Chapitre III. La formation du négatif et son élévation au spéculatif
p. 87-108
Texte intégral
« Les racines de l’éducation sont amères, mais ses fruits sont doux. »
Aristote
1L’éducation est typiquement liée à la question de l’homme. Kant écrit ainsi que « l’homme est la seule créature qui doive être éduquée1 ». On peut aisément comprendre cela. L’homme au départ n’est rien d’effectif, il lui faut devenir ce qu’il a à être2. Comme le montre Gustav Thaulow, l’un des premiers à écrire un ouvrage fourni sur l’éducation chez Hegel, l’enfant n’est au départ que possiblement libre, la volonté et les connaissances lui viennent de l’extérieur, de ses parents et de ses professeurs3. Il lui faudra intérioriser cette raison qui dans la sphère éthique lui est mise à disposition pour rendre effective sa liberté qu’il ne contient encore qu’en puissance. Mais comprendre la nécessité de l’éducation est une chose, en penser les modalités en est une autre.
2Tout d’abord, il faut distinguer les différents concepts qui œuvrent dans la conception hégélienne de l’éducation (Erziehung). Hegel ne présente certes pas, comme le fera Thaulow, une théorie systématique de l’éducation4, il faut souvent tenir compte du contexte de ses propos sur l’éducation, notamment quand il s’agit de discours solennels tenus à l’occasion de rentrées académiques, mais la systématique qui sous-tend ces allocutions peut, pour peu que l’on soit attentif à cet aspect des choses, se laisser aisément reconstruire, Hegel en fournit d’ailleurs la matrice dans ses Principes de la philosophie du droit. À l’instar de Kant, l’éducation inclut pour Hegel « les soins (l’alimentation, l’entretien), la discipline (Zucht) et l’instruction avec la formation (Bildung). Sous ce triple rapport, l’homme est nourrisson, élève et écolier5 ». Chose nouvelle chez Hegel, cette tripartition est clairement répartie entre l’institution de la famille et celle de la société civile. Les soins et la discipline renvoient à la sphère de la famille6, l’instruction à la sphère de la société civile. Chez Hegel, l’institution de l’école trouve ainsi sa place dans l’espace médian entre la famille et l’État7. Le cadre retranché8 de l’école s’institue comme le lieu de réflexion des exigences de l’État et de la famille. Il garantit l’enfant des intérêts bornés du prince et des parents9 et permet à l’homme de se réaliser comme un individu libre, conscient de l’universel et capable de le retrouver dans une société dans laquelle les intérêts privés ont libre cours.
3Dans l’éducation familiale des enfants, éducation qui pour eux est un droit10, on poursuit une fin positive et une fin négative. Il s’agit de discipliner en eux la liberté encore empêtrée dans la nature et de promouvoir l’universel en leur conscience et en leur volonté11, de faire en sorte que « l’éthicité soit portée en eux jusqu’à en être le sentiment (Empfindung) immédiat12 ». On voit ici facilement le parallélisme entre le processus de l’âme effective et l’éducation familiale. C’est au travers de la discipline inculquée au sein de la famille que l’âme s’approprie sa corporéité, l’exerce et en fait une habitude conforme aux bonnes manières. C’est plus généralement au sein de celle-ci que l’enfant fait de la culture sa seconde nature. Hegel parle de l’éducation dans la famille comme d’une naissance spirituelle, comme d’une « seconde naissance13 ».
4L’éducation au sein de la famille reste toutefois limitée14. Si elle est primordiale, elle n’est pas tout, elle doit être relayée par l’instruction, dont l’enjeu est de faire de l’enfant un « fils de la société civile15 ». La société a même le droit d’exiger que les familles envoient leurs enfants à l’école16, la raison en est que l’homme ne se réalise comme individu concret que dans la société civile. Le but de l’éducation est en fait de faire de l’enfant « une personne libre et autonome » (selbständige freie Person17).
5Pour Hegel, comme pour Kant, on ne peut concevoir l’instruction sans la discipline, mais celle-ci, contrairement à Kant18, est présupposée acquise dans la famille19, de manière à ce que l’école puisse se centrer sur sa mission qui est d’instruire. Cette instruction prend une importance inouïe à l’époque de Hegel, car, dans le monde moderne, l’homme vaut par ce qu’il fait et non par ce qu’il est20.
6Dans un tel contexte, les réflexions sur l’éducation connaissent une explosion sans précédent. On cherche non seulement à définir de nouvelles méthodes visant à rendre possible l’épanouissement de l’homme en son milieu social (Pestalozzi, Fröbel, Herbart), mais aussi à instituer dans un nouveau cadre les enjeux accrus de l’éducation. Humboldt pose ainsi les statuts de l’université de Berlin, Basedow expérimente un nouveau type d’école, le Philanthropinum, et Fröbel met en place les Kindergarten.
7Avant de penser au niveau pratique les enjeux de l’apprentissage à l’époque de Hegel, nous aimerions toutefois formuler le problème de la formation (Bildung) tel qu’il se pose pour l’époque moderne. Si la façon dont Hegel pense l’éducation au sein de la famille n’est pas particulièrement neuve, sa conception de l’instruction au sein de la société civile mérite de retenir l’attention, car c’est un mérite inaliénable de Hegel d’avoir pensé la conceptualité de cette sphère typiquement moderne et d’avoir voulu y instituer l’école en tenant compte des enjeux de son temps.
1. Le concept de Bildung chez Hegel
8Quand il s’agit de reproduire un ordre déjà là, le problème de l’éducation consiste à acquérir les outils pour continuer une tradition établie. Le problème de l’éducation prend toute son acuité quand il ne s’agit plus d’occuper la place qu’on nous a ménagée dans un tout voué à se reproduire, mais de prendre part en concurrence avec d’autres individus à un tout à produire. C’est dans cette perspective que s’inscrit le concept de formation de soi qu’est la Bildung. Le terme de Bildung est à l’époque de Hegel un terme polysémique, un véritable Protée21, qui renvoie tant à la formation dans la nature, qu’à la culture moderne et à la formation personnelle. Hegel emploie le mot dans tous ces sens22. Ici, nous utiliserons toutefois le mot Bildung dans l’acception plus spécifique de la pédagogie, mais l’arrière-plan culturel et naturel, loin d’être nié dans cette spécification, continue à jouer en filigrane dans la formation de soi. Nous entendons d’ailleurs montrer ici comment le sens que revêt la Bildung comme apprentissage individuel découle du contexte de la culture (Bildung) propre à l’époque moderne. L’importance du concept de Bildung est en effet à considérer dans son lien avec la modernité. La Bildung, nous dit Hegel,
est le principe le plus élevé des temps modernes, que les Anciens, que Platon, ne connaissaient pas, – dans les temps anciens, la belle vie publique était les mœurs de tous, beauté, unité immédiate du général et du particulier, une œuvre d’art, en laquelle aucune partie ne s’était séparée du tout, mais est l’unité géniale du soi se savant et de sa représentation, toutefois le fait pour la singularité de se savoir absolument soi-même, cet être en soi absolu n’était pas présent là. La République platonicienne – est comme l’état lacédémonien – ce disparaître de l’individualité se sachant soi-même23.
9Dans la Grèce antique, il n’y avait pas de place pour l’autonomie individuelle. C’est avec le monde moderne qu’émerge la libre singularité, en témoigne exemplairement la célèbre déclaration des droits de l’homme et du citoyen, que Hegel qualifie de catéchisme élémentaire des Temps modernes24. Avec celle-ci, il est clairement énoncé que l’homme acquiert une valeur en soi, indépendante du tout social. L’individu peut désormais se distinguer de la société dont il est issu.
