Chapitre VI. Analyse et interprétation de la prégnance architecturale et urbanistique mendiante
p. 221-261
Texte intégral
1Adhérant au postulat que toute création architecturale « ne peut se comprendre pleinement que si elle est perçue dans toutes ses composantes »1, nous avons délibérément exploré et étudié, dans les chapitres précédents, tous les éléments factuels qui mettent en exergue les principales caractéristiques de l’architecture et de l’implantation mendiantes. Au travers de ces données, représentatives pour l’ensemble des complexes conventuels dans la région que nous étudions, nous nous attacherons à présent à cerner et à analyser la dynamique architecturale de ceux-ci. Nous réexaminerons donc les spécificités du fonctionnement communautaire et pastoral des frères, avec ses incidences sur l’appréhension même des complexes par les fidèles ; les échanges avec le contexte monumental de l’époque et, plus particulièrement, avec celui de notre secteur géographique précis ; le poids symbolique des couvents dans le milieu urbain et, par extension, leur impact architectural effectif.
2Nous procéderons ainsi à une interprétation sémantique des complexes conventuels, domaine qui n’a pas été exploré jusqu’ici par les études sur l’architecture et sur la présence urbaine mendiantes2. Pourtant, l’approche de l’architecture en tant que phénomène social, et par extension en tant que système de communication, relève de la sémiologie3. Nous considérons que les complexes mendiants se prêtent pleinement à cette interprétation : leur implantation en contexte urbain et leur caractère tant religieux que social les situent à l’interface du « milieu physique » et du « milieu des symboles » des endroits d’accueil4. De par leur rôle de réceptacles d’une série d’activités humaines, auxquelles tous les fidèles étaient invités à participer, les couvents étaient vécus comme la représentation architecturale des expériences spirituelles et socio-religieuses collectives de la fin du Moyen Âge5. Il n’est pas donc téméraire de considérer que les complexes mendiants constituaient en quelque sorte de véritables archétypes architecturaux pour l’ensemble de la société, qui se les appropriait afin de reproduire leurs éléments les plus significatifs dans son propre contexte.
Les incidences sociales de la présence conventuelle
3De par leur insertion dynamique dans les endroits d’accueil, les communautés contribuaient au tissage de liens sociaux, renforcés par la contiguïté spatiale des couvents tant aux pôles représentatifs de la structure urbaine qu’aux habitations privées6. En outre, les manifestations religieuses ou laïques accueillies de manière systématique dans les demeures mendiantes instauraient des relations de longue durée entre les fidèles et l’espace conventuel, qui fonctionnait donc comme un médiateur de valeurs collectives socio-religieuses, culturelles et esthétiques7. L’impact de ces dernières était amplifié par la parenté constructive et, souvent, formelle des couvents avec les bâtiments laïcs. Par ailleurs, l’adoption par les frères des pratiques d’actualité quant à la gestion du temporel (pratiques que nous avons déjà exposées dans le cadre de la macrotopographie conventuelle8) intensifiaient l’emprise mendiante.
La consolidation de l’identité civile
L’action de la parole
4En soulignant que, pour la formation religieuse des fidèles, la prédication était souvent préférable à la célébration liturgique ou sacramentelle9, Humbert de Romans consacra la parole comme le moyen d’expression adéquat pour son époque. Parallèlement, les frères généralisèrent l’usage de la langue courante10, voire des idiomes locaux. Rappelons que les Dominicains de Lille et de Bergues avaient composé leurs communautés et réparti leurs praedicationes en fonction des langues thioise et picarde parlées dans la proche région. Ce contexte linguistique, et a fortiori social11, confortait sans doute la position des classes émergentes (marchands, commerçants, juristes, intellectuels) dont le principal moyen d’affirmation était l’expression orale. En outre, les frères eux-mêmes utilisaient souvent officiellement la parole à des fins autres que religieuses. Car la solide formation juridique de certains prédicateurs12 leur permettait d’assumer la charge d’arbitres dans le cas de litiges religieux, politiques ou fonciers de leur contrée. Nous pouvons évoquer à cet égard les Franciscains et Dominicains gantois. Les premiers ont résolu, en 1266, un différend entre l’abbaye de Saint-Pierre et les habitants de Destelbergen au sujet d’une bruyère13, tandis qu’en 1271 le gardien franciscain et le prieur dominicain plaidèrent auprès de la comtesse Marguerite dans l’intérêt de l’abbaye de Waesmunster, qui, ayant perdu tous ses titres de propriété dans un incendie, avait absolument besoin d’une nouvelle charte14. En 1287, le pape Honorius IV confia au prieur dominicain et au gardien franciscain de Lille l’arbitrage d’un différend entre le chapitre de Saint-Pierre et le magistrat au sujet de la juridiction de la paroisse Saint-Maurice15. Il en ressort que par la dimension civile de leur parole, les Mendiants s’impliquaient profondément dans les différents contextes sociaux de la fin du Moyen Âge.
5D’ailleurs, le contenu des prédications prenait en compte la diversité socioculturelle des fidèles et s’alimentait de l’actualité à laquelle ceux-ci étaient confrontés quotidiennement. Ainsi, outre la composition de sermons ad status16, le prêche se faisait l’écho ou le miroir dénonciateur (selon les cas) du milieu urbain dans lequel évoluaient les frères ainsi que leurs ouailles. Les sermons du Franciscain audomarois Jean Vitrier, à la charnière entre le xve et le xvie siècle, sont à cet égard révélateurs17. Ils contiennent des mentions précises des marchands, des chanoines ou du magistrat de Saint-Omer, font allusion aux événements politico-sociaux, comme les visites princières dans la ville, et n’épargnent pas les critiques à la hiérarchie épiscopale18. Un autre prédicateur franciscain, Pierre-aux-Boeufs19, sommité parmi les orateurs parisiens du début du xve siècle, se montra un observateur pertinent et critique de la société de son temps. Il soulignait dans ses sermons que le paupérisme atteignait toutes les catégories sociales et engendrait potentiellement la délinquance20 ; il déplorait également, après 1410, la hausse des prix dans la ville21. Cette réflexion économique était sans doute générée par le climat d’insécurité instauré dans Paris pendant la lutte civile entre les Armagnacs et les Bourguignons. L’exactitude et l’actualité des remarques du prédicateur franciscain est corroborée par la sombre description de la conjoncture financière que nous fournit pour la même période le journal d’un bourgeois de Paris22.
6Nous constatons donc qu’outre l’investissement effectif du lieu d’accueil en vue des prédications (que nous avons étudié précédemment) les frères procédaient, au moyen de leurs sermons, à une véritable cartographie sociologique et éthique de leur entourage. Ainsi, conjointement à sa portée religieuse, la parole mendiante s’inscrivait pleinement, ou en tout cas intervenait de manière plus ou moins directe, dans le processus urbain23.
Les positions sociales
Entente avec les classes émergentes
7En France septentrionale et en Flandre, la pratique de la gestion urbaine était fondée sur les notions d’honneur collectif, de solidarité et de responsabilités communes, émanant surtout des associations corporatives des nouveaux métiers24. Nous avons déjà exposé les avantages apostoliques, mais aussi économiques, que représentait pour les Mendiants le rapprochement topographique avec ces classes de travailleurs. Mais l’intérêt des frères à l’égard de ces derniers était aussi alimenté par l’idéologie mendiante et les textes fondateurs des ordres. Car le tertius status des textes administratifs officiels, désigné allégoriquement comme labeur dans les écrits littéraires25, englobait implicitement l’ensemble des religieux, exhortés au travail par leur règle même : fratres illi, quibus gratiam dedit Dominus laborandi, laborent fideliter et devote26. Par ailleurs, au début du xive siècle, le franciscain Marsiglio de Padoue proposa dans son Defensor Pacis l’organisation corporative des métiers comme modèle pour l’accomplissement des tâches civiques en vue de la stabilité politique27. Ce texte, dont les copies les plus anciennes proviennent des anciens Pays Bas, fut composé quand l’auteur était professeur à l’université de Paris28. Il est donc certain que les idées véhiculées étaient diffusées dans la région de notre étude et faisaient probablement l’unanimité parmi les religieux29.
8En outre, les frères posèrent un nouveau regard sur l’enrichissement et la possession de l’argent, qui étaient systématiquement critiqués, voire condamnés, par les milieux ecclésiastiques30. Mais les Mendiants, à l’instar du Franciscain allemand Berthold de Ratisbone, considéraient les honnêtes commerçants (et autres riches) indispensables pour la société31. Ainsi Guibert de Tournai, dans ses prédications destinées aux marchands, n’omettait pas d’établir un parallèle entre les « honnêtes » parmi ces derniers et le Christ32. Une comparaison analogue est formulée dans un sermon des Dominicains arrageois pour le quatrième dimanche de l’avent33. Évoquons également les Franciscains et les Carmes de Bruges qui entretenaient des relations privilégiées avec les membres de la Hanse : le couvent carmélite accueillait en effet les cérémonies solennelles du comptoir. En 1347, les hanséates déposèrent leurs étalons de poids dans l’établissement franciscain34. La position conciliatrice des religieux à l’égard de l’argent reflétait l’opinion dominante parmi les fidèles, notamment à partir du xive siècle. En effet, les lourdes conjonctures économiques et historiques leur avaient inspiré la méfiance, voire la peur de la pauvreté35. Par ailleurs, dans la gestion du temporel, les communautés adoptaient systématiquement les tendances économiques et urbanistiques de leur époque. Rappelons les mesures immobilières prises au xvie siècle par les Dominicains parisiens, ainsi que l’adaptation des religieux à la vague d’acquisitions périurbaines à la fin du Moyen Âge.
9Les religieux manifestèrent aussi activement leur solidarité aux hommes de métiers, qui jouaient dans la région que nous étudions un rôle économique essentiel36. Ainsi, à partir de la fin du xiiie siècle, à Bruges, l’éducation fondamentale des futurs tisserands était dispensée dans l’école des Bégards, qui, placés sous la direction spirituelle des Franciscains, en formèrent le Tiers ordre à la fin du xive siècle37. Nous pensons également que la véhémente opposition des autorités (a priori ecclésiastiques mais implicitement aussi civiles)38 à l’installation dominicaine à Saint-Omer dissimulait la crainte de l’émancipation des corps de métiers avec l’assistance des frères. La preuve a silentio émane de la méfiance des autorités municipales39. En effet, jusqu’au xive siècle, les échevins audomarois réprimaient sévèrement toute tentative d’association au sein des métiers, par peur d’une éventuelle coalition40.
Les rapports avec les confréries de métiers
10Il est certain qu’en proposant des structures d’accueil affranchies de la ségrégation sociale traditionnelle41, le mouvement confraternel correspondait aux aspirations sociales mendiantes42. Toutefois, l’importante adhésion des confréries aux couvents consolidait davantage l’association des frères aux nouveaux groupements socio-professionnels. Certes, le mouvement confraternel naquit avant la constitution des ordres, mais ceux-ci développèrent un rapport institutionnel privilégié avec les membres des confréries43. Outre les objectifs spirituels poursuivis en commun, ces derniers représentaient la vitalité du pouvoir associatif professionnel : la présence dans les couvents des confréries de métiers puissants constituait un lien supplémentaire entre les Mendiants et les hommes du travail qui, dans notre région, rappelons-le, participaient activement au processus politique et à la nouvelle sociabilité urbaine44. Par ailleurs, l’ascendant spirituel des frères permettait sans doute à ceux-ci d’influer, indirectement tout du moins, à la gestion commune. Étant donné que nombre des réunions confraternelles se déroulaient dans les couvents, il est probable que ceux-ci étaient considérés comme les réceptacles et a fortiori les symboles urbains de l’entente entre le classes ascendantes.
11Nous pouvons citer ici quelques exemples caractéristiques. Évoquons d’abord les Dominicains de Valenciennes qui accueillaient dans leur couvent, entre autres, les confréries des lainiers et des teinturiers45. Ces deux métiers, appartenant à la draperie valenciennoise florissante, étaient manifestement puissants sur le plan social et économique, voire politique46. C’était sans doute aussi le cas des métiers du bâtiment valenciennois (dont le dynamisme n’est plus à prouver47), qui organisaient la gestion annuelle de leurs comptes dans l’établissement dominicain. Un cas analogue est attesté pour les Dominicains de Reims qui accueillaient dans leur couvent les assemblées délibératoires des tonneliers, des tapissiers, des merciers et des couteliers48. De même, les confréries des cordonniers et des drapiers tenaient leurs réunions dans le couvent des Augustins châlonnais49. Le rejaillissement de pareils événements sur l’image sociale des couvents est évident. Ce n’est pas donc un hasard si les confréries des métiers récemment constitués s’associaient prioritairement aux couvents mendiants : d’après les archives des Franciscains de Châlons-en-Champagne, à partir du xvie siècle et avec l’accord épiscopal, les imprimeurs et les libraires de la ville célébraient un salut annuel dans l’église conventuelle, le jour de la fête de saint Jean l’Évangeliste50.
L’attitude à l’égard de certains groupes marginaux
12Nous avons déjà exploré le degré de sensibilisation des Mendiants, dans la région étudiée, aux problèmes sociaux de leur époque. Il serait intéressant d’examiner leur prise de position au sujet des marginaux, dont la société médiévale fut une « grande productrice »51. Un exemple en sont les juifs, exclus et répudiés par excellence52 : l’attitude des religieux à leur égard ne fut pas clémente, malgré le caractère théorique de leurs propos qui, par conséquent, étaient exempts de fanatisme explicite53. Il s’agissait néanmoins, systématiquement, d’approches fondées sur le « juif théologique » (élaboration savante des milieux ecclésiastiques) qui éludaient la dimension sociale du problème. Celle-ci, dans la région qui nous intéresse, attira au xvie siècle l’attention du franciscain Henri de Mauroy. Ce religieux d’origine troyenne fut un auteur et un orateur tourné vers la tradition : il se pencha un seule fois sur l’actualité de son époque afin de fustiger les dispositions prises par l’archevêque de Tolède Francesch Eximeniç pour exclure les juifs convertis des ordres sacrés et de tout bénéfice54. Il importe de souligner ici que le couvent franciscain de Troyes était implanté dans le quartier de la Juerie ou Broce-aux-Juifs, où les israélites vivaient obligatoirement cantonnés55. Henri de Mauroy ne faisait pas partie de la communauté troyenne, mais il entretenait manifestement des liens assez étroits avec celle-ci pour être enseveli, en 1570, dans le choeur de l’église franciscaine. Il fut probablement sensible à la marginalisation sociale des juifs voisins du couvent ainsi qu’à leur ségrégation topographique. Certes, dans son ouvrage contre Eximeniç, l’auteur franciscain prit la défense des juifs convertis, mais cette attitude introduisait, un tant soit peu, un apaisement à l’anti-judaïsme intransigeant de l’époque. Par ailleurs Henri de Mauroy a voulu sans doute diffuser ces idées : parmi son abondant œuvre écrit, seul cet ouvrage fut publié de son vivant56. Les sources ne nous éclairent pas sur la réception réservée à cette œuvre. Nous supposons toutefois que les Franciscains de Troyes, tout du moins, adhéraient aux principes qu’elle véhiculait57. Le cas échéant, cette attitude renforçait sans doute davantage la présence matérielle du couvent, en tant que « signe » de la spiritualité, et a fortiori des positions sociales mendiantes.
13Dans la région que nous étudions, peu nombreux sont les renseignements sur l’attitude des frères à l’égard de la prostitution. Il convient de signaler cependant que, malgré la classement de celle-ci parmi les métiers indignes, la position des scolastiques au sujet des prostituées faisait preuve de modération, notamment à la fin du Moyen Âge. Aussi, cette activité, omniprésente en milieu urbain et suburbain, était parfois autorisée par les municipalités en tant que « catégorie » du commerce urbain largo sensu58. Les auteurs mendiants, observateurs sensibles de leur entourage, n’ont pas donc hésité à mettre en cause les rouages sociaux qui incitaient certaines femmes à la prostitution59. Ainsi, il n’est pas surprenant que les Dominicains de Lisieux ne se soient pas plaints de l’installation d’une maison close à proximité de leur demeure au début du xive siècle60. Cependant, comme nous l’avons souligné, les communautés se sont souvent montrées hostiles à certains voisinages urbains incommodants. Ainsi, si l’on considère la marginalisation comme un signe d’absence ou de relâchement de la cohésion sociale61, la tolérance des frères à l’égard des prostituées, et par extension des exclus, constitue un indice supplémentaire de leur contribution à la consolidation de l’identité civile. Par ailleurs, ce comportement, ainsi que la proximité topographique des couvents avec les groupes marginaux, rejaillissaient sans doute sur l’impact urbain des complexes : car, nous l’avons déjà signalé (et nous l’analyserons dans les pages suivantes), la présence architecturale des établissements mendiants était indissociable des activités qu’ils abritaient et de la mentalité qu’ils véhiculaient.
La traduction édilitaire de l’assistance spirituelle des fidèles
14Nul besoin de s’attarder sur les caractères généraux du modèle de vie mendiant (auquel nombre d’études ont déjà été consacrées). Nous examinerons certains groupes ou domaines de spiritualité du bas Moyen Âge, auxquels l’apport mendiant fut décisif tant pour la consolidation que pour le façonnement d’un nouveau contexte d’expression. Parallèlement, nous relèverons les incidences architecturales de cette activité spirituelle et culturelle sur les complexes.
Ritualisation funéraire
Proposition d’un nouveau cadre pour la mort
15L’intercession pour les défunts au moyen de la prière relevait, évidemment, des communautés religieuses et du clergé séculier pendant tout le Moyen Âge62. L’apport des Mendiants (comme nous l’avons déjà évoqué) consistait à la responsabilisation individuelle des fidèles à l’égard de la mort et, a fortiori, à leur sensibilisation systématique à la nécessité de la confession et de la communion63. L’ampleur de la pastorale funéraire se reflète dans les longues rubriques sur la mort contenues dans les manuels pratiques destinés aux prédicateurs : évoquons l’Alphabetum Narrationum, attribué au dominicain Arnold de Liège, où quarante-neuf exempta sont consacrés à la mort64. En effet, à l’instar d’orateurs comme le franciscain Guibert de Tournai65 ou l’augustin Simon Cupersli66, les Mendiants inculquaient aux fidèles la nécessité de la préparation pour la mort (qui pouvait advenir à tout moment) et se proposaient comme guides. Parfaitement familiarisés avec les fonctionnements comptables du milieu urbain, les frères diffusèrent aussi la pratique testamentaire en tant que gage de salut, proportionnel souvent à la générosité des legs67. L’écho des prédications, ainsi que la présence des Mendiants lors de la dernière confession et la rédaction des testaments à lit mortel68, étaient sans doute à l’origine de legs importants en faveur des communautés69. Mais l’apport des frères ne se limitait pas à l’assistance des fidèles avant la mort : ils considéraient les endeuillés comme relevant d’un status auquel des sermons spécifiques étaient destinés70. Par ailleurs, la fondation de messes commémoratives71, tissaient des liens perpétuels entre les défunts et les frères et, par la médiation de ceux-ci, avec la communauté des vivants. Tous ces facteurs concouraient, bien évidemment, à la nette tendance que manifestaient les fidèles à élire sépulture dans les couvents mendiants.
