Chapitre 7. Les nouveaux Aryens et l'antisémitisme. D’un faux manuscrit au racisme aryaniste
p. 189-224
Note de l’éditeur
Cet article a été écrit avec le soutien de la Lady Davis Foundation (Jérusalem).
Texte intégral
1À la lecture de ce titre, un homme ayant vécu un xxe siècle agité ne peut que s’étonner de cette apparente répétition de l’histoire. Née à l’aube du rationalisme européen et reprise par des romantiques enquête d’une « renaissance spirituelle », l’idée aryenne s’est transformée, à l’approche du xxe siècle, en un racisme agressif qui a joué un rôle idéologique majeur dans la préparation de l’Holocauste2. Les idées ont un destin parfois curieux, certaines pouvant renaître sous une forme qui n’est alors pas uniquement celle de la farce. Ainsi, l’idée aryenne ne s’est pas totalement éteinte. En retrait de la scène publique dans les années 1950, elle a par la suite recouvré une certaine consistance, s’est diffusée sur différents continents et menace de nouveau, à l’aube du troisième millénaire, tout particulièrement dans les anciens pays de l’Est3. Ce travail se propose donc d’analyser la manière dont l’idée aryenne a trouvé sa niche idéologique et sociologique dans la Russie contemporaine : quand et par qui fut-elle réadaptée aux conditions spécifiques du pays ? Par quels canaux culturels et politiques s’est-elle diffusée dans la société russe contemporaine ? À l’aide de quels argumentaires les nationalistes se battent-ils contre la science académique pour doter les Russes d’une identité aryenne ? Et, en fin de compte, à quelle recomposition du spectre politique russe assiste-t-on aujourd’hui, à une époque où l’idée slavo-aryenne semble réussir à rassembler tant les néopaïens que certains communistes et nationalistes orthodoxes ?
La naissance du livre de Vles et son introduction en Union soviétique
La recherche d’ancêtres prestigieux
2Dans les années 1940, la propagande soviétique liait étroitement l’idée aryenne au régime nazi. Les savants soviétiques ne traitaient pas de ce thème, et si, toutefois, ils se décidaient à l’aborder, c’était dans un but exclusivement critique. Ce contexte idéologique n’a cependant pas empêché certains de se laisser aller à des voyages imaginaires dans les profondeurs de l’histoire originelle, à la recherche des ancêtres premiers des Slaves. Si l’éthique scientifique, par ailleurs très contrôlée par la censure soviétique, interdisait de présenter ces « antiquités aryennes » dans les milieux académiques, les écrivains et amateurs publiant dans des journaux de vulgarisation largement diffusés se permettaient des approches plus osées sur la question. Non seulement les enjeux de méthodologie scientifique les intéressaient peu, mais la censure était plus libérale à leur encontre. C’est donc précisément dans ce milieu qu’un nationalisme en voie de recomposition donne naissance à une lecture héroïsante et passionnelle de l’histoire antique. Cet intérêt, intrinsèquement lié à la redécouverte de l’historiographie pré-révolutionnaire – vouée aux gémonies dans les premières années du bolchevisme –, s’appuie également, et non dans une moindre mesure, sur l’héritage nazi, qui correspond bien à l’esprit chauvin de l’historiographie soviétique de la seconde moitié des années 1940 et du début des années 19504.
3Le développement du nationalisme russe dans les années 1960-1980 crée par la suite un terreau tout particulièrement favorable à l’épanouissement de conceptions enflammées sur l’origine des Slaves, la naissance de leur étaticité [gosudarstvennost’] et les actes glorieux de leurs ancêtres les plus antiques. Ainsi, de nouvelles versions alternatives concurrentes du passé antique se constituent face à l’historiographie officielle. Elles représentent un mélange détonant de constructions romantiques depuis longtemps oubliées et déniées par la science5, de théories soviétiques nationalistes datant du tournant des années 1940-1950, d’un héritage aryaniste allemand revivifié de manière inattendue par une série d’écrivains soviétiques des années 1970-19806 et d’une grande vague d’œuvres artistiques et scientifico-fantastiques de la fin du siècle. L’idée centrale de ce mythe est l’origine aryenne ou hyperboréenne des Slaves, dits « Slavo-Russes », et la représentation du Mal universel, qui prend les traits, fort classiques, du judaïsme et en constitue l’un des éléments intrinsèques.
4Comment cette tradition allemande a-t-elle pu réussir à s’enraciner sur le sol russe, sachant que la Russie a tout particulièrement souffert de l’invasion hitlérienne ? Comment les partisans du mythe aryen reconstituent-ils le lien entre l’aryanisme et une population russe qui a reçu une éducation historique foncièrement « antifasciste » ? Ils ont en réalité peu à faire puisque le vide dû à l’effondrement de l’idéologie soviétique joue en leur faveur. Habitués à une image ordonnée du monde leur offrant un confort idéologique suffisant, les anciens citoyens soviétiques se sont sentis orphelins et otages des nouvelles idéologies apparues ces vingt dernières années. La foi dans le communisme s’est alors transformée en une foi en la solidarité ethnique, devenue le vecteur directeur de nombreux habitants de l’espace postsoviétique. Le mythe de la solidarité ethnique n’a toutefois pas résisté longtemps aux expériences de la démocratie et certains ont commencé à attribuer tous les échecs de la période de transition à un ennemi extérieur : dans les républiques indépendantes, ce fut bien souvent les Russes, tandis que, de leur côté, les nationalistes russes voyaient un danger mortel dans le mythique « sionisme universel »7. Dans ces conditions, l’héritage nazi et son idée d’une lutte éternelle entre la Lumière et les Ténèbres ont commencé à prendre une certaine importance.
5Néanmoins, pour s’imposer en Russie, le mythe aryen devait disposer de fondements scientifiques, ou tout au moins paraître en disposer. En d’autres termes, les adeptes de l’aryanisme russe ont dû créer un document antique datant de l’époque pré-chrétienne qui réponde à leurs rêves ambitieux, à savoir construire un nouvel empire de dimension mondiale qui fonderait la domination politique des Russes ethniques. Un tel document fut le livre de Vles, qui joue aujourd’hui, dans des cercles limités du nationalisme radical, le rôle de « texte sacré » rédigé par d’anciens prêtres païens. Les tentatives de remonter dans le passé le plus lointain en s’appuyant sur les résultats de l’archéologie et de la linguistique historique comparée ne peuvent en effet que susciter un intérêt limité. Les idéologues radicaux ont alors compris l’état précaire de leurs théories, fondées en grande partie sur des données vieillies et méthodologiquement dépassées. Il leur fallait, pour y répondre, un document originel qui aurait constitué une preuve irréfutable de la véracité de leur croyance. Ce n’est donc pas un hasard si, pendant des décennies, ces enthousiastes dilettantes furent, de manière persévérante mais vaine, en quête de l’écriture slave la plus antique : le fait historiquement attesté que l’écriture n’est arrivée en Russie qu’avec le christianisme les incitait à la recherche d’une écriture originelle spécifiquement slave. Le livre de Vles apparut alors comme un réel « cadeau du ciel » leur permettant d’asseoir leurs conceptions de la nation.
6Les premiers à considérer le livre de Vles comme un signe inquiétant d’émergence d’un néo-aryanisme russe furent les chercheurs israéliens Maya Kaganskaya et Zeev Bar-Sela8. La recherche la plus poussée sur ce faux manuscrit a été menée par le philologue soviétique O. V. Tvorogov, qui a étudié en détail l’histoire de sa naissance et de sa diffusion en URSS dans les années 1970-19809. Il semblait alors que l’affaire pouvait être classée. Cependant, dans les conditions de recomposition idéologique qui ont saisi la nouvelle Russie post-soviétique, le livre de Vles s’est avéré un document important rattachant les Russes à l’identité aryenne, accompagnée de son corollaire qu’est l’antisémitisme. Ainsi, ces dernières années, le livre de Vles est mentionné non seulement dans de nombreuses œuvres littéraires et pseudo-scientifiques, mais commence également à apparaître dans la littérature scolaire. Pourtant, sur ce plan, la Russie est encore loin de l’Ukraine où, depuis la fin des années 1990, l’étude du livre de Vles, en tant qu’exemple de « littérature proto-ukrainienne », fait partie des ouvrages recommandés par le ministère de l’Éducation nationale et l’université nationale Chevtchenko, à Kiev, pour les cours destinés aux philologues10. Tous ces faits invitent à revenir sur ce prétendu manuscrit slave antique.
L’apparition d’un manuscrit pré-chrétien dans les milieux émigrés russes
7L’ingénieur chimiste Iou. P. Mirolioubov est à l’origine de toutes les informations concernant le livre de Vles. Durant les années de guerre civile, le lieutenant-colonel de l’armée blanche F. A. Izenbek aurait trouvé dans une propriété seigneuriale en ruine un sac contenant des planches en bois sur lesquelles apparaissaient d’étranges lettres. Dans sa jeunesse, Izenbek avait travaillé au Turkestan et participé, en tant que peintre, à des expéditions archéologiques. Il avait le goût des antiquités et décida de conserver le sac, sentant intuitivement la valeur de sa découverte sans avoir conscience de sa signification. Il garda ces planches chez lui, dans son atelier de Bruxelles, à l’abri des regards. Au début des années 1920, il rencontra Mirolioubov, qui lui avoua son intérêt pour la religion et le folklore des anciens Slaves. Izenbek lui montra alors ses planches et lui permit de les étudier et de les retranscrire pendant une quinzaine d’années. En 1941, Izenbek meurt, la Belgique est occupée par les nazis et la trace des planches se perd à tout jamais.
8De 1954 à 1959, des informations sur les planches et leur contenu sont régulièrement publiées à San Francisco dans l’un des journaux de l’émigration russe, Jar-Ptitsa, dont le rédacteur, A. A. Kour (pseudonyme du général de l’armée blanche Kourenkov), prend plaisir à les interpréter. Élucider ce mystère ne suscite toutefois pas l’enthousiasme des chercheurs patentés : dès le début, l’attitude particulièrement trouble de Mirolioubov et les informations contradictoires relatives aux planches éveillent les soupçons. Dans l’une de ses lettres, Mirolioubov écrit par exemple que, n’étant pas un professionnel, il ne peut juger de l’authenticité des planches et n’a pas réussi à les photographier. Mais, deux années et demie plus tard, il déclare être convaincu de l’authenticité de ce « manuscrit antique » malgré les doutes de certaines autorités scientifiques, en particulier des slavistes américains.
9Mirolioubov mentionne également trois photographies. L’une d’elles a été envoyée en expertise à l’Académie des sciences d’URSS et s’est révélée être la photo non de l’original, mais d’une copie papier11. Après la conclusion négative de l’Académie des sciences, le journal Jar-Ptitsa, qui avait activement publié les textes du « manuscrit » accompagnés de commentaires en 1957-1959, cesse brutalement de paraître, accentuant les soupçons à son encontre12. De plus, comme l’a démontré O. V. Tvorogov dans son analyse détaillée de l’œuvre de Mirolioubov, celui-ci a changé d’opinion sur le livre de Vles à de nombreuses reprises dans les années 1950 et a finalement refusé de le considérer comme une source fondamentale de ses travaux sur les Slaves anciens13, malgré certaines références au manuscrit dans ses œuvres. L’un des propagandistes actifs du manuscrit sera ensuite l’émigré ukrainien S. Lesnoï, qui, comme Mirolioubov, se reconnaît un dilettante passionné d’histoire de la Russie ancienne14.
