Volonté de réformes et changements, le modèle de Bonaparte à Bush
p. 59-76
Texte intégral
1Dans un récent numéro de Foreign Affairs1, Bernard Lewis affirme que les élections irakiennes de janvier 2005 pouvaient représenter un tournant historique de l’ampleur au moins aussi important que l’arrivée du général Bonaparte et la révolution française en Égypte, il y a un peu plus de deux siècles. Il est bien vrai que le discours actuel de démocratisation du « Grand Moyen-Orient » rappelle étrangement le discours révolutionnaire d’universalisation de la Révolution française et qu’il pose les mêmes problèmes d’interprétation.
L’Empire ottoman doit être réformé
2C’est au xviiie siècle qu’est née la problématique de la réforme dans le monde musulman, principalement à propos de l’Empire ottoman. Il est la conséquence dans la seconde moitié de ce siècle de l’affirmation d’un renversement écrasant des forces. Dans la période précédente, les Ottomans inspiraient de la peur, ce qui se traduisait par la théorie du despotisme oriental, gouvernement par la terreur dont l’efficacité était plus que redoutable. Dès lors qu’il n’existait plus de raison d’avoir peur, le despotisme devenait alors synonyme de stagnation, d’impuissance et de régression. Nous avons connu ces dernières décennies la même évolution par rapport à la puissance soviétique.
3Après 1774, l’Europe dans sa globalité se trouve en situation d’hyperpuissance par rapport à l’Empire ottoman. Le débat européen se concentre alors sur la question de savoir si les principales puissances allaient se partager l’Empire à l’image du sort contemporain de la Pologne ou si l’intérêt de l’équilibre européen était de le maintenir. La comparaison la plus habituellement utilisée était celle du vieil arbre soit, il était condamné à mourir, soit un habile jardinier pourrait lui permettre de retrouver ses forces. Dans les deux hypothèses la modernisation du monde musulman passe par d’inévitables transformations, sinon il est condamné à disparaître. Comme l’indique Vergennes en 17842 en donnant ses instructions au nouvel ambassadeur à Constantinople, Choiseul Gouffier, la nation turque (musulmane) est en décadence :
« Qui la tirera de cet état ? Qui l’amènera à sentir qu’elle est encore entière, et que pour tenir tête à un voisin tel que les Russes, il ne lui manque que de savoir employer les moyens qui sont en son pouvoir ? Qui étouffera ses préjugés, dissipera son ignorance et le persuadera que si elle ne change pas du tout au tout sa perte est démontrée ? Telle est cependant la pénible tâche que le comte de Choiseul est appelé à remplir. »
4Le nouvel ambassadeur devra pousser la nation turque à chercher son salut dans l’étude des sciences et particulièrement de l’art militaire. De façon générale, « en profitant des circonstances, et en ne perdant pas de vue son objet, le comte de Choiseul Gouffier pourra donner le mouvement à la révolution et accoutumer le gouvernement turc à chercher des lumières qui lui manquent et à se procurer des hommes instruits du dehors, en attendant que la nation soit instruite ».
5Ce premier type de réformes s’inscrit dans les nécessités de la géopolitique. Il faut que l’Empire ottoman se réforme pour pouvoir servir de barrière à l’expansion russe, élément de déstabilisation de l’équilibre ottoman. Cette politique reçoit un début d’exécution, d’abord dans le système militaire parce qu’une partie des élites gouvernementales ottomanes sont conscientes de la nécessité d’emprunter ces techniques pour permettre la survie. Les réformes précédentes fondées sur l’idée de retourner aux sources originelles de la puissance ottomane avaient échoué. La réforme inspirée de l’extérieur remplaçait donc la réforme conservatrice. Mais cette réforme se heurte à des résistances considérables puisqu’elle met en cause des intérêts en place et qu’elle a une origine européenne et chrétienne. Les premiers réformateurs sont donc contraints de juxtaposer institutions nouvelles et institutions anciennes.
6Sous le Directoire, la Révolution française entre dans la voie de l’universalisation de son modèle. Le retour à une certaine normalité politique remet en avant la question du sort de l’Empire ottoman. La route des Indes devient l’enjeu d’un conflit triangulaire entre la France, la Grande-Bretagne et la Russie. En même temps, la perte des îles à sucre des Antilles pousse à voir en l’Égypte une colonie de substitution.
7Si l’expansion européenne dans l’Ancien monde a pris un caractère inéluctable, le seul exemple connu est alors celui des Britanniques en Indes. Ils dominent déjà une large part du subcontinent. Mais leur ambition semble essentiellement économique et commerciale. L’East India Company apparaît comme l’incarnation la plus parfaite du despotisme militaire et administratif attribué généralement aux États orientaux. Certes après les scandales financiers et moraux des premiers temps de la conquête, une remise en ordre est en cours, précédant l’affirmation du discours justificatif d’une administration juste et incorruptible qui débouchera sur le fardeau de l’homme blanc, mais c’est au prix d’un éloignement croissant entre les colonisateurs et la population indigène.