Contrepoints constructifs de l’activité funéraire mendiante
16Nous avons déjà étudié l’incidence spatiale et décorative des nombreuses chapelles et monuments funéraires sur les églises et les cloîtres mendiants. Il convient de répéter que ces aménagements ne modifiaient certes pas le caractère des édifices, mais s’y intégraient organiquement et s’y assimilaient. Un effet analogue était produit par la fréquente installation dans les chœurs mendiants de « chapelles ardentes ». Celles-ci, véritables architectures temporaires, étaient érigées à l’occasion des messes funèbres mais aussi lors des services commémoratifs annuels72. De par leur massivité73 et leur fonction même, ces catafalques constituaient des micro-sanctuaires funéraires accueillis et pour ainsi dire fusionnés, le temps des cérémonies, au cœur des édifices ecclésiaux mendiants. En investissant ceux-ci, les défunts et leurs familles se les appropriaient un tant soit peu, et participaient activement à la spiritualité des frères — donc, à l’espoir et aux promesses de rédemption que celle-ci véhiculait. Par ailleurs, malgré la hiérarchisation des inhumations, la présence de sépultures laïques tant dans le chœur que dans la nef et le cloître étaient un moyen symbolique de l’abolition de la scansion traditionnelle entre l’espace sacré et l’aire des fidèles. De surcroît, dans le contexte funéraire, ces derniers avaient la possibilité de conditionner l’activité liturgique des frères avec la fondation de nombreuses messes et obits, dont ils pouvaient préciser l’endroit de célébration et la composition74.
17Les communautés elles-mêmes établissaient souvent des relais architecturaux ou ornementaux afin de forger et de canaliser les croyances et la ritualisation laïque de la mort. Les cryptes aménagées sous les chœurs des églises conventuelles à partir du xive siècle avaient manifestement le rôle de tombeaux symboliques, dont les dédicataires étaient proposés comme exemples pour les fidèles afin de consolider en eux l’espoir de rédemption75. La chapelle des Trépassés, spécialement aménagée à l’extrémité occidentale de l’église des Dominicains messins, induisait sans doute à l’esprit des fidèles la possibilité d’accéder aux rangs de sainteté au moyen de la rédemption, a fortiori sous la direction spirituelle des religieux. De même, les frères ont installé dans l’aire des fidèles des dispositifs ornementaux, de taille monumentale, commémorant la Passion : ceux-ci, associés à la chaire à prêcher ou constituant, probablement, le point focal de certaines cérémonies, concouraient à établir un environnement spécifique architectural à l’adresse des ouailles, imprégné à la fois du message de la pastorale mendiante relative à la mort et des courants dévotionnels de la fin du Moyen Âge. Un effet analogue était sans doute produit par les dispositifs liturgiques et ornementaux, comme les autels dédiés à la Passion, les crucifix ou les représentations peintes du Jugement dernier, installés dans certains cloîtres, de préférence à proximité des sépultures qui y étaient accueillies. En outre, les nombreuses prédications traitant de la mort prenaient en compte toutes les étapes de celle-ci depuis sa préparation jusqu’à ses conséquences sur les proches des défunts. Cette ample approche était sans doute particulièrement réconfortante pour les fidèles et les incitait à s’attacher au contenu des sermons aussi bien qu’au cadre architectural institutionnel dans lequel ils étaient prononcés, à savoir l’église et le couvent.
18La pratique testamentaire, appuyée par les Mendiants, représentait (comme nous l’avons évoqué) un intérêt matériel pour les communautés, qui étaient très souvent mentionnées dans les dernières volontés des fidèles. Il s’avère cependant que ces legs étaient souvent utilisés pour la restauration ou l’agrandissement des édifices. Les archives conventuelles ont conservé la mémoire de cette tendance : à Rouen, un legs testamentaire de six cents livres accordé par le bourgeois Denis Langlois aux Augustins servit à la construction du clocher au xve siècle76. Dans ce même courant médiéval de l’emploi des largesses des testateurs à des buts édilitaires, s’inscrit la réparation du dortoir de la même communauté rouennaise avec les deux cents livres léguées, en 1605, par Marthe de Rassem77. Les fidèles étaient vraisemblablement informés de cette habitude mendiante qui, probablement, incitait à la générosité testamentaire. En participant post mortem à la prospérité des complexes conventuels, les défunts s’associaient davantage à ceux-ci et, par extension, à leur sacralité. Les laïcs avaient ainsi la possibilité d’obtenir in extremis les mêmes bénéfices de salut que les fidèles ayant financé la construction des couvents, en échange du droit de sépulture aux endroits les plus sacrés de ceux-ci78. Car dans l’histoire et la spiritualité des ordres, le degré et le mode de participation à l’édification des couvents avaient des incidences directes sur le sort des religieux eux-mêmes dans l’au-delà : Gérard de Frachet commémora Guy, prieur du couvent de Lyon, qui accéda directement à la Jérusalem céleste pour avoir veillé à l’embellissement spirituel et matériel de sa maison ; en revanche, un supérieur du couvent de Bologne, s’étant montré exubérant sur la magnificence architecturale de son couvent, fut châtié post mortem.
19Nous pouvons certes nous demander dans quelle mesure l’espoir de rédemption n’était pas attaché avec la même intensité aux églises paroissiales. Outre les chiffres, éloquents sur les choix de sépulture des fidèles79, un renseignement indicatif livré par les archives des Carmes rouennais nous éclaire à ce sujet : en 1570, un arrêt du parlement de Rouen80 permit le transfert du corps d’une défunte (à l’application du testament de celle-ci) de l’église Sainte-Croix à l’église des Carmes. Malgré l’opposition tenace du curé, la dernière volonté de cette fidèle l’emporta81. Car, si la majorité des testaments commençaient avec la phrase généralisante « je confie mon corps à la terre »82 , le sol de l’église demeurait « un lieu sûr et honorable »83. Vraisemblablement la « terre » des couvents, et par extension les édifices eux-mêmes, conservaient une place de prédilection dans la conscience collective relative à la mort.
Étaiement de la religiosité féminine
Appui aux manifestations dévotionnelles des laïques
20À défaut de propager une vision favorable de la femme (à l’égard de laquelle tant les prédicateurs que les auteurs mendiants étaient sinon réprobateurs, du moins réservés84), les religieux se sont tout de suite montrés solidaires des mouvements associatifs ascétiques et mystiques des laïques85. Ce faisant, les Mendiants se montrèrent sensibles et activement associés à une tendance majeure (sociale et spirituelle) de leur époque. À la fin du Moyen Âge, le pourcentage des femmes vivant seules était élevé86. Plusieurs d’entre elles, afin d’éviter sans doute les aléas de l’opinion collective mais guidées aussi par leur élan dévotionnel87, formèrent, notamment, les congrégations des béguines88. Le statut de celles-ci était institutionnellement ambigu. Étant des laïques, elles dépendaient des autorités urbaines qui désignaient le proviseur qui contrôlait la gestion des béguinages89. Par ailleurs, les mulieres religiosae étaient officiellement des fidèles comme des autres : en droit, elles étaient soumises au clergé séculier90. Toutefois, dans la région que nous étudions, l’emprise des Mendiants sur les béguines était bien concrète : les Dominicains engagèrent les comtesses Jeanne et Marguerite à fonder des béguinages dans toutes les villes du comté91. Les règles de ces congrégations étaient souvent rédigées par les Mendiants92 qui, de plus, ont toujours gardé le contrôle de la direction spirituelle de ces établissements93. Par ailleurs, les béguines assumaient souvent des tâches ménagères dans les couvents voisins94.
21Il était donc naturel que les manifestations de la religiosité béguinale soient imprégnées de la spiritualité mendiante. La prière pour les défunts devint une expression privilégiée de la piété des « saintes femmes »95, qui se proposaient aussi comme intermédiaires dans l’accomplissement de la charité post mortem à l’égard des fidèles, en distribuant aux pauvres qui suivaient la cérémonie funéraire les pièces de monnaie légués au béguinage à cet effet96. Aussi, à la fin du Moyen Âge, la tournaisienne Marie de Werchiniel a élu sépulture au couvent Franciscain de la ville en précisant dans son testament que le cortège funèbre devrait se composer de beguines97. Car, malgré la méfiance, voire l’hostilité qu’ils ont souvent déclenché, les élans mystiques des mulieres religiosae divulguaient une autre parole, « torrentueuse et exaltée », qui proposait une manière différente d’accéder au divin98. Par ailleurs, l’état extatique (fréquent chez les béguines) pouvait être perçu comme la manifestation d’un haut degré d’intériorisation et de conviction religieuses99 : celles-ci, marques d’une grande intensité psychique, donnaient lieu à des symptômes somatiques100. Le même processus était manifestement à l’origine des stigmates, intimement associés à la personne de saint François.
22Dans la réalité urbaine, donc, ces institutions pieuses féminines se présentaient comme un reflet laïc des Mendiants, dont elles intensifiaient l’emprise spirituelle. Il n’est sans doute pas fortuit que les religieux aient soutenu la diffusion des Vitaebéguinales qui, tout en exposant les exploits sanctifiants des mulieres religiosae, suggéraient une sainteté accessible même par les couches sociales les plus modestes101. Par ailleurs, la Vie de la béguine Marie d’Oignies, la première biographie spirituelle d’une femme laïque, fut rédigée par Jacques de Virty102 à la demande de l’évêque Foulque de Toulouse103, celui qui en 1215 accorda juridiquement le statut de prédicateur à Dominique et ses compagnons104. La contribution considérable des biographies béguinales à l’impact mendiant de notre région suscita la rivalité des cisterciens, qui utilisèrent l’exemple de la béguine stigmatisée Élisabeth de Spalbeeek (qui, selon la tradition, était devenue cistercienne en 1271) afin de reconquérir les couches humbles. Mais la biographie de cette sainte femme, écrite en 1267 par le cistercien Philippe de Clairvaux, fut qualifiée de « fraude » par les Franciscains105.
23Toutefois, pour les femmes qui ne voulaient pas adopter une vie ascétique, les confréries de dévotion — et plus particulièrement celles placées sous le patronage de la Vierge — offraient une alternative pour l’expression de leurs aspirations religieuses. Outre pour les contacts pieux, ces associations constituaient des lieux privilégiés pour l’affirmation personnelle, que les femmes n’avaient pas souvent la possibilité d’épanouir ailleurs106. Ainsi, les Franciscains de Bar-sur-Aube accueillaient dans leur couvent trois confréries107. Celle de l’Assomption Notre-Dame, acceptait aussi les femmes, en faisant preuve d’une attention particulière à leur égard : les charges des consœurs étaient la moitié de celles des confrères108. Malgré la carence documentaire à ce sujet, nous supposons que des dispositions analogues à l’égard des femmes étaient prises par les confréries d’autres couvents109.
Indices architecturaux des rapports avec les béguines
24L’ascendant religieux et les (fréquents) liens administratifs qui unissaient les couvents aux béguinages se traduisaient souvent par la proximité topographique. Ainsi, les tâches spirituelles des frères étaient accomplies aisément, étant donné que la contiguïté leur évitait les déplacements qui auraient pu entraver le déroulement de leurs autres activités. Par ailleurs, ce voisinage constituait une protection symbolique pour les béguines : celles-ci étaient souvent exposées à la méfiance du clergé local et, parfois, des fidèles, qui considéraient souvent la condition béguinale par trop ambiguë, voire suspecte110. De surcroît, la proximité mettait sans doute en exergue les affinités spirituelles et, par conséquent, amplifiait l’impact tant des religieux que des béguines. Rappelons l’exemple caractéristique d’Ypres où la concentration dans les faubourgs de quatre couvents mendiants, de deux béguinages et des couvents des Riches Claires et des Tertiaires a posé les fondements de la structuration paroissiale de la population artisanale de cette zone. Ce fut également le cas à Lille, où le béguinage jouxtait extra-muros la demeure dominicaine, et à Tournai, où le béguinage des Hauts-Degrés a été fondé dans le voisinage immédiat du couvent franciscain111. Par ailleurs, il est évident que la proximité des établissements entre eux intensifiait leur empreinte monumentale sur le paysage de la ville.
25Étant donné que tant les couvents que les béguinages étaient des « phénomènes urbains »112 , fondés de surcroît sur des principes spirituels proches, nous pouvons constater certaines affinités architecturales entre les églises conventuelles et béguinales. Cette ressemblance était d’autant plus marquée quand l’érection des béguinages était postérieure à l’installation des Mendiants dans la ville : les mulieres religiosae reproduisaient113 (sans doute délibérément) les principes édilitaires mendiants. Nous pouvons évoquer le béguinage valenciennois Sainte-Élisabeth, construit vers 1245. Le terrain qui accueillit les édifices, offert par Marie de Vicoignes, a été confiée à l’évêque Guy de Cambrai et au Dominicain Henri du Quesnoy114. Il est donc probable que la proximité du béguinage avec la demeure dominicaine n’était pas complètement fortuite. Par ailleurs, les sources historiques font état du « petit béguinage », annexe de Sainte-Élisabeth, situé aux abords immédiats du couvent115. Quant à l’ascendant spirituel des frères sur les béguines, il est attesté par le règlement de celles-ci : « le prieus des preecheurs le Gardiien des frères meneurs » y sont cités parmi les bienfaiteurs et tuteurs de l’établissement116. Par ailleurs, une donation de la comtesse Marguerite à celui-ci fut faite sur le conseil « de l’avis des frères prêcheurs »117. Il n’est donc pas surprenant que l’église béguinale fasse preuve d’une influence mendiante : d’après un plan du xviiIe siècle (qui reprend un document du xve siècle), cet édifice présente une ressemblance notable à l’égard des plans ecclésiaux des couvents franciscain et dominicain de la ville. Il se compose d’un corps rectangulaire et d’un chevet très allongé, situé dans le prolongement de la partie centrale de la nef. L’exemple du béguinage de Bruges est également révélateur. Fondé en 1244, il était en relation étroite avec les Dominicains118. L’élection même du site, en bordure d’un cours d’eau, en face d’un pont et non loin des remparts, correspondait aux choix topographiques des Mendiants. L’église, composée d’un long vaisseau principal, flanqué sur ses deux-tiers de deux bas-côtés plus courts, s’apparentait à tous égards à un édifice cultuel mendiant (fig. 64)119. Les contreforts peu saillants qui scandaient les collatéraux et délimitaient la façade occidentale, ainsi que le court et mince clocher, soulignaient davantage encore cette affiliation. Nous supposons que des affinités analogues caractérisaient nombre de béguinages de la région étudiée. La ressemblance structurelle et la proximité constituant des principes fondamentaux de cohérence architecturale120, il est certain que l’aspect et souvent l’emplacement des églises béguinales, conjointement à la tutelle mendiante, intensifiaient le rayonnement urbain des couvents.
Les célébrations paraliturgiques, théâtrales, « profanes » et les couvents
26L’encadrement des services religieux par des célébrations paraliturgiques destinées à activer la dévotion des fidèles était explicitement approuvé par le Saint-Siège : ainsi, l’accentuation de l’élément dramatique de la liturgie121 connut une grande diffusion à la fin du Moyen Âge, dans toutes les églises et notamment dans les cathédrales122. Il n’est donc pas surprenant que les Mendiants aient adopté ce mode d’expression sacrée123, et aient pourvu leurs églises des groupes sculptés monumentaux qui accompagnaient souvent ces célébrations. Il ne s’agissait donc pas d’une innovation, mais il est probable que ces rituels, qui adaptaient le sacré à la sensibilité religieuse populaire, constituaient pour la conscience collective le pendant « liturgique » de la parole mendiante, conçue et prononcée ad status. En outre, en répondant aux habitudes rituelles des fidèles, les frères consolidaient le caractère paroissial de leur pastorale et, par extension, l’impact de celle-ci.
27La dimension sociale de l’action mendiante était amplifiée par l’organisation de mystères dans les couvents. Là encore, ces représentations n’avaient, de prime abord, rien d’exceptionnel. Avant le xiiie siècle déjà, des drames semi-liturgiques se déroulaient aux abords immédiats des églises. Mais à la fin du Moyen Âge, ces spectacles s’étaient affranchis du voisinage des édifices religieux et, à partir de la fin du xive siècle, les mystères se sont affirmés en tant qu’expression dramatique indépendante de la liturgie124. Ainsi, les initiatives ecclésiastiques pour l’organisation de ces spectacles se firent rares. Ces représentations étaient en revanche placées sous le patronage d’institutions publiques ayant une vaste assise sociale, comme les confréries125. Parfois même, comme à Amiens au xve siècle, les autorités municipales se chargeaient du financement des mystères126. Ce cadre ainsi balisé intensifiait sans doute la portée sociale de l’initiative mendiante pour organiser des mystères. À cet égard, l’exemple des Dominicains châlonnais est caractéristique : en 1460, ils ont accueilli dans leur réfectoire un spectacle du Mystère de la Passion, malgré le refus du conseil de la ville. Par la suite, et pendant neuf ans, les religieux ont pris en charge toutes les représentations dans leur couvent. Alors le magistrat, de concert avec le clergé et la noblesse, décidèrent de subventionner ces spectacles devenus extrêmement populaires. De même, le conseil municipal dédommagea le prieur dominicain de vingt livres car il « a eu grant peine et faict beaucoup de dépens en la conduite dudict Mystère de la Passion, tant en teinture de robes, escription des rooles et fourniture du bois pour chauffer les joueurs pendant l’hiver, et à cause de cela il n’a pu prêcher le carême dernier et a mis tout son labeur en ladicte matière127 ». Pour avoir agi comme catalyseurs des moeurs socio-culturelles de leur ville, les frères étaient vraisemblablement conscients de l’impact didactique, mais aussi spirituel et mystique des représentations théâtrales, qui, par leur thématique imprégnée de symbolisme imagé guidaient la sensibilité du spectateur vers une méditation sur la nature humaine dans ses relations avec la divinité128. Un exemple analogue, quoique moins mouvementé, est fourni par les Carmes de Rouen : au début du xvie siècle ils accueillirent la confrérie de la Conception Notre-Dame qui organisait des concours de courtes pièces théâtrales en l’honneur de Marie129, et se chargeait de la représentation du mystère de la Passion130. L’encadrement de ces activités (que nous supposons partagé par d’autres couvents de notre région) était motivé par la fréquente théâtralisation de la prédication même131, ainsi que par l’intérêt théorique et historique manifesté par les frères à l’égard de la création théâtrale132.
28L’impact de cette attitude sur l’appréhension des édifices mendiants par les fidèles est évident. Les couvents, en accueillant les représentations théâtrales, s’identifiaient sans doute aux autres « lieux » publics qui accueillaient ces manifestations, où celles-ci se déroulaient dans l’unanimité du corps social133. Étant donné que, dans les spectacles médiévaux, le lieu décrit était souvent assimilé au cadre réel du déroulement théâtral134, les artifices de mise en scène (qui se sont multipliés à la fin du Moyen Âge135) offraient aux spectateurs des repères caractéristiques du paysage urbain. Il est donc significatif que l’auteur florentin Lasca ait utilisé les cloches de San Francesco pour marquer l’écoulement du temps dans sa pièce La Gelosia, en 1551136. L’absence de documents ne permet pas l’étude d’exemples analogues dans la région qui nous intéresse. Mais, étant donné le développement parallèle de la consolidation urbaine en Italie et dans notre aire géographique137, nous supposons que des cas similaires de repères topographiques ne faisaient pas défaut dans les mystères ou les pièces théâtrales septentrionaux.
29Les religieux se sont aussi montrés solidaires des pratiques et des rituels d’origine païenne, qui s’enracinèrent dans le corps, voire dans l’organisation sociale pendant tout le Moyen Âge, et même plus tard138. Cette prise de position remontait aux fondateurs mêmes des ordres : en se penchant sur la culture laïque populaire et sur l’univers naturel, saint François les avait réintroduits dans la spiritualité de son époque139. Ainsi, les Augustins de Rouen accueillaient manifestement dans leur église un rituel d’origine païenne. Les archives communales du début du xve siècle mentionnent que les maçons « cachaient » solennellement le vin nouveau en automne pour le « découvrir » à Pâques. La pratique de ce rituel était courante dans la paroisse Saint-Maclou, dans laquelle se trouvait le couvent augustinien. En effet, une niche fermée par une plaque était aménagée dans la paroi septentrionale de l’église et contenait un calice en verre (fig. 51) : l’association de ce dispositif et la cérémonie du vin est probable. Les deux salles voûtées qui se greffaient à l’église en face de cette niche (fig. 33) étaient peut-être destinées au déroulement de ces célébrations. En accueillant des manifestations analogues et en leur consacrant (probablement ) une partie de l’espace conventuel, les religieux installaient un climat de solidarité rituelle avec les représentants du corps social qui investissait activement le couvent. Ce sentiment d’appropriation des édifices, manifestement éprouvé par les participants, accroissait sans doute également l’impact urbain des couvents et enrichissait leur valeur sémantique.