10Ce progrès moderne se configure dans l’espace nouveau de la société civile (bürgerliche Gesellschaft) – que Hegel est un des premiers à théoriser – et a des conséquences sur la formation des individus. Dans l’Ancien Régime, l’éducation dépendait de la place qu’on occupait dans la société. On apprenait ce qui revenait à son état et non ce qui revenait à l’homme en général. La position sociale et l’éducation qui lui était liée étaient des choses que l’on ne choisissait pas, mais dont on héritait. L’instruction consistait à transmettre aux individus les connaissances et les compétences relatives à la classe sociale d’appartenance25. En d’autres mots, il s’agissait alors moins de former une intériorité subjective que de reconduire l’ordre objectivé de la société.
11Après la Révolution française, les choses changent. Les idées libérales se répandent et avec elles l’idée que l’homme a le droit de choisir lui-même sa place dans la société. Cette insertion de la singularité moderne dans les sphères sociales et politiques a pour conséquence un remaniement du concept d’éducation. Le but de l’éducation n’est plus de reproduire un ordre social structuré hiérarchiquement, mais de former les individus de façon à ce qu’eux-mêmes construisent une société démocratique. Le modus operandi lié à cette nouvelle finalité de l’éducation n’est plus l’imposition autoritaire de compétences à intégrer passivement, mais une auto-formation active dont la finalité, la liberté individuelle, n’est pas préétablie, n’est pas imposée, mais doit être composée par l’individu apprenant.
12Le but de la formation à la liberté, c’est moins de transmettre un contenu directement transposable à des fins pragmatiques que d’apprendre à envisager les choses non du point de vue de la particularité, mais du point de vue de l’universel, de la raison :
C’est cela que signifie la formation (Bildung) en général : elle concerne l’[élément] formel et ne détermine rien encore du contenu. Ce que la formation construit, c’est en somme le formel de l’universel. L’homme formé (gebildet) est celui qui sait imprimer le sceau de l’universalité à tout ce qu’il fait, dit et pense, celui qui a renoncé à sa particularité et agit selon des principes universels. La formation (Bildung) est donc l’activité de l’universel, elle est la forme de la pensée. La formation introduit donc en tout la pensée, l’universel26.
13Le but de la formation n’est donc pas l’efficacité. Il ne s’agit pas de faire de la formation le moyen de répondre à une fin particulière. Hegel fidèle à Kant ne voit pas en l’homme un moyen, mais une fin. On peut ici approfondir cette idée avec les admirables développements que Franck Tinland consacre à l’éducation dans un monde technicisé. « L’efficacité de la formation entendue comme conformation à un profil tôt défini doit être subordonnée au respect de la capacité d’autodétermination et de responsabilité de soi maintenue pour un temps ultérieur dans l’existence de chacun de ceux provisoirement confiés à des adultes27. » Considérée à l’aune de cette citation de Tinland, l’éducation à l’universel qu’est la Bildung hégélienne n’a donc pas pour tâche de conformer l’homme à un possible, elle a pour tâche de le rendre à même de s’autodéterminer dans un possible. Pour cela, elle doit ouvrir le champ des possibles, elle doit ouvrir l’apprenant, pris dans le champ de son arbitraire28 et du particulier de la sphère familiale, à l’universel de la vie éthique qui sous-tend cette dernière29.
14L’apprentissage caractéristique de la Bildung et distinct de l’efficace d’une éducation spécialisée défendue à l’époque de Hegel par le philantropinisme ne parvient toutefois à l’universel qu’à travers un travail réalisé à partir de contenus particuliers. Si le but de l’éducation n’est pas d’apprendre un contenu, mais d’apprendre à être libre, à pouvoir se déterminer librement dans la société et à rendre compte de ses décisions30, cet apprentissage ne se réalise que dans les contenus. Hegel s’oppose à l’idée de Kant, pour qui « on ne peut apprendre aucune philosophie, mais seulement à philosopher31 ». Vouloir apprendre en dehors de la matière à apprendre, c’est pour lui une abstraction moderne, analogue au fait de vouloir nager hors de l’eau32 ou de voyager les yeux fermés.
Suivant la maladie moderne, particulièrement la pédagogie, on ne doit pas tant être instruit dans le contenu de la philosophie que l’on ne doit apprendre à philosopher sans contenu ; ce qui signifie à peu près ceci : on doit voyager et toujours voyager, sans apprendre à connaître les villes, les fleuves, les pays, les hommes, etc.33.
15Pour Hegel, en apprenant les contenus de la philosophie, on apprend aussi à philosopher. C’est dans le concret des déterminations que se donne la logique du penser. Plutôt que l’étude de la logique formelle ou de la pensée pure, Hegel prône, au niveau pédagogique, l’étude de la culture classique et, dans ses cours universitaires, il attache une grande importance aux développements historiques de l’art, de la religion et de la philosophie pour introduire ses étudiants aux déterminations conceptuelles. Il ne faut toutefois pas se contenter, pour Hegel, d’une transmission brute des contenus, il faut aussi que le contenu in-forme notre vision du monde. Le contenu apporté ne doit donc pas se conformer à nous, comme ce serait le cas, si on le traduisait dans notre langue. C’est à nous de nous élever à sa spécificité en découvrant sa grammaire. Ce n’est qu’en appropriant la forme, la langue des Anciens que l’esprit de leur époque se laissera habiter par nous.
16S’élever à l’esprit des Anciens n’est toutefois pas un but en soi pour Hegel. Certes, une certaine nostalgie de la Grèce antique34 persiste dans ses écrits, mais acquérir l’esprit des Anciens est avant tout un moyen de revenir au sien avec un œil différent. C’est faire l’expérience (Er-Fahrung) dépaysante de la particularité de sa culture. À cet égard, l’étude de la grammaire, dans la mesure où elle nous offre une autre approche de notre langue, permet également de prendre du recul par rapport à notre vision du monde.
17La grammaire qui articule les unités sémantiques d’une langue est une première façon de dépasser l’immédiateté du langage en général en comprenant les rapports internes qui lient entre eux les termes. La grammaire du langage préfigure ainsi la grammaire de la pensée. Sans grammaire, une langue est un fatras de concept. Il en va de même d’une intelligence qui n’aurait que des contenus désarticulés. C’est pourquoi l’apprentissage ne peut être un formalisme et se réduire à la transmission de contenus, mais viser l’articulation de ces contenus. Dans l’apprentissage, il ne s’agit pas seulement d’étendre sa vision du monde, mais aussi de la comprendre par une mise en perspective de son savoir. À défaut de celle-ci, on obtient une simple érudition dans laquelle les savoirs s’ajoutent les uns aux autres sans faire sens.
18Toute communication n’est donc pas forcément formatrice. Il y a là chez Hegel un potentiel critique, qui peut nous instruire sur une dérive actuelle touchant aux nouvelles technologies de l’information35. Nous avons vu que l’éducation à l’universel devait se faire contre un modèle qui spécialiserait trop vite l’élève et l’empêcherait de décider et de rendre compte de sa spécialité. Nous avons montré par ailleurs que l’universel ne s’acquérait qu’à travers des contenus particularisés. L’enjeu est alors que l’universel ne se laisse pas submerger par la particularité des contenus, dont il a besoin pour se dire. Le développement du particulier en extension risque de nuire à sa compréhension. Pour le dire en deux mots : on pense augmenter le savoir en augmentant la communication. Mais pour Hegel, culture et communication ne vont pas nécessairement de pair. Si, à l’instar de Kant, Hegel s’oppose fermement à toute attitude qui nuirait à la communication de l’universel36, il ne promeut pas pour autant la communication pour elle-même.
