caseum et serum se séparent durant la cuisson. La semence a une nature mi-liquide mi-gazeuse et est apparentée à de l’écume : elle est donc forcément blanche et, sur ce point, Aristote critique l’affirmation d’Hérodote selon qui la semence des Éthiopiens serait noire (Hérodote, III, 101). Enfin, sur le pangénétisme, le principe de non-contradiction de Parménide appliqué par Anaxagore à la physiologie aurait été déterminant : voir Marie-Paule Duminil, « Les théories biologiques sur la génération en Grèce antique », Pallas, n° 31 (1984), p. 97-112.
67 HA, VII, 6, 585b.
68 GA, I, 17, 721b 17-22.
69 HN, VII, 50.
70 Athénée (in Oribase, Collection médicale, livres incertains, 7, 1 = t. III, p. 107, éd. Bussemaker-Daremberg) présente un raisonnement en la matière très systématique. L’infirmité est héréditaire.
71 Ailleurs, Aristote donne l’exemple de marques et de tatouages qui ne s’étaient transmis qu’à la troisième génération (HA, VII, 6, 585b 32-34). Pline reprend l’anecdote du petit-fils noir : il s’agit de la mère du lutteur byzantin Nicaeus qui était né d’un adultère avec un Éthiopien : c’est le petit-fils qui naquit noir : « exemplum est Nicaei nobilis pyctae Byzanti geniti, qui, adulterio Aethiopis nata matre nihil a ceteris colore differente, ipse avum regeneravit Aethiopiem » (HN, VII, 50).
72 GA, VI, 3, 767a 3-4 : « τὰ μὲν ἄρρενα μãλλον τω πατρί, τὰ δὲ θήλεα τη μητρί » et aussi en 768a 24-25 : Aristote précise que cette situation idéale est celle qui se produit la plupart du temps. Voir aussi en HA, VII, 6, 586a 4-5. Cette combinaison est également défendue par Pline (HN, VII, 51).
Pour la Grèce contemporaine, Bernard Vernier (Le visage et le nom, 1999, p. 13-14 ; 20-49) a analysé deux systèmes de parenté différents qui impliquent des règles de ressemblance elles aussi différentes. Dans le Magne, région du Péloponnèse de tradition patrilinéaire prononcée, la théorie de la ressemblance renforce les liens de parenté, le fils ressemble au père et la fille à la mère, alors que dans l’île de Karpathos, la ressemblance tend à équilibrer les règles de distribution d’héritage puisque la fille aînée est sensée plus ressembler au père et le fils aîné à la mère. Le tout est motivé par un souci d’équilibre afin d’éviter les effets dysfonctionnels (ibid., p. 21). La population karpathiote argumente sur la théorie : « c’est Dieu qui l’a voulu ainsi ». Pour la Grèce ancienne, l’on peut également envisager deux types avec, d’un côté, une théorie de la ressemblance qui accentuerait la linéarité par sexe dans le cadre d’un patrilinéarisme fort, Athènes, et, de l’autre, un système de parenté croisée où les enfants tiendraient autant du père que de la mère (cités ioniennes d’Asie Mineure). Il est tout à fait possible que ces systèmes aient coexisté à la même époque dans des régions différentes, ce qui expliquerait par la même occasion les deux théories contradictoires de la génération : le modèle « hippocratique » où le père et la mère apportent une contribution égale, et le système « aristotélicien » où seul le père est procréateur, la mère n’étant que le réceptacle. Voir notre étude : Olivier Roux, « Parenté hippocratique et parenté aristotélicienne. Quelques réflexions sur les théories biologiques de la Grèce ancienne », à paraître dans la revue Pallas (Toulouse), n° 79, mai 2009. Une étude plus approfondie s’avérerait très certainement fructueuse.