8Si entre le xvie et le xviiie siècle, la conquête des Amériques avait été faite au nom de la référence chrétienne, continuation de la Reconquista ibérique et mission providentielle des protestants britanniques, il n’est pas question de reprendre l’idée de Croisade dans le monde de l’islam, elle ne pourrait que susciter les résistances les plus fortes alors qu’elle paraît de plus en plus anachronique dans un monde en train d’aborder la modernité.
La France, missionnaire de la liberté
9Pour les révolutionnaires français, le modèle despotique et le modèle des Croisades sont à rejeter. Ils vont en inventer un troisième, celui de la libération nationale en procédant à une analogie entre l’Empire ottoman, l’Europe postérieure aux grandes invasions et le phénomène colonial. Les Turcs, pris dans un sens ethnique, dominent toute une série de peuples qui n’aspirent qu’à secouer leurs jougs. Il s’agit tout aussi bien des chrétiens des Balkans que des musulmans des provinces arabes. Dès lors la conquête française sera une libération accueillie avec joie par tous les intéressés. Les populations libérées coopéreront avec les nouveaux arrivants qui établiront des institutions représentatives. À moyen terme, la présence française en Égypte se transformera en synthèse franco-arabe. Il ne s’agit pas du projet individuel d’un jeune général ambitieux, mais d’un consensus des élites politiques et intellectuels du régime républicain qui voient dans l’expédition à venir l’universalisation de la Révolution sous la direction de la France, voire le début de la fin de l’histoire.
10Tous les ménagements seront prodigués aux institutions musulmanes et cela d’autant plus facilement que l’armée de la révolution a abandonné tout caractère chrétien. On se présentera donc en ami de l’islam, voire en allié contre les chrétiens européens.
11C’est ce qu’exprime la fameuse proclamation au peuple égyptien du 1er juillet 1798 :
« Au nom de Dieu le Bienfaiteur, le Miséricordieux, il n’y a pas de Dieu que Dieu, il n’a pas de fils ni d’associé dans son règne.
De la part de la République [jumhur] française fondée sur la base de la liberté et l’égalité, le général [sar‘askar] Bonaparte chef de l’armée française fait savoir au peuple [ahali] d’Égypte que depuis trop longtemps les Beys qui gouvernent l’Égypte insultent à la nation française, et couvrent ses négociants d’avanies : l’heure de leur châtiment est arrivée.
Depuis trop longtemps, ce ramassis d’esclaves achetés dans le Caucase et la Géorgie tyrannise la plus belle partie du monde ; mais Dieu, le Seigneur des Mondes, le tout puissant, a ordonné que leur empire finît.
Égyptiens, on vous dira que je viens pour détruire votre religion ; c’est un mensonge, ne le croyez pas. Répondez que je viens vous restituer vos droits, punir les usurpateurs ; que je respecte plus que les Mamlouks, Dieu, son prophète Mahomet et le glorieux Coran.
Dites-leur que tous les hommes sont égaux devant Dieu ; la sagesse, les talents et les vertus mettent seuls de la différence entre eux.
Or, quelle sagesse, quels talents, quelles vertus distinguent les Mamlouks, pour qu’ils aient exclusivement tout ce qui rend la vie aimable et douce ? Y a-t-il une belle terre ? Elle appartient aux Mamlouks. Y a-t-il une belle esclave, un beau cheval, une belle maison ? Cela appartient aux Mamlouks. Si l’Égypte est leur ferme, qu’ils montrent le bail que Dieu leur en a fait. Mais Dieu est juste et miséricordieux pour le peuple ; et avec l’aide du Très Haut, à partir d’aujourd’hui, aucun Égyptien ne sera empêché d’accéder à une fonction éminente : que les plus sages, les plus instruits, les plus vertueux, gouvernent et le peuple sera heureux.
Il y avait jadis parmi vous de grandes villes, de grands canaux, un grand commerce : qui a tout détruit, si ce n’est l’avarice, les injustices, et la tyrannie des Mamlouks ?
Qadi, shaykh, shorbagi, dites au peuple que nous sommes de vrais musulmans. N’est-ce pas nous qui avons détruit le Pape qui disait qu’il fallait faire la guerre aux musulmans ? N’est-ce pas nous qui avons détruit les chevaliers de Malte, parce que ces insensés croyaient que Dieu voulait qu’ils fissent la guerre aux musulmans ? N’est-ce pas nous qui avons été dans tous les siècles les amis du Grand Seigneur [que Dieu accomplisse ses désirs !] et l’ennemi de ses ennemis ? Les Mamlouks au contraire ne se sont-ils pas toujours révoltés contre l’autorité du Grand Seigneur, qu’ils méconnaissent encore ? Ils ne font que leurs caprices.