19La communication n’est donc pas l’espace du savoir, elle n’en est qu’une précondition. Elle n’est pas la possession de la culture, mais seulement sa possibilité. Quand la communication vaut pour la réalisation du savoir, on a une multiplication de savoirs morts qui ne font pas sens pour la conscience. Si la conscience veut apprivoiser les possibles, elle doit cultiver les choses transmises, les transformer et non les recevoir seulement dans la communication. Quand on collectionne seulement les informations, elles ne nous forment pas, elles nous encombrent bien plutôt37.
L’apprentissage, en tant que simple réception et affaire de mémoire, est un côté extrêmement incomplet de l’enseignement. À l’opposé, l’orientation en direction de la réflexion et la ratiocination propre de la jeunesse est tout aussi unilatérale, et il faut bien plutôt prendre soin de la tenir à distance de celle-ci. (…) À la réception doit nécessairement s’ajouter l’effort personnel, non pas comme une production d’invention, mais comme une application de ce qui a été appris, comme un essai visant, grâce à son utilisation, à venir à bout aussitôt d’autres cas singuliers, d’un autre matériau concret38.
20Il faut en quelque sorte départir le contenu de sa particularité en l’appliquant à une autre situation et de la sorte libérer l’universel qu’il contient. Pour favoriser ce processus de départicularisation, il fallait proposer, selon Hegel, des contenus qui, parce qu’ils ne relevaient pas de la particularité immédiate des apprenants, créeraient un écart propice à une réflexion proprement formative39. Ce n’est qu’en rompant la sphère de l’immédiateté, en se projetant d’une culture dans une autre, ou en passant de l’usage du langage à sa grammaire, que l’on pourrait réfléchir la réalité dans laquelle on était et se déprendre de ses apparences40. La culture étrangère serait ainsi un moyen indirect de mieux comprendre la sienne41. C’est à ce titre que Hegel rejetait les pédagogies ludiques. Loin de rompre avec la particularité immédiate, elles se complaisaient en celle-ci. Il semble qu’il en va de même de l’infotainment aujourd’hui, cet avatar de la communication que l’on pourrait critiquer en s’inspirant de la logique de l’instruction chez Hegel.
21L’instruction implique de se plonger dans un contenu autre et de revenir au sien propre ensuite et de l’informer par ce contenu. Le divertissement est plutôt, quant à lui, une façon de se distraire de la situation présente en se plongeant dans une autre réalité sans qu’il n’y ait de retour critique. À ce titre, le divertissement consolide la particularité en place. Les deux logiques de l’instruction et du divertissement sont donc contradictoires. Le bénéfice de l’information est étouffé par le mode divertissant sous lequel il est présenté. L’attention critique est distraite. L’information de l’infotainment ne nous forme pas, elle est une parenthèse, dans une vue des choses qui demeure inchangée.
22La communication ne doit donc pas être absolutisée, sans être supprimée pour autant. Croire que l’on peut apprendre en dehors de toute communication est un leurre, qui peut être aussi coûteux que la manie actuelle à communiquer tous azimuts. La communication est dès lors moins à rejeter qu’à compléter par un travail consistant à cultiver l’information transmise. Les contenus doivent être reconstruits. Mais pour peu que l’on donne à l’élève le temps et les moyens, la reconstruction se fera spontanément. Le modèle transmissif qui voudrait que le professeur sache tout et déverse son savoir dans le vase vide que serait l’élève est, comme l’a montré Bachelard, un faux concept ; c’est un leurre42. L’élève n’est pas une terre vierge qu’il s’agirait d’ensemencer. Il est toujours marqué par des savoirs. C’est pourquoi l’acquisition de nouveaux savoirs provoque ce que l’on a appelé à la suite de Piaget un « conflit épistémique », qui pousse l’élève à construire une solution43. L’élève est par là rendu actif. Il comprend les choses parce qu’il ne les reçoit pas simplement, mais qu’il agit en les reconstruisant.
2. Hegel et Dewey
23L’éducation à l’universel que prône Hegel est non seulement vitale pour l’individu en tant qu’elle préserve en lui, comme le montre Franck Tinland, la capacité de dialoguer avec d’autres spécialités et de réfléchir le sens de sa spécialisation, elle est aussi vitale pour la société, puisqu’elle permet la transmission des valeurs entre générations. L’éducation rend possible une continuité entre les différentes individualités. C’est là un point sur lequel Dewey a insisté.
Le renouvellement de l’existence physique s’accompagne, dans le cas des êtres humains, de la recréation des croyances, des idéaux, des espoirs, des bonheurs, des malheurs et des habitudes. La continuité de toute expérience grâce au renouvellement du groupe social est un fait. L’éducation au sens large est le moyen de cette continuité sociale de la vie. Chacun des éléments constitutifs d’un groupe social, dans une cité moderne aussi bien que dans une tribu primitive, naît dénué de tout : sans langage, ni croyance, ni idées, ni règles sociales. Chaque individu, chaque unité qui détient l’expérience vitale du groupe, finit par disparaître. Pourtant, la vie du groupe continue44.
24L’éducation est ainsi le moyen plastique pour la culture de ne pas mourir avec les individus singuliers qui la compose, mais de se perpétuer à travers le temps, voire même de progresser. Elle permet de passer de sa particularité à celle d’un universel sur lequel on fait fond. Concrètement en tant qu’institution, elle assure la transition entre la famille et la société45. Ce moyen terme de l’école, Dewey le pense sur le mode de la continuité. L’école organise ainsi pour commencer des activités rencontrées dans le cadre familial et c’est à l’occasion de celles-ci que sont appris les différents savoirs46 et que peu à peu l’horizon s’étend à la société. La société est d’ailleurs progressivement expérimentée par le biais de coopérations entre différents élèves concourant à une même reconstruction du savoir dans cette forme de vie qu’est l’école.
25Chez Dewey, c’est ainsi la continuité – continuité des savoirs et continuité des institutions – qui est de mise. L’élève s’adapte à des situations de plus en plus complexes. Les matières sont convoquées pour répondre à ces situations et sont sélectionnées en fonction de leur pertinence éprouvée. Fidèle au prescrit pragmatique, Dewey envisage l’école en termes de conséquences pratiques. Son originalité est toutefois de ne pas envisager celles-ci dans le champ de vision d’un individualisme utilitariste qui verrait l’école comme un moyen pour l’individu de tirer un maximum de profit de la société, mais comme un instrument de socialisation et de transmission intergénérationnel de la culture.
26Viser, contre la spécialisation, des compétences universelles n’est donc pas dépourvu d’incidences pratiques, mais cela implique un changement de perspective. L’instruction à l’universel, qui préserve la liberté dans le chef de l’individu, est aussi une façon pour le tout de se transmettre dans la conscience de tous. Le tout social n’est alors plus cet agrégat extérieur de spécialités qui concourraient, dans le meilleur des cas, par un mécanisme inconscient, au bien de tous ; il est une totalité réfléchie au sein de laquelle les individus se déterminent librement pour l’une ou l’autre spécialité.
