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    Plan

    Plan détaillé Texte intégral 1. Approche sémantico-syntaxique du nom support dans le syntagme en apostrophe 2. Description de la syntaxe interne du syntagme en apostrophe : une application au Livre VI des Tragiques Conclusion Notes de bas de page

    De la non-personne à la personne : l’apostrophe nominale

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre 3. Les diverses modalités d’interpellation d’autrui : syntaxe interne et effets de sens de l’apostrophe

    p. 53-82

    Texte intégral 1. Approche sémantico-syntaxique du nom support dans le syntagme en apostrophe 1. 1. Nom support et détermination 1. 1. 1. L’article défini 1. 1. 2. Le déterminant possessif 1. 1. 3. Les déterminants interdits ou d’emploi tout à fait occasionnel 1. 1. 4. L’absence de déterminant 1. 2. Nom support et processus d’identification : de l’identification en propre à la primauté de la qualification 1. 2. 1. Les noms supports privilégiant l’identification objectivante 1. 2. 2. Les noms supports privilégiant l’identification non objectivante 2. Description de la syntaxe interne du syntagme en apostrophe : une application au Livre VI des Tragiques 2. 1. Préalable à l’analyse de la syntaxe interne du syntagme en apostrophe 2. 2. Les identifications en propre (spécifiques) : interpeller autrui par son nom 2. 2. 1. Les noms propres employés seuls 2. 2. 2. Les noms propres accompagnés d’une expansion caractérisante 2. 3. Les identifications par le biais d’un titre, d’un grade ou d’un appellatif conventionnel : interpeller autrui en lui conférant un statut 2. 3. 1. Emploi seul 2.3.2. Emploi avec déterminant 2. 3. 3. Emploi avec expansion 2. 4. Les identifications appréciatives : interpeller autrui en lui conférant une propriété 2. 4. 1. Emploi du nom seul 2. 4. 2. Emploi du nom accompagné d’une expansion 2. 5. Les identifications génériques par un nom commun : interpeller autrui en l’inscrivant dans une classe 2. 6. Réinterprétation globale des apostrophes : du plan de la syntaxe à celui de la textualité 2. 6. 1. Faire voir : apostrophe et rhétorique de l’évidentiel 2. 6. 2. Convaincre : apostrophe et argumentation 2. 6. 3. Apostrophe, pathos, ethos Conclusion Notes de bas de page

    Texte intégral

    1J’ai évoqué a plusieurs reprises le caractère extrêmement contraint de la syntaxe interne de l’apostrophe. Ce chapitre s’intéresse aux divers constituants du syntagme permettant de discriminer autrui - de la détermination du nom en apostrophe aux diverses expansions -, et interroge la production de sens du nom support. La syntaxe externe de l’apostrophe, c’est-à-dire sa distribution, en tant que séquence syntaxiquement extraposée, par rapport à l’énoncé dans lequel elle apparaît, sera examinée dans le chapitre 4.

    2La syntaxe interne et externe sera envisagée à partir de corpus variés. Les diverses modalités d’interpellation d’autrui seront étudiées, pour ce qui est de la syntaxe interne du syntagme en apostrophe (choix des expansions nominales en particulier), à partir des apostrophes figurant dans le Livre VI (intitulé « Vengeances ») des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné (point 2.). L’œuvre est un long poème mystique, d’inspiration prophétique, l’écriture étant envisagée comme une mission donnée par Dieu. Le livre « Vengeances » construit des représentations de la vengeance divine au caractère très théâtral (ce que d’Aubigné lui-même appelle « le style tragique élevé ») : l’apostrophe fait partie de l’attirail rhétorique propre au baroque. Or « Vengeances » raconte constamment l’intervention divine dans l’histoire des hommes, par la bouche d’un énonciateur-prophète. Qu’en est-il alors de l’autre interpellé par quelqu’un qui n’est que le médiateur de Dieu ? Le statut que le texte donne à l’énonciateur implique d’une certaine manière le statut construit pour l’allocutaire. Je tenterai de montrer que la syntaxe interne du syntagme en apostrophe, chez d’Aubigné, est en rapport avec une visée argumentative. Le nombre d’apostrophes construisant une appréciation (qui correspond en fait à une manipulation énonciative) est à cet égard probant. L’explicitation du pacte énonciatif entre ainsi dans la visée globale de dénonciation, qui est la marque des Tragiques.

    3Avant de proposer ce type d’analyse, il me paraît nécessaire de faire un point rapide sur le nom support de la séquence en apostrophe, qu’il s’agisse de son actualisation, ou de la production de sens du nom lui-même (objet du point 1.). L’aspect contraint des possibilités d’actualisation de l’apostrophe nominale a été souligné plus haut. Les déterminants sélectionnés (quand ils sont présents) sont de manière privilégiée des articles définis (cas relativement rare) et des déterminants possessifs (cas plus fréquent) de P1 ou de P4 (ce qui me semble appuyer l’articulation entre personne et position spatiale) : Mes enfants / Les enfants, allez vous coucher, Notre Père qui êtes aux cieux..., La belle enfant, approchez, Les amis, on y va ?, etc. L’actualisation nominale est envisagée dans le point 1. 1. Je m’interrogerai dans un deuxième temps sur le processus d’identification en jeu dans le nom support lui-même (point 1.2.).

    1. Approche sémantico-syntaxique du nom support dans le syntagme en apostrophe

    1. 1. Nom support et détermination

    1. 1. 1. L’article défini

    4Il faut remarquer en premier lieu que l’article défini est plus fréquemment employé avec des noms au pluriel qu’au singulier : s’il est fréquent d’entendre un énoncé du type Par ici, les gosses ! (G. Feydeau, La Dame de chez Maxim, acte II, scène 1), par contre, Par ici, le gosse est plus inattendu. Si l’article défini singulier est présent, il se charge d’autres effets de sens, le nom commun précédé d’un article défini pouvant construire un surnom (exemple 1) ou souligner une façon d’envisager son interlocuteur par son statut, ce statut étant sa carte d’identité sociale en quelque sorte (exemples 2 et 3) :

    La Môme. (De loin, avec un salut de la main à Mongicourt.) Au revoir, bidon !Mongicourt. - Au revoir,la Môme  ! (ibid., acte I, scène 17)

    La Duchesse, passant devant mesdames Ponant et Virette pour aller au curé. - Oui, vraiment, l’abbé, c’est touchant !... et d’une délicatesse ! (ibid., acte II, scène 1)

    L’Abbé, au comble de l’émotion. - Ah ! général... mon émotion !... Je ne sais comment vous dire !... Laissez-moi vous embrasser !
    Le Général, ouvrant ses bras. - Allez-y,l’abbé  !... (Arrêtant l’élan de l’abbé.) Ah ! je ne vous dis pas que ça vaudra une jolie femme ! mais pour un ecclésiastique, n’est-ce pas ?... Sur mes joues,l’abbé  ! (ibid.)

    5L’apostrophe peut aussi œuvrer à une caractérisation objectivante, quand l’identité de la personne interpellée est inconnue. Il peut s’agir d’un syntagme nominal réduit à l’article défini suivi du nom, le nom suffisant alors à identifier le destinataire, parce qu’il construit une image précise de cet allocutaire. Pour le premier exemple, le choix du nom passante renvoie à une caractérisation par le biais d’un procès, passer. Pour le second, bohémienne, la proximité cotextuelle de chèvre et de danser permet la construction d’une référenciation précise :

    La paysanne hocha la tête et dit :
    - Écoutez, la passante. Dans des temps de révolution, il ne faut pas dire des choses qu’on ne comprend pas. Ça peut vous faire arrêter. (V. Hugo, Quatre-vingt treize)

    Cependant la bonne dame s’était levée avec humeur. - Or çà, la bohémienne, si toi ni ta chèvre n’avez rien à nous danser, que faites-vous céans ? (V. Hugo, Notre-Dame de Paris)

    6Plus habituellement, quand le nom est au singulier, et déterminé par un article défini, il est caractérisé par une expansion à visée actualisante. Pour le premier exemple ci-dessous, la relative est restrictive, et participe donc à l’actualisation du nom. Pour le second, l’adjectif belle, qui accorde une propriété à enfant, a aussi un rôle actualisant :

    Radoub fit un pas et s’arrêta.
    - Hé, l’homme qui es par terre, qui es-tu ?
    - Je suis celui qui est par terre et qui se moque de ceux qui sont debout. (V. Hugo, Quatre-vingt treize)

    - Césarine est charmante. Venez ici, la belle enfant, dit madame Ragon de sa voix de tête et d’un air protecteur. (H. de Balzac, César Birotteau)

    7L’article défini peut enfin être lié à un registre de langue particulier, par exemple :

    Petypon. -Et, maintenant, à tantôt, trois heures et demie, en bas, devant la porte d’entrée !
    La Môme. - Entendu ! (Se dégageant de Petypon, qui la dirigeait vers la sortie, pour aller à Mongicourt.) Bonjour, le m’sieur ! (Elle lui donne la main) (G. Feydeau, La Dame de chez Maxim)

    Le Général. - Elle est charmante, ma nièce (À Petypon.) Tu entends,le mari  ! elle est charmante, ma nièce.
    La Môme. - Tu entends,le mari  ?
    Petypon, sans conviction. - Oui ! oui ! (ibid.)

    8Guillaume (1919/1975 : 300) parle à ce propos d’emploi « trivial » ou « familier », et propose les exemples suivants :

    Hé, la mère !
    Hé ! l’homme, où allez-vous ?
    Passez votre chemin, la fille, et m’en croyez (Jean de La Fontaine, III, 1)
    Hardi, les gars, en avant !

    9Il est aussi possible d’avoir un article défini avec une apostrophe rhétorique, mais ce cas est beaucoup moins fréquent. L’énoncé ci-dessous présente quatre occurrences en emploi apostrophique du nom non animé chambre. Les deux premières sont déterminées par un article défini, les deux dernières ne sont pas déterminées, mais le nom est restreint par des modificateurs. La dernière occurrence est en outre accompagnée du ô lyrique :

    La chambre, as-tu gardé leurs spectres ridicules,
    Ô pleine de jour sale et de bruits d’araignées ?
    La chambre, as-tu gardé leurs formes désignées
    Par ces crasses au mur et par quelles virgules ?
    Ah fi ! Pourtant, chambre en garni qui te recules
    En ce sec jeu d’optique aux mines renfrognées
    Du souvenir de trop de choses destinées,
    Comme ils ont donc regret aux nuits, aux nuits d’Hercules ?
    Qu’on l’entende comme on voudra, ce n’est pas ça :
    Vous ne comprenez rien aux choses, bonnes gens.
    Je vous dis que ce n’est pas ce que l’on pensa.
    Seule, ô chambre qui fuis en cônes affligeants
    Seule, tu sais ! mais sans doute combien de nuits
    De noce auront dévirginé leurs nuits depuis !
    (P. Verlaine, Le poète et la muse).