10Le texte gravé sur ces planches de bois défend des valeurs païennes et les oppose très violemment à un christianisme perçu comme extérieur aux traditions slaves et imposé par la force dans le pays. Un tel récit ne peut qu’exalter les patriotes russes, qui trouvent là un prétexte historique à l’union contre le monde occidental, présenté comme l’ennemi des Slaves depuis la nuit des temps15. Le manuscrit raconte en effet la lutte pluriséculaire et les victoires des tribus slaves contre leurs innombrables ennemis (Goths, Huns), victoires qui permirent l’unification ou la réunification des Slaves-Russes. Les événements décrits par le texte se déroulent tous dans la région steppique qui s’étend des Carpates au Don, incluant la Crimée, où les ancêtres des Slaves auraient transhumé avec leurs troupeaux. Le manuscrit redonne ainsi vie à l’école historiographique slavophile du xixe siècle qui affirmait l’existence antique d’une Russie d’Azov sur les pourtours de la mer Noire et le rôle majeur des Roxolanes dans sa constitution16.
11On y retrouve, sur le plan religieux, une construction trinitaire du monde, constitué de Iav (le monde visible), Nav (le monde de l’au-delà) et Prav (le monde des lois), à laquelle se réfèrent aujourd’hui les néopaïens russes. Le manuscrit insiste sur le caractère anthropocentré de la religion païenne, prétendument exempte de sacrifices sanglants, un thème particulièrement cher à Lesnoï et Mirolioubov et qui constitue depuis l’un des fils rouges des argumentaires néopaïens. Cette analyse est accompagnée d’allusions à des sacrifices sanglants présentés comme typiques de la religion juive ancienne, allusions qui permettent de faire discrètement référence à l’accusation de crimes rituels « judéo-maçonniques » présente dans la littérature aryaniste17. Il est intéressant cependant de noter que ces dernières années, les plus « éclairés » des néopaïens russes reconnaissent et même justifient les rites sacrificiels, également assumés par les propagandistes zélés de l’héritage hyperboréen, comme le philosophe V. N. Demin ou le journaliste A. Assov18.
12En étudiant la photographie envoyée par Lesnoï, l’expert de l’Académie des sciences d’URSS, la philologue L. P. Joukovskaïa, remarqua tout de suite des inconséquences dans la paléographie, qui présente différents styles dont certains semblent de facture récente. Son principal doute porte sur la langue utilisée dans le manuscrit, qui conjugue des éléments de langues slaves de différentes époques. On y trouve en effet des formes linguistiques développées sans nul doute possible après le xe siècle et inexistantes à des époques plus anciennes19, des arguments bien évidemment récusés par Lesnoï et ses successeurs. Pour les spécialistes au contraire, « l’auteur des planches ressemble à un écrivain contemporain ne connaissant pas l’histoire de la langue mais essayant d’écrire à l’ancienne »20. L. P. Joukovskaïa affirme que le créateur de ce faux a utilisé les langues slaves contemporaines ainsi que le slavon d’église enseigné à la période pré-révolutionnaire. Pour d’autres philologues, les prétendus prêtres qui auraient écrit le texte ont seulement utilisé le russe, le polonais et l’ukrainien d’aujourd’hui21.
13Le livre de Vles ne peut donc convaincre les spécialistes, tant par ses caractéristiques linguistiques et paléographiques que par son contenu. À la différence des récits épiques originaux, il est étonnamment pauvre en détails et n’apporte aucune information nouvelle. On n’y trouve en particulier presque aucun toponyme, ni aucun nom des stratèges romains contre lesquels les anciens Russes se seraient battus. Les spécialistes sont également frappés par les faibles connaissances de l’auteur concernant les réalités de la société et des modes de pensée de l’époque, les événements historiques du moment et leurs acteurs, les ancêtres légendaires des différents peuples slaves et leurs lieux d’habitation aux époques antiques. De plus, l’auteur n’a pas hésité à inclure dans le récit des faits historiques avérés pour des époques bien plus tardives et la terminologie leur correspondant, commettant alors d’importants contre-sens historiques. On retrouve ainsi les recoupements douteux et les fantaisies de l’école slavophile du siècle précédent, dont les traditions ont été maintenues dans la littérature de l’émigration des années 1920-1950.
Le livre de Vles et le nationalisme russe en URSS
14Selon la première conclusion des spécialistes, l’auteur du manuscrit pourrait être un célèbre mystificateur du début du xixe siècle, A. I. Soulakadzev (1771-1830). Néanmoins, après l’analyse scrupuleuse menée par Tvorogov, il est devenu à peu près évident que l’auteur de la falsification pourrait tout à fait être Mirolioubov lui-même22. Comme le suppose aujourd’hui, non sans raison, I. Kondakov23, le créateur du livre de Vles n’avait pas d’objectifs scientifiques précis et a plutôt cherché, par son imagination débordante, à agir sur le fond mythologique de ses contemporains. Il a joué d’allégories afin de redonner vie non seulement à l’idée d’unité de la Russie, qu’il connaissait par le Dit d’Igor, mais également aux références idéologiques du siècle d’Argent qu’il avait vécu. Son principal souci n’a pas été la déontologie scientifique, mais l’éveil d’une conscience nationale russe. Et en effet, Mirolioubov se trouvait en contact étroit avec les centres nationalistes de la Russie en exil. L’une des sources possibles d’information sur les inscriptions païennes faites sur bois aurait alors été le livre du journaliste allemand Philip Stauff, Runenhäuser, paru en Allemagne en 191324.
15Les premiers adeptes du livre de Vles furent des nationalistes russes et ukrainiens de l’émigration. En URSS, les premiers renseignements le concernant ont été publiés il y a plus d’un quart de siècle dans le livre programmatique du poète I. Kobzev (1924-1986), Les Preux, paru en 1971 à la très officielle maison d’édition Sovetskaïa Rossia. Ce livre accuse le christianisme d’avoir porté un coup irrémédiable à la culture russe originelle et défend les valeurs païennes25. Il est écrit dans un esprit puriste et vindicatif dirigé contre les altérations de la langue, de l’histoire et des traditions culturelles russes qui auraient été délibérément commises par des personnes mal intentionnées. L’auteur insiste sur le fait que « le peuple russe, comme sa langue, possède des racines infiniment profondes se perdant dans la brume des millénaires » et appelle les chercheurs à étudier ces racines lointaines. Peu avant cela, il s’enthousiasmait pour les fouilles du site paléolithique tardif de Soungir et sous-entendait qu’elles pouvaient être liées à la question de l’origine des anciens Slaves26. Une décennie plus tard, ces conceptions réapparaîtront de manière détaillée dans le célèbre roman de V. Tchivilikhin, La Mémoire, prix d’État de l’URSS en 1982.
16Depuis, le livre de Vles, ce « manuscrit antique » tel que l’appelait Lesnoï, est devenu l’objet de toute l’attention des nationalistes, écrivains et journalistes, qui discernent enfin en lui le chaînon manquant pour une restauration de l’histoire slave « authentique ». Il a été reconnu avec exaltation par le chercheur de l’Institut d’information scientifique en sciences humaines (INION), l’ancien physicien V. I. Skourlatov, qui y trouve l’inspiration pour écrire ses articles scientifico-fantastiques dans les années 1970-198027. Skourlatov a été le premier à essayer d’inscrire le livre de Vles dans la tradition historiographique russe et soviétique. S’appuyant sur les informations vagues du manuscrit concernant de supposées écritures slaves du haut Moyen Âge et de prétendus signes mystérieux trouvés par les archéologues sur les pourtours septentrionaux de la mer Noire, il tente de susciter chez le lecteur l’espoir d’une possible découverte rapide d’une écriture russe pré-chrétienne. Il donne également l’impression qu’une discussion scientifique sérieuse se développe autour du manuscrit28, alors que celui-ci a été condamné par Joukovskaïa dès 1959. Dans les années 1970, néanmoins, certains chercheurs patentés, en particulier l’historien V. Vilinbakhov, ont soutenu l’initiative de Skourlatov, bien que de tels cas fussent rares29.
17À l’instar de Skourlatov, toute une série de journalistes et d’écrivains ont à leur tour présenté le livre de Vles comme un monument inestimable du paganisme slave qui n’aurait que très rarement été remis en cause par les spécialistes. Kobzev exigea instamment l’édition du texte et publia lui-même des traductions en vers de certains extraits. Un état d’esprit similaire transparaît dans toute une série d’œuvres littéraires publiées à la fin des années 1970. Au début de la décennie suivante, le livre suscita une vive discussion au sein de la Commission pour la préservation des monuments d’histoire et de culture de l’Union des écrivains de Moscou, où il fut décidé à l’unanimité de publier coûte que coûte ce « monument inestimable ». En juin 1983, sous l’égide du célèbre mouvement nationaliste Pamiat, une session est spécialement consacrée au livre de Vles, présenté comme le manuscrit slave le plus antique. Le rapporteur n’est autre que Skourlatov, devenu entre temps l’un des piliers de l’association30. L’une des dernières discussions publiques menées à son propos en URSS s’est tenue durant l’hiver 1987-1988 dans les pages de l’hebdomadaire Knijnoe obozrenie, en liaison avec la proposition de l’écrivain I. Sergeev d’éditer le livre de Vles. Ce même Sergeev sera, au début des années 1990, membre de la direction de la conservatrice Union des écrivains de Russie et de l’Assemblée nationale russe, l’une des organisations patriotiques les plus influentes à cette époque.
Les recherches dites « slavo-aryennes » des années 1990 et leurs réseaux de diffusion
18Depuis les années 1980, les contempteurs de l’authenticité du livre de Vles sont ouvertement accusés de ternir l’histoire du peuple russe et de lui être hostiles. Cette tactique constitue aujourd’hui encore l’une des principales armes des nationalistes russes, instaurée en particulier au sein du mouvement Pamiat, dont Skourlatov, Emelianov, Joukov et Kobzev ont été, entre autres, à l’origine31. Cependant, jusqu’à la fin des années 1980, ces auteurs différenciaient soigneusement leurs « recherches slavo-aryennes » des pamphlets classés comme antisionistes. Elles trouvaient leur place dans une littérature scientifico-fantastique qui cherchait avant tout à reconstituer l’image des prestigieux ancêtres aryens, leurs opposants n’étant mentionnés que par des allusions biaisées, incompréhensibles pour de nombreux lecteurs. Dans une littérature s’adressant à un autre public, le thème de l’ennemi constituait le pivot de la littérature de propagande contre le « sionisme international », tandis que celui des ancêtres aryens restait secondaire.
19La situation change radicalement dans les années 1990 et les deux mouvances fusionnent. Le processus d’introduction du thème aryen et du livre de Vles dans la littérature russe connaît alors une dynamique tout à fait significative. Dans la première moitié de la décennie, les thématiques aryennes suscitent principalement l’intérêt des rédacteurs de journaux nationalistes à petit tirage, accessibles à un cercle de lecteurs assez étroit. Cependant, dans la seconde moitié de la décennie, elles deviennent plus visibles dans les médias fédéraux et des auteurs de littérature générale se les réapproprient. Les livres parus, par exemple, dans les collections « Les secrets de la terre russe » ou « L’histoire réelle du peuple russe » sont très populaires aujourd’hui et accordent une grande importance à ladite préhistoire slavo-aryenne. Le livre de Vles tente également de s’immiscer de manière de plus en plus insistante au sein de l’institution scolaire.