Trois fois heureux ceux qui seront avec nous ! Ils prospéreront dans leur fortune et leur rang. Heureux ceux qui sont neutres ils auront le temps d’apprendre à nous connaître, et ils se rangeront avec nous. Mais malheur, trois fois malheur à ceux qui s’armeront pour les Mamlouks et combattront contre nous. Il n’y aura pas d’espérance pour eux : ils périront. »
12Le style grandiloquent ne doit pas masquer le fait que cette proclamation s’inspire de texte ottoman de la même période, mais à la notion ancienne de suppression des avanies s’est ajoutée celle de libération nationale. Les Égyptiens n’ont pas été dupes et ils ont vu dans les Français de nouveaux oppresseurs.
13D’ailleurs les Ottomans vont répliquer par un texte de contre-propagande censé être le dévoilement des délibérations secrètes des Français. De façon intéressante, les ambitions patentes de ces derniers sont beaucoup mieux exprimées. Il s’agit de la « relation de ce qui s’est passé dans le conseil infernal des Directeurs de la République, dignes émules des Pharaons, lorsqu’ils ont agité les projets de s’emparer de l’Égypte et autres lieux par la ruse et par la force ; [...] le tout traduit du français en langue turque par un agent secret musulman et traduit maintenant du turc en arabe ».
14Ces pseudos délibérations commencent par la reprise des thèmes bien connus de la propagande française : richesse de l’Égypte, mauvais gouvernements et avanies des Mamlouks, nécessité de combattre les Anglais en Inde. Après avoir ainsi authentifié le texte, on passe au vif du sujet, tout n’est que ruse de la part des Français :
« Là vous commencerez à agir de ruses et vous direz : “Ô vous notables de l’Égypte notre intention est de ramener parmi vous le bonheur, et de faire cesser vos calamités. Nous vous rendrons indépendants et libres dans votre gouvernement, nous nous chargerons d’empêcher qu’on ne vienne troubler votre administration, nous ne sommes point venus pour exercer des violences envers vous, nous sommes au contraire vos amis. Par notre secours, vous deviendrez une nation puissante. Vous n’aurez plus rien de commun avec ceux qui vous gouvernaient selon leurs caprices, vous seuls vous donnerez des lois ; nous confondrons nos intérêts avec les vôtres, nous ne ferons plus qu’un seul peuple, et lorsque nous ferons de nouvelles conquêtes, nous vous en ferons part. Vous recouvrerez votre ancienne souveraineté, et nous remettrons nos intérêts entre vos mains. Si vous entrez dans nos vues, vous arriverez au comble de la prospérité et vous détournerez bien des malheurs. Nous connaissons votre force et votre intelligence. Vous n’avez point d’égaux en sagacité et en jugement, en courage et en sagesse. C’est pour cela que nous avons nous réunis à vous [sic]”. »
15En réalité, les intentions des Français sont sataniques :
« Mais attendu que nous avons secoué le joug de tout préjugé religieux, que nous avons foulé aux pieds toutes les lois divines et humaines, et que nous ne pourrions jamais compter sur les musulmans qui sont si zélés pour leur religion, dès que nous les aurons domptés par les moyens de ruse indiqués ci-dessus, alors nous détruirons la Mecque et la Kaaba, Médine et le Mausolée de leur Prophète, Jérusalem, toutes les mosquées, tous les lieux de leur vénération. Ensuite nous ordonnerons un massacre général, et nous n’épargnerons que les jeunes filles et les jeunes garçons ; après quoi, nous partagerons entre nous leurs dépouilles et leurs terres. Quant à ce qui restera de ce peuple, il nous sera aisé, alors, de lui faire adopter nos principes, notre Constitution et notre langue. L’islamisme et ses lois disparaîtront de dessus la terre, dans les quatre parties du monde. »
16L’épisode de l’expédition d’Égypte terminé, on ne reviendra plus au discours de libération nationale avant le début du xxe siècle. La seule exception est la proclamation de juin 1830 à l’occasion de la prise d’Alger, dont le rédacteur est Sylvestre de Sacy, qui s’est largement inspiré de celle de Bonaparte en Égypte :
« Notre présence chez vous n’est pas pour vous combattre ; notre but est seulement de faire la guerre à votre Pacha, qui, le premier, a manifesté contre nous des sentiments d’hostilité et de haine.
Vous n’ignorez pas les excès de sa tyrannie, la dépravation de sa mauvaise nature, et nous n’avons pas besoin de vous exposer ses mauvaises qualités et ses actes honteux ; car il est évident pour vous qu’il ne marche qu’à la ruine et la destruction de votre pays, ainsi qu’à la perte de vos biens et de vos personnes. On sait qu’il n’a d’autre désir que de vous rendre pauvres, misérables, plus vils que ceux que la malédiction divine a frappés.
Un fait des plus étranges, c’est que vous ne comprenez pas que votre Pacha n’a en vue que son bien-être personnel ; et la preuve, c’est que les plus beaux des domaines, des terres, des chevaux, des armes, des vêtements, des joyaux, etc., sont tous pour lui seul.
