Chapitre 4. L’archéoséquence tardiglaciaire de Peyrazet et son cadre radiométrique
p. 49-60
Texte intégral
Préambule méthodologique
1La grotte-abri de Peyrazet a été fouillée sur un peu plus de 12 m2, suivant deux axes : un axe frontal en bande K – dans le prolongement de la « coupe Chalard » redressée – et un axe sagittal en pénétrant dans la cavité par les travées 4 à 6 (voir supra fig. 11). L’étude géoarchéologique a montré des remaniements post-dépositionnels dans la moitié sud du gisement (travées 4-5) et une résidualisation des niveaux rendant peu lisible la coupe frontale le long de la bande K pour les travées 7 à 10 (Sitzia dans ce volume). En revanche, suivant les observations lithostratigraphique et les données biostratigraphiques, la coupe sagittale nord apparaît plus propice à la caractérisation de l’archéoséquence du site. La pente naturelle de 8° vers le talus la rend d’ailleurs plus lisible qu’une vue frontale écrasée (voir ci-dessous).
2L’une des difficultés classiques lors de l’analyse spatiale du matériel archéologique est le regroupement en vue d’un traitement conjoint des deux corpus granulométriques d’objets exhumés : 1) les éléments issus de la macrofraction, repérés en cours de fouille et dont la position est géoréférencée de manière individuelle ; 2) les éléments issus de la microfraction, récupérés après tamisage puis tri, dont la position est traitée par lots sous forme d’effectifs de grille (les décapages). En général, les inférences croisées sur ces deux groupes se font soit de manière indirecte, soit en réduisant, par discrétisation, les données spatiales de la macrofraction, de manière à ce que leur forme soit analogue à celle de la microfraction. La méthode inverse, qui consiste à rendre ponctuellement projetables les éléments de la microfraction, est parfois utilisée. Elle repose sur l’affectation de coordonnées, aléatoires mais contrôlées par la grille, à chaque élément archéologique de petite taille caractérisé lors du tri des refus de tamis. Des représentations en semis de points de l’ensemble des fractions autorisent alors des analyses de détail sur l’ensemble de la granulométrie. Les projections planimétriques et verticales de l’ensemble des vestiges coordonnés et de certains éléments de la microfraction issue du tamisage (pièces lithiques hors esquilles, grande faune déterminée uniquement, industrie osseuse et éléments de parure) affectés de coordonnées aléatoires contrôlées apportent ainsi plusieurs informations. Elles permettent de niveler la représentativité spatiale de la granulométrie des vestiges, limitant également les distorsions dans l’enregistrement, potentiellement liées aux fouilleurs. Il faut toutefois insister sur le fait que les projections intégrant les éléments issus du tamisage demeurent une modélisation. Une interprétation croisée impliquant les deux composantes (tamis et pièces coordonnées) ne peut se faire qu’avec prudence, eu égard à leur différence de nature (tirage aléatoire/mesure). Nous présentons ainsi une série de projections planimétriques sur l’ensemble de la surface ouverte et de projections verticales (coupes frontale et sagittale).
Archéostratigraphie
3La séquence stratigraphique de Peyrazet contient cinq couches archéologiques (de haut en bas : couche 1 à 5) qui ne recoupent que partiellement les trois unités sédimentaires définies précédemment (fig. 12). Ces cinq ensembles ont été définis à partir du croisement des données et observations de terrain avec les projections verticales d’objets (définition des nappes de vestiges) et leur contenu « culturel » (techno-typologie et dates radiocarbone notamment). Ce découpage archéostratigraphique a été préféré aux ensembles biostratigraphiques (fig. 26) – définis à partir de la colonne L6C – qui ne peuvent être directement appliqués à l’ensemble du site.