20Les adeptes de l’idée aryenne semblent s’être réparti le travail. Certains d’entre eux s’intéressent au côté strictement historique du mythe : ils décrivent avec exaltation les lointaines migrations et les conquêtes des prétendus ancêtres slavo-aryens, la mise en valeur de territoires colossaux, leurs grands succès culturels, dont, surtout, la création d’une tradition spirituelle védique et d’une écriture antique. Dans ces travaux, l’image de l’ennemi éternel ou du « Mal mondial », bien que présente, reste en arrière-plan : leur antisémitisme est modéré et ne joue pas de rôle idéologique central dans la définition de l’aryanité des Russes. Parmi ces auteurs, une place d’honneur revient au chantre du livre de Vles et de nombreux autres faux, A. Assov. D’autres se concentrent au contraire sur la partie la plus agressive du mythe et donnent au « Mal mondial » des proportions réellement cosmiques. Ces deux conceptions trouvent de nombreux adeptes parmi les néopaïens russes, qui ont commencé à s’organiser en sociétés formelles en 1989 et sont maintenant présents dans les principales villes de Russie32, bien que toutes les communautés néopaïennes ne soient pas politisées. Cette doctrine aryenne occupe aujourd’hui une place importante dans la vie politique russe, alimentant en idées et symboles les leaders de nombreux mouvements radicaux situés aussi bien à droite qu’à gauche du spectre politique. Avant d’étudier ce rôle politique de l’idée slavo-aryenne, il convient de mieux cerner les milieux sociaux la promouvant et d’évoquer les débats suscités par le livre de Vles dans les années 1990.
Les précurseurs : V. I. Chtcherbakov et A. I. Assov
21En 1991-1992, le livre de Vles est popularisé dans Istoki, un journal tourné vers les milieux militaires. Celui-ci affirme qu’il a été rédigé par un dénommé Vles qui aurait été le premier historien de la Russie33. Dans chaque numéro suivant, l’auteur donne de nouvelles interprétations qui contredisent les précédentes. Ainsi, au début de son étude, il montre les Scythes comme les pires ennemis des « Slaves-Sarmates », mais assure ensuite avec fierté que les princes russes proviennent directement des Scythe royaux. À la même époque, l’écrivain V. I. Chtcherbakov publie les traductions de quelques fragments du manuscrit. Il n’hésite pas à se présenter comme le premier traducteur et chercheur se consacrant à ce monument slave, passant ainsi sous silence l’influence exercée sur son œuvre par les travaux de Skourlatov. Proclamant l’authenticité du « livre sacerdotal des Russes-Slaves », il y lit la confirmation de nombre de ses intuitions sur les lieux d’installation antiques des « proto-Européens et des Slaves ». Il est intéressant de noter qu’il appréhende le manuscrit non pas comme l’œuvre de prêtres païens, mais comme un don venu de plus haut, semblable à la Bible34.
22À partir de 1992, le manuscrit est fortement mis en avant dans des journaux comme Naouka i religiia et Tchoudessa i priklioutcheniia35. On perçoit dans le premier la main influente de l’un des fervents partisans du livre et membre du comité de lecture de la revue, A. I. Assov (de son vrai nom A. I. Barachkov). Géophysicien de formation, ayant fait ses études à la faculté de physique de l’université de Moscou, Assov ne se passionne pas pour sa profession et s’intéresse davantage aux secrets du folklore païen slave. D’après sa propre confession, c’est en 1988 qu’il décide de « restaurer la mythologie païenne slave ». Il s’enthousiasme alors pour le livre de Vles, qu’il présente comme un « monument des belles-lettres russes anciennes », et entame sa traduction. Ce difficile projet terminé, il ordonne et systématise ce qu’il appelle le savoir védique slave. Il réunit pour cela des textes folkloriques de diverses natures (byliny, contes, chansons populaires, sujets manuscrits, etc.) à partir desquels il élabore un récit construit sur les dieux païens, y incluant même leurs liens généalogiques. Il interprète donc à sa manière les matériaux collectés, y compris ceux d’origine chrétienne, et appréhende toute information comme une narration réelle, ayant préservé jusqu’à aujourd’hui sa tradition primordiale. Il illustre également ses œuvres de dessins des anciens dieux slaves d’après les canons orthodoxes de la peinture d’icônes36. Ses commentaires et analyses conjuguent étrangement des éléments d’époques et de cultures différentes, y compris des sujets bibliques.
23Ces anachronismes ne le dérangent pas, puisque les néopaïens russes se conçoivent dans une opposition agressive aux spécialistes patentés et à la science académique. Assov considère même qu’une juste compréhension des textes et des mythes religieux anciens ne suppose pas un savoir professionnel, mais un « regard de l’intérieur », une vraie foi : « L’authenticité [du manuscrit] n’est pas exprimable par des mots. Elle émane de l’expérience spirituelle personnelle. L’esprit même du livre de Vles, son mystérieux secret, la grande magie de son verbe corroborent d’eux-mêmes son authenticité. » Il conclut alors que, « pour l’homme possédant un savoir spirituel, l’authenticité du livre de Vles est indiscutable37 ». Cette approche est empruntée à celle des cercles occultistes, qui refusent eux aussi l’application de méthodes scientifiques pour la compréhension du passé lointain et préfèrent s’appuyer sur l’intuition et la révélation. Il s’élève à ce titre contre la prétendue « étroitesse de pensée professionnelle » de ses opposants, une accusation que l’on saisit mieux en sachant qu’Assov espère également prouver l’existence des OVNI, explique l’origine des savoirs religieux les plus précieux par la visite sur terre d’un extra-terrestre nommé Koliada38, et justifie la nécessité de l’arme nucléaire contre les menaces venues du cosmos. Il reconnaît toutefois que le livre contient des légendes « qu’il faut étudier par la science des religions et non comme des faits historiques concrets39 ».
24De telles conceptions de l’histoire mondiale sont également développées dans le journal Tchoudessa i priklioutcheniia, fondé en 1991. Son concepteur et rédacteur en chef, V. D. Zakhartchenko (1915-1999), est une figure originale qui, dans la première moitié des années 1960, était un partisan actif du groupe des « patriotes soviétiques » formé autour du premier secrétaire du Comité central du Komsomol, S. P. Pavlov. Dans la décennie suivante, Zakhartchenko dirige le journal Tekhnika-molodioji, où il révèle sa passion pour les questions mystiques et les phénomènes paranormaux. C’est précisément sous son patronage qu’y sont menées des discussions sur des problèmes pseudo-scientifiques et qu’est publié en 1978 l’un des premiers articles de Skourlatov sur le « problème aryen ». En 1983, Zakhartchenko est renvoyé de son poste sur décision de la section d’agitation et de propagande du Comité central du PCUS. Il disparaît alors de la scène publique, mais son nom revient au début des années 1990 au sein du mouvement nationaliste russe. Il fonde alors un nouveau journal, qui popularise l’activité de divers mages et sorciers, sympathise avec l’occultisme, consacre de nombreuses pages aux récits d’OVNI et de mystères venus du cosmos, et manifeste un intérêt ardent pour les composants irrationnels du IIIe Reich. Il offre même quelques-unes de ses pages à une présentation du texte saint des krishnaïtes, le Bhagavad-Gîtâ. Le journal s’enorgueillit enfin de compter parmi ses fervents soutiens la Société panrusse de défense des monuments d’histoire (VOOPIIK), l’une des organisations nationalistes russes les plus célèbres.
25Ceci explique pourquoi la revue publie également des articles sur le livre de Vles et le présente comme un monument authentique de l’histoire oubliée des Slaves anciens, qui aurait été nié par la science soviétique officielle pour des raisons idéologiques40. En 1996, V. D. Zakhartchenko et V. A. Tchernobrov éditent un recueil synthétisant les idées principales du journal Tchoudessa i priklioutcheniia. La première partie est consacrée à des récits fantastiques sur les OVNI, les extra-terrestres, l’homme des neiges, etc. La seconde rassemble des articles sur divers sujets historiques mystérieux : la prétendue slavité des Étrusques, le mythe de l’Atlantide, le cadran solaire de Phaistos en Crète (attribué aux ancêtres des Chaldéens), un royaume slave antique « plus ancien que les pyramides égyptiennes41» et un prétendu État aryen qui se serait étendu au sud de l’Oural. Le livre de Vles trouve là sa place naturelle avec des articles de Skourlatov et de V. Gritskov. Il figure également régulièrement dans les pages du journal pétersbourgeois des néopaïens, Rodnye prostory, aux côtés du Dit d’Igor42.
L’élargissement des réseaux de diffusion du mythe aryen
26Les ancêtres préhistoriques aryens et leur « savoir védique » suscitent un fort intérêt chez les néopaïens de Sibérie. Le fondateur de l’Église russe vieux-croyante d’Ingliia à Omsk, A. Khinevitch, s’appuie par exemple sur les publications d’Assov pour écrire sur le royaume de Daarie, le pays arctique que les races blanches auraient peuplé avant même l’Atlantide et dont les Slaves seraient restés les descendants les plus purs43. L’Institut de la culture védique russe, fondé tout d’abord à Tioumen puis, en 1997, transféré à Ekaterinbourg, popularise lui aussi des idées qui s’inspirent, d’un côté, de la littérature védique indienne, et de l’autre, des textes de Lesnoï, de Mirolioubov ainsi que du livre de Vles et des Chants de l’oiseau Gamayon, un autre faux publié par Assov44. Toutefois, certains jeunes partisans ayant participé à la fondation de cet institut tentent d’éviter une soumission aveugle à leurs autorités intellectuelles. Ainsi, l’un d’eux, A. A. Kozlov, traite de manière respectueuse mais critique les textes de Mirolioubov et considère les prises de position d’Assov comme « arbitraires et antiscientifiques45 ».
27Cela n’empêche pas le livre de Vles de devenir de plus en plus populaire et de se voir même consacrer une émission de télévision (sur la chaîne Moskoviia, connue pour ses positions conservatrices, le 25 novembre 1997), alors que circulent dans les milieux nationalistes des films tels que Les Secrets du livre de Vles, Le secret des Slaves, Arkaim, ville des Aryens, etc.