27Chez Hegel, on retrouve cette même vision de l’institution scolaire qui assure dans la vie éthique un rôle de médiation dont l’enjeu est de faire des enfants des « fils de la société civile47 ». Mais alors que Dewey insiste sur l’idée de continuité, chez Hegel, c’est plutôt la rupture qui prime. Il s’agit de se plonger dans des contenus étrangers, de se perdre dans la culture des Anciens afin de rompre avec l’immédiateté d’un monde qui paraît aller de soi et de remarquer les catégories logiques enfouies dans le présent de nos discours.
28Hegel et Dewey semblent donc opposés quant à leur façon de penser l’accession à un universel concret. Mais, s’ils privilégient chacun un aspect distinct, les deux mêlent en fait rupture et continuité. Comme méthode de résolution des problèmes, l’apprentissage qui s’opère chez Dewey dans la continuité de l’expérience est stimulé par une discontinuité de l’objet d’expérience. Chez Hegel, la discontinuité de la vision du monde et du langage qui l’exprime n’est promue que pour autant que l’élève a déjà acquis une vision du monde48, de sorte qu’il y ait une continuité de l’expérience. La rupture n’a pas pour but de nier platement la vision du monde de l’élève, mais de lui dénier toute évidence.
29En fait, comme on l’a déjà remarqué, Hegel ne pense pas l’éducation dans toute son extension. Il insiste à l’occasion de discours contextuels sur le bien-fondé d’une rupture propre à la formation classique qui est mise en péril par les réformes pédagogiques de son temps. Cette rupture qu’amène l’étude des auteurs, Dewey la situerait au terme du processus éducatif, au sens où dans la littérature se résume l’expérience de la culture49. Il y aurait là matière à réfléchir sur le moment opportun d’insister sur la rupture dans un processus. Hegel pense que la rupture nécessite une connaissance de la langue préalable, mais il ne nous dit rien de la nécessité d’une connaissance pratique du monde qui devrait préexister à la rupture.
30Les exercices pratiques peuvent, s’ils sont variés, constituer autre chose qu’une spécialisation réductrice ou prématurée. Dewey forme ainsi ses élèves par des projets pratiques qui stimulent l’acquisition d’aptitudes variées et contribue à étendre leur vision du monde et de ses problèmes. Il semblerait que ce soit là un aspect que Hegel ait sous-estimé en opposant trop rudement les pédagogies traditionnelles aux pédagogies nouvelles.
3. Une pédagogie par les langues
31Hegel a misé un peu unilatéralement sur les études classiques, pensant qu’elles devaient nécessairement constituer le nœud d’une éducation à l’universel. Certainement, on ne pourrait plus aujourd’hui prétendre atteindre une compréhension de notre monde hautement technicisé par les études classiques et par un écart avec le monde des Anciens. Toute une série de savoirs pratiques devraient être mis en place pour que notre monde soit rendu un minimum compréhensible. On se sent à ce titre plus proche de pédagogies comme celles prônées par Dewey. Il reste que les humanités ne sont pas à rejeter pour autant.
32L’intérêt des humanités est qu’elles ne contribuent pas seulement à forger une compréhension générale du monde, elles permettent aussi de l’exprimer. Ce n’est pas en vain que Hegel insiste sur le langage. Celui-ci n’est pas seulement pour soi, il est aussi pour autrui, il fait exister l’élément de la conscience de soi de telle sorte qu’il soit aussi pour d’autres (für andere50). À ce titre, un problème pratique peut nous aider à nous élever et à développer notre potentiel. Mais le sens de ce progrès ne se comprendra par rapport au reste des habiletés développées par soi et par autrui qu’une fois formulé dans le langage. En ce sens, la continuité de la culture (de l’apprentissage personnel et de la communication de l’expérience) dépend du langage, lequel n’est vraiment acquis que quand il perd son évidence naïve.
33À défaut d’être suffisant pour la pensée, le langage lui est nécessaire et a besoin d’être exercé intensivement. Il est ce qui donne un sens global à l’action. Pour que les savoirs contribuent à l’anthropogenèse de l’homme comme agent libre, il faut qu’une culture de la réflexion soit composée. Une telle culture existe bel et bien aujourd’hui, mais de manière exceptionnelle. On pousse, en général, les gens plutôt à se former dans des disciplines, dont les intérêts sont immédiats et, face à la multiplication des savoirs positifs qui se développent comme un cancer de la pensée, on abandonne le temps de la réflexion que représentait l’étude des langues anciennes. La conséquence en est un appauvrissement de l’homme qui, ne se formant plus au général, mais seulement spécifiquement, devient de plus en plus malléable en ce qui ne regarde pas sa discipline de spécialisation. L’homme positivé dans son caractère unidimensionnel51 est alors la victime d’un système qu’il ne comprend pas.
34Pour éviter de telles conséquences, Hegel, à l’instar de son ami Niethammer avec qui il entretient une importante correspondance, fait valoir l’intérêt des humanités classiques prônées par le néohumanisme protestant, qui se base moins sur l’acquisition d’aptitudes pratiques que sur l’étude de la langue des Anciens52. L’éducation néohumaniste est ainsi défendue par Hegel, moins par snobisme ou pour des causes conjoncturelles53, que parce qu’elle permet à la langue de devenir pensante, à la négativité de se faire expérience (Er-Fahrung). L’étrangement (Entfremdung) que suscite l’étude de la langue des anciens a quelque chose de formateur, il rend possible un pas à côté, qui permet de revenir à la logique de sa culture avec des yeux nouveaux54. Il nie le caractère absolu de notre culture et nous permet, une fois nié le caractère absolu de son autre antique, d’y revenir avec un regard nouveau. Cette pédagogie humaniste n’a donc pas pour but la simple érudition55, fermement critiquée par Hegel, mais la réflexion, laquelle est constitutive de la liberté56.
35Hegel constate que les langues diffèrent dans les rapports de compréhension et d’extension qu’entretiennent entre eux les termes qui les constituent57. Il signale ainsi, à titre d’exemple, que le terme latin « tempus » (temps) est un concept plus délimité que son homologue allemand « Zeit » (temps) et qu’il devrait être plutôt traduit par « Umstände » (circonstance) ou « rechte Zeit » (temps opportun), mais que cela impliquerait un nouveau jeu de références absent du terme latin.
36Les mots s’inscrivent dans un tissu de relations et de significations qui varie d’une langue à l’autre. La façon dont le monde s’organise en éléments sémantiques est donc multiple. En étudiant une langue étrangère, on peut donc non seulement étendre la sienne propre par de nouvelles références sémantiques, mais aussi mieux comprendre son ancrage linguistique en réfléchissant son monde à travers un nouveau jeu de référencements. Hegel écrit ainsi, alors qu’il n’a encore que 18 ans, que les Anciens voyant nécessairement « les choses sous des rapports différents », permettaient un enrichissement de notre langue tant en extension (nouveaux concepts) qu’en compréhension (affinement de nos concepts).
Un avantage essentiel que nous procure l’apprentissage des langues étrangères est bien sûr d’enrichir de cette manière nos concepts ; en particulier lorsque la culture des peuples qui parlaient cette langue était différente de la nôtre. (…) Les tentatives d’intégration de ces concepts dans notre langue donnent matière à un examen plus précis des mots selon leurs déterminations les plus fines et à une utilisation plus juste. On constate de soi-même combien, à travers de telles recherches sur les différences des mots, les concepts gagnent en détermination et combien, ce faisant, on aiguise et exerce l’entendement58.
