Introduction
p. 7-11
Texte intégral
1Événement majeur de l’histoire ecclésiastique du xiiie siècle, l’apparition des ordres mendiants à partir des années 1215-1220 a aussitôt marqué le paysage religieux de l’époque1. À l’origine de ce mouvement se situent les Franciscains et les Dominicains sous la houlette, respectivement, de saint François2 et de saint Dominique3. Les deux premières communautés ont rapidement essaimé et ont influencé de manière radicale l’ensemble de la société de leur temps4. Tant les représentants de l’Église officielle5 que les simples fidèles6 ont été sensibles à la différence de l’expérience spirituelle proposée par les nouveaux ordres. Ceux-ci, installés parmi les fidèles sans mener une vie mondaine, célébrant les offices divins sans demeurer cloîtrés, associant le respect de la règle à l’exercice de la prédication dans l’esprit apostolique, appliquaient et véhiculaient un modèle de vie morale et spirituelle à la fois admirable et accessible7.
2L’étude de la présence édilitaire8 mendiante dans le paysage monumental de la fin du Moyen Âge ne saurait donc se limiter à l’exposition et à l’analyse – aussi détaillées soient-elles – des particularités structurelles et esthétiques des complexes conventuels. L’évaluation des édifices n’a de pertinence que si elle est associée à l’étude des multiples activités des religieux tant dans le cadre de la vie communautaire que dans le contexte des relations et des échanges avec le milieu urbain. Car l’environnement des couvents avait bien évidemment des incidences directes sur leur aménagement et, inversement, l’organisation et le fonctionnement des complexes influaient indirectement et à long terme sur le faciès urbain.
3Ce contexte nous amène à explorer et à évaluer les différentes étapes de la matérialisation et de la configuration architecturale des établissements mendiants en France septentrionale et dans les anciens Pays-Bas méridionaux (fig. 1), tout en mettant en exergue l’impact de l’organisation et de l’évolution des enclos conventuels sur le paysage urbain de la fin du Moyen Âge, période décisive, portant en germe la genèse des villes modernes. Il importe alors d’examiner – au travers d’une étude de cas – dans quelle mesure et par quels processus les couvents mendiants ont contribué à cette mutation du point de vue tant tectonique et structurel qu’esthétique et topographique.
4Compte tenu des variations des limites provinciales entre les différents ordres, des redéfinitions territoriales des provinces religieuses9 mais aussi des détachements de certains couvents d’une province à une autre10, le quadrillage administratif religieux ne se prêtait pas à la constitution d’un cadre d’étude opératoire. Ainsi la région choisie pour cette enquête s’inscrit dans la résultante d’une cohérence géographique privilégiant plutôt d’importantes analogies politiques et économiques (fig. 2) et une homogénéité spirituelle et sociale. Ceci concerne la Flandre médiévale au même titre que la France septentrionale. En effet, malgré l’hostilité entre la royauté française et les comtés flamands à partir de 1290 et en dépit des fluctuations linguistiques régionales, les villes des Pays-Bas méridionaux présentaient au Moyen Âge les mêmes traits distinctifs que les villes du nord de la France11.
5Quant au cadre chronologique de la recherche, en se tenant strictement aux événements historico-religieux des ordres, il atteindrait le premier quart du xvie siècle. Car pour les Franciscains, la bulle Ite vos de Léon X en 1517 ne s’avéra guère une bulla unionis mais une bulla separationis qui officialisa l’existence de deux communautés séparées, les conventuels et les observants12. Dans le cadre dominicain, la première décennie du xvie siècle fut marquée par la consolidation de la réforme, concrétisée et véhiculée dans la région que nous étudions par la congrégation de Hollande13. Mais l’application de ce terme chronologique à notre étude serait artificielle : la réforme des ordres n’a point entraîné une altération automatique de l’architecture conventuelle déjà existante. En effet, l’abandon progressif du vocabulaire constructif médiéval et l’adhésion à celui de la renaissance survinrent seulement vers la fin du xvie siècle, lors de la reconstruction des complexes à la suite des dégâts occasionnés par les guerres de Religion. Ce critère a donc été adopté pour fixer le terminus ad quem de notre étude.