28Les arguments des spécialistes démontrant le caractère falsifié du manuscrit, dont des autorités inégalées en littérature russe ancienne comme l’académicien D. S. Likhatchev ou l’un des principaux spécialistes de la Russie ancienne, l’académicien V. L. Ianin, gênent quelque peu les partisans du livre de Vles. Certains tentent de conserver, ne serait-ce que de façade, une certaine objectivité et acceptent de reconnaître que son auteur pourrait être Mirolioubov, qui aurait utilisé ses souvenirs d’enfance pour recréer une technique d’écriture sur planches46. D’autres, comme l’historien autodidacte V. V. Gritskov (ancien ingénieur de profession, aujourd’hui secrétaire scientifique de la section moscovite de la Société historique russe), s’efforcent de rabaisser les talents de Mirolioubov en affirmant qu’il aurait été incapable de concevoir de tels textes. Dans le même temps, ils refusent de le prendre au mot et le soupçonnent d’avoir eu en main non pas les planches originelles, mais un manuscrit lui-même compilé par des générations de copistes47. Enfin, l’aryosophe V. M. Demin, lieutenant-colonel de réserve d’Omsk, s’est largement appuyé sur le livre de Vles dans ses écrits fantastiques sur le thème aryen et commente longuement les qualités des rédacteurs du manuscrit, qu’il appelle avec respect les « fondateurs de l’école historique russe »48
29Parmi les autres défenseurs du livre, on mentionnera le géologue G. S. Grinevitch, collaborateur de la section d’histoire mondiale de la Société russe de physique et directeur du « Centre de géostructure panplanétaire » : dans le journal de la Société, Rousskaïa mysl, il popularisa l’idée selon laquelle le manuscrit serait « un original du ixe siècle »49. Il est toutefois curieux que le livre de Vles ait été ouvertement reconnu comme une falsification par des représentants mêmes du mouvement national russe aussi en vue que A. Ivanov (Skouratov). Historien de profession, celui-ci semble avoir été, en son temps, choqué de la popularité du manuscrit parmi ses compagnons d’armes. Il s’est toujours montré sceptique sur les bénéfices que le mouvement nationaliste pourrait retirer de ce livre : « Si nous nous donnons comme glorieux objectif la renaissance nationale, comment peut-on asseoir cette saine affaire sur un mensonge aussi notoire50 ? »
Le cortège triomphal du livre de Vles
30Quelle que soit la teneur des révélations des essayistes et des experts scientifiques, les patriotes enthousiasmés par le livre de Vles continuent de croire en lui. Après avoir été publié dans des revues comme Naouka i religiia et Tchoudessa i priklioutcheniia, il l’est également, à partir de 1995, dans le journal de vulgarisation scientifique Svet. Priroda i tchelovek, bien diffusé sur l’ensemble du territoire de la CEI. Assov, quant à lui, a édité en trois versions le livre de Vles (1992, 1994 et 1997), puis a tenté de créer lui-même une sorte d’Ancien Testament slavo-russe qu’il présente au lecteur comme un « corpus complet des védas originaux », « la source de l’ancienne foi slave. »51Il continue à publier d’autres ouvrages en s’appuyant sur la littérature védique indienne, le folklore russe et les écrits de Chtcherbakov, et espère ainsi offrir toujours plus de détails sur le mythe des Slavo-Aryens et celui de leur patrie arctique. Les publications nationalistes, même les plus orthodoxes comme Rousskii vestnik et Kolokol, ont elles aussi contribué à la popularisation du livre de Vles. Le journal Molodaïa gvardiia, quant à lui, a édité en 1994 une étude de A. A. Kour sur les Slaves anciens, soulignant que l’auteur s’appuyait sur « des données nouvelles »52, une formule dissimulant mal le livre de Vles et confirmant la volonté des nationalistes russes d’élaborer ce qu’ils appellent « une science russe », proche de la « science » néonazie. C’est également le cas du journal pétersbourgeois Za rousskoe delo, qui a publié dès 1996 un supplément spécifique sous le nom de Potaennoe dans lequel sont commentées les recherches concernant la patrie arctique des Slaves53.
31Ce mythe aryen a pénétré jusqu’au mouvement néonazi l’Unité nationale russe de A. P. Barkachov, qui assimile les Aryens à la « race blanche » et présente les Russes comme « les descendants les plus directs, génétiquement et culturellement, des Aryens »54. Une admiration profonde pour le livre de Vles et la préhistoire slavo-aryenne se retrouve également dans les œuvres de l’artiste I. S. Glazounov. Bien qu’il ne puisse pas être, au vu de ses positions orthodoxes très conservatrices, assimilé aux néopaïens, il réutilise à son profit tout l’argumentaire de ces derniers. Comme eux à la recherche de la gloire des Slaves anciens, il analyse l’histoire d’un point de vue exclusivement racial55. Les œuvres de Mirolioubov et de Lesnoï sont aujourd’hui encore publiées à grand tirage et les références à la parascience du livre de Vles atteignent même certains journaux démocratiques du pays comme Nezavissimaïa gazeta ou Moskovskii komsomolets56.
Le livre de Vles et le système scolaire russe
32Les partisans d’une « vision védique du monde » fondée sur le livre de Vles tentent aujourd’hui d’introduire son enseignement dans les cursus scolaires57. Ils appellent ainsi les manuels à « dire enfin la vérité », par exemple sur l’union des peuples russo-slaves qui aurait existé dès l’âge du bronze. Ceux-ci auraient joué un grand rôle dans les événements de Troie, déferlé en Égypte et en Méditerranée orientale sous le nom de « peuples de la mer » et laissé en mémoire l’histoire mystérieuse de la puissante Atlantide58. C’est dans ce but de propagande qu’a été créé, dans le bâtiment d’une école primaire moscovite, un musée de la culture russo-étrusque. Son directeur, A. G. Egournov, est en effet convaincu que les Étrusques étaient une ancienne tribu slave et « lit » sans difficultés les inscriptions étrusques dans leur « version » slave, ce qui prouverait que l’écriture russe aurait trois mille ans de plus que ce qu’affirment les scientifiques59.
33Cette histoire russe aryanisée commence à pénétrer de manière de plus en plus directe le système d’éducation nationale. Elle a par exemple inspiré le manuel d’histoire expérimental L’Histoire de la Russie jusqu’à l’époque de Pierre le Grand, rédigé en 1996 pour les classes supérieures. Son auteur, A. P. Bogdanov, collaborateur à l’Institut d’histoire nationale, énonce en détail l’histoire mythique des Slaves à l’âge de bronze et à celui du fer60. L’Institut de la culture védique avait, quant à lui, déjà préparé un cours fondé sur le « savoir védique », qui fut lu dans certaines écoles de Tioumen en 1993-1995. En 1997, un cours similaire fut dispensé dans des écoles d’Ekaterinbourg et approuvé par le conseil d’expertise de la section locale de l’Éducation nationale61. Des références au livre de Vles se retrouvent également dans le journal Prepodavanie istorii v chkole, édité par le ministère de l’Éducation nationale et destiné aux enseignants d’histoire du secondaire.
34Ces conceptions néopaïennes de la préhistoire slave apparaissent de manière épisodique dans la littérature scolaire éditée dans la capitale. Elles sont par exemple exposées par G. S. Beliakova, ancienne directrice du musée dédié au Dit d’Igor et vice-rédactrice du journal Rousskaïa mysl. Celle-ci a publié en 1995 un livre destiné aux élèves du secondaire, La Mythologie slave, dans lequel les mythes néopaïens contemporains sont présentés comme des classiques de l’héritage slave62. V. I. Chtcherbakov a lui aussi publié des ouvrages destinés aux lycéens dans lesquels il développe les arguments historiques constitutifs du mythe aryen russe (origine ethnique commune des Russes, des Étrusques et des Thraces, présence de Scandinaves dans l’empire parthe, existence attestée des Vénètes-Slaves dans tout l’espace situé entre l’Inde et l’Europe occidentale) et s’enthousiasme pour ces anciens Russes qui auraient apporté aux autres peuples tant l’écriture que l’État. Le mythe antisémite selon lequel des Vandes-Vénètes, ancêtres des Slaves, auraient créé l’État ancien de Canaan63 s’y retrouve sous une forme voilée.
35Plusieurs manuels d’histoire nationale dits « alternatifs » ont également été publiés dans la seconde moitié des années 1990, par exemple La Russie dans le temps. Ses auteurs présentent les Slaves comme le principal peuple de l’Antiquité, fondateur des civilisations mondiales et ayant offert à tous les autres peuples, dont les Sumériens, une haute culture et la maîtrise de l’écriture. Ils portent aux nues la religion païenne, qui permettrait à l’homme de vivre en harmonie avec la nature et de fonder une vision scientifique du monde. La source principale utilisée par ces auteurs est le livre de G. S. Grinevitch (présenté comme un extraordinaire « savant-déchiffreur »), L’Écriture protoslave, résultats et déchiffrement (1993), ainsi que les œuvres du métropolite Johann, de l’écrivain V. Tchivilikhin, du mathématicien I. Chafarevitch et de l’ethnologue L. N. Goumilev. Ils s’appuient également sur le livre de Vles, dont les extraits donnés sont présentés comme un document unique du passé pré-chrétien64. Ce manuel a été reconnu par l’Académie nationale de développement de l’éducation, recommandé pour différentes écoles et imprimé à un tirage relativement important (9 000 exemplaires).
36L’idée que les Slaves descendent directement des Aryens se retrouve enfin dans les pages d’éditions populaires pour enfants et dans plusieurs manuels universitaires65, dont ceux de culturologie recommandés par le ministère de l’Éducation nationale. Ainsi, la popularité du livre de Vles s’est accrue dans la seconde moitié des années 1990 et, avec elle, l’idée aryenne, qui a quitté les cercles nationalistes pour se diffuser et chercher de nouveaux arguments chez certains régionalistes66. Les références au manuscrit se retrouvent même chez des scientifiques confirmés, qui y voient non pas un faux, mais une preuve « contestée » du paganisme ancien67, tandis que d’autres se sentent encore obligés de s’expliquer longuement sur son caractère falsifié.
Le mythe aryen comme doctrine réunificatrice des divers milieux nationalistes ?
Le néopaganisme russe contre le judaïsme et le christianisme
37Les néopaïens russes contemporains concentrent aujourd’hui leur lutte contre l’Église, en qui ils ne voient qu’une mauvaise intrigue juive. C’est par exemple le cas de V. I. Kortchagin, directeur de la maison d’édition antisémite de Moscou Vitiaz68, fondateur en 1991 du Parti russe de Russie, dont il fut le premier président jusqu’à sa démission en 1996. Figure culte de certaines mouvances néopaïennes dites capitalistes, Kortchagin avait reçu, en 1992, le titre d’académicien de l’institution auto-proclamée « Académie slave internationale des sciences, de l’éducation, des arts et de la culture ». Selon lui, la sauvegarde du peuple russe passe par « le retour à la religion de nos ancêtres, la foi des Slavo-Russes, et le bannissement des Juifs de Russie »69. La christianisation du pays aurait été la plus grande tragédie du peuple russe, qui se serait de lui-même soumis à « la foi juive » et aurait perdu toute capacité à s’opposer au « joug étranger ». Tout en accusant les Juifs de tous les maux de la Russie au xxe siècle, Kortchagin fait également porter la responsabilité de ces époques difficiles à l’orthodoxie et appelle les patriotes à lui opposer un front uni70.
38De tels propos radicaux sont également tenus par l’écrivain V. B. Avdeev. Dénonçant le christianisme comme une religion du sacrifice – une notion qui serait venue du judaïsme –, il accuse les deux croyances d’avoir donné naissance au concept de guerre sainte71. Avdeev cherche à mettre en pratique ses théories : il participe activement à divers mouvements antichrétiens, à la « communauté païenne de Moscou » comme au Club de lutte slavo-goritsienne, un sport inventé par Alexandre Belov, le premier président de cette communauté païenne. Il a également soutenu des publications comme Za rousskoe delo et Nasledie predkov, a travaillé sur la notion de « nationalisme intégral » et l’idée raciale appliquée au cas russe72. Il s’est rapproché de P. V. Toulaev, avec qui il a fondé en 2000 le journal raciste Ateneï et la collection « Bibliothèque de la pensée raciale », qui republie des textes russes et occidentaux d’anthropologie raciale du début du xxe siècle.
39Un autre néopaïen, M. Ryjov (pseudonyme : Ant Ross), installé à Ekaterinbourg, s’est lui aussi spécialisé dans la lutte contre le christianisme, assimilé au judaïsme. Il s’est tout naturellement focalisé sur l’orthodoxie, qu’il considère comme une religion étrangère « transformant la nation russe en un instrument de l’esclavagisme illimité des Juifs » qui aurait contribué à la paupérisation du peuple et à l’instauration d’un gouvernement juif en Russie. Reprenant à son compte la célèbre théorie de l’inconséquence et du caractère réitératif de la culture juive, Ryjov déclare que celle-ci a volé sa langue et son écriture aux « Arabes-Cananéens » de Palestine73. Il considère que les Juifs sont aujourd’hui parmi les premiers soutiens de l’orthodoxie, invitant à reconstruire les églises afin de ne pas assister au renouveau des lieux de culte païens. De tels discours sont repris à Omsk par A. Khinevitch74.
