Chapitre 5. Les silex du Magdalénien de Peyrazet : approche « pétro-techno-typo-fonctionnelle »
p. 61-86
Texte intégral
1Les vestiges en silex du Magdalénien ont été étudiés en intégrant dans une démarche commune les analyses pétro-archéologiques (P. C.), techno-typologiques (M.L.) et fonctionnelles (J.J.). Nous avons donc pris le parti de privilégier une telle approche sous une forme synthétique plutôt que sous trois chapitres autonomes qui eussent sans doute été plus détaillés. Ce triple regard permet d’appréhender de manière intégrée la mobilité des matériaux, les comportements techniques des chasseurs-collecteurs et les activités ayant impliqué des outillages en silex.
2Après la caractérisation des principaux types de silex introduits à Peyrazet, les données techno-économiques seront présentées par type pétrographique. Suivra ensuite une description détaillée de la gestion des outillages et des registres fonctionnels identifiés ainsi qu’une présentation des microlithes. Enfin, nous proposerons une synthèse de cette approche croisée.
Corpus et méthode d’étude
3L’étude « pétro-techno-typologique » des quelques silex provenant de la couche 5 et du mobilier provenant de la couche 4 montre une grande homogénéité et, pour cette raison, l’ensemble a été étudié comme un seul tenant. Les esquilles (< 5 mm, n = 8 625), observées partiellement pour l’analyse pétrographique et non étudiées du point de vue fonctionnel, ont été écartées de cette étude. Le corpus analysé se compose ainsi de 4 685 objets (couche 4 : n = 4 525 et couche 5 : n = 160) parmi lesquels se distinguent différents types de supports (tabl. 7).
4L’ensemble des objets pris en compte a été décrit et analysé à l’œil nu et à la loupe binoculaire pour la caractérisation pétroarchéologique. La diagnose des types et de leurs provenances géographiques s’est appuyée, notamment, sur une comparaison avec des échantillons de la lithothèque du laboratoire TRACES (Université Toulouse-Jean Jaurès). L’étude techno-typologique a été menée par type de silex, suivant les principes méthodologiques désormais classiques pour les approches de technologie lithique culturelle (Tixier 1978, Collectif 1980, Tixier et al. 1980, Pigeot 1987, 1991, Pelegrin 1995, Valentin 1995). L’étude fonctionnelle a elle aussi été menée par type déterminé de silex, sur un échantillon de 948 pièces (soit 26,7 % de l’ensemble déterminé du point de vue pétrographique). Elle a porté sur 304 éléments en Sénonien « gris-noir » (27,7 %), 196 en silex tertiaires lato sensu (28 %), 167 restes en Bajocien (20,4 %), 163 vestiges en Sénonien blond (58,8 %), 85 coniaco-santoniens de type « grain de mil » (59,6 %) et 33 jaspéroïdes (6,4 %). Elle a concerné à la fois des produits bruts et retouchés (voir tabl. infra), les armatures n’ayant bénéficié que d’un examen des types de fracture à la loupe binoculaire (M.L.). L’étude fonctionnelle a été menée à faibles et forts grossissements optiques selon les protocoles méthodologiques définis par S. A. Semenov (1964) et L. Keeley (1980) et utilisés depuis près de trente ans par la plupart des spécialistes (voir notamment Plisson 1985, Vaughan 1985a, Van Gijn 1990). Deux appareils optiques ont été utilisés : une loupe binoculaire et un microscope métallographique. Une caméra, montée sur ces appareils, a permis d’acquérir les clichés microphotographiques. Les macrophotographies ont été acquises par l’intermédiaire d’un appareil photographique reflex numérique muni d’un objectif macro. La totalité de l’échantillon a été observée sous la loupe binoculaire. Cette première phase a permis de repérer les zones actives. Un aller-retour entre la loupe binoculaire et le microscope métallographique a été réalisé, dès ce stade de l’étude, notamment sur les zones les plus résistantes aux endommagements macroscopiques (fractures par flexion, bords abrupts ou nervures dorsales). Une fois les zones utilisées (ZU) repérées, les outils ont été étudiés de manière détaillée à différentes échelles optiques afin de décrire les traces et de reconstituer le fonctionnement de chacun. Aucune expérimentation n’a pu être conduite dans le délai de ce travail. Les interprétations se fondent sur une collection de comparaison élaborée depuis 2008 au laboratoire CReAAH à Rennes.
Caractérisation pétro-archéologique
5La caractérisation géologique et gîtologique a permis d’identifier plus de 75 % (n = 3 548) des pièces analysées, au sein desquelles neuf types ont été distingués (tabl. 8). Cinq d’entre eux, représentant 96 % de l’ensemble déterminé, sont disponibles dans un rayon de 25 km autour du site. Il s’agit : 1) des silex tertiaires, jaspéroïdes de l’Hettangien et bathoniens provenant des différentes terrasses de la Dordogne ; 2) des silex du Bajocien affleurant sur les causses de Gramat et de Martel, notamment au Puy d’Issolud (Turq 1992, Bruxelles et al. 2010) ; 3) de deux variétés du Sénonien périgourdin (fig. 40, no 1), disponibles dans l’ouest du Sarladais et au nord du Gourdonnais (Turq et al. 2013). Dans un rayon de 50 à 100 km, le cortège des silex allochtones apportés est composé de silex du Campanien inférieur de Belvès (présence d’Orbitoïdes tissoti et de Subalveolina dordonica major ; Turq et al. 2013, p. 173-174) et du Campanien supérieur du Bergeracois. Ce dernier matériau, contenant souvent des Orbitoïdes media (fig. 40, no 2), est un véritable marqueur lithologique à la genèse complexe. L’origine géographique de ce silex, la région de Bergerac et la zone de Mussidan-Ribérac, est maintenant bien connue (Fernandes et al. 2012, Turq et al. 2013, p. 169). L’ensemble magdalénien de Peyrazet a également livré un certain nombre de silex tertiaires, comprenant parfois des characées et des gastéropodes (fig. 40, no 3-4), originaires de bassins tertiaires du Périgord (plateau de Bord, secteur de la « Forêt de la Bessède » : Turq et al. 2013, p. 171), ou plus à l’est, des formations lacustres de la frange occidentale du Massif central : bassins d’Aurillac, de Maurs, de Saint-Santin-de-Maurs ou d’Asprières (Muratet 1983, p. 11-130). Ces matériaux sont également disponibles, nous l’avons vu précédemment, en position secondaire au sein des terrasses de la Dordogne. Néanmoins, quelques produits en silex tertiaire présentent un cortex grenu caractéristique d’un gîte proche de la source primaire. Des jaspéroïdes et silicifications hettangiennes – et sinémuriennes si l’on se réfère au silex à texture oolithique – affleurent régulièrement au contact des formations triasiques du Massif central et il est possible que certaines proviennent de plus loin que des plages de la Dordogne. Enfin, originaires de près de 200 km à l’ouest du site (voir infra, fig. 57), des silex coniaco-santoniens de type « grain de mil » ont été identifiés. Ce matériau (fig. 40, no 5-6) est spécifique de l’anticlinal de Jonzac dans les Charentes (Simonnet et al. 2007) et ses caractères pétrographiques et gîtologiques ont été détaillés précisément (Caux 2015, Caux et Bordes 2016). Notons, pour mémoire, quelques observations supplémentaires réalisées sur plusieurs centaines d’esquilles qui ne viennent pas modifier nos résultats (195 sénoniens lato sensu, 105 jaspéroïdes, 67 tertiaires, 13 bajociens et 6 coniaco-santoniens de type « grain de mil »).