Ô, nos amis les Marocains [Maghrébins], Dieu (qu’il soit glorifié) n’a permis ce qui a lieu de la part de votre inique Pacha, que par un acte de sa divine bonté envers vous : afin que vous puissiez atteindre une prospérité complète par la ruine de votre tyran et la chute de son pouvoir, et pour vous délivrer des inquiétudes et de la misère qui vous accablent. »
Le siècle de la réforme
17L’abandon du thème de la libération au xixe siècle est lié au refus d’accorder aux peuples musulmans le principe des nationalités, réservé en zone méditerranéenne aux peuples chrétiens des Balkans. D’ailleurs, durant tout ce siècle, la colonisation ne s’exerce qu’au détriment des peuples non chrétiens, à l’exception de la tentative malheureuse de l’Italie d’occuper l’Éthiopie.
18Le refus d’appliquer le principe des nationalités est alors justifié par le retard supposé des peuples musulmans et leur incapacité, au moins pour longtemps, de le rattraper. Il faudra donc soit une colonisation benevolente européenne dans le genre mission civilisatrice française ou fardeau de l’homme blanc britannique, soit un long travail de réformes sur eux-mêmes pour permettre aux musulmans de se hausser au niveau des Européens.
19Dans le cadre ainsi fixé, l’élargissement démesuré des immunités assurées aux Européens et aux Américains grâce aux traités de capitulations dans l’Empire ottoman et l’imposition de systèmes analogues au Maroc et à la Perse permet de satisfaire les besoins immédiats des Européens : protections consulaires, protectorat religieux des non-musulmans, tribunaux consulaires et mixtes, exemptions fiscales, faibles droits de douane. Le tout est régi en dernier ressort par la diplomatie de la canonnière qui assure le respect de ces obligations.
20Dès lors, le travail des réformateurs ottomans de l’époque dite des Tanzimat est orienté dans le sens du rattrapage et de la mise à niveau. L’œuvre réformatrice a pour ambition de prendre le discours européen à la lettre et de rendre ainsi les capitulations vides de sens. De fait dans le dernier tiers du xixe siècle, les Ottomans réussissent à retourner une partie des arguments européens contre leurs auteurs. Ainsi ils adoptent le principe de la séparation des pouvoirs entre le judiciaire, l’administratif et le militaire et quand tel consul ou tel ambassadeur émet une exigence, les autorités peuvent se trouver dans la capacité de répondre qu’ils ne sont pas dans un régime despotique, mais dans un régime de droit et que c’est aux tribunaux de trancher... En fait, l’État ottoman réformé devient un partenaire efficace des intérêts européens et même un régulateur des ambitions contradictoires des puissances concernées.
21La modernisation de l’État ottoman passe par un jeu de transferts de compétences qui assurent l’influence des puissances européennes. L’administration ottomane est ainsi réformée sur le modèle français (avec en prime une gendarmerie), la marine suit l’exemple britannique et l’armée adopte l’organisation prussienne. Cela passe par l’envoi de conseillers de ces puissances jalousement surveillés par les autres pays.
22Dans l’Égypte occupée par les Britanniques en 1882, la question de la réforme deviendra l’élément essentiel de la justification de la présence britannique. Outre la réorganisation des finances afin d’assurer le paiement de la dette étrangère, les Britanniques d’Égypte se poseront en permanence comme les seuls à être capable d’assurer la modernisation du pays. Ils se heurteront alors aux capitulations et ils seront pris dans le piège de leur propre discours. Si l’Égypte peut être dispensée des capitulations en raison de son avance dans la voie de la modernisation, alors la présence britannique n’a plus de fondement moral puisque les Égyptiens seraient alors capables de s’en passer... Finalement les Britanniques trouveront que le véritable critère du succès de leurs réformes et de la modernisation de l’Égypte serait que les Égyptiens acceptent naturellement leur maintien dans le pays ou en tout cas le respect de leurs intérêts.
23Puisqu’il n’est plus question de libérer et que les capitulations assurent un régime satisfaisant, l’exigence externe de réformes se concentre sur la question des non-musulmans. Dans un premier temps, le débat porte sur leur émancipation. La question est compliquée du fait que la France revendique un « protectorat » religieux c’est-à-dire politique sur les catholiques et que la Russie en fait de même sur les orthodoxes. Il en résulte la guerre de Crimée et le compromis du Hatt Sharif de 1856 qui émancipe les non-musulmans sur une base communautaire plutôt qu’individuelle, à rebours de l’émancipation sur une base individuelle et non collective utilisée en Europe de l’Ouest depuis la Révolution française. On consacre ainsi sur le plan juridique l’existence de communautés confessionnelles à qui ont été déléguées certaines compétences de l’État (le statut personnel en particulier).
24Le Maroc ne faisant pas partie de l’Empire ottoman et la Tunisie échappant largement à son autorité, les puissances européennes imposent une émancipation des communautés juives sur le modèle ottoman en pratiquant la diplomatie de la canonnière. Il s’agit dans les deux cas d’élargir les compétences capitulaires et de faire jouer avant tout les protections consulaires.