Les néopaïens favorables au marché et l’antisémitisme « de droite »
40En 2000, la bibliothèque des néopaïens russes s’est enrichie d’une nouvelle parution, La Sentence des dieux russes, publiée sous le pseudonyme de V. A. Istarkhov. Celui-ci est le rédacteur en chef de la revue néopaïenne de Saint-Pétersbourg Rodnye prostory, elle-même organe de l’Union des Vénètes, la principale – par son effectif – organisation néopaïenne du pays. La conception d’Istarkhov est centrée sur l’idée d’une confrontation entre d’un côté le paganisme russe, de l’autre le christianisme et le judaïsme, confrontation mentionnée dès ses premiers articles parus dans les Rousskie vedomosti de V. I. Kortchagin75. Cet antichristianisme néopaïen reste imprégné de racisme, Istarkhov étant persuadé que « la génétique a déjà prouvé avec exactitude l’inégalité non seulement des hommes mais des nations et des races. Les différentes nations et races ont des génotypes différents76 ».
41Istarkhov se présente comme membre de l’Académie aryano-russo-slave et affirme parler au nom des « petits et moyens propriétaires » dont il veut défendre les intérêts77. Il explique que son livre est dirigé contre « les principales religions juives », dont le christianisme et le communisme. Il s’enorgueillit de son appartenance au paganisme, « la religion plurimillénaire authentique des peuples russe et aryen », et tente de démasquer lesdites religions juives dans lesquelles il voit « une arme informative pour instaurer le règne mondial de l’oligarchie juive et de leurs maîtres sataniques78 ». Selon lui, à la différence du judaïsme et du christianisme, le védisme ne formerait pas des esclaves, mais des combattants, proposerait non pas la souffrance, mais la jouissance, promouvrait le savoir contre la foi aveugle, remplacerait la peur chrétienne de Dieu par la croyance en ses propres forces et affranchirait la sexualité de l’homme. Il rejetterait la duplicité de la morale chrétienne, appellerait à l’enrichissement personnel plutôt qu’au sacrifice et revendiquerait le principe sain de « l’égoïsme national russe » et du refus des valeurs humanistes.
42Cette conception antichrétienne trouve une expression particulièrement éclatante dans les travaux du « national-démocrate » A. N. Sevastianov79, qui regarde avec sympathie les nazis pour avoir rétabli l’ordre dans l’Allemagne de l’entre-deux-guerres, amélioré le bien-être du peuple allemand et permis la reconquête de ses territoires « nationaux ». Conformément à la tradition nazie, il assimile le communisme aux Juifs, ne voit dans le judaïsme que l’idée d’une domination mondiale et pense le Christ comme un « nationaliste juif » qui aurait organisé la perte de toutes les autres nations. Là se cristallise son attitude hostile envers l’Église orthodoxe puisque, d’après lui, c’est elle qui aurait proclamé le caractère élu des Juifs et préparé les autres peuples à leur sort inférieur. Sevastianov regarde toutefois avec scepticisme le passage tant attendu du peuple russe au paganisme, supposant qu’il contribuera uniquement à le diviser davantage. Le but de son mouvement serait alors de sauver le peuple russe de la mort en appliquant, parmi les mesures de première nécessité, « la génétique et l’eugénisme ». Il ne semble toutefois pas encore prêt à adopter les solutions les plus radicales proposées par les nazis sur la voie du « Reich millénaire »80. Sevastianov est également l’un des vice-présidents du mouvement d’inspiration néonazie, le Parti national de la grande puissance russe (NDPR), qui doit, selon ses fondateurs, unifier tous les nationalistes russes et s’est fait enregistrer à Moscou en 2001.
Le socialisme néo-païen et l’antisémitisme « de gauche »
43Si la tendance idéologique dirigée par Kortchagin représente, dans le spectre des mouvements néopaïens actuels, les partisans du marché, détestant tout autant le christianisme que le communisme, tous deux considérés comme produits de « l’esprit juif », il se développe également en Russie un mouvement socialiste néopaïen dont le leader spirituel est A. A. Dobrovolski. Au début des années 1990, sous le nom slave ancien de Dobroslav, il quitte Moscou pour le petit village de Vasenevo, dans la région de Kirov, où, chaque année, ses disciples venus de toute la Russie se retrouvent le jour d’Ivan Koupalo81. Le 22 juin 1997, Dobroslav crée le Congrès unificateur des communautés païennes, nommé Vetche, qui le proclame chef du « Mouvement de libération russe ». Sa hantise des Juifs plonge ses racines dans une argumentation essentialiste : il voit en eux une civilisation autre par définition, qui éprouverait une répulsion absolue envers la nature, à la différence des « peuples autochtones » du monde. Ainsi, dans la Bible, la nature ne serait pas présentée comme une mère nourricière, mais comme un environnement matériel sans âme. Il dénonce donc « l’aliénation judaïco-chrétienne de la nature » tout comme la « justification par l’Église de l’inégalité sociale ».
44Pour Dobroslav, ce nécessaire retour à la nature ne se limite pas à la seule spiritualité russe, puisqu’il tire de cette dernière un héritage slave étroitement lié au sol natal : le culte du terroir national n’est pas un mode symbolique d’exaltation de la nation, mais au contraire une mise en œuvre directe et empirique de ces principes. Il mentionne ainsi l’existence d’une force matérielle puissante qui émanerait de la tombe des ancêtres et influencerait le destin des vivants. La conception archétypale de « la terre et du sang » ne relève donc pas, pour lui, de la simple métaphore, puisqu’il tente de faire renaître la prétendue vision du monde de l’homme antique en s’appuyant sur cet ancien slogan du nationalisme allemand. Il partage également avec ce dernier des conceptions racistes, affirmant que « le métissage des races [est] contraire à la nature » et que la faute en revient au « judéo-christianisme international82 ». Fort de telles convictions, il considère les Slaves comme une race à part, souffrant de l’oppression raciale organisée par ceux qui prétendent être le peuple élu.
45Dobroslav accuse également le monothéisme d’avoir rendu possible la consolidation du pouvoir princier et royal et amené, en fin de compte, au servage. C’est pourquoi, selon lui, la guerre civile, qui a résulté du schisme de la nation en nobles et masses populaires, n’a pas commencé en 1918 mais en 988 avec l’adoption du christianisme en Russie. Dobroslav assure ainsi que les Slaves n’avaient pas de troupes princières [družiny] séparées du peuple à la période pré-chrétienne. Il construit ensuite son argumentation sur l’idée du « socialisme paysan naturel » des Russes, qui revendiqueraient l’égalité sociale, le nivellement, le partage, l’autolimitation volontaire, et ne reconnaîtraient pas le droit à la propriété privée. « Le capitalisme et la morale sont incompatibles », proclame-t-il83. Cela le conduit à militer pour « l’union des nationalistes et des communistes patriotes » au nom de la construction d’un « socialisme national russe84 ». Dobroslav jouit d’une grande autorité dans le monde des néopaïens russes, en particulier chez les partisans du « socialisme païen ». Ainsi, cette lignée de jugements antichrétiens et antisémites amène une partie des néopaïens à exprimer leur sympathie pour les communistes.
L’union des communistes post-soviétiques et des néopaïens
46Les conceptions néopaïennes, marquées tant par l’antichristianisme que par l’athéisme soviétique85 et, dans un même temps, empreintes d’allusions patriotiques et ethno-nationalistes, se révèlent en effet très proches, en esprit, de certains courants communistes contemporains. Ceux-ci se divisent entre le Parti communiste du travail de Russie (RKRP) et le mouvement « Russie laborieuse » dirigé par Viktor Anpilov. En janvier 1995, le journal Molniia, organe du comité central du RKRP, publie deux articles haineux consacrés à l’Église orthodoxe et chantant les louanges du paganisme slavo-russe. Dans l’un d’eux, l’architecte A. F. Fiodorov, à la suite des néopaïens, affirme que l’État russe ancien, né à Kiev, fut une grande puissance de son temps bien avant sa conversion au christianisme. Malheureusement, « devenu religion d’État, le christianisme s’est opposé à la culture nationale païenne et a peu à peu coupé les milieux princiers du peuple », conduisant la Russie kiévienne à sa chute.
47Décrivant les horreurs du baptême, imposé en Russie « par la force et le mensonge » du pouvoir, l’auteur pleure les mages « conservateurs des traditions culturelles et des rites sacrés » qui auraient dû céder leur place aux nouveaux prêtres chrétiens. Comme d’autres auteurs, tel S. Aroutiounov, il accuse l’Église orthodoxe de s’être mise au service d’un pouvoir tsariste injuste et d’avoir participé à l’écrasement du peuple. C’est pourquoi, d’après lui, celui-ci s’est très justement détourné de l’Église tout de suite après la révolution. C’est à cette époque que remonterait la renaissance de la spiritualité nationale : le peuple serait parti en quête du savoir et de la « nouvelle religion païenne », qui aurait connu son apogée lors de la Seconde Guerre mondiale. Fiodorov appelle alors au culte « des grands ancêtres russes », dont Staline, car pour lui, il ne fait pas de doute que « le culte d’un chef est l’expression naturelle de la nature païenne du pouvoir86 ».
48À la fin des années 1990, l’idée aryenne s’est également trouvée exaltée dans le journal Patriot (l’ancien Sovetskii patriot), organe de l’Union national-patriotique de Russie (NPSR), sous le patronage du Parti communiste. Dans ses pages, l’un des dirigeants de la fraction parlementaire du PC et vice-président de son Comité exécutif, A. T. Ouvarov, reproduit en détail les mythes historiosophiques concernant les Slavo-Aryens formulés par les leaders spirituels du mouvement néopaïen. Éludant toute lutte des classes, Ouvarov affirme que tous les conflits du monde sont dus à « l’incompatibilité des différents peuples », en particulier à l’opposition entre la civilisation « judéo-pharisienne » et la « civilisation védique » indo-européenne. Ouvarov instruit donc les lecteurs peu familiers de l’histoire et de l’ethnologie antiques en présentant l’époque où la Russie constituait le dernier fragment d’un grand empire aryen et assure qu’aujourd’hui, peuvent être considérés comme aryens les Slaves, les Nenets, les Mari, les Ossètes et les Gagaouzes. Il appuie ses assertions sur le livre de Vles et affirme que la svastika est le signe divin des Aryens. Dans le sillage de cette svastika apparaît « l’ennemi judaïque », vivant depuis des siècles dans le seul but de détruire la civilisation aryenne. L’auteur décrit ainsi la dispersion maîtrisée et en toutes directions des Juifs dans le monde, avec pour but, sinon la destruction totale des peuples aryens, tout au moins leur mise en esclavage organisée87.
49Dans son dévouement à la cause slavo-aryenne, Ouvarov est loin d’être isolé. Des tendances semblables transparaissent dans les pages du même journal Patriot, animé par exemple par l’ancien leader des communistes russes, I. Polozkov, et quelques autres88. Ce journal procommuniste reproduit avec zèle les rudiments de la propagande aryaniste sur l’incompatibilité totale des civilisations « juive » et « aryenne », à laquelle les auteurs du journal rattachent avant tout les peuples de l’ex-URSS, Russes en tête. La lutte contre le « sionisme international » reprend donc facilement un cours plus traditionnel pour la Russie, celui de l’opposition entre orthodoxie et judaïsme, face à laquelle la confrontation entre néopaganisme et christianisme passe au second plan. C’est ainsi que l’un des membres du collectif de rédaction du journal, S. Chargounov, affirme que « notre ennemi, c’est la culture judaïque » et non l’orthodoxie, espérant même en une union idyllique des peuples de l’ex-URSS sous l’égide de cette dernière, et ce malgré leur appartenance à des religions très diverses89.