4Les couches 1 et 2 peuvent être réunies en une unité archéostratigraphique contenant le matériel attribué au Laborien. La couche 3 est un horizon attribué à l’Azilien (présence de pointes à dos et grattoirs courts) mais présentant des mélanges au sein des interfaces couches 3-4 et couches 2-3 (Langlais et al. 2015, Langlais et Laroulandie 2016b). Nous nous intéressons ici, plus particulièrement, à l’ensemble attribué au Magdalénien. En planimétrie (fig. 31-32), une nette différence est visible entre l’abondance de matériel archéologique provenant de la couche 4 par rapport à la couche 5. Pour la couche 4 (fig. 31), on note également la plus faible densité de vestiges sur la bande K, en partie redevable à la présence de gros blocs, à la proximité de la rupture de pente mais aussi au sondage Chalard de 1991 (recouvrant une partie des carrés K6 et K7). Les raccords intra couche 4 forment 118 liaisons lithiques, impliquant 282 objets, et 69 liaisons fauniques, soit 180 pièces (voir ci-dessous et Costamagno dans ce volume). Ces raccords s’étendent sur l’ensemble de l’espace fouillé et laissent présager un fort potentiel archéologique des travées 7 et 8, laissées en témoin.
5Les projections des vestiges et des raccords à longue distance, par travée d’un mètre et sur un plan sagittal (fig. 33-37), corroborent les observations géoarchéologiques quant à la taphonomie des nappes de vestiges (Sitzia dans ce volume). Elles montrent, tout d’abord, la relative cohérence stratigraphique de l’ensemble supérieur attribué au Laborien récent (Langlais et al. 2015). La couche 3 représente, au contraire, un horizon matérialisé par les raccords inter-couches réalisés aux interfaces entre la base du niveau laborien d’une part, et le sommet du niveau magdalénien, d’autre part. La distribution stratigraphique de matériaux particuliers comme le silex coniaco-santonien de type « grain de mil » (Langlais et al. dans ce volume), renforce cette observation. Il est bien représenté dans l’ensemble magdalénien (en couche 4, n = 141) et plus rare dans l’ensemble laborien (Langlais et al. 2015). En revanche, sa présence dans la couche 3 soulève des questions quant à la provenance de ces restes sachant que les sites de l’Azilien récent régional (comme l’abri Murat, voir infra) indiquent une absence de ce matériau d’origine lointaine durant cette période. Il en est de même pour la répartition des vestiges de renne et de cerf, le premier étant présent quasi exclusivement dans l’ensemble magdalénien, le second dans l’ensemble laborien (fig. 39). Avec la répartition du chevreuil (voir ci-dessous), nous avons ainsi la confirmation d’une interface complexe entre les couches 3 et 4. La composante lithique, notamment la présence de pointes à dos, justifie néanmoins la distinction entre la couche 3 (« azilienne ») et la couche 4 (« magdalénienne »). Dans ce contexte, il est difficile d’exclure quelques mélanges au contact des couches 3 et 4 (par exemple, présence d’une lamelle à dos appointée « magdalénienne » en couche 3 et d’un couteau à dos « azilien » au sommet de la couche 4). Pour l’ensemble magdalénien, la coupe sagittale nord (fig. 35) indique une plus grande densité des vestiges au niveau du paléosol (processus sédimentaire postérieur à l’occupation magdalénienne ; Sitzia dans ce volume). La nappe de vestiges flue dans la pente et se dilate verticalement, perdant fortement en densité, jusque dans la couche 5 (pièces intégrées au colmatage interstitiel entre les gros blocs d’effondrement). La projection sur un plan frontal des vestiges de la bande K (fig. 37) illustre également la dilatation verticale des vestiges au sein de la couche 4 et la présence résiduelle d’objets au sein de la couche 5. La moindre densité perçue dans la moitié sud relève des causes précédemment citées (dalles d’effondrement et fouilles Chalard). Au regard des nappes de vestiges (fig. 33-37), l’hypothèse de deux unités – suivant la densité des vestiges – ne peut être totalement écartée. Toutefois, l’homogénéité techno-typologique et la présence de raccords suivant la pente entre les ensembles denses et dilatés, nous ont conduits à considérer l’ensemble du matériel anthropogène de la couche 4 comme appartenant à une même unité archéostratigraphique attribuée au Magdalénien. La couche 5 est pauvre en objets d’origine anthropique mais riche en restes de rongeurs et autres petits vertébrés. Les rares pièces anthropogènes mises au jour dans cette couche (par exemple, deux lamelles à dos ou un éclat en bois de cervidé) ne présentent pas de différence chrono-culturelle perceptible avec la couche 4. Ainsi, comme pour le matériel des fouilles Chalard (équivalent pour partie à la couche 4), les quelques pièces de la couche 5 ont été intégrées à l’ensemble magdalénien.
