Chapitre 2. De l’énoncé à l’énonciation. Quelques caractéristiques syntaxiques et énonciatives de l’apostrophe
p. 25-51
Texte intégral
1Ce chapitre tentera de montrer que l’apostrophe, appartenant au palier de l’énonciation (avec les modulations évoquées plus haut), construit un « circuit court » entre locuteur et allocutaire, selon l’expression de Serbat (la phrase dans laquelle elle figure est présentée dans la conclusion de ce chapitre). Je partirai des réflexions stimulantes qu’il a proposées sur le vocatif latin (1987, 1996), pour mettre ensuite l’accent sur les caractéristiques prosodiques et syntaxiques de l’apostrophe, en l’opposant à d’autres énoncés non verbaux.
1. Le vocatif, un opérateur de monstration morphologiquement non marqué, et donc « hors système » ?
2Pour tenter de répondre à cette question du marquage ou du non-marquage, il est nécessaire de se situer historiquement, c’est-à-dire à partir du cas vocatif, et plus spécifiquement à partir du vocatif latin, le français étant une langue d’origine latine (c’est la seule circonstance dans laquelle j’évoquerai le vocatif, et le mot renvoie alors au cas latin, représenté par domine, vocatif de dominus, domini).
1.1. Le vocatif, une valeur casuelle discutée
3La fonction d’appel, marquée dans les langues à cas par le vocatif, est déjà inscrite dans la dénomination grecque : « cas de l’appel » ou « cas du salut ». Mais l’existence même d’une valeur casuelle spécifique reste constamment discutée pour le grec ancien (cf. Serbat, 1996 : 87). Le vocatif est-il un cas ? La question mérite d’être posée, la marque casuelle étant inexistante, excepté pour le modèle dominus, domine (au singulier seulement), puisque les autres déclinaisons ont une forme identique pour le nominatif et le vocatif, si bien que pour certains analystes (Schwyzer-Dubrunner, 1959, Kurilowiz 1964, Pinkster 1985, source Serbat 1996), le vocatif est posé comme « hors système ». Selon Guy Serbat, l’argument peut être retourné : tout ce qui apparaît comme une défaillance, un manque (l’absence de désinence casuelle, ou plus exactement une désinence Ø) peut être interprété en termes d’originalité, de spécificité face à tous les autres cas, porteurs d’une désinence spécifique. Il défend donc résolument la thèse d’un vocatif en tant que cas véritable :
comme si une désinence Ø, dûment constatée, n’était pas aussi signifiante qu’une marque positive ; et en oubliant que certaines langues possèdent de lourdes désinences de V[ocatif]. Mais c’est au nom de son signifié que le V voit sa nature casuelle contestée (le différend entre disciples de l’Académie et Stoïciens devait porter sur ce point) : dans la phrase, le V et les autres cas n’ont pas un rôle de même nature ; le V n’entre pas dans la « charpente phrastique », il n’entretient pas de relations syntaxiques avec un constituant quelconque de l’énoncé. (1996 : 87)
4Une autre spécificité du vocatif latin est celle du non-marquage du pluriel : domine (cas, morphologiquement marqué, de la deuxième déclinaison, correspondant à l’apostrophe Seigneur) ne présente aucun équivalent tout aussi marqué au pluriel, puisque c’est le nominatif domini (Seigneurs) qui prend le relais de ce vocatif pluriel inexistant :
Il est frappant de constater qu’il n’existe aucun V formel au pluriel ; observation valable pour toutes les langues indo-européennes, aussi loin qu’on remonte dans l’histoire. La règle absolue, c’est qu’au pluriel le V ne dispose d’aucune forme particulière. Partout la fonction de vocatif est assumée par le N[ominatif] pluriel. Il est peu probable qu’il s’agisse là d’un syncrétisme si ancien que tout indice en aurait disparu. (D’ailleurs, il resterait à expliquer pourquoi le syncrétisme aurait agi ici tellement plus tôt qu’au singulier). (1987 : 11)
5Serbat s’interroge alors sur cette déficience formelle. Il fait tout d’abord remarquer que le vocatif implique souvent l’identification (beaucoup de vocatifs sont constitués par des noms propres, qui, par définition, impliquent une saisie singulière), en lui opposant le fait qu’il est fort courant de haranguer une foule, c’est-à-dire de sélectionner plusieurs destinataires et de les installer comme allocutaires : il n’y a donc pas de différence fonctionnelle, qui justifierait l’impossibilité d’une forme plurielle du vocatif. Selon Serbat, si la différence n’est pas d’ordre fonctionnel, elle est d’ordre énonciatif, la situation du « destinataire pluriel » n’étant plus d’être un futur émetteur, mais un « auditeur », qui n’est pas pris dans une situation de dialogue véritable où la règle est l’aller et retour de la parole. S’il n’y a pas de forme vocative spécifique au pluriel, c’est parce que le principe fonctionnel de la conversation ordinaire - l’échange des rôles énonciatifs, le locuteur devenant allocutaire et vice versa - n’est pas à l’œuvre dans la scène énonciative qui envisage les destinataires dans une pluralité non distinctive :
Le collectif, lui, est sans voix. Son rôle prévu est celui d’un auditeur, et non pas d’un parleur. Singulier et pluriel semblent bien se distinguer par la place différente qu’ils peuvent occuper dans les mécanismes de l’énonciation. Et il ne serait pas tellement surprenant que ces aptitudes différentes soient reflétées dans le paradigme casuel. (ibid. : 12).
6Serbat fait à ce propos remarquer dans une note infrapaginale que le nom collectif populus n’a pas de vocatif, ce qui semble conforter cette hypothèse. Précédemment, il avait souligné que le rôle énonciatif du « destinataire collectif » n’étant pas la prise de parole (excepté la réponse collective de type « hourra », qui peut ponctuer la harangue du chef à ses troupes, pour ce qui est de l’exemple de César et des commilitones - autrement dit, les auditeurs ne sont pas envisagés comme interlocuteurs ), toute vraie prise de parole ne peut se faire que « sous la forme d’interventions individuelles » (ibid. : 12)1. L’intervention individuelle me semble modifier obligatoirement le premier pacte énonciatif liant l’orateur à ses auditeurs, et transforme un discours adressé (les destinataires ont bien une position d’allocutaires), en un échange véritable, c’est-à-dire à la fois en un face à face sur le plan corporel, et en une coénonciation marquée sur le plan énonciatif. Non qu’il n’y ait pas coénonciation sous-tendant le discours de l’orateur, mais cette dernière n’est qu’un canevas, qui laisse ouverte la possibilité, à tout moment, de l’échange.
1. 2. Du vocatif à l’apostrophe
7Cette question d’un vocatif systémique ou non systémique ne se pose pas pour les langues qui n’ont pas de cas comme le français.
8L’apostrophe, en français, n’est porteuse d’aucune marque spécifique. On a en effet déjà précisé ci-dessus que le ô lyrique n’était pas exclusivement une marque de l’apostrophe (cf. point 2. 2. du chapitre 1). Ce ô, héritage de la particule o (traitée par Serbat en termes de « bruit initial préparatoire à portée déictique », et « aussi usuelle en grec qu’elle l’est peu en latin non hellénisé », 1987 : 1 1), a donc perdu, au fil de sa littérarisation, toute la portée déictique qu’il était chargé de construire. L’appellation même (ô lyrique) le confirme : cette déicticité originelle s’est effacée au profit d’une portée modalisante à visée lyrique. Le ô lyrique inscrit désormais le locuteur, bien davantage qu’une possible allocution, mais il peut aussi servir d’outil transitionnel pour effectuer un passage souple de l’allocutif à l’élocutif, et donc travailler la plasticité énonciative (cf. Détrie et Verine 2003). J’y reviendrai dans le chapitre 6.
9Les critères définitoires proposés plus haut signalent un comportement syntaxique tout à fait particulier du syntagme en apostrophe, à la fois sur le plan de la syntaxe interne, le déterminant étant contraint, ou non exprimé, ce qui le rapproche syntaxiquement du nom propre, et de la syntaxe externe, le syntagme en apostrophe n’ayant apparemment aucun terme support, et affichant cette autonomie au point de pouvoir être employé seul (Garçon !). Dès lors, ce caractère asyntaxique (dans le sens de délié d’une contrainte relationnelle à un autre constituant), et la détermination spécifique plaident pour un rapprochement avec le vocatif latin, même si le français ne possède pas de marqueur formel distinctif qui correspondrait à domine (dont on a vu cependant son aspect non systémique, d’une part, et l’impossibilité d’une réalisation plurielle, d’autre part, ce qui fragilise une explication uniquement fonctionnelle).
10En effet, le cas vocatif latin et l’apostrophe (non marquée casuellement) ont en commun d’être caractérisés par l’impossibilité de leur assigner une fonction syntaxique quelconque à l’intérieur de l’énoncé. C’est ce caractère asyntaxique qui va être exploré ci-dessous, par le biais du détachement, qui en est la marque la plus immédiatement repérable.
2. Un constituant hors de la charpente phrastique
2. 1. Un constituant prosodiquement différencié ?
11Je ne me hasarde guère dans le champ des études intonatives, que je considère cependant comme essentiel pour une étude fine de l’apostrophe. À ce titre, il exigerait un regard de spécialiste. Le domaine intonologique est d’une grande technicité, et les études afférant à ce domaine sont elles-mêmes très diverses. Je renvoie à Hirst et Di Cristo (1998) pour une étude documentée, à partir de données recueillies en laboratoire.
