4. A-t-on recours à des règles morphologiques ou à une connaissance spécifique des mots pour l’orthographe des termes polymorphémiques ?
p. 405-414
Texte intégral
1Les règles orthographiques morphémiques existent sans aucun doute et sont potentiellement d’une grande importance dans de nombreux écrits alphabétiques. La structure morphémique des mots, comme nous l’avons affirmé il y a quelques années (Bryant, Nunes & Aidinis, 1999), a une influence sur leur orthographe à trois niveaux. Tout d’abord, un même son peut s’orthographier de différentes manières selon la structure morphémique des mots. En français, par exemple, le son /e/ s’écrit -é, -ée, -és, -ées, -ai, -ait, et -er (cette liste n’est pas exhaustive) selon les mots, et lorsque ces orthographes figurent à la fin du mot, elles indiquent le plus souvent des flexions (Fayol & Pacton, 2006). Un même son n’a pas la même orthographe dans différents morphèmes.
2En grec moderne, on rencontre exactement le même phénomène : par exemple, « ο » (ómikron) et « ω » (oméga) représentent le même son, mais lorsqu’ils figurent à la fin du mot, ils représentent spécifiquement des flexions différentes. Il y a donc de bonnes raisons pour que certains mots se finissent par « -ο » et d’autres par « -ω » : « -ο » est la terminaison des noms et des adjectifs au neutre singulier, tandis que « -ω » est la terminaison des verbes au présent à la première personne du singulier.
3Pour prendre un autre exemple, l’anglais, qui est pourtant une langue présentant relativement peu de flexions, utilise néanmoins un système orthographique dans lequel les morphèmes – les radicaux, et les suffixes flexionnels et dérivationnels – jouent un rôle important dans l’orthographe. À nouveau, les mêmes sons ont souvent une orthographe très différente en anglais pour des raisons morphémiques : list et kissed riment, mais l’un s’écrit de façon phonétique, alors que le phonème final de l’autre s’orthographie -ed, car c’est ainsi que la flexion du passé des verbes réguliers est toujours orthographiée en anglais.
4Deuxièmement, les morphèmes influencent l’orthographe lorsque différents sons s’orthographient de la même manière dans des mots différents, parce que ceux-ci partagent le même morphème. Ce type d’effet se rencontre assez couramment en portugais : par exemple, dans les mots tambor (« (un) tambour ») et tamborilar (« tambouriner »), le son représenté par « -or » n’est pas le même. Dans le nom, où « -or » est la syllabe finale, le son est /Ɔ :/ comme dans for (« pour »), alors que dans le verbe ce segment représente la voyelle schwa /ə/. C’est pour des raisons morphémiques que l’orthographe est semblable dans ces mots : les deux mots partagent le même radical et c’est ce qu’indique une même orthographe. En anglais aussi, il arrive souvent qu’une même orthographe soit utilisée pour représenter des sons différents, parce que ces derniers partagent un morphème : ceci est vrai de heal et health qui partagent le même radical, bien que les deux voyelles aient un son très différent entre les deux mots. Ceci est aussi vrai dans le cas des morphèmes flexionnels, comme dans notre exemple précédent concernant la terminaison des verbes réguliers au passé. Cette terminaison, comme nous l’avons dit, s’écrit toujours -ed et pourtant, elle représente trois sons différents : /t/ comme dans tapped, /d/ comme dans sinned, et /ιd/ comme dans wanted. Le lien morphémique détermine ici encore la manière dont un son particulier est représenté, et ce lien prévaut de fait sur les relations conventionnelles phonème-graphème.
5Troisièmement, la relation la plus directe entre morphèmes et orthographe intervient dans les mots dont le suffixe est silencieux (non prononcé) à l’oral, et cependant présent à l’écrit. Le pluriel français est l’exemple le plus connu de cet effet morphémique : la flexion du pluriel ne se prononce pas dans beaucoup de noms, d’adjectifs et de verbes, cependant elle est toujours présente à l’écrit. En anglais, il existe un effet équivalent dans le cas de l’apostrophe du cas possessif (Bryant, Nunes & Bindman, 2000) : les différences de sens des trois expressions the girls dance (« les filles dansent »), the girl’s dance (« la danse de la fille ») et the girls’ dance (« la danse des filles »), qui ont exactement le même son, dépendent de la présence et de la position de l’apostrophe.