L’impact architectural des complexes conventuels
30Nous avons étudié, dans les pages précédentes, le rapport entre les couvents et les diverses manifestations de la spiritualité et de l’activité mendiantes. Il est tout aussi important d’examiner dans quelle mesure la mise en œuvre tectonique des édifices conditionnait leur impact esthétique, symbolique et, naturellement, architectural en milieu urbain et périurbain. Quoique régis par des prescriptions précises, les complexes mendiants faisaient partie intégrante de l’environnement monumental de la fin du Moyen Âge. Il était donc naturel que nombre de leurs éléments soient empruntés au contexte de leur époque et de leur région. Toutefois, le caractère des ordres imposait souvent des agencements architecturaux particuliers. Ceux-ci, créaient des rapports associatifs spécifiques140 qui influaient grandement sur la perception des couvents par les fidèles.
Affinités avec l’environnement édilitaire urbain
Les édifices religieux
31En s’alignant, par incitation pontificale, sur les principes architecturaux cisterciens, les Mendiants n’ont pas édifié, de prime abord, des couvents vraiment originaux. En effet, le seul élément du complexe qui se singularisait dans le paysage monumental de l’époque était l’église dont, dans les complexes mendiants, la simplicité et l’absence de prétentions formelles contrastaient avec l’architecture des cathédrales, des abbatiales et des somptueuses paroissiales urbaines. Car, outre le principe incontournable de la pauvreté, il ne faut pas oublier qu’un des principaux objectifs des ordres était de renouer avec la tradition apostolique. Ce choix, conjugué au soin d’allier la fonctionnalité au caractère symbolique de leurs édifices, les a sans doute portés à imiter les églises des premiers temps du christianisme, à savoir les grandes et simples salles congrégationnelles issues de la tradition des vastes édifices romains destinés aux rassemblements séculiers141. Dans certains cas exceptionnels seulement, comme chez les Dominicains de Metz et de Reims ainsi que chez les Clarisses rémoises, la protection épiscopale induisit l’utilisation de procédés constructifs rares pour les Mendiants, des chapelles rayonnantes dans l’exemple messin, et des arcs-boutants dans les cas rémois.
32Pour le parti constructif, les religieux ont fait systématiquement appel au potentiel autochtone. Les maîtres d’œuvre, sollicités souvent conjointement ou en remplacement des religieux compétents, étaient de provenance régionale : citons les architectes lillois du couvent franciscain de Valenciennes, et Pierre Perrat, architecte de renom du xive siècle, qui fut chargé de l’érection de la seconde église des Carmes messins. Pour la main-d’œuvre, nous avons constaté un recrutement analogue. D’après les comptes du xiiie siècle, la seconde église des Franciscains provinois ainsi que le deuxième couvent des Augustins parisiens furent confiés à des artisans de la ville ou de la proche région. La reconstruction de l’église des Carmes ceannais à la fin du xvie siècle fut quant à elle confiée au maître-maçon local, Abel le Presle. Le même principe de collaboration était en rigueur également pour les œuvres sculptées : la signature Jubert sur un des chapiteaux de la Chapelle de la Passion des Franciscains troyens indique que les religieux ont fait appel à un membre d’une grande famille artisanale de la ville.
33Il était donc naturel que les églises conventuelles s’alignent un tant soit peu sur la mise en œuvre constructive de leur région. Citons le cas caractéristique de l’église des Augustins rouennais. Elle présentait trois différentes formes de fenêtres : en arc brisé pour les côtés est et ouest, en plein cintre au nord et en arc surbaissé au sud (fig. 42). Ces variations correspondent aux différentes phases de construction de l’édifice : sa fondation à la fin du xive siècle, son agrandissement en 1435 et sa restauration après les endommagements de 1562142. Il est donc manifeste que, pour les éléments architecturaux qui n’imprimaient pas la structure des églises, les frères suivaient les tendances de leur époque et ce jusqu’à certains détails décoratifs. Nous pouvons évoquer l’exemple de la sculpture de l’« homme-feuille » découvert lors d’une campagne de fouilles dans l’église des Dominicains valenciennois143. Cette représentation (puisant peut-être sa symbolique dans les croyances païennes de renouveau144) provenait vraisemblablement de la chaire à prêcher. Une figure analogue orne aussi deux chapiteaux de l’église des Augustins de Bar-le-Duc145. Toutefois, ce type de décor n’était pas inconnu dans les édifices religieux de la région que nous étudions à la fin du Moyen Âge. Un écoinçon du cloître de l’ancienne cathédrale d’Arras, datant de la fin du xiiie siècle était orné d’un masque d’ « homme-feuille »146. Un médaillon similaire faisait vraisemblablement partie du décor du jubé de l’abbatiale de Saint-Denis147. Une clé de voûte avec le même motif provient du collège de Cluny148. De même, les peintures qui ornent les caveaux funéraires découverts dans l’église des Dominicaines valenciennoises et des Dominicains brugeois149 se rattachent directement aux courants picturaux de leur région. En effet, tant les contours des silhouettes que le traitement des couleurs évoquent les peintures du xive siècle qui ornaient le tombeau de Nicolas vander Steene à Notre-Dame de Bruges150, ainsi que celles — de la même époque — découvertes à Warneton151, à Ham-en-Artois et à Comines152.
L’habitat civil
34Il convient de souligner que la majorité des études sur les couvents mendiants portent sur les églises et négligent les affinités entre les constructions civiles et les complexes (et plus particulièrement les bâtiments conventuels). Pourtant, l’installation des frères dans les villes conférait une physionomie particulière à leurs cloîtres153 Ceux-ci, sans se démarquer des principes des édifices monastiques traditionnels154, étaient néanmoins conditionnés par les contingences de la trame urbaine. Ils étaient donc soumis aux même contraintes ou particularités topographiques que les édifices laïcs. De surcroît, le rôle des cloîtres comme lieux de la vie conventuelle quotidienne les rapprochait davantage de l’habitat civil : en fait, ces deux catégories d’édifices étaient conçues pour assurer — dans le même environnement — la résidence, la subsistance et le déroulement des activités professionnelles (largo sensu) des occupants155. Les similitudes structurelles qu’ils présentaient étaient sans doute spontanées, induites par la configuration du parcellaire et reproduites par une main-d’œuvre commune. On constate donc que tant les cloîtres que les maisons privées s’élevaient sur plusieurs étages (pouvant en compter quatre), qu’ils étaient systématiquement pourvus de caves, comportaient des greniers sous les combles, et s’érigeaient généralement en bordure des rues, tandis que le reste du terrain était occupé par des jardins et des dépendances156. Il importe néanmoins d’introduire une différentiation fondamentale : les couvents déployaient ces caractéristiques à une échelle monumentale, du fait de leurs dimensions importantes, du nombre élevé de personnes qu’ils abritaient et de la diversité et de la solennité des manifestations qu’ils accueillaient. Il est donc certain que les bâtiments conventuels, outre leur valeur symbolique, avaient l’ascendant esthétique sur le bâti privé, sur lequel par ailleurs (nous l’étudierons dans les pages suivantes) ils ont influé.
Les bâtiments publics et les salles communales
35Étant donné que nombre d’assemblées civiles se déroulaient dans les couvents, il serait intéressant d’examiner dans quelle mesure certaines pièces conventuelles s’apparentaient aux grandes salles des édifices publics. Malheureusement, la carence de vestiges monumentaux conventuels ne permet pas une étude détaillée. Nous nous limiterons donc à des exemples qui, de par leur importance et leur usage intensif, peuvent être considérés comme des cas génériques de grandes salles conventuelles. Citons d’abord le second réfectoire des Franciscains parisiens datant de la fin du xive siècle157. Cet édifice, fortement remanié, surtout à l’intérieur, conserve néanmoins des traces de sa configuration médiévale. Les dimensions du bâtiment sont considérables : 58,85 mètres de longueur sur 16,75 mètres de largeur. À l’exception de ses murs maçonnés, la structure intérieure du rez-de-chaussée, qui lui seul servait de réfectoire, était en bois. Une file médiane de poteaux octogonaux, prenant appui sur de simples plinthes, divise la salle en deux. Les supports sont étayés au sommet, de part et d’autre, de deux contrefiches soutenant les poutres du plafond (fig. 17), qui s’appuient sur des consoles contre les murs. En faisant abstraction des murs qui renferment la salle, les dimensions importantes de celle-ci, sa compartimentation rigoureuse, l’absence de décor et l’emploi abondant du bois évoquent l’intérieur des halles marchandes. En effet, dans la région que nous étudions, ces constructions favorisaient l’utilisation du bois pour la structure intérieure, qui consistait en de simples rangées de fûts soutenant une charpente apparente158, ainsi, la circulation et la répartition des marchandises étaient plus aisées. Certes, nous ne pouvons pas conjecturer une influence directe des halles sur le réfectoire parisien. Mais l’adoption d’un agencement intérieur analogue — à plusieurs égards — indique que les Mendiants étaient parfaitement familiarisés avec le paysage architectural urbain. Ils empruntaient donc volontiers à des édifices publics, comme les halles marchandes, certaines caractéristiques structurelles représentatives, en les adaptant naturellement aux dimensions de leurs propres édifices159. Ainsi, l’agencement intérieur du réfectoire parisien et les halles de Fère-en-Tardenois (fig. 65), situées en région parisienne et datant du xvie siècle160, présentent le même type de supports octogonaux en bois qui, appuyés sur des simples plinthes, forment une unique rangée médiane. Dans les deux cas, les poutres du plafond sont soutenues par des contrefiches latérales placées au tiers de la hauteur des supports161. Ces rapprochements structurels et esthétiques entre les halles (édifices représentatifs du pouvoir communal) et les salles mendiantes soulignaient peut-être, de manière symbolique, l’appui des frères à l’ensemble du corps social et à ses activités, fussent-elles marchandes. Rappelons à ce propos que le réfectoire des Franciscains troyens a accueilli les assemblées générales des maires et échevins de la ville jusqu’en 1673, date de construction de l’hôtel de Ville162. Les Dominicains châlonnais abritèrent, quant à eux, dans leur réfectoire les représentations du mystère de la Passion. Inversement, les Franciscains de Neufchâteau se servaient systématiquement pour leurs prédications d’une halle jouxtant leur couvent163.
36Un rapprochement analogue peut être établi entre les bibliothèques conventuelles et les salles des assemblées municipales. Dans les deux cas, l’impératif primordial était l’ampleur spatiale ininterrompue : les supports intérieurs étaient donc évités164. Par conséquent, pour des raisons statiques, le couvrement en charpente était de règle. Cet aménagement intérieur commun conjugué aux dimensions longitudinales tant des bibliothèques conventuelles que des salles communales leur conférait une parenté esthétique et constructive remarquable. L’exemple du couvent franciscain de Reims, où un aménagement identique était appliqué à la bibliothèque et à la salle des assemblées bourgeoises (qui étaient de surcroît mitoyennes dans l’aile septentrionale du cloître), est révélateur. Ces deux pièces (après leur réfection au xve siècle, mais sans doute aussi avant) étaient grandes, amplement éclairées, et coiffées de charpentes en berceau brisé, aux tirants apparents (fig. 19). Il est probable également que les salles conventuelles destinées aux réunions universitaires165 ou confraternelles166 avaient une configuration analogue. Le parti esthétique et la fonctionnalité de cet aménagement en faisaient sans doute une solution d’élection pour les édifices publics de la région étudiée : à Rouen, au xvie siècle, la salle des procureurs du palais de justice présentait les mêmes caractéristiques167. Encore une fois, l’absence de sources relatives au processus de l’entreprise de ces constructions ne permet pas de retracer les influences directes ou les échanges volontaires. Toutefois, nous supposons qu’il s’agissait là d’affinités spontanées : tant les salles communales que les bibliothèques conventuelles répondaient primordialement à leurs besoins fonctionnels et étaient conditionnées par les solutions techniques de leur région. Il est toutefois probable que ces choix constructifs communs étaient favorisés par les liens tissés entre les communautés et les représentants du pouvoir (administratif, économique ou intellectuel) ainsi que par l’accueil officiel de ces derniers dans les couvents. Car étant donné que chaque groupe social met en œuvre sa propre « logique spatiale »168 , il est naturel que les groupes solidaires (à plusieurs égards) adoptent des solutions identiques, notamment pour les espaces destinés à des fonctions analogues.
Valeur esthétique intrinsèque
37Les points communs entre les complexes mendiants et les composantes du paysage édilitaire civil, ainsi que l’accueil dans les couvents des manifestations représentatives des tendances spirituelles urbaines, créaient sans doute chez les laïcs un sentiment de familiarité. Ainsi, les couvents créaient un nouveau registre de relations socio-religieuses169 qui conféraient aux édifices un caractère à la fois fonctionnel et monumental170. Cette dernière qualité résultait tant de l’esthétique des constructions que de leur charge symbolique171. Car, malgré leurs affinités avec les bâtiments civils, et plus particulièrement avec l’habitat, les couvents se démarquaient déjà par leur taille mais aussi par l’emploi systématique de certains matériaux, du moins dans les parties majeures des complexes : la pierre était de règle pour les églises et le cloître, à quelques exceptions près172. De même, les unités conventuelles étaient dans leur majorité tectoniquement homogènes, abondamment éclairées et pourvues d’une infrastructure d’hygiène relativement soignée. Outre leur valeur esthétique intrinsèque, ces caractéristiques attiraient sans doute l’attention, voire impressionnaient les fidèles, habitués à un paysage urbain d’un autre ordre. Car la construction des maisons en pans de bois était courante à la fin du Moyen Âge173. Quant aux bâtiments en pierre174, ils présentaient souvent une superposition de murs de nature différente, certaines parties ayant été reprises en sous-œuvre. De même, les façades étaient souvent constituées de tronçons horizontaux d’épaisseur variable175. Contrairement aux couvents, l’habitat urbain n’était pas favorisé en matière d’éclairage naturel176. Si le rez-de-chaussée était parfois éclairé par une porte cochère (surtout quand ce niveau abritait un local à usage professionnel), les pièces d’habitation ne possédaient qu’une seule fenêtre de dimensions réduites177. Quant aux latrines, qui étaient soigneusement prévues dans les couvents, elles firent certes aussi leur apparition dans l’habitat urbain dès la fin du xiiie siècle, mais de manière sporadique178.
38Il est donc évident qu’à la valeur sémantique des couvents en tant que réceptacles d’une nouvelle spiritualité (en accord avec les aspirations et les attentes des fidèles), s’ajoutait leur prégnance formelle, porteuse souvent d’un poids symbolique. Nous pouvons évoquer ici le cas éloquent de la Chapelle de la Passion des Franciscains troyens (fig. 59). Il s’agissait là de l’expression matérielle des différentes facettes de la spiritualité mendiante : dans un même édifice coexistaient un espace cultuel et un lieu d’études. À l’extérieur, la distinction était établie par la forme des fenêtres : en arc brisé avec un remplage flamboyant pour la chapelle, rectangulaires pour la bibliothèque. Toutefois, celle-ci était également sacralisée au moyen de la croix sculptée qui dominait la zone médiane du second étage. De même, les statues des saints adossées aux contreforts unissaient les deux niveaux et épaulaient symboliquement l’édifice. Le choix des personnages sacrés était vraisemblablement délibéré : saint François garantissait l’affiliation directe du couvent troyen au fondateur de l’ordre et accréditait l’activité apostolique des frères. La présence de saint Michel évoquait sans doute la dévotion de François d’Assise envers l’Archange179. En outre, l’importance accordée à la participation laïque dans les activités de la communauté et les rapports des frères avec le pouvoir municipal se reflétaient sur l’écusson de Champagne et de Troyes, placé au-dessus de l’entrée de la chapelle, au même titre que les écussons des autorités religieuses et princières180. Quant à la tourelle construite à la jonction de la chapelle et du cloître, elle était ornée d’un bas-relief inspiré d’un fabliau de Virgile et représentant une jeune femme. Il s’agit là d’un indice révélateur de l’appréciation de la culture classique par les frères181 et aussi, probablement, d’une évocation de la nature de certains ouvrages contenus dans la bibliothèque182.
39À l’intérieur de la chapelle, le décor sculpté était un rappel de la filiation franciscaine : la clé de voûte centrale représentait saint François sur le chariot entouré des Pères de l’Église. La représentation, sur une autre clé de voûte, de la scène des stigmates mettait le fondateur de l’ordre en rapport avec le Christ de la Passion, dédicataire de la chapelle. Nul besoin d’insister sur ce vocable : il correspondait aux courants dévotionnels de la fin du Moyen Âge relatifs à la rédemption, symbolisée bien évidemment par la Passion christique. De même, les courants spirituels de l’époque avaient manifestement inspiré la représentation symbolique du Nom de Jésus sur une clé de voûte et la consécration sous le même vocable d’une des chapelles de la nef. En effet, le culte du saint Nom était répandu au xve siècle en Champagne et à ses marges (notamment à Auxerre et à Troyes), vraisemblablement sous l’influence de la prédication du frère Richard183. Par ailleurs, la thématique de la Passion constituait le relais entre la chapelle homonyme et l’église conventuelle184 : au-dessus du grand autel de celle-ci fut installé, en 1519, une verrière consacrée à la Passion. Ce sujet était de surcroît cher aux troyens : la représentation du Mystère de la Passion avait lieu très souvent sur la place publique de la ville185.
40Dans le décor sculpté à l’extérieur et à l’intérieur de la chapelle, nous constatons donc une coexistence et, sans doute, interaction entre trois registres : la théologie franciscaine, la spiritualité populaire et la réalité communale (administrative mais aussi sociale). Car le cloître qui ceignait la chapelle était voué au prêche, qui assez souvent traitait de manière perspicace des problèmes sociaux. Rappelons le cas du frère Henri de Mauroy (troyen d’origine et inhumé dans le chœur de l’église franciscaine de la ville) et sa franche prise de position en faveur des juifs convertis. En outre, dans la mesure où il ne fonctionnait pas comme un véritable cloître, le prédicatoire évoquait plutôt une place publique fermée et intégrait donc symboliquement dans le couvent un espace polysémique du milieu urbain186. Ce contexte motiva sans doute davantage les fidèles pour s’associer à la chapelle, en y élisant sépulture mais aussi en plaçant leurs écussons sur les piliers du prédicatoire. Ceci suppose que le financement de la construction a été assumé par certaines familles troyennes qui, en s’associant à la construction des bâtiments conventuels, aspiraient sans doute à la rédemption. Cette espérance était par ailleurs le sujet de la fresque qui ornait le contrefort occidental de la chapelle : un Jugement Dernier (qui, d’après les évocations historiques, était proche dans son organisation et dans certains détails du retable homonyme de Rogier van der Weyden187) mettait en scène le salut de deux familles de donateurs. Nous pouvons évoquer aussi les carreaux vernissés qui tapissaient le sol des deux niveaux de la chapelle ainsi que les tuiles vernissées qui la couvraient. Ces matériaux et leur mise en œuvre étaient caractéristiques de la région troyenne, mais correspondait aussi à l’esthétique de l’époque : l’Hôtel-Dieu de Beaune, sans doute couvert de tuiles vernissés de son édification, en constitue un illustre exemple188. Par ailleurs, comme nous l’avons signalé précédemment, la construction et le décor de la chapelle troyenne étaient confiés à l’artisanat local.