50Après cela, les récidives antisémites de la fraction du Parti communiste à la Douma, qui ont tant choqué la communauté internationale à l’automne 1998, n’ont plus rien d’étonnant. Deviennent également tout à fait compréhensibles les arguments avancés par V. Ilioukhin, l’un des leaders de cette fraction et président du Mouvement pour le soutien à l’armée, afin de défendre l’utilisation de la svastika par les néonazis russes au nom de son caractère traditionnel profondément ancré dans la culture des peuples de l’Eurasie, tout comme son insistance sur l’antiquité plurimillénaire de l’écriture runique90. La connaissance du mythe « slavo-aryen » qui s’épanouit dans la dernière décennie sur le sol russe éclaire donc les raisons de la compétence auto-attribuée d’Ilioukhin en matière d’antiquité eurasienne.
La création d’un front commun ?
51Dans leurs efforts pour réunifier le peuple russe, beaucoup de nationalistes sont prêts à renoncer à leurs attaques mutuelles lorsqu’elles résultent de conceptions religieuses différentes. La lutte contre le « complot judéo-maçonnique » leur semble en effet incomparablement plus importante. Ainsi, le journal Rousskoe voskressenie, connu pour son antisémitisme extrême, soulignait il y déjà plus de dix ans que les vrais Russes n’avaient pas de motifs sérieux de se quereller puisqu’ils avaient un seul ennemi commun, Satan91. Le journal d’extrême droite de Saint-Pétersbourg, Nache otetchestvo, malgré ses positions très nettement orthodoxes, s’est lui aussi mis à insister, après l’écrasement du Soviet suprême à l’automne 1993, sur la « russité » aussi bien des orthodoxes que des néopaïens. Se présentant comme le garant de la fierté nationale des Aryens, le journal appelait à faire la paix avec les néopaïens au nom de la victoire contre l’ennemi commun, le judaïsme92.
52Cette position a été par la suite réaffirmée par le rédacteur et éditeur du journal, E. A. Chtchekatikhin, qui proclame l’unification des visions du monde védique et orthodoxe en un ensemble indissoluble appelé « vision du monde orthodoxe védique ». Il insiste également sur le fait que seuls les « judéo-maçons » inculqueraient aux Russes l’idée destructrice d’une opposition entre orthodoxie et paganisme93. Il est révélateur que cet article ait été publié dans le journal néopaïen de Saint-Pétersbourg Rodnye prostory, qui l’a entièrement soutenu sur ce thème94. À son tour, l’organe de l’Union du peuple russe, le journal de Volgograd Kolokol, s’est mis à disserter sur le « dieu russe », ne voyant là aucune contradiction avec ses valeurs orthodoxes affichées. En 1996-1997, les éditeurs du journal néopaïen radical, lui aussi de Saint-Pétersbourg, Za rousskoe delo, O. Goussev et R. Perin, ont créé un Parti russe du travail de Russie (RTPR) qui a tenu son congrès constitutif le 2 mai 1997. Parmi les participants, on comptait non seulement des néo-païens, mais également d’anciens communistes soudain ralliés à la cause orthodoxe. Ce compromis entre les deux tendances religieuses se reflète dans le programme du parti, qui déclare « la liberté de confesser pour les deux religions traditionnelles du peuple russe, l’orthodoxie et la foi védique pré-chrétienne. L’activité de toutes les autres religions doit être limitée aux territoires de leur présence traditionnelle95».
53Si ce compromis avec l’orthodoxie est nécessaire aux néopaïens afin d’élargir leur base sociale, les nationalistes orthodoxes, au nom de l’éveil d’une conscience nationale, sont, eux aussi, intéressés par un approfondissement de l’histoire russe bien au-delà des limites du passé chrétien. De ce point de vue, de nouvelles formulations fort symptomatiques se sont infiltrées jusque dans l’un des plus anciens journaux nationalistes, le Rousskii vestnik. Ainsi, si l’idée néopaïenne d’associer christianisme et judaïsme est rejetée et suscite même l’indignation96, le journal reproduit les fantaisies de Chtcherbakov sur les liens génétiques des proto-Slaves avec les Celtes ou les Étrusques, sur les royaumes slaves du cours moyen du Dniepr à l’âge du bronze, sur le monde slave comme fondement de la civilisation européenne97, etc. De telles thématiques apparaissent également à partir de 1997 dans le Kolokol de Volgograd.
54On retrouve également des tentatives de compromis entre orthodoxie et paganisme dans l’encyclopédie Sainte-Russie, publiée en 2000 par un célèbre « conspirologue » anti-maçonnique, O. A. Platonov. Tout en se déclarant très fermement orthodoxe, Platonov exprime une sympathie inhabituelle pour le paganisme, qui se serait, selon lui, naturellement fondu dans le christianisme98. Cette approche est caractéristique des nationalistes russes a-religieux, pour qui l’orthodoxie n’a pas de valeur en tant que religion, mais plutôt en tant qu’idée nationale. Dans ce contexte, les différences théologiques entre orthodoxie russe et paganisme slave s’avèrent sans importance face à la prédominance culturelle que constitue « l’idée russe ». L’image de l’ennemi est bien évidemment tout aussi importante et l’encyclopédie de Platonov la trouve dans le judaïsme : il existait autrefois, selon lui, un conflit violent entre le monde des Slaves de l’est et la « Khazarie judaïsante ». L’ennemi n’est pas présent uniquement dans cette évocation historique de la Khazarie et Platonov le mentionne sous d’autres formes, en redonnant par exemple vie aux calomnies concernant des « sectes juives secrètes » qui commettraient des meurtres rituels, une affirmation qu’il illustre en rappelant l’affaire Beilis99 et l’assassinat de la famille impériale100.
55La création de ce front uni n’a toutefois pas vraiment réussi à dépasser le stade des bonnes intentions. Les néopaïens ne peuvent s’empêcher d’attaquer brutalement de temps à autre le christianisme, les nationalistes orthodoxes leur répondant avec une inimitié égale. Ainsi, le livre d’Istarkhov a été solennellement brûlé par des activistes de l’union « Renaissance chrétienne » que dirige l’un des patriarches du nationalisme russe contemporain, Vladimir Ossipov. Le Parti russe du travail de Russie, quant à lui, s’est effondré dès 1999 : des altercations entre orthodoxes et néopaïens ont été mentionnées en son sein après la création du Parti national de la grande puissance russe et le mouvement a subi un coup particulièrement rude en se voyant refuser son enregistrement par le ministère de la Justice le 19 mai 2003.
* * *
56Dans le dernier tiers du xixe siècle, le mythe aryen romantique était devenu l’un des arguments principaux de l’antisémitisme occidental, lorsque la judéophobie chrétienne traditionnelle avait cédé la place à un antisémitisme raciste et biologique. Le mythe aryen constituait alors l’arme favorite des antisémites sécularisés, qui tentaient de légitimer leur sentiment par la science raciale. Dans les années 1920, ses partisans avaient adopté avec empressement le faux fabriqué par la police tsariste qu’étaient les Protocoles des Sages de Sion. Cette « source authentique » leur permettait d’étayer leur regard manichéen et conspirateur sur l’histoire mondiale. Cependant, tout en parlant de la puissance des Juifs, de leur complot contre les peuples du monde et de leur volonté de domination mondiale, les Protocoles gardaient un silence désespérant sur les glorieux Aryens et leur capacité à s’opposer au « mal mondial ». Les partisans du conspirationnisme avaient donc besoin d’un document historique capable de confirmer l’idée selon laquelle les Aryens avaient dominé sans partage le monde avant que le « christianisme judaïsé » ne porte un coup mortel à leur domination. L’Allemagne nazie avait tenté de fabriquer de tels documents (par exemple la chronique d’Ura-Linda, propagée par Hermann Wirth, fondateur et premier président de l’Ahnenerbe Stiftung), mais sans grand succès.
57Le livre de Vles a bénéficié d’un destin plus favorable. Observant avec inquiétude la montée du nationalisme ethnique au sein des républiques soviétiques dans les années 1960-1970, les nationalistes russes ont commencé à réfléchir à des arguments historiques capables de légitimer la nécessité, pour eux absolue, d’une domination russe sur le territoire de l’ancien empire. Le passé pré-chrétien a alors permis des interprétations beaucoup plus ambitieuses et plus malléables qu’une histoire moderne mieux connue et par ailleurs difficile. S’appuyant sur les données de l’archéologie contemporaine, les nationalistes russes ont commencé à insister sur le fait que les « ancêtres des Slaves » régnaient sur toute la ceinture steppique eurasienne dès l’époque du bronze, voire bien avant. Ces ancêtres ont été de plus en plus assimilés à des Aryens, incluant dans cette catégorie divers groupes indo-européens. La politique coloniale de l’Empire russe apparaissait alors sous un jour nouveau, celui du retour des Russes sur leurs terres ancestrales. Dans ce contexte, le livre de Vles permit aux nationalistes russes d’enrichir leur arsenal argumentatif de références au « manuscrit païen originel ».
58Un autre facteur influant sur la popularité du livre de Vles fut le besoin irrépressible de ces nationalistes a-religieux d’une idéologie russe spécifique. Le christianisme et le marxisme, venus de l’extérieur, ne pouvaient qu’être regardés comme des éléments étrangers et donc opposés à l’esprit russe. En revanche, le fameux « manuscrit préchrétien » constituait une alternative séduisante permettant de forger une vision du monde pensée comme spécifique et de créer une « science russe ». C’est sur cette base que naît la notion de paganisme slave, qui représente un mélange fantasque de croyances pré-chrétiennes et d’éléments de la science raciale. Athées d’hier, les néopaïens d’aujourd’hui voient avant tout dans la religion un héritage culturel important, capable d’unifier la nation. Le néopaganisme russe se distingue alors par sa volonté de dépasser ce qu’il définit comme la crise identitaire du pays et de proposer de nouveaux fondements qui permettraient d’asseoir la conscience nationale russe. Une telle identité se construit bien évidemment sur l’altérité, dont le principal composant doit être un ennemi d’échelle cosmique, seule explication trouvée pour intérioriser le choc de l’effondrement de la deuxième puissance mondiale qu’était l’URSS, comprise comme une Russie authentique.
59L’implosion imprévue de ce qui semblait un pays puissant et particulièrement solide a créé un terreau propice à la popularité des théories conspirationnistes. Beaucoup de néopaïens associent de manière très traditionnelle ces forces nocives au christianisme et aux Juifs. Le néopaganisme peut toutefois difficilement concurrencer l’orthodoxie, qui a reçu en Russie un statut de quasi-religion officielle et se construit sur des bases autrement plus solides pour l’identité russe actuelle. Il semble ainsi que les néopaïens ne puissent occuper qu’une place marginale dans la sphère religieuse. Il en va tout autrement dans le champ identitaire, où ils réussissent à installer des « idéologèmes » tentants liés au prétendu héritage slavo-aryen. Ces mythes originellement créés dans des milieux néopaïens à la base sociale étroite innervent peu à peu les écrits de publicistes de sensibilité patriotique et, à l’aide des médias et de la littérature, réussissent à diffuser leurs théories bien au-delà de leur sphère d’influence première.