    1. 1. 2. Le déterminant possessif

    10L’emploi du déterminant possessif est aisément explicable dans le cadre de la relation interpersonnelle construite, ce type de déterminant étant chargé d’élaborer une relation unissant le locuteur et l’allocutaire, ce qui explique aussi que la personne représentée est généralement la première (et beaucoup plus rarement la quatrième) :

    Voix de Clarisse, au même diapason que les autres. - Attendez, mes enfants, que je prenne ma chemise de nuit ! (G. Feydeau, Mais n’te promène donc pas toute nue !, scène 1)

    Clarisse, à Victor. - Tenez, mon garçon, regardez comme vous avez enlevé les tasses. (ibid., scène 6)

    11La mise en scène de la relation interpersonnelle au moyen d’une apostrophe déterminée par un possessif de P1, qui inscrit de la sorte le locuteur dans le syntagme en apostrophe, et l’articule à l’interpellé, peut être récusée par ce dernier, qui, ce faisant, souligne le défaut de négociation, et dénie toute symétrie relationnelle. L’apostrophe s’avère ainsi un point de dissensus entre les coénonciateurs. Dans l’exemple ci-dessous, l’explicitation du dissensus est suivie de la modification, par la marchande de noisettes, de la construction relationnelle choisie par Birotteau, puisqu’elle transforme une relation donnée comme horizontale en construction verticale, en utilisant mon fils, dans un cotexte tout à fait condescendant et narquois :

    Birotteau aperçut cette sauvage marchande au milieu de sacs de noisettes, de marrons et de noix.
    - Bonjour, ma chère dame, dit Birotteau d’un air léger.
    - Ta chère, dit-elle. Hé ! mon fils, tu me connais donc pour avoir eu des rapports agréables ? Est-ce que nous avons gardé des rois ensemble ? (H. de Balzac, César Birotteau)

    12On retrouve la récusation de l’apostrophe déterminée par un possessif de P1, dans l’exemple suivant, emprunté au Mariage de Figaro, de Beaumarchais, l’apostrophe mon cœur étant mise à distance par l’apostrophée :

    Chérubin, vivement.
    Son ruban de nuit ! donne-le-moi, mon cœur.
    Suzanne, le retirant
    Eh ! que non pas ! - Son cœur ! Comme il est familier donc ! Si ce n’était pas un morveux sans conséquence... (I, 7)

    13Cet exemple, très complexe, sera repris plus en détail dans le chapitre 6 (point 1.2.4., intitulé Chérubin et Suzanne : une privauté contestée par l’apostrophée).

    14Suzanne souligne, par la remise en circuit de la séquence utilisée par Chérubin, cette fois en troisième personne (son cœur), le fait que mon cœur est bien l’apostrophe à ne pas employer pour rester dans ses bonnes grâces : il n’est pas question de privauté avec elle. Plus exactement, elle joue à renvoyer cette image, feignant la colère, et se réjouissant de déstabiliser le jeune page trop hardi.

    15Dans les deux exemples ci-dessous, empruntés à Bug-Jargal, et qui sont le fait de locuteurs différents, il faut souligner le passage du possessif de P1 (marquant la déférence), au possessif de P4, d’emploi beaucoup plus rare. Cette modification de la personne correspond à une stratégie discursive spécifique :

    (1) Le généralissime parut réfléchir un moment, puis il adressa gravement ces paroles au nègre :
    - Je serais charmé de t’accorder un grade ; je suis satisfait de tes services ; mais il faut encore autre chose. - Sais-tu le latin ?
    Le brigand ébahi ouvrit de grands yeux, et dit :
    - Plaît-il,mon général  ?
    - Eh bien oui, reprit vivement Biassou, sais-tu le latin ?
    - Le... latin ?..., répéta le noir stupéfait.
    - Oui, oui, oui, le latin ! sais-tu le latin ? poursuivit le rusé chef. Et, déployant un étendard sur lequel était écrit le verset du psaume : In exitu Israël de Aegypto, il ajouta : - Explique-nous ce que veulent dire ces mots.
    Le noir, au comble de la surprise, restait immobile et muet, et froissait machinalement le pagne de son caleçon, tandis que ses yeux effarés allaient du général au drapeau, et du drapeau au général.
    - Allons, répondras-tu ? dit Biassou avec impatience.
    Le noir, après s’être gratté la tête, ouvrit et ferma plusieurs fois la bouche, et laissa enfin tomber ces mots embarrassés :
    - Je ne sais pas ce que veut dire le général.
    Le visage de Biassou prit une subite expression de colère et d’indignation.
    - Comment ! misérable drôle ! s’écria-t-il, comment ! tu veux être officier et tu ne sais pas le latin !
    - Mais, notre général..., balbutia le nègre, confus et tremblant.
    - Tais-toi ! reprit Biassou, dont l’emportement semblait croître. Je ne sais à quoi tient que je ne te fasse fusiller sur l’heure pour ta présomption. Comprenez-vous, Rigaud, ce plaisant officier qui ne sait seulement pas le latin ? Eh bien, drôle, puisque tu ne comprends point ce qui est écrit sur ce drapeau, je vais te l’expliquer.

    (2) Le chef des nègres marrons s’approcha, et présenta son tromblon au col évasé en signe de respect.
    - Faites sortir de vos rangs, reprit Biassou, ce noir que j’y vois là-bas, et qui ne doit pas en faire partie.
    C’était le messager de Jean-François. Macaya l’amena au généralissime, dont le visage prit subitement cette expression de colère qu’il savait si bien simuler.
    - Qui es-tu ? demanda-t-il au nègre interdit.
    - Notre général, je suis un noir.
    - Caramba ! je le vois bien ! Mais comment t’appelles-tu ?
    - Mon nom de guerre est Vavelan ; mon patron chez les bienheureux est saint Sabas, diacre et martyr, dont la fête viendra le vingtième jour avant la nativité de Notre-Seigneur.
    Biassou l’interrompit :
    - De quel front oses-tu te présenter à la parade, au milieu des espingoles luisantes et des baudriers blancs, avec ton sabre sans fourreau, ton caleçon déchiré, tes pieds couverts de boue ?
    - Notre général, répondit le noir, ce n’est pas ma faute. J’ai été chargé par le grand-amiral Jean-François de vous porter la nouvelle de la mort du chef des marrons anglais, Boukmann ; et si mes vêtements sont déchirés, si mes pieds sont sales, c’est que j’ai couru à perdre haleine pour vous l’apporter plus tôt ; mais on m’a retenu au camp, et...

    16L’homme qui affronte dans les deux cas Biassou s’inscrit, par l’apostrophe choisie, dans une relation interpersonnelle non seulement marquée du sceau du rapport hiérarchique (général suppose la reconnaissance et l’acceptation de cette supériorité hiérarchique, émanant d’un simple soldat), mais aussi marquée du rapport personnel, de sujet à sujet : si l’apostrophe mon général (Plaît-il, mon général ?) marque un rapport individualisé (le général et son soldat), notre général (Mais, notre général..., balbutia le nègre, confus et tremblant), élargit la sphère soldatesque, dès que le rapport hiérarchique devient déstabilisant et que Biassou fait preuve de tyrannie. La sélection d’un déterminant de P4 manifeste alors l’inscription dans un corps social, celui des soldats du général, et met bien évidemment l’accent à la fois sur sa soumission en tant que soldat et en tant que membre d’une collectivité censée être au diapason de son propre discours. Le cotexte d’apparition de la quatrième personne est toujours signifiant de la terreur que fait régner Biassou, ce qui justifie le gommage du sujet au profit du corps social auquel ce dernier appartient : le locuteur balbutie, confus et tremblant, il est interdit, et récuse tout ce qui pourrait être interprété comme un acte d’insolence envers Biassou (ce n’est pas ma faute).

    17Par ailleurs, quand il s’agit d’un déterminant possessif, ce dernier ne permet pas de construire une relation interpersonnelle sémantiquement transparente. Le syntagme nominal en apostrophe ainsi déterminé, héritant des opacités sémantiques de la relation avec la personne, peut manifester (la liste n’est pas exhaustive) :

    18a. l’affection :

    Voilà, mon oncle.
    Grande nouvelle, mes amies !
    Merci, mon enfant ! (G. Feydeau, La Dame de chez Maxim)

    - Tenez, les v’là : l’jambon ici là, et le grignolet, et v’là l’kilo. Eh bien, puisque c’est là, vous ne savez pas ce qu’on va faire ? Nous allons nous partager ça, hein, mes vieuxpoteaux  ? (H. Barbusse, Le Feu)

    19b. La déférence. Dans l’exemple ci-dessous, le possessif permet de discriminer la position de l’énonciateur au sein de la hiérarchie militaire, et le syntagme {Déterminant possessif +Nom} rend compte d’une « appellation proférée par un inférieur », alors que le nom seul rend compte d’une « appellation proférée par un supérieur » (Riegel, Pellat et Rioul, 1994 : 165) :

    Bien, mon général (G. Feydeau, La Dame de chez Maxim)

    20Wilmet affirme que le possessif dans mon général « joue sur les deux tableaux du nom propre et du nom commun = “vous qui êtes mon général” + “le général dont je reconnais l’autorité” » (1997 : 80). Il marque donc à la fois le respect dû au statut, et la reconnaissance de sa propre infériorité hiérarchique.

    21c. L’autorité :

    Eh bien ! qu’est-ce que vous voulez, mon garçon... passez des rafraîchissements, puisque Madame vous le demande. (ibid.)

    22d. La connivence canaille :

    Comment, c’était ma robe qu’é disait, ta femme ?... Eh ben, mon salaud ! t’as pas peur ! (ibid.)

    23e. La compassion :

    Ma pauvre bonne femme de ce pays-ci, vous avez de jolis mioches, c’est toujours ça (V. Hugo, Quatre-vingt treize)

    24La relation interpersonnelle construite résulte ainsi de la combinatoire du déterminant, du nom choisi et de la situation d’énonciation.