Résultats « techno-typo-fonctionnels » par type pétrographique
Le silex « gris-noir » du sénonien du périgord
6Il s’agit du matériau majoritairement exploité dans l’ensemble magdalénien, représentant plus de 30 % des silex déterminés (tabl. 8). Il est documenté par un ensemble de supports illustrant une production lamino-lamellaire qui, bien qu’aucun nucléus ne soit présent, a été réalisée sur place. En effet, parmi les produits lamino-lamellaires, on note la présence de plusieurs supports corticaux et semi-corticaux (n = 111, fig. 41), vingt-sept produits à néocrête, onze produits sous-crête et dix tablettes de ravivage du plan de frappe. Ce silex est apporté sur le site sous la forme de volumes débités sur place pour fournir des supports d’outils et d’armatures. Le nombre total d’outils se porte à 65 (tabl. 9) avec notamment trente burins (et 277 chutes), onze couteaux (lames utilisées brutes) et dix lames retouchées (fig. 41-42). Un couteau à dos ayant raclé du bois végétal selon un angle rasant et provenant du sommet de la couche 4 peut être considéré comme intrusif (Langlais et al. dans ce volume). Parmi les 304 pièces analysées en tracéologie, 52 (soit 17 %) montrent des usures liées à diverses activités pour un total de 62 zones utilisées (ZU). L’analyse indique un rôle utilitaire largement polyfonctionnel de ce type de silex même si le raclage des matières dures animales domine (tabl. 10).
7La production laminaire est menée selon un schéma unipolaire cintré de type « enveloppant » (Langlais 2010, 2014). À l’exception de quelques séquences de mise en forme ou d’entretien des convexités menées à la pierre dure, l’essentiel de la production lamino-lamellaire est mené au percuteur tendre organique. Un certain soin peut être noté quant à la préparation des plans de frappe (facettage du point de percussion, abrasion fine des corniches, rares éperons). Le remontage d’une séquence d’entame corticale laminaire (fig. 41, no 1) témoigne d’une certaine souplesse dans le cas de blocs à la morphologie propice. L’emploi d’aménagements transversaux est visible sur certains éclats laminaires et lames à néocrête et sous-crête. Les lames (trop fragmentaires pour estimer une longueur) présentent une largeur moyenne centrée sur 15 mm. La présence de petites lames (entre 9 et 11 mm de largeur) témoigne d’une réduction du débitage permettant d’obtenir des supports utilisés notamment en couteau. L’absence de nucléus et de remontages conséquents rend difficile la diagnose d’un continuum linéaire lamino-lamellaire. Les lamelles brutes présentent une largeur comprise entre 6 et 9 mm. Les supports les plus réguliers, de profil rectiligne, sont destinés à la confection des microlithes. Mis à part une pointe de Malaurie et une bitroncature, sur petites lames, provenant du secteur au contact avec la couche laborienne et donc vraisemblablement intrusives, les 68 microlithes (voir infra, tabl. 15) sont composés de différents sous-types de lamelles à dos (LD dans le texte). Huit pièces livrent des stigmates d’impact diagnostiques. Là encore, l’absence de nucléus ne permet pas de dégager de schéma univoque pour la production lamellaire en silex du Sénonien. Néanmoins, plusieurs lamelles et déchets de taille (éclats lamellaires de cintrage à convergence distale des bords) témoignent d’une recherche de supports pointus à partir d’un débitage de type « unipolaire convergent » (voir infra).
Le silex du bajocien
8Ce matériau, disponible à quelques kilomètres du gisement, représente 23 % des silex déterminés. Il est documenté par une production de lames et secondairement de supports lamellaires (tabl. 8). Plusieurs raccords et des déchets de taille (quinze produits d’aménagement de crête, dix produits de mise en forme, quatre éclats laminaires à crête, dix produits à néocrête, treize à sous-crête et dix-huit tablettes ; fig. 43) témoignent d’une production laminaire menée sur place à partir de rognons, bien qu’aucun nucléus n’ait été découvert dans l’espace fouillé. L’outillage est composé de 50 pièces (tabl. 9) avec notamment vingt-deux burins (et 201 chutes), huit couteaux, sept lames retouchées, cinq (micro) perçoirs (pas de « zinken » dans la série), trois grattoirs et deux grattoir-burins (fig. 43-44). L’étude fonctionnelle de 167 pièces a permis d’identifier 24 éléments avec traces d’usage (soit 14,4 %) pour un total de 37 ZU. Le spectre fonctionnel du silex bajocien apparaît étroitement centré autour de la découpe de tissus carnés et cutanés et du traitement des peaux par raclage (tabl. 11). Des évidences d’une altération des polis osseux peuvent expliquer en partie cette tendance (voir infra).