12À ma connaissance, il n’existe pas de recherche spécifique consacrée aux fonctionnements prosodiques de l’apostrophe en français parlé conversationnel. Quand elle est abordée par les spécialistes, c’est toujours de manière non centrale. Di Cristo (1998, in Hirst D. et Di Cristo A.) propose quelques remarques intéressantes concernant l’apostrophe, à partir d’un rappel classificateur de la distinction intonative en français entre énoncés interrogatifs, continuatifs, impératifs et vocatifs. L’auteur étudie l’exemple d’un même segment discursif (en l’occurrence le prénom Anne-Marie ), prononcé selon ces quatre modalités. Il évoque très rapidement la tendance mélodique - montante-descendante - des énoncés vocatifs en français, dans le dernier paragraphe de cet article :
The rising part, however, begins right from the first syllable is pronounced with a rising-falling pitch movement, the fall, starting from a high plateau, being greater than the rise. Perceptual experiments carried out using synthetic stimuli showed that the final fall does not simply correspond to a final drop in tension but is necessary for the vocative modality to be recognised, (ibid. : 208)
13Blache et Di Cristo (2002) s’attachent à montrer le rôle capital de l’intonation pour l’interprétation de l’énoncé, quand la syntaxe ne fournit pas suffisamment d’information. Travaillant sur l’énoncé Marie elle devrait faire attention, ils remarquent qu’il donne lieu à deux courbes intonatives différentes. En effet, quand le contour est « ascendant sur le SN » ce schéma mélodique constitue « une marque prosodique forte », qui permet d’interpréter l’énoncé, au plan syntaxique, comme un énoncé disloqué (avec dislocation en amont), alors que « l’interprétation donnée est plutôt celle d’un vocatif que d’une disloquée », quand le contour du SN est « plutôt descendant ». L’interprétation est ainsi « guidée par l’intonation et non par la structure syntaxique » (ibid : 4). Blache et Di Cristo prennent cependant soin de préciser que les énoncés analysés présentent « trois composants différents : syntaxe, prosodie et sémantique », ce qui implique « une grande variabilité de réalisation » (ibid. : 5). Aussi, pour que l’interprétation syntaxique esquissée par la courbe mélodique soit confortée, il faut prendre en compte simultanément les deux autres composants. Syntaxe, sémantique et prosodie sont donc conjointement signifiantes dans la phase d’interprétation.
14Cette brève réflexion montre qu’il y a bien une mélodie particulière des énoncés interpellatifs. Pour ma part, je me contente d’une approche de caractère perceptif (sans appareillage). J’opposerai ainsi Paul / je l’adore (figure 1) et Paul / je t’adore (figure 2) :
Conventions de notation :
H = suraigu B = infra bas
h = haut b = bas
15Dans le premier cas (dislocation en amont de Paul), l’énoncé présente un schéma du type h b B, soit une ligne mélodique suspensive pour la protase de Paul, je l’adore (acte élocutif).
16Dans le second (acte allocutif), l’énoncé présente un schéma mélodique du type b H/B bB. La variante H/B (suraigu ou infra bas) correspond à un usage stratégique distinct chez les locuteurs, mais dont la fonction est similaire : le décrochage tonal leur permet de marquer le changement de plan. Si ces deux types de construction détachée ont pour but de porter à la saillance un référent, leur perspective mélodique est cependant différente (l’apostrophe présente au demeurant la spécificité d’une modulation tonale dont la partie montante s’avère généralement moins marquée que la partie descendante, cf. Di Cristo supra).
17Pour ce qui est de l’apostrophe, la saillance du référent Paul est marquée par le décrochage tonal (avec des variantes selon les locuteurs, mais aussi la distribution et le volume du syntagme en apostrophe). Ce marquage, en liaison avec des phénomènes syntaxiques et sémantiques, déclenche de manière concomitante un processus de repérage et une discrimination du référent en tant qu’allocutaire spécifié par le biais de la désignation qui en est effectuée. L’acte de langage surplombe ainsi la syntaxe, et la détermine. La contrepartie écrite de cette intonation particulière est un détachement syntaxique, le signe de ponctuation correspondant ici davantage à un changement de registre tonal qu’à une pause, qui n’est pas systématiquement marquée.
2. 2. Un constituant extraposé sur le plan syntaxique ?
18On remarquera en premier lieu avec F. Neveu que :
dans le discours grammatical, la notion de détachement est tout à la fois surexploitée et fort peu lisible. Sans y renoncer pour autant, l’analyse linguistique la tient en effet, et sans doute à juste titre, pour difficilement opératoire. (2003a : 7)
19Et cela, au moins pour la simple raison que le détachement se contente d’être un phénomène « syntactico-prosodique » (ibid.), les segments regroupés sous cette appellation, qui saturent cette position détachée, ne présentant aucune identité fonctionnelle.
20Par ailleurs, la notion est elle-même polysémique, puisqu’on peut évoquer le détachement au regard de la linéarité discursive, ou se contenter de le rapporter à un simple phénomène de syntaxe, en envisageant la position externe à la proposition, voire pointer le processus lui-même (topicalisation, thématisation, etc.). Autant de possibilités de charger de contenu cette notion problématique de détachement :
Figure du discours présumée libre, mais surtout notion vicariante destinée à l’évitement du terme d’apposition, le détachement apparaît ici comme une catégorie ad hoc, non théorisée, et, eu égard à son degré de généralité, fort mal dimensionnée aux faits qu’elle est censée identifier, (ibid. : 8)
21Cette notion, très (trop ?) large sert ainsi à « subsumer, commodément, tous les phénomènes (ou presque) de syntaxe non liée » (ibid. : 9). Elle sert donc à désigner des phénomènes syntaxiques très différents (par exemple apposition, apostrophe, épithète détachée, dislocation à gauche, à droite ou médiane, incise, etc.), dont le point commun est « une sortie du cadre propositionnel » (ibid. : 12), ce qui exclut l’addition et l’ajout, qui relèvent d’une orientation contraire, puisqu’ils marquent « une entrée » (ibid. : 12) dans le cadre propositionnel, soit deux perspectives différentes . Autrement dit, la discontinuité syntaxique n’est pas suffisamment discriminante, et ne peut à elle seule permettre l’émergence d’une problématique syntaxique. Elle doit être associée à une problématique énonciative, et à un questionnement sur la simple juxtaposition ou la réelle interdépendance entre le segment détaché et son microcotexte.
22L’apostrophe semble pouvoir, selon ces critères, être décrite en termes de segment détaché, soutenu par une problématique énonciative particulière : celle de la coénonciation et de la saturation langagière de la place allocutive. Cependant la discontinuité syntaxique n’a pas nécessairement pour corollaire l’indépendance. Ce dernier point, infiniment complexe, sera exploré en 2. 2. 2.
2. 2. 1. Le détachement, marque d’un rôle syntaxique mineur ?
23Le fait qu’elle n’ait pas de base indiscutable de rattachement, contrairement aussi à l’apposition, accentue encore son caractère extraposé, détaché.
24La première contrepartie de cette émancipation d’une quelconque base de rattachement est son manque de liberté sur le plan de la classe grammaticale qui permet son actualisation : seuls les noms (propres et communs, auxquels s’ajoutent des constituants ayant subi une nominalisation), présentant un déterminant contraint (article défini, déterminant possessif), ou non déterminés (cf. chapitre 3, point 1. 1. Apostrophe et détermination), accompagnés ou non d’expansions, et les pronoms personnels de P2 ou de P5 peuvent être mis en apostrophe.
25La seconde est que l’apostrophe peut être supprimée sans répercussion sur la syntaxe générale de l’énoncé (ce qui n’exclut pas des répercussions importantes sur le plan sémantico-pragmatique). Ce point souligne la différence avec des cas de dislocation à gauche, ou de dislocation à droite, qui, outre leur fonction de promotion du topique pour la première, et de maintien d’une relation topicale déjà établie pour la seconde, présentent aussi une caractérisation fonctionnelle, ce qui implique une liaison entre l’élément détaché et la proposition qui suit (ou qui précède) : liaison marquée dans la dislocation avec l’anaphore ou la cataphore pronominale, liaison sémantique dans des phrases du type « Le quartier de l’église, ils ont refait tous les trottoirs » (exemple emprunté à S. Prévost, 2003 : 120, la liaison étant en travail dans la relation partitive entre quartier et trottoirs, ce qu’on appelle communément une anaphore associative).
26Le détachement propre à l’apostrophe peut cependant être articulé ou non à une forme de liaison avec la proposition l’accompagnant : dans « Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille », l’apostrophe est en relation avec la deuxième personne de l’impératif, alors que dans « Mon petit, en littérature, chaque idée a son envers et son endroit ; et personne ne peut prendre sur lui d’affirmer quel est l’envers. Tout est bilatéral dans le domaine de la pensée » (Illusions perdues), l’énoncé en non-personne et l’apostrophe se construisent en autonomie. Le détachement signifie seulement une autonomie syntaxique (ce qui ne signifie pas qu’il y ait indépendance), dans la mesure où dans les deux exemples précédents, on peut, sans dommage syntaxique, supprimer l’apostrophe :
Sois sage, et tiens-toi plus tranquille
En littérature, chaque idée a son envers et son endroit
27On pourrait en déduire que le détachement sert alors à marquer le rôle mineur, sur le plan syntaxique, de l’apostrophe, puisque ce détachement n’est pas apte à asserter indubitablement une situation d’indépendance syntaxique, dans la mesure où il me semble extrêmement délicat de supprimer ô ma douleur dans le premier exemple, ma douleur ayant une fonction explicative de la deuxième personne que réalise sois sage, alors que l’indépendance de mon petit avec le reste de l’énoncé semble indubitable. On peut simplement affirmer que l’énoncé Sois sage, et tiens-toi plus tranquille réalise une structure syntaxique attestée, ce qui permet de reconnaître qu’on a affaire à une proposition correcte sur le plan syntaxique, les postes contraints étant occupés. On peut en déduire que l’ancrage syntaxique de l’apostrophe au sein de l’énoncé s’avère relativement faible. Cependant il y a bien une relation syntaxique entre sois sage et ma douleur, dont on peut rendre compte en terme de co-indexation, mais cette co-indexation n’est en aucun cas systématique, ce dont on se rend aisément compte avec le deuxième exemple.