    25On retrouve ces possessifs, en partie désémantisés, dans les appellatifs monsieur, madame, fréquents en apostrophe autonome ou en association avec un autre nom, propre ou commun :

    Monsieur de Touzard, faites battre la générale, prenez du canon, et allez trouver le gros des rebelles avec vos grenadiers et vos chasseurs. (Bug-Jargal)

    - Sans doute, reprit-il en souriant amèrement, j’aurais pu vivre encore deux jours sans manger ; mais je suis prêt, Monsieur l’officier ; aujourd’hui vaut encore mieux que demain ; ne faites pas de mal à Rask. (ibid.)

    1. 1. 3. Les déterminants interdits ou d’emploi tout à fait occasionnel

    26L’apostrophe explicitant une relation interpersonnelle, en désignant un allocutaire déjà présent ou posé comme tel, les articles indéfinis et les déterminants indéfinis sont absolument exclus.

    27Il en va de même, mais de manière moins radicale, avec les déterminants démonstratifs. La raison en est simple : l’apostrophe signe l’engagement d’une relation frontale entre les deux pôles énonciatifs, ce qui présuppose que le destinataire est préalablement envisagé par le locuteur comme effectivement apostrophable, posé comme un allocutaire potentiel. Cette appréhension est contradictoire avec l’emploi d’un démonstratif, dont la fonction serait d’œuvrer à une identification par ostension, c’est-à-dire par saturation référentielle exophorique : cette incompatibilité (qui n’est cependant pas absolue : Eh ! Eudore ! Eh ! cette vieille noix, c’est donc que t’es r’venu ! s’écrièrent-ils ensuite, H. Barbusse, Le Feu) est fort intéressante. En effet le déterminant démonstratif dégage une entité de la classe à laquelle elle appartient pour la raccrocher à un référent. Le fait qu’il soit extrêmement délicat d’avoir une apostrophe déterminée par un démonstratif montre bien que l’élément de la classe est court-circuité au profit d’une référenciation directe, qui n’a pas besoin d’être saturée, dans l’acte d’allocution propre à l’apostrophe.

    28Le déterminant, quand il est employé, est donc extrêmement contraint.

    1. 1. 4. L’absence de déterminant

    29L’absence de déterminant est le cas prototypique. S’agit-il en fait d’un déterminant non exprimé, mais qu’on pourrait retrouver en structure profonde, ou d’un blocage lié à la mise en apostrophe elle-même ?

    30Moignet explique cette non-expression du déterminant par le fait que l’apostrophe « appartient à la syntaxe expressive » :

    Il est bien connu que l’expressivité s’accomode d’une économie syntaxique, d’une réduction des moyens mis en œuvre dans l’acte d’expression. En situation d’interlocution, il y a intérêt à désigner l’allocutaire avec brièveté ; la situation dispense d’un ajustement syntaxique qui correspondait à la saisie 31 du schéma général de l’article. On dira donc : Meunier, tu dors, Soldats, je suis content de vous, et cela, d’autant plus facilement que le substantif se trouve en situation de seconde personne, en tant que qualifiant de l’allocuté. Sa personne cardinale, la troisième du système verbal, reste à l’arrière-plan dans cette opération d’extrapolation. L’article, porteur de la personne cardinale du substantif, a ainsi peu de raisons d’être produit. (1981 : 143)

    31C’est dire que l’énonciation et la construction de la sphère coénonciative prévalent sur le canon syntaxique, puisqu’elles sont aptes à transformer une forme nominale, par définition non-personnelle, en P2.

    32Denis et Sancier-Chateau (1994) parlent d’ « absence d’article », expliquant que la présence du déterminant est inutile, et qu’ « il serait superflu dans la phrase parce que les données de la situation d’énonciation permettent une référence immédiate à l’être considéré ». Ainsi, ce qui sous-tend un nom en apostrophe, c’est un acte d’interpellation et non de désignation : « l’être considéré est déjà repéré et identifié dans le discours, il est perçu comme “déjà là” » (1994 : 59). Riegel et al. considèrent que l’absence de déterminant est explicable par le fait que le nom commun en emploi apostrophique est « défini suffisamment par la situation elle-même », en faisant cependant remarquer que :

    la présence d’une expansion à fonction identificatrice peut amener à réintroduire un déterminant défini : Hé, vous, le grand blond avec une chaussure noire ! (1994 : 165)

    33Il faut, me semble-t-il, moduler doublement cette affirmation d’une expansion à visée identificatrice qui faciliterait la réintroduction d’un article, dans la mesure où :

    • d’une part, le nom lui-même, dans l’exemple proposé, est identifiant, sur la base d’une propriété, blond étant un adjectif substantivé, qui permet ainsi la saillance de la propriété discriminante, facilitant la saisie du référent ;

    • d’autre part, la présence du pronom vous lui-même en apostrophe, me semble favoriser une interprétation de le grand blond... comme une apposition, plutôt qu’une apostrophe, ne serait-ce que parce que vous est un désignateur direct. Il faut ensuite renforcer cette désignation référentiellement ouverte par une identification à visée désambiguïsante.

    34On aurait pu avoir tout aussi bien : Hé vous, grand blond avec une chaussure noire (apposition), Hé le grand blond, Hé le blond (apostrophes), mais il me semble très délicat d’avoir : Hé, blond ! Cependant, il est possible d’interpeller un enfant dans la rue : Hé, p’tit blond, la succession de deux adjectifs sans virgule soulignant que l’un des deux est nécessairement en emploi nominal. La possibilité de l’article est-elle liée au fait qu’il faille discriminer un emploi adjectival d’un emploi nominal ? C’est une question qui mériterait d’être explorée. On peut ainsi opposer quelques exemples (Les Fleurs du mal, Baudelaire). Les deux premiers présentent des adjectifs substantivés non déterminés, mais présentant une expansion adjectivale (chère, belle), ce qui exclut une interprétation adjectivale pour indolente et curieuse, les deux derniers présentent un adjectif substantivé sans expansion. On remarque alors que cet adjectif est nécessairement déterminé (ma) :

    chère indolente ! (XXVIII)
    ô belle curieuse ! (XL)
    ma chère ! (XXXV)
    ma brune (LVIII)

    35On a vu pour blond la difficulté d’un emploi apostrophique sans déterminant, il en va de même pour tous les adjectifs initialement classifiants, qu’on substantiverait, par exemple les adjectifs de couleur du type rouge, non porteurs d’une visée dépréciative ou méliorative : *hé, rouge. On peut cependant avoir : Hé, rougeaud !, parce que rougeaud peut être apparenté à un nom de qualité. L’emploi sans déterminant est ainsi beaucoup plus aisé quand il s’agit d’un nom apte à désigner une entité, en l’inscrivant dans une classe (professeur, femme, enfant, etc.), ce qui lui accorde automatiquement la possibilité d’une référence virtuelle, ou quand il s’agit d’un nom de qualité comme fainéant, imbécile, idiote, etc., c’est-à-dire un terme qui construit une caractérisation de l’allocutaire. Il faut cependant noter que les noms de qualité en emploi apostrophique ont un comportement sémantique et syntaxique qui les oppose aux autres syntagmes pouvant être mis en apostrophe (porteurs d’un titre, d’un statut, etc.).

    36D’une part, le nom de qualité en apostrophe peut être glosé par espèce de, alors que les noms de statut ne peuvent pas subir la même modification. Qu’on oppose :

    Quand on pense que tu délaisses une petite femme comme ça ! mais elle est adorable, idiot ! (G. Feydeau, La Dame de chez Maxim)

    Et vous êtes pour longtemps à Paris, général ? (ibid.)

    37Rien n’interdit : mais elle est adorable, espèce d’idiot !, alors que *Et vous êtes pour longtemps à Paris, espèce de général ? est certes savoureux, mais pour le moins inattendu.

    38D’autre part, si professeur, général, etc., permettent de construire des classes dont les membres ont des caractéristiques objectives communes, il n’en va pas du tout de même pour idiot, fainéant, etc. : « la seule propriété commune qu’on puisse leur attribuer, c’est qu’on profère à leur égard dans une énonciation singulière l’insulte considérée » (Milner, 1978 : 368). L’opposition entre noms classifiants et noms non-classifiants n’est pas aussi tranchée : Ruwet fait remarquer qu’il s’agit en fait d’un continuum (1982 : 245). L’interprétation est liée au cotexte et au contexte, beaucoup de noms pouvant être classés dans l’une ou l’autre des catégories. Ainsi des classifiants comme peintre en bâtiment ou énarque peuvent-ils être en emploi de non-classifiants dans le cas où celui qui est désigné de cette manière est respectivement professeur d’arts plastiques,... ou effectivement énarque : ils sont alors utilisés dans un sens dépréciatif, et les énoncés espèce de peintre en bâtiment, espèce d’énarque sont possibles.

    39L’absence de déterminant pose de toute façon le problème de l’extensité du nom en apostrophe (c’est-à-dire la quantité des entités auxquelles un nom est appliqué dans l’énoncé). Cette extensité, en l’absence de déterminant, est égale à l’extension contextuelle du syntagme nominal en apostrophe, l’article ∅ n’étant en soi ni extensif ni partitif, et donc inapte à exprimer une quelconque extensivité. Ainsi duchesse, chère amie, idiot, brute, daim, dans les extraits suivants, dépourvus d’un marqueur d’extensité explicite (par exemple mon général, ma chère amie), doivent être articulés à la situation d’énonciation pour que puisse être réglé le nombre d’entités concernées par le nom en apostrophe. Pour les noms au singulier, l’interprétation se fait sur le mode de l’unicité référentielle, pour les noms au pluriel, la quantité est restreinte aux entités présentes dans la situation d’énonciation (chers amis, chers étudiantes et étudiants) :

    Ah ! duchesse, je suis vraiment confuse !... (G. Feydeau, La Dame de chez Maxim)

    Chère amie, j’ai à causer avec mon oncle, alors si tu veux bien ?... (ibid.)

    Quand on pense que tu délaisses une petite femme comme ça ! mais elle est adorable, idiot (Il lui envoie une bourrade au défaut de l’épaule.) Elle est exquise, brute ! (Nouvelle bourrade.) Mais tu veux donc qu’un autre te la souffle, daim ! (ibid.)