37En apprenant d’autres langues, on se conforme à d’autres façons de penser, qui non seulement informent la langue qu’on utilise, mais qui permettent aussi de former une conscience critique de notre attachement linguistique. En rapportant la nouvelle langue à son propre système linguistique, on peut sortir de l’habitude irréfléchie que l’on a de la langue qu’on utilise et en dégager ce qui en fait sa spécificité59. L’acquisition d’une nouvelle langue rend possible une réflexion sur le langage60.
38Dans un même ordre d’idées, Goethe écrivait que « celui qui ne connaît pas de langues étrangères, ne sait rien de la sienne propre61 ». La grammaire et les catégories de sens déposées dans la langue sont clarifiées par l’expérience comparative62. Comme le note Hegel, dans l’étude grammaticale des langues anciennes,
ce n’est pas, comme dans le cas de la langue maternelle, l’habitude irréfléchie qui amène l’assemblage correct des mots, (…) il est nécessaire de diriger son regard sur la valeur des parties du discours, telle qu’elle est déterminée par l’entendement, et d’avoir recours à la règle pour les lier entre elles63.
39C’est uniquement par un travail grammatical que nous nous mouvons dans une langue étrangère, la naturalité est rompue et, quand nous revenons à notre langue, nous pouvons la considérer dans sa technicité et prêter attention à ses articulations logiques. Hegel, en soulignant l’intérêt pédagogique de l’étude des langues, reste fidèle à la tradition néohumaniste des études classiques, dans laquelle il a été formé et qui constitue la ligne de force du gymnase dont il est, un temps, directeur. Sa position n’en est pas moins argumentée. Selon lui, les langues anciennes, n’étant pas soumises aux exigences pragmatiques de la communication, ne détournent pas de la compréhension grammaticale de notre représentation du monde pour un objet visé quelconque. Les études classiques permettent de s’abstraire des préoccupations contingentes pour se centrer sur l’essentiel, la langue comme milieu dans lequel se forme l’intelligence. C’est dans un même ordre d’idée consistant à faire abstraction du contingent pour se focaliser sur ce qui est central que Hegel privilégie dans sa pédagogie l’écrit par rapport à l’oral. Comme le remarque Bourgeois, à l’écrit, « l’élève est davantage livré à lui-même que dans les examens oraux, et c’est justement cette mise en œuvre nécessaire de l’autoactivité qui est formatrice64 ».
40On pourrait se demander comment les enfants peuvent se contraindre à un tel étrangement, à une telle activité gratuite, qui va les détacher de la particularité immédiate. Il semble qu’une telle orientation risque de nous conduire à une pédagogie naïve et autoritaire, dont il n’y aurait rien à tirer65. La négativité prônée par Hegel, outre qu’elle n’est pas négativité abstraite, ne se base toutefois pas sur une contrainte externe, mais sur une tension interne à l’enfant qui veut devenir autre que ce qu’il est66 et qui fuit, pour ce faire, volontiers sa situation, comme en témoigne le succès des contes de fée ou du fantastique auprès d’un jeune public67.
41Si ses conceptions pédagogiques semblent éloignées de Rousseau, il entend cependant s’appuyer à son instar68 sur l’observation de l’enfant. C’est donc en exploitant la tendance à ne pas se contenter de sa particularité que Hegel entend élever à une vision plus universelle des choses. C’est en regard de celle-ci qu’une formation plus spécifique pourra être décidée. L’élève doit cultiver ce qu’il veut être en prenant du recul pour décider de ce qu’il peut être. Lorsqu’il est question de faire un choix d’orientation, on considère trop souvent que l’enfant sait ce qu’il veut. Comme ce n’est pas le cas, on lui fait faire un test d’orientation, mais la volonté avant de se déterminer pour un possible doit se cultiver pour comprendre le possible qu’elle veut devenir eu égard aux autres possibles disponibles.
4. Technique et formation
42Comme on l’a vu, Hegel critique les nouvelles pédagogies et promeut les études classiques, semblant consacrer un primat du théorique sur le pratique. Il félicite d’ailleurs Niethammer pour « l’élimination de toutes ces balivernes de technologie, économie, chasse aux papillons, etc.69 » du cursus scolaire.
43Il y a en fait un clivage à l’époque de Hegel entre les nouvelles pédagogies axées sur la pratique, qui préfigurent nos écoles techniques, et les études classiques. Hegel n’en reste toutefois pas purement et simplement à ce clivage. Il entend montrer que le théorique, s’il est bien compris, éclaire la pratique par la connaissance des fins et des enjeux de toute pratique spécifique.
44Ce n’est donc pas parce qu’il est opposé à toute pratique que Hegel critique vertement sous les termes de « pédagogie ludique » les méthodes mises en œuvre au Philanthropinum de Dessau70. Pour Hegel, éduqués par les jeux, ainsi que le prônent Basedow, Campe et Pestalozzi, les enfants ne peuvent pas devenir des citoyens capables d’entendre les grands intérêts de la nation, de réfléchir leur particularité dans l’universel de l’État. La pédagogie du jeu et l’accent sur l’apprentissage technique n’ouvrent pas l’espace des intérêts divers. En rester au jeu, c’est enfermer puérilement l’enfant dans un monde qui n’a pour lui qu’une valeur transitoire71. Le jeu est certes déjà une façon de s’approprier la réalité, mais celle-ci ne s’ouvrira dans sa complexité que quand une rupture provoquera le besoin de réviser les choses. Une telle rupture qui peut survenir lorsqu’un jouet se casse72 est radicalisée par l’étude des langues anciennes, élément à la fois « sensible et non sensible73 » qui permet de faire apparaître la particularisation de notre langage et partant de notre vision du monde. Pour les philanthropinistes, le mot d’ordre était : « Nicht Worte, sondern Sachen74. » Mais pour Hegel, la chose ne devient l’affaire de la pensée qu’une fois qu’elle est élevée aux mots. Le langage confère en effet aux choses particulières une valeur universelle75. Une habileté technique ne fait sens pour l’individu que si elle est rapportée à la totalité de son être, ce que, seul, permet le langage. Là où les connaissances techniques nous plongent directement dans le particulier, la culture classique permet un va-et-vient de l’universel au particulier76, elle permet de retrouver l’universel qui est en jeu dans les connaissances particulières. Elle n’exploite pas seulement un possible, elle le rend traduisible pour d’autres et, ce faisant, elle est une pensée du compossible.
45Pour Hegel, la formation technique est plus une formation à acquérir dans l’exercice du travail qu’à l’école, laquelle ne prétend nullement achever le processus de formation77. Pour comprendre plus précisément, ce qu’il en est de la différence entre formation pratique et formation théorique, il importe de revenir au paragraphe 197 des Principes de la Philosophie du droit. Hegel y parle de la culture (Bildung) théorique et pratique. La culture théorique s’occupe du langage et répond aux fins de l’universel, la culture pratique est celle de l’expérience, elle permet de spécifier ses talents et de leur conférer une validité universelle. L’universel atteint par le travail n’est toutefois que l’universel abstrait, qui peut très bien être remplacé par des machines, comme l’indique Hegel au paragraphe suivant. Avec le travail, il s’agit de rendre sa particularité universelle, sans par ailleurs parvenir à saisir les « relations compliquées et universelles78 » qui traversent le système des besoins.
46En bref, Hegel reproche aux formations trop proches de la pratique, de la technique, d’en rester au système des besoins, sans donner à l’homme la possibilité, ne fût-ce que par la pensée, de s’élever au-dessus de celui-ci. Il importe de comprendre que dans l’anthropogenèse, le langage, du moins quand il n’est pas sa propre fin comme dans le verbiage ou l’inflation de la communication médiatique, joue un rôle primordial dans la formation de l’intelligence, et constitue l’élément de la pensée79.