28De même, il existe des structures détachées non apostrophiques sans aucune coindexation, comme le nominativus pendens, c’est-à-dire un fragment détaché, sans aucune reprise pronominale (topique non lié, selon Lambrecht 1998), du type La couverture, qu’est-ce qu’on fait finalement ? (exemple de N. Le Querler, 2003 : 148).
29Il faut dès lors discuter des valeurs possibles du détachement, de l’ambiguïté interprétative qu’il induit, ambiguïté déjà évoquée dans le chapitre 1, et que je reprends ici de manière plus approfondie.
2. 2. 2. Apostrophe, apposition, dislocation : la discontinuité syntaxique implique-t-elle l’autonomie ?
30Étudier l’apostrophe dans le cadre du détachement, et l’aborder en termes de structure détachée, c’est manifester un angle d’attaque syntaxique, et s’interroger sur la syntaxe phrastique. C’est ce point syntaxique que j’aborde maintenant, en m’appuyant, pour ce faire, sur les remarques stimulantes de F. Neveu :
Comme les autres formes de discontinuité structurelle de l’énoncé, les segments en adresse interrogent les frontières de la syntaxe en ce qu’ils sont situés au centre de la relation entre la constituance d’une entité syntaxique et la linéarisation de ses parties constitutives. (2003b : 27)
31Est ainsi posée la question de la nature du détachement, et le rapport du segment détaché au cotexte. Il est en effet clair que la discontinuité syntaxique n’implique pas nécessairement l’autonomie : la dislocation souligne au contraire le rapport étroit entre le segment détaché et le reste de l’énoncé, lien marqué par le pronom anaphorique (dislocation à gauche) ou cataphorique (dislocation à droite), qui entre dans la construction syntaxique. La cohésion syntaxique est aussi marquée par la similarité fonctionnelle du segment détaché et de son pronom d’annonce ou de reprise, fonction au sein de la proposition matrice : dans La Coupole, j’en raffole (publicité), la fonction de la Coupole se détermine par rapport au verbe de la proposition raffoler. Cette cohésion syntaxique est encore plus perceptible si on postpose le segment disloqué : J’en raffole, de la Coupole, puisqu’il y a dégagement d’une préposition de marquant la relation avec le verbe principal. Dans la construction appositive détachée, on retrouve la même cohésion, le SN dit « apposé » étant un modificateur du nom en position détachée. Il a donc une base de rattachement clairement identifiée, qui permet son interprétation sur le plan référentiel : dans Paul, médecin du village, le nom médecin est inapte à construire une situation référentielle sans le support du nom qui lui sert de base, il y a donc un rapport étroit entre les deux noms. En outre, pour l’apposition, le détachement s’effectue au sein d’un constituant inférieur à la phrase, alors que pour l’apostrophe, parce qu’il n’y a pas nécessairement un segment qui pourrait jouer ce rôle de base de rattachement (Paul, il faut partir vs Paul, il vous faut partir), la structure détachée relève bien de la syntaxe globale, non plus de la phrase, mais de l’énoncé, en tant que construit énonciatif, ou, pour le dire avec les mots de Benveniste, au niveau sémantique (vs sémiotique), celui de « la langue en emploi et en action », c’est-à-dire dans sa fonction de « médiatrice entre l’homme et l’homme, entre l’homme et le monde, entre l’esprit et les choses, transmettant l’information, communiquant l’expérience, imposant l’adhésion, suscitant la réponse, implorant, contraignant ; bref, organisant toute la vie des hommes » (1974/ 1980 : 225).
32Autrement dit, ce qui distinguerait indubitablement l’apposition de l’apostrophe, c’est l’intégration (par des outils variés) ou non du segment détaché dans l’énoncé : il y aurait insertion sans intégration dans le cas de l’apostrophe et insertion et intégration dans le cas de l’apposition, l’insertion étant définie par Riegel et al. comme un « processus qui consiste à intercaler dans le cours d’une phrase, sans terme de liaison, une proposition, un groupe de mots ou un mot » (1994 : 460).
2. 2. 3. Apostrophe/apposition et indistinction fonctionnelle
33Ces précisions, pour utiles qu’elles soient, ne permettent pas une élucidation syntaxique dans tous les cas. J’en veux pour exemple la syntaxe – indécidable – de ce poème de V. Hugo, extrait des Châtiments, poème que je présente in extenso pour les besoins de mon explication :
C’est la nuit ; la nuit noire, assoupie et profonde.
L’ombre immense élargit ses ailes sur le monde.
Dans vos joyeux palais gardés par le canon,
Dans vos lits de velours, de damas, de linon,
Sous vos chauds couvre-pieds de martres zibelines,
Sous le nuage blanc des molles mousselines,
Derrière vos rideaux qui cachent sous leurs plis
Toutes les voluptés avec tous les oublis,
Aux sons d’une fanfare amoureuse et lointaine,
Tandis qu’une veilleuse, en tremblant, ose à peine
Éclairer le plafond de pourpre et de lampas,
Vous, duc de Saint-Arnaud, vous, comte de Maupas,
Vous, sénateurs, préfets, généraux, juges, princes,
Toi, César, qu’à genoux adorent tes provinces,
Toi qui rêvas l’empire et le réalisas,
Dormez, maîtres... - Voici le jour. Debout, forçats !
34Dans ce poème, la phrase qui court du troisième au dernier vers est construite autour d’un acte allocutif : dormez, soit un impératif, à la cinquième personne. Ce verbe intervient à la fin de cette phrase extrêmement longue, qui présente neuf vers compléments circonstanciels adjoints, suivis de quatre vers présentant à l’initiale un pronom tonique (vous, vous, toi, toi). Ces pronoms toniques, ensuite explicités par des noms propres (duc de Saint-Arnaud, comte de Maupas, César), ou par des noms de statut (sénateurs, préfets, généraux, juges, princes) semblent mis en apostrophe. Or, s’ils sont effectivement en apostrophe, maîtres, en clôture finale, ne peut plus être considéré comme un terme d’adresse. Il paraît délicat d’en conclure qu’il serait apposé à une base d’incidence, elle-même très éloignée, multiple, fragmentée (la succession des syntagmes pronominaux). Dès lors, peut-on interpréter tous ces pronoms toniques comme des appositions à la cinquième personne incluse dans la forme impérative dormez, pronoms ensuite explicités par des expansions nominales (fonction traditionnelle : apposition) ? Auquel cas, maîtres est le seul syntagme véritablement en apostrophe : dormez maîtres, à savoir vous, duc, vous, sénateurs, toi, César, etc. Le parallélisme avec debout, forçats, dans le même vers, incite à cette lecture.
35Le fait qu’il y ait un comportement allocutif, repérable à l’intégration de la cinquième personne et au choix de l’allocutif majeur, à savoir l’impératif, ne permet pas, syntaxiquement, de lever l’ambiguïté interprétative entre apostrophe ou apposition pour maîtres. On ne peut que constater l’excès des apostrophes potentielles : soit maîtres est une désignation interpellative conférant un statut hiérarchique aux deuxièmes et cinquièmes personnes utilisées préalablement, soit c’est une apposition résomptive de toutes ces personnes, qui seraient alors en apostrophe, soit, enfin, toutes ces occurrences sont en apposition de la P5 de l’impératif. A contrario de cette dernière hypothèse (la moins plausible), une intuition sémantique : le statut construit par maîtres subsume les autres statuts : sénateurs, César, etc., ce qui permet de conforter l’analyse d’une valeur résomptive, mais ne permet pas de discriminer les deux premières hypothèses de lecture de la phrase.
36Cette ambiguïté, liée à la structure détachée, pose le problème de l’existence même d’un mécanisme proprement interpellatif, puisqu’on peut le ramener à un autre type syntaxique, celui du détachement appositif : dès lors, a-t-on affaire à deux structures syntaxiques fort ressemblantes, mais impliquant des processus de référenciation tout à fait différents, ou à un type structurel, travaillant, voire privilégiant, l’ambivalence interprétative ? C’est indécidable.
37Si on privilégie l’ordre d’apparition des segments, et qu’on le considère comme signifiant, les pronoms personnels toniques ont alors une fonction de cadrage allocutif, en position initiale. Les syntagmes nominaux qui les suivent directement permettent leur référenciation, dans la mesure où les pronoms de P2 et P5 sont des déictiques, et, à ce titre, sont labiles sur le plan énonciatif. Pour cette raison, ils doivent être articulés à un référent (duc de Saint-Arnaud, comte de Maupas, sénateurs, préfets, généraux, juges, princes, César) ou à une relative actualisatrice (qui rêvas l’empire et le réalisas), cette interpellation étant confortée par l’impératif dormez. Mais la présence de maîtres décrédibilise après coup cette interprétation. L’insertion avec ou sans intégration ne paraît donc pas un critère toujours discriminant.
38Il en va de même dans le vers célèbre d’A. Chénier (La jeune Tarentine), qui présente un apparent excès apostrophique :
Pleurez, doux alcyons, ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis, doux alcyons, pleurez.