6Cette recherche ne pourrait être exhaustive, et a fortiori représentative, si elle n’incluait pas les quatre principaux ordres mendiants : Dominicains14, Franciscains15, Augustins16 et Carmes17. En raison de leur courte existence, les ordres mendiants mineurs18 (supprimés au lendemain du concile de Lyon II en 127419) ne correspondent point à notre recherche qui embrasse les quatre derniers siècles du Moyen Âge. Par ailleurs, nous étudierons aussi bien les couvents de la branche masculine20 et féminine des ordres21. La branche féminine est en effet relativement négligée dans les ouvrages consacrés aux Mendiants, alors que le processus de fondation, la configuration architecturale, le fonctionnement et la spiritualité dominante inscrivent (mutatis mutandis22) les couvents des sœurs dans le même contexte édilitaire et religieux que les établissements des frères23.
7Ainsi sont systématiquement étudiés et analysés les traits majeurs qui se dégagent de la vue de l’ensemble des couvents de la région que nous étudions. Certes, la documentation des complexes mendiants demeure fluctuante : certains ensembles conventuels tels les parisiens ont bénéficié de nombreuses études tandis que pour d’autres les renseignements ont dû être puisés quasi exclusivement dans les fonds d’archives.
8L’approche documentaire « personnalisée » pour chaque couvent offre une richesse et un relief supplémentaires à l’ensemble. Aussi sont pris en considération de manière exhaustive tous les couvents sans se limiter aux plus grands ou aux plus importants d’entre eux. Sont explorés avec le même intérêt tant les édifices cultuels que les bâtiments conventuels mendiants. En effet, ces derniers méritent de faire l’objet d’une étude systématique et détaillée, car ils constituent une composante fondamentale des complexes, au même titre que l’église. Ils étaient certes, dans une certaine mesure, dépourvus de sacralité, mais en accueillant l’essentiel de la vie communautaire quotidienne, ils en étaient structurellement façonnés et fonctionnellement empreints. Ils devaient donc faire l’objet d’une analyse complète qui peut éclairer de manière décisive la quintessence des complexes mendiants.
9Ces derniers répondaient à des prescriptions précises concernant aussi bien la configuration que l’organisation et l’occupation des différents espaces. Il était donc indispensable d’explorer la réglementation édilitaire de tous les ordres, relative aux couvents tant masculins que féminins. De même, au travers de quelques exemples caractéristiques, est examiné le rapport entre les édifices et certains ouvrages médiévaux de spiritualité mendiante.
10L’étude des couvents eux-mêmes ne consiste pas en une approche purement historique. Les faits relatifs au contexte de fondation et à la trajectoire de chaque établissement sont évoqués dans la mesure où ils en ont conditionné un tant soit peu l’architecture. En revanche l’examen de celle-ci est complet et diachronique. Un intérêt égal est accordé aux responsables des chantiers et à la main-d’œuvre. De même les matériaux de construction et leur mise en œuvre sont examinés de manière détaillée. Loin de constituer un exposé statique, cette approche permet d’évaluer le degré et les processus d’intégration des complexes dans le contexte monumental de leur région.
11Les composantes des couvents sont analysées des points de vue structurel, formel, esthétique, fonctionnel et religieux. Sur ce dernier point, l’examen des différents dispositifs et aménagements dévotionnels et liturgiques révèle le rôle des édifices mendiants en tant que véhicules de la spiritualité propre aux ordres. Celle-ci ne pourrait pas être évaluée dans ses véritables dimensions sans l’étude des principes qui géraient l’organisation des bâtiments dans le terrain conventuel ainsi que la disposition et, a fortiori, l’insertion active de celui-ci dans le parcellaire urbain. Aussi est mis en exergue l’impact réel de l’implantation mendiante sur la topographie et le caractère des villes tant du point de vue de la physionomie que du tissu urbains.