60Ainsi, le lien entre mythe aryen et néopaganisme se distend, le premier se voyant récupéré par des figures se réclamant de l’orthodoxie ou n’étant pas attirées par une solution religieuse à la question identitaire russe. Ce mythe dote la communauté d’un fondement racial, face auquel les différences de confession et de sympathies politiques semblent sans importance, et lie intrinsèquement l’identité aryenne des Russes à l’antisémitisme. Grâce à une propagande active de ses partisans, l’idée aryenne a commencé, dans les années 1990, à dépasser les frontières ethniques russes et ukrainiennes et à intéresser d’autres nationalistes – Tatars, Bachkirs, Ossètes, Iakoutes, Arméniens, Tadjiks et même Tchétchènes. Ce nouveau phénomène n’avait pas été observé auparavant. En dix ou quinze ans, on remarque donc une large expansion du mythe aryen en Russie et dans une série de pays de la CEI. Et avec lui, dans certaines régions, l’apparition, parfois pour la première fois, des thématiques de l’antisémitisme racial.
Notes de bas de page
2 Poliakov L., The Aryan Myth, New York, Basic Books, 1974 ; Olender M., The Languages of Paradise : Race, Religion and Philology in the Nineteenth Century, Cambridge, Harvard University Press, 1992.
3 Šnirel’man V., « Vtoroe prišestvie arijskogo mifa », Vostok, n° 1, 1998, pp. 89-107 ; « Strasti po Arkaimu : arijskaâ ideâ i nacionalizm » in Olcott M. B. et Semenov I. (dir.), Âzyk i ètnič eskijkonflikt, Moscou, Genfal’d, 2001, pp. 58-85 ; Goodrick-Clarke N., Black Sun. Aryan Cults, Esoteric Nazism and the Politics of Identity, New York, New York University Press, 2002.
4 Šnirel’man V., « Zloklûčeniâ odnoj nauki : ètnogenetičeskie issledovaniâ i stalinskaâ nacional’naâ politika », Ètnografičeskoeobozrenie, n° 3, 1993, pp. 53-68.
5 Rejtblat A., « Âzyčeskij russkij mif : prošloe i nastoâščee », in Venediktova T. D. (dir.), Populârnaâ literatura : opyt kul’turnogo mifotvorčestva v Amerike i v Rossii, Moscou, Izd. moskovskogo universiteta, 2003, pp. 86-93.
6 Dymerskaâ-Cigel’man L., « L. Korneev kak fenomen sovetskogo antisemitizma 1970-80-h gg. », Evrei i evrejskaâ tematika v sovetskih i vostočnoevropejskih publikaciâh, n° 2, 1986, pp. 1-23 ; Kaganskaâ M., « Vlesova kniga : istoriâ odnoj fal’šivki », ibid., n° 3-4, 1987, pp. 3-19.
7 Korey W., Russian Antisemitism, Pamyat, and the Demonology of Zionism, Chur, Harwood Academic Publishers, 1995.
8 Kaganskaya M., « The Book of Vlas : The Saga of Forgery », Jews and Jewish Topics in Soviet and East European publications, vol. 4, 1986.
9 Tvorogov O., « Vlesova kniga », Trudy otdela drevnerusskoj literatury, Leningrad, Nauka, t. 43, 1990.
10 Grabovič G., « Slidami nacional’nyh mistifikacij », Kritika, rik 5, n° 6, 2001, pp. 21-23.
11 Žukovskaâ L. P., « Poddel’naâ dokirilličeskaâ rukopis’ », Voprosy âzykoznaniâ, n° 2, 1960, p. 142 ; Lâsko K. « Vlesova kniga : čto že ona takoe ? », Knižnoe obozrenie, 8 janvier 1988, p. 3.
12 Lesnoj S., « Vlesova kniga » - âzyčeskaâ letopis’doolegovskoj Rusi, Winnipeg, Trident Press Ltd, 1966, pp. 20-21.
13 Tvorogov O., « Vlesova kniga », Trudy otdela drevnerusskoj literatury, op. cit., t. 43, 1990, p. 246.
14 Šarleman’ N. V. « Sergej Paramonov o Slove o polku Igoreve », ibid., t. 16, 1960, pp. 611-616.
15 Voir par ex. Žukov D., « Iz glubin tysâčeletij », Novyj mir, n° 4, 1979, p. 281 ; Kozbev I., « Gde našli Vlesovu knigu ? », Vmire knig, n° 3, 1984, pp. 51-52.
16 Sur le sujet, voir Laruelle M., Mythe aryen et rêve impérial dans la Russie du xixe siècle, Paris, CNRS Éditions, 2005, 223 p.
17 Danilov V. V., Rus’vedičeskaâ v prošlom i buduščem. Osnovy mističeskoj politologii (Evangelie ot Ariev), Moscou, Volâ Rossii, 1996, pp. 12, 75, 80, 87, 91 ; Ivanov Û., Evrei v russkoj istorii, Moscou, Vitâz’, 2000, pp. 86-89.
18 Speranskij N. N., Slovo počitatelâm drevnej kul’tury, Troitsk, Trovant, 1996, pp. 20, 26-27 ; Demin V. N., Zagadki russkogo severa, Moscou, Veče, 1999, pp. 108, 233-235 ; Asov A. I., Mify i legendy drevnih slavân, Moscou, Nauka i religiâ, 1998, p. 231.
19 Žukovskaâ L. P., op. cit., pp. 143-144 ; Mongajt A. L., « Iz istorii arheo-logičeskih mistifikacij », Nauka ižizn’, n° 6, 1968, p. 45 ; Buganov V. I., Žukovskaâ L. P., et Rybakov B. A., « Mnimaâ drevnejšaâ rukopis’ », Voprosy istorii, n° 6, 1977, pp. 204-205.
20 Žukovskaâ L. P. et Filin F. P., « Vlesova kniga. Počemu že ne Velesova ? Ob odnoj poddelke », Russkaâ reč, n° 4, 1980, p. 115.
21 Alekseev A. A., « Opât’o Vlesovoj knige », Russkaâ literatura, n° 2, 1995, pp. 251, 253.
22 Tvorogov O., « Kogda byla napisana Vlesova kniga ? », in Dolgov K. M. (dir.), Filosofsko-èstetičeskie problemy drevnerusskoj kul’tury, Moscou, Institut filosofii, 1988, č. 2, pp. 144-170 ; Kozlov V. P., Tajny falsifikacii. Analiz poddelok istoričeskih istočnikov xviii-xix vekov, Moscou, AO Aspekt-Press, 1994, pp. 6, 185 ; Kozlov V. P. « Doščečki Izenbeka », Rodina, n° 4, 1998, pp. 32-36.
23 Kondakov I., « Ruskolanskij slovar’ », Rodina, n° 7, 1998, pp. 37-40.
24 Stauff était un disciple fidèle de l’aryosophe autrichien Guido von List, qui prétendait avoir découvert la langue secrète des anciens Germains en laquelle il supposait qu’avaient été écrits les chefs-d’œuvre de la sagesse germanique pré-chrétienne. Cf. sur ce sujet Mosse G. L., The Crisis of German Ideology. Intellectual Origins of the Third Reich, London, Weidenfeld and Nicolson, 1966, p. 74 ; Goodrick-Clark N., Okkul’tnye korni nacizma. Tajnye arijskie kul’ty i ih vliânie na nacistskuû ideologiû, Saint-Pétersbourg, AO Evraziâ, 1995, p. 149.
25 Kobzev I., Vitâzi, Moscou, Sovetskaâ Rossiâ, 1971, pp. 129-131, 171-235.
26 Kobzev I., « O lûbvi i nelûbvi », Russkaâ reč’, n° 3, 1970, p. 49.
27 Kaganskaâ M., op. cit. ; voir également Shnirelman V. A. et Komarova G. A., « Majority as a minority : the Russian ethno-nationalism and its ideology in the 1970s-1990s », in Wicker H.-R. (dir.), Rethinking Nationalism and Ethnicity : The Struggle for Meaning and Order in Europe, Oxford, Berg Publishers, 1997, pp. 211-224.
28 Skurlatov V. I. et Nikolaev N., « Tainstvennaâ letopis’. Vlesova kniga – poddelka ili bescennyj pamâtnik mirovoj kul’tury », Nedelâ, 3-9 mai 1976 ; Kobzev I., « Gde pročitat’Vlesovu knigu ? », Literaturnaâ Rossiâ, n° 49, 2 décembre 1977, p. 19.
29 Kuz’min A. « Arijskie runy na Vlesovyh strunah », Literaturnaâ Rossiâ, 18 août 1995, p. 13.
30 Verhovskij A. et Pribylovskij V., Nacional-patriotičeskie organizacii v Rossii, Moscou, Institut èksperimental’noj sociologii, 1996, p. 12 ; Višnevskaâ Û., « Pravoslavnye, gevalt ! », Sintaksis, n° 21, 1988, pp. 87-88.
31 Nudel’man R. « Sovremennyj sovetskij antisemitizm. Formy i soderžanie », Antisemitizm v sovetskom Soûze. Ego korni i posledstviâ, Jérusalem, Alia, 1979, pp. 43-44 ; Reznik S. E., Krasnoe i koričnevoe. Kniga o sovetskom nacizme, Washington, Vyzov, 1991, pp. 57-58 ; Wistrich R. S., Antisemitism. The Longest Hatred, London, Themes Methuen, 1991, p. 181.
32 Šnirel’man V. A., Russkoe neoâzyčestvo i nacionalizm. Vostočnoeevropejskij areal, Moscou, IEA, 1998 ; Pribylovskij V. V., « Russkie âzyčniki », Èkspresshronika, 21 février et 7 mars 1998 ; du même auteur, « Russkoe neoâzyčestvo – kvazireligiâ nacionalizma i ksenofobii », in Verhovskij A., Mihajlovskaâ E. et Pribylovskij V. V., Političeskaâ ksenofobiâ. Radikal’nye gruppy. Predstavleniâ liderov. Rol’cerkvi, Moscou, Panorama, 1999, pp. 123-133 ; Moroz E. L., « Âzyčniki v Sankt-Peterburge » in Šnirel’man V. A. (dir.), Neoâzyčestvo na prostorah Evrazii, Moscou, Biblejsko-Bogoslovskij institut, 2001, pp. 39-55 ; šin V. B., « Cerkov’pravoslavnyh staroverov-inglingov kak primer neoâzyčeskogo kul’ta », ibid., pp. 56-67.
33 Štepa V., « Vles-kniga », Istoki, n° 2-6, 1991-1992.
34 Voir Ščerbakov V. I., « Vstreči s Bogomater’û », in Larionov I. K. (dir.), Utro Bogov, Moscou, Molodaâ gvardiâ, 1992, pp. 386-387.
35 La première revue avait un tirage, au début des années 1990, d’environ 30 000 exemplaires, un chiffre tombé à 20 000 une décennie plus tard. La seconde a baissé dans des proportions à peu près semblables.
36 Asov A. I., Mify i legendy drevnih slavân, Moscou, Nauka i religiâ, 1998.
37 Asov A. I., « Kommentarii i primečaniâ », Vlesova kniga, Moscou, Menedžer, 1994, p. 240.
38 Nom d’un rite traditionnel autrefois pratiqué en Ukraine à Noël.
39 Asov A. I., « Kommentarii i primečaniâ », op. cit., pp. 241-242.
40 Skurlatova O., « Velikaâ slavânskaâ zagadka », Čudesa i priklûčeniâ, n° 1-2, 1992, pp. 24-27 ; Grickov V., « Protiv zagovora diletantov », ibid., pp. 28-30 ; Torop V., « Ošel’movannaâ rukopis’ », ibid., n° 7, 1994, pp. 34-36 ; « Saga drevnih kimmerijcev », ibid., n° 10, 1994, pp. 16-19 ; « Russkie pis’mena, otkuda oni ? », ibid., n° 3, 1995, pp. 40-43 ; Asov A. I., « Kuda devalis’russkie manuskripty iz biblioteki francuzskoj korolevy », ibid., n° 3, 1996, pp. 34-36 ; botov V., « Patriarsi. Russkaâ Bibliâ », ibid., n° 6, 1996, pp. 10-14.