39L’acte allocutif, marqué par l’impératif en P5 pleurez, en clôture initiale de la phrase, est repris en clôture finale, tout comme doux alcyons, ce qu confère une structure de chiasme à l’ensemble. Plus intéressant est le syntagme central, qui présente un ô, précédant un pronom personnel tonique de P5, ce dernier étant suivi de deux autres syntagmes nominaux : oiseaux sacrés, et oiseaux chers à Thétis. La seule lecture possible semble alors, pour ô vous. une lecture apostrophique, l’apostrophe étant articulée à une triple expansion explicitante pour vous, mais ce ô vous avait déjà été explicité par doux alcyons. Démêler de manière précise la syntaxe de chacun des segments détachés apparaît singulièrement aventureux.
40En latin les choses étaient (parfois) plus simples, car l’emploi du cas vocatif (quand ce dernier présente une spécificité par rapport au nominatif) levait toute ambiguïté, ce qui permet à Tesnière d’affirmer qu’il ne peut pas y avoir de confusion entre apposition et apostrophe : il s’agit bien de processus différents, qui étaient marqués en latin par des cas différents. Dans Éléments de syntaxe structurale, il oppose des modes de construction personnelle – dans sa terminologie autoontif (mode en je), et antiontif (mode en tu, vous), à l’anontif (mode en non-personne). L’apostrophe, relevant de l’antiontif, ne peut en aucun cas être assimilée à une structure appositive, même quand le mot support de l’apposition est lui-même antiontif (c’est-à-dire en P2 ou P5) dans les langues à déclinaison, puisque les cas ne se superposent pas (nominatif ou accusatif vs vocatif). Ces mêmes langues à déclinaison montrent bien que le vocatif est affranchi de toute connexion syntaxique contrainte, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y ait pas coréférenciation avec un constituant de l’énoncé hôte. C’est en particulier le cas des énoncés à l’impératif où l’apostrophe « se comporte structuralement comme le prime actant virtuel d’un verbe à l’impératif » (1959 : 170), ou de ceux qui mettent en scène un prime actant de P2 ou P5, du type « je t’aime, Seigneur » :
Le substantif en apostrophe peut servir à interpeller une personne dont on veut attirer l’attention sur un procès dans lequel elle n’est pas directement impliquée et qui est par conséquent exprimé par un nœud dont les actants sont anontifs ou autoontifs :
anontif : fr. Mon Dieu, que ce paysage est beau !
autoontif : fr. Mon Dieu, que je suis fatigué !
Mais, dès que la personne interpellée intervient elle-même comme actant dans le nœud verbal, il s’établit automatiquement une connexion anaphorique entre le substantif en apostrophe et cet actant puisque tous les deux désignent la même personne.
Dans le cas où c’est le second actant qui est antiontif, l’anaphore s’établit entre le mot en apostrophe et le second actant :
lat. amo te, Domine « je t’aime, Seigneur »,
lat. amo uos, fratres mei « je vous aime, mes frères » (v. St. 168 et 169).
Les exemples précédents permettent de montrer clairement la différence qu’il y a entre l’apostrophe et l’apposition. La preuve qu’il ne s’agit pas d’une apposition, c’est que, dans les langues à cas, le mot en apostrophe ne se met pas au même cas que l’actant auquel il se rapporte, mais au vocatif, qui le place structuralement en dehors du nœud verbal. C’est ainsi qu’en latin, dans les exemples ci-dessus, Domine et fratres mei sont des vocatifs, celui du singulier ayant sa forme propre, différente du nominatif Dominus, celui du pluriel ayant une forme à la vérité semblable à celle du nominatif, mais qui en tout cas n’est pas celle de l’accusatif (mei).
Si, au lieu d’être en apostrophe, les mots Domine et fratres mei étaient en apposition, ils s’accorderaient avec le second actant et se mettraient comme lui à l’accusatif : amo te Dominum, amo uos fratres meos. Mais le sens serait tout autre : « je t’aime en tant que Seigneur, parce que tu es le Seigneur », « je vous aime en tant que frères, parce que vous êtes mes frères ». (1959 : 169).
41Cette réflexion de Tesnière pointe de manière nette les limites de la coïncidence syntaxique entre apostrophe et apposition.
2. 2. 4. Discontinuité et linéarisation
42Parler d’insertion sans intégration, c’est, par le biais d’une autre terminologie, envisager la notion d’incidence, définie ainsi par Marandin (1998) :
J’appellerai les constituants "hors phrase" constituants incidents ou incidents, et la phrase où ils apparaissent la phrase hôte ou l’hôte. (...)
La distribution caractéristique des incidents fournit un critère de reconnaissance de l’incidence : est incident tout constituant qui peut apparaître à la fois de façon périphérique (tête et/ou queue) et de façon incise dans un autre constituant sans entraîner de modification syntaxique ou interprétative de l’hôte.
43Marandin remarque que l’incidence peut être analysée à partir de deux schèmes en opposition :
Le premier met l’accent sur l’extériorité de l’incident par rapport à l’hôte : l’incident est purement et simplement juxtaposé à l’hôte. L’analyse de l’incidence relève essentiellement de l’analyse du discours qui, seule, peut rendre compte de la caractéristique prêtée au tour : celle de permettre à l’énonciateur d’exprimer un jugement sur l’énoncé en cours. (...)
Le second, tout en reconnaissant l’indépendance fonctionnelle de l’incident, met l’accent sur le fait que l’incident est linéarisé parmi les constituants de l’hôte, ce qui peut modifier la réalisation canonique de l’hôte, essentiellement en induisant de la discontinuité syntagmatique. De par ce simple fait, l’analyse de l’incidence relève de l’analyse syntaxique.
44Cette remarque est d’un grand intérêt pour tenter de formuler une grammaire de l’apostrophe : l’extériorité de l’incident ne peut en aucun cas induire une analyse en termes d’indépendance. En effet, l’idée même d’extériorité ne peut être interprétée qu’au regard de la linéarité de l’énoncé, et doit donc être ramenée à cette linéarité qu’elle bouleverse. Autrement dit, c’est la discontinuité induite par la distribution de l’incident par rapport à l’hôte qui infère le domaine d’analyse requis, celui de la syntaxe : « seule une observation qui reste superficielle peut se contenter de l’image de l’incidence comme figure libre du discours », conclut Marandin. Dès lors, il est nécessaire de prendre en compte, dans une visée analytique et descriptive, l’incident et l’hôte, en tant que constituants de la figure d’organisation qu’est l’incidence, et qu’on peut caractériser, de manière très générale, comme un phénomène caractérisé par une distribution périphérique ou incise et une indépendance syntaxique vis-à-vis de l’hôte, mais qui est cependant « sensible à l’organisation en domaines de son hôte », l’incident étant « inclus dans l’hôte même s’il n’entretient pas de relation fonctionnelle avec sa tête. En ce sens, l’incidence est organisée par la syntaxe » (Marandin, 1998).
45L’hôte, d’une part, restreint le placement de l’incident (c’est par exemple le cas de l’apposition, au sujet de laquelle « le confinement se marque par la contrainte d’adjacence stricte »), d’autre part est associé à l’incident (ainsi, toujours pour l’apposition, « le GN hôte fournit le terme avec lequel l’incident est interprété »). Peut-on établir les mêmes caractéristiques pour l’apostrophe ? Marandin est alors appelé à distinguer trois types interprétatifs d’incidents :
ceux qui portent sur le contenu de la phrase (la situation décrite par la phrase) : les incidents prédicatifs ;
ceux qui portent sur la proposition (l’entité dénotée par la phrase susceptible d’une valeur de vérité) : les incidents modaux ;
ceux qui portent sur l’énonciation de la phrase : les incidents énonciatifs.
46L’apostrophe, dans cette analyse, appartient au sous-ensemble des incidents nominaux énonciatifs spécifiant l’interlocuteur. C’est le cas de l’exemple numéroté (18.a) :
Les incidents énonciatifs spécifient un paramètre de l’énonciation : l’interlocuteur (18. a) et (18.b), l’énonciateur (18.c), ou une relation entre la phrase et le contexte (situationnel, discursif) (18.d) :
(18)
a. Liliane, fais les valises.
b. Franchement, que veux-tu faire ?
c. Pierre est malade, m’a dit sa mère.
d. Je ne viendrai pas. Premièrement, Pierre est très malade. Deuxièmement, je me suis fâché avec Marie. (ibid.)
47Les incidents apostrophiques, dont j’ai dit qu’ils étaient mobiles, et pouvaient être en position initiale, médiane ou finale, subissent-ils certaines restrictions distributionnelles générées par le constituant hôte lui-même ? Pour Marandin, il y a au moins deux cas, déjà signalés par Lambrecht2, où l’hôte impose une restriction distributionnelle. Le premier concerne l’insertion d’une apostrophe au milieu des constituants de l’hôte, qui s’avère « difficile » :
- Pierre a perdu mes clefs dans la cour, Nicole.
- * Pierre a perdu, Nicole, mes clefs dans la cour, (ibid.)
48Le second concerne l’insertion d’une apostrophe entre l’auxiliaire et le participe passé, jugée « impossible » :
- * Pierre a, Nicole, perdu mes clefs dans la cour.
- * Pierre a perdu mes clefs, Nicole, dans la cour, (ibid.)
49Marandin reconduit en cela le point de vue de Lambrecht (1998 : 37), qui exclut l’insertion d’une apostrophe entre le verbe et son complément essentiel, quand ce dernier est un GN, en arguant du fait que l’énoncé obtenu est mal formé (son exemple est le suivant : ? ? Tu ne m’as pas rendu, Nicole, mon argent). Mais il remarque que la structure ne pose plus de problème s’il s’agit d’une subordonnée complétive : c’est « une exception claire à la règle positionnelle » (ibid. : 39). Autrement dit, tout dépend, pour Lambrecht, du type de complément à droite.