    Chers amis, dès dimanche prochain, je vous invite à vous rassembler, à vous mobiliser.
    (J. Chirac, meeting électoral, Lille, 18.04.02)

    Chers étudiantes et étudiants, je souhaite qu’à l’occasion de votre séjour en France vous tissiez tous les liens utiles à votre future carrière mais aussi que vous vous attachiez un peu à ce pays heureux de vous accueillir. (H. Védrines, Réception de la quatrième promotion 2001-2002 des boursiers Eiffel au Quai d’Orsay, Paris, 13.12.01)

    40Je reviendrai sur ce point plus loin, quand j’envisagerai la fonction déictisante de l’apostrophe. Pour l’instant, je note que l’extensité est construite en articulation avec la situation extralinguistique. Par exemple, chers étudiantes et étudiants ne réfère qu’aux étudiant(e)s à qui s’adresse le discours ministériel, c’est-à-dire ceux et celles que le ministre a sous les yeux, et qu’il vient féliciter. Extensité et extension sont ainsi réglées par le contexte : chers amis construit contextuellement une extensité collective maximale (vous tous que j’ai sous les yeux et qui êtes de chers amis), et une extension restreinte aux amis venus à Lille assister au meeting (les autres amis de J. Chirac ne sont pas présentement convoqués).

    41Ce problème de la détermination ayant été évoqué, et avant de passer à une analyse applicative de la syntaxe interne du syntagme en apostrophe, je m’intéresse maintenant au processus d’identification engagé parle nom support. Les apostrophes étudiées sont pour la plupart extraites des Fleurs du mal.

    1. 2. Nom support et processus d’identification : de l’identification en propre à la primauté de la qualification

    42La fonction qui est accordée le plus fréquemment a l’apostrophe est l’identification de l’allocutaire. Or il faut tout de suite remarquer que le locuteur peut procéder à divers types d’identification plus ou moins objectivants : établissement de l’identité (au regard de l’état civil), rapport affectif, signalement d’un trait distinctif qui le discrimine, etc.

    1. 2. 1. Les noms supports privilégiant l’identification objectivante

    43a. Identification du rapport de connaissance

    44Le locuteur peut procéder à une identification en propre, effectuée par le biais d’un nom ou d’un prénom. Le rapport entre nom propre et interpellation est étroit : l’expression appeler quelqu’un par son nom souligne le fait que le nom propre est totalement approprié à l’usage apostrophique, sa fonction étant de désigner un individu en procédant à une identification unique. Comme le fait remarquer D. Perret, « chacun s’identifie à son propre nom et pensera qu’il s’agit de lui et non d’un autre s’il entend crier son nom » (1968 : 3) :

    Pour soulever un poids si lourd,
    Sisyphe, il faudrait ton courage ! (XI)

    Dis-moi, ton cœur parfois s’envole-t-il, Agathe ? (LXII)

    Ce qu’il faut à ce cœur profond comme un abîme,
    C’est vous, Lady Macbeth, âme puissante au crime,
    Rêve d’Eschyle éclos au climat des autans ; (XVIII)

    Andromaque, je pense à vous ! (LXXXIX)

    Pour Lady Macbeth, le nom propre est associé à un titre (Lady).

    45Cependant le nom propre n’est évidemment pas spécifique de la fonction interpellative, et il peut être en emploi allocutif (1) ou délocutif (2), ce que montre l’opposition des deux exemples ci-dessous, empruntés aux Tragiques :

    Tu sautois de plaisir, Adrian, une fois
    À remplir de chrestiens jusqu’à dix mille croix (v. 555-556)

    Severe fut en tout successeur Adrian,
    En forfait et en mort. (567-568)

    46b. Identification générique

    47Le locuteur utilise un nom commun, qui inscrit le destinataire dans une classe (classe des lecteurs, des femmes, des amazones, des enfants et des sorcières - le nom support, excepté lecteur, est en outre modalisé par une expansion subjectivante - ou des wagons et des frégates, pour les deux apostrophes dites rhétoriques adressées à un objet, dans le premier exemple) :

    Emporte-moi, wagon ! enlève-moi, frégate (LXII)

    Tu le connais, lecteur, ce monstre délicat (poème liminaire)

    Tu mettrais l’univers entier dans ta ruelle,
    Femme impure ! (XXV)

    - Ce gouffre, c’est l’enfer, de nos amis peuplé !
    Roulons-y sans remords, amazone inhumaine,
    Afin d’éterniser l’ardeur de notre haine ! (XXXV)

    D’un air placide et triomphant
    Tu passes ton chemin, majestueuse enfant. (LII)

    Adorable sorcière, aimes-tu les damnés ? (LIV)

    48Le Goffic (1993 : 374) remarque que l’identification de l’allocutaire « s’accompagne souvent de la mention de qualités annexes » : les exemples ci-dessus illustrent précisément cette remarque.

    49c. Identification par marquage du lien familial, amical ou amoureux

    50Si amante ou sœur engage la construction d’une parenté rêvée entre coénonciateurs, amie et mon amour signalent plutôt la relation amoureuse :

    - Ta main se glisse en vain sur mon sein qui se pâme ;
    Ce qu’elle cherche, amie, est un lieu saccagé
    Par la griffe et la dent féroce de la femme. (LV)
    Amante ou sœur, soyez la douceur éphémère
    D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant. (LVI)

    Comme d’autres esprits voguent sur la musique,
    Le mien, ô mon amour ! nage sur ton parfum. (XXIII)

    51d. Identification par marquage du rapport social

    52C’est le cas des titres et grades conventionnels en emploi apostrophique, dont les occurrences sont très peu nombreuses :

    Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire,
    Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire (LXI)

    Seigneur ! donnez-moi la force et le courage (CXVI)

    53Le titre, en fonction d’appel, sert comme « terme générique de noms propres » remarque D. Perret, mais « il est moins parfait puisqu’il ne désigne pas un individu particulier », et son usage risque « de créer des confusions, comme les autres marques du vocatif » (1968 : 5). Qui plus est, comme le nom propre, il peut être en emploi allocutif ou délocutif. Qu’on oppose : Évêque, dit le roi, tu seras cardinal (V. Hugo, La Légende des siècles), et La prière - le peuple aime que les rois prient - / Est faite par Tibère, évêque de Verceil (ibid.). Dans le premier cas, le titre est le support interpellatif, et permet de désigner directement l’allocutaire, dans le second, évêque est une apposition identifiante au nom propre Tibère.

    1. 2. 2. Les noms supports privilégiant l’identification non objectivante

    54a. Identification appréciative

    55Plus que l’identification du destinataire, l’apostrophe marque alors l’identification appréciative du « rapport affectif » (Charaudeau, 1992 : 580) du locuteur à l’allocutaire, puisque le terme interpellant effectue en même temps une caractérisation appréciative. Dans le même instant que l’interlocuteur est interpellé, il est qualifié de manière positive ou négative :

    Ô démon sans pitié ! verse-moi moins de flamme (XXVI)

    56Ce rapport appréciatif est souvent manifesté par l’emploi d’un adjectif substantivé, dont le rôle est de spécifier l’image que le locuteur se fait de son destinataire, par exemple :

    Quand je te vois passer, ô ma chère indolente,
    Au chant des instruments qui se brise au plafond (XXVIII)

    Lorsque tu dormiras, ma belle ténébreuse,
    Au fond d’un monument construit en marbre noir (XXXIII)

    57Quand qualification et identification sont imbriquées, il est difficile de déterminer leur rôle respectif dans le processus d’interpellation :

    il peut (...) être difficile de dire si le terme assure la désignation de l’allocutaire par le biais de la qualification, ou tout en lui adjoignant secondairement le rappel d’une qualité, ou encore si, l’identification de l’allocutaire étant assurée par ailleurs, le GN est un pur apport de qualification (on parle alors parfois de pseudo-vocatif). (Le Goffic, 1993 : 374)

    58Le Goffic reprend ensuite cette idée d’un effacement de l’identification au profit de la seule qualification, chaque fois que le support nominal de l’apostrophe est un nom de qualité. L’exemple qui sert d’appui à sa réflexion est Ce n’est pas comme cela qu’il fallait faire, crétin !

    La qualification est attribuée à l’occasion de la prédication : elle concerne l’allocutaire en tant qu’il est impliqué comme actant dans le procès de l’énoncé : c’est parce que TU n’a pas « fait comme il fallait faire » que JE le traite de « crétin ». (ibid. : 375)

    59b. Identification par le biais d’une figure

    60Il peut s’agir d’une métaphorisation à visée catégorisatrice, qui manifeste une catégorisation culturellement méliorative (étoile, soleil) ou péjorative, par l’animalisation (bête) :

    - Et pourtant vous serez semblable à cette ordure,
    À cette horrible infection,
    Étoile de mes yeux, soleil de ma nature (XXIX)

    Et je chéris, ô bête implacable et cruelle !
    Jusqu’à cette froideur par où tu m’es plus belle (XXIV)

    L’antonomase et la synecdoque sont aussi fréquentes :
    Hélas ! et je ne puis, Mégère libertine,
    Pour briser ton courage et te mettre aux abois,
    Dans l’enfer de ton lit devenir Proserpine ! (XXVI),

    Je t’adore, ô ma frivole,
    Ma terrible passion ! (LVIII)

    Je serai ton cercueil, aimable pestilence (XLVIII),

    Quand veux-tu m’enterrer, Débauche aux bras immondes (CXII)
    Va donc, sans autre ornement,
    Parfum, perles, diamant,
    Que ta maigre nudité,
    Ô ma beauté ! (LXXXVIII)

    61Ces derniers exemples montrent bien le caractère énonciatif très marqué de l’apostrophe, autant du côté de la construction de l’image de l’allocutaire que de celle du locuteur lui-même.

    62Ce bref aperçu des divers processus d’identification construits par le nom support montre la souplesse de l’appareil apostrophique : si les catégories pouvant subir l’apostrophe sont très peu nombreuses, à l’intérieur de la catégorie nominale, la palette des nuances est infinie.

    2. Description de la syntaxe interne du syntagme en apostrophe : une application au Livre VI des Tragiques

    63Comme je l’ai précisé plus haut, l’analyse de la syntaxe interne du syntagme en apostrophe est menée sur le Livre VI des Tragiques d’Agrippa d’Aubigné, intitulé « Vengeances ». Mais avant d’entreprendre ce travail applicatif, je propose une brève réflexion sur les diverses scènes énonciatives présentes dans ce texte.

