Interlude
Texte intégral
1Revenons à la séance de l'Assemblée constituante du jeudi 22 octobre. Juste avant de donner la parole à la députation de la Société des Citoyens de Couleur, le président annonça qu'un vieillard de cent vingt ans, natif du Mont-Jura et qui avait passé sa longue vie asservi à la mainmorte, demandait à être introduit dans l'Assemblée pour la remercier d'avoir aboli les vestiges du servage en France.
2Le 23 octobre, la séance de l'Assemblée fut rapportée de la manière suivante par Le Moniteur :
« On annonce un vieillard de cent vingt ans, né dans le Mont-Jura ; il désire voir l'assemblée qui a dégagé sa patrie des liens de la servitude.
M. l'abbé Grégoire demande qu'en raison du respect qu'a toujours inspiré la vieillesse, l'assemblée se lève lorsque cet étonnant vieillard entrera.
Cette proposition est accueillie avec transport.
Le vieillard est introduit ; l'assemblée se lève ; il marche avec des béquilles, conduit et soutenu par sa famille, il s'assied dans un fauteuil vis-à-vis le bureau et se couvre. La salle retentit d'applaudissements.
Il remet son extrait baptistaire. Il est né à Saint-Sorbin de Charles Jacques et de Jeanne Bailly le 10 octobre 16691. »
3Julien Raimond et des citoyens de couleur retinrent la symbolique de cette cérémonie à laquelle Grégoire avait imprimé un style particulier en obligeant l'ensemble des députés, dont bon nombre tenaient à la hiérarchie des ordres et aux droits féodaux, à rendre hommage au « serf du Mont-Jura » en se levant devant lui. Ce vieil homme s'est assis et, en signe de liberté recouvrée, a remis son chapeau : ce geste exprimait son entrée dans une société fondée sur l'égalité des droits, sa place parmi ses pairs.
Notes de bas de page
1 AP, t. 9, séance du 22 octobre 1789, p, 476 ; Le Moniteur, séance du 23 octobre, n° 77, p. 83. Rappelons qu'une critique des vestiges du servage qui existaient sous la forme des mainmortes, s'est renouvelée au xviiie siècle, que Voltaire et Christin menèrent campagne en faveur des serfs du Mont-Jura dans les années 1770 et aboutirent avec l'édit d'août 1779 à leur abolition, mais sur le domaine royal seulement. Les décrets des 4-11 août 1789 énoncèrent le principe de leur abolition, sans rachat, qui ne fut réalisée qu'avec la législation agraire de juillet 1793. Voir T. BRESSAN, « La mainmorte en France au xviiie siècle », Histoire et sociétés rurales, n° 6, 1996, p. 51-76. Notons qu'en dehors de cette mention dans Le Moniteur, nous ignorons tout de cette cérémonie qui eut lieu le 23 octobre 1789 à l'Assemblée.
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