9La production laminaire est réalisée au percuteur tendre organique, de manière unipolaire, à partir d’un volume mis en forme et aux convexités entretenues à partir de crêtes (fig. 43, no 2). Un second plan de frappe peut être ouvert afin de corriger des problèmes de carène distale (fig. 43, no 3) ou suite à un réfléchissement. Les supports sont généralement employés bruts puis éventuellement recyclés. La forte fragmentation des supports empêche de déterminer une longueur recherchée : notons cependant qu’une lame entière mesure près de 12 cm (fig. 45, no 1). Les largeurs et épaisseurs moyennes sont respectivement de 18 mm et 5 mm. La réduction du débitage conduit à produire de petites lames (brutes pour l’essentiel) qui mesurent en moyenne 10 mm de large pour 3 mm d’épaisseur. La production lamellaire demeure relativement marginale sur ce type de silex mais est documentée notamment par le remontage d’une séquence de débitage « sur tranche » et par plusieurs supports à pan revers (confusion possible avec des chutes de burin). La mise en œuvre d’un débitage lamellaire sur rognons ne peut être exclue. Seuls deux microlithes ont été identifiés dans ce matériau.
Les silex tertiaires lato sensu
10Provenant pour une part des alluvions de la Dordogne à proximité du gisement et pour une autre part de plateaux du Périgord ou de bassins lacustres orientaux, ces matériaux représentent près de 20 % des silex déterminés (tabl. 8). Ils sont surtout utilisés pour la production de lamelles, et marginalement de lames, voire d’éclats. Cette dernière production, illustrée, entre autres, par deux nucléus découverts à l’interface des couches 3-4, pourrait être attribuée à l’Azilien sus-jacent (Langlais 2014). L’outillage (n = 38, tabl. 9), essentiellement réalisé sur lames et éclats laminaires, est composé notamment de dix-neuf burins (et 86 chutes), six lames retouchées et quatre grattoirs (fig. 46). Sur les 196 pièces analysées en tracéologie, seules douze pièces (6 %) portent des usures identifiables pour un total de 18 ZU. Les usures identifiées rendent essentiellement compte d’un travail de matières abrasives telles que le minéral et la peau sèche (tabl. 12). Toutefois, comme pour le Bajocien, des dégradations explicites des polis osseux (voir infra) illustrent un biais taphonomique.
11Le débitage lamino-lamellaire est documenté par un nucléus, repris à la pierre en fin de course (fig. 47, no 2) et de rares produits techniques : quatre éclats de mise en forme et d’aménagement de crête, un éclat laminaire à crête, neuf supports à néocrête, six sous-crêtes, onze tablettes. Le débitage est mené au percuteur tendre organique à partir d’un plan de frappe principal parfois accompagné d’un plan opposé de correction de la carène et nettoyage de réfléchissements. La fragmentation importante des lames ne permet pas de déterminer les longueurs. Les largeurs et épaisseurs moyennes sont respectivement de 16 mm et 4 mm. Les petites lames sont brutes et mesurent en moyenne 10 mm de large pour 2,5 mm d’épaisseur. À l’interface des couches 3-4, une pointe à dos et deux fragments de pièce à dos indéterminées suggèrent un mélange avec l’Azilien sus-jacent (Langlais 2014). La composante lamellaire magdalénienne est représentée par 24 microlithes (voir infra, tabl. 15) dont une pièce impactée. Le débitage lamellaire est mené pour une part, « sur tranche » d’éclats (supports à pan revers) et pour une autre part, sur petits rognons selon un agencement « unipolaire convergent » (fig. 47, no 1).
Les silex jaspéroïdes
12Ces matériaux, provenant pour la plupart des alentours du site (alluvions récentes et terrasses anciennes de la Dordogne), représentent 14,5 % des silex déterminés (tabl. 8). Les productions mises en œuvre sur place sont essentiellement liées aux débitages lamellaires et très marginalement à la production de lames (16 mm de large et 4 mm d’épaisseur en moyenne) et de petites lames (10 mm de large et 3 mm d’épaisseur en moyenne). Onze outils ont été décomptés (tabl. 9), dont cinq burins (et 26 chutes) et quatre (micro) perçoirs (fig. 48, no 5-6). Ce matériau a été peu observé en tracéologie (n = 33) et aucune trace n’a été décelée. Le débitage lamellaire « unipolaire convergent » est mené à partir de petits rognons comme l’indiquent un remontage d’une séquence d’initialisation lamellaire, des nucléus (fig. 48, no 1-4 et 7-8), treize produits à néocrête, trois sous-crêtes ainsi que six tablettes. Quelques éclats ont également été débités « sur tranche » afin de produire des lamelles (présence de supports à pan revers). Un « gros » nucléus pourrait d’ailleurs correspondre à la production d’éclats-supports de nucléus à lamelles (Langlais 2014). Les lamelles mesurent en moyenne 5 mm de large pour 2 mm d’épaisseur. La composante lamellaire est documentée par 39 microlithes (voir infra tabl. 15) dont trois pièces impactées.
Les silex « blonds » du sénonien du périgord
13Ce matériau, originaire de quelques dizaines de kilomètres à l’ouest du site, représente près de 8 % des silex déterminés. En termes d’objectifs de la production, un équilibre s’observe entre lames et lamelles (tabl. 8). La série compte neuf produits sous-crête, deux à néocrête, sept tablettes et trois produits de mise en forme. L’outillage est composé de 38 pièces (tabl. 9) dont onze burins (et 77 chutes), dix couteaux (lames brutes utilisées) et six lames retouchées (fig. 49), ainsi qu’une lame « tronquée/usée » (élément documenté notamment dans le Magdalénien supérieur de Gironde : Lenoir et Terraza 1979). Sur les 163 pièces analysées en tracéologie, des traces d’utilisation ont été identifiées sur 52 éléments (32 %) pour un total de 75 ZU. Aucun indice d’altération des traces n’a été perçu. Les usures renseignent d’une utilisation du Sénonien blond dans des registres plutôt variés (tabl. 13), dominés par la découpe de tissus carnés et cutanés. Le travail des matières dures animales, par raclage et rainurage, est relativement bien représenté, légèrement devant la préparation des peaux par raclage et le travail du minéral par raclage et/ou rainurage dont certaines pièces portent des résidus rouges (Dayet dans ce volume).