    2. 1. Préalable à l’analyse de la syntaxe interne du syntagme en apostrophe

    64L’apostrophe, dans un texte poétique, révèle nécessairement une intervention directe, une présence du scripteur, et implique parfois aussi le statut qu’il s’octroie en apostrophant. Le livre « Vengeances » présente des fragments narratifs, des fragments descriptifs, et des fragments interpellatifs. Chaque type implique des relations différentes entre coénonciateurs. Les fragments narratifs posent un narrateur-historien et un lecteur-destinataire, partenaires de l’échange langagier, tous deux dans l’espace extratextuel (Charaudeau, 1992 : 755). L’allocutaire est le sujet interprétant de l’énoncé, le sujet communiquant se construit comme le rapporteur du récit. Les fragments descriptifs construisent un observateur-témoin, et rendent compte du regard qu’il pose sur le monde par le biais des qualifications proposées. Quant aux fragments interpellatifs, ils posent un sujet qui s’engage, en engageant autrui, cible de son discours. C’est le cadre de l’allocution explicite, dans laquelle s’inscrit l’apostrophe, l’énonciateur et le destinataire étant présentés comme des êtres de parole : on est cette fois dans l’espace intratextuel. L’interpellation implique un rapport d’influence, qui est, le plus souvent, un rapport de force. L’apostrophe légitime alors la vindicte, ce qui transparaît dans le titre lui-même du livre VI. Elle manifeste en outre un rapport de places. Aussi, la façon dont est discriminé l’allocutaire, par le choix de l’apostrophe, met-elle en place un pacte énonciatif spécifique. À ce titre, l’apostrophe peut expliciter la coénonciation englobante (par exemple J’ay crainte, mon lecteur, que tes esprits lassez..., v. 1 103), ou la coénonciation seconde (par exemple Apprenez de lui, Rois, princes et potentats (v. 391). L’apostrophe appartient au plan d’énonciation du discours, relié à la situation d’énonciation (cf. Benveniste 1966/1976 : 237-250). La succession des modes d’énonciation (histoire vs discours) étant systématique chez d’Aubigné, l’apostrophe a souvent un rôle de démarcation des plans d’énonciation, établissant une frontière nette entre narration (énonciation historique) et allocution (on rejoint ici certains points de la réflexion de Bernard Cerquiglini, présentée au chapitre 5, point 2.).

    65Montrant la position assignée, par le locuteur, à son allocutaire, l’apostrophe manifeste corollairement la position du locuteur lui-même. Elle perturbe ainsi la logique de l’organisation narrative, et dédouble le narrateur. Celui qui gère la diégèse se transforme en un harangueur, maître de la mise en scène de la situation de communication : d’un sujet communiquant à un sujet de parole interne à l’acte énonciatif, responsable d’un acte cette fois proprement locutif.

    66Les noms en apostrophe peuvent permettre une identification en propre (c’est la fonction des noms propres), ou par le biais d’un statut - titre, grade, marque d’appartenance à un groupe (mon lecteur, v. 1103), souvent accompagné de la mention de qualités annexes (excellente duchesse, v. 999) -, ou enfin par le biais d’une identification appréciative, mettant l’accent sur la qualité ou la propriété seule (ô fols, v. 230). Les apostrophes antonomasiques, très fréquentes chez d’Aubigné, se chargent en outre d’évocations symboliques. De plus, il est nécessaire, avant même de procéder à l’étude des apostrophes, de préciser qu’il s’agit dans tous les cas d’apostrophes rhétoriques, dans la mesure où il ne peut y avoir véritable interlocution : le scripteur interpelle toujours soit des êtres absents (dont la plupart sont morts), soit des entités non animées.

    67Les apostrophes sont classées ci-dessous selon la syntaxe interne de la séquence, à partir des éléments qui constituent le syntagme interpellatif : noms propres, noms communs, déterminés ou non, accompagnés ou non d’expansions.

    2. 2. Les identifications en propre (spécifiques) : interpeller autrui par son nom

    2. 2. 1. Les noms propres employés seuls

    68Un seul est précédé du ô lyrique, travaillant l’effet de solennité (ô Dioclétian, v. 600) :

    Le haut ciel t’avertit, pervers Aurelian,
    Le tonnerre parla, ô Diocletian
    Ce trompette enroué de l’effrayant tonnerre,
    Avant vous guerroyer, vous denonça la guerre, (v. 599-602)

    69On peut alléguer pour ô une raison d’ordre rythmique : il faut bien que le vers soit un alexandrin, et la diérèse est déjà présente deux fois. Il aurait été aisé d’intégrer un adjectif qualificatif, mais Dioclétien ne mérite sans doute pas un qualificatif aux yeux de d’Aubigné. Plus intéressant est de constater que le syntagme nominal en apostrophe, réduit au seul nom propre précédé du ô lyrique, suffit à constituer un hémistiche, soit six syllabes, dont deux obtenues par diérèse. Il y a donc ici sûrement une textualisation signifiante, une sorte de procédé d’amplification, qui met en balance le tonnerre, signe du divin, et l’ordre humain. Il en va de même pour le vers précédent, dans lequel figure l’apostrophe pervers Aurélian (il y a aussi diérèse pour former l’hémistiche, mais le nom est qualifié).

    70Pour les autres noms propres employés seuls, on trouve Philippe (v. 517), Néron (v. 519), Adrian (v. 555), Maximian (v. 615), Nazarien (v. 652), et Dieu (v. 913). Néron, Adrien, Maximien appartiennent au défilé des tyrans des premiers siècles (v. 519-680), persécuteurs des chrétiens. On retrouvera plus tard Aurélian, Domitian, Hérode.

    71Pourquoi certains sont-ils interpellés et les autres présentés dans un énoncé en non-personne (Severe, au v. 567, Herminian, au v. 568, Valerien, au v. 578, Maximin, au v. 627, Commode au v. 661, Valentinian, au v. 662, Galerian, au v. 665, Decius, au v. 666, Zenon Isaurique au v. 670, Honorique au v. 671, Constant, au v. 673) ? Pour les derniers de la liste, d’Aubigné nous en donne en quelque sorte la raison aux vers 661 (je laisse arrière moy les actes de Commode) et 669 : je laisse encore ceux qu’un faux nom catholique / A logé dans Sion... : laissés de côté délibérément, ils ne méritent qu’une mention. Ils sont de la sorte mis au ban de la narration, et a fortiori ne méritent pas d’être soumis à la vindicte de l’énonciateur. Pour Severe et Maximin, ils sont respectivement assimilés à Adrian (Severe fut en tout successeur d’Adrian) et à Maximian (Aussi puant que toi, Maximin frauduleux, / Forgeur de fausses paix, sentit saillir des yeux...).

    72Valerian, en syntaxe non-personnelle (Du vieux Valerian le spécieux exemple), subit cependant l’attraction d’une apostrophe plus vaste, désignant de manière résomptive tous les persécuteurs des chrétiens (Tyrans, vous dresserez..., v. 575), apostrophe en clôture initiale de la phrase dans laquelle les exactions de Valérien sont présentées.

    73Seul le nom Herminian est totalement délié de l’énonciation. Mais le scripteur accorde à la personne ainsi nommée la parole par le biais d’un discours direct (v. 572-574), ce qui d’une certaine manière lui confère une corporalité, au moins langagière.

    74Enfin, un seul de ces noms propres ne réfère pas à un empereur romain : il s’agit de Philippe (c’est-à-dire Philippe II d’Espagne), contemporain de d’Aubigné. La mort de Philippe II est un thème récurrent chez d’Aubigné (déjà présenté dans « La Chambre dorée », et repris plus tard dans « Vengeances », au vers 865-867 : Philippe est alors interpellé par l’apostrophe Espagnol triomphant).

    75Ainsi les empereurs romains sont-ils la cible privilégiée du scripteur. L’interpellation, qui instaure un dialogue fictif avec ceux qui ont façonné, par leurs persécutions, l’histoire des chrétiens, permet en quelque sorte d’incarner ces figures d’un autre temps, de réactualiser leur tyrannie, de les présentifier. Le nom propre Néron (« l’infame nom »), en apostrophe, c’est-à-dire dans une structure syntaxique qui construit un Néron de chair et d’os, mis sous les yeux du lecteur, permet de rappeler un règne de terreur. La notoriété du nom propre suffit.

    2. 2. 2. Les noms propres accompagnés d’une expansion caractérisante

    76On a cinq emplois sur ce modèle : des enfans innocens / Hérode le boucher (v. 457), Domitian morgueur (v. 539), pervers Aurélian (v. 599), impudent Libanie (v. 653), Hérode glorieux, Espagnol triomphant (v. 863-865).

    77Pour Hérode le boucher, la superposition historique montre le brouillage énonciatif délibéré. Le massacre des innocents a pour fonction de propulser l’image de la Saint Barthélémy : le boucher des enfans innocens n’est plus Hérode, mais Charles IX et les catholiques intransigeants sous la bannière du duc de Guise. Tout le tableau saisissant qui suit est à double entente (v. 459-483) : c’est donc bien le tyran moderne qui est interpellé, ses exactions dénoncées. L’expansion est donc essentielle puisque c’est elle qui assure la superposition des deux figures.

    78Les autres expansions, qui sont adjectivales, n’ont pas du tout le même rôle : elles proposent une caractérisation dévalorisante accolée au nom propre, à la manière d’un surnom, qui servirait d’amorce aux exactions présentées ensuite : la morgue (c’est-à-dire la tyrannie de Domitien) est présentée (v. 540-554), la perversité d’Aurélien n’est guère justifiée, ni textuellement, ni historiquement. Par contre l’impudence de Libanie (rhéteur grec, hostile aux idées chrétiennes) consiste à endoctriner contre le christianisme l’empereur Julien (qui ne demandait que cela). Ce procédé de caractérisation du nom propre travaille donc le mixte entre identification en propre et identification appréciative, le syntagme participant des deux.