12Mais l’ensemble de ces paramètres qui permettent de cerner le caractère pluriel des établissements mendiants ne saurait être complet sans la prise en compte des hommes qui les ont habités et animés. À cet égard, une approche sémiotique des complexes s’impose. Nous ne pouvons en effet guère évaluer les édifices et les véritables incidences de leur présence dans les villes de la fin du Moyen Âge sans nous pencher sur leur signification en tant que vecteurs concrets du système des valeurs spirituelles et sociales des ordres.
Notes de bas de page
1 Pour la naissance, l’évolution et l’action des ordres mendiants, voir Vauchez, A., « Les ordres mendiants et la reconquête religieuse de la société urbaine », dans vauchez, A. (dir.), Histoire du christianisme des origines à nos jours, t. 5, Apogée de la papauté et expansion de la chrétienté (1054-1274), Paris, 1993, p. 767-793.
2 Outre les textes hagiographiques qui lui sont consacrés, les témoignages de son époque sur saint François ont été réunis par Lemmens, L. (éd.), Testimonia minora saeculi XIII de sancto Francisco, Quaracchi, 1926.
3 Pour la biographie historique de saint Dominique, voir Vicaire, M. H., Histoire de saint Dominique, Paris, 1982 (2e éd.). Pour l’interpréation de l’œuvre du saint, voir Bedouelle, G., Dominique ou la Grâce de la parole, Paris, 1982.
4 Parmi les nombreuses recrues des Mendiants, il y eut des femmes, dont, en 1212, la jeune noble assisiate Claire, fondatrice de l’ordre des « Pauvres recluses de Saint-Damien » appelées plus tard Clarisses, à savoir la branche féminine de l’ordre franciscain. Voir Bartoli, M., Chiara d’Assisi, Rome, 1989 et Vorreux, D. (éd.), Sainte Claire d’Assise. Documents, Paris, 1983.
5 Citons l’appréciation, vers 1230, de Jacques de Vitry, évêque de Saint-Jean d’Acre et grande figure du mouvement réformateur de l’Église officielle : « Trois formes de vie religieuse existaient déjà : les ermites, les moines et les chanoines (réguliers). Le Seigneur voulut assurer en carré la solidité de cette fondation. Aussi ajouta-t-il, en ces temps qui sont les derniers, une quatrième institution, la beauté d’un nouvel ordre, la sainteté d’une nouvelle règle ». Voir Jacques de Vitry, Historia Orientalis, Golubovich G. (éd.), Biblioteca bibliographica della Terra Santa, t. 1, Quaracchi, 1906, p. 8.
6 En effet, les contemporains des Mendiants furent tout de suite frappés par le fait que les frères subsistaient au moyen de la quête et non par la perception de revenus relevant du système féodal en vigueur.
7 Au sujet de la sainteté des Mendiants, voir Vauchez, A., La Sainteté en Occident aux derniers siècles du Moyen Âge d’après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Rome, 1988, p. 388-410.
8 Le mot latin aedilis, à savoir celui qui appartenait au temple (aedis), désignait le haut dignitaire qui, entre autres, était chargé du contrôle des édifices publics et privés. L’adjectif « édilitaire » désigne donc celui qui a un rapport étroit avec l’ensemble des composantes et caractéristiques des édifices.
9 Bragard, R., Les Provinces religieuses des ordres mendiants dans la principauté de Liège, Liège, 1954. Certes, il ne s’agit pas de la région que nous envisageons, mais les fluctuations provinciales qui sont présentées ainsi que leurs répercussions sur l’administration religieuse sont à tout égard caractéristiques.
10 Notons que ces transferts dia-provinciaux étaient parfois entrepris afin de servir à des aspirations politiques. Ainsi, la procédure orchestrée depuis 1256-1257 par la comtesse Marguerite de Flandre en vue d’annexer à la province de France les couvents dominicains de Bruges et de Gand était motivée par la volonté de soustraire ces établissements à la province de Teutonie et par conséquent de les détacher de l’emprise allemande. Voir in extenso Meersseman, G., « Les débuts des frères Prêcheurs dans le comté de Flandre », A.F.P., 1947, 17, p. 29-40.
11 Voir Van Werevke, H., « Les villes belges. Histoire des institutions économiques et sociales », dans La Ville. Institutions économiques et sociales. Recueils de la Société Jean Bodin pour l’histoire comparative des institutions, Paris, 1983, p. 551-576.