14La production laminaire en silex blond du Sénonien est réalisée sur place à partir de rognons débités de manière unipolaire « enveloppante » à l’aide d’un percuteur tendre organique. Des déchets techniques témoignent d’aménagements transversaux des convexités. Les lames, destinées aux outils, mesurent en moyenne 18 mm de large pour 5 mm d’épaisseur. Les petites lames présentent des largeurs et épaisseurs moyennes respectives de 11 mm et 1,5 mm. Une continuité lamino-lamellaire du débitage demeure une hypothèse, notamment en l’absence de nucléus et de remontages. Un fragment de pièce à dos indéterminée provenant de l’interface des couches 3-4 pourrait signer une intrusion d’éléments aziliens (Langlais 2014). Les lamelles sont transformées en microlithes (n = 18) parmi lesquels s’observe une diversité morpho-typologique de lamelles à dos (voir infra, tabl. 15). Notons qu’une lamelle à dos tronquée pourrait être rapprochée du type de Couze (Fitte et Sonneville-Bordes 1962) à moins qu’il ne s’agisse d’une fracture en spin off (Fisher et al. 1984) consécutive à un impact.
Le silex coniaco-santonien de type « grain de mil »
15Ce matériau provient de près de 200 km à l’ouest du site et représente 4 % des silex identifiés (tabl. 8). Il est documenté essentiellement sous forme de lames et de chutes de burin (éclats lamellaires et lamelles). L’absence presque totale de déchets techniques soutient l’hypothèse d’une introduction sur le site de supports déjà débités. On compte dix-huit outils (tabl. 9, fig. 50), presque exclusivement sur lames, dont sept burins (et 93 chutes) et sept lames retouchées. Sur les 85 pièces analysées en tracéologie, 30 éléments (35 %) livrent des usures caractéristiques pour un total de 39 ZU. Avec 36 % des usures documentées (14 ZU), le travail des matières dures animales domine (tabl. 14). Le registre minéral (raclage et rainurage) vient en seconde position devant la découpe des tissus carnés et cutanés. Le raclage de peau n’est pas documenté par la tracéologie.
16Les lames transportées et introduites sur le site témoignent d’un débitage cintré « enveloppant » unipolaire, mené à la percussion tendre organique. En moyenne, les lames mesurent 18 mm de large pour 5 mm d’épaisseur. Les quelques petites lames (dont une lame retouchée) et lamelles semblent également avoir été apportées sous la forme de produits finis. On compte seulement trois microlithes (LD simples) dont une pièce impactée.
Les autres silex
17Le silex local du Bathonien n’est représenté que par un simple éclat. Les silex du Campanien inférieur de Belvès (n = 6, tabl. 8) indiquent l’apport sur le site d’au moins un volume, ensuite débité en lames, dont l’une est transformée en burin (raccordé à sa chute). Le silex campanien supérieur du Bergeracois est documenté par deux lames, dont une a été utilisée pour réaliser un grattoir-burin (fig. 50, no 4), ainsi que par une chute de burin. Ces supports semblent avoir été introduits déjà débités.
18Les silex de source inconnue regroupent ceux dont la caractérisation à un type spécifique n’est que probable (n = 8) ou ceux d’origine marine mais de source inconnue (n = 20), comme le silex dit « faux porcelainé » (sic.) marqué par une absence de quartz clastiques visibles à la surface, une texture mudstone, de très rares foraminifères. Il a été identifié en petite quantité dans plusieurs gisements quercinois du Paléolithique supérieur et diffère des matières premières que nous connaissons à ce jour en Périgord, voire dans les Charentes. Enfin, les silex non déterminés car trop patinés, brulés ou ne présentant pas suffisamment de critères discriminants (Chalard 2014) réunissent plus de 1 100 pièces (tabl. 8). Ils livrent également une composante lamino-lamellaire au sein de laquelle se trouvent des outils (fig. 50, no 5-6) impliqués dans le travail de la peau par raclage (grattoir) et découpe (observée sur des chutes primaires) ainsi que dans le raclage d’une matière osseuse (chute secondaire). Trois burins (tabl. 9) et 34 microlithes, dont deux pièces impactées, ont également été décomptés (voir infra tabl. 15). Ces différents matériaux n’ont pour l’instant fait l’objet d’aucune analyse tracéologique.
Gestion des outillages et registres fonctionnels
19Avant de synthétiser l’ensemble des données dans une perspective techno-économique globale, des compléments d’informations concernant les résultats de l’approche fonctionnelle doivent être apportés. Il s’agit ici de donner une vue générale du rôle utilitaire de l’équipement et d’informer le lecteur sur certaines dynamiques biographiques – dynamiques qui concernent finalement l’ensemble des faciès pétrographiques. Ces résultats sont traités de manière synthétique.
Vue générale sur le rôle utilitaire et les dynamiques biographiques des équipements
20Sur 948 vestiges analysés, 170 ont livré des traces d’usage (soit près de 18 %) pour un total de 231 zones utilisées (ZU). Parmi ces pièces usées, les supports abandonnés sous leur forme brute originelle, ou seulement brisés, sont relativement rares (35 pièces portant 59 ZU). Il s’agit essentiellement de produits laminaires (26 lames et 6 éclats laminaires contre un éclat, un fragment et un support de nature indéterminée). L’absence de lamelle parmi cet équipement suggère que cette composante est strictement réservée à la fabrication des lamelles à dos (voir infra).