50Je serai, pour ma part, beaucoup moins catégorique. Si ces schèmes intégratifs sont moins fréquents, ils ne me semblent pas du tout interdits. En témoignent les exemples ci-dessous, tous attestés. Le premier appartient à un corpus de comptes rendus de séance3 de conseil municipal (désormais CM) d’une ville du midi de la France. Les quatre suivants sont extraits des Caractères de La Bruyère. L’avant-dernier provient d’un discours prononcé par J. Lang, alors ministre de l’Éducation nationale, lors de l’installation de la commission pédagogique nationale de la première année des études de santé (11.04.02). L’insertion de l’apostrophe a chaque fois pour effet de séparer le verbe de son complément essentiel (et même de dissocier les constituants d’une locution verbale, avoir mission de, dans l’avant-dernier exemple), et cela quelle que soit la structure du complément à droite :
Je vous demande, M. le maire, de les consulter (CM, 28.09.02)
Si j’épouse, Hermas, une femme avare, elle ne me ruinera point
Je vais, Clitiphon, à votre porte
Voyez, Lucile, ce morceau de terre, plus propre et plus orné que les autres terres qui lui sont contiguës
Vous êtes placé, ô Lucile, quelque part sur cet atome
Telles sont tracées les grandes lignes d’un chantier pédagogique dont vous aurez, Mesdames et Messieurs, mission de proposer la mise en œuvre.
Je vous ferai remarquer, cher collègue Fromion, que cet amendement n’a pas été défendu en commission. (AN, 30.06.99)
51Mieux encore, l’apostrophe peut disjoindre deux constituants habituellement toujours solidaires, une périphrase temporelle dans le premier cas, modale dans le second :
Allez-vous, Monsieur le ministre, agir pour assurer la pérennité de ces centres de soins à Épinay (...) ? (AN, 18.01.06)
Pouvez-vous, Monsieur le ministre, faire le point sur la situation et sur les moyens que vous mettez en place dans notre pays pour le préparer à une éventuelle pandémie ? (ibid.)
52Quant aux deux exemples ci-dessous, ils prouvent que l’apostrophe peut même séparer un auxiliaire et un participe passé, contrairement à l’affirmation de Lambrecht (reprise par Marandin) :
Cette réforme représente une avancée et vous avez, Monsieur le ministre, respecté l’engagement que vous avez pris ici même... (AN, 20.12.05)
Je veux évoquer également les droits du Parlement, que vous avez, Monsieur le Président , à nouveau défendus lors de vos vœux. (AN, 09.02.06)
53Les contraintes distributionnelles doivent donc être modulées ou réévaluées à l’aune de ces exemples.
54Cette restriction faite, le point de vue de Marandin quand il soutient que « l’incidence est un phénomène réglé syntaxiquement », et qu’ « à ce titre, elle doit être modélisée par la grammaire », est tout à fait défendable. Pour ma part, je tenterai plus loin de dégager des constantes quant à la distribution de l’apostrophe au sein de l’hôte qui l’accueille (chapitre 4), en l’articulant à la régulation coénonciative qu’elle effectue.
55Enfin, la conclusion proposée par Marandin me paraît d’une grande justesse :
L’existence de l’incidence manifeste un aspect de l’hétérogénéité structurale fondamentale des langues qui s’accommodent fort bien de mêler « des modes de syntaxe » distincts au sein des mêmes unités.
56C’est précisément ce mélange des modes de syntaxe qui me semble extrêmement intéressant dans l’apostrophe. En tant qu’incident énonciatif (selon la terminologie de Marandin), le terme d’adresse a le pouvoir de réorienter énonciativement tout un énoncé, en transformant un discours élocutif ou délocutif en un face à face. La question de l’indépendance ou de l’interdépendance se pose aussi bien sur le plan morphosyntaxique que sémantico-pragmatique. Si l’hôte apparaît quelquefois indépendant de l’incident énonciatif au plan syntaxique (cas d’un hôte en non-personne par exemple), l’interdépendance sémantico-pragmatique me semble toujours à l’œuvre, qu’il s’agisse de la réorientation énonciative effectuée, ou du martèlement illocutoire, quand on a affaire à des incidents énonciatifs liés (dans les phrases injonctives par exemple, qui impliquent l’interlocuteur : Paul, tais-toi).
2. 2. 5. Topicalisation à gauche et apostrophe : une même structure formelle ?
57Lambrecht (1998) cherche à montrer la similarité formelle et fonctionnelle entre topiques et apostrophes (Lambrecht choisit le terme de vocatif), quand il s’agit de topiques antéposés, c’est-à-dire de SN disloqués à gauche. Il remarque en outre que, si ce qui distingue formellement une dislocation à gauche d’une apostrophe, elle aussi à gauche, c’est le lien anaphorique (Paul, il vient), il existe aussi des topiques non liés, c’est-à-dire des constructions détachées sans rappel dans la proposition grammaticale subséquente (du type le chocolat, j’adore4). Apostrophes et topiques appartiennent ainsi, pour Lambrecht, au même type formel. Les seconds inscrivent un référent topique dans le discours, les premières inscrivent discursivement un référent ayant un degré d’accessibilité pragmatique, mais tous deux sont en position externe à la proposition (pour une discussion de ce point, cf. Détrie à paraître c).
58Ces deux structures (détachement à gauche et apostrophe à gauche) peuvent certes être mises en parallèle, sur le plan formel, mais une manipulation au moins les oppose : les topiques, qu’ils soient avec ou sans rappel, contrairement aux apostrophes , ne peuvent pas être intégrés entre le sujet et le verbe. Le chocolat, Pierre (l’)adore ne peut pas subir de déplacement interne du topique : * Pierre, le chocolat, (l’)adore alors qu’il n’y a pas ce type de contrainte pour l’apostrophe : Maman, j’adore le chocolat / J’adore, Maman, le chocolat. Marandin (1998) note à ce propos que « cette donnée est un accroc de taille pour le rapprochement effectué par Lambrecht sur une base distributionnelle ».
59J’ajouterai un autre argument, non distributionnel cette fois : ce qui, de mon point de vue, discrimine radicalement topiques et apostrophes, c’est l’acte de langage qui les sous-tend. Dans l’énoncé Le chocolat, j’adore, « le chocolat » est pris dans un acte élocutif, alors que dans Maman, j’adore le chocolat, « Maman » est pris dans un acte allocutif dont il est partie prenante. Dans le premier énoncé, la coénonciation n’est pas explicitée, alors qu’elle l’est dans le second. Il ne peut donc y avoir aucune similitude sur le plan énonciatif. L’apostrophe construit et/ou explicite la coénonciation englobante, sa fonction la plus évidente étant de faire exister dans sa parole son coénonciateur. Mais on peut le faire exister de diverses manières : en montrant simplement qu’on le ratifie comme allocutaire, en superposant interpellation et évaluation, en le prenant à témoin ou à partie, etc., autant de possibilités générées par l’apostrophe. On étudiera ces diverses possibilités dans le chapitre 4.
2. 2. 6. De la simple extraposition à une autonomie syntaxique achevée ?
60Une apostrophe peut suffire à constituer une phrase à part entière, de syntaxe nominale : c’est précisément parce qu’elle est syntaxiquement hors de la charpente phrastique que l’apostrophe peut s’employer seule, n’étant incidente à aucun autre terme de l’énoncé, et n’ayant donc pas de fonction syntaxique au sein de l’énoncé (Taxi !). On doit donc amender cette idée d’un rôle syntaxique négligeable, puisque cette même syntaxe peut représenter un énoncé à part entière sans aucune modification d’aucune sorte. Qu’une apostrophe puisse actualiser seule un énoncé invite donc à reconsidérer le fait qu’il s’agirait d’un rôle secondaire : le fait de constituer une phrase nominale, au plan syntaxique, et un énoncé à part entière, au plan énonciatif, la place à égalité avec tous les autres types de phrases, et tous les autres types d’énoncés.
61Moignet (1981), remarquant que l’apostrophe apparaît comme hors phrase, mais peut aussi faire phrase à elle seule, la rattache pour cette raison à d’autres types d’énoncés :
L’apostrophe, en réalité, est hors phrase et fait phrase par elle-même. C’est pourquoi l’on ne peut l’assimiler à l’un des cas de discours définissant une relation du substantif avec un autre élément de l’énoncé. On la rapprochera, en revanche, d’autres emplois où le substantif seul est porté par un mouvement expressif et constitue un énoncé complet :
ordre, injonction : silence !
demande : la musique !
prière : pitié !
survenance : rideau
constatation affective (surprise, indignation, faveur, satisfaction, etc.) : la pluie ! la police ! les pompiers !
appréciation affective : le salaud !
On se trouve devant des formes d’expression où le substantif fait phrase et où les rapports syntaxiques sont abolis. Les conditions de l’énonciation, la situation, etc. suppléent à l’explicitation avec ce qu’il s’agit d’exprimer. (1981 : 39)
62On notera cependant que tous ces tours sont inaptes à construire des structures personnelles. Il s’agit de ce qu’on appelle traditionnellement des phrases nominales, et, si on cherche à les expliciter, on aboutira à des énoncés du type : je demande le silence (ou faites silence), j’exige de la musique (ou mettez de la musique), la police arrive, c’est un salaud, etc., soit des noms intégrés à un énoncé verbal, alors que les apostrophes se soustraient à la loi du nom, qui est de construire une non-personne, puisqu’elles sont portées par une P2 ou une P5, s’écartant momentanément de l’énoncé au profit de la coénonciation elle-même. On remarquera en outre que tous ces énoncés nominaux sont actualisés, excepté silence et pitié, qui peuvent correspondre à des procès dont on aurait effacé le morphème verbal plus ou moins désémantisé (ayez pitié, faites silence), alors que l’actualisation n’est pas le cas le plus fréquent pour l’apostrophe : Garçon ! Taxi ! Ces apostrophes, par ailleurs, peuvent être explicitées par un injonctif, à la cinquième personne : Taxi, emmenez-moi à Asnières, Garçon, apportez-moi un café bien serré.