73 GA, VI, 3, 767b 2-5.
74 Μὴ ἐοικὼς. Le mot employé le plus souvent par les auteurs pour dire « ressemble à » est ἐοικὼς + datif. On trouve le pluriel ἐοικότα ou ἐοικότες et les formes ἐοικέναι (x 4 : [Hippocrate], Génération, VIII, 1) et ἐοικε (x 3 : ibid.). Avec ἐοικὼς et ses dérivés, Aristote emploie également les mots ὁμοιότητες de la famille d’ὁμοιότητος (ὅμοιος) mais c’est plus rare : il s’agit d’une notion plus théorique (voir Éthique à Nicomaque, 8, 1 : « ὁ ὅμοιος ως τὸν ὅμοιον », « le semblable va vers le semblable »).
75 Lucrèce, De la nature des choses, IV, 1208-1224. La traduction d’Henri Clouard ne suit pas exactement l’ordre du texte en vers latin (Garnier, 1964).
76 1208-1209 : « Fit quoque ut inter dum similes existere avorum / possint et referant proavorum saepe figuras »
77 Polybe, Histoire VI, 53-54.
78 δημιουργεἵ [...] τὸ της ὁμοιότητος άἴτιον.
79 Sur le cognomen dû à une particularité physique voir Pline : Marcus Curius Dentatus, né avec les dents (HN, VII, 68) ; Caesar, né d’une mère morte c’est-à-dire à l’issue d’une césarienne (VII, 47) ; Agrippa, né par les pieds (VII, 46) ; Vopiscus, seul survivant de deux jumeaux (VII, 47). Ces exemples ne sont cependant pas censés se reproduire régulièrement auprès des membres de la famille. Il y a aussi Strabo, louche (strabus, στραβός).
80 GA, I, 17, 721b 32-34. Nous l’avons vu plus haut, il est question de ce fait en HA, VII, 5, 585b 33 mais la marque saute une génération et est transmise au petit-fils. Ces marques qui sont transmises aux enfants en sautant les générations sert parfois d’argumentation à l’hérédité de la peine : le fils peut être marqué physiquement – ou moralement – et c’est pourquoi il n’est pas injuste qu’il paie la faute des parents car il est de même nature : Plutarque, Sur les delais de la justice divine, 21, 563a. L’auteur parle de verrues (άκροχορδόνες), de grains de beauté ou mélanum (μελάσματα) et de taches de rousseur ou lentilles (φακοὶ). Nous reviendrons sur ces petites affections cutanées au chapitre 5 avec la théorie des envies et nous traiterons du thème moral de l’hérédité des fautes au chapitre 6.
81 HN, VII, 50 : « signa quaedam naevosque et cicatres etiam regeneri, quarto partu Dacorum originis nota in brachio reddita. ».
82 HN, VII, 50 : « In Lepidorum gente tres, intermisso ordine, obducto membrana oculo genitos accepimus ».
83 Gerald D. Hart, « Trichoepithelioma and the kings of ancient Parthia », in The Canadian Medical Association Journal, 94, 1966, p. 547-549. Analyse reprise par Mirko Grmek et Danielle Gourévitch, Les maladies dans l’art antique, Paris, Fayard, 1998, p. 51-54.
84 Artémidore, Clef des songes, III, 18 (p. 165, Arléa, 1998).
85 Ibid., V, 67 (p. 310, Arléa, 1998).
86 Éthiopiques IV, 8, 3-4. Nous aborderons cette question de l’imagination dans le chapitre 5.
87 Plutarque, Sur les delais de la justice divine, 21, 563a. Il existe aussi pour ce cas de figure, l’explication par l’imagination qui sollicitée par un Hippocrate imaginaire, sauve une femme grecque de l’accusation d’adultère (Augustin Recherches dans l’Heptateuque, I, 93). Hérédité et imagination semblent bien complémentaires.
88 HN, VII, 52. Pour l’Antiquité voir aussi Empédocle (in Aétius V, 12, 2) : certaines femmes amoureuses de statues mettent au monde des enfants qui leur ressemblent. Ce rôle de l’imagination maternelle pourrait aussi être envisagé comme un contrebalancement féminin à la toute-puissance génétique de l’homme (imagination/semence).