25Mais en dehors des provinces arabes, l’évolution ne s’arrête pas là et les communautés confessionnelles tendent à se transformer en groupes nationaux. L’orthodoxie balkanique se divise en nations grecque, serbe, bulgare, roumaine dont les ambitions politiques et territoriales sont contradictoires. Dans la grande province ottomane de Macédoine postérieure au traité de Berlin de 1878, tous ces groupes se heurtent avec violence entre eux et avec les populations musulmanes. C’est à cette époque qu’apparaît la notion de terrorisme d’inspiration nationale. Le concert européen intervient à de nombreuses reprises pour essayer d’imposer des réformes administratives qui exacerbent plutôt la situation.
Le Moyen-Orient mis sous tutelle au nom de la liberté
26Une fois la situation balkanique réglée par les deux guerres de 1912-1913 qui mettent fin aux Balkans ottomans, l’intérêt européen se transfert sur l’Anatolie en raison de la question arménienne. L’exigence européenne de réformes dans ce domaine sera l’une des raisons essentielles de l’entrée en guerre de l’Empire ottoman en novembre 1914 et le prélude aux événements tragiques de 1915.
27La Première Guerre mondiale modifie radicalement le contexte. Les Ottomans suppriment les capitulations et proclament le jihad contre les Français et les Britanniques, les deux premières « puissances musulmanes » de l’époque en raison de leur empire colonial. Il leur faut donc à la fois contrer ce jihad et trouver une formule politique capable de remplacer le système capitulaire. Ils le trouvent dans le soutien à la révolte arabe et dans l’enchevêtrement des négociations que sont la correspondance Hussein-MacMahon et les accords dits Sykes-Picot.
28Dès lors, quand les armées britanniques progressent dans leurs conquêtes des provinces arabes, elles retrouvent les accents oubliés depuis plus d’un siècle : la libération des peuples de la domination ottomane et la promesse d’un avenir radieux.
29Le texte le plus célèbre de ce genre est la proclamation du général Maude, rédigée par Sir Mark Sykes, lors de la prise de Bagdad le 19 mars 1917 :
« Aux habitants du vilayet de Bagdad,
Au nom de mon roi et au nom des peuples qui sont ses sujets, je m’adresse à vous pour vous dire ceci :
Nos opérations militaires ont pour objectif de vaincre l’ennemi et de le chasser de ces territoires. Pour mener cette tâche à bien, j’ai été investi d’une autorité absolue et suprême sur toutes les régions où les forces britanniques opèrent, mais nos armées ne sont pas venues dans vos villes et dans vos campagnes comme conquérants ou comme ennemis, mais comme libérateurs.
Depuis l’époque de Hulaku, vos concitoyens ont été victimes de la tyrannie des étrangers, vos palais sont tombés en ruines, vos jardins ont sombré dans la désolation, vos ancêtres et vous-mêmes avez supporté l’asservissement. Vos fils ont été enlevés pour des guerres qui n’étaient pas de votre fait, vos richesses vous ont été volées par des hommes injustes qui les dilapidaient loin d’ici.
Depuis l’époque de Midhat Pacha, les Turcs ont parlé de réformes, mais les ruines et le gâchis d’aujourd’hui ne témoignent-ils pas de la vanité de ces promesses ?
C’est le vœu, non seulement de mon roi et de ses sujets, mais aussi des grandes puissances avec lesquelles il est allié, que vous puissiez prospérer, comme par le passé, quand vos terres donnaient au monde la littérature, la science et les arts et que Bagdad était l’une des merveilles du monde.
Entre votre peuple et les possessions de mon roi, il y a eu une étroite communauté d’intérêts et, depuis 200 ans, les commerçants de Bagdad et de Grande-Bretagne ont fait ensemble du commerce pour leur mutuel profit et en toute amitié. D’un autre côté, les Allemands et les Turcs, qui vous ont spoliés vous et les vôtres, ont fait de Bagdad depuis vingt ans un centre d’où ils attaquent la puissance britannique et celle des alliés des Britanniques en Perse et en Arabie. En conséquence, le gouvernement britannique ne peut rester indifférent à ce qui se passe dans votre pays, aujourd’hui comme dans le futur, car, eu égard aux intérêts du peuple britannique et de ses alliés, le gouvernement britannique ne peut risquer de voir se réitérer à Bagdad ce qu’ont fait les Turcs et les Allemands durant la guerre. Mais qu’il s’engagera dans cette voie dans l’unité et la concorde.