47La technique peut certes produire de l’universel, mais, si elle n’est pas accompagnée du langage, elle le fait en dehors de l’élément de la pensée. La technique a ainsi un rôle circonscrit dans le système qu’il importe de penser. Hegel parle rarement de la technique (Technik) et quand, dans la Science de la logique, il parle de la technique mécanique ou chimique en tant que telle, il lui associe l’idée d’« être extérieurement déterminée » (äusserlich bestimmt zu seyn80). La technique est ainsi un processus extérieur qui doit être réfléchi pour s’intégrer au processus d’autodétermination de la raison. Elle ne doit pas être confondue avec le travail qui est une extériorisation (Aeusserung). La technique est plutôt ce qui se coupe de l’extériorisation pour former une extériorité. Cette extériorité est portée à son comble dans la machine.
48Pour retrouver la signification que pourrait avoir la technique chez Hegel, il est intéressant de relire l’analyse plus exhaustive du travail et de l’outil qui est donnée dans la philosophie de l’esprit datant d’Iéna. Il apparaît alors que l’outil y est valorisé en tant qu’il est une objectivation de l’esprit, en tant qu’il est un « moyen terme rationnel et existant81 ». Hegel va d’ailleurs jusqu’à dire qu’il « est plus rationnel de faire un outil qu’un enfant82 ». L’outil prend place dans le monde humain de la culture. Il « est ce en quoi le fait de travailler a sa permanence, c’est la seule chose qui reste du travailleur et de ce qui est travaillé, et ce en quoi leur contingence s’éternise. Il s’implante dans la continuité des traditions83 ». Comme objectivation, l’outil peut toujours revêtir le caractère d’une aliénation. C’est le cas pour Hegel quand on passe de l’outil à la machine84. Ce passage est caractéristique de la révolution industrielle. Hegel, lecteur assidu des Lumières écossaises (Ferguson, Stewart, Smith), est un des premiers à penser en profondeur la logique de celle-ci. La mécanisation du travail fait de celui-ci la part d’un système extérieur qui échappe à la conscience en tant que tout. On ne sait plus ce que l’on fait.
49L’idée de mécanique est associée à ce qui est « dépourvu de pensée85 ». On ne peut en faire un moyen de formation de l’esprit, car le mécanique est extérieur86. Si l’homme utilise la technique pour rendre en lui des fonctions mécaniques, il risque de se les rendre étrangères à lui-même.
Ce qui constitue le caractère du mécanisme, c’est que, quel que soit le rapport qui ait lieu entre les [termes] reliés, ce rapport leur est un [rapport] étranger, qui ne regarde en rien leur nature, et, même s’il est lié à l’apparence d’un Un, ce rapport ne demeure rien d’autre qu’assemblage, mélange, tas, etc.87.
50La technique n’est toutefois pas perçue que négativement. En mécanisant certaines actions, elle peut libérer l’esprit pour d’autres choses. Ainsi, Hegel parle aux paragraphes 463 et 464 de son Encyclopédie de la mémoire machinale (mechanische Gedächtnis) qui associe les noms entre eux et libère la pensée d’un référencement permanent aux choses sensibles. La technique est alors vue comme un moyen pour une fin auquel on ne veut pas se consacrer. Comme moyen pour une fin qui contribue à nous identifier, la technique nécessite le langage qui traduise la mécanisation de l’action en habileté à même d’être valorisée au sein d’une communauté.
51Il y a là l’horizon d’une philosophie de la technique, qui ne sera malheureusement pas développée. À partir de Hegel, on dira toutefois que ce dont il s’agit, c’est de convertir le mécanique en valeur qui traduise une visée à même d’être entendue par les autres. On doit dans la technique pouvoir se reconnaître et être reconnu. Ernst Kapp, cet hégélien de gauche qui en 1877 forge le terme de « philosophie de la technique88 », développera cette idée. Il poursuit, dans son livre intitulé Principes d’une philosophie de la technique, l’idée hégélienne « d’une unité de la nature et de l’esprit, de la terre et de l’homme médiatisée par le travail de l’homme89 » qu’il avait énoncée dès son écrit sur la géographie humaine de 1868. Il y développe, plus précisément, sa théorie de l’Organprojektion, laquelle consiste pour l’homme à projeter dans son travail son intériorité sur le monde extérieur. Dans le cadre d’une anthropologie de la technique, cela signifie que l’homme projette les organes de son corps vécu (Leib) dans le monde de la technique et, ce faisant, prolonge son corps dans le milieu technique. Les organes de l’homme n’agissent alors plus seulement sur l’extérieur, ils sont également reproduits dans l’élément de l’extérieur. Cette production de l’homme dans le milieu extérieur est ensuite réintégrée et réfléchie par l’homme, qui s’efforce de revenir sur lui-même. La technique dans cette perspective n’est pas seulement le moyen d’une fin pragmatique, elle est aussi le moyen d’un nouveau rapport au monde et d’une nouvelle compréhension de soi. On comprend dès lors que l’éducation à la technique révèle aussi la possibilité d’une éducation par la technique.
52Cette éducation, que Hegel ne thématise pas vraiment, encore qu’il reconnaisse le rôle formateur du travail dans la Phénoménologie, peut toutefois se laisser penser à partir de ce que le philosophe allemand dit de l’éducation en général. On dira alors que l’éducation à la technique doit, pour ne pas être aliénante, se conformer au schéma générique de toute éducation qui soit une formation de soi (Bildung). Appliqué à la technique, ce schéma signifierait qu’il ne faut pas se perdre dans ses productions, mais toujours réfléchir dans celles-ci le sujet qui les produit. Si la technique peut modifier notre compréhension de nous-mêmes, il importe, en retour, d’affiner notre compréhension de la technique.
53Souvent, les techniques suppléent le difficile labeur d’apprentissage de compétences, cela rend non seulement l’homme de plus en plus dépendant des techniques, qui le dédouanent d’avoir à penser ou agir90, mais modifie aussi son rapport aux modalités. Tout apparaît d’emblée possible de sorte que l’acquisition d’aptitudes n’est plus nécessaire, l’on ne cherche plus à se former, on ne transforme plus ses connaissances par de nouvelles façons de voir, on se conforme à des modes d’emploi. Le danger réside peut-être moins dans ce que l’on pourrait faire de l’homme – un nouveau Frankenstein – que dans une habitude de désengagement qui dispenserait l’homme de se faire, de se former. En bref, l’homme dépendrait de plus en plus du monde qui l’entoure. La négativité n’étant plus cultivée par des contenus qui le font réfléchir, l’homme, dans la simple maîtrise de formes, de techniques, régresserait en une positivité impersonnelle. Il retomberait de la logique du connaître à la logique de la vie. Il y a toutefois deux tendances contradictoires dans l’usage de la technique : d’une part, un côté de désengagement consistant à laisser des automatismes décider de sa vie, à de plus en plus laisser sa vie se décider librement hors de soi (sich frei entlassen) ; d’autre part, une volonté de décider de la vie hors de soi, de la nature, etc. En sorte que c’est peut-être moins les frontières de l’humain qui changent que les frontières de la décision humaine. Or celle-ci présuppose, comme essaye de le montrer Hegel, la culture du langage. C’est en effet seulement dans le langage que le monde est pensé et voulu ou pour le dire autrement que le particulier se décide sur fond d’universel.