2. 3. De la syntaxe détachée à l’énonciation : l’organisation prédicative en question(s)
63J’aborderai ici succinctement la valeur prédicative (ou non) de l’apostrophe en relation avec le détachement syntactico-prosodique qui la caractérise. Marandin (1998) remarque que le propre du « groupe nominal sans déterminant en fonction de terme d’adresse » est d’être toujours en emploi incident (c’est-à-dire en tant que constituant discontinu sur le plan syntagmatique, par rapport à la phrase hôte). Il ajoute que « ce type de GN est référentiel (référence fixée de façon déictique) alors que les GN sans déterminant ne sont pas référentiels dans la phrase en français (que ce soit en fonction d’attribut ou bien dans la combinaison avec les verbes supports) ». L’apostrophe se caractérise ainsi, quand elle est linéarisée, avant tout par sa position détachée, et son aptitude référentielle. Peut-on arguer de sa construction détachée pour soutenir qu’elle actualise une prédication, la valeur prédicative des segments détachés étant une idée communément partagée ? Cette dernière est par exemple tout à fait nette pour l’apposition, en tant que « structure dynamique complexe, véritable unité fonctionnelle et sémantique faisant jouer un élément apport et un élément support » (Neveu, 1998 : 50), ce mécanisme incidenciel étant « matérialisé, lorsque s’opère la réalisation effective en discours, par un type particulier de relation prédicative », c’est-à-dire une prédication seconde, la pause propre au détachement servant à marquer cette prédication seconde sans verbe médiateur (ibid. : 67-68). Ce schéma prédicatif est-il aisément transférable au segment en apostrophe ?
2. 3. 1. Une analyse en termes d’apport à un support est-elle fondée ?
64L’apostrophe mettrait-elle en relation deux constituants, dont l’un servirait de support à l’apport effectué par l’autre (le problème de l’incidence guillaumienne, notion exclusivement syntaxique), et quelle serait, dans ce cas de figure, la relation sémantico-syntaxique instaurée entre ces deux constituants ? Je ne développerai pas ici ce point, discuté ailleurs5, me contentant de quelques propositions.
65En premier lieu, je remarque que l’apostrophe, quand elle est linéarisée, est déplaçable, se jouant ainsi des contraintes distributionnelles de maints syntagmes détachés, ce qui l’oppose à l’apposition, à l’attribut du COD, ou aux constructions à double objet (toujours dans la sphère de leur support), cette mobilité étant le corollaire syntaxique de son domaine d’interprétation sémantico-syntaxique, c’est-à-dire l’entier de l’énoncé :
Où donc est le complot, ma biche blanche ? (H. de Balzac, César Birotteau)
Ma biche blanche, où donc est le complot ?
Où donc est, ma biche blanche, le complot ?
66Quand elle n’est pas linéarisée, elle ne peut définitoirement être considérée comme un apport en direction d’un support actantiel non exprimé, et il n’y a aucun mécanisme d’incidence externe directement perceptible ou explicite. Elle se présente comme isolée, non légitimée par un argument ancré dans un énoncé hôte inexistant, et sa fonction de sélection d’un allocutaire ou de construction d’une prédication à propos d’un allocutaire préalablement identifié s’effectue hors de toute combinaison avec un autre énoncé. La cause d’une prédication d’ordre exclusivement sémantico-syntaxique semble ainsi entendue, qu’il s’agisse d’une prédication primaire ou seconde canonique (« type de séquence qui est syntaxiquement intégré à la phrase, mais dans lequel l’élément nominal concerné ne constitue pas sémantiquement une tête par rapport à l’élément non nominal impliqué », Cadiot et Furukawa, 2000 : 4).
2. 3. 2. Une prédication incomplète ou atypique
67Si l’apostrophe isolée ne peut entretenir une relation avec un support inexistant sur le plan langagier, il est cependant indubitable qu’elle actualise un apport informationnel. L’exemple ci-dessous souligne bien cet apport effectué par l’apostrophe, apport qu’on peut gloser ainsi (Je dis que) vous êtes un pyromane. L’énoncé est extrait de la séance du 09. 1 1. 04, à l’Assemblée nationale :
M. René Dosière. Monsieur le Premier ministre, votre responsabilité est d’éviter que la Polynésie ne sombre dans le chaos et la violence.
M. Éric Raoult. Pyromane !
68Si on accepte l’idée que cette apostrophe construit bien une prédication, il ne peut s’agir que d’une prédication incomplète ou atypique, puisque la relation sémantico-syntaxique de dépendance entre deux constituants n’est pas actualisée, le support étant inexprimé : seul figure l’apport apostrophique, qui prédique bien quelque chose sur l’apostrophé.
69Inversement, il peut y avoir actualisation d’un thème général, dans le sens d’un support informationnel (qu’il s’agisse d’apostrophes linéarisées ou non), en particulier pour les apostrophes identificatrices objectives, du type nom propre, titre, statut, etc., pour lesquelles l’interpellation implique une connaissance préalable (vous que je connais en tant que pilote / en tant qu’abbé) :
70Il poursuivit :
Pilote, quelle est la première voile à bâbord ? (V. Hugo, Quatre-vingt treize)
Et le vieux curé sourit en humant sa prise : « L’âge vous calmera, l’abbé, et l’expérience aussi ; vous éloignerez de l’église vos derniers fidèles ; et voilà tout. Dans ce pays-ci, on est croyant, mais tête de chien : prenez garde. » (G. de Maupassant, Une vie)
71En particulier, comme le remarque D. Perret, l’interpellation est sous-tendue par une assertion de relation ou de connaissance, c’est-à-dire une antériorité :
Le terme d’adresse constitue [-t-il] le prédicat d’une assertion ? Apparemment, si je dis « Pierre », mon assertion est un peu limitée, puisqu’on s’accorde traditionnellement à dire que le nom propre n’a pas de sens. Toutefois, lorsque j’énonce un nom propre au vocatif, j’affirme : vous êtes un humain, je connais votre nom, je vous connais, ce nom est le vôtre. Ces données peuvent être interprétées comme des « présuppositions » ou « suppositions » : pour que j’emploie un nom propre comme « Pierre » au vocatif, il est supposé : 1) quant à l’allocuteur : qu’il soit un être humain, mâle, qu’il porte ce nom ; 2) quant au locuteur : qu’il connaisse le nom de cette personne, par conséquent cette personne. Mais si ces données sont bien supposées (et fondent l’adéquation du message à la situation), elles n’en sont pas moins affirmées dans l’énonciation du nom. Ces données (hors du langage) impliquent (au sens de l’implication connective où il existe une connexion entre l’antécédent et le conséquent) l’énoncé d’une certaine affirmation, qui les contient et qui, en retour, les implique. (1968 : 6)
72Ainsi, pour D. Perret, l’antériorité nécessaire à une prédication (c’est-à-dire le support par rapport à l’apport), fait partie, dans le cas d’une prédication liée à l’apostrophe, des présuppositions nécessaires à son avènement.
73Wilmet parle, lui, de « dénomination prédicative propre », dont le rôle est d’attribuer « par le canal (...) de l’intonation un nom propre à un référent », l’exemple proposé Bonjour, professeur correspondant à un nom propre accidentel (c’est-à-dire un nom dont « l’application à un référent occulte sa signification permanente au profit d’un sens momentané », 1997 : 79), emploi qu’il distingue de Va donc, professeur ! qu’il explicite de cette manière : « tu as l’âme/l’allure d’un prof » (1997 : 75). Dans ce type d’apostrophe non évaluative, le thème serait validé par la présupposition de connaissance liée à l’acte même de désigner son allocutaire par son statut ou son nom, et le prédicat serait constitué de l’information : (je dis de toi que) tu t’appelles Pierre.
74Cette explication met en jeu la définition du thème en tant que constituant à propos de (aboutness) (cf. Furukawa, 1996 : 13-17), approche impliquant que l’identifiabilité référentielle du segment détaché est acquise, et que ce dont on parle touche de près ou de loin une entité appartenant déjà au champ de la conscience, même si l’identifiabilité n’a pas été effectivement opérée linguistiquement. L’acte apostrophique serait alors un acte de langage permettant de passer d’une identifiabilité à une identification effective : l’acte d’identification verbale à partir d’une identifiabilité mentalement acquise aurait une dimension prédicative, mais la prédication, intuitivement, est perçue comme bancale, apport et support n’étant pas clairement discriminés.
2. 3. 3. Quels schémas prédicatifs pour l’apostrophe ?