Ô Habitants de Bagdad, souvenez-vous que, durant vingt-six générations, vous avez souffert à cause des tyrans étrangers qui ont toujours tenté de monter une famille arabe contre une autre afin de mieux profiter de vos dissensions. En conséquence, j’ai reçu l’ordre de vous inviter à participer, par vos notables, vos anciens et vos représentants, à la conduite de vos affaires civiles, en collaboration avec les représentants politiques de la Grande-Bretagne, qui accompagnent l’armée britannique, afin que vous puissiez vous unir avec ceux de votre race dans le nord, l’est, le sud, et l’ouest pour réaliser leurs aspirations. »
30Avec le wilsonisme et la révolution russe, Français et Britanniques sont contraints de prendre des engagements plus spécifiques. C’est la teneur de leur déclaration commune du 7 novembre 1918 sur les territoires ottomans libérés :
« Le but qu’envisagent la France et la Grande-Bretagne en poursuivant en Orient la guerre déchaînée par l’ambition allemande, c’est l’affranchissement complet et définitif des peuples très longtemps opprimés par les Turcs et l’établissement de gouvernements et administrations nationaux, puisant leur autorité dans l’initiative et le libre choix des populations indigènes.
Pour donner suite à ces intentions, la France et la Grande-Bretagne sont d’accord pour encourager et aider l’établissement de gouvernements et d’administrations indigènes en Syrie et en Mésopotamie actuellement libérées par les Alliés ou dans les territoires dont ils poursuivent la libération et pour reconnaître ceux-ci aussitôt qu’ils seront effectivement établis. Loin de vouloir imposer aux populations de ces régions telles ou telles institutions, elles n’ont d’autre souci que d’assurer, par leur appui et par une assistance efficace, le fonctionnement normal des gouvernements et administrations qu’elles se seront librement données. Assurer une justice impartiale et égale pour tous, faciliter le développement économique du pays en suscitant et, en encourageant les initiatives locales, de favoriser la diffusion de l’instruction, mettre fin aux divisions trop longtemps exploitées par la politique turque, tel est le rôle que les deux gouvernements alliés revendiquent dans les territoires libérés. »
31Pris entre le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et leurs intérêts géopolitiques, Français et Britanniques font adopter le compromis que constitue la formule des Mandats de la Société des nations. C’est le fameux article 22 du pacte de la SDN adopté le 28 avril 1919 à Versailles :
« Les principes suivants s’appliquent aux colonies et territoires qui, à la suite de la guerre, ont cessé d’être sous la souveraineté des États qui les gouvernaient précédemment et qui sont habités par des peuples non encore capables de se diriger eux-mêmes, dans les conditions particulièrement difficiles du monde moderne. Le bien-être et le développement de ces peuples forment une mission sacrée de civilisation, et il convient d’incorporer dans le présent pacte des garanties pour l’accomplissement de cette mission.
La meilleure méthode de réaliser pratiquement ce principe est de confier la tutelle de ces peuples aux nations développées qui, en raison de leurs ressources, de leur expérience ou de leur position, sont le mieux à même d’assumer cette responsabilité et qui consentent à l’accepter : elles exerceraient cette tutelle en qualité de mandataires et au nom de la Société.
Le caractère du mandat doit différer suivant le degré de développement du peuple, la situation géographique du territoire, ses conditions économiques et toutes autres circonstances analogues.
Certaines communautés, qui appartenaient autrefois à l’Empire ottoman, ont atteint un degré de développement tel que leur existence comme nations indépendantes peut être reconnu provisoirement, à la condition que les conseils et l’aide d’un mandataire guident leur administration jusqu’au moment où elles seront capables de se conduire seules. Les vœux de ces communautés doivent être pris d’abord en considération pour le choix du mandataire. »
32La question du Mandat réaffirme l’incapacité immédiate pour les peuples concernés de se diriger eux-mêmes sans avoir préalablement reçu les conseils de la puissance tutélaire. Là encore le débat juridique portera sur la différence entre un « mandat tutelle » et un « mandat conseil ». Dans le cas de la Palestine, la création du Foyer national juif compliquera singulièrement le problème. Le Mandat est conçu dès le départ comme une entreprise à court terme soumis de surcroît au contrôle de la Société des nations. La Commission des Mandats surveillera les actes de la puissance mandataire et contrôlera le degré d’évolution de la société du pays concerné. Ainsi l’indépendance de l’Irak est conditionnée par une déclaration du 30 mai 1932 du Conseil de la Société des nations qui fixe ce qui doit devenir les lois fondamentales de l’Irak. Elles concernent en particulier le statut des minorités : représentation équitable dans le système électoral, libre utilisation des autres langues que l’arabe (le kurde étant langue officielle au même titre que l’arabe dans les régions où les Kurdes sont majoritaires), égalité des droits, maintien du statut personnel. À l’instar du droit des minorités d’Europe centrale établi par les traités de 1919-1920, ces dispositions sont garanties par un véritable droit d’ingérence :
« Les dispositions contenues dans le présent chapitre constituent des obligations d’intérêt international. Tout membre de la Société des nations pourra signaler à l’attention du Conseil les infractions à ses dispositions. Ces dernières ne pourront être modifiées que par accord entre l’Irak et le Conseil de la Société des nations statuant à la majorité des voix. Toute divergence d’opinion qui viendrait à s’élever entre l’Irak et l’un quelconque des membres de la Société des nations représentés au Conseil, au sujet de l’interprétation ou de l’exécution des dites dispositions, sera, à la requête de ce membre, soumise pour décision à la Cour permanente de Justice internationale. »
33Ce droit d’ingérence disparaîtra avec le naufrage de la Société des nations.