41Certes, tous les complexes ne comportaient pas d’édifices aussi prestigieux que la chapelle de la Passion de Troyes. Mais les composantes constructives, décoratives et symboliques de celle-ci constituaient la trame architectonique et spirituelle sur laquelle étaient également fondés les couvents de notre région. Celle-ci était accentuée par les similitudes tant structurelles que formelles que présentaient souvent les couvents de la même ville : il ne s’agissait pas de reproductions identiques mais de signes extérieurs de l’appartenance à la même « famille » édilitaire. Ainsi (outre leur disposition topographique symétrique par rapport à la Seine) les demeures des Dominicains (fig. 4) et des Franciscains (fig. 35) de Troyes avaient des églises configurées de manière pratiquement identique. De même, à Verdun, les églises des Franciscains (fig. 5) et des Clarisses présentaient la même disposition inusitée de la sacristie. Quant aux étroits cimetières aménagés entre l’église et le cloître des Carmes et des Dominicaines valenciennois, nous ne pouvons pas écarter l’hypothèse d’un choix motivé ou induit par l’appartenance des couvents à la même ville.
42Il est donc certain que les couvents, tout en se conformant à plusieurs égards au contexte édilitaire local, se singularisaient par leur physionomie, qui était la matérialisation de la spiritualité mendiante. Ainsi, il n’est pas surprenant qu’ils aient laissé leur empreinte sur la topographie urbaine en lui prêtant leurs noms. Il importe à cet égard de souligner que le nom adopté était le plus souvent l’appellation de la communauté des frères189, et point le nom du saint dédicaire des couvents, comme il était d’usage pour les édifices religieux traditionnels190. Ceci constitue un indice supplémentaire de l’impact des religieux, impliqués pleinement dans la réalité de leur environnement. Ainsi, dès le xive siècle, le second couvent des Franciscains bayesins marqua la topographie du faubourg Saint-Loup-Sur, où il était implanté. Les archives communales font état de « la rue des frères Meneurs » et du « quemin des devers les frères Meneurs »191. À Arras, une des voies bordant le premier enclos franciscain extra-muros fut appelée rue des Frères-Mineurs dès le xiiie siècle192. De même, à Lisieux, l’installation des Dominicains sur l’Île de Putangle au xiiie siècle entraîna, dès le Moyen Âge, le changement du nom en Île Saint-Dominique, tandis que la voie qu’empruntaient les frères pour accéder à la ville prit leur nom193. D’après le plan de Bâle de 1550, le couvent parisien des Franciscains était également longé par une rue portant le nom des religieux, du moins à l’extême fin du Moyen Âge.
Influences sur la création architecturale de la fin du Moyen Âge
43De par leur architecture à la fois monumentale et domestique, par le caractère social des activités communautaires et par les manifestations tant sacrées que profanes qu’ils accueillaient, les couvents étaient donc parfaitement intégrés dans le paysage urbain et dans les processus constructifs de celui-ci. Néanmoins, les complexes demeuraient à la fois les réceptacles et les dispositifs actifs de la vie mendiante dans sa quintessence : à savoir, la pratique religieuse, apostolique et conventuelle. Ils constituaient donc des ensembles architecturaux conçus pour et consacrés par des usages relevant de la religion, de la dévotion et de la fonctionnalité, sans négliger le parti esthétique. De surcroît, l’insertion dans les villes et la possibilité pour les fidèles d’investir tant l’église que le cloître pour leur dévotion individuelle ou pour des activités collectives (sociales, professionnelles, voire politiques) favorisaient l’appropriation des édifices par la communauté urbaine. Celle-ci appréhendait vraisemblablement les complexes conventuels comme des « modèles »194 architecturaux intelligibles, accessibles et opérationnels, à savoir le contrepoint édilitaire du « modèle » de la spiritualité mendiante. Il est donc naturel que l’environnement des couvents, à savoir les villes et leurs abords, aient spontanément assimilé et délibérément reproduit, selon leurs besoins, certains traits architecturaux mendiants.
La structure du chœur mendiant et les Saintes-Chapelles
44Les affinités structurelles entre les chœurs de certaines églises conventuelles et les Saintes-Chapelles ont déjà été relevées195. L’exemple privilégié pour étayer cette hypothèse est fourni par le couvent des Franciscains parisiens. Le chœur et la sacristie de cette église (fig. 57) furent construits grâce aux libéralités de Louis IX vers 1250 et présentaient, effectivement, une ressemblance frappante avec la Sainte-Chapelle parisienne entreprise par le même souverain et consacrée en 1248. En effet, dans les deux cas, il s’agit du même plan générique, où deux longs vaisseaux rectangulaires se terminant par des absides polygonales196communiquent (pour la Sainte-Chapelle vers le nord197, pour le chœur franciscain vers le sud) avec un court édifice rectangulaire couronné d’une abside à trois pans, le Trésor pour la Sainte-Chapelle (fig. 66) et la sacristie pour le couvent parisien (fig. 57)198.
45En s’en tenant donc uniquement aux indices chronologiques, on aurait ainsi tendance à affilier la conception du chœur franciscain à l’architecture de la Sainte-Chapelle . Mais ce serait ignorer l’évolution et les particularités architecturales mendiantes qui s’étaient déjà bien affirmées au milieu du xiiie siècle. Comme nous l’avons déjà souligné, les églises conventuelles se caractérisaient par une grande élongation du chœur, qui était souvent presque égal à la nef199. De même, le pourtour du chevet (tout comme la nef par ailleurs) était littéralement ajouré de grandes baies et était systématiquement dépourvu d’arcs boutants, l’épaulement de la construction étant assuré par de simples contreforts. Dans la région que nous étudions, c’était le cas, entre autres, des églises franciscaines de Beauvais, de Compiègne200 et de Metz, ainsi que des édifices cultuels des Dominicains troyens201 et compiégnois202. Toutes ces églises étaient fondées, et déjà construites ou bien amorcées, entre 1232 et 1246, soit avant la consécration de la Sainte-Chapelle.
46Certes, nous ne pouvons nullement soutenir que ce dernier édifice est une imitation des chœurs mendiants. Les pinacles ouvragés, la décoration denticulée proliférante, le remplissage des fenêtres et des deux roses et le porche occidental rattachent la Sainte-Chapelle au courant du gothique rayonnant de l’Île-de-France, et plus particulièrement du « style royal »203. Nous remarquons cependant certains éléments qui la singularisent. En effet, l’église basse avait sans doute, structurellement et esthétiquement, un rôle de soubassement204. Sur une peinture de Pierre-Denis Martin du début du xviiie siècle (fig. 67) (qui reflète la topographie médiévale), nous constatons que la véritable église, de plain-pied avec le palais et visible depuis l’extérieur, était la chapelle haute. Celle-ci est tout aussi dépourvue de contreforts très saillants que d’arcs boutants élevés munis de culées à pinacles, éléments tectoniques et formels caractéristiques du gothique rayonnant205. De plus, les minces contreforts qui scandent les murs cantonnent des grandes baies occupant toute la surface sous l’arc formeret et s’élevant de manière ininterrompue jusqu’au toit : si la grande largeur des baies était courante dans nombre d’édifices religieux de l’époque206, l’abolition des « étages » des fenêtres sur la même travée était la spécificité des églises mendiantes. En outre, dans la Sainte-Chapelle, l’effet d’évidement mural est intensifié par l’absence des chapelles qui ceignaient généralement les chevets du gothique rayonnant, mais point les chevets mendiants. Ainsi, du moins à l’extérieur (qui d’ailleurs était la seule partie visuellement accessible par la majorité des fidèles), la Sainte-Chapelle s’apparentait sensiblement à un chœur mendiant, soit à une structure sans doute déjà familière dans le paysage monumental urbain.
47La configuration et la disposition du Trésor annexé à la Sainte-Chapelle évoquent (comme nous l’avons signalé précédemment) la sacristie de l’église franciscaine. En règle générale, dans les églises mendiantes, la sacristie était attenante au chœur ; et, outre les ornements liturgiques, souvent précieux, elle contenait des reliquaires et autres joyaux sacrés — à savoir le « trésor » du couvent207. Dans la région que nous étudions, la sacristie était parfois un tant soit peu autonome. Chez les Franciscains amiénois, elle était abritée dans le prolongement de l’aile orientale du cloître et desservie depuis l’extérieur, tandis que chez les Dominicaines valenciennoises elle était greffée au pan méridional de l’abside. Les Augustins rouennais ont quant à eux établi au nord du chevet une sacristie indépendante du cloître208. Certes, les exemples que nous avons cités sont postérieurs à la fondation du couvent parisien, mais reflètent une tendance ancrée dans la gestion architecturale des couvents : à savoir, préserver et exploiter les vestiges de leurs anciens édifices sacrés, voire les intégrer dans les nouvelles églises209. Il est donc probable que les Franciscains parisiens ont réservé à leur église initiale une utilisation analogue. En effet, les frères, longtemps dépourvus d’édifice cultuel210, eurent droit à un autel fixe dès 1240. Manifestement, celui-ci fut abrité dans un bâtiment provisoire faisant office de chapelle et qui, à la suite de la fondation de l’église conventuelle par Louis IX vers 1250, fut remanié pour abriter la sacristie211. Sans doute le roi, s’étant déjà inspiré du binôme mendiant chœur-sacristie pour la Sainte-Chapelle, a voulu reproduire la configuration de celle-ci dans les deux édifices sacrés du couvent parisien. Il n’en demeure pas moins que se trouvait, à l’origine, le « modèle » mendiant, que le roi a suivi comme un référent architectural empreint d’une spiritualité et d’une symbolique qui lui étaient chers. Car, outre son attachement légendaire aux religieux212, Louis IX trouvait dans les textes mendiants la justification de son pouvoir : le programme théologique appliqué aux vitraux de la Sainte-Chapelle est l’apologie de la mission du Christ-roi, directement issue de la spiritualité franciscaine213. De même, l’organisation d’une riche bibliothèque dans la Sainte-Chapelle, à l’initiative de Louis IX214, suppose que celui-ci voulait suivre pleinement l’exemple mendiant, selon lequel les activités religieuses et intellectuelles étaient solidaires. Par ailleurs, à sa mort, une partie de cette riche collection fut léguée aux Franciscains parisiens215.
L’édifice cultuel conventuel et les églises paroissiales
48La nature et l’efficacité de la pastorale mendiante, ainsi que la présence d’une infrastructure édilitaire capable de répondre aux besoins spirituels, dévotionnels et sociaux des fidèles ont sans doute contribué à la familiarisation de ces derniers avec les couvents et à l’appropriation du bâtiment qui, par excellence, reflétait la sacralité des complexes, à savoir l’église. Ce processus était d’autant plus aisé que les édifices cultuels mendiants étaient simples du point de vue tant structurel que formel : ils étaient ainsi intelligibles par toutes les catégories sociales, même les plus modestes, parfois subjugués par l’éclectisme doctrinaire qui caractérisait les cathédrales et les grandes paroissiales216 dans la région que nous étudions, et plus particulièrement en Flandre217. Il est probable aussi que les liens étroits qui liaient les frères avec les confréries des métiers, et a fortiori des maçons218, stimulaient les emprunts tectoniques et esthétiques. Ainsi les principes architecturaux mendiants étaient appliqués à d’autres chantiers religieux par la même main-d’œuvre locale à laquelle était systématiquement confiée la construction des couvents. De surcroît, la simplicité architecturale de ceux-ci et l’emploi de matériaux locaux minimisait sans doute le coût de la construction, ce qui constituait une raison supplémentaire pour que les modestes églises paroissiales adoptent le « modèle » mendiant. Par ailleurs, dans certains cas, celui-ci était le vecteur et le symbole d’une véritable activité paroissiale des frères.
49L’inspiration de certaines églises paroissiales par les édifices cultuels mendiants a déjà été évoquée, mais guère pour la région qui nous occupe219. Il importe donc d’y étudier, en s’appuyant sur des exemples précis, la matérialisation de cette affiliation architecturale dans le paysage monumental. Notons cependant que la reconstitution architecturale des églises paroissiales médiévales est souvent ardue, en raison des dégâts ou des transformations qu’elles ont subi tant pendant les guerres de la fin du Moyen Âge qu’à la suite de la Révolution et, bien évidemment, lors des deux guerres mondiales. Nous limiterons donc notre étude à deux régions solidement documentées et, par extension, représentatives.
50Pour la Flandre, les aquarelles de l’Album de Croÿ, exécutées par Adrien de Montigny à la fin du xvie siècle, constituent une source précieuse permettant de reconstituer les églises paroissiales de l’extrême fin du Moyen Âge220. Nous constatons que la majorité de ces édifices présentent une structure extrêmement simple, à savoir un volume rectangulaire couvert d’un toit à double pente, tandis que le transept est systématiquement absent : les églises de Masnil, de Werchin et de Dechy sont à cet égard représentatives. L’adjonction d’un bas-côté est attestée dans le cas de Wynehies, de Ruesnes et de Somain, où une chapelle a été greffée de manière transversale sur le collatéral. De même, des chapelles latérales coiffées de toitures indépendantes à deux pans furent aménagées à Sebourg, à Lalaing (fig. 68) et à Marpent. Dans d’autres cas, la présence de deux vaisseaux parallèles de même hauteur indique l’aménagement d’une église-halle221. Ce fut le cas aux Commegnies, à Hon-Hergies et à Quieuraing. Quant au chœur, il est très souvent plus étroit que la nef, mais dépasse en longueur la moitié de celle-ci, comme dans les églises de Mastain (fig. 69), de Famars et de Main. La présence de grandes baies sur le pourtour de l’église et sur la façade occidentale est attestée à Villers-au-Terte et à Wallers. Les contreforts sont systématiquement absents ou sont simplement rectangulaires, comme à Oizyes (fig. 70). Une autre particularité (invisible sur les aquarelles de l’Album de Croÿ) qui s’est imposée dans les églises paroissiales du nord de la France et de la Flandre occidentale à la fin du Moyen Âge consiste au couvrement intérieur en charpente soutenue, le cas échéant, par des supports de faible section222. Le fait que toutes ces caractéristiques soient également représentatives de l’architecture ecclésiale mendiante n’est sans doute pas un hasard. Certes, tous les éléments de ces églises paroissiales ne sont pas issus du contexte mendiant. Ainsi les imposantes tours-clochers et les flèches marquent le caractère symbolique de l’édifice cultuel qui se devait de dominer le paysage223. Quant aux nombreux chevets plats, ils ont été favorisés probablement en raison de leur facilité de construction224. Mais l’influence mendiante dans la conception, l’articulation et l’esthétique des églises paroissiales demeure indéniable.
51La région auboise aussi nous fournit des exemples révélateurs à cet égard225. Ainsi, les églises entreprises ou reconstruites à l’extrême fin du Moyen Âge sont majoritairement dépourvues de transept, tandis que l’unique vaisseau n’est pas rare, comme à Dival, Vallières, Amance, Chauligny et Metz-Robert226. La présence d’une ou deux chapelles greffées au chœur, notamment au xvie siècle, pourrait certes être simplement due à l’essor dévotionnel de la fin du Moyen Âge227. Mais, étant donné que l’église tant dominicaine (fig. 4) que franciscaine (fig. 35) de Troyes étaient munies de chapelles latérales en correspondance du chœur permet de supposer une influence mendiante sur ce dispositif paroissial. Nous pouvons attribuer également la même origine aux chapelles accolées, perpendiculaires à la nef et couvertes de toitures indépendantes à deux versants228, comme à Pel, Creney (fig. 71), Dienville et Thieffrain. Quant aux églises à chœur imposant — comme celle d’Évry (fig. 72) —, nous ne pouvons pas exclure une influence mendiante. Il en est de même pour les églises à plan allongé et à bas-côtés, assez fréquentes en Champagne méridionale229. Toutefois, l’absence de reproductions intégrales des églises mendiantes suppose que l’adoption des éléments architecturaux de celles-ci s’opérait de manière naturelle et spontanée, à la suite (ou en signe) de l’assimilation et de l’acceptation, avant tout, du modèle spirituel des frères.
52Un exemple isolé de l’influence mendiante est fourni par l’église Notre-Dame-de-Froide-Rue de Caen. Au xive siècle, elle comportait une seule nef à laquelle, au xve siècle, fut ajouté vers l’ouest un second vaisseau de dimensions analogues230. L’ensemble forma ainsi une église du type halle. Ce choix édilitaire était vraisemblablement délibéré. À Caen, l’église des Carmes était aussi composée de deux nefs parallèles édifiées pendant deux campagnes différentes. Le premier vaisseau datait de la fin du xiiie siècle, tandis que le second fut édifié au milieu du xve siècle à l’initiative du prieur Jean Soreth, professeur de théologie à l’Université de Caen et réformateur et général de l’ordre231. Étant donné qu’à la suite de vicissitudes guerrières, la ville connut une nouvelle ferveur architecturale marquée par une certaine « rivalité » constructive entre les édifices religieux232, nous supposons que les constructeurs de Notre-Dame-de-Froide-Rue ont été inspirés par le modèle carmelite. Rappelons qu’à cette époque le couvent était en plein essor en raison de son activité pastorale intense et de sa collaboration étroite avec l’université233. En outre, l’influence mendiante sur l’église paroissiale est corroborée par le couvrement de cette dernière qui, dépourvue de voûtement, comporte une vaste charpente en bois234. Dans une ville où l’intense production carrière faisait de la pierre le matériau courant, même pour l’habitat civil235, nous supposons que le choix de couvrement de Notre-Dame-de-Froide-Rue témoigne, de manière flagrante, de la prégnance constructive mendiante.
Les principes constructifs claustraux et l’habitat urbain
53Les affinités constructives des cloîtres mendiants avec les demeures civiles, l’impact esthétique des couvents en milieu urbain, ainsi que l’investissement actif des édifices conventuels par les fidèles dans le cadre d’activités extra-religieuses, ont sans doute créé un climat propice pour l’adoption de certaines caractéristiques (structurelles et formelles) claustrales par les laïcs. À cet égard, la collaboration avec la même main d’œuvre locale constituait manifestement un catalyseur pour la diffusion et d’adaptation de certains principes constructifs mendiants.
54La tendance courante pour les maisons médiévales était l’organisation en profondeur236et l’exposition, par conséquent, du pignon vers la rue. Mais à partir du xvie siècle, notamment en Flandre, le faîte de la toiture a commencé à être placé parallèlement à la rue (fig. 73)237. Les fouilles de l’habitat parisien ont démontré aussi qu’à la même époque certaines maisons ont été disposées de cette manière238. Nous pouvons examiner cette organisation sur les cartes du xvie siècle. Ainsi, sur la représentation d’Arras en 1589, le parcellaire urbain est ceint de façades étroites à pignon, auxquelles s’associent des corps de logis plus longs, au faîte parallèle à la rue. Il s’agit là d’une nouvelle esthétique urbaine qui évoque la disposition que les couvents ont adopté dès le xiiie siècle. En fait, le cloître avait systématiquement une aile disposée perpendiculairement à la façade principale de l’église, qui, couverte d’une toiture en double pente, présentait un, deux et rarement trois pignons, selon la présence et le nombre de bas-côtés ou d’une seconde nef. Ainsi, la façade de l’édifice cultuel et l’aile mitoyenne du couvent (fig. 7, 13) créaient le même effet que les façades à pignons associées aux corps de logis à faîte parallèle à la voie que l’on retrouve dans l’habitat urbain à l’extrême fin du Moyen Âge239. Certes, les sources ne fournissent pas d’indices permettant d’affirmer cette hypothèse. Mais, encore une fois, nous supposons qu’il s’agissait de la reproduction spontanée d’un schéma fonctionnel et familier, tant tectoniquement que symboliquement, du milieu urbain.