    79Pour Hérode glorieux, Espagnol triomphant, les deux dénominations accompagnent l’apostrophe ô Roy, mespris du ciel, terreur de l’univers, qui est elle-même spécifiée précédemment par quelque prince mi-more, en clôture du vers précédent, ce qui permet de comprendre qu’il s’agit à nouveau de Philippe II d’Espagne :

    Petits soldats de Dieu, vous renaistrez encore
    Pour detruire bien-todt quelque prince mi-more.
    Ô Roy, mespris du ciel, terreur de l’univers,
    Herode glorieux, n’attens rien que les vers. Espagnol triomphant, Dieu vengeur à sa gloire
    Peindra de vers ton corps, de mes vers ta mémoire, (v. 861-865)

    80Rien ne permet de dire définitivement si Hérode glorieux est en position d’apostrophe (Philippe II serait ainsi interpellé deux fois différemment), ou s’il s’agit d’une apposition à ô Roy, au même titre que mespris du ciel, terreur de l’univers. La seconde hypothèse est cependant la plus vraisemblable. Pour Espagnol triomphant, en tête de phrase, le syntagme est obligatoirement en apostrophe. De toute façon, le nom propre Herode est en emploi antonomasique (on a affaire à une antonomase du nom propre) : Herode n’a plus la fonction d’identifier, mais celle de caractériser le prince mi-more en question. Philippe II n’est donc pas interpellé directement par son nom, mais par le biais de divers procédés : une caractérisation nominale par le titre (Roy), elle-même restreinte par deux caractérisations comportementales (mespris, terreur), enfin par une antonomase du nom propre qui permet de classer Philippe II dans la catégorie des tyrans cruels (mais on remarquera que le terme n’est pas déterminé, contrairement à l’usage de l’antonomase du nom propre) : Herode lui assigne une catégorisation.

    81Les deux derniers syntagmes en apostrophe présentant un nom propre accompagné d’une expansion sont sur le même modèle, le nom propre étant associé à un nom conférant un statut : archevesque Arondel (v. 769), Crescence, cardinal (v. 1011). Si le premier syntagme ainsi construit est nécessairement en apostrophe (le titre précède le nom propre), pour le second, cardinal en apposition au nom propre, est une indication pour le lecteur.

    2. 3. Les identifications par le biais d’un titre, d’un grade ou d’un appellatif conventionnel : interpeller autrui en lui conférant un statut

    2. 3. 1. Emploi seul

    82Seigneur (v. 3), Pere (v. 53), ô Seigneur (v. 90) : ces noms communs ont un emploi antonomasique qui renvoie à Dieu. Ici ils servent de termes d’adresse pour l’entité divine. Il n’est évidemment pas anodin que l’apostrophe à Dieu soit en clôture initiale du livre « Vengeances », dont le premier mot est un injonctif :

    Ouvre tes grands thresors, ouvre ton sanctuaire
    Ame de tout, Soleil qui aux astres esclaire,
    Ouvre ton temple sainct à moy, Seigneur, qui veux
    Ton sacré, ton secret enfumer de mes vœux.

    83D’autres apostrophes sont relativement conventionnelles : princes (v. 331 et 589), rois, princes et potentats (v. 391), scribes (v. 1067). Les deux premières ont une valeur résomptive (vous tous, princes, que je viens d’évoquer individuellement), la dernière (Scribes, qui demandez aux tesmoignages saincts / Qu’ils fascinent vos yeux de vos miracles feints) renvoie à l’évangile de Matthieu, XII :

    38. Alors quelques-uns des scribes et des pharisiens lui dirent : Maître, nous voudrions bien que vous nous fissiez voir quelque prodige.
    39. Mais il leur répondit : Cette race méchante et adultère demande un prodige ; et on ne lui en donnera point d’autre que celui du prophète Jonas.

    84La dernière apostrophe confère à l’Église son statut d’épouse (l’Église est présentée dans l’Apocalypse comme l’épouse de la race de Dieu), tout en travaillant la dichotomie au sein du syntagme en apostrophe, alors qu’une virgule aurait sans doute privilégié une lecture appositive :

    Or ne t’advienne point, espouse et chere Église,
    De penser contre Christ ce que dit sur Moyse
    La simple Sephora (v. 725-727)

    2.3.2. Emploi avec déterminant

    85Le livre VI ne présente qu’une seule occurrence, mon lecteur (v. 1103) :

    J’ay crainte, mon lecteur, que tes esprits lassez
    De mes tragiques sens ayent dit : C’est assez !

    86Cette apostrophe intervient à la fin de « Vengeances ». Le déterminant possessif construit une relation d’intérêt, une complicité affective avec l’interpellé, et souligne le changement de niveau énonciatif, puisque l’interpellé appartient cette fois à l’espace extratextuel de l’énonciation englobante scripteur / lecteur. La relation de complicité ne peut être instaurée qu’avec celui à qui est adressée la parole prophétique, et dans la sphère intersubjective de sa profération.

    2. 3. 3. Emploi avec expansion

    87Le corpus ne présente que deux occurrences :

    Excellente duchesse, ici la verité
    A forcé les liens de la proximité :
    Dans mon sein allié tu as versé tes plaintes
    Du malheur domestic (v. 999)

    ô Roi, mépris du ciel, terreur de l’univers
    Herode glorieux, n’attens rien que les vers (v. 863-864)

    88La première apostrophe est laudative, le titre étant accompagné d’un adjectif axiologique positif. La seconde est péjorante, les deux syntagmes apposés (mépris du ciel, terreur de l’univers) caractérisant négativement le roi, par le biais d’une figure de l’abstraction. L’antonomase du nom propre impose l’analogie avec le cruel roi de Judée.

    2. 4. Les identifications appréciatives : interpeller autrui en lui conférant une propriété

    89L’identification appréciative (qui cumule interpellation et appréciation) propose un marquage du « rapport affectif » (Charaudeau).

    2. 4. 1. Emploi du nom seul

    90Dans ce cas-là, les noms ne sont plus classifiants, mais au contraire non-classifiants, étant dépourvus de référence virtuelle propre (Milner). Le corpus présente deux fois le même mot dans cet emploi apostrophique :

    Ô tyrans, apprenez, voyez, résolvez vous
    Que rien n’est difficile au celeste courroux (v. 423-424)

    Tyrans, vous dresserez sinon au ciel les yeux,
    Au moins l’air sentira herisser vos cheveux (v. 575-576)

    91Le terme est au pluriel et renvoie, chaque fois résomptivement, pour la première occurrence, aux souverains des récits bibliques, pour la deuxième occurrence, aux empereurs romains.

    2. 4. 2. Emploi du nom accompagné d’une expansion

    92Une première série d’apostrophes construites sur ce modèle est regroupée sur cinq vers seulement :

    Meurtriers de votre sang, appréhendez ce juge,
    Appréhendez aussi la fureur du déluge,
    Superbes esventés, tiercelets de géants,
    Du monde espouvantaux, vous braves de ce temps,
    Outrecuidés galans, ô fols à qui il semble
    Qu’en regardant le ciel, que le ciel de vous tremble (v. 217-222)

    93La première apostrophe, meurtriers de votre sang, est intégrée à l’histoire de Caïn et d’Abel : l’apostrophe permet la superposition des couples Caïn et Abel / catholiques et réformés. L’apostrophe, sous la forme d’un nom suivi d’un complément déterminé par un possessif de P5, est à l’initiale du vers 217, et enchaîne sur le tableau poignant de l’état de délabrement mental de Caïn après le meurtre de son frère. L’argumentation sous-jacente est basée sur l’analogie entre Caïn et les catholiques, mais cette dernière n’est jamais explicitée par un outil comparatif. Elle fonctionne donc sur le raccourci, l’ellipse, elle est ainsi double : (1) vous, les catholiques, vous êtes des meurtriers (définition polémique), (2) en tant que meurtriers (désignation polémique) vous aurez le destin de Caïn (argumentation par analogie). La force pragmatique de l’interpellation réside donc dans l’implicite argumentatif, qui sert de liant entre Caïn et les catholiques contemporains.

    94Pour les apostrophes suivantes, certaines peuvent être aussi interprétées comme des appositions : si ô fols est en apostrophe (présence de ô), par contre superbes esventés, tiercelets de géants, du monde espouvantaux peuvent être apposés à vous braves de ce temps. D’Aubigné joue de cette possible ambiguïté : esventés, outrecuidés galans, épouvantaux peuvent être des apostrophes en association directe avec le deuxième appréhendez, ou apposé à vous (braves de ce temps), ou bien tous les termes sont à envisager indépendamment les uns des autres et sont autant d’apostrophes à des destinataires différents : l’interprétation reste ouverte. Il n’en reste pas moins que la désignation d’autrui se fait au moyen de participes passés ou adjectifs en emploi nominal (superbes esventés, fols), ou de noms en emploi métaphorique (tiercelets de géants, épouvantaux). Tous ces mots sont porteurs d’une argumentation négative, puisqu’ils expriment une position du scripteur par rapport à son destinataire explicite par le biais de termes subjectifs négatifs. L’énoncé vise à faire admettre, cette fois au lecteur, sans possibilité de réfutation, un autre énoncé non formulé directement : ces superbes sont esventés, ces géants ne sont que des tiercelets, etc.

    95L’interpellation se fait donc par la qualification, qui sélectionne un trait que le scripteur met en avant, sans justification, celui qui s’arroge le droit de qualifier étant censé énoncer des faits incontestables, mais dont le choix est bien évidemment fortement orienté. Par exemple, meurtriers de votre sang signale une intention argumentative, s’appuie sur tout un préconstruit lié à l’acte de classification : le nom commun en lieu et place du nom propre modifie le point de vue. L’insertion dans une classe (celle des meurtriers) a un rôle argumentatif de disqualification que ne permettraient pas les noms propres : le procédé construit un blâme. C’est, de toute façon, une interprétation du réel, et donc un dispositif de persuasion des lecteurs, qui joue de valeurs partagées, cherche à s’assurer leur adhésion, vise à les « esmouvoir », (Aux lecteurs), en esquivant l’étape argumentative : un meurtrier est condamnable, un fol est dangereux, etc. L’apostrophe élude toute discussion.

    96Par ailleurs cette apostrophe est toujours piégée dans la mesure où elle interpelle pour un tiers (le lecteur) un être absent du cadre de la communication externe. Ce que cherche le scripteur, c’est l’adhésion du destinataire externe : clouer au pilori le destinataire interne par le biais d’un désignateur polémique. Le procédé permet certes de régler ses comptes avec lui, mais surtout de forcer l’attention du destinataire externe. L’apostrophe est alors un moyen parmi d’autres de séduire (au sens étymologique de « amener à soi ») le lecteur, tout en stigmatisant les vices de l’apostrophé explicite, nommé : ainsi au couple scripteur-lecteur se substitue le couple initiateur-initié. L’apostrophe a alors pour fonction, dans le cadre de l’initiation du lecteur, de révéler la vérité des êtres.