89 Adulterium, -ii. On trouve l’adjectif adulter, -eri et adultera, -ae. Le terme est aussi employé pour des rapports contre nature entre espèces animales (ex. Horace Épodes, XVI, 32 : tigre avec biche, colombe avec milan).
90 Par exemple Eschine Contre Ctésiphon, 111 ; Hésiode ? Travaux et jours, v. 228-237. Les auteurs emploient le mot ἐοικότα. La question sera plus largement abordée sous cet angle au chapitre 2.
91 Aétius V, 8, 1, trad. de l’auteur. L’auteur galénique de l’Histoire de la philosophie reproduit ce passage (t. XIX, p. 325 éd. Kühn). Leur source commune est très certainement le pseudo-Plutarque des Opinions des philosophes.
92 [Galien] Histoire de la philosophie, 436 = t. XIX, p. 325 éd. Kühn. Trad. de l’auteur.
93 Galien, Définitions médicales, t. XIX, p. 453-454 éd. Kühn : « Τέρατα γίνεται, ὠς μέν τινες λέγουσι, κατὰ παρέγκλισιν της μήτρας τὸ γὰρ σπέρμα παρεγχέομενον ἀνωμάλως ποιεĩ τὰ τέρατα, ὃν τρόπον καὶ τὸν μόλιβδον θαρμὸν ὄντα, ἐπειδὰν καταχυθη άνώμαλον ποιεĩ τὸ δημιούργημα » (« Les monstres naissent, comme le disent certains, à cause de l’inclinaison de la matrice : la semence qui se répand inégalement produit des monstres à la manière du plomb fondu qui lorsqu’il a été versé inégalement, produit un ouvrage irrégulier », trad. personnelle).
94 Ce terme ironique de « tête de moineau » apparaît comme un symétrique à l’expression « tête d’oignon » (σχινοκέφαλος) pour désigner au contraire les grosses têtes et dont Périclès – atteint d’une malformation crânienne – fit les frais : Plutarque Périclès, 3. Le mot σχĩνος désigne aussi le scille (σκίλλα).
95 Définitions de la médecine, 449, t. XIX, p. 454 Kühn. Trad. personnelle. Sur Galien et la reproduction voir M. Boylan, « Galen’s conception theory », Journal of the History of Biology, n° 19 (1986), p. 47-77.
96 Georges Canguilhem, La connaissance de la vie, Vrin, 1989, p. 160 et 173 où l’auteur cite Gabriel Tarde.
97 Olivier Roux, « La tératologie médicale hippocratique », in Le Normal et le pathologique dans la Collection hippocratique, Actes du XIe Colloque international hippocratique, Nice, 2002, t. I, p. 303-312.
98 Racine *pē- / *pō- : voir le verbe πάσχω, « endurer », « subir », « souffrir », et le latin patior, « souffrir »
99 Antiquités romaines, II, 15.
100 Digeste, 50, 16 (De verborum significatione), loi 135.
101 Digeste, 50, 16 (De verborum significatione), loi 38 : « quid contra naturam nascitur, tribus manibus forte aut pedibus aut qua alia parte corporis, quae naturae contraria est ».
102 Loi 135. Il ne faut pas y voir une preuve de la possibilité de croisement entre espèces. Lorsque le jurisconsulte parle d’êtres plus animaux qu’humains, ce n’est pas pour sous-entendre une éventuelle bestialité productive mais pour dire que le seul point commun entre la créature et ses géniteurs est l’appartenance à l’espèce animale. Voir ce que nous avons dit plus haut à propos des degrés de ressemblance chez Aristote GA, VI, 3, 767b 2-5.
103 C. 14.
104 Voir l’étude innovante de Laurent Ayache « Macrocéphales : le retour au naturel ? », in Le Normal et le pathologique dans la Collection hippocratique, Actes du XIe Colloque international hippocratique, Nice, 2002, t. I, p. 433-444.
105 [Hippocrate] De la génération, 10, 2. Trad. Robert Joly, CUF.
106 Élien, Histoires variées, XVI, 29 ; Simplicius Commentaires sur la Physique d’Aristote, 371, 33 = frag. B 61 DK.