75On voit, à l’aune de ces exemples, que l’articulation entre prédication et adresse peut relever de schémas syntaxiques différents. Wilmet en propose deux :
dans le premier, l’apostrophe correspond à une « apposition au sujet inexprimé d’un impératif et d’une injonction en général : p. ex. File ! dehors..., Pierre ! » (1997 : 499). Il s’agit donc dans ce cas d’apostrophes linéarisées dans un énoncé à visée injonctive. L’idée d’une apposition à un sujet inexprimé peut conforter la valeur prédicative de l’apostrophe dans ce type de structure, dont l’analyse pourrait éventuellement être effectuée dans le cadre de la prédication seconde ;
dans le second, l’apostrophe correspond à un « attribut sans sujet », dans le cas des apostrophes non linéarisées. L’exemple qu’il donne est Sombre crétin !, qu’il glose ainsi : « toi qui es (un) sombre crétin » (1997 : 499). L’idée de parler d’attribut, fonction syntaxique, et de classer ce type de structure dans les énoncés présentant seulement un rhème sans thème, souligne bien son aspect prédicatif, même si la prédication est incomplète. Plutôt que de parler de rhème sans thème, je préfère évoquer l’idée que, dans ce cas précis, qui cumule prédication et interpellation, thème et rhème se superposent dans la même unité syntaxique, le thème n’étant pas discrétisé : c’est l’acte allocutif qui permet d’accorder une thématicité au mot en apostrophe, même si seul l’élément rhématique (sombre crétin) est discret. Cet acte de langage, doué d’autonomie sur le plan sémantico-syntaxique, ne surgit cependant pas du néant discursif : il s’appuie le plus souvent sur un avant discursif et vise un après. C’est en cela que l’apostrophe évaluative ne fait sens qu’en prenant en compte véritablement la dimension discursive globale, l’apostrophe évaluative s’avérant un acte à la fois pour et sur quelqu’un (l’allocutaire), acte qui actualise simultanément la référenciation explicite de l’interpellé et sa qualification, et qui correspond à un apport sur les plans pragmatique (l’acte d’interpellation désigne comme allocutaire l’interpellé) et sémantique (l’acte accorde une qualification à l’interpellé), sans qu’on puisse discriminer les deux actes.
76En outre, il me semble nécessaire d’ajouter un troisième schéma, que Wilmet n’évoque pas, qui figurait dans un exemple déjà proposé supra, celui de l’apostrophe linéarisée dans un énoncé en non-personne :
Mon petit, en littérature, chaque idée a son envers et son endroit ; et personne ne peut prendre sur lui d’affirmer quel est l’envers. Tout est bilatéral dans le domaine de la pensée. (H. de Balzac, illusions perdues)
77Cette apostrophe ne peut en aucun cas correspondre à une apposition au sujet inexprimé d’un impératif ou d’une injonction, l’énoncé hôte n’étant pas injonctif mais banalement assertif et à la troisième personne. De très nombreuses apostrophes sont en effet linéarisées dans un énoncé de ce type : dénicher le « sujet inexprimé d’un impératif » inexistant s’avère alors une mission impossible.
2. 3. 4. D’une prédication syntaxique à une prédication d’ordre énonciativo-déictique ?
78Évoquer le détachement, c’est se situer prioritairement au palier syntactico-prosodique. Si on veut maintenant dégager l’opération linguistique dont le détachement n’est que le résultat visible (marqué), il faut envisager la syntaxe en l’éclairant d’une perspective énonciative. Dans ce cadre, le détachement est la marque de l’opération énonciative : le fait même de détacher le segment indique sa fonction vocative, et permet corollairement une discrimination de l’apostrophé. L’apostrophe ne vient pas saturer une position argumentale (c’est-à-dire une position commandée par la structure du noyau prédicatif), par contre elle sature une position énonciative, celle de l’allocutaire. Il me semble donc nécessaire d’introduire l’idée d’une prédication d’ordre énonciativo-déictique : en effet, sur le plan syntaxique, l’emploi apostrophique signe la sortie de la syntaxe nominale traditionnelle, puisque le nom en apostrophe permet la saturation référentielle de l’allocutaire, soit un déport pragmatique doublé d’un déport syntaxique (structure détachée, apparemment indépendante du prédicat, pour l’apostrophe linéarisée, ou emploi autonome). Cette subversion syntaxique permet à l’apostrophe de se charger de valeurs énonciativo-déictiques que le nom n’est habituellement pas apte à véhiculer.
79Ainsi, pour les apostrophes linéarisées, l’apport énonciativo-déictique effectué par l’apostrophe au regard non d’un constituant de l’énoncé hôte, mais de l’entier de l’énoncé est incontestable, et influe de la sorte sur la totalité de la prédication effectuée. Dans l’exemple supra, le fait d’utiliser l’apostrophe mon petit modifie la totalité de la prédication, puisque tout ce qui est à droite de mon petit doit être réinterprété, à cause de l’apostrophe, comme un énoncé où l’assertion engage les participants et contribue explicitement à leur relation argumentative, alors qu’il pouvait s’agir d’un énoncé non-personnel gnomique sans ce marqueur de coénonciation. Ne peut-on considérer que le dédoublement illocutoire instaure de fait une forme de prédication associée ou mieux « surajoutée » (emprunt à Wilmet, 1996, à propos de l’apposition), qui se combine avec la prédication actualisée dans l’énoncé quand l’apostrophe est linéarisée ? Par son seul ancrage dans la proposition hôte, elle marque l’intrusion explicite de l’énonciation dans l’énoncé, ce qui en propose une interprétation non plus seulement descriptive, mais aussi déictisante, explicitant la sphère coénonciative.
80Quand elle n’est pas linéarisée, elle actualiserait non plus une prédication associée ou surajoutée, mais une prédication à part entière (c’est-à-dire un prédicat nominal(isé), le référent du constituant apostrophique étant présupposé connu : il n’a pas été introduit dans le discours, mais, eu égard à la situation d’énonciation, il fait partie de la présupposition énonciativo-pragmatique, étant accessible ou saillant dans le contexte situationnel.
81La notion de prédication n’est donc pas utilisée dans un sens seulement syntaxique, le cadre de cette prédication ne résidant pas dans une relation (micro-) syntaxique entre un support et un apport (le palier de la phrase ne semble pas apte à actualiser la prédication impliquée par l’apostrophe) : elle doit être envisagée de préférence au palier macrosyntaxique, celui de l’entier de l’énoncé.
82La position soutenue ici est celle de l’apostrophe comme forme interprétable en termes de prédication énonciativo-déictique. J’explicite cette position ci-dessous, en explorant le rôle énonciatif du détachement et en m’appuyant sur la notion d’espace discursif que j’emprunte à L. Pop (2000, 2001).
2. 4. Le détachement, marque d’un rôle énonciatif majeur ?
83L’apostrophe, contrairement à d’autres types de détachement, a pour spécificité de n’intervenir qu’en discours, dans une relation d’interlocution qu’elle explicite, et donc se distingue à ce titre de l’apposition, ou de la dislocation. Le critère définitoire distinctif est donc bien d’ordre énonciatif. Il me faut cependant préciser le type de pertinence énonciative impliquée par l’apostrophe.
2. 4. 1. D’une non-pertinence fonctionnelle à une pertinence énonciative
84Quand l’apostrophe ne constitue pas une phrase nominale autonome, son absence fréquente de lien syntaxique explicite au regard de l’énoncé hôte et le fait qu’on ne puisse pas l’aborder en termes de fonction grammaticale méritent d’être analysés. La principale caractéristique de l’énoncé au sein duquel elle figure est qu’il peut présenter toutes les personnes, toutes les modalités. Je me contenterai de donner quelques exemples, tous extraits des Caractères de La Bruyère. Le premier combine apostrophe, modalité injonctive et P5 (vous de politesse) coréférente à la personne apostrophée, le second associe apostrophe, P1, et modalité assertive, le troisième sélectionne la modalité interrogative, et l’apostrophe est linéarisée dans un énoncé en non-personne :
Riez, Zélie, soyez badine et folâtre à votre ordinaire ; qu’est devenue votre joie ? « Je suis riche, dites-vous, me voilà au large, et je commence à respirer. » Riez plus haut, Zélie, éclatez.
Je n’ai pas tout dit, ô Lucile, sur le miracle de ce monde visible.
Qu’importe, Acis ? Est-ce un si grand mal d’être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ?
85Dans tous les cas, l’apostrophe construit un énoncé adressé, et établit un lien direct entre les coénonciateurs, même si l’énoncé hôte, dans le dernier exemple, est délocutif de bout en bout. Autrement dit, s’il s’agit le plus souvent, pour un énoncé injonctif ou du moins en P2 ou en P5, d’un martèlement illocutoire, d’une insistance énonciative (Riez, [Zélie]), l’apostrophe peut aussi participer à un dédoublement illocutoire, à une double orientation en termes d’acte de langage, quand l’énoncé ne présente aucun support de P2 ou de P5 à l’actualisation de l’apostrophe. Par exemple, dans l’énoncé suivant, Hermas désigne un destinataire qui n’est en rien partie prenante dans l’énoncé (l’énoncé semblant purement élocutif), mais qui est cependant porteur, par le biais de l’apostrophe extraposée (et donc hors de la charpente phrastique), d’une réorientation allocutive qui a valeur argumentative (pouvant être glosée ainsi : Hermas, je te demande ton avis, Hermas, qu’en penses-tu, Hermas, je te soumets mes inquiétudes, etc.) :
Si j’épouse, Hermas, une femme avare, elle ne me ruinera point ; si une joueuse, elle pourra s’enrichir ; si une savante, elle saura m’instruire ; si une prude, elle ne sera point emportée ; si une emportée, elle exercera ma patience, (ibid.)