55Nous constatons une dérivation analogue dans le domaine des dispositifs de circulation internes. Nous avons déjà souligné que les couvents faisaient preuve d’une organisation remarquable, qui assurait l’économie d’espace et de temps de déplacement. Dans les « maisons courantes » médiévales, la communication entre les différents niveaux était assurée notamment par des escaliers droits. Ce n’est qu’à partir du xve siècle que l’escalier à vis fut généralisé240, vraisemblablement en raison de sa commodité et de la souplesse de distribution spatiale qu’il garantissait241. Conjointement, le système des coursières pour la desserte de l’étage depuis l’extérieur connut un grand développement242. La ressemblance de ces systèmes de circulation interne avec les dispositifs conventuels analogues est flagrante. Dès le xiiie siècle, les escaliers à vis étaient généralisés dans les bâtiments conventuels243 et étaient même parfois employés dans l’église244. Quant aux galeries ouvertes, elles étaient souvent mises en œuvre à l’étage du cloître, tant pour des raisons de circulation évidentes que pour accroître l’éclairage des pièces. Des coursières permettaient aussi l’accès à des pièces utilitaires, aménagées à l’étage mais dissociées des lieux réguliers principaux245. Là encore, les sources écrites évoquant l’affiliation entre les solutions architecturales conventuelles et les dispositifs de communication dans les maisons civiles font défaut. Mais il est vraisemblable que les fidèles ayant eu l’occasion de « pratiquer » le système de circulation dans le cloître, ainsi que les artisans qui l’avaient réalisé, ont voulu le reproduire dans les habitations particulières.
56En adaptant le fonctionnement et l’esthétique des édifices à la nature de leur pastorale et à leur principes architecturaux fondamentaux, les religieux établirent une adéquation et une interaction sémantiques entre les couvents et le modèle de vie mendiante. De plus, l’activité des communautés embrassait la totalité de la société urbaine, voire même ses marges. Ainsi, les édifices conventuels ont revêtu le caractère d’ensembles édilitaires polysémiques et amplement représentatifs pour la population des villes et de la région suburbaine. Ce rapprochement s’amplifiait par le mode de réalisation des complexes. Confiés majoritairement à la main-d’œuvre locale et construits avec les matériaux régionaux, ils faisaient écho aux bâtiments « ordinaires » de leur environnement. De fait, ces affinités rendaient plus aisée la communion des fidèles à la spiritualité mendiante et, par extension, l’érection des édifices en symboles de la dévotion mais aussi de la culture (largo sensu) de la fin du Moyen Âge. Il n’est donc pas fortuit que les différentes parties des complexes aient inspiré des constructions contemporaines, représentatives de diverses tendances édilitaires. Tout comme pour la pastorale des frères, conçue efficacement ad status, il s’agissait là d’emprunts assimilés et adaptés aux spécificités de chaque construction. Car les couvents étaient appréhendés, vécus et adoptés par leur entourage comme des cellules représentatives, voire anticipatoires, de la polysémie sociale et spirituelle de leur région et de leur temps.
Notes de bas de page
1 Pycke, J., « Cathédrales, collégiales et chanoines séculiers : quelques livres récents », R.H.E., 1991, p. 356.
2 Pourtant, le Moyen Âge est « l’époque sémiotique par excellence où tout élément signifiait par rapport à un autre sous la domination unifiante du "signifié transcendental" (Dieu) ». Voir Kristeva, J., « La productivité dite texte », C., 1968, 11, p. 82 (cité dans Martin, H., Mentalités médiévales..., op. cit., p. 187).
3 Voir Baird, G., « La “dimension amoureuse” en architecture », dans Choay, F., Banham, R., Baird, G. (et al.), Le Sens de la ville, Paris, 1972, p. 36-37.
4 D’après Christian Norberg-Schulz le « milieu physique » désigne l’environnement et le « milieu des symboles » le contexte social d’un édifice. Voir Norberg-Schulz, C., Système logique de l’architecture, Sprimont, 1998 (4e éd.), p. 92.
5 Voir Baird, G., « La "dimension amoureuse” en architecture », dans Choay, F., Banham, R., Baird, G. (et al.), Le Sens..., op. cit., p. 45 : « Un signe, ou plus précisément, un signifiant, peut représenter toute une série de signifiés, la référence précise ne pouvant être établie que par le contexte où le signe apparaît. » L’auteur applique, bien évidemment, à l’architecture la théorie linguistique de Ferdinand de Saussure. Dans notre étude, par signe ou signifiant nous désignons le complexe conventuel, en tant qu’ensemble architectural multifonctionnel et, par extension, polysémique.
6 Au sujet de l’importance de la proximité spatiale pour la cohésion sociale, voir Williams, P., « Urbaine (anthropologie) », dans Bonte, P., Izard, M., Dictionnaire de l’ethnologie et de l’anthropologie, Paris, 1991.
7 À propos de l’alliance diachronique établie entre les « acteurs » d’une manifestation collective et l’espace d’accueil, voir Depaule, J.-Ch., « L’anthropologie de l’espace », dans Castex, J., Cohen, J. L., Depaule,].-Ch., Histoire urbaine, anthropologie de l’espace, Paris, 1996, p. 39-40.
8 Il s’agit de l’acquisition et des modes d’exploitation de possessions foncières et immobilières dans le centre urbain et le secteur périurbain.
9 Voir Humberti de Romanis, Opéra de vita..., op. cit., 2, De eruditione praedicatorum, p. 432-433 : « Certains participent aisément aux louanges divines en assistant aux offices divins dans l’église, mais les laïcs ne comprennent pas les paroles des offices, tandis qu’ils comprennent ce qui est dit dans les prédications. Par la prédication, donc, Dieu est loué clairement et ouvertement. [...] il en ressort ainsi combien d’avantages a la prédication par rapport à d’autres exercices spirituels. »
10 Sur les avantages de l’emploi de la langue vulgaire dans les prédications à partir du xiiie siècle, voir Vauchez, A., « La Bible dans les confréries et les mouvements de dévotion », dans Riché, P., Lobrichon, G. (dir.), Le Moyen Âge et la Bible, Paris, 1984, p. 592. Le fait que nombre de sermons, notamment du xiiie siècle, soient transmis en latin est sans doute du aux avantages que représentait ce système pour la traduction ultérieure des « modèles » dans les diverses langues locales. Voir d’Avray, D. L., The Preaching of the Friars. Sermons Diffused from Paris before 1300, Oxford, 1985, p. 94-95.
11 En effet, nous pouvons établir un parallélisme entre « les faits de vocabulaire et les faits de société ». Voir Matoré, G., Le Vocabulaire de la société médiévale, Paris, 1985, p. 16.
12 Dessi, R. M., « La prophétie, l’évangile et l’état », dans Dessi, R. M., Lauwers, M. (dir.), La Parole du prédicateur..., op. cit., p. 416.
13 Van Lokeren, A., Chartes et documents de l’abbaye de Saint-Pierre à Gand, Gand, 1869, t. 1, p. 351.
14 Id., ibid.
15 Richard, C. L., Histoires du couvent des Dominicains..., op. cit., p. 18.
16 L’importance de s’adresser de manière différente à chaque catégorie sociale fut exposée notamment par Jacques de Vitry. Voir Forni, A., « Giacopo da Vitry, predicatore e "sociologo" », L.C., 1980, 18, p. 34-89. Guibert de Tournai et Humbert de Romans recommandaient également les sermons ad status.
17 Il s’agit du Ms n° 300 de la Bibliothèque Municipale de Saint-Omer, étudié par Godin, A., Spiritualitéfranciscaine en Flandre au xvie siècle. L’Homéliaire de Jean Vitrier. Texte, étude thématique et sémantique, Genève, 1971.
18 Ms n° 300 de la Bibliothèque municipale de Saint-Omer, respectivement, f° 250, 211, 224, 237. Cité dans id., ibid., p. 19, 20 et 35.
19 Au sujet de l’activité de Pierre-aux-Boeufs, voir Martin, H., « Les prédicateurs franciscains dans les provinces septentrionales de la France au xve siècle », dans I Frati Minori tra’400 e’500..., op. cit., p. 245-251.
20 Ms 747 de la Bibliothèque de la Sorbonne, f°15 ; cité dans id., ibid., p. 250.
21 Ibid., p. 247.
22 Journal d’un bourgeois de Paris sous Charles VI et Charles VII, Mary, A. (éd.), Paris, 1929, p. 111 : « Les Arminacs tenoient tousjours les villes et forteresses davant dites ; et tindrent Paris en si grant subjection, que un enfant de quatorze ans mangeoit bien pour huit deniers de pain à l’heure ; et coustoit la douzaine six sols parisis, qu’on avoi eue pour sept ou huit blancs ; [...] et toutes autres choses, quelles qu’elles fussent, estoient ainsi chères à Paris partout. »
23 Cette superposition, voire coïncidence, entre la parole mendiante et la réalité urbaine évoque, avant la lettre et métaphoriquement, une réflexion de Wittgenstein sur la ville : « On peut considérer notre langage comme une vieille cité : un labyrinthe de ruelles et de petites places, de vieilles et de nouvelles maisons, et de maisons agrandies à différentes époques ; et environné d’une quantité de nouveaux faubourgs aux rues rectilignes bordées de maisons uniformes. » Voir Wittgenstein, L., Investigations philosophiques, Paris, 1961 (trad. P. Klossowski), p. 121.
24 D’après les conclusions de l’étude de Boone, M. « Les métiers dans les villes flamandes au bas Moyen Âge [xive-xvie siècle] : images normatives, réalités sociopolitiques et économiques », dans Les Métiers au Moyen Âge. Aspects économiques et sociaux..., op. cit., p. 19-21.
25 Sur la signification collective et la représentation typologique du « tiers état » à la fin du Moyen Âge, voir Batany, J., « Allégorie et typologie : le tiers état dans quelques sotties et moralités », dans The Theatre in the Middle Ages, M.L., 1985, 13, p. 220-237, et plus particulièrement p. 229.
26 Eubel, C., Bullarii franciscani epitome..., op. cit., Régula fratrum Minorum, De modo laborandi (V), p. 226.
27 Texte cité dans Black, A., Guilds and Civil Society in European Political Thought from the Twelfth Century to the Present, Londres, 1984, p. 94.
28 Voir Boone, M., « Les métiers dans les villes flamandes au bas Moyen Âge (xive-xvie siècle) : images normatives, réalités sociopolitiques et économiques », dans Les Métiers au Moyen Âge. Aspects économiques et sociaux, op. cit., p. 9, n. 25.
29 Rappelons qu’en Flandre, les frères ont participé fréquemment à l’instauration et la sauvegarde de la stabilité sociale et, a fortiori, politique. Il est révélateur que la grève politique des Gantois en 1301 et la « révolution » de 1302 sont relatées de manière détaillé par un franciscain anonyme, témoin des événements. Voir Lambert, V., Chronicles of Flanders 1200-1500. Chronicles Written Independently from « Flandria Generosa, Gand, 1993, p. 43-55.
30 En effet, outre la phobie généralisée de l’argent, le clergé redoutait les liens tissés dans les guildes, car ils pourraient se transformer à des menaçantes coalitions communales. À ce sujet voir Vauchez, A., « Homo mercator vix aut numquam potest Deo placere. Quelques réflexions sur l’attitude des milieux ecclésiastiques face aux nouvelles formes d’activité économique au xiie et au début du xiiie siècle », dans Le Marchand au Moyen Âge, xixe congrès de la Société des historiens médiévistes de l’enseignement supérieur public (Reims, 1992), Paris, 1993, p. 211-217.
31 Au sujet de Berthold de Ratisbone, voir Lecouteux, C., et Marcq, P., Péchés et vertus, scènes de la vie du xiiie siècle, Paris, 1991, p. 21-42. À propos de l’attitude des Mendiants à l’égard du gain et de l’exploitation de l’argent, voir Little, L. K., Religious Poverty and Profit Economy in Medieval Europe, Londres, 1978, p. 201. Quant aux connotations « marchandes » du vocabulaire des sermons, voir Rosenwein, B. H., Little, L. K., « Social Meaning in Monastic and Mendicant spiritualities », P.P., 1974, 63, p. 4-32.
32 Voir d’Avray, D. L., The Preaching of the Friars..., op. cit., p. 208.
33 « Il vint donc comme un marchand pour négocier. [...] (selon) Augustin : Vint le marchand céleste pour recevoir les outrages et offrir l’honneur, pour faire disparaître la douleur et accorder le salut, pour subir la mort et donner la vie. » B.M. Troyes, ms. 1536, f°7r, cité dans id., ibid.
34 Voir Vermeersch, V. (dir.), Bruges et l’Europe, Anvers, 1992, p. 231.
35 Pour une analyse détaillée de cette mutation des mentalités et de ses incidences sur la spiritualité, voir Vauchez, A., Religion et société dans l’Occident médiéval, Turin, 1980, p. 142.
36 Au sujet de l’impact favorable pour l’économie locale de la collaboration entre les métiers artisanaux et commerçants, voir Howell, M., « Achieving the guild effect without guilds : crafts and craftsmen in late medieval Douai », dans Les Métiers au Moyen Âge. Aspects économiques et sociaux..., op. cit., p. 128.
37 Voir Hocquet, J.-C., « Venise et Bruges. L’essor urbain au Moyen Âge », D. Ph., 1999, 8011, p. 58-59. Il convient de signaler que la majorité des bégards en Flandre appartenaient à l’origine à l’artisanat local. Voir Meersseman, G., « Les frères Prêcheurs et le mouvement dévot en Flandre... », art. cité, p. 91.
38 Chapotin, M.-D., Histoire des Dominicains de la province de France..., op. cit., p. 151-154. D’après Marie-Dominique Chapotin, qui relate in extenso les mésaventures de la première installation des Dominicains à Saint-Omer en 1230, à l’origine de l’hostilité à l’égard des frères étaient le doyen et les chanoines audomarois, appuyés par l’official de Thérouanne. Mais, dans les engrenages du pouvoir politico-économique de Saint-Omer, dominait manifestement une étroite collaboration entre la hiérarchie religieuse et les échevins : ces derniers contrôlaient (entre autres) les églises urbaines et suburbaines, ainsi que les chapelles, et interdisaient ou autorisaient les quêtes. De plus, ils subvenaient aux besoins des l’autorité ecclésiastique. L’exemple de l’échevin et marchand du xiiie siècle Jean de Saint-Aldegonde est flagrant : il prêtait au chapitre de Thérouanne, ainsi qu’à d’autres églises, et c’est par son intermédiaire que l’évêque de Thérouanne acquittait ses redevances à la curie. Étant donné qu’au début du xiiie siècle, le frère de Jean, Pierre, était chanoine, il n’est pas téméraire de supposer que le maillage de l’autorité ecclésiastique et échevinale ne tolérait pas l’implantation des Dominicains qui vivaient principalement sur des quêtes et favorisaient les hommes de métiers. Il est aussi probable que l’appréhension à l’égard des frères était alimentée par l’expérience de la présence franciscaine à Saint-Omer, qui remontait à 1225 environ. Les données historiques sur l’autorité échevinale et l’activité de Jean de Saint-Aldegonde sont fournies par Derville, A., Saint-Omer des origines au début du xive siècle, Lille, 1995, p. 116, 137-138, 238.
39 Derville, A., « Les métiers de Saint-Omer », dans Les Métiers au Moyen Âge. Aspects économiques et sociaux..., op. cit., p. 104.
40 La révolution des hommes de métiers en 1306 provoqua l’éclatement du commun audomarois sous la pression des mutations économiques et sociales. Pour le déroulement et les incidences de cet événement, voir Derville, A., Saint-Omer des origines..., op. cit., p. 314-331.
41 Sur ce sujet, voir Vauchez, A., « La Bible dans les confréries et les mouvements de dévotion », dans Riché, P., Lobrichon, G. (dir.), Le Moyen Âge et la Bible, op. cit., p. 595.
42 Pour notre région, l’exemple de l’action sociale mendiante à Ypres est caractéristique.
43 Vauchez, A., « La Bible dans les confréries et les mouvements de dévotion », dans Riché, P., Lobrichon, G. (dir.), Le Moyen Âge et la Bible, op. cit., p. 586.
44 Voir Boone, M., « Les métiers dans les villes flamandes au bas Moyen Âge (xive-xviesiècle) : images normatives, réalités socio-politiques et économiques », dans Les Métiers au Moyen Âge. Aspects économiques et sociaux..., op. cit., p. 6-15. L’auteur analyse les diverses actions et manifestations qui affirmaient le pouvoir politico-social des confréries de métier.
45 Cappliez (abbé), Histoire des métiers de Valenciennes et de leurs saints patrons, Valenciennes, 1893, p. 79.
46 Citons, à cet égard, un fait révélateur. À la fin du xve siècle un différend entre le chef des fabricants de draps et le magistrat fut confié à l’arbitrage du Grand Conseil de Maximilien d’Autriche et de Marie de Bourgogne. L’intervention directe de l’autorité archiducale dit long sur l’importance des hommes de métiers pour le fonctionnement communal. Cet événement est cité et amplement étudié par Cauchies, J.-M., « Règlements de métiers et rapports de pouvoirs en Hainaut à la fin du Moyen Âge », dans Les Métiers au Moyen Âge. Aspects économiques et sociaux..., op. cit., p. 48-50.
47 Au sujet de l’organisation et des multiples activités des métiers du bâtiment de Valenciennes, voir Salamagne, A., « Les chantiers de construction », dans Nys, L., Salamagne, A. (dir.), Valenciennes au xive et xve siècles..., op. cit., p. 114-125.
48 Pomarède, F., Reims : panorama monumental et architectural..., op. cit., p. 175.
49 Rivière, A., Les Communautés religieuses de l’ancien Châlons, Châlons-sur-Marne, 1896, p. 21.
50 Voir A.D. Marne, 41 H 2, Cordeliers de Châlons, 1-52, Confréries, xvie siècle. Il est certain que les choix du couvent franciscain était aussi motivé par l’intense activité intellectuelle des Mendiants.
51 Expression de Jacques le Goff, citée par Martin, H. (Mentalités médiévales..., op. cit., p. 424). Sur la marginalisation et les marginaux en général, voir ID., ibid., p. 424-453.
52 Voir id., ibid., p. 446-453.
53 Citons l’exemple du dominicain de Paris Guerric de Saint-Quentin qui, vers le milieu du xiiie siècle, exprima son opposition à l’exécution des juifs. Événement cité dans ID., ibid., p. 452.
54 Il s’agit de l’ouvrage Apologia in duas partes divisa, pro iis qui ex patriarcharum, Abrahae videlicet, Isaac et Jacob, reliquiis sati de Christo Jesu et fide catholica pie ac sancte sentiunt, in archiepiscopum tolentanum et suas asseclas. B.N., A. 3722 et B.M. de Troyes, B 6 1380. Une présentation succincte de la vie et de l’œuvre d’Henri de Mauroy est fournie par Le Manse de Chermont, I., et Ortéga, Y-A., « Le frère Henri de Mauroy (†1570) et son œuvre homélitique », dans Le Beau xvie siècle troyen, Troyes, 1989, p. 379-385.
55 Breban, C. (de), Les Rues de Troyes anciennes et modernes, Troyes, 1857, p. 126. La tendance des juifs de se regrouper dans le même quartier prit progressivement le caractère d’isolation légalement imposée, comme à Nîmes à partir de 1294. Id., ibid., p. 447. Au sujet de la situation juive dans notre région, voir Kohn, R., Les Juifs de la France du Nord dans la seconde moitié du xive siècle, Louvain-Paris, 1988.
56 En 1553 à Paris, chez Gaultherot, et, d’après Wadding, en 1552 chez Michel Féodezat. Voir Le Manse de Chermont, I., et Ortéga, Y-A., « Le frère Henri de Mauroy (†1570) et son œuvre homélitique », dans Le Beau xvie siècle troyen, op. cit., p. 383.
57 Il importe de souligner que la position tempérée d’Henri Mauroy à l’égard des juifs demeure vraisemblablement un exemple isolé, mais toutefois significatif.