21Cette rareté relative des outils abandonnés bruts ne traduit pas un désintérêt pour les supports tout juste débités ou une propension au recours à la retouche pour adapter les supports aux besoins fonctionnels, mais plutôt leur intégration assez systématique dans des cycles d’utilisation-réutilisation-recyclage. Les chutes de burin sont des éléments très éclairants sur cette inclinaison des équipements à des biographies complexes. En effet, alors qu’elles ne sont, à une exception près (chute utilisée à la perforation d’une matière dure), que des déchets de confection ou d’entretien, les chutes de burin constituent la gamme technique la plus riche du Magdalénien de Peyrazet d’un point de vue fonctionnel. Sur les 282 chutes analysées, 85 ont livré des traces d’usage, pour un total de 97 ZU, soit 42 % du total des ZU identifiées dans la série. Et parmi les ZU identifiées sur ces éléments, 54 se rapportent à des usages survenus antérieurement au premier coup du burin (chutes primaires). On retrouve naturellement les traces de cette complexité sur les burins eux-mêmes qui livrent davantage d’usures fonctionnelles sur les bords (21 ZU) que sur les extrémités aménagées (12 ZU sur les dièdres ou pans). Les grattoirs, moins nombreux, nous amènent au même constat (six usures identifiées sur les fronts pour six sur les bords). Rajoutons que les chronologies relatives entre les usures observées sur les zones non aménagées et l’aménagement de ces outils retouchés plaident la plupart du temps pour une antériorité de l’usage des parties brutes. À Peyrazet, comme dans d’autres contextes magdaléniens (voir notamment Audouze et al. 1981, Plisson 1985, Vaughan 1985a, 1985b, 2002, Plisson et Vaughan 2002, Christensen et Valentin 2004, Janny et al. 2006, Gauvrit-Roux et Beyries 2020), la fabrication des outils d’extrémité constitue très régulièrement un acte de recyclage d’outils d’abord valorisés sous forme de couteaux à bords tranchants. Ce sont les lames larges et régulières qui semblent avoir préférentiellement fait l’objet de ces recyclages.
22Le rôle des supports bruts est également perceptible à travers la nature des zones actives identifiée par la tracéologie. Pas moins de 60 % des usures individualisées sont en effet portées par des parties brutes (139 sur 231). Parmi les bords bruts, les tranchants ont un rôle primordial (129 ZU). Les talons, extrémités distales et arêtes dorsales ne sont que ponctuellement mis en jeu (10 ZU) pour des opérations de travail des matières dures animales, minérales ou indéterminées (essentiellement raclage et rainurage). Les tranchants quant à eux constituent des bords actifs polyvalents qui, bien que surtout utilisés à la découpe de tissus carnés ou cutanés (74 ZU), sont impliqués dans tous les registres techniques documentés à Peyrazet : raclage de peau (11 ZU), travail des matières dures animales (3 ZU) et du minéral (16 ZU), travail de matières de nature indéterminée (25 ZU). Les cassures, parfois explicitement volontaires, sont également mises à profit (13 ZU) notamment par leurs angles pour le travail de matières dures animales ou minérales.
23Contrairement aux bords bruts, les extrémités aménagées sont destinées à des besoins spécifiques. Le retrait de chutes est strictement lié au travail des matières dures animales par raclage (pans) et rainurage (dièdres) et l’aménagement de fronts apparaît clairement dédié au raclage de la peau. La question est plus délicate pour les aménagements latéraux par retouche qui pourraient renvoyer soit au calibrage d’outils, soit à un procédé d’entretien comme c’est le cas de lames à retouches rasantes du Magdalénien moyen ancien ou de l’Azilien ancien (voir par exemple : Bodu et Mevel 2008, Naudinot et al. 2018, Langlais et al. 2019)1. À Peyrazet, le fait que ces bords retouchés aient été employés dans le cadre des opérations les plus couramment identifiées sur les bords bruts (découpe de tissus carnés et cutanés, raclage de peau) nous pousserait à privilégier la seconde hypothèse. Pour leur part, les quelques appointements dégagés par retouche n’ont livré que peu de traces permettant d’en discuter l’objectif. Il en va de même pour les troncatures qui pourraient néanmoins être vues comme des moyens de calibrer les supports en vue d’un emmanchement.
24Les biographies des outils du Magdalénien de Peyrazet sont marquées par des discontinuités fonctionnelles (le rôle des outils change à chaque transformation) et donc potentiellement par des abandons temporaires ou des mises en réserve. Cette observation renvoie à la question de la mobilité des outils (introduits sous forme de lames brutes ou produits sur place, déjà utilisés hors du site puis recyclés sur place, emport d’outils pour poursuivre leur vie fonctionnelle…) qui, bien que tangible, demeure difficile à traiter (voir infra).
Éclairage indirect sur les registres d’activité impliquant l’outillage lithique
25Avec 55 outils et déchets d’affûtages (chutes) pour un total de 61 ZU, le travail des matières osseuses constitue le premier registre d’activité documenté par la tracéologie à Peyrazet. Ceci d’autant plus que sa représentation est en partie minorée par la taphonomie différenciée des silex bajociens et tertiaires. En effet, sur ces matériaux, les polis relevant du travail des matières dures animales par raclage et rainurage sont dégradés (fig. 51). Cette dégradation se traduit par un taux plus faible de burins et chutes marqués par ces usages (le nombre de ZU par pièce analysée est compris entre 0,05 et 0,06 pour les silex bajociens et tertiaires et respectivement de 0,16, 0,19 et 0,22 pour les silex gris noirs du Sénonien, coniaco-santoniens et sénoniens blonds). Elle se marque également par l’aspect particulier des quelques polis rescapés : absence fréquente de polis sur la face d’attaque ou présence de quelques plages déconnectées les unes des autres ; discontinuité ou absence de poli sur le fil, remplacé parfois par des ensellements, vestiges du biseau nappé caractéristique. Notons que la conservation différenciée des polis d’utilisation selon les faciès pétrographiques et la fragilité des silex tertiaires ont déjà été signalées notamment par H. Plisson suite à l’immersion d’outils expérimentaux dans des bains de soude et de carbonate de sodium. « Non seulement durant toutes les expériences le silex tertiaire s’est patiné plus rapidement que le silex crétacé, mais de plus ses micropolis se sont avérés plus fragiles : une altération en moyenne plus rapide de cinq heures. La différence tient au degré moindre de cristallisation des formes de silice composant la meulière silexoïde (Mauger 1985) » (Plisson 1985, p. 123-126).