    97Plus globalement, deux types dominants d’expansions, et donc deux schémas syntaxiques internes, peuvent être dégagés :

    • un nom, dont la spécificité sémantique est d’être un terme comportemental, complété par un complément de détermination : {N + CdN},

    • un nom, complété par un adjectif antéposé ou postposé : {N +Adj.} ou {Adj. + N}.

    98Le premier schéma est illustré par meurtriers de votre sang, ci-dessus, ou par les exemples suivants. Les quatre premières apostrophes peuvent être glosées par des procès (vous qui persécutez, toi qui tues tes amis, toi qui n’aimes que le meurtre, toi qui regardes) :

    Sortez, persécuteurs de l’Eglise première,
    et marchez enchainés au pied de la bannière
    De l’Agneau triomphant (v. 449-451)

    Bourreau de tes amis, du meurtre seul ami,
    Ta mort n’a sçeu trouver ami ni ennemi (v. 535-536)

    Quand tu oyais gemir le peuple pitoyable
    Spectateur des mourans, tu ridois, effroyable,
    Les sillons de ton front (v. 541-543)

    99Quant à l’exemple suivant, la désignation charognes met l’accent sur le changement d’état des tyrans présentés précédemment, alors que la deuxième apostrophe manifeste un rappel de leur statut quand ils étaient vivants :

    Charougnes de tyrans balancés en haut lieu,
    Fantastiques rivaux de la gloire de Dieu
    Que ferez-vous des mains... (v. 503-505)

    100L’apostrophe peut prendre la forme d’un génitif hébraïque. C’est le cas pour serfs de la vanité / enfans de vérité (v. 1107-1108), soit à peu près serfs vaniteux, enfants qui possédez la vérité (valeur qualificative) :

    Je n’escris point à vous, serfs de la vanité,
    Mais recevez de moy, enfans de verité,
    Ainsi qu’en un faisseau les terreurs demi-vives,
    Testamens d’Antioch, repentances tardives (v. 1107-1110)

    101Seul petits soldats de Dieu (v. 861), associé à un futur catégorique, ne montre pas du doigt un méchant, mais désigne métaphoriquement les vers qui aident Dieu dans sa tâche de justicier en dévorant les méchants :

    Petits soldats de Dieu, vous renaistrez encore
    Pour destruire bien-tost quelque prince mi-more (v. 861-862)

    102La deuxième série {N + Adj.} ou {Adj. + N) présente une forte charge axiologique, conférée à la fois par le nom (mocqueurs, charlatan, demons, meurtriers), et par l’adjectif qui le caractérise, à l’exception de florentin qui est un relationnel :

    Vous ne disposez pas, magnifiques mocqueurs,
    Ni de vos beaux esprits, ni de vos braves cœurs (v. 507-508)

    Que tu viens à regret charlatan florentin,
    Qui de France a succé, puis mordu le tetin (v. 991-992)
    Vous donnerez à Dieu vostre voix enrouëe,
    Démons désespérés (v ; 938-939)

    Pacifiques meurtriers, Dieu descouvre sa guerre
    Et ne fait comme vous qui cuidez de la terre
    L’estouffer sans saigner, et de traistres appas
    Empoisonner l’Eglise et ne la blesser pas (v. 657-660)

    2. 5. Les identifications génériques par un nom commun : interpeller autrui en l’inscrivant dans une classe

    103Il s’agit essentiellement, pour cette rubrique, des apostrophes dites rhétoriques adressées à un objet. Les deux cas les plus représentés sont la convocation d’éléments naturels et celle d’entités abstraites.

    Venez, celestes feux, courez, feux éternels,
    Volez (v. 271-272)

    Vent, ne purge plus l’air ; brise, renverse, escrase
    Noye au lieu d’arrouser, sans eschaufer embrase ! (v. 281-282)

    Deluges, retournez : vous pourrez par vostre onde
    Noyer, non pas laver, les ordures du monde.
    Mais ce fut vous encor,, ô justicières eaux,
    Qui sceustes distinguer les lions des agneaux (v. 289-292)

    104Pour célestes feux, feux éternels (v. 271), il s’agit de la reprise d’une métaphore biblique, celle de la colère divine, elle-même personnifiée, puisque associée à un verbe de mouvement à l’impératif venez. Par contre les termes en apostrophe vent, brise (v. 281), deluges (v. 289) désignent des référents naturels du monde sensible, et les anthropomorphise, en association à des procès à l’impératif généralement plutôt attribués à des humains. La nature est alors conviée à se faire l’instrument de la colère divine, elle même convoquée par ô vengeances celestes (Empuantissez l’air, ô vengeances celestes, v. 277). Ces éléments en apostrophe peuvent être aussi accompagnés d’un caractérisant axiologique : ô justicières eaux (v. 291), sainctes eaux (v. 31 1) ô dévorantes eaux (v. 300), ou d’une expansion relative :

    Eaux qui devinstes sang et changeastes de lieu,
    Eaux qui oyez tres-clair quand on parle de Dieu (v. 303-304)

    Ce fut vous, sainctes eaux, eaux qui fistes de vous
    Un pont pour les agneaux, un piege pour les loups (v. 311-312)

    105Le même processus d’anthropomorphisation est à l’œuvre pour soleil et terre, bien qu’ils désignent cette fois des référents uniques, et n’entrent donc pas dans un processus de généricité. Mais ils participent identiquement à l’élargissement de la scène d’énonciation, qui s’accroît à l’infini, au gré des éléments naturels convoqués :

    Soleil, baille ton char aux jeunes Phaëtons,
    N’anime rien çà bas si ce n’est des Pithons (v. 279-280)

    Terre, qui sur ton dos porte à peine nos peines,
    Change en cendre et en os tant de fertiles plaines (v. 285-286)

    106Une dernière série est à envisager, celle des noms abstraits en apostrophe. Ils sont tous regroupés au cours de quelques vers seulement (v. 733-740) :

    Venez donc pauvreté, faim, fuittes et blessures,
    Bannissements, prison, proscriptions, injures ;
    Vienne l’heureuse mort, gage pour tout jamais
    De la fin de la guerre et de la douce paix !
    Fuyez, triomphes vains, la richesse et la gloire,
    Plaisirs, prospérité, insolente victoire,
    Ô pièges dangereux et signes évidens
    Des ténèbres, du ver, et grincement de dents !

    107Les verbes venir et fuir, tous deux verbes de mouvement, marquent une personnification que la succession d’apostrophes conforte. On remarquera l’alternance entre un impératif (venez), qui permet l’interpellation, et le subjonctif de souhait (vienne l’heureuse mort), qui l’interdit, la mort étant traitée syntaxiquement en non-personne. On notera aussi la construction particulière de triomphes vains en apposition anticipée, caractérisant la richesse et la gloire, seules apostrophes déterminées dans cette série, et qui plus est, par un article défini. Il est par ailleurs impossible de discriminer apostrophes et appositions par la suite : insolente victoire peut être l’équivalent syntaxique de triomphes vains, apposé à plaisirs et prospérité, ou à prospérité seulement, ou être une apostrophe rhétorique sur le même plan que les deux précédentes.

    108L’apostrophe a ici une autre fonction, cette fois stylistique, qui se superpose à la fonction interpellative : elle travaille la figure de l’accumulation, effet accentué par l’absence de détermination. Pas moins de dix-sept syntagmes nominaux peuvent être en position apostrophique dans les vers cités ci-dessus. Ce mode amplifîcatoire, parce qu’il s’agit d’apostrophes, ouvre démesurément la sphère interlocutive fictive : le scripteur interpelle l’univers entier, ce qui a pour effet de donner une résonance planétaire à sa propre voix, par la convocation des éléments naturels, comme si ces derniers lui étaient soumis, et de conforter la dimension prophétique de sa parole, par la convocation d’entités abstraites, qu’il concrétise, et avec lesquelles il dialogue.

    109Il faut aussi signaler un dernier cas, celui de l’apostrophe imposant une recatégorisation métaphorique, fort peu représenté dans « Vengeances ». C’est le cas de âme de tout et de soleil (qui renvoient à l’entité divine), dans les vers liminaires du Livre VI :

    Ouvre tes grands thresors, ouvre ton sanctuaire
    Ame de tout, Soleil qui aux astres esclaire (v. 1 -2)

    110La syntaxe de l’apostrophe a l’avantage d’effacer l’explicitation métaphorique (du type structure attributive, relevant de la métaphore in prœsentia : Dieu est un/le soleil, l’âme de tout) et donc d’imposer au lecteur un fait acquis, préexistant au discours. L’apostrophe construit ici une métaphore in absentia effaçant l’articulation génératrice de la figure, et la pose comme une évidence qui ne donne prise à aucune contestation : le dialogue avec Dieu se fait par le biais d’une dialogisation masquée avec un énoncé antérieur, qui permet de récupérer l’apostrophe dans le thème, tout en construisant une prédication forte. Ce processus évidentiel est à l’œuvre dans toutes les apostrophes soutenues par une métaphore in absentia. Pour l’autre métaphorisation de l’entité divine âme de tout, qui travaille identiquement l’évidentiel, le rôle de l’expansion de tout est d’expliciter l’emploi métaphorique du nom support âme. Si soleil, qui renvoie à un référent unique, peut servir de support métaphorique sans qu’il y ait nécessité d’une expansion à visée explicitante, il n’en va pas de même pour âme, qui se contente de construire une possibilité référentielle, dont le champ d’application doit être restreint pour que le nom sorte de l’interprétation générique (n’importe quelle âme, toute âme). Il l’est ici par un complément de détermination (de tout), ce qui permet de réinterpréter âme à l’aune de son complément, et de conférer à Dieu une omnipotence distinctive, par le biais d’un syntagme métaphorique au sein duquel le complément a une fonction désopacifiante, mais surtout directement référentielle.

    111J’ai tenté ci-dessus de pointer la variété de la syntaxe interne des apostrophes étudiées : du nom propre au nom commun, des emplois métaphoriques aux dénominations strictement descriptives (les moins nombreuses), etc. Je résume ci-dessous ce qui me paraît être le point commun de ces apostrophes.