6La relation entre morphèmes et orthographe impressionne par son pouvoir et son omniprésence, et cette relation vient sans aucun doute potentiellement aider les enfants dans leur apprentissage de l’orthographe. En principe, ces règles morphémiques sont censées fournir aux enfants un cadre qui les aide à comprendre les variations orthographiques qui leur sembleraient autrement pure fantaisie. Donc, une fois compris le pouvoir de ces règles, il est tentant de se dire que tous les enfants finissent par les intégrer et par en tirer profit.
7On aurait cependant tort d’en arriver à cette conclusion en l’absence d’une démonstration probante. Ce n’est pas parce que les règles existent qu’il faut s’imaginer que les gens les connaissent et les utilisent. Il est vrai, par exemple, que presque tous les petits Anglais apprennent à orthographier fox d’une certaine façon, et socks d’une autre, et en viennent à comprendre que, bien que dogs et hats se terminent par des phonèmes distincts (/z/ dans un cas, /s/ dans l’autre), ce phonème s’écrit de la même manière « -s ». Il se peut cependant qu’ils aient appris ceci par cœur mot par mot, technique connue sous le nom d’« apprentissage mot-à-mot », et qu’ils n’aient pas la moindre idée que le dernier phonème de socks, dogs et hats s’écrit « -s- » parce que c’est là la représentation correcte du morphème pluriel. En d’autres termes, il se pourrait que la connaissance morphémique ne joue aucun rôle dans le développement de l’orthographe. L’apprentissage mot-à-mot pourrait permettre aux enfants de faire un choix correct entre différentes orthographes, sans jamais penser à la structure morphémique des mots qu’ils sont en train d’écrire. Bien entendu, ceci reste une question empirique, mais avant de s’intéresser aux bases empiriques, il faut souligner que peu de théories actuelles s’intéressent au rôle potentiel de l’apprentissage des morphèmes dans le développement de la litéracie.
8L’élégante hypothèse d’« auto-apprentissage » de David Share (1996), très connue à juste titre, constitue une exception. Celui-ci avance que les enfants apprennent à lire et à écrire à partir de leur connaissance des règles de correspondance entre graphèmes et morphèmes dans un premier temps, puis dans un second temps par un apprentissage extensif mot-à-mot guidé par leur connaissance des règles de correspondance phonologique. Ainsi, la capacité des enfants à saisir les règles de correspondance ne les conduit pas seulement à savoir lire les mots qui se conforment exactement à la règle, mais aussi à se constituer un répertoire extensif de l’orthographe de mots spécifiques, dont beaucoup ne suivent pas précisément ces règles de correspondance. Les prédictions de cette théorie ont été étayées par de nombreuses recherches (Cunningham, Perry, Stanovich & Share, 2002 ; Share, 1999). Par contre, le présupposé négatif qui est implicite – à savoir que la connaissance des relations morphémiques ne joue aucun rôle dans cet apprentissage – n’a pas été testé.
Bases empiriques pour l’apprentissage des règles morphologiques d’orthographe
9La première question que l’on doit se poser est la suivante : quels types de données peuvent apporter une démonstration convaincante de cette hypothèse ? Il apparaît clairement, à partir des problèmes dont nous avons déjà discuté, qu’il ne suffit pas de réussir à orthographier les morphèmes de vrais mots, comme les terminaisons en -ed du passé en anglais, en « o » et en grec « ? ». Après tout, les enfants pourraient très bien apprendre ces orthographes par cœur : les tâches portant sur des vrais mots ne sont pas étanches à l’influence des connaissances spécifiques aux mots.