107 Par exemple Longin, Du Sublime, 60, 1 ; Plotin, Ennéades, I, 6, 1.
108 Génération des animaux, IV, 4, 769b 30-36.
109 GA, IV, 4, 770a 19-20.
110 770b 8-10 : « Une déficience aussi bien que la présence des parties supplémentaires est une monstruosité » (« Τὸ γὰρ ἐκλείπειν προσεĩναί τι τερατὼδες »).
111 770b 32-37 : Aristote parle de « chèvre-bouc », les trágainai (τραγαίναι), de trágos (τράγος), « bouc » et aix-aigós (αἴξ, αἰγός), « chèvre ». Les gentes caprine et ovine seraient tout spécialement portées à produire des individius hermaphrodites. Pour l’aire culturelle occitane, voir la notion de « cabribocs » (cabribou) qui désigne en réalité des ovins : Bruno Besche-Commenge, Le savoir des bergers de Casabède, vol 1, Textes gascons pastoraux du Haut-Salat, Toulouse-Le Mirail, 1977, p. 31 : « Ces cabriboucs, je n’en ai vu que trois dans ma vie [...] Ils n’arrivent pas à deux ans ces animaux. Ils ont les deux... ils sont mâles et femelles, et alors ils n’arrivent pas à deux ans ». L’aspect domestique y est tout paticulièrement développé.
112 772b 26-29. Passage qui est opposé à l’idée théorique de Galien qui conçoit un réel mélange des sexes (Définitions de la médecine, 447 = t. XIX, p. 453 éd. Kühn).
113 Voir aussi les descriptions de ces cas et leurs traitements dans Paul d’Egine, Chirurgie, VI, 23 (p. 140-142) ; 72 (p. 294-296) ; 81 (p. 330-331).
114 GA, IV, 3, 767b 5.
115 3, 769b 8-10.
116 GA, IV, 3, 767b 5-10.
117 Livre VII de l’Histoire Naturelle.
118 Saint Augustin, Cité de Dieu, XVI, 8.
119 Origines, XI, 3 (De portentis).
120 Travaux, v. 235.
121 Définitions de la médecine, XIX, 346-462 et Histoire de la philosophie, XIX, 222-345 éd. Kühn.
122 Sur les soins portés aux doigts surnuméraires voir Oribase, Collection médicale, 47, 15 et Paul d’Égine, Chirurgie, VI, 43 (p. 207, éd. René Briau, 1855).
123 [Hippocrate] Aires, eaux, lieux, 14.
124 Pour les déformations rituelles dans l’Europe moderne voir Jacques Gélis, L’arbre et le fruit, Fayard, 1984, p. 434-457. Un numéro spécial des Dossiers d’archéologie (n° 208, novembre 1995) regroupe quelques articles qui font allusion à cette pratique : Luc Buchet, « La recherche des structures sociales des conditions de vie par l’étude des squelettes », p. 60-67 (exemples du Haut Moyen Âge) ; Michel Billard et Christian Simon, « L’os révélateur d’habitude culturelle », p. 22-23 (en particulier sur la déformation crânienne artificielle). Voir encore Luc Buchet, « La déformation cranienne en Gaule et dans les régions limitrophes pendant le Haut Moyen Âge », in Archéologie médiévale, n° 18 (1988), p. 57-71.
125 Longin, Du sublime, 44, 5. Trad. J. Pigeaud ; Sénèque père, Controverses, X, 4, 2-4 : le rhéteur dénonce le trafic d’enfants rendus artificiellement monstrueux dans le but d’en faire des mendiants professionnels.