26Dans le cadre du travail des matières dures animales, le raclage constitue la cinématique la plus commune (fig. 52). Il est réalisé à partir de pans de burins (41 ZU, dont 37 situées sur des chutes secondaires), de quelques tranchants bruts aigus (3 ZU, raclage avec un angle de travail de 90° environ), ainsi que de rares arêtes de cassure par flexion (3 ZU) ou dorsale (1 ZU). Le rainurage est documenté sur quelques dièdres de burin (10 ZU, dont 5 sur des chutes) et angles de cassure (3 ZU). Il est intéressant de noter que ces opérations sont avant tout perceptibles à la lecture des chutes de burins et non des burins eux-mêmes. Ce constat suggère que la cause de l’abandon des burins ne réside pas tellement dans la perte d’efficacité de la zone active (pan ou dièdre) du fait de l’usure qui s’y développe (cause de séquences d’affûtage dont témoignent beaucoup de chutes) mais plutôt dans d’autres facteurs tels que les échecs survenus à l’affûtage ou la fin de la tâche à accomplir. Quoi qu’il en soit, ces opérations pourraient être en lien avec le débitage de baguettes par rainurage longitudinal et le façonnage par raclage des objets en bois de cervidé et en os (Pétillon dans ce volume). En revanche, le sciage et la perforation – pourtant documentés notamment à travers certaines parures (Rigaud et al. dans ce volume) – n’ont été reconnus formellement sur aucun instrument. Quelques outils présentent toutefois des endommagements macroscopiques compatibles avec ces opérations (trois tranchants bruts de lames pour le sciage, une extrémité brute d’une chute de burin pour la perforation). En l’absence de poli sur ces bords actifs, ces usures n’ont pas été attribuées au travail de matières osseuses. Cette précaution méthodologique est très vraisemblablement elle aussi responsable d’une minoration de ce registre d’activité.
27Avec 44 pièces (60 ZU), la découpe des carcasses et de matières tendres animales constitue le second registre fonctionnel documenté à Peyrazet. Le recyclage très fréquent de ces couteaux rend toutefois la caractérisation de cet équipement délicat. Au vu de la diversité des usures observées (intensité des endommagements et du doucissage du fil, caractéristique du micropoli, abondance des stries) et de la variabilité des calibres de supports impliqués, on peut supposer que ces couteaux ont été impliqués dans une variété d’opérations techniques en lien avec la préparation et la consommation des produits de la chasse (fig. 53).
28Le travail de la peau implique 31 outils (40 ZU). Les usures ont été identifiées sur quelques fronts de grattoir (4 ZU) mais surtout le long de bords bruts (26 ZU dont deux cassures) ou retouchés (10 ZU). Comme pour la boucherie, ces outils à zone(s) active(s) latérale(s) ont souvent été recyclés a posteriori – ce qui explique le nombre de ZU situées sur des burins (3 ZU) ou des chutes (13 ZU) au sein de ces équipements. Qu’elles témoignent d’opérations de raclage (22 ZU) ou de découpe (18 ZU), l’essentiel des usures présente les caractéristiques d’un travail à l’état sec (usures abrasives d’aspect grenu et mat, parcourues d’abondantes stries ; fig. 54). Il s’agit, pour la découpe, d’une conséquence directe de la méthode, puisque parmi les usures évoquant la découpe de tissus carnés ou cutanés, seules ces usures abrasives ont été rapportées, sous réserves de convergences de formes, au travail de la peau. Quant au raclage, toutes les précautions sont de mise compte tenu des larges champs de recouvrement existant entre les différents états et des complications que représente l’ajout d’additifs durant le travail. Par ailleurs, dans un contexte où des processus probablement chimiques ont dégradé certains micropolis (cas des polis osseux), nous n’avons aucune assurance que la diversité originelle des usures se rapportant à un registre tel que la peausserie ait été préservée. La dégradation des micropolis s’exprimant notamment par un ternissement (Plisson 1985, Plisson et Mauger 1988), la taphonomie pourrait avoir contribué à l’homogénéisation des usures relatives au travail de la peau. Nous resterons donc prudents en matière de reconstitution des chaînes opératoires. La diversité des outils et des morphologies de zones actives, ainsi que la présence d’ocre sur certaines zones actives (Dayet dans ce volume), suggèrent que plusieurs étapes de traitement ou différentes chaînes opératoires ont été conduites sur le site. La présence d’outils de découpe de peau sèche pourrait témoigner d’étapes de confection d’objets. Ces informations trouvent des échos dans les résultats obtenus par l’étude archéozoologique (Costamagno et al. 2018 et Costamagno dans ce volume) et l’analyse techno-typologique de l’industrie osseuse (Pétillon dans ce volume).
29Enfin, le travail du minéral concerne 21 pièces (37 ZU). Ce registre fonctionnel implique toutes les gammes techno-typologiques : lames brutes, burins, grattoirs, composites grattoir-burin, lames retouchées, lames tronquées et perçoirs. Ce n’est pas le seul registre d’activité à avoir été identifié sur un tel panel d’outils. Les travaux de découpe des matières carnées et cutanées notamment (les travaux de peausserie sont également concernés) impliquent également des ensembles typo-technologiques variés. Toutefois, les comportements en cause semblent très différents. Dans le cas des découpes de matières carnées et cutanées, l’origine de la diversité typologique est essentiellement liée au recyclage des outils de découpe sous forme de burins et de grattoirs ainsi qu’à l’entretien éventuel des bords actifs (retouche des tranchants latéraux). Le travail du minéral semble pour sa part intervenir essentiellement en fin de cycle fonctionnel, avant l’abandon définitif des outils. C’est alors plutôt une relative souplesse dans le choix des supports et des zones actives ainsi que le caractère relativement traumatique des usages contre cette gamme de matériaux (outils difficilement réutilisables) qui pourrait avoir conduit les utilisateurs à réutiliser des outils en bout de course pour le travail du minéral.
30Si le raclage domine (24 ZU), le minéral est travaillé selon différentes cinématiques (3 ZU relevant d’un sciage, 9 ZU témoignant d’opérations de rainurage et un bord utilisé en percussion lancée ; fig. 55). Des résidus de couleur rouge (Dayet dans ce volume) accompagnent parfois les usures. La fonction de ces outils reste difficile à établir pour l’instant. La réduction de pigments en poudre est séduisante. Toutefois, la diversité des cinématiques suggère une diversité d’activités. La discrétion de certaines usures et la fragilité des zones actives qui les portent (fig. 55, clichés c et c’), pourraient témoigner d’opérations minutieuses (gravure ?).