54Au niveau anthropologique, le langage contribue au processus d’idéalisation de l’âme, il fait du corps un « son spirituel » (Encyclopédie, § 411). Ensuite, il est ce qui « tue » le caractère labile de la chose pour en faire une représentation durable. Le mot substitue à l’objet particulier visé des significations à teneur universelle. Tout d’abord, vecteur d’un possible, le langage devient avec la conscience ce qui s’oppose au contingent de la particularité et ce qui ouvre à un monde de visions compossibles. Le langage est ainsi co-extensif à l’anthropogenèse telle que nous l’avons décrite. C’est à ce titre qu’il est le medium privilégié de la culture.
Notes de bas de page
1 I. Kant, Réflexions sur l’éducation, Paris, Vrin, 2004, p. 93. On ne naît pas homme, on le devient. « L’homme doit être éduqué pour devenir homme », note avec pertinence Comenius qui est une source d’inspiration majeure de Kant sur ce point. Cf. J. Comenius, Grande didactique, Amsterdam, 1657.
2 « Die im Kinde nur erst als innere Möglichkeit vorhandene Vernunft wird durch die Erziehung verwirklicht. » Hegel, Enzyklopädie, Werke 8, § 140 Z., p. 275, trad. fr. B. Bourgeois, p. 572.
3 « Die Erziehung und Bildung des Kindes besteht denn darin, dass es das, was es zunächst nur an sich und damit für Andere (die Erwachsenen) ist, auch für sich werde », G. Thaulow, Hegels Ansichten über Erziehung und Unterricht, Kiel, Akademische Buchhandlung, 1853, p. 14.
4 « Bei jeder Beurtheilung der Hegelschen Erziehungsgedanken ist zu bedenken, daß Hegel die Pädagogik nicht systematisch behandelt hat », P. Entner, Hegels Ansichten über Erziehung im Zusammenhang mit seiner Philosophie dargestellt, Dresden, Albert Hill, 1905, p. 78.
5 « Die Wartung (Verpflegung, Unterhaltung), Disziplin (Zucht) und Unterweisung nebst Bildung. Demzufolge ist der Mensch Säugling, Zögling und Lehrling », Kant, Réflexions sur l’éducation, op. cit., p. 93.
6 Si les parents meurent avant la majorité des enfants, il revient à la société civile de se charger de l’entretien et la discipline de l’enfant. « Durch den Tod der Eltern verlieren die Kinder die Erziehung, und die Gesellschaft muß dann dafür sorgen », Hegel, Rph 3 (Nachschrift Hotho), p. 555.
7 Voir Hegel, Principes de la philosophie du droit, § 239. On notera que Hegel ne dénie pas tout rôle à la famille. Il attend qu’elle pourvoie à la prime éducation des enfants, afin qu’à l’école le problème de la discipline ne prenne pas le pas sur celui de l’instruction. Cf. Hegel, GW 10,1, p. 472 ss., Écrits pédagogiques, trad. fr. B. Bourgeois, p. 96 sq. À l’occasion d’une longue remarque sur les rapports de l’État et de l’Église, il allègue également à l’État le droit et le devoir de contrôler l’enseignement pour éviter les dérives. Cf. Hegel, Principes de la philosophie du droit, op. cit., § 270.
8 « Das Studium der Wissenschaften in dem stillen Kreise der Schule ist das angemessenste Mittel, der Jugend ein Interesse und eine Beschäftigung zu geben, welche sie von dem Geräusche und dem Verführenden Einfluß der gährenden Zeitumstände abschließt und Verfahrt », cf. Hegel, GW 10,1, p. 505, trad. fr. B. Bourgeois, Textes pédagogiques, p. 128.
9 « Ordinairement les parents élèvent leurs enfants seulement en vue de les adapter au monde actuel, si corrompu soit-il. Ils devraient bien plutôt leur donner une éducation meilleure, afin qu’un meilleur état pût en sortir dans l’avenir. Toutefois deux obstacles se présentent ici : 1) Ordinairement les parents ne se soucient que d’une chose : que leurs enfants réussissent bien dans le monde, et 2) les princes ne considèrent leurs sujets que comme des instruments pour leurs desseins », Kant, ibid., p. 107-108.
10 « Was der Mensch sein soll, hat er nicht aus Instinkt, sondern er hat es sich erst zu erwerben. Darauf begründet sich das Recht des Kindes, erzogen zu werden », Hegel, Grundlinien, Werke 7, § 174 Z., p. 326. Comme le note, Klaus Grotsch, ce droit est formulé dans l’Allgemeines Landrecht (1794, vol. III, p. 149 ; 1806, vol. III, p. 149). Hegel, GW 14,3, p. 1155.
11 Hegel, Grundlinien, GW 14,1, § 174, p. 153, trad. fr. J.-Fr. Kervégan, p. 270.
12 Hegel, Grundlinien, GW 14,1, § 175, p. 153, trad. fr. J.-Fr. Kervégan, p. 271.
13 Hegel, GW 20, § 521, p. 497, trad. fr. B. Bourgeois, p. 302.
14 Il n’y est encore question que d’une « Bildung des Herzens ». « Die Sittlichkeit desselben ist so die beschränkte Sittlichkeit der Empfindung, welche sich im Verhältniß der Liebe, des Zutrauens verhält », Hegel, Rph 4 (Nachschrift Griesheim), p. 459. « Der Genuß der elterlichen Liebe [laß] bringt die Kinder noch nicht zur Vernünftigkeit, sondern zunächst zur Empfindung », Hegel, Rph 1 (Nachschrift Homeyer), p. 306.
15 Hegel, GW 14,1, § 238, p. 192, trad. fr. J.-Fr. Kervégan, p. 320.
16 « Trotzdem hat die Gesellschaft ein Recht, nach ihren geprüften Unsitten hierbei zu verfahren, die Eltern zu zwingen, ihre Kinder in die Schule zu schicken, ihnen die Pocken impfen zu lassen usw », Hegel, Grundlinien, Werke 7, § 239 Z, p. 386.
17 Hegel, Rph 4 (Nachschrift Griesheim), p. 459. « Der Zweck der Erziehung ist, daß sie selbständige Personen werden. » Hegel, Vorlesungen über die Philosophie des Rechts (Nachschrift Ringier), Hamburg, Meiner, 2000, p. 109.
18 « On envoie tout d’abord les enfants à l’école, non pour qu’ils y apprennent quelque chose, mais pour qu’ils s’y accoutument à rester tranquillement assis et à observer ponctuellement ce qu’on leur ordonne », Kant, Réflexions sur l’éducation, op. cit., p. 96.
19 Hegel, GW 10,1, p. 472, trad. fr. B. Bourgeois, Textes pédagogiques, p. 96.
20 « In der Welt gilt der Mensch durch das, was er leistet, er hat den Werth nur insofern er ihn verdient. » Hegel, GW 10,1, p. 484, trad. fr. B. Bourgeois, p. 108.
21 « Das Wort Bildung ist gar wetterwendisch. Dieser Proteus Bildung ist zu bändigen und auf seinen wahren Sinn einzuschränken », G. Thaulow, Gymnasialpädagogik, cité dans J.-E. Pleines, Hegels Theorie der Bildung, Hildesheim, Olms, 1983, p. VII.