12 Le contexte de cette scission est exposé dans Moorman, J. H. R., A History of the Franciscan Order from its Origins to the Year 1517, Oxford, 1968, p. 584-585.
13 de Meyer, A., La Congrégation de Hollande ou la réforme dominicaine en territoire bourguignon, 1465-1515, Liège, s. d.
14 Pour l’histoire et l’activité des Dominicains dans le sud de la France, voir L’ordre des Prêcheurs et son histoire en France méridionale, Toulouse, 2001, (C. de F., 36).
15 Les débuts de l’ordre franciscain sont étudiés dans Gratien de Paris, Histoire de la fondation et de l’évolution des Frères Mineurs au xiiie siècle, Paris, 1928. Voir aussi Moorman, J. H. R., A History of the Franciscan Order..., op. cit.
16 Les Augustins (ermites de saint Augustin) furent formés par la réunion de divers groupes érémitiques en 1243 et en 1256.
17 Les frères de la Bienheureuse Marie du Mont Carmel furent reconnus en 1247.
18 Il s’agissait notamment des frères du Sac (ou Sachets) et des frères Pies. Voir de Fontette, M., « Les Mendiants supprimés au IIe concile de Lyon (1274). Frères Sachets et Frères Pies », dans Les Mendiants en pays d’Oc au xiiiesiècle, Toulouse, 1973, p. 193-216, (C de F. 8)
19 En effet la « marge » mendiante, peu importante, mal implantée et de faible impact a été supprimée au profit des quatre ordres principaux. Citons à ce sujet Le Goff, J., « Le dossier des mendiants », et de Fontette, M., « Religionum diversitatem et la suppression des ordres mendiants », dans 1274. Année charnière. Mutations et continuités. Actes du Colloque international n° 558 du CNRS, (Lyon-Paris, 1974), Paris, 1977, respectivement p. 211-222 et 223-229.
20 Précisons toutefois que, pour l’ordre franciscain, les couvents construits par les frères de l’Observance ne seront par examinés, car tributaires a priori des principes d’éloignement des centres urbains, de la restriction du temps des études et du retour imposé à la pauvreté originelle de la première communauté franciscaine. Certes, ces tendances ont été ensuite atténuées mais, s’étant dissociés de l’évolution générale de l’ordre, les établissements observants n’en constituent point des exemples représentatifs. Sur ces sujets, voir Le Goff, J., « Ordres mendiants et urbanisation dans la France médiévale. État de l’enquête », A.E.S.C., 1970, 4, p. 942-943 et Moorman, J. H. R., A History of the Franciscan Order..., op. cit., p. 506.
21 Les couvents des religieuses ayant suivi la règle d’Isabelle, sœur de Louis IX, ou celle d’Urbain IV furent écartés, car ils ne se sont point substitués aux établissements des Pauvres Claires, placés sous la stricte observance primitive, mais ont créé un système conventuel parallèle, souvent critiqué par les contemporains comme laxiste et par trop luxueux. À propos de ces établissements, voir Ancelet-Hustache, J., Les Clarisses, Paris, 1929, p. 55-60. Par ailleurs, l’opulence et le relâchement de conduite dans certains couvents des Riches Claires, notamment celui de Ferrare, furent ouvertement critiqués par Salimbene de Adam. Voir Salimbene de Adam Cronica, éd. G. Scalia, Bari, 1966, vol. 2, p. 578-580 et 648.
22 Notons que le statut même de la femme dans la société du xiiie siècle imposa des aménagements de la règle des Franciscains et des Dominicains afin de les adapter à la vie des religieuses qui excluait la prédication et la mobilité de l’apostolat.
23 Les limitations imposées à la recherche par la quasi exclusivité accordée aux branches masculines s’est fait également ressentir dans le cadre des études cisterciennes. Là, le courant de la gender history s’attache à pallier cette carence. Un exemple caractéristique en est offert par l’ouvrage de Barrière, B., Henneau, M.-E. (dir.), Cîteaux et les femmes, Grâne, 2000.
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