126 Dans une nouvelle intitulée La mère aux monstres (in Contes et nouvelles, Gallimard, coll. La Pléiade, t. I, p. 842-847), Maupassant raconte l’histoire d’une femme qui fabriquait contre argent et à volonté, des « phénomènes » pour des cirques. Le procédé tératogénique est le corset : « Elle estropia dans ses entrailles le petit être étreint par l’affreuse machine ; elle le comprima, le déforma, en fit un monstre. Son crâne pressé s’allongea, jaillit en pointe avec deux gros yeux en dehors tout sortis du front. Les membres opprimés contre le corps poussèrent tortus comme le bois des vignes, s’allongèrent démesurément, terminés par des doigts pareils à des pattes d’araignée. Le torse demeura tout petit et rond comme une noix. [...] Comme elle était féconde, elle réussit à son gré, et elle devint habile, paraît-il, à varier les formes de ses monstres selon les pressions qu’elle leur faisait subir pendant le temps de sa grossesse. Elle en eut de longs et de courts, les uns pareils à des crabes, les autres semblables à des lézards ».
127 HA, VI, 18, 572b ; GA, I, 19, 727a ; Pline HN, VII, 63.
128 Aristote GA, IV, 7, 775b ; Pline HN, X, 184 ; Oribase, Collection médicale, 6 = t. IV, p. 65 sq. éd. Daremberg-Bussemaker.
129 Ancienne médecine, 3. L’idée de l’affaiblissement de la race féminine est également partagée par Rufus d’Éphèse au iie siècle ap. J.-C.
130 Voir Galien, De l’utilité des parties du corps, III, 2.
131 Platon, Théétète, 149d. À Rome, un examen prénuptial était imposé aux garçons et se limitait à vérifier la non-impuissance (Code Justinien, V, 60, 3). Il était pratiqué forcément à quatorze ans, âge légal de la puberté, ce qui ne tenait pas compte des variations selon les individus.
132 Sur l’usage de l’ail dans la médecine antique voir Aline Rousselle, « Observation féminine et idéologie masculine : le corps de la femme d’après les médecins grecs », in Annales ESC, 1980, n° 5, p. 1089-1115, en part. p. 1097-1098.
133 Maladies des femmes, II, 214.
134 In Soranos, Gynécologie, I, 35 : « Euénor et Euryphon assoient les patientes sur le siège obstétrical et font au dessous d’elles des fumigations des mêmes produits ».
135 En particulier lorsque le col de l’utérus est fermé. Voir par exemple [Aristote] HA, X (Sur la stérilité), 4, 636b
136 Xenophon, Économique, XVI, 3.
137 De l’utilité des parties du corps, XI, 10, trad. Charles Daremberg.
138 Michel Foucault, L’usage des plaisirs, Gallimard, 1984, p. 16-17.
139 Entre seize et dix-huit ans pour la femme et vers trente ans pour l’homme.
140 Platon, Lois, VI, 775e ; Rufus, in Oribase Collection médicale, VI, 38 (= t. I, p. 540 éd. Daremberg-Bussemaker) ; Celse, Traité de médecine, I, 1 ; Plutarque, Propos de table, III, 6, 653a (analyse physiologique).
141 Artémidore, La clef des songes, I, 51 ; II, 24. Sur une symbolique semblable présente dans une culture contemporaine voir S. Shkurti et P. Cabanes, « Légende et rites païens concernant la charrue », in L’Ethnologie, n° 106, 1989-1990, p. 23-31. La charrue a des vertus curatives : soins de l’impuissance sexuelle et de la stérilité. En latin le mot sulcus, « sillon » et « organe féminin de la reproduction », ou bien encore semen, « graine » et « semence animale et humaine », d’où « descendance ». Pour un emploi du mot sulcus, voir par exemple Lucrèce, De la nature IV, 1272-1273 : « licit enim sulcum recta regione uiaque / uomeris, atque locis auertit geminis ictrem » (« elle rejette ainsi le soc de la ligne du sillon et détourne de son but le jet de la semence ». Trad. Alfred Ernout, CUF, 1924).