10Nous devons plutôt nous intéresser aux pseudo-mots (Bryant, Nunes & Snaith, 2000). Supposons que nous cherchions à vérifier la compréhension par les enfants de la règle orthographique morphémique selon laquelle la terminaison en /z/ des mots fléchis s’écrit toujours « s » (exemple : dogs, he finds) alors qu’elle s’écrit « -ze » (froze) ou « -se » (please) ou « -zz » (« buzz ») dans les mots à morphème unique. Il ne servirait à rien de demander simplement aux enfants d’épeler des mots comme froze et dogs, car ils pourraient y parvenir soit à partir d’une connaissance spécifique des mots, soit à partir de la compréhension des règles morphémiques d’orthographe mises en oeuvre, et il serait impossible de différencier les deux cas de figure.
11Le recours à des pseudo-mots permet cependant d’éviter cet écueil, car ceux-ci éliminent la possibilité d’une connaissance spécifique au mot, puisque, par définition, ils sont totalement inconnus. Il est facile d’insérer des pseudo-mots dans une phrase dont le contexte rend leur statut morphémique parfaitement évident. Prenons un pseudo-mot qui pourrait s’écrire preeze ou preese ou encore prees (les trois orthographes représentent le même son) : les deux premières orthographes seraient correctes s’il s’agissait d’un mot à morphème unique, la troisième si le mot contient deux morphèmes. Il serait donc exact de l’écrire preeze et faux de l’écrire prees dans une phrase comme I like to preeze/prees in my garden. Mais si la phrase est I have two preeze/prees in my kitchen cupboard, l’orthographe correcte serait prees, car c’est la manière d’écrire un mot qui est de toute évidence au pluriel.
12Récemment, nous (Kemp & Bryant, 2003) avons utilisé cette technique pour étudier comment les enfants écrivent les terminaisons en /z/. En pratique, nous avons présenté à des enfants des vrais mots et des pseudo-mots d’un ou deux morphèmes dont on leur a demandé d’écrire la fin. Mais, dans cette étude, nous nous sommes aussi intéressés à une autre question. Dans les mots anglais de deux morphèmes se terminant en /z/, ces terminaisons sont précédées de consonnes (exemple : dogs) ou de voyelles (exemple : trees, freeze) selon les cas. Il existe cependant une asymétrie qui revêt la forme suivante. Les mots se terminant en /z/ dans lesquels cette terminaison est immédiatement précédée d’une voyelle, comme prize et spies contiennent globalement aussi souvent un ou deux morphèmes. Mais les mots dans lesquels cette terminaison est immédiatement précédée d’une consonne sont quasiment tous des mots fléchis, comme beds et figs, et blames et hides. Les seules exceptions à cette règle sont bronze et adze, deux termes assez peu courants. Il est donc possible que les enfants apprennent une règle liée aux fréquences faibles selon laquelle les mots où la terminaison /z/ est précédée d’une consonne finissent toujours par un « s ». Bien entendu, cette règle n’a aucun rapport avec les morphèmes. Si c’était le cas, les enfants auraient moins de difficultés à trouver l’orthographe des mots de deux morphèmes dans lesquels la terminaison /z/ est précédée d’une consonne que ceux où celle-ci est précédée d’une voyelle.
13Dans notre étude, nous avons demandé à des enfants de 7 ans d’épeler des vrais mots et des pseudo-mots se terminant en /z/. Les deux conditions cruciales étaient celles où les mots étaient fléchis. La terminaison en /z/ était précédée d’une consonne dans l’une des conditions (fibs), et d’une voyelle dans l’autre (trees). Nous avons uniquement mesuré si les enfants parvenaient à orthographier la terminaison en /z/. Nous avons découvert qu’ils faisaient de nombreuses erreurs, mais aussi qu’ils en faisaient beaucoup plus dans la seconde condition (/z/ précédé d’une voyelle) que dans la première (/z/ précédé d’une consonne), et que cette différence était attestée aussi bien avec les pseudo-mots qu’avec les vrais mots.