34L’indépendance de la Syrie et du Liban sera inconditionnelle en raison du contexte de la fin de la Seconde Guerre mondiale où Britanniques et Américains sont pressés de voir éliminer la présence française. Quant à la Palestine, elle s’effondre dans un chaos juridique à partir de 1948.
De l’indépendance à la promotion du « modèle démocratique »
35Après la Seconde Guerre mondiale, tous les États arabes accèdent à l’indépendance totale dans le cadre de la souveraineté garantie par l’appartenance à l’Organisation des Nations Unies. Les derniers arrivés sont les émirats du Golfe indépendants depuis 1971. En ce qui concerne les revendications nationales, il ne reste plus que la question de la Palestine et celle du Sahara occidentale.
36Après 1950, on ne parle plus de réformes mais d’aides dans le cadre des stratégies de développement. La coopération dans le respect de la personnalité des partenaires devient le mot d’ordre officiel. La Conférence de Bandung fait des anciens colonisés des acteurs de plein droit rejetant les ingérences néo-coloniales tout en les mettant en position d’exiger une meilleure répartition des richesses sur le plan mondial. La thématique des droits de l’homme se trouve ainsi limitée à la lutte contre la discrimination raciale à l’extérieur. La dynamique de la libération nationale se transforme ainsi en sanctuarisation complète de la souveraineté restaurée.
37La guerre froide assure ce respect dans la mesure où les deux blocs en compétition ont besoin de s’assurer des alliances et sont donc en position de demandeurs.
38La situation va se modifier à partir des années 1970 quand le paradigme de la libération nationale se trouve supplanté par celui des droits de l’homme. Les grandes organisations humanitaires internationales exercent alors des pressions sur les États en agissant essentiellement sur le plan des relations publiques. Mais les États concernés vont se trouver une nouvelle justification pour leur politique répressive en se posant comme rempart contre la montée de l’islamisme révolutionnaire, l’Irak de Saddam Hussein en étant la parfaite illustration lors de sa guerre contre la République islamique d’Iran.
39Le mot d’ordre de la réforme concerne essentiellement le domaine économique à la suite des crises de l’endettement. Les restructurations économiques liées à la conditionnalité des aides extérieures vont alors dans le sens de la libéralisation économique. Mais cette orientation implique la remise en cause de nombreux avantages sociaux acquis lors de la mise en place des embryons d’États providences dans la période précédente. La restructuration économique imposée de l’extérieur s’oppose alors à toute libéralisation politique, puisque les perdants de la libéralisation économique pourraient alors s’opposer efficacement à la réalisation de ce programme. L’autoritarisme des pays arabes se trouve ainsi doublement justifié par la lutte contre l’islamisme et par la nécessité d’imposer une certaine forme de libéralisation économique. Le cas de l’Égypte de Moubarak est particulièrement caractéristique à cet égard.
40En 1991, les États-Unis vainqueurs de l’Irak théorisent cette situation. Du moment que les intérêts vitaux des pays industriels, dont les États-Unis sont le mandataire, sont assurés, c’est-à-dire l’accès aux marchés intérieurs des pays musulmans et l’exportation de leurs ressources énergétiques (pétrole et gaz) à des prix non-exorbitants, les États musulmans se voient assurer le plein respect de leur souveraineté intérieure s’ils ne s’opposent pas aux intérêts globaux de l’hyperpuissance américaine. Ils doivent être « modérés », sinon ils seront des États « parias » ou « voyous » soumis à des sanctions comme le sont la Libye, l’Irak et l’Iran.
41L’Union européenne y ajoute un partenariat incitatif afin d’assurer la stabilité de son voisinage immédiat en poussant plutôt vers des actions de rationalisation administrative et de mises à niveau des structures éducatives et de production économique.
42Le 11 septembre 2001 bouleverse toute la situation. Pour les néoconservateurs américains, le terrorisme ne pourra être totalement éradiqué que grâce à la démocratisation des sociétés musulmanes et la réorientation des structures éducatives dans un sens libéral. L’Irak libéré de Saddam Hussein entraînera dans un mouvement irrésistible toutes les autres sociétés du monde musulman sur la voie de la liberté. Dés lors ces intellectuels héritiers des Lumières que sont les néoconservateurs retrouvent naturellement le discours des missionnaires bottés de la Révolution française.
43Le discours de G. W. Bush du 17 mars 2003 reprend donc les principaux termes de Bonaparte deux cent cinq ans avant et du général Maude quatre-vingt-six ans auparavant :
« ... Beaucoup d’Irakiens peuvent m’entendre ce soir dans une retransmission traduite, et j’ai un message pour eux : si nous devons commencer une campagne militaire, elle sera directement dirigée contre les hommes sans foi ni loi qui dirigent votre pays et pas contre vous.