Datations radiométriques
6Afin de caler chronologiquement l’archéoséquence de Peyrazet, dix-huit dates ont été réalisées sur des ossements d’espèces déterminées (tabl. 6, fig. 38). Elles ont concerné trois vestiges de cerf (Cervus elaphus), un reste de chevreuil (Capreolus capreolus), six os de renne (Rangifer tarandus), un os de chamois (Rupicapra rupicapra), deux lots de campagnols (Arvicola sp.) et cinq mandibules de musaraignes (Crocidura cf. suaveolens, Crocidura russula et Neomys anomalus). Mis à part les restes de musaraigne, qui ont bénéficié d’un spectromètre de masse de nouvelle génération, les autres pièces ont été datées au sein des laboratoires de Lyon et Saclay (programme ARTEMIS, contingent DRAC Occitanie).
7L’ensemble supérieur attribué au Laborien récent présente une date sur cerf, entre environ 11250 et 11150 cal. BP (2 σ, OxCal 4.3 : Bronk Ramsey 2009 selon la courbe IntCal 13 : Reimer et al. 2013), qui correspond bien au cadre défini pour cet ensemble chrono-culturel (Langlais et al. 2015). Deux autres dates obtenues sur ce même taxon sont plus récentes d’au moins 500 ans à la limite supérieure retenue pour le Laborien (ca. 11000 cal. BP). Les faibles rendements en collagène de ces deux échantillons, limitent leur fiabilité et pourraient expliquer ce résultat (tabl. 6). Un os de chevreuil, provenant de l’interface entre les couches 3 et 4 est daté entre 13750 et 13500 cal. BP. Cette date, semblable au résultat obtenu sur musaraigne en couche 3-4, est compatible avec les données chronologiques régionales pour l’Azilien récent (Fat Cheung et al. 2014), bien que ces échantillons présentent un très faible rendement en collagène (tabl. 6). L’ensemble magdalénien (couche 4) est daté sur renne et chamois. Trois dates centrées autour de 14000 cal. BP proviennent d’échantillons pauvres en collagène (tabl. 6), issus du sommet de couche 4 (fig. 39). En revanche, quatre mesures permettent de circonscrire de manière plus fiable l’ensemble magdalénien entre 14400 et 15600 cal. BP (fig. 38). Les résultats obtenus sur ossements de campagnol et musaraigne datent entre 15200 et 15800 cal. BP l’ensemble inférieur de la couche 4. Celui obtenu sur un lot d’ossements de campagnol date la couche 5 entre 16000 et 16600 cal. BP.
8Afin de reconstruire le processus de recolonisation postglaciaire de l’Europe occidentale par plusieurs espèces de musaraigne sur la base de documents bien datés et géoréférencés, six mandibules de musaraigne de Peyrazet ont été sélectionnées en vue de datations radiocarbone directes et individuelles. L’adaptation de la chaîne de préparation du collagène à des doses très inférieures à celles habituellement utilisées (en raison de l’extrême petite taille des ossements datés) et la datation de très faibles quantités de carbone (jusqu’à 0.2 mg) ont été accomplies par S. Cersoy et A. Zazzo (UMR 7209). Ces datations ont été effectuées lors de phases de tests et de premières applications de nouveaux protocoles et équipements (ECHo-MICADAS AMS : MIni CArbon DAting System : Cersoy et al. 2017a, 2017b). Parmi les six mandibules d’insectivore analysées, une pièce provenant de la couche 3 n’a pas produit suffisamment de collagène pour une datation directe par AMS. Les cinq autres échantillons ont livré des résultats (Rofes et al. 2020 ; tabl. 6). Pour la couche 2, la divergence importante entre les dates sur Crocidura russula et celle retenue sur cerf peut s’expliquer aisément par la présence d’un terrier (Sitzia dans ce volume). Rappelons également l’identification dans la couche 1 du rat noir (Rattus rattus, Langlais et al. 2015), rongeur non attesté en France avant le début de l’Antiquité (Pascal et al. 2006). Pour l’interface des couches 3-4, nous avons vu que l’échantillon de Crocidura cf. suaveolens contenait peu de collagène mais le résultat obtenu est compatible avec celui obtenu sur chevreuil. Pour la couche 4, l’excellente coïncidence entre les dates obtenues sur Neomys anomalus et celle effectuées sur un lot d’ossements d’Arvicola sp. (Royer 2016 ; fig. 38) accrédite la fiabilité des nouveaux protocoles (Rofes et al. 2020).