142 Par exemple Aristote GA, III, 1, 752 a 18-23 ; [Hippocrate] De la génération, XII, 1 : « telle est la terre, telles sont aussi les plantes [...] telle est la santé de la mère, bonne ou mauvaise, telle est aussi la santé de l’enfant ». Trad. Robert Joly, CUF, 1970 ; De la génération, IX, 3, image du concombre mis dans une forme : « En général, tous les végétaux se comportent selon la contrainte qu’on leur impose. Il en est de même pour l’enfant : s’il a de la place pour sa croissance, il devient plus grand ; s’il est à l’étroit, (il reste) plus petit » ; De la génération, X, 2 : « c’est comme les arbres qui dans la terre n’ont pas d’espace, mais sont arrêtés par une pierre ou autre chose : en poussant, ils sont tordus, gros d’un côté, mince de l’autre » ; De la nature de l’enfant XVII, 2 : développement et ramification du fœtus comme un arbre : « καὶ δή καὶ διοζοűται ώς δένδρεον » ; Galien, in Oribase, Collection médicale, livres incertains, VI, 18 (p. 12) : le poids du fœtus de huit mois pèse vers le bas du ventre de la mère « comme les fruits des arbres, lesquels penchent vers le bas, quand l’arbre leur a fourni ce dont ils avaient besoin ». Ailleurs, Oribase lui même compare les femmes qui ont trop d’enfants et qui se sont épuisées, aux arbres qui ont eu trop de fruits (Livres incertains, VII, 4-5, p. 108-109) ; Soranos, Gynécologie, I, 11 : fatalisme à l’égard de femmes peu fécondes comme des terres peu fertiles.
143 Voir les rapprochements entre sécheresse/stérilité et eau/fertilité étudiés par Françoise Héritier.
144 Sur l’Europe traditionnelle : Nicole Belmont, « L’enfant et le fromage », in L’Homme, n° 105, 1988, p. 13-28 ; sur l’aire culturelle basque : Sandra Ott, « Aristotle among the Basques : the “cheese analogy” of conception », in Man, XIV, 1979, p. 699-711. Pour la culture populaire européenne, on retrouve l’idée exprimée dans le Grand Albert, Diffusion scientifique, p. 19 : l’homme est formé « de la manière que le fromage se fait avec du lait qui est pris ».
145 Aristote GA, I, 20, 729a 11-12. Voir aussi II, 3, 737a 15 ; 4, 739b 21 ; IV, 4, 771b 24 ; 772a 23 ainsi que Météores IV, 7, 384a 21. Pline suit Aristote en HN VII, 6. On retrouve l’image dans la Bible, Job X, 10-11, (« Ne m’as-tu pas coulé comme du lait puis fait cailler comme du fromage ? », TOB, Cerf, 1989) et dans des textes arabes, chez Hildegarde de Bingen, Liber scivias in Patrologie latine, t. 197, col. 415 éd. Migne : « Et ecce vidi in terra homines in fictilibus lac portantes et inde caseas conficientes ; cujus quaedens pars spissa fuit unde fortes casei facti sunt, pars quaedam tenuis ; de qua debiles casei coagulati sunt, et pars quaedam tabe permista ; de qua amari casei processerunt, ita vidi quasi mulierum velut integram formam hominis in utero suo habentem ». L’analogie est poussée assez loin dans l’encyclopédie anonyme du xiiie siècle, Dialogue de Placides et Timéo ou li secrés as philosophes, § 286, p. 131, édition de Claude Thomasset, 1980. De manière symétrique et complémentaire, le fromage est, en Grèce ancienne, traité comme un enfant que l’on nourrit (τρέφειν).
146 Platon, Timée, 74 c-d ; Aristote GA, III, 3, 755 a 17 sq. Sur quelques enjeux de l’enfant-pain dans l’Europe traditionnelle, voir M. Mesnil et A. Popova, « Des ancêtres aux nouveau-nés », in I. Signori (dir.), Uomo, dal grano al pano : simboli, saperi, pratiche, in La Sapienza, vol. 3 (1990), n° 1, Roma, p. 39-73
147 Aristophane, La paix, v. 891 : « τουτὶ δ ὁρατε τοũπτάνιον ». Trad. Hilaire van Daele, CUF, 1924. τοũπτάνιον est la contraction de l’article et du substantif τὸ ὀπτάνιον lequel désigne plus particulièrement le lieu où l’on fait rôtir les viandes. Voir encore l’expression dans Aristote GA, IV, 1, 764 a 15-20 : « on les mettait dans l’utérus comme dans un four (εἰς κάμινον) ».