14Dans une deuxième étude, nous avons effectué la même comparaison chez des adultes, dont certains avaient un niveau universitaire, tandis que d’autres n’avaient pas dépassé le niveau secondaire. En partant du principe que ces groupes ne feraient pas de fautes dans les vrais mots, nous leur avons seulement donné des pseudo-mots à orthographier. Le groupe de niveau universitaire a obtenu globalement de meilleurs scores que l’autre dans les deux conditions, mais les deux groupes ont eu beaucoup moins de difficultés lorsque la terminaison en /z/ était précédée d’une consonne que lorsqu’elle était précédée d’une voyelle.
15Ces résultats sont clairement non-morphémiques. Confrontés au test décisif des pseudo-mots, même les adultes ont beaucoup de difficultés à utiliser la règle morphémique pour savoir comment orthographier le son final, et lorsque c’est possible, ils ont recours à la règle de fréquence faible qui n’a aucun rapport avec les morphèmes. Rien ici ne peut nous assurer que même les adultes apprennent invariablement à utiliser l’une des règles les plus fondamentales de l’orthographe morphémique.
16Il nous a semblé important de vérifier les résultats de Kemp et Bryant, et plus précisément de voir si nous pouvions répliquer les difficultés surprenantes (à nos yeux) rencontrées par les adultes, en particulier avec les mots dans lesquels la terminaison /z/ est précédée d’une voyelle, dans cette tâche orthographique en apparence simple. Donc, nous (Mitchell, 2004) avons effectué une étude sur un grand nombre de jeunes adultes, dont aucun n’avait été à l’université. Il s’agissait de 205 jeunes militaires d’une vingtaine d’années, répartis de façon à peu près homogène entre les armées britanniques de terre, de l’air et de la marine.
17Dans cette étude, nous avons présenté aux participants des phrases écrites contenant chacune un pseudo-mot. Le contexte indiquait clairement si le mot contenait un ou deux morphèmes. Les pseudo-mots se terminaient soit en /z/, soit en /ks/, et dans les tâches que nous allons présenter, ces terminaisons étaient toujours précédées d’une voyelle.
18Dans les tâches aux terminaisons en /z/, les pseudo-mots étaient soit des noms, soit des verbes, et dans les deux cas, la moitié des essais contenaient des mots à morphème unique, l’autre moitié des mots de deux morphèmes. Dans chaque essai – autrement dit dans chaque phrase – les participants avaient le choix entre deux pseudo-mots. Ces deux pseudo-mots étaient exactement identiques sauf que dans un cas la terminaison en /z/ s’écrivait -ze (terminaison d’un morphème unique) et dans l’autre « -s » (terminaison de deux morphèmes). La question était de savoir si les participants choisiraient la première orthographe lorsque la phrase indiquait clairement qu’il s’agissait d’un terme à morphème unique et la seconde dans le cas où le contexte indiquait qu’il s’agissait de deux morphèmes.
19La tâche concernant les terminaisons en /ks/ se présentait exactement de la même manière. La règle concernant cette terminaison est la suivante : s’il s’agit de la fin d’un mot à morphème unique, celle-ci s’écrit toujours « -x » (fox) ou « -xe » (axe). S’il s’agit d’un mot à deux morphèmes, la dernière lettre est toujours un « -s » (socks, he picks). Nous avons à nouveau donné le choix entre deux pseudo-mots se terminant en /ks/ insérés dans une série de phrases qui indiquaient clairement s’il s’agissait de morphèmes uniques ou de deux morphèmes. Ainsi les participants devaient par exemple choisir entre yox et yocks dans les phrases suivantes : Jim sometimes yox/yocks after work et We often yox/yocks in the garden. Dans la première phrase, le pseudo-mot représente bien entendu deux morphèmes, donc le choix correct est yocks. Par contre, yox est la bonne réponse dans la deuxième phrase qui contient évidemment un pseudo-mot à morphème unique.