58 Sur l’organisation et le fonctionnement de la prostitution médiévale, voir Geremek, B., « Le marginal », dans Le Goff, J. (dir.), L’Homme édiéval, op. cit., p. 404.
59 Évoquons l’exemple de Thomas d’Aquin qui déclarait : « C’est la condition de la prostituée qui est honteuse, non ce qu’elle gagne », cité par Martin, H., Mentalités médiévales..., op. cit., p. 417.
60 Guilmeth, A., Notice historique sur la ville et les environs de Lisieux, Rouen, 1850, p. 126. L’auteur a puisé ses informations aux archives du xive siècle.
61 Voir Geremek, B., « Le marginal », dans Le Goff, J. (dir.), L’Homme médiéval, op. cit., p. 406.
62 Voir supra, p. 000. Voir aussi Chiffoleau, J., « Pratiques funéraires et images de la mort à Marseille, en Avignon et dans le comtat venaissin (vers 1280-vers 1350) », dans La Religion populaire en Languedoc du xiiie à la moitié du xive siècle, C. de F., 1976, 11, p. 288-290.
63 Sous l’instigation officielle du quatrième concile de Latran en 1215.
64 Voir Lauwers, M., La Mémoire des ancêtres, le souci des morts. Morts, rîtes et société au Moyen Âge (diocèse de Liège, xie-xiiie siècle), Paris, 1997, p. 395. L’auteur souligne que le nombre des exempla consacrés à la mort était particulièrement élevé par rapport aux autres rubriques : seules celles portant sur le « démon » et la « femme » contenaient plus d’exempla.
65 « Acceptons, frères, de méditer à tout moment à la présence de la mort, de l’attendre à tout endroit, de la désirer de tous nos voeux, de la tolérer de toutes les manières. » B.M. de Douai, ms. 374, f° 112r. Cité dans id., ibid., p. 397.
66 Ce prédicateur bayesin du milieu du xve siècle a établi une conception ternaire de la mort : celle-ci est corporelle, spirituelle et infernale et doit être par conséquent méditée, évitée et redoutée.
67 D’après Arnold de Liège : Testamenta facientes frequenter parum legant pro anima sua. Cité par Lauwers, M., La Mémoire des ancêtres, le souci des morts..., op. cit., p. 417, n. 22.
68 id., ibid., p. 418.
69 Citons, à titre d’exemple, le cas de la bourgeoise rémoise du xiiie siècle, Sibille la Pance, qui cita dans son testament tous les couvents mendiants de la ville ; le témoin de cet acte était le dominicain Thibaud d’Attigny ; conformément à la volonté de la défunte, avec son mari et son frère, le prieur des Dominicains rémois fut l’exécuteur du testament. De surcroît, ces trois personnes étaient soumises au contrôle de l’ancien prieur du couvent rémois, Eudes d’Orbais. Voir Desportes, P., Reims et les Rémois..., op. cit., p. 325. Il convient cependant d’examiner la faveur testamentaire à l’égard des Mendiants sous la lumière des contingences socio-économiques de la fin du Moyen Âge. En effet, la société de droit instaurée à partir du xiiie siècle imposait la cessation, après le décès, des droits attachés à la personne. Le défunt « survivait » virtuellement à sa mort le temps que les héritiers mettent fin à la jacente de l’hérédité. Voir Rouland, N., « Les morts et le droit : variations anthropologiques », dans Histoire et Société. Mélanges offerts à Georges Duby, Aix-en-Provence, 1992, 4, p. 29-44. Voir id., Anthropologie juridique, Paris, 1988, p. 208-209. Étant donné que, de par leurs constitutions, les Mendiants n’entraient pas en possession de leurs acquis, les legs aux religieux se transformaient automatiquement en succession jacente, garante (entre autres) du contact post mortem avec le monde des vivants.
70 Les sermons ad dolentes de morte propinquorum, compris dans les Sermones ad status de Jacques de Virty, furent imités, entre autres, par Guibert de Tournai et Humbert de Romans. Voir Lauwers, M., La Mémoire des ancêtres, le souci des morts..., op. cit., p. 396 et 398.
71 À ce sujet, voir Stouff, L., « Les Provençaux et la mort dans les testaments (xiiie-xve siècle) », dans La Mort et l’au-delà en France méridionale..., op. cit., p. 217-220.
72 La description d’une chapelle ardente érigée dans le chœur de l’église franciscaine de Valenciennes est fournie par Simon le Boucq. L’auteur rapporte un règlement datant de 1380 et signé « dux Aubiers de Bavière, contes palatins dou Rin, baulz et gouverneres des pays et contées de Haynau, Hollande et Zélande et Heritiers de ychiaux après le trespas ds nos chier frere le duc Guillaume. » Le contenu est assez explicite quant à la massivité du catafalque : « As vigiles et à la messe de cascun de ces services, soit fait un koulke de hauteur compétent et par dessus mis une toile et un drap d’or ables a chou faire. Item que au deseure de cely koulke sur quatre estiaux soit posé un simple traviaux de quatre baux embauchés sur ces estiaux et en le moyen de cascun baux faite et assise une croix de bos en hauteur telle qu’il appartenra et si soit de telle proportion de chire que ordeneit est pour cascun des dessus dits siervices jusque a le somme de trente candelles dont sur cascune croix sera assis trois de ces candelles et entre les espaces d’une crois à l’autre sys candelles ordènement ansy qu’il appartenra. » Voir Le Boucq, S., Histoire ecclésiastique de la ville..., op. cit., p. 299.
73 Les chapelles ardentes érigées dans les chœurs mendiants sont représentées par le Maître de Boucicault, au xve siècle. Il s’agit de deux enluminures provenant des Heures du maréchal de Boucicault, Paris, Musée Jacquemart André, f° 142v, et d’un Livre d’Heures, Paris, B.N., ms lat. 10538, f°137v.
74 Nous pouvons évoquer ici un exemple livré par les archives de Augustins rouennais. En 1438, le bourgeois Denis Langlois fonda une messe haute célébrée le dimanche et le jeudi après la première messe, après la messe du Saint-Esprit, le lundi, mercredi et vendredi des trépassés, ainsi que le mardi et le samedi de Notre-Dame. De plus, les novices étaient tenus de prononcer près du maître-autel le de profundis et les oraisons des défunts. Voir A.D. Seine-Maritime, 29 HP 4, Augustins de Rouen, Fondation de messes, xve-xvie siècles.
75 Rappelons que la crypte sous le chœur des Augustins bayesins était dédiée à la Passion et que la crypte des Clarisses rémoises recelait une Mise au tombeau : dans les deux cas, l’association de l’espoir de rédemption à la personne du Christ est flagrante. La crypte aménagée sous le chœur des Franciscains de Châteauvillain était dédiée à Catherine de Sienne : dans ce cas encore, la sainte mendiante était l’exemple non plus biblique mais historique de la potentialité de tous les fidèles d’accéder à la rédemption.
76 Voir A.D. Seine-Maritime, 29 HP 4, Augustins de Rouen, Fondation de messes, xve-xve siècle.
77 id., ibid.
78 Évoquons, à titre indicatif, Michel Papelart qui, ayant financé presque entièrement la construction du couvent des Franciscains châlonnais, fut enseveli dans le chœur. De même, les sources évoquent une seule sépulture du xvie siècle dans le chœur des Dominicains caennais : il s’agissait de la tombe d’Isabelle le Bas, épouse du seigneur de Mathan qui avait financé en grande partie la reconstruction de l’église en 1578. Voir, respectivement, Rivière, A., Les Communautés religieuses..., op. cit., p. 18 et Bourgueville, C. (de), Les Recherches et antiquitez..., op. cit., p. 59.
79 Voir Deregnaucourt, J.-P., « L’élection de sépulture d’après les testaments douaisiens (1295-1500) », R.N., 1983, 257, p. 343-352 et Grevet, R., « L’élection de sépulture d’après les testaments audomarois de la fin du xve siècle », R.N., 1983, 257, p. 353-360. Certes, d’après les tableaux comparatifs des pourcentages, nous constatons que les églises paroissiales ont continué à attirer un nombre important de sépultures ; cependant ces données chiffrées n’ont par une valeur absolue, étant donné qu’il faudrait prendre en compte la suprématie numérique des églises paroissiales par rapport aux conventuelles ; celles-ci, analogiquement, accueillaient davantage de sépultures.
80 Sur la gestion de la mort par les représentants du pouvoir urbain, voir Fournié, M., et Peytavie, Ch., « Les élites urbaines et la mémoire des morts », dans La Mort et l’au-delà en France méridionale..., op. cit., p. 223-268.
81 Voir A.D. Seine-Maritime, 32 HP 3, Carmes de Rouen, Procédures pour l’inhumation dans l’église, 1570.
82 Voir Deregnaucourt, J.-P., « L’élection de sépulture d’après les testaments douaisiens »..., art. cité, p. 344.
83 Expression de Jean Gerson citée dans Ariès, Ph., L’Homme devant la mort, Paris, 1977, p. 56.
84 Voir Martin, H., Mentalités médiévales..., op. cit., p. 406-408. Cette méfiance à l’égard des femmes, reflétant bien évidemment la mentalité de l’époque, se répercutait sur la place qu’avaient les femmes fidèles dans les couvents, qui pouvaient assister aux offices et aux prédications, mais dont le séjour dans les chambres des hôtes était défendu (des maisons spéciales, à l’écart des couvents, étaient prévues pour les accueillir). De même, certaines précautions étaient prises pour éviter le déroulement de la confession féminine dans des endroits de l’église isolés.
85 Au sujet des rapports entre les mulieres religiosae (notamment les béguines) et les Mendiants, voir Schmitt, J.-C., Mort d’une hérésie. L’Église et les clercs face aux béguines et aux bégards du Rhin supérieur du xive au xve siècle, Paris, 1978, p. 115-130. Pour les Pays-Bas méridionaux, voir Simons, W., Stad en apostolaat : de Vestiging van de Bedelorden in het graafschap Vlaanderen..., op. cit., p. 217-222.
86 Voir Martin, H., Mentalités médiévales..., op. cit., p. 416.
87 À cet égard, l’influence de la pastorale mendiante était considérable : les frères ont reconnu les exigences propres de la religiosité féminine et présentaient souvent les tâches domestiques comme un obstacle à une vie sainte. Ainsi, rapidement, même pour les femmes mariées « l’indispensable directeur spirituel se pose en concurrent du mari ». Voir id., ibid., p. 410.
88 Certes, il existait aussi d’autres communautés de femmes pieuses, de moindre portée ; citons les Filles-Dieu de Reims, installées à proximité du couvent franciscain et dépendant spirituellement des frères. Mais, étant donné le caractère sporadique de ces exemples, nous limiterons notre étude aux groupes des béguines qui sont les plus représentatifs. Au sujet du mouvement béguinal dans la région étudiée, voir Delmaire, B., « Les béguines dans le nord de la France au premier siècle de leur histoire (vers 1230-vers 1350) », dans Parisse, M. (dir.), Les Religieuses en France au xiiie siècle. Table ronde organisée par l’Institut des Études médiévales de l’université Nancy II et le C.E.R.C.O.M. (Nancy, 1983), Nancy, 1985, p. 121-162.
89 Voir Schmitt, J.-C., Mort d’une hérésie. L’Église et les clercs face aux béguines et aux bégards..., op. cit., p. 51.
90 Mais le clergé séculier, voulant sans doute amenuiser l’emprise de Mendiants sur les béguines, se montra systématiquement hostile à l’égard de ces dernières. De même, les frères ont été souvent amenés à défendre des tertiaires qui, assimilées volontairement aux béguines par le clergé séculier, devenaient la cible de détractions faisant allusion, entre autres, à des tendances hérétiques. Voir Schmitt, J.-C., Mort d’une hérésie. L’Église et les clercs face aux béguines et aux bégards..., op. cit., p. 115-120. Il convient cependant de signaler, qu’en Flandre les béguinages ont été placés assez tôt sous la protection du pouvoir comtal, favorable aux Mendiants. Ainsi, en 1242, la comtesse Jeanne désigna elle-même les procureurs du béguinage gantois qu’elle venait de fonder. De même, elle obtint que les béguines soient placées sous la protection de l’évêque de Tournai, en prenant soin, bien évidemment, de ne léser aucunement les droits paroissiaux. Voir Meersseman, G., « Les Frères prêcheurs et le mouvement dévot en Flandre... », art. cité, p. 83-84.
91 Id., ibid., p. 90. La fondation du couvent dominicain d’Amiens offre un exemple de rapports inversés entre les Mendiants et les béguines : en effet, la supérieure du béguinage amiénois offrit aux religieux un terrain, situé près de la Porte Saint-Firmin-au-Val, afin qu’ils y établissent leur couvent. Voir Calonne, A. (de), Histoire de la ville d’Amiens (Amiens, 1899), réimpr. Marseille, 1976, p. 233.
92 Ce fut, entre autres, le cas à Gand et à Lille. Voir Meersseman, G., « Les frères Prêcheurs et le mouvement dévot en Flandre... », art. cité, p. 85. À Reims, les statuts initiaux (1249) ainsi que les règlements supplémentaires (1364) du béguinage du Grand Cantimpré ont été rédigés conjointement par le prieur des Dominicains et l’abbé de Saint-Denis. Voir Desportes, P., Reims et les Rémois..., op. cit., p. 328 et 331.
93 À Bruges, la double fonction de contrôleur des comptes et de visiteur canonique relevait du prieur des Dominicains, en collaboration avec le doyen de Saint-Donatien d’abord et avec le gardien des Franciscains par la suite ; la nomination du curé du béguinage gantois était soumise à l’approbation du prieur des Prêcheurs ; les béguines de Paris profitaient régulièrement des sermons mendiants. Voir Meersseman, G., « Les frères Prêcheurs et le mouvement dévot en Flandre... », art. cité, p. 88-89, et p. 88, n. 49.
94 Voir Schmitt, J.-C., Mort d’une hérésie. L’Église et les clercs face aux béguines et aux bégards..., op. cit., p. 48.
95 Voir Lauwers, M., La Mémoire des ancêtres, le souci des morts..., op. cit., p. 495.
96 Voir Schmitt, J.-C., Mort d’une hérésie. L’Église et les clercs face aux béguines et aux bégards..., op. cit., p. 46.
97 La Grange, A. (de), « Choix de testaments tournaisiens antérieurs au xvie siècle », A.S.H.A.T., 1897, 2, p. 29, n° 289.
98 Voir Martin, H., Mentalités médiévales..., op. cit., p. 423. Sur ce sujet en général, voir aussi Certeau , M. (de), La Fable mystique, Paris, 1982.
99 Voir Simons, W., « Reading a saint’s body : rapture and bodily movement in the Vitae of thirtheenth-century beguines », dans Framing Medieval Bodies, Manchester-New York, 1994, p. 1-23.
100 Pour une approche théologique et culturelle de ce phénomène, voir Dinzelbacher, P., « Diesseits des Metapher : Selbstkreuzigung und Stigmatisation als konkrete Kreuzesnachfolge », R.M., n.s.7, 68, p. 157-181.
101 Voir Deploige, J., « Intériorisation religieuse et propagande hagiographique dans les Pays-Bas méridionaux du xie au xiiie siècle », R.H.E., 1999, 154, p. 819. L’auteur souligne que « les sources hagiographiques, fonctionnant en même temps comme légitimations moralisatrices et comme miroir des besoins sociaux, reflètent la diversification et l’institutionnalisation des idéaux religieux ». Id., ibid., p. 829.
102 Il importe de rappeler que Jacques de Vitry n’était pas mendiant, mais il inspira par ses sermones ad status; par ailleurs des religieux, tels que Vincent de Beauvais et Étienne de Bourbon, furent particulièrement élogieux à son égard. Voir Vincent de Beauvais, « Speculum historiale », M.G.H., SS, 24, livre XXX, p. 165-166 et Lecoy de La Marche, A., La Chaire française au Moyen Âge, op. cit., p. 50.
103 Voir, in extenso, Vauchez, A., « La sainteté, arme contre l’hérésie : la Vie de Marie d’Oignies par Jacques de Vitry », dans Saints, prophètes et visionnaires..., op. cit., p. 175-188. Voir aussi Lauwers, M., « Entre béguinisme et mysticisme : la vie de Marie d’Oignies (†1213) de Jacques de Vitry ou la définition d’une sainteté féminine », O.G.E., 1992, 66, p. 46-69, cité dans ibidem.
104 Le prélat toulousain avait par ailleurs demandé cette biographie afin de « montrer qu’au sein de l’orthodoxie, il existait des femmes qui avaient su atteindre les sommets de l’ascétisme et parvenir par là à l’union intime de Dieu ». Voir « La sainteté, arme contre l’hérésie : « La Vie de Marie d’Oignies par Jacques de Vitry », dans Vauchez, A., Saints, prophètes et visionnaires..., op. cit., p. 184.
105 Voir Deploige, J., « Intériorisation religieuse et propagande hagiographique dans les Pays Bas méridionaux... », art. cité, p. 826.
106 Voir Vauchez, A., « La Bible dans les confréries et les mouvements de dévotion », dans Riché, P., Lobrichon, G. (dir.), Le Moyen Âge et la Bible, op. cit., p. 595.
107 Au sujet des confréries du couvent franciscain, voir in extenso Roger, J.-M., « Confréries du couvent des Cordeliers de Bar-sur-Aube aux xive et xve siècles », dans L’Encadrement religieux des fidèles au Moyen Âge et jusqu’au concile de Trente.. op. cit., p. 509-540.
108 « [...] et chascun des diz confreres (offerra) un cierge d’un quarteron, et la consuer de demi quarteron [...]. Item, chascun des diz confreres paiera cinq solz par an, et la consuer deux solz et demi. » A.D. Aube, 13bis H 9, Confirmation par Guillaume de Poitiers, évêque et duc de langres, des statuts de la confrérie de l’Assomption Notre-Dame au couvent des Frères mineurs de Bar-sur-Aube, 1317. Cité dans id., ibid.
109 Cette hypothèse est corroborée par le fait que l’acceptation des femmes dans les confréries était assez courante à la fin du Moyen Âge. Citons l’exemple de la confrérie Notre-Dame de Fanjeaux, qui accueillait des coffrayresse ou confratisse. En 1410, sur vingt-quatre confrères morts, quatorze étaient des femmes mariées. Voir Ramiere de Fortanier, A., « La confrérie Notre-Dame de Fanjeaux et son développement au Moyen Âge. Édition du texte provençal des statuts », dans La Religion populaire en Languedoc..., op. cit., p. 321-356. Signalons toutefois que cette confrérie se trouvait, un tant soit peu, dans la mouvance mendiante : l’église paroissiale de Fanjeaux avait été cédée à saint Dominique par l’évêque de Toulouse : les Dominicains ont donc tissé, et entretenu, des liens avec les familles locales. Par ailleurs, le couvent des Dominicaines de Prouille se trouvait à proximité. Voir id., ibid.
110 En effet, la polémique contre ces congrégations dévotionnelles (notamment à partir du xive siècle) fut fondée sur la sémantique même de leurs appellations, qui renvoyaient aux notions péjoratives de mendicité et d’hérésie. De même, la multiplication des noms avec lesquels les laïcs désignaient les béguines et les bégards atteste de l’incapacité de la société de les définir, de les classer et a fortiori de les intégrer. Voir Schmitt, J.-C., Mort d’une hérésie. L’Église et les clercs face aux béguines et aux bégards..., op. cit., p. 64-70.
111 Au sujet des communautés et des établissements béguinaux à Tournai, voir in extenso Lauwers, M., Simons, W., « Béguins et béguines à Tournai au Bas Moyen Âge. Les communautés béguinales à Tournai du xiiie au xve siècle », T., 1988, 3.
112 La qualification des béguinages de « phénomènes urbains » appartient à Schmitt, J.-C., Mort d’une hérésie. L’Église et les clercs face aux béguines et aux bégards..., op. cit., p. 39.