148 Herodote V, 92, § 7, 2. Il en est de même pour l’interprétation des rêves. Artémidore II, 1 : rêver d’un feu dans un four – et non un four froid comme pour Périandre – signifie que votre femme va être enceinte.
149 Sur ce thème, voir Monique Halm-Tisserand, Cannibalisme et immortalité. L’enfant dans le chaudron en Grèce ancienne, Paris, Les Belles Lettres, 1993.
150 Euripide frag. 604 (pièce perdue Les Péliades) Hygin Fables, 24 et Ovide, Métamorphoses, VII, 300sq.
151 A. L. Oppenheim, Glass and glassmaking in ancient Mesopotamia, 1970, p. 32-33 dont n. 50 ; 52 sq. et sur la naissance Marten Stol, Zwangerschap en geboorte bij de Babyloniërs en in de Bijbel, Brill, Leyde, 1982, p. 9-13 (photos p. 12) et note complémentaire p. 115.
152 Exemples de noms dans Marten Stol, p. 10. En tant qu’être surnaturel il pouvait provoquer le mal. Mort-né ou plutôt prématuré voire monstrueux, la croyance populaire le rendit dangereux mais il suffisait de se le concilier pour en obtenir une protection et ce jusque vers la fin du IIe millénaire av. J.-C. Par exemple dans une lettre de Mari : « ana ku-bi-ki-na qibêma ebur šulmin Zimri-Lim lipuš » (« Demande à ton kubu que Zimri-Lim puisse avoir une récolte paisible »). La statue est placée devant le four comme l’on invoque aussi le kubu pour une grossesse heureuse.
153 Homère, Epigr., XIV, 9 : Athéna défendait les vases contre l’assaut de certains démons briseurs.
154 Arnobe, Contre les païens IV, 7-8. Éd. Renato Laurenti : « Quella che indurisce e solidifica le ossa ai piccini si chiama Ossipagina ».
155 Par exemple, chez les Gourmantché, Afrique subsaharienne, une femme qui ne peut plus enfanter ne peut plus non plus préparer le gâteau de mil : ouvrage collectif, La notion de personne en Afrique noire, Paris, CNRS, 1973, p. 276. Autres exemples africains Françoise Héritier, Masculin/Féminin, Odile Jacob, 1996, p. 72-86.
156 Nous pensons par exemple à l’enquête d’Yvonne Verdier dans la Bourgogne rurale des années 1960 : Façons de dire, façons de faire. La laveuse, la couturière, la cuisinière, Gallimard, 1979. Précautions encore en usage aux femmes enceintes de ne pas s’approcher des fours. Nous étudions les nombreux interdits la concernant au chapitre 6.
157 Par exemple Aline Rousselle, Pornéia, PUF, 1983, passim.
158 Les nombreuses allitérations du vocabulaire contribuent un peu plus à identifier les deux domaines. Le sens de la racine commune *τεκ- est « produire », « fabriquer », « façonner », et l’éventail de la terminologie apparentée est vaste. Il y a téknon, tékos, « enfant », « rejeton », tokeús, « père », tókos, « enfantement », « enfant », teknopoía, teknogonía, « procréation », « enfantement » et tektonía, « art du charpentier », téktôn, « charpentier », « travailleur » en général. Un autre verbe issu d’une racine différente, *τακ- « fondre », rappelle une métaphore que nous avons vue chez Galien, celle de la métallurgie. Elle a donné notamment le verbe têktô, « faire fondre des métaux ». Les allitérations sont encore plus évidentes entre les deux adjectifs eúteknos, « qui a de beaux enfants » et eútekhnos « industrieux, habile ». Il est bien évident que les convergences phonologiques représentent des facteurs déterminants pour la théorisation des convergences sémantiques, les nombreuses recherches étymologiques souvent erronées dont les Anciens étaient friands, en témoignent.
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