9Ainsi, sept mesures sur dix-huit peuvent être critiquées au regard du faible taux de collagène, des données chrono-culturelles régionales ou du contexte de découverte (tabl. 6). Les onze restantes permettent, à la fois, de dater la présence de certaines espèces dans l’environnement du site (Costamagno et al. 2016, Royer 2016, Rofes et al. 2020) et de préciser la chronologie des phases d’occupation de l’abri.
10Les datations obtenues et la distribution verticale des restes coordonnés attribués au cerf, chevreuil, chamois et renne (fig. 39) confirment la relative cohérence stratigraphique de l’ensemble supérieur laborien à cerf dominant et de la couche 4 concentrant l’essentiel des restes de renne. La séquence de la travée 6 apparaît, à ce titre, mieux préservée que celle de la travée 5. Le chamois, associé à un milieu rupicole proche du site, comme le bouquetin (voir supra, tabl. 2), est essentiellement représenté dans l’ensemble magdalénien et marginalement dans l’ensemble laborien. Le chevreuil indique, pour sa part, une situation intermédiaire entre ces deux ensembles. Ces deux projections permettent d’ailleurs de souligner l’existence en couche 3 et à l’interface des couches 3-4 d’un horizon plus complexe. La prise en compte de l’ensemble des données (notamment du tamis) issues des différentes espèces a permis de préciser ces observations stratigraphiques (Royer et al. dans ce volume). L’archéoséquence de Peyrazet documente un moment clé du Tardiglaciaire dans le Sud-Ouest français qui voit la recomposition des zoocénoses (Langlais et al. 2012, 2014, Costamagno et al. 2016). Si cette transformation est bel et bien enregistrée à Peyrazet dans ses grandes lignes, une part d’ombre persiste notamment au sein de la couche 3 et de son interface avec la couche 4. Plusieurs datations ont été tentées mais la mauvaise conservation du collagène n’a pas apporté d’éclaircissements. De nouveaux protocoles d’analyse permettront peut-être de lever le voile.
Auteurs
mathieu.langlais@u-bordeaux.fr
CNRS, UMR 5199 PACEA, Université de Bordeaux, bâtiment B2, allée Geoffroy Saint Hilaire, 33600 Pessac
veronique.laroulandie@u-bordeaux.fr
CNRS, UMR 5199 PACEA, Université de Bordeaux, bâtiment B2, allée Geoffroy Saint Hilaire, 33600 Pessac
f.lacrampe@archeosphere.com
SARL Archéosphère, 10 rue de la Rhode, 11500 Quillan
costamag@univ-tlse2.fr
CNRS, UMR 5608 TRACES, Université Toulouse-Jean Jaurès, Maison de la Recherche, 5 allées Antonio Machado, 31000 Toulouse
juan.rofes@mnhn.fr
CNRS, UMR 7209 AASPE, Sorbonne Universités, Muséum national d’Histoire naturelle, 55 rue Buffon, 75005 Paris ; University of the Philippines, Albert Hall, Lakandula St., UP Diliman, Quezon City 1101, Philippines
aurelien.royer@u-bourgogne.fr
CNRS, UMR 6282 Biogéosciences, Université Bourgogne Franche-Comté, EPHE, 6 boulevard Gabriel, 21000 Dijon
CNRS, UMR 7209 AASPE, Sorbonne Universités, Muséum national d’Histoire naturelle, 55 rue Buffon, 75005 Paris
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