Les microlithes lamellaires : un élément de l’armement de chasse
31Mis à part les quelques pièces considérées comme intrusives de l’Azilien sus-jacent (voir supra), 188 microlithes illustrent une certaine variété de morphotypes (tabl. 15). Plus de la moitié se présente sous la forme de « lamelles à dos simple » (fig. 56, no 5-7), munis d’un dos envahissant, voire marginal, réalisé à 65 % sur le bord droit. Ce groupe typologique peut réunir différents morphotypes fracturés et dépourvus d’extrémité. Or, c’est justement l’extrémité basale ou apicale qui permet de discriminer des morphotypes principaux, récemment décrits dans le Magdalénien supérieur (Langlais 2018). Concernant l’extrémité apicale, certaines pièces sont naturellement pointues (fig. 56, no 1-4), tandis que d’autres sont appointées de manière directe ou par une retouche rasante inverse (fig. 56, no 8-17). Plusieurs bases sont modifiées par une troncature inverse (fig. 56, no 9-11 et no 18-20) et d’autres par une retouche marginale directe. La présence de tranchants denticulés ou encochés est également à signaler. À partir de ces modalités d’appointage ou de troncature basale, différentes associations sont possibles (tabl. 15).
32Seize pièces portent des stigmates diagnostiques d’impact (Christensen et Valentin 2004 : fig. 112) identifiés à l’œil nu et à la loupe binoculaire. L’hypothèse d’une utilisation de ces objets comme inserts dilacérants armant des projectiles demeure la plus envisageable mais une étude microcroscopique reste à mener. Les gabarits sont relativement stables quels que soient les morphotypes. Mis à part quelques grandes lamelles à dos appointées (autour de 50 mm), les longueurs des pièces entières sont centrées autour de 25 mm. Les largeurs sont comprises entre 4 et 5 mm et les épaisseurs entre 1 et 2 mm. Les modalités opératoires montrent une préférence pour des débitages « unipolaires convergents » à progression frontale (fig. 47, no 1 et fig. 48, no 7-8) permettant de prédéterminer des supports naturellement acuminés. Ils sont complétés par quelques débitages de supports étroits « sur tranche » d’éclat.
Les silex du magdalénien de Peyrazet : synthèse de l’approche croisée
33L’étude « pétro-techno-typo-fonctionnelle » des vestiges en silex du Magdalénien de Peyrazet permet de mieux appréhender les modes de confection et de gestion des outillages lithiques.
34Les sources de matières premières lithiques indiquent un espace d’approvisionnement étendu vers l’ouest. Les types de silex identifiés à Peyrazet résonnent avec les résultats obtenus à Combe-Cullier (Lacave), localisé à moins de 10 km au sud-ouest (Constans 2019), ainsi qu’à l’abri Murat (Rocamadour), situé à moins de 20 km au sud (Chalard et Langlais 2019), formant ainsi un « litho-espace » (Delvigne 2016) structuré par la vallée de la Dordogne (fig. 57). Le silex coniaco-santonien de type « grain de mil », introduit à Peyrazet sous la forme de lames – recyclées majoritairement en burins – semble avoir été débité sur place dans le Magdalénien supérieur de Combe-Cullier et de l’abri Murat (Chalard et Langlais 2019, Constans 2019). On pourrait ainsi s’interroger sur les modalités d’approvisionnement en silex coniaco-santonien charentais à Peyrazet, selon des modalités directe ou indirecte via des jalons dans l’ensemble Périgord-Quercy. Parmi les autres marqueurs lithologiques régionaux traditionnellement reconnus dans le Paléolithique quercinois, le silex campanien supérieur du Bergeracois est introduit dans ces trois sites sous la forme de lames (Chalard et Langlais 2019, Constans 2019). L’absence du silex turonien de Fumel à Peyrazet n’est pas vraiment surprenante. En effet, ce matériau du Haut-Agenais demeure rare dans le Haut-Quercy. Il a été identifié sur quelques objets à l’abri Murat (Chalard et Langlais 2019) et à Combe-Cullier (Constans 2019). Enfin, notons l’absence à Peyrazet de cinérite de Réquista dans le Tarn (fig. 57). Ce matériau, identifié à l’abri Murat, tisse des liens vers la Méditerranée, direction documentée par des coquillages (Rigaud et al. dans ce volume).
35En résumé, quatre grands types d’économie des matériaux et des débitages se dégagent dans le Magdalénien de Peyrazet : 1) des matériaux locaux et régionaux (rayon de 50 km) débités sur place pour produire des supports d’outils et de microlithes (Sénonien s.l. et Tertiaire s.l.) ; 2) des matériaux locaux débités sur place pour fournir essentiellement des supports d’outils et marginalement des microlithes (Bajocien) ; 3) des matériaux locaux débités sur place pour fournir essentiellement des microlites (Jaspéroïde) ; 4) des matériaux d’origine plus lointaine (100-200 km) probablement introduits sous la forme de volumes (Campanien inférieur de Belvès) et surtout de lames ou d’outils, voire de quelques microlithes (Coniaco-Santonien de type « grain de mil » et Campanien supérieur du Bergeracois). Pour autant, qu’elles soient produites sur place (à partir de volumes apportés) ou de manière différée selon les types de silex, les lames sont issues de processus opératoires identiques. Réalisé au percuteur tendre organique (sauf quelques séquences de nettoyage/ravivage à la pierre), le débitage laminaire de type « enveloppant » s’appuie sur un agencement unipolaire cintré et un aménagement transversal des convexités. Les lamelles sont extraites soit en continuité des petites lames, soit de manière autonome sur petits rognons, selon un agencement « unipolaire convergent », mais également « sur tranche » d’éclats. Les microlithes – dont l’unique fonction supposée d’armatures de chasse en inserts latéraux demeure à être précisée par une analyse microscopique – indiquent une recherche de supports lamellaires acuminés et un soin des bases (troncature inverse) qui pourraient signaler des emmanchements particuliers.