    2. 6. Réinterprétation globale des apostrophes : du plan de la syntaxe à celui de la textualité

    2. 6. 1. Faire voir : apostrophe et rhétorique de l’évidentiel

    112La syntaxe d Agrippa d’Aubigné est constamment travaillée par la problématique du donner à voir et de l’évidentiel. Voir et dire sont habituellement les moyens privilégiés de donation de l’information. « Vengeances » les combine : le dire est présenté comme émanant du divin, soit parole divine, soit parole d’un scripteur porte-parole du divin, le voir est impliqué par le face à face construit par l’interpellation, qui présentifie constamment des figures multiples, les met sous les yeux du lecteur. L’apostrophe participe ainsi de cette rhétorique de l’évidentiel propre à la parole du poète, elle en est même un des rouages fondamentaux, ne serait-ce que par la démultiplication des scènes énonciatives, servant à illustrer la noirceur des méchants et la perfection des élus.

    113L’apostrophe se retrouve à tous les niveaux énonciatifs : dans le dialogue instauré avec le lecteur, souvent représenté comme un objecteur éventuel dont le scripteur réfute par avance le point de vue supposé, avec les empereurs romains, avec les princes contemporains, avec les éléments de la nature. Toutes ces figures sont bien davantage convoquées, invoquées, qu’évoquées. Ce caractère théâtral convient particulièrement au projet d’écriture des Tragiques, et au programme manifesté par le titre du livre VI « Vengeances ». L’interpellation des empereurs romains, par exemple, place le lecteur, coénonciateur externe, en position de témoin.

    114Ces multiples interpellations ont pour corollaire la multiplication des figures du locuteur. Ainsi, dans le cadre de la relation je-Dieu, je se pose en porte-parole du divin, investi d’une mission prophétique. Dès lors, les apostrophes des empereurs, des princes, de tous les méchants, n’acquièrent leur plénitude sémantique que dans la prise en compte de cette dimension prophétique, toutes les scènes énonciatives successivement construites par les multiples apostrophes ayant pour fonction de répercuter la parole divine, de la faire entendre aux humains. Plus généralement l’apostrophe, au même titre que la figure de l’allégorie, participe à la mise en spectacle du théâtre du monde.

    2. 6. 2. Convaincre : apostrophe et argumentation

    115L’apostrophe, chez d’Aubigné, a corollairement une fonction argumentative : le nombre d’apostrophes axiologiques, sous-tendues par une argumentation ad hominem, est à cet égard très probant. Les axiologiques, par définition, modalisent, manifestent une manipulation énonciative quand ils s’agit de noms. Interpeller les politiques en termes de tyrans, c’est escamoter une étape de l’argumentation, celle d’une assertion syntaxique qui pourrait être de forme négative, l’étape où le locuteur pose les faits avant de les imposer par l’apostrophe : les X (catholiques, princes, persécuteurs de l’Église, etc.) sont des tyrans (qui permet une négation syntaxique : les X ne sont pas des tyrans). Je reviendrai sur ce point quand j’étudierai les apostrophes-insultes (point 7. du chapitre 5).

    116Qui plus est, ce travail argumentatif (qui porte sur la définition des entités) est présenté comme celui... de Dieu lui-même : Dieu mesme a donné l’argument, dit d’Aubigné dans sa préface (v. 410).

    117Pour le prophète biblique lanceur d’anathèmes (c’est la représentation de lui-même que propose le scripteur de « Vengeances »), l’apostrophe permet d’adresser le discours, et donc de désigner au lecteur la cible de l’anathème. L’apostrophe assignant sa place à l’autre, le positionnant en méchant, explicite la position du scripteur : interpeller en tyrans, c’est s’exclure, soi, de cette catégorie. Aussi l’interpellation spécifique par le nom propre est-elle la forme la plus neutre de positionner autrui et de se positionner dans l’espace social (contrairement à princes, potentats, etc., qui impliquent une relation verticale, ou aux appréciatifs qui travaillent le point de vue). Les noms propres employés seuls renvoient presque exclusivement à des figures historiques, connues sous le nom en question. Mais les choix nominatifs effectués par d’Aubigné privilégient plutôt une dialectique entre le social et l’affectif, le pulsionnel : interpeller quelqu’un en le caractérisant comme persécuteur de l’Église première, ou tyran, c’est le positionner à la fois socialement et affectivement. Le choix de l’apostrophe signe un engagement polémique de l’énonciateur.

    118L’argumentation est ici en plusieurs étapes, l’interpellation se faisant le plus souvent par tout un syntagme en apostrophe, sous-tendu par une définition argumentative : par exemple, pour le syntagme des enfans innocens/Hérode le boucher, au vers 457, l’apposition le boucher des enfans innocens capte les traits définitoires de l’entité Hérode, tout en exprimant une prise de position, et assigne à l’apostrophé la place qui lui revient, du point de vue du scripteur, à savoir Hérode est un boucher. Le terme boucher redéfinit argumentativement Hérode. L’apostrophe non seulement efface l’articulation argumentative, mais, en incluant dans la construction référentielle qu’elle effectue le deuxième terme (boucher), qui sert à caractériser Hérode, elle le rend irréfutable sur le plan syntaxique, ce qui a pour effet d’orienter le discours vers l’agonal.

    119Ce faisant, l’apostrophe introduit en force non seulement autrui, mais aussi le scripteur, qu’elle construit dans sa relation à autrui. Elle effectue non seulement une attaque ad hominem, mais aussi une positivation de soi, à partir de la source autorisée, Dieu : à la fois argumentation définitoire subjective envers autrui et argumentation d’autorité du scripteur. La construction du coénonciateur est donc nécessairement en relation avec celle de l’énonciateur. Le scripteur est le porte-parole de Dieu, ce qui travaille la légitimation de l’apostrophe-invective. Nommer, désigner, c’est le privilège de Dieu (le nomothète) : Que je ne sois qu’organe à la céleste voix (v. 59), à la fois ambition prophétique et poétique.

    2. 6. 3. Apostrophe, pathos, ethos

    120La rhétorique d’Agrippa d’Aubigné est celle de son siècle : elle manifeste la tension entre ethos et pathos, caractéristique de la sensibilité baroque. L’apostrophe, telle qu’elle est traitée par d’Aubigné, reflète cette tension. Si l’ethos cherche à imposer la justesse de son argumentation et la sincérité de sa parole, la vertu en quelque sorte de l’orateur, le pathos, lui, privilégie la réception, et donc la sensibilité, le « movere »revendiqué dans le texte liminaire Aux lecteurs. L’alliance des deux se fait soit sous l’autorité de Dieu, soit sous celle des Écritures. Le contrat de l’ethos est rempli par la mise en avant de l’orateur originaire (c’est-à-dire Dieu) : d’Aubigné tente ainsi de rendre compte de l’intention première du verbe sacré. Pour cela il pose sa parole comme parole d’expert, autorité institutionnelle : l’autorité (divine) est précisément ce qui clôt la mise en question. C’est cette même autorité qui justifie le passage de l’ad rem (le catholicisme) à l’ad hominem (tyrans). Le pathos est à l’œuvre dans les apostrophes : elles ont pour visée le discrédit et la dénonciation des tyrans catholiques, et elles utilisent pour ce faire très fréquemment des axiologiques coupant court à toute discussion. Mais l’ethos2 (c’est-à-dire la construction d’une image de l’énonciateur) s’appuie de la même manière sur les apostrophes. Il légitime le discours d’autorité, l’énonciateur construisant par son discours l’image d’un prophète habité par la parole divine. Il se donne à ce titre le droit d’interpeller les catholiques en les positionnant langagièrement en termes de tyrans. L’énonciateur s’investit ainsi dans son point de vue en même temps qu’il en est investi.

    Conclusion

    121La syntaxe interne de l’apostrophe m’a semblé intéressante à observer, et cela à plus d’un titre. J’ai ainsi proposé un éventail des possibilités combinatoires internes au syntagme en apostrophe. Au-delà des différences, la fonction argumentative est quasiment une constante. Les choix nominatifs, dans le syntagme en apostrophe, construisent une explicitation du pacte énonciatif. Cette dernière s’inscrit souvent dans une dynamique textuelle aux nuances multiples. Si la dynamique de l’interpellation dans « Vengeances » est d’ordre polémique, celle qui est mise en place dans César Birotteau, d’Honoré de Balzac, a une finalité autre, elle est un rouage de l’éthopée : en effet, le personnage éponyme appelle toujours sa femme au moyen de termes affectivement marqués, tels que mimi, ma belle biche blanche, ma biche, ma chatte aimée, ma belle, qui ont pour fonction de construire une représentation du personnage féminin, et plus encore une représentation du personnage-locuteur. Le choix de l’apostrophe n’est donc jamais anodin, puisqu’il détermine à la fois le rapport de l’énonciateur à son énonciataire, et la représentation de la relation interpersonnelle elle-même. Le syntagme en apostrophe sert de support à une double dynamique : énonciative (elle explicite la coénonciation) et textuelle (elle travaille la textualité en modelant l’argumentation et en appuyant la construction de l’ethos du locuteur).

    122En proposant une représentation non seulement d’autrui, mais aussi de la relation interpersonnelle elle-même, l’apostrophe construit enfin nécessairement une représentation de soi. La représentation d’autrui constitue une projection de l’imaginaire du locuteur, dont l’apostrophe est aussi une mise en scène. En tant qu’adresse à l’autre et délimitation de son aire de présence, l’apostrophe est enfin un moyen de structurer sa propre réalité spatiale dans la mesure où elle construit une sphère interpersonnelle, partagée par les deux pôles énonciatifs : en positionnant l’autre, le locuteur se positionne. Ce point, seulement évoqué ici en conclusion, me paraît cependant essentiel. Il donnera lieu à une réflexion développée dans la synthèse qui clôt cet ouvrage.

    Notes de bas de page

    1 C’est-à-dire un article défini en concurrence avec le démonstratif, signalant une particularisation antérieure, et donc acquise, de l’ordre du notoire.

    2 Cf. le point 1. 3. (Apostrophe, scénographie, ethos), dans le chapitre 6.

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    1 C’est-à-dire un article défini en concurrence avec le démonstratif, signalant une particularisation antérieure, et donc acquise, de l’ordre du notoire.

    2 Cf. le point 1. 3. (Apostrophe, scénographie, ethos), dans le chapitre 6.

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    Ce livre est cité par

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