20Dans cette étude assez complexe, il y avait donc huit conditions de 15 essais chacune.
- terminaison en /z/, noms à morphème unique
- terminaison en /z/, noms à deux morphèmes
- terminaison en /z/, verbes à morphème unique
- terminaison en /z/, verbes à deux morphèmes
- terminaison en /ks/, noms à morphème unique
- terminaison en /ks/, noms à deux morphèmes
- terminaison en /ks/, verbes à morphème unique
- terminaison en /ks/, verbes à deux morphèmes
21Il faut tout d’abord noter qu’il s’agit de tâches difficiles. Nous avons rassemblé les résultats pour les mots à un et deux morphèmes, ce qui donne quatre scores :
- noms se terminant en /z/
- verbes se terminant en /z/
- noms se terminant en /ks/
- verbes se terminant en /ks/
22La note maximale est de 30 dans chaque cas et répondre au hasard assure une note de 15 (étant donné qu’il s’agit d’essais à choix double).
23Premièrement, les résultats font apparaître que les participants commettent de nombreuses erreurs et que les notes de la majorité d’entre eux se situent au niveau du hasard ou en sont proches.
24Deuxièmement, les participants qui obtiennent des scores de 21 ou plus font preuve de performances qui ne peuvent être dues au hasard. Il sont nettement en minorité. Leurs pourcentages dans les quatre tâches sont les suivants :
- noms se terminant en /z/ 12 %
- verbes se terminant en /z/ 10 %
- noms se terminant en /ks/ 17 %
- verbes se terminant en /ks/ 15 %
25Pour chacun des quatre scores, la distribution est normale et centrée sur 15 (hasard), montrant également un ensemble de participants à l’extrémité supérieure qui présentent des performances correctes. Ce profil très consistant suggère que notre échantillon se subdivise en une majorité qui ne voit que peu ou pas de liens entre les morphèmes et l’orthographe et une petite minorité (entre 10 % et 17 %) qui dispose d’une compréhension acceptable d’au moins une des quatre relations mesurées par les scores.
26Si ce profil caractérise les adultes qui ne sont pas allés au-delà du niveau secondaire, en est-il de même pour les étudiants à l’université ? Nous avons présenté exactement la même tâche à 72 étudiants, âgés d’une vingtaine d’années, et nous avons alors observé le profil contraire. Plus de 80 % de cet échantillon obtient des résultats supérieurs à 20 (c’est-à-dire significatifs) à chacune des quatre tâches. Ainsi, la grande majorité a conscience des relations pertinentes entre morphèmes et orthographe et les utilise.
27Cela signifie-t-il que l’accès à l’université est un remède miracle pour l’orthographe ? Selon nous, pas nécessairement. Une autre hypothèse est que la différenciation nette que nous avons repérée entre ceux qui semblent comprendre le lien entre morphèmes et orthographe et ceux qui ne le comprennent pas se met en place bien avant. Il nous restait donc à en savoir davantage sur le moment où intervient cette différence et, dans cette optique, nous nous sommes à nouveau intéressés aux jeunes enfants.
28Nous avons présenté une version de cette tâche à 84 enfants entre 8 et 11 ans. Nous n’avons inclus que des mots à terminaison en /z/ et réduit la tâche en mélangeant les noms et les verbes. Nous avons aussi donné aux enfants une tâche de reconnaissance de titres, à partir du test créé par Keith Stanovich (Stanovich, Cunningham & West, 1998). Dans ce test, on donne aux enfants de vrais titres de livres connus et de faux titres d’ouvrages qui n’existent pas. On leur demande de dire quels sont les vrais titres et quels sont les faux. L’objectif est de mesurer la connaissance livresque des enfants, et donc de procéder à une évaluation qualitative et quantitative de leur expérience de la lecture.