86Le fait que l’apostrophe soit hors de la charpente phrastique implique qu’elle ne puisse pas - théoriquement - être intégrée dans un discours indirect, c’est-à-dire devenir partie prenante de l’énoncé : Petit, viens ici ! / *J’ai dit que, petit, il fallait venir. Selon Maingueneau :
Il est impossible de mettre en DI nombre d’éléments qui figurent en DD : onomatopées, interjections, vocatifs, exclamatifs, énoncés inachevés, en langue étrangère. (1986 : 86)
87Les frontières entre énonciation directe et indirecte ne sont cependant pas totalement étanches. Cette impossibilité de figurer dans un DI est donc à moduler : on peut trouver en effet dans les discours familiers des emplois d’apostrophes en discours indirect. Rosier (1999 : 225) donne deux exemples qu’elle emprunte à Vautrin (Billy Ze Kick) :
Elle se dit qu’Hippo aurait mieux fait de l’étrangler pour de bon. Que vieille conne
Les hommes du achélème pensaient que sacré Eugène
88Ces deux énoncés semblent présenter l’enchâssement d’un constituant qui pourrait être une apostrophe : Juliette se dit qu’Hippo aurait mieux fait d’étrangler Mme Karapian pour de bon. (Elle se dit) que « Vieille conne ! », ou Les hommes du achélème pensaient que « sacré Eugène ! ». Ils l’enviaient. Cependant, dans l’exemple 2, il y a une reprise en non-personne (l’) qui semble exclure une interprétation apostrophique : sacré Eugène représenterait l’intégration d’un fragment exclamatif non apostrophique. Par contre, le premier exemple peut correspondre à une apostrophe : Juliette est agacée par les vocalises de Mme Karapian, qui habite juste au dessus d’elle. L’injure est clairement adressée à la personne du dessus dont Juliette sait qu’elle est présente, ce dont témoignent les vocalises.
2. 4. 2. Détachement et conversion pragmatique
89La notion de conversion pragmatique est définie par L. Pop comme la transformation « d’une fonction grammaticale en fonction discursive (pragmatique) » (2001 : 253), c’est-à-dire la conversion d’une lecture grammaticale, descriptive de l’énoncé en lecture pragmatique. Cette conversion est de son point de vue à l’œuvre dans de nombreuses structures détachées, le détachement devant être fréquemment interprété comme la marque typographique et prosodique de cette conversion :
Nous pouvons interpréter dès lors ce que les grammaires jugent comme « non essentiel pour la phrase » (et donc, détachable) comme moins pertinent pour la phrase et plus pertinent pour le discours. (...) La virgule, dans ce jeu de pertinences, peut être considérée le moyen le plus économique de passage d’un mode à un autre, ce qui autoriserait à voir dans le détachement un marqueur de conversion pragmatique. (ibid. : 270)
90La perspective de L. Pop est celle d’assigner
des places discursives, au-delà de la linéarité, à des fonctions plus qu’informatives, qui, malgré leur hétérogénéité, s’enchaînent naturellement dans le discours (appel à l’interlocuteur, ratés de formulation, ajouts, retours, rectifications/reformulations, explications/justifications, évaluations, hypothèses et conclusions, thématisations, cadrages, etc.). Dans ce modèle, les activités non homogènes que le locuteur est obligé de gérer dans la production/interprétation du discours sont ramenées à des types d’opérations discursives occupant ce que nous avons appelé des espaces discursifs, virtuellement disponibles dans tout discours - tels le descriptif (D), le subjectif (s), l’interpersonnel (Ip), le paradiscursif (Pd), le métadiscursif (Md), l’interdiscursif (id), le présuppositionnel (pp), le prosodique (Pro), etc. Nous avons remarqué que les espaces sont plus marqués dans les ruptures de construction grammaticale, ce qui fait que celles-ci en deviennent ainsi les indices, (ibid. : 254)
91L’apostrophe, dans ce cadre, correspond à une opération discursive (la conversion pragmatique), se greffant en « surimpression » (ibid. : 255) du détachement (qui serait l’indice d’une fonction syntaxique mineure), la rupture prosodique ayant alors pour rôle d’impulser une lecture non descriptive du fragment détaché (« la conversion grammatical > discursif ») :
L’idée nous semble séduisante de voir dans ces fonctions dédoublées – fonctions discursives accompagnant généralement une fonction grammaticale correspondante - un phénomène de « reflet » des positions grammaticales dans les positions discursives. Soit un reflet de la structuration grammaticale (micro-syntaxe) dans la structuration discursive (macro-syntaxe). (ibid. : 256)
92L. Pop n’oppose pas le palier pragmatique et le palier grammatical, mais pose au contraire « la coexistence des deux extrêmes sur une échelle allant de l’extrême pragmatique vers l’extrême grammaticale, tout en accréditant l’idée que le mode pragmatique semble être la composante la plus universelle de nos habitudes communicatives » (ibid. : 257). C’est le marquage par le détachement qui « rend au segment une pertinence maximale », et qui, d’une certaine manière, marque la transgression du niveau linéaire de la phrase.
93L. Pop note enfin qu’ « avec les vocatifs, une conversion supplémentaire semble intervenir », qui transforme « un usage descriptif en usage déictique » (ibid. : 261), puisqu’ils combinent une opération de sélection de la référenciation pertinente marquée par le détachement (opération de thématisation), et une fonction d’appel.
94La lecture descriptive est donc, dans l’apostrophe, remplacée par une lecture non descriptive, de type pragmatique, et cela doublement - par l’acte d’imposition d’une référenciation pertinente, par la mise en place d’une relation interpersonnelle.
95La syntaxe de l’apostrophe conforte cette notion de conversion pragmatique : en effet, quand un nom commun est mis en apostrophe, la lecture grammaticale semble neutralisée dans la mesure où le nom apparaît comme hors du système traditionnel de l’actualisation nominale, et hors du système syntaxique d’incidence. La lecture non descriptive (pragmatique) prend alors le relais. La réflexion de L. Pop montre qu’une analyse fine des phénomènes de détachement incite à articuler grammaire et discours, le cadre étroitement fonctionnaliste, et donc trop linéaire, s’avérant inapte à rendre compte de manière pertinente du détachement en général, et du détachement apostrophique en particulier, lequel, en tant qu’indicateur d’opération discursive, met en avant, simultanément, la pertinence référentielle et la pertinence interpersonnelle.
96Il est aisé de mettre en relief cette conversion pragmatique, en proposant une manipulation de deux exemples proposés ci-dessus, qui permet de percevoir la transformation de l’opération d’information traditionnelle :
Je n’ai pas tout dit, ô Lucile, sur le miracle de ce monde visible.
Qu’importe, Acis ? Est-ce un si grand mal d’être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ?
97Pour le premier exemple, le détachement de ô Lucile indique une opération discursive de type interpersonnel, alors que l’énoncé Je n’ai pas tout dit sur lemiracle de ce monde visible, grammaticalement pertinent, ne permet cependant pas de dégager une quelconque pertinence interpersonnelle (pragmatique). Dans le second (Qu’importe, Acis ?), la position détachée d’Acis est aussi un indicateur de conversion pragmatique : elle signe la transformation d’une opération d’information, présentant, en microsyntaxe, une interrogation rhétorique (Qu’importe ? Est-ce un si grand mal d’être entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ?), en une opération discursive, construisant, en macrosyntaxe, une relation interpersonnelle, montrant qu’il s’agit d’une parole adressée, exhibant une coénonciation sur la base d’une relation polémique, d’une prise à partie, soit une construction énonciative tout à fait spécifique.
98La notion d’espace discursif (Pop 2000) est ici pertinente, dans la mesure où l’apostrophe travaille un niveau décalé par rapport au niveau de la linéarité, et introduit de ce fait une profondeur énonciative, soit « un procédé de "rehaussement" des segments concernés » (Pop 2001 : 257-258).
Conclusion
99Je conserverai pour l’apostrophe la définition proposée par Serbat pour le vocatif, qui possède, en outre, des marques morphologiques (domin-e), inopérantes dans une langue qui ne se décline pas : « forme du nom à usage purement déictique – le V[ocatif] établit un contact immédiat, une sorte de circuit court, entre locuteur et allocutaire » (Serbat, 1996 : 111). De la sorte, si son rôle syntaxique est (apparemment seulement) restreint (constituant syntaxiquement satellite), l’apostrophe s’avère par contre un élément capital de l’acte énonciatif, révélant et explicitant les divers niveaux de la construction énonciative. Si son intégration morphosyntaxique n’est pas totalement aboutie, elle actualise cependant une interdépendance ou une connexion d’un autre type, d’ordre énonciativo-déictique.
100Je retiendrai ainsi quatre critères définitoires pour l’apostrophe :
son caractère non intégratif (ce qui permet souvent de la distinguer d’une apposition),
sa position détachée (intonativement et syntaxiquement),
son rôle de discrimination énonciative par identification du destinataire de l’énoncé et conversion automatique du discours qui l’accueille en discours adressé,
le fait qu’elle propose, pour une séquence nominale, une lecture déictisante, ce qui place le nom en apostrophe hors de son système syntaxique habituel.
101Ces points seront approfondis dans les chapitres suivants.
Notes de bas de page
1 Cette affirmation mériterait d’être modulée. Il peut en effet y avoir une réponse aux adresses collectives, mais une adresse plus individualisée (en particulier par des marqueurs mimogestuels) programme ou appelle plus aisément une réponse immédiate.
2 Marandin renvoie à la première version (1996) de la réflexion de Lambrecht sur vocatifs et topiques, initulée « On the formal and functional relationship between topics and vocatives », in Goldberg A. E. (ad.). Conceptual Structure, Discourse, and Language. Stanford : Calif, CSLI publications, 267-288. Pour ma part, je me réfère à la version remaniée de cet article, intitulée « Sur la relation formelle et fonctionnelle entre topiques et vocatifs », parue en 1998 dans Langues, volume 1, numéro 1, 34-45.
3 Le compte rendu intégral des débats (choix de ponctuation compris) a été effectué par le service de communication de la ville à partir de l’enregistrement des séances au magnétophone.
4 Cf. aussi le point 2. 2. 1., ci-dessus.
5 Détrie, à paraître b, « Le détachement apostrophique modifie-t-il l’organisation prédicative de l’énoncé hôte ? », in Actes du colloque « Représentations du sens linguistique III », Bruxelles, 3-5 novembre 2005.
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Contribution de la linguistique à l’histoire des peuples du Gabon
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2005