Quand notre coalition aura mis fin à leur pouvoir, nous vous enverrons la nourriture et les médicaments dont vous avez besoin.
Nous mettrons à bas l’appareil terroriste et nous vous aiderons à construire un nouvel Irak prospère et libre.
Dans un Irak libre il n’y aura plus de guerres d’agression contre vos voisins, plus de fabriques de poison, plus d’exécutions de dissidents, plus de chambres de torture ou de viol.
Le tyran sera bientôt parti. Le jour de votre libération est proche. Il est trop tard pour Saddam Hussein pour rester au pouvoir. Il n’est pas trop tard pour les militaires irakiens pour agir avec honneur et protéger votre pays, en permettant l’entrée pacifique des forces de la coalition pour éliminer les armes de destruction massive. Nos forces donneront aux unités militaires irakiennes des instructions claires sur les actions qu’elles peuvent prendre pour éviter d’être attaquées et détruites.
J’en appelle à tous les membres de l’armée et des services secrets irakiens : si la guerre arrive, ne combattez pas pour un régime agonisant qui ne vaut pas votre propre vie.
Et tous les membres du personnel civil et militaire devraient écouter attentivement cet avertissement : en cas de conflit, votre destin dépendra de vos actions. Ne détruisez pas les puits de pétrole, une source de richesse qui appartient au peuple irakien. N’obéissez à aucun ordre d’utilisation des armes de destruction massive, contre qui que ce soit, y compris le peuple irakien. Les crimes de guerre seront poursuivis, les criminels de guerre seront punis et il ne sera pas possible de se défendre en disant : “Je ne faisais qu’exécuter les ordres.”
Si Saddam Hussein choisit la confrontation, le peuple américain doit savoir que toutes les mesures ont été prises pour éviter la guerre et que toutes les mesures seront prises pour la gagner.
Les Américains comprennent les coûts des conflits parce que nous les avons payés par le passé. Il n’y a aucune certitude dans la guerre si ce n’est la certitude des sacrifices.
[...]
En faisant appliquer les justes exigences de la communauté internationale, nous honorerons également les engagements les plus profonds de notre pays.
À la différence de Saddam Hussein, nous croyons que le peuple irakien mérite la liberté humaine et en est capable, et, une fois le dictateur parti, ils pourront donner l’exemple à tout le Proche-Orient d’une nation auto-gouvernée énergique et pacifique.
Les États-Unis et d’autres pays vont travailler à faire avancer la cause de la liberté et de la paix dans la région. Notre but ne sera pas atteint en une nuit, mais il peut advenir avec le temps. Le pouvoir et l’appel de la liberté humaine sont ressentis en chaque être et en chaque pays, et le plus grand pouvoir de la liberté est de vaincre la haine et la violence, et de convertir les dons créatifs des hommes et des femmes en une poursuite de la paix. C’est l’avenir que nous choisissons. »
La tentation des « rêveurs diurnes »
44La sincérité des Français de 1798, des Britanniques de 1917 et des Américains de 2003 est incontestable. Ils ont la conviction d’agir tout aussi bien pour assurer les intérêts de leurs pays que pour diffuser le modèle occidental de liberté. Mais leur tendance générale a été rapidement de faire de leur maintien sur place le critère de cette liberté. Les Égyptiens devaient être libres de demander la perpétuation de la présence française, la maturité politique des Arabes serait complète le jour où ils demanderaient spontanément la continuation de la tutelle britannique, et la situation actuelle passe par la protection de ce qui est considéré être les intérêts vitaux des États-Unis.
45La perpétuation de ce schème sur plus de deux siècles s’explique par la culture géopolitique du Moyen-Orient depuis cette période. En interne, le système suscite tout autant l’ingérence étrangère qu’il la rejette. Tout acteur local peut ainsi mobiliser alternativement ou simultanément un discours des grands principes pour faire intervenir en sa faveur des acteurs externes contre des adversaires locaux tout en appelant à la dignité nationale contre les ingérences étrangères.
46Si ces ingérences sont toujours fondées sur des intérêts réels ou supposés, elles prennent les formes, au moins lors des crises majeures, que dicte l’imaginaire politique et romantique des sociétés occidentales. C’est alors le moment des rêveurs diurnes dont parlait T. E. Lawrence « des hommes dangereux car ils peuvent jouer leur rêve les yeux ouverts, pour le rendre possible ».
47La question est donc de savoir si les néoconservateurs américains sont des rêveurs diurnes, des hommes dangereux qui jouent leur rêve les yeux ouverts pour le rendre possible ou si, comme le disait Marx, la répétition se fait plus sur le mode de la bouffonnerie que de la similarité.
48Il est évident trop tôt pour y répondre, mais on peut déjà dire que ce à quoi l’on assiste depuis 2003 appartient plus à la récurrence de situations déjà vécues, à l’ordre du déjà vu, qu’à la fin de l’histoire.
Notes de bas de page
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