113 Il importe de souligner qu’au xiiie siècle, les béguines étaient majoritairement issues de la noblesse foncière et du patriciat « urbain » et jouaient un rôle déterminant dans la fondation des maisons qui, par la suite, ont été habitées par des béguines d’origine modeste. Voir Schmitt, J.-C., Mort d’une hérésie. L’Église et les clercs face aux béguines et aux béghards..., op. cit., p. 64-70. Pour notre région, citons le cas de Reims : le béguinage du Grand Cantimpré fut fondé en 1249 par deux riches bourgeoises, Aélis Corgnie et Dude la Large, à l’incitation des Dominicains.
114 A.D. Nord, 40 H 556, 1344 (août 1244), Biens du béguinage, cité par Carpentier, B., « Le béguinage Sainte-Élisabeth de Valenciennes de sa fondation au xvie siècle », M.C.AV., 1959, 4, p. 111.
115 Id., ibid., p. 108.
116 A.D. Nord, 40 H 552, 1334 (mai 1262), Spiritualité. Cité dans id., ibid., p. 177.
117 A.D. Nord, 40 H 556, 1345 (février 1245), Biens du béguinage. Cité dans id., ibid., p. 113.
118 Voir supra, p. 285, n. 1724. Notons que la fondation des béguinages flamands par les comtesses Jeanne et Marguerite établissait un ancrage supplémentaire de ces établissements dans la mouvance spirituelle et architecturale mendiante.
119 Les informations sur l’aspect médiéval de l’église du béguinage brugeois sont fournies par le plan de la ville de 1562, par Marcus Gheeraerts. L’église primitive du béguinage ten Wijngaarde, emportée par un incendie en 1584, fut entièrement reconstruite à la fin du xvie siècle, pour être réaménagée en 1710. Pour des renseignements succincts sur le béguinage brugeois, voir Begijnhof. Monasterium De Wijngaard Brugge, Regensburg, 1998.
120 Voir Meiss, P. (von), De la forme au lieu..., op. cit., p. 44-47.
121 Notons que cette tendance était présente dans les cérémonies liturgiques dès les xie et xiie siècles, où la « théâtralisation » des gestes des célébrants était codifiée. Voir Schmitt, J.-C., La Raison des gestes au Moyen Âge, Paris, 1990, p. 274-275.
122 Voir Heers, J., Fêtes de fous et carnavals, Paris, 1983, p. 68. Parmi les pontifes favorables aux célébrations paraliturgiques, l’auteur cite Innocent III (†1219) et Innocent IV (†1254).
123 Il importe de signaler que ces célébrations paraliturgiques évoquaient aussi l’histoire des ordres et de leurs fondateurs : l’attachement de saint François aux représentations de la « crèche » est resté légendaire.
124 Voir Martin, H., Mentalités médiévales..., op. cit., p. 288.
125 Id., ibid., p. 292.
126 Voir Heers, J., Fêtes de fous..., op. cit., p. 21-22.
127 Barthélemy, É. (de), Histoire de la ville de Châlons-sur-Marne..., op. cit., p. 143-146.
128 Voir in extenso Ribard, J., « Théâtre et symbolisme au xiiie siècle », dans The Theatre in the Middle Ages, op. cit., p. 114-118.
129 Mollat, M. (dir.), Histoire de Rouen, op. cit., p. 169-170.
130 Voir Heers, J., Fêtes de fous..., op. cit., p. 196. Ce type de confréries, appelées puys (du mot podium) étaient fréquentes dans le nord de la France. Voir Martin, H., Mentalités médiévales..., op. cit., p. 288.
131 Pour ce rapport voir in extenso Accarie, M., Le Théâtre sacré de la fin du Moyen Âge : étude sur le sens moral du « Mystère de la Passion » de Jean Michel, Genève, 1979.
132 Citons, à titre d’exemple, le dominicain anglais Nicolas Trevet qui a traité de la dramaturgie antique. Voir Rey-Flaud, H., Le Cercle magique. Essai sur le théâtre en rond à la fin du Moyen Âge, Paris, 1973, p. 33.
133 Voir Martin, H., Mentalités médiévales..., op. cit., p. 293.
134 Voir sur ce sujet Plaisance, M., « Espace et politique dans les comédies florentines des années 1539-1551 », dans Hernandez, J. L., Brunet, J., Plaisance, M. (et al.), Espace, idéologie et société au xvie siècle, Grenoble, 1975, p. 58.
135 Voir Martin, H., Mentalités médiévales..., op. cit., p. 294.
136 Voir Plaisance, M., « Espace et politique dans les comédies florentines des années 1539-1551 », dans Hernandez, J. L., Brunet, J., Plaisance, M. (et al), Espace, idéologie et société au xvie siècle, op. cit., p. 66.
137 Boone, M., « Les métiers dans les villes flamandes au bas Moyen Âge (xive-xvie siècle) : images normatives, réalités socio-politiques et économiques », dans Les Métiers au Moyen Âge..., op. cit. , p. 19.
138 Frijhoff, W., « Signes et merveilles dans la Hollande protestante au xviie siècle », dans Deregnaucourt, G. (dir.), Société et religion en France et aux Pays-Bas, xve-xixe siècle. Mélanges en l’honneur d’Alain Lottin, Arras, 2000, p. 478.
139 Le Goff, J., Saint François d’Assise, Paris, 1999, p. 96. Il convient néanmoins de signaler que certains rituels folkloriques, comme les danses rituelles, étaient critiqués par les Mendiants. Toutefois, ceux-ci étaient vraisemblablement conscients de l’ancrage de ces manifestations dans l’imaginaire collectif. Ainsi, ils étaient nombreux à les employer dans leur exempla, sous un angle bien évidemment négatif. Voir Schmitt, J.-C., « Jeunes et danse des chevaux de bois. Le folklore méridional dans la littérature des "exempla" (xiiie-xive siècle) », dans La Religion populaire en Languedoc..., op. cit., p. 126-158. La présence d’éléments de la tradition païenne dans les édifices mendiants est étayée par la sculpture d’« homme-feuille » qui ornait l’église dominicaine de Valenciennes (vraisemblablement la chaire à prêcher). Mais cette représentation, désignée comme « tête de feuille » par Villard de Honecourt était assez répandue dans les édifices religieux à partir du xiiie siècle. Ainsi, le cas de Valenciennes ne peut être considéré comme une particularité mendiante.
140 En employant l’exemple de l’architecture, Ferdinand de Saussure a établi la distinction entre les constructions « syntagmatiques », la perception desquelles résulte des éléments matériellement présents, et les constructions « associatives », qui suscitaient et étaient perçues par des comparaisons mentales avec des éléments non présents. Voir Saussure, F., Cours de linguistique générale, Paris, 1968, p. 171. Certes, d’autres édifices religieux ou laïcs appartiennent à cette seconde catégorie, mais l’ampleur des activités mendiantes enrichissait davantage la valeur sémantique des couvents, et élargissaient leur impact.
141 Voir Mango, C., Architecture byzantine, Paris, 1993, (trad. française de l’éd. italienne de 1989), p. 36. Dans son dernier ouvrage sur l’architecture mendiante, Wolfang Schenkluhn reprend la théorie qu’il avait déjà formulée antérieurement, à savoir que la structure des églises mendiantes découle typologiquement de celle des édifices hospitaliers médiévaux. Nous supposons que cette similitude est connexe à l’affiliation directe des églises mendiantes aux premiers édifices cultuels chrétiens, car, dans l’antiquité tardive, les salles des réunions civiles (qui inspirèrent bien évidemment les églises) et les édifices hospitaliers présentaient les mêmes spécificités architecturales, dictées par la recherche de capacité d’accueil et de fonctionnalité. Ces caractéristiques, dont l’efficacité était incontestable, perdurèrent manifestement dans les édifices hospitaliers médiévaux, dépourvus a priori de prétentions symboliques. En effet, il nous semble peu probable que les ordres — qui exploitaient notablement le pouvoir du modèle sacré (rappelons le modèle christique suivi par François d’Assise jusqu’aux stigmates) — aient voulu imiter pour leurs églises un modèle édilitaire profane, fut-il caritatif. Voir Schenklhun, W., Architektur der Bettelorden..., op. cit., p. 53-54, et id., Ordines studentes. Aspekte zur Kirchenarchitektur der Dominikaner und Franziskaner im 13 Jahrhundert, Berlin, 1985, p. 62-68.
142 Périaux, N., Dictionnaire indicateur et historique..., op. cit., p. 15-16.
143 Maliet, V., Histoire et archéologie du couvent..., op. cit., p. 109.
144 D’après Van Gennep, A., Manuel de Folklore français contemporain : les cérémonies périodiques cycliques et saisonnières, Paris, 1949, p. 1422. Cité dans ibid., p. 110.
145 Aimond, C., L’Église Saint-Antoine..., op. cit., p. 50.
146 Voir L’Art au temps des rois maudits. Philippe le Bel et ses fils (1235-1328), Paris, 1998, p. 81.
147 Ibid., p. 44-45.
148 Elle est conservée au musée de Cluny. Les « têtes de feuilles » étaient aussi diffusées dans d’autres régions : la tour méridionale du portail ouest de l’abbatiale de Saint-Benigne de Dijon (après la reconstruction de 1281) comporte une frise où les scènes de chasse s’alternent avec des visages entourés de feuillages. Voir Regards croisés. L’Ancienne abbaye Saint-Benigne, Dijon, 1995, p. 41. Par ailleurs, la charpente de la salle échevinale d’Ypres comportait un motif analogue.
149 Voir respectivement Beaussart, Ph., Hardy, A., « Peintures et sculptures gothiques... », art. cité, p. 907-913 et De Witte, H., « Archeologisch onderzoek aan... », art. cité, p. 4.
150 Beaussart, Ph., Patrimoine archéologique du valenciennois, op. cit., p. 113.
151 Voir Beaucamp, F., « La découverte archéologique de Warneton », B.C.H.N., 1925, 32, p. 243-266.
152 Voir Beaucamp, F., Leleu, D., « Les découvertes archéologiques de Comines », B.C.H.N., 1930, 33, p. 297-304.
153 Le caractère fondamentalement urbain des couvents mendiants est illustré de manière pertinente par le cas d’Ypres : parallèlement à l’implantation des couvents mendiants dans les faubourgs de la ville, la comtesse Marguerite de Flandre y fonda un monastère de Cisterciennes. Celui-ci — jouissant sans doute des mêmes bénéfices que les Mendiants — ne réussit pas à s’intégrer dans son environnement et ne subsista qu’environ vingt ans (1279-1295). Voir Mus, O., Trio, P., « L’implantation des ordres mendiants dans l’agglomération yproise durant le xiiie siècle », dans Les Moines dans la ville, op. cit., p. 182. Il est donc évident que la physionomie des couvents mendiants n’était pas conditionnée uniquement par la structure des édifices, mais aussi par la spiritualité, l’activité et l’intégration urbaine des communautés.
154 Dans l’étude architecturale des complexes de la région étudiée, nous nous référons systématiquement (le cas échéant) aux affinités avec les ensembles monastiques traditionnels. Ainsi, nous n’examinerons pas les points communs entre édifices claustraux traditionnels et mendiants : le sujet est abordé dans maintes études sur l’architecture mendiante et plus particulièrement (de manière plutôt généralisante) dans Schenklhun, W., Architektur der Bettelorden..., op. cit., p. 231-237.
155 La dissociation entre lieu de travail et lieu d’habitation s’est opérée lentement et concernait initialement les groupes sociaux privilégiés. Voir Roux, S. et Piponnier, F., « Distribution et fonction des maisons », dans Esquieu, Y., Pesez, J.-M. (dir.), Cent Maisons médiévales en France..., op. cit., p. 92. Les maisons de type élémentaire comportaient un espace d’usage professionnel au rez-de-chaussée, surmonté des lieux d’habitation à l’étage. Voir Esquieu, Y., « L’éclairage », dans id., ibid., p. 99.
156 Les informations sur les bâtiments subsidiaires de l’habitat privé sont rares ; toutefois certaines indications fournies par les archives attestent de leur présence en milieu urbain. Voir Roux, S. et Piponnier, F., « Distribution et fonction des maisons », dans Esquieu, Y., et Pesez, J.-M. (dir.), Cent Maisons médiévales en France..., op. cit., p. 90.
157 Beaumont-Maillé, L., Le Grand Couvent..., op. cit., p. 338-358.
158 Voir Bailly, G.-H., Laurent, Ph., La France des halles et marchés, Toulouse, 1998, p. 110, 112, 114.
159 Nous pourrions aussi penser, mais de manière tout à fait conjecturale, qu’en appliquant ces principes d’organisation spatiale à un lieu expressément destiné à la « restauration » par la nourriture, les religieux établissaient peut-être un lien supplémentaire avec les halles, destinées principalement à la vente de produits alimentaires.
160 Voir Bailly, G.-H., Laurent, Ph., La France des halles..., op. cit., p. 114.
161 La fondatrice de la halle de Fère-en-Tardenois, Anne de Montmorency, a fait ceindre l’édifice de colonnes maçonnées. Celles-ci, cylindriques et baguées, annoncent déjà la Renaissance. Voir id., ibid. Toutefois, les éléments maçonnés sur le pourtour de la halle constituent une affinité supplémentaire avec le réfectoire parisien, renfermé par les murs.
162 Arnaud, A. F., Voyage archéologique et pittoresque..., op. cit., p. 111.
163 A.D. Vosges, XXII H 9, Cordeliers de Neufchâteau. Procès, suppliques et requêtes, 1472-1741.
164 Rappelons l’admiration de François de Gonzague (au xvie siècle) pour l’école des Franciscains parisiens. Celle-ci, malgré ses dimensions considérables, était dépourvue de colonnes médianes : elle était donc particulièrement agréable et fonctionnelle.
165 Citons, à titre d’exemple, la salle de Bretagne aménagée dans le couvent des Franciscains caennais au xve siècle afin d’accueillir les réunions de l’université voisine. Huet, P. D., Les Origines de la ville de Caen revues..., op. cit., p. 267.
166 Évoquons le cas du couvent des Carmes valenciennois : les salles des réunions de confréries abritées dans le cloître étaient desservies par des portes donnant directement sur la voie, dispositif inusité pour les couvents mendiants.
167 Voir Duval, D., « Étude de deux charpentes du xvie siècle au palais de justice de Rouen. 2. La charpente de la salle des procureurs », B.S.A.M.R., oct. 1998-sept. 1999, p. 65-69.
168 Voir Depaule, J.-Ch., « L’anthropologie de l’espace », dans Castex, J., Cohen, J.-L., Depaule, J.-Ch., Histoire urbaine, anthropologie de l’espace, op. cit., p. 34.
169 À propos des incidences de l’organisation spatiale sur l’action qui s’y déroule et des conséquences de ce fonctionnement sur les rapports entre les participants et le bâtiment qui les accueille, voir Ostrowetsky, S., « La puissance des dispositifs spatiaux », dans Pellegrino, P. (dir.), Figures architecturales. Formes urbaines. Actes du Congrès de Genève de l’Association internationale de la sémiotique de l’espace (Genève, 1991), Genève, 1994, p. 292-293.
170 Nous pouvons appeler fonctionnelle une architecture déterminée par son environnement « physique » et monumentale celle qui est déterminée par son milieu de symboles. Voir Norberg-Schulz, Ch., Système logique de l’architecture, op. cit., p. 256.
171 Il convient de souligner que dans l’imaginaire médiéval le « symbole » coïncidait souvent avec le « signe ». D’après Hugues de Saint-Victor : symbolum est collatio formarum visibilium ad invisibilium demonstrationem. Voir Commentar. in Hierarchiam Coelestam S. Dionysii Areopagitae 2, P.L. 175, 941B, cité par Ladner, G., Images and ideas in the Middle Ages, Rome, 1983, p. 241.
172 En effet, la brique était employée pour les cloîtres de manière isolée, et notamment dans les couvents implantés dans des villes entourées de tuileries florissantes. Un exemple de cloître construit de manière particulièrement fruste est fourni par le couvent franciscain de Paris. Il importe cependant de signaler que ce choix était surtout dû aux contingences défensives de la ville. En effet, lors des travaux de fortification entrepris en 1358, l’aile méridionale du cloître franciscain, jadis adossée à la muraille, fut abattue et remplacée par une construction légère de bois et de chaume. La reconstruction en pierre de cette aile a pû être entreprise seulement au xvie siècle. Voir Beaumont-Maillé, L., Le Grand Couvent..., op. cit., p. 317-318.
173 Les bâtiments domestiques étaient majoritairement en bois, car ce matériau avait l’avantage supplémentaire de permettre à la commune « l’abattis de maison en cas de manquement grave de la part d’un habitant ». Certes, à partir du xve siècle, est constatée une rationalisation des techniques et une régularisation de la construction. Voir Saint Jean Vitus, B., Seiller, M., « La construction de bois », dans Esquieu, Y., et Pesez, J.-M. (dir.), Cent Maisons médiévales en France..., op. cit., p. 84.
174 Il importe de signaler que dans les régions bénéficiant d’une concentration importante de carrières, des nombreuses habitations urbaines étaient en pierre, notamment à partir du xve siècle : dans notre région c’était le cas à Caen. Voir Désert, G. (dir.), Histoire de Caen, op. cit., p. 58-59.
175 Bernardi, Ph., « La construction en pierre », dans Esquieu, Y., et Pesez, J.-M. (dir.), Cent Maisons médiévales en France..., op. cit., p. 58.
176 Notons que la lumière naturelle, en tant que facteur architectural, peut avoir sur l’espace des incidences formelles par son intensité, par la distribution des zones claires et sombres, des réflexions et des transparences. Voir Norberg-Schulz, Ch., Système logique de l’architecture, op. cit., p. 112-113.
177 En effet, seules quelques maisons luxueuses étaient pourvues d’un éclairage naturel abondant, car le nombre des baies constituait un élément d’ostentation. Il convient aussi de signaler que la limitation des fenêtres offrait une protection tant du froid que de la chaleur. Au sujet de l’éclairage naturel des maisons médiévales, voir Esquieu, Y., « L’éclairage », dans Esquieu, Y., et Pesez, J.-M. (dir.), Cent Maisons médiévales en France..., op. cit., p. 98-99.
178 Alexandre-Bidon, D., « L’eau et l’hygiène », dans Esquieu, Y., et Pesez, J.-M. (dir.), Cent Maisons médiévales en France..., op. cit., p. 121.
179 Voir Lampen, P. W., « De S.P. Francisci cultu angelorum et sanctorum », A.F.H., 1927, p. 7-10.
180 Rappelons que le réfectoire du couvent abrita les assemblées générales des maires et échevins de Troyes jusqu’en 1673, date de construction de l’hôtel de ville. De même, la bibliothèque au-dessus de la chapelle de la Passion, appelée aussi « salle de Conseil », était le siège des associations et assemblées populaires. Voir Longpré, P. E., « La chapelle de la Passion... », art. cité, p. 342.
181 Dès le xiie siècle, la culture classique inspira le discours symbolique chrétien. Dans la spiritualité mendiante plus particulièrement, Virgile était probablement un exemple de raison, de sagesse et de science : c’est sous ces traits du moins qu’il est représenté dans l’œuvre de Dante. Voir Martin, H., Mentalités médiévales..., op. cit., p. 180 et 187. De même, la philosophie classique était souvent considérée par les Mendiants comme une science auxilaire à la théologie. Cette appréciation est explicite dans un sermon de Jean de la Rochelle : De stellis philosophie dicitur, Iud. v., Stelle manentes in ordine suo pugnaverunt conre Sysaram. Sysara, exclusio, significat heresim. Stelle sunt doctores phisicis rationibus instructi, ut Dionysius et Hilarius, qui circuierunt omnes scolas Grecie, et Augustinus et alii qui pugnaverunt contra Sysaram, quoniam non tantum scripturarum auctoritatibus sed etiam phisicis rationibus hereses confutaverunt [...] notatur quod philosophie non sunt addiscende proprer se, sed propter sacram scripturam. B.N. Ms lat. 16477, f° 12V. Cité par d’Avray, D. L., The Preaching of the Friars..., op. cit., p. 116-118.