41 Zaharčenko V. D. et Černobrov V. A., Nad propast’û neraskrytyh tajn, Moscou, Sovremennik, 1996, pp. 155-156.
42 Vinogradov Û., « Zagadki Slova o polku Igoreve i Vlesovoj knigi », Rodnye prostory, n° 6, 1990, pp. 1-3.
43 šin V. B., op. cit.
44 Kočetkov V. S., « Russkie vedy kak istočnik duhovno-nravstvennyh cennostej sovremennika », in Rossiâ i Vostok : filologiâ i filosofiâ. Materialy iz meždunarodnoj naučnoj konferencii “Rossiâ i Vostok : problemy vzaimodejstviâ”, Omsk, Omskij Gos. Universitet, 1997, pp. 234-236 ; Sokol V. B., « Bhagavat-Gita. Sopostavitel’nyj analiz âzyka originala i perevoda », ibid., pp. 252-254.
45 Kozlov A. A., Vedičeskie korni russkoj kul’tury (« Sakral’noe Rusi »),Ekaterinbourg, Institut russkoj vedičeskoj kul’tury, 1997 ; « Problemy prarodiny ariev i autentičnaâ model’arijskoj civilizacii », in Rossiâ i Vostok, op. cit., pp. 240-243.
46 Belâkova G. S., « O Vlesovoj knige i slavânskih drevnostâh (Vlesova kniga – real’nost’ ili mistifikaciâ ?) », Russkaâ starina, vyp. 1, 1990, pp. 184-191 ; Speranskij N. N., op. cit., pp. 45-48.
47 Grickov V., « Tajna Vlesovoj knigi », Nauka i religiâ, n° 7, 1993, pp. 32-36.
48 Demin V. M., Ot ariev k rusičam. Konceptual’nyj očerk âzyčeskoj istorii do Rûrika, kotoraâ u nas nikogda neprepodavalas’, Omsk, N. E., 1998, p. 62..
49 Grinevič G. S., « Vlesova kniga », Moskovskij žurnal, n° 9, 1994, pp. 48-50.
50 Ivanov A. M., « Istoriâ venetov », Nacional’naâ demokratiâ, n° 1, 1995, pp. 13-14.
51 Asov A. I., Mify i legendy drevnih slavân, op. cit., p. 11.
52 Kur A. A., « Iz istinnoj istorii naših predkov. Po novejšim dannym », Molodaâ gvardiâ, n° 1, 1994, pp. 205-319.
53 Par exemple Trehlebov A. V., « Naša arktičeskaâ prarodina », Potaennoe, n° 2, 1996, pp. 2-3. Du même auteur, Tajnapraslavânskoj civilizacii. Arheologičeskie i pis’mennye pamâtniki Drevnej Rusi i rezul’taty ih dešifrovki, Moscou, Vehi istorii, 1998.
54 Barkašov A. P. « Uznaûščij prošloe – vidit buduščee », Russkij porâdok, 20 mars 1993, n° 2, p. 4.
55 Glazunov I. S., « Rossiâ raspâtaâ », Naš sovremennik, 1996, n° 3, p. 239, et n° 8, pp. 221-222.
56 Par exemple Nečiporenko Û., « Samyj drevnij tekst na zemle », Nezavisimaâ gazeta, 14 mai 1996 ; Goreslavskij A., « Zolotaâ rybka – verhovnyj bog slavân », Moskovskij komsomolec, 22 mai 1996 ; du même auteur, « Zapisi drevnih žrecov otkryvaût svoi tajny », ibid., 25 juillet 1996 ; du même auteur, « Èpoha Vodoleâ », ibid., 30 août 1996 ; Šišov S., « Temnye stranicy knigi Vlesovoj », Družba narodov, n° 4, 1998, pp. 128-150.
57 Vasil’ev A., « Ne razryvaâ svâz’vremen. Novaâ koncepciâ škol’nogofakultativnogo obrazovaniâ », Za russkoe delo, n° 7, 1994, p. 5 ; Asov A. I., Atlanty, arii, slavâne, Istoriâ i vera, Moscou, Aletejâ, 1999, p. 11.
58 Grišakov E. M., « Sledy doletopisnoj Rusi », Â – russkij, n° 2, 1998, p. 8.
59 Kohanova M., « Ètruski gulâli po-russki ? », Literaturnaâ gazeta, 16-22 mai 2001, p. 8.
60 Bogdanov A. P., Istoriâ Rossii do petrovskih vremen. Kniga dlâ 10-11 klassov srednej školy, Moscou, Drofa, 1996, pp. 25-30.
61 Entretien avec V. B. Sokol, 1997.
62 Belâkova G. S., Slavânskaâ mifologiâ. Kniga dlâ ǔcaščihsâ, Moscou, Prosveščenie, 1995.
63 Ščerbakov V. I., Veki troânovy. Kniga dlâ učaščihsâ staršihklassov, Moscou, Prosveščenie, 1995, pp. 80, 159.
64 Storožev A. N. et Storožev V. N., Rossiâ vo vremeni. 1. Drevnaâ istoriâ sibirskih i slavânskih narodov, Moscou, Surgut, Narodnaâ škola, 1997, p. 79.
65 Par exemple Karpov V. P., Komgort M. V. et Koleva G. Û., Istoriâ Rossii. Stanovlenie gosudarstva, IX-XVI vv., Tioumen, Gos. komitet Rossijskoj Federacii po vysšemu obrazovaniû, 1995, pp. 7, 13 ; Bogdanov A. P., Vladimir Svâtoj, Moscou, Angstrem, 1994, pp. 31, 51 ; Butromeev V. P., Russkaâ istoriâ dlâ vseh, Moscou, Roman gazeta, 1994, pp. 6-9.
66 Abbasov A. et Ostapenko V., Zagadki i tajny Voronezškogo kraâ, Voronež, Central’no- černozemnoe knižnoe izd., 1992, p. 15.
67 Par exemple Savel’eva L. V., Âzykovaâ èkologiâ. Russkoe slovo v kul’turnoistoričeskom osveščenii, Petrozavodsk, FGPU, 1997, p. 78, note 1.
68 Au début des années 1990, Kortchagin fonde cette maison d’édition spécialisée en publications antisémites, dont la collection « La bibliothèque du patriote russe » accueillit les Protocoles et Le Catéchisme d’un juif en URSS.
69 Šibin P., U istokov velikoj tragedii, Moscou, Vitâz’, 1998, p. 1.
70 Ibid., p. 46.
71 Avdeev V. B., Preodolenie hristianstva, Moscou, Kap’, 1994, pp. 18-20, 42-43.
72 Avdeev V. B., « Integral’nyj nacionalizm », Za russkoe delo, n° 11, 1996, pp. 1-2 ; « Svoboda ličnosti i rasovaâ gigiena », ibid., n° 5, 1997, pp. 4-6.
73 Ross A., « Religiâ Hrista : sekrety vliâniâ », Russkaâ pravda, numéro spécial, 1995.
74 šin V. B., op. cit.
75 Istarhov V. A., « Evrejskoe hristianstvo ili russkoe âzyčestvo ? », Russkie vedomosti, n° 30, 1998, pp. 2-3.
76 Ibid., p. 63. Il décrit Mein Kampf comme une œuvre « authentique et sérieuse » et semble en adopter nombre d’idées (ibid., pp. 76, 116, 192, 294).
77 Ibid., pp. 159-162.
78 Ibid., pp. 2, 55.
79 Le mouvement des « nationaux-démocrates » est né en 1995 et édite le journal Natsionalnaïa demokratia, de tendance raciste et socio-darwiniste. Comme symbole, le mouvement s’est choisi un drapeau couleur framboise orné d’un lion doré. Ce drapeau aurait été celui des troupes du prince païen Sviatoslav. Parmi les autres symboles appréciés par ces « nationaux-démocrates » se trouve également la svastika tridactyle, symbole traditionnel des racistes blancs d’Afrique du Sud. Depuis le milieu des années 1990, Sevastianov est rédacteur en chef d’un autre journal, Natsionalnaïa gazeta.
80 Sevastianov A. N., Nacional-demokratiâ ili novyj realizm, Moscou, Vitâz’, 1996, et « Čego oni ot nas hotât ? », Nacional’naâ gazeta. Special’nyj vypusk, n° 1, 1999, p. 16.
81 Fête populaire du solstice d’été se tenant, selon l’ancien calendrier, dans la nuit du 23 au 24 juin et durant laquelle était brûlée, selon un ancien rite païen, une poupée de paille dite Koupalo.
82 Dobroslav, « Prirodnye korni russkogo nacional’nogo socializma », Russkaâ pravda. Special’nyj vypusk, n° 1, 1996, pp. 1-2.
83 Ibid., p. 3.
84 Ibid., p. 7.
85 Sur les racines soviétiques du néopaganisme russe contemporain, voir Shnirelman V. A., « Russkoe neoâzyčestvo (istoki mirovozzreniâ) », Stranicy, t. 6, n°3, 2001, pp. 453-470.
86 Fedorov A. V., « Klin antisovetizma », Molniâ, n° 14, 1995, p. 6.
87 Uvarov A., « Russkoe nacional’noe samosoznanie », Patriot, n° 23 et 24, 1998.
88 Polozkov I., « Rossiâ, kotoruû my iščem », Patriot, n° 44, 1998, pp. 8-9.
89 Šargunov S., « Naciâ – ponâtie ne količestvennoe », Patriot, n° 31, 1998, pp. 4-5.
90 Maksimov V., « Hajl Hitler, pravnuki Pobedy ? », Novaâ gazeta, 1er-7 février 1999, pp. 1-2.
91 Udavov A., « Zaščitim Russkoe Pravoslavie ot židov », Russkoe voskresen’e, n° 4, 1992, p. 1.
92 Ščukin E., « Krestovyj pohod », Naše otečestvo, n° 38, 1994, p. 1.
93 Ščekatihin E. A., « Počemu neobhodim soûz pravoslavnyh i venedov », Rodnye prostory, n° 2, 1997, p. 4.
94 Ivanov V. A., « E. A. Ščekatihin – redaktor i izdatel’gazety Naše otečestvo », ibid., p. 3.
95 Za russkoe delo, n° 6, 1997.
96 Mironova T., « Pravoslavnyj russkij pered licom gospodstvuûščego zla », Russkij vestnik, n° 2-4, 1996, p. 11.
97 Tiščenko V. N. « Askol’d i Dir – russkie kievskie knâz’â », Ibid., n° 48-50, 1995, p. 4, et « Proishoždenie Rusi (versiâ) », ibid., n° 23-25, 1996, p. 9.
98 Platonov O. A. (dir.), Svâtaâ Rus’. Èncyklopedičeskij slovar’russkoj civilizacii, Moscou, Pravoslavnoe izd., 2000, pp. 1013-1015.
99 Le procès pour crime rituel du juif Mendel Beilis a eu lieu en 1913. L’Église orthodoxe a refusé d’être témoin et les autorités ont été obligées de faire appel au prêtre catholique de Tachkent pour venir légitimer l’accusation. Cité par Poliakov L., Histoire de l’antisémitisme, Paris, Seuil, 1981, t. 2, pp. 350-352. (Note de M. L.)
100 Platonov O. A. (dir.), Svâtaâ Rus’, op. cit., pp. 959-960, 720-723, 1011.
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