36Du point de vue du rôle utilitaire des différentes gammes techno et typologiques et des registres fonctionnels dans lesquels les équipements lithiques ont été impliqués, l’étude fonctionnelle ne révèle pas de surprise. Le rôle prééminent des lames (et de leurs tranchants) au sein de l’équipement domestique et leur fréquente intégration dans des cycles d’utilisation/réutilisation/recyclage, l’implication des grattoirs dans le traitement des peaux ou celui des burins dans le débitage et le façonnage des supports osseux, la faible implication de l’équipement dans le travail du bois et des plantes, ou encore la relative abondance des outils impliqués dans le travail du minéral ont été maintes fois mis en évidence dans d’autres contextes magdaléniens (voir notamment, Audouze et al. 1981, Moss 1983, Plisson 1985, 2006, Symens 1986, Vaughan 1985a, 1985b, 2002, Plisson et Vaughan 2002, Christensen et Valentin 2004, Gosselin 2005, Janny et al. 2006, Sano 2012, Jacquier 2015, 2016, Gauvrit-Roux et Beyries 2020).
37Comme la composition typologique de l’outillage le laissait supposer (tabl. 9), la tracéologie tend à montrer un relatif équilibre dans les finalités fonctionnelles des différents matériaux utilisés. En effet, mis à part les silex jaspéroïdes, peu observés du point de vue tracéologique, les silex sénoniens, bajociens, tertiaires s.l. et coniaco-santoniens de type « grain de mil » ont tous été impliqués dans une diversité de secteurs d’activité. Des variations demeurent toutefois observables d’un faciès à l’autre. Elles concernent à la fois le taux d’utilisation des restes étudiés (entre 6 % pour les silex tertiaires s.l. et 35 % pour le silex coniaco-santonien de type « grain de mil »), et le poids relatif des différents registres d’activité (fig. 58). L’approche croisée suggère que la signification de ces variations tient davantage d’une taphonomie différenciée des matériaux (phénomène bien perçu pour les polis osseux), et de la dynamique biographique et spatiale (mobilité inter-sites) des équipements, que d’une véritable économie des matières premières (Perlès 1991).
38Parmi les facteurs de variations internes à l’équipement, la mobilité différentielle des outils et leur biographie fonctionnelle respective peuvent être interrogées. À titre d’exemple, l’analyse techno-typo-fonctionnelle des outils en silex de type « grain de mil » introduits à Peyrazet soulève des questions autour d’une biographie longue de ces objets : apport direct depuis les Charentes ou indirect via des jalons en Périgord-Quercy (?), utilisation des bords in situ (?), recyclage en burins, export (?). En examinant le rapport entre chutes de burin et burins, nous avons pu noter un différentiel entre les autres types de matériaux (entre 5 et 9) et le silex de type « grain de mil » (> 13), sans toutefois être significativement différent du point de vue statistique. Au regard du faible nombre de raccords réalisés, et ce malgré des tests systématiques, l’hypothèse d’un emport de burins hors du site poursuivant leur vie fonctionnelle est envisageable, si tant est que la fenêtre de fouilles soit représentative. Ces données seront à confronter, selon une approche techno-économique intégrée, à partir des éléments en ce même matériau documentés dans le Magdalénien supérieur de l’abri Murat et de Combe-Cullier.
39Du côté des armatures microlithiques, certains types de silex sont sous-représentés (tabl. 15). C’est le cas pour le silex coniaco-santonien de type « grain de mil » et du silex bajocien. Pour le premier, l’hypothèse d’un apport d’une arme munie d’inserts latéraux démanchés et remplacés sur place est envisageable. Pour le second, il est difficile de trancher entre une raison intrinsèque au matériau (clasticité défavorable sur des blocs réduits) ou extrinsèque comme l’emport hors du site de microlithes emmanchés ou réservés. À l’échelle micro-régionale, les microlithes du Magdalénien de Peyrazet apparaissent comme originaux. En effet, à l’abri Murat, des lamelles à dos appointées et parfois tronquées sont documentées, mais l’appointage et l’aménagement de la base sont réalisés selon une retouche directe marginale – voire un simple calibrage par flexion – et non pas en retouche inverse comme à Peyrazet. L’unique lamelle à probable troncature de type Couze de Peyrazet pourrait rappeler les exemplaires décrits à Combe-Cullier (Adachi 2000, Grubert 2019). On peut également noter l’absence à Peyrazet de triangles scalènes et de pointes lithiques, présentes à Murat sous la forme de quelques pièces (Langlais et Costamagno 2019). En revanche, à l’échelle du sud-ouest français, les morphotypes de lamelles à dos appointées de manière inverse, tronquées ou non, sont bien documentées (Langlais 2018), notamment en Périgord (Rochereil, La Madeleine), dans la Vienne (Bois-Ragot, couche 5) ou en Gironde (La Honteyre, Le Morin). Ces mêmes gisements livrent d’ailleurs des témoignages d’un débitage lamellaire mis en œuvre selon un agencement « unipolaire convergent » (Le Licon-Julien 2005, Taylor 2012, Gourc et al. 2016, Langlais 2018), semblable à celui mis en œuvre à Peyrazet.
40En définitive, cette approche techno-économique intégrée des équipements en silex du Magdalénien de Peyrazet a permis de mieux appréhender les choix réalisés par les chasseurs-collecteurs. Des activités diversifiées impliquent des outils porteurs d’une histoire fonctionnelle et d’une géographie plus complexe qu’imaginées traditionnellement. Ces résultats seront à mettre en relation avec les autres registres techniques et économiques (industrie osseuse, parures, traitement du gibier).
Notes de bas de page
1 Voir aussi Jacquier J., Langlais M. et Naudinot N. (en préparation), L’entretien des couteaux au cours de l’Azilien ancien : approche techno-fonctionnelle des lames à retouches rasantes du Rocher de l’Impératrice (Plougastel-Daoulas, Finistère) et de l’abri Murat (Rocamadour, Lot).
Auteurs
mathieu.langlais@u-bordeaux.fr
CNRS, UMR 5199 PACEA, Université de Bordeaux, bâtiment B2, allée Geoffroy Saint Hilaire, 33600 Pessac
jacquier.jeremie@gmail.com
Post-doctorant, UMR 6566 CReAAH, Campus de Beaulieu, bâtiment 25, avenue du Général Leclerc, 35000 Rennes
pierre.chalard-biberson@culture.gouv.fr
DRAC Occitanie, Service régional de l’Archéologie, Hôtel Saint-Jean, 32 rue de la Dalbade, 31000 Toulouse cedex ; UMR 5608 TRACES, Université Toulouse-Jean Jaurès
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