182 La présence d’ouvrages de l’antiquité classique n’était pas rare dans les bibliothèques mendiantes. Citons l’exemple révélateur du couvent dominicain de Langres : d’après le procès verbal révolutionnaire, sa bibliothèque contenait deux mille sept cent quatre-vingt-douze volumes en majorité « très vieux », traitant de « philosophie, théologie, écritures saintes, saints Pères, anciens sermoneurs et historiens grecs, latins et français ». Voir A.D. Haute-Marne, 1 Q 320, Extrait des minutes du Secrétariat de la Municipalité de Langres, 10 may 1790.
183 Voir à cet égard Serent, A. (de), « Jeanne d’Arc et l’ordre de saint François », R.H.F., 1931, 8, p. 272-279. Cette dévotion du fondateur de l’ordre était matérialisée à Saint-François d’Assise avec la consécration à saint Michel du bras sud du transept de l’église haute.
184 Cette association était également une subordination implicite de la chapelle à l’église principale qui demeurait toujours l’édifice majeur du complexe.
185 Le texte de ce mystère est conservé à la Bibliothèque Municipale de Troyes, ms. 2282.
186 Cette interprétation sémantique du prédicatoire troyen est corroborée par l’exemple du couvent franciscain de Rive, à Genève. Une étude récente, fondée sur des documents d’archives conjointement aux résultats de fouilles, a démontré que les prédications se déroulaient dans une place à ciel ouvert jouxtant l’entrée occidentale de l’église. À l’initiative des religieux, cet espace fut pourvu d’un toit au xve siècle et forma ainsi la cour des prédications, annexée au couvent. Voir Terrier, J. et Plan, I., « Le couvent des Cordeliers de Rive. Une fouille de sauvetage programmée en ville de Genève », dans Comment construisait-on au Moyen-Âge ?, D.A., 2000, 251, p. 14-21.
187 Rappelons que le retable du Jugement dernier de Roger van der Weyden, peint entre 1443-1451 (avant la fondation de la chapelle) était installé à l’hospice de Beaune, non loin de Troyes ; il représente à l’intérieur le Jugement dernier, et à l’extérieur les donateurs, le chancelier Nicolas Rollin et son épouse. Voir Panofsky, E., Les Primitifs Flamands (Harvard, 1971), Paris, 1992, p. 477-484. Quant à la fresque troyenne : « Dans la partie supérieure on voyait le Christ revêtu d’un manteau de pourpre, assis sur un trône, les bras étendus. À sa gauche était une épée avec ces mots Ite Maledicti, et à sa droite une tige de lys avec ceux-ci Venite Justi [...] autour de lui étaient de groupes de chérubins et ses pieds posaient sur le globe du monde. Au dessous les sept anges de l’Apocalypse [...] sonnaient de la trompette. À la gauche du Christ [...] saint Michel tenant à la main la balance d’or [...] avec les âmes des élus. » Dans la partie inférieure de la fresque figuraient des personnages suppliants, dont certains étaient entraînés en enfer ; du côté des élus étaient représentés des religieux Franciscains ; plus bas, un groupe de neuf personnes agenouillées devant des prie-Dieu, accompagnés de leurs armoiries : il s’agissait vraisemblablement de la famille des donateurs. Pour la description détaillée de la fresque de la chapelle de la Passion, voir Arnaud, A. F., Voyage archéologique et pittoresque..., op. cit., p. 109.
188 En tout cas, la double affinité (fresque du Jugement dernier et tuiles vernissés) entre le couvent troyen et l’hospice de Beaune permet de supposer des contacts étroits entre la communauté et cet établissement caritatif. L’absence de sources conventuelles ne permet pas, pour encore une fois, d’explorer davantage cette hypothèse. Toutefois l’apport des artisans troyens aux chantiers prestigieux bourguignons était important à la fin du Moyen Âge. Voir à cet égard, Cassagnes-Brouquet, S., « Les artistes champenois à la cour des ducs de Bourgogne », dans Mémoire de Champagne. Actes du 2e mois médiéval, Langres, 2000, t. 1, p. 63-84.
189 Il convient de signaler à cet égard que tandis que les exemples de rues ou d’espaces urbains portant le nom des frères sont nombreux, il n’est pas certain que ces appellations remontent au Moyen Âge. Nous prendrons ainsi en considération seuls les cas étayés par des sources médiévales. Rappelons aussi que certaines rues, analogiquement aux Mendiants, empruntaient le nom des chanoines. Voir Leguay, J.-P., La Rue au Moyen Âge, op. cit., p. 92. Mais étant donnée la différence fondamentale entre l’insertion urbaine des religieux et l’occupation urbaine des chanoines, il est certain que le processus d’appellation était différent. Car les quartiers canoniaux, aux antipodes des couvents, constituaient « une entité à part dans la ville, avec sa population aux contours bien définis, ses réglementations visant à préserver le calme nécessaire à l’oraison et à exclure toute activité de type profane » (voir Esquieu, Y., « La cathédrale et son quartier : problèmes de topographie dans les cités méridionales », dans La cathédrale (xiie-xive siècle), op. cit., p. 17.) Il est donc évident que l’attribution aux rues du nom de « chanoines » évoquait l’autorité ecclésiastique (voir Leguay, J.-P., La Rue au Moyen Âge, op. cit., p. 92) et point la présence individuelle et dynamique des religieux, comme c’était sans doute le cas avec les Mendiants.
190 Voir Leguay, J.-P., La Rue au Moyen Âge, op. cit., p. 92.
191 Neveux, F., Bayeux et Lisieux..., op. cit., p. 95.
192 Delmare, B., Le Diocèse d’Arras de 1093 au milieu du xive siècle. Recherches sur la vie religieuse dans le nord de la France au Moyen Âge, Arras, 1994, p. 239.
193 Buon, O., « L’urbanisation de l’île Saint-Dominique à Lisieux au xiiie siècle », B.S.H.L., 1996, 35, p. 22. Il convient de signaler aussi que la physionomie des couvents a imprégné l’endroit de leur implantation, qui conservait souvent l’écho de la présence mendiante, même après la dissolution des communautés. Citons l’exemple de l’architecte François Verly qui, lors de ses projets d’embellissement de Lille à la fin du xviiie siècle, a voulu faire ériger : « Le théâtre du peuple, les bains et l’école de la Nation dans l’emplacement des dominicains de Lille pour l’utilité et l’instruction publique. » Voir Lussien-Maisonneuve, M.-J., « Utopie et urbanisme, la motte Madame lilloise au cœur des études de l’architecte François Verly en 1794 », dans Deregnaucourt , G. (dir.), Société et religion en France et aux Pays-Bas..., op. cit., p. 185-186. Ces monuments ne furent jamais réalisés, mais leur nature et leur fonction supposent que l’endroit projeté pour la construction était empreint de la mémoire du rôle social, culturel et communal des frères.
194 Rappelons que le modèle offre une structure bien mesurée tout en induisant la possibilité d’effectuer « des projections sur des projections », à savoir de reproduire comme pertinentes des parties d’espaces conçues pour une autre échelle ou un autre contexte ; et ceci sans subordination architecturale. Sur le fonctionnement du modèle spatial et, a fortiori, architectural, voir Pellegrino, P., « Sémiologie générale et sémiotique de l’espace », dans Pellegrino, P. (dir.), Figures architecturales. Formes urbaines, op. cit., p. 28-29.
195 Voir Branner, R., St. Louis and the Court Style in Gothic Architecture, Londres, 1965, p. 112-118 ; Bozzoni, C., « L’edilizia degli ordini mendicanti in Europa e nel bacino del Mediterraneo », dans Lo spazio dell’umiltà. Atti del convegno di studi sull’edilizia dell’ordine dei minori (Fara Sabina, 1982), Fara Sabina, 1984, p. 281 ; voir aussi Beaumont-Maillé, L., Le Grand Couvent..., op. cit., p. 250-251. Soulignons toutefois que les relations entre l’architecture des églises conventuelles et les Saintes Chapelles ne doivent pas occulter le poids exercé par la tradition des chapelles palatines.
196 L’abside de la Sainte-Chapelle comporte sept pans. Celle de l’église des Franciscains fut complètement reconstruite, avec la totalité de l’église, au xvie siècle. À cette époque, cinq chapelles rayonnantes furent greffées à l’abside qui, probablement, comportait originairement cinq pans. Voir Branner, R., Saint Louis and the Court..., op. cit., p. 117.
197 Parmi les nombreuses études consacrées aux Saintes-Chapelles, voir Billot, C., « Les Saintes-Chapelles (xiiie-xive siècle). Approche comparée de fondations dynastiques », dans R.H.E.F., 1987, 73, p. 229-248 ; Hacker-Sück, I., « La Sainte-Chapelle de Paris et les chapelles palatines du Moyen Âge en France », C.A., 1962, 13, p. 217-257 ; Leniaud, J.-M. et Perrot, F., La Sainte-Chapelle, Paris, 1991 ; Murray, S., « The Architectural Envelope of the Sainte-Chapelle, Form and meaning », dans Joubert, F., Sandron, D. (dir.), Pierre, lumière, couleur. Études d’histoire de l’art du Moyen Âge, op. cit., p. 223-230.
198 Nous ne prendrons pas en compte l’aménagement intérieur des édifices, car il ne concerne pas directement notre enquête précise. Rappelons cependant que la Sainte-Chapelle, pour des raisons de fonctionnement hiérarchique, comportait deux étages (la chapelle basse servait d’église paroissiale du palais, tandis que l’église haute était réservée aux chanoines et aux hôtes royaux d’honneur), ce qui n’était pas le cas du chœur franciscain.
199 Certes les chœurs mendiants ne présentaient pas toujours cette élongation dès la fondation des couvents. Mais, systématiquement, l’augmentation des effectifs communautaires a imposé un agrandissement en longueur du chœur dès le xiiie siècle.
200 L’Archéologie de Beauvais..., op. cit., p. 49-50.
201 Roserot, A., Dictionnaire historique de la Champagne..., op. cit., p. 1632.
202 Rohault de Fleury, G., Gallia Dominicana..., op. cit., t. 1, Compiègne, (Assomption), s.p.
203 Voir Grodecki, L., L’Architecture gothique, op. cit., p. 83-85.
204 Id., ibid., p. 85.
205 Id., ibid., p. 83.
206 Id., ibid.
207 Par ailleurs, l’appellation « trésor » était parfois conférée aux espaces contenant les ornements précieux des couvents. Citons l’exemple du « trésor » des Dominicaines messines.
208 A.D. Seine-Maritime, 29 HP 4, Augustins de Rouen, Fondation de messes, xve-xvie siècle.
209 Citons l’exemple des Dominicains parisiens qui, à la suite de la construction de leur église vers 1230, transformèrent leur oratoire initial en sacristie. Voir M.P., A.M.H., Paris, Ancienne église des Jacobins, n° 2161. De même, les Carmes caennais ont annexé à l’abside de la nef méridionale leur chapelle primitive, Sainte-Anne, qui reçut l’appellation « petit-chœur ». Voir Musset, L., « L’église et le couvent des Carmes... », art. cité, p. 182. Voir aussi Meersseman, G., « L’architecture dominicaine au xiiie siècle... », art. cité, p. 159.
210 Nous rapportons ici l’historique du couvent exposé par Beaumont-Maillé, L., Le Grand Couvent..., op. cit., notamment p. 11-19.
211 Les opinions sur ce sujet sont divergeantes : A. Berty et L.-M. Tisserand, dans Topographie historique du vieux Paris (Paris, 1887, p. 342), affirment que la chapelle primitive des Franciscains parisiens fut reconvertie en sacristie. L. Beaumont-Maillet, dans Le Grand couvent des Cordeliers de Paris (op. cit., p. 251), considère que les frères ne disposaient pas d’église avant la construction de celle-ci par Louis IX. L’auteur corrobore cette hypothèse par le fait que François de Gonzague ne fait pas mention d’une éventuelle réhabilitation de l’église primitive et attribue la construction de la sacristie à Louis IX. Nous considérons que Gonzague n’a fait aucune mention sur les origines de la sacristie probablement pour magnifier la faveur de Louis IX, particulièrement respecté par les Mendiants (ceux-ci faisaient souvent représenter l’effigie royale sur les sceaux conventuels. Ce fut le cas des Franciscains de Bernay et le Dominicains ébroïciens). Par ailleurs il nous paraît guère vraisemblable que les frères parisiens, qui abritaient le studium generale dans leur demeure dès avant 1240, ont négligé l’aménagement d’une chapelle, fut-elle modeste, pendant dix ans après la permission de disposer d’un autel fixe.
212 Ce n’est sans doute pas un hasard que, parmi les souverains de l’époque, les biographes de François d’Assise mentionnent uniquement Blanche de Castille et Louis IX. En effet, le fondateur de l’ordre appréciait leur ferveur eucharistique et leur piété. Voir Le Goff, J., Saint François d’Assise, op. cit., p. 118.
213 Billot, C., Les Saintes-Chapelles royales et princières, Paris, 1998, p. 12. Au sujet de l’assimilation du Christ au roi par François d’Assise lui-même, voir Le Goff, J., Saint François d’Assise, op. cit. , p. 117-118. L’attachement de Louis IX à l’association de la personne du roi au Christ fut probablement à l’origine de la verrière ornée des armes de France et de Castille qu’il fit installer à la baie absidiale de l’église des Franciscains sagiens. Selon les principes franciscains, cet emplacement privilégié était réservé prioritairement aux représentations du Christ.
214 Voir Franklin, A., Les Anciennes bibliothèques de Paris, églises, monastères, collèges, etc., Paris, 1867-1873, p. 214-217.
215 Le reste des ouvrages fut partagé entre les Dominicains parisiens et compiégnois et les cisterciens de Royaumont. Voir, Franklin, A., Les Anciennes bibliothèques de Paris..., op. cit., p.217.
216 Voir Fischer, F. W., Timmens, J. J. M., Le Gothique tardif, Paris, 1976, (trad. française de l’éd. allemande de 1971), p. 35 et 69.
217 Id., ibid., p. 71.
218 Citons, à titre d’exemple, les cas représentatifs des Dominicains de Valenciennes et des Augustins de Rouen.
219 L’exemple de l’Angleterre est évoqué par Fischer, F. W. et Timmens, J. J. M. (Le Gothique tardif op. cit., p. 334-35). Un exemple méridional (Saint-Michel de Limoges, 1364) et un autre de l’Île-de-France (Saint-Etienne-du-Mont à Paris, 1492), sont cités de manière succincte par Plagnieux, Ph., « Nouvelles expressions de la spiritualité », L.M.B., 1999, 121, p. 70.
220 Ces aquarelles ont été minutieusement étudiées par Thiébaut, J., « Les églises médiévales du Hainaut d’après les gouaches des albums de Croÿ », R.N., 1997, 322, p. 821-825. Ainsi, la majorité des exemples que nous présenterons sont cités dans cette étude.
221 Il importe de signaler que l’adoption de ce type de construction était motivée par la simplicité du parti architectural qui s’accommodait parfaitement avec l’emploi du matériau local, la brique. De même, ces édifices légers ne nécessitaient pas de fondations profondes, procédé malaisé dans des sols détrempés. Voir Delacroix-Vandalle, C., Laget, P.-L. (et al.), Flandre, entre Yser et canal de Furnes, op. cit., p. 10.
222 Id., ibid., p. 10-11.
223 Voir Thiébaut, J., « Les églises médiévales du Hainaut d’après les gouaches des albums de Croÿ », art, cité, p. 822.
224 Id., ibid., p. 823.
225 Nous avons puisé les exemples que nous citons dans Beau, M., Essai sur l’architecture religieuse de la Champagne méridionale auboise hors Troyes, Troyes, 1991.
226 Id., ibid., p. 96.
227 Id., ibid., p. 110.
228 Pour les églises paroissiales, l’interprétation des chapelles de ce type comme un dérivé des transepts doublés (voir Beau, M., Essai sur l’architecture religieuse de la Champagne méridionale auboise hors Troyes, op. cit., p. 204-205) paraît peu probable en raison de la spécificité architecturale et liturgique du transept. Par ailleurs, étant donné que les chapelles latérales mendiantes de cette configuration étaient fréquentes, il semble plus naturel que celles-ci aient inspiré directement les églises paroissiales en question.
229 Voir Beau, M., Essai sur l’architecture religieuse de la Champagne méridionale auboise hors Troyes, op. cit., p. 96.
230 Collet, C., Leroux, P., Marin, J. -Y., Caen cité médiévale..., op. cit., p. 146-147.
231 Musset, L., « L’église et le couvent des Carmes... », art. cité, p. 181.
232 Voir Désert, G. (dir), Histoire de Caen, Toulouse, 1981, p. 112.
233 Voir Vaultier, F., Histoire de la ville de Caen et de ses monuments, depuis son origine jusqu’à nos jours, contenant la description de ses monuments et l’analyse critique de tous les travaux antérieurs, Caen, 1843, p. 81.
234 Voir Collet, C., Leroux, P., Marin, J-Y., Caen cité médiévale..., op. cit., p. 146-147.
235 Voir Désert, G. (dir), Histoire de Caen, op. cit., p. 113.
236 Voir Roux, S. et Piponnier, F., « Distribution et fonctions des maisons », dans Esquieu, Y., et Pesez, J.-M. (dir.), Cent Maisons médiévales en France..., op. cit., p. 89.
237 Voir Delacroix-Vandalle, C., Laget, P.-L. (et al), Flandre, entre Yser et canal de Furnes..., op. cit., p. 40.
238 Voir Esquieu, Y., et Pesez, J.-M. (dir.), Cent Maisons médiévales en France..., op. cit., n° 79, p. 394.
239 Certes, toutes les façades des églises mendiantes et leurs ailes mitoyennes n’étaient pas en bordure de rues. Mais les fidèles qui fréquentaient les couvents y accédaient forcément par la façade qui comportait le portail principal : ils étaient donc familiarisés à l’association d’un pignon avec un corps de logis perpendiculaire.
240 Voir Fray, F., « Espaces de circulation », dans Cent Maisons médiévales en France..., op. cit., p. 94.
241 À cet égard, un document d’archives du xve siècle est révélateur. Il s’agit de l’évaluation par des maçons et charpentiers (jurés en la ville de Paris) des réparations nécessaires pour une maison de la rue Pavée. Ces spécialistes ont préconisé, entre autres : « Item fault reffaire les montées desdits corps d’ostel et édiffices pour ce qu’elles sont de nulle valeur, ou faire au lieu d’icelles une viz là où il sera advisé pour le mieux pour l’amélioration dudit hostel. » Voir Esquieu, Y., et Pesez, J.-M. (dir.), Cent Maisons médiévales en France, op. cit., n° 76, p. 383-385.
242 Id., ibid
243 Citons, à titre d’exemple, les deux tours d’angle du cloître des Dominicains rémois qui contenaient vraisemblablement des escaliers à vis et celui abrité dans la tourelle greffée à la façade du second réfectoire des Franciscains parisiens (fig. 18). De même, la tourelle construite à l’interface du cloître de la Chapelle de la Passion des Franciscains troyens contenait un escalier à vis (fig. 59).
244 Comme sur la façade de l’église des Carmes caennais (fig. 12).
245 C’était le cas dans le couvent des Franciscains de Meaux où, d’après les archives conventuelles, une coursière conduisait aux cabinets d’aisance adossés à l’étage du noviciat. Voir A.D. Seine-et-Marne, H 213, Couvent des Cordeliers de Meaux. Actes capitulaires des religieux. Notes historiques sur le couvent et ses religieux, sur les chapitres provinciaux tenus à Meaux, etc., 1666-1790.
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