29Nos résultats montrent que 21.7 % de l’échantillon obtient des résultats significatifs. En d’autres termes, un plus grand nombre de ces enfants entre 8 et 11 ans utilise les règles morphémiques d’orthographe par rapport aux jeunes militaires adultes. A première vue, il s’agit là d’un résultat étonnant, mais il existe une explication plausible permettant de rendre compte des meilleurs résultats obtenus globalement par les enfants par rapport aux adultes militaires beaucoup plus âgés. Il semble possible que la différenciation entre ceux qui se basent sur les morphèmes pour l’orthographe et ceux qui ne le font pas intervienne très tôt. Ceux qui ont déjà compris la relation entre morphèmes et orthographe à 9 ou 10 ans sont peut-être aussi ceux qui aiment les livres et les études, et donc ceux-là mêmes qui ont les plus grandes chances d’aller plus tard à l’université. Cette hypothèse devra, bien entendu, faire l’objet d’une recherche longitudinale, mais l’idée qu’il s’agit là d’amateurs de lecture se trouve fortement étayée par un autre résultat de cette dernière étude.
30Nous avons trouvé une corrélation positive significative (r =.62) entre les scores des enfants au test de reconnaissance de titres et leurs résultats à la tâche de choix d’orthographes pour les terminaisons en /z/. Ceux qui ont une bonne connaissance des livres, ou du moins de leurs titres, sont davantage susceptibles d’utiliser les règles morphémiques dans une épreuve d’orthographe.
Conclusion générale
31Il semble que des théories telles que celle de Share, qui met l’accent sur un apprentissage des correspondances phonème-graphème associé à une connaissance spécifique des mots, s’applique à une majorité de personnes, mais pas à toutes. En anglais, en tout cas, nombreux sont ceux qui s’en sortent sans réfléchir à la structure morphémique des mots ou sans l’utiliser comme une aide pour l’orthographe, du moins c’est ce que suggèrent nos résultats. Que la compréhension et l’usage des relations morphémiques permettent ou non un apprentissage plus efficace et plus rapide demeure une question ouverte. Nos propres résultats (Nunes & Bryant, 2006) montrent sans aucun doute qu’il est possible d’accroître la compréhension de la relation entre morphèmes et orthographe chez les enfants en âge scolaire. Nous pensons qu’un tel effet de facilitation conduira fort probablement à une amélioration globale de la qualité de la litéracie chez les enfants.
Références
32Bryant, P., Nunes, T. & Aidinis, A. (1999) Different morphemes, same spelling problems : cross-linguistic developmental studies. In M. Harris & G. Hatano (Eds.), Learning to read and write : A cross-linguistic perspective (pp.112-133). Cambridge : Cambridge University Press.
33Bryant, P., Nunes, T. & Bindman, M. (2000) The relations between children’s linguistic awareness and spelling : The case of the apostrophe. Reading and Writing : An Interdisciplinary Journal, 12, 253-276.
34Bryant, P., Nunes, T. & Snaith, R. (2000). Children learn an untaught rule of spelling. Nature, 403, 157-158.
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36Fayol, M. & Pacton, S. (2006) L’accord du participe passé : entre compétition de procédures et récupération en mémoire. Langue Française, 151, 59-73.
37Kemp, N. & Bryant, P. (2003). Do Beez Buzz ? Rule-based and frequency-based knowledge in learning to spell plural – s. Child Development, 74 (1), 63-74.
38Mitchell, P. (2004) Do adults rely on rules to inflect plural nouns and singular verbs ? MSc Dissertation, University of Oxford.
39Nunes, T. & Bryant, P. (2006). Improving literacy through teaching morphemes. London : Routledge.
40Share, D. (1996). Phonological recoding and self-teaching : Sine qua non of reading acquisition. Cognition, 55, 151-218.
41Share, D. (1999). Phonological recoding and orthographic learning : A direct test of the self-teaching hypothesis. Journal of Experimental Child Psychology, 72, 95-129.
42Stanovich, K., Cunningham, A. & West, R. (1998) Literacy experiences and the shaping of cognition. In S. Paris & H. Wellman (Eds.), Global prospects for education (pp. 253-288). Washington DC : American Psychological Association.
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