22 « As is usual in the German language, the concept of Bildung (shaping or education in the broadest sense) is used by Hegel in a variety of different ways and applied equally to the study of nature, society and culture with their different developments and forms. It accordingly extends from the organic naturel drive (nisus formativus, inward form) to the processes by which ethical and mental maturity is acquired and on to the highest spiritual manifestations of religion, art and science in which the mind of an individual, a people or the whole of mankind may be represented », J.-E. Pleines, « Hegel », Prospects : the quarterly review of comparative education, vol. XXIII, no 3/4, 1993, p. 639.
23 Hegel, Jenaer Systementwürfe III, GW 8, p. 263, trad. fr. G. Planty-Bonjour, p. 95.
24 Hegel écrit à ce propos : « Es ist ein unendlich wichtiger Fortschritt der Bildung, daß sie zur Erkenntnis der einfachen Grundlagen der Staatseinrichtungen vorgedrungen ist und diese Grundlagen in einfache Sätze als einen elementarischen Katechismus zu fassen gewußt hat ». (Hegel, Nürnberger und Heidelberger Schriften, Werke, 4, p. 491). Le monde moderne de la culture (Bildung) – au contraire du caractère immédiat de la vie éthique grecque – peut conduire à la séparation, à la perte du sens, à une conscience malheureuse. Ce danger n’est toutefois que l’envers d’un progrès. Dans la vie éthique moderne il y a la possibilité de réfléchir le tout au niveau individuel. Cette conscience n’est rendue possible que si le tout est nié dans son immédiateté au risque de ne pas être retrouvé. La culture moderne est une Bidung, car elle n’est pas un tout donné, mais une totalité en mouvement, reposant sur des individualités libres.
25 Voir A. Renaut, « École et Société », Revue philosophique de Louvain, 2007.
26 Hegel, Vorl. 12, p. 42, trad. fr. M. Bienenstock, p. 143.
27 F. Tinland, L’homme aléatoire, Paris, PUF, 1997, p. 334-335.
28 « Diese Befreyung ist im Subjekt die harte Arbeit gegen die bloße Subjectivität des Benehmens, gegen die Unmittelbarkeit der Begierde sowie gegen die subjektive Eitelkeit der Empfindung und die Willkür des Beliebens. Daß sie diese harte Arbeit ist, macht einen Teil der Ungunst aus, der auf sie fällt. Durch diese Arbeit der Bildung ist es aber, daß der subjective Wille selbst in sich die Objectivität gewinnt, in der er seinerseits allein würdig und fähig ist, die Wirklichkeit der Idee zu seyn », Hegel, Grundlinien, § 187A, p. 163, trad. fr. J.-Fr. Kervégan, p. 284.
29 « Die Bildung ist daher in ihrer absoluten Bestimmung die Befreyung und die Arbeit der höheren Befreyung, nämlich der absolute Durchgangspunkt zu der nicht mehr unmittelbaren, natürlichen, sondern geistigen, ebenso zur Gestalt der Allgemeinheit erhobenen unendlich subjektiven Substantialität der Sittlichkeit. » Hegel, Grundlinien, GW 14,1, § 187 A, p. 163, trad. J.-Fr. Kervégan, p. 284.
30 L’éducation à l’universel n’a pas seulement pour but de rendre possible la décision quant à la spécialisation qu’on veut poursuivre, elle a aussi pour but l’accession à l’ordre symbolique de la communication qui permet de penser ses choix et d’en rendre compte. De nouveau, quand Franck Tinland donne à l’éducation le but de permettre à l’homme de « prendre part à ces échanges multiformes qui constituent le fond commun, ou communautaire, donnant sens aux compétences “spécialisées” techniques et permettant leur évolution » (F. Tinland, L’homme aléatoire, op. cit., p. 334), il est en parfaite consonnance avec un idéal humaniste que l’on retrouve chez Hegel et qui d’une certaine façon vise à donner tout son sens aux vers de Térence. « Wie aber das nihil humani a me alienum puto in moralischer Rücksicht ein schönes Wort ist, so hat es auch zum Teil in technischer, aber in wissenschaftlicher Beziehung seine volle Bedeutung. Ein sonst gebildeter Mensch hat in der Tat seine Natur nicht zu etwas Besonderem beschränkt, sondern sie vielmehr zu allem fähig gemacht. » Hegel, Rede zum Schuljahrabschluß am 14. September 1810, Werke 4, p. 330.
31 Kant, Critique de la raison pure (trad. Renaut), Paris, G-F, 2001, p. 677 (A 837/B 865).
32 « Aber die Untersuchung des Erkennens kann nicht anders als erkennend geschehen ; bei diesem sogenannten Werkzeuge heißt dasselbe untersuchen nichts anderes, als es erkennen. Erkennen wollen aber, ehe man erkenne, ist ebenso ungereimt als der weise Vorsatz jenes Scholastikus, schwimmen zu lernen, ehe er sich ins Wasser wage », Hegel, Encyclopädie, GW 20, § 10, p. 50, trad. fr. J.-Fr. Kervégan, p. 175.
33 Hegel, GW 10,2, p. 828, Écrits pédagogiques, trad. fr. B. Bourgeois, p. 141.
34 Voir à ce sujet J. Taminiaux, La nostalgie de la Grèce à l’aube de l’idéalisme allemand. Kant et les Grecs dans l’itinéraire de Schiller, de Hölderlin et de Hegel, Den Haag, Nijhoff, 1967.
35 L’importance croissante accordée aux moyens de communication et de télécommunication aujourd’hui doit donc être interrogée eu égard à l’idée d’assimilation de la connaissance. Sur le potentiel critique de la philosophie hégélienne en ce qui regarde la communication. Voir G. Lejeune, « Reconstruction systématique de la fonction linguistique au sein de l’esprit objectif chez Hegel », Revue Philosophique de Louvain, 2014, p. 27-53, et G. Lejeune, Sens et usage du langage chez Hegel. Du problème de la communication de la philosophie à celui des philosophies de la communication, Paris, Hermann, 2014.
36 « Es kann hier noch daran erinnert werden, daß man sich häufig auf sein Gefühl beruft, wenn die Gründe ausgehen ; so einen Menschen muß man stehen lassen ; er zieht sich in seine Partikularität zurück, denn mit dem Appellieren an das eigene Gefühl ist die Gemeinschaft zwischen uns abgerissen. Auf dem Boden des Gedankens, des Begriffs dagegen begegnen wir uns auf dem Boden des Allgemeinen, der Vernünftigkeit ; da haben wir die Natur der Sache vor uns, da können wir miteinander darüber sprechen, darüber können wir uns verständigen ; der Sache unterwerfen wir uns ; die Sache, nach der Wir uns orientieren wollen, ist ein drittes Gemeinsames, das Objektive ; zum Gefühl übergehend verlassen wir es und ziehen uns zurück in die Sphäre unserer Zufälligkeit », Hegel, Vorl. 3, p. 178, trad. fr. Garniron, p. 167. Voir aussi Hegel, Phänomenologie des Geistes, GW 9, p. 47, trad. G. Jarczyk, P.-J. Labarrière, p. 83.
37 On trouve un passage lumineux chez Schopenhauer qui, dans un esprit humaniste qu’il partage, peut–être malgré lui, avec Hegel, différencie bien la formation humaniste (qui fait des multiples savoirs le moyen d’une ouverture de plus en plus large au sens des choses) de l’érudition (qui y voit une fin en soi). « La perruque est sans doute le symbole le mieux choisi pour désigner le pur savant. Elle orne son crâne d’une riche toison de cheveux étrangers lorsque les siens sont rares ; tout comme l’érudition est équipé d’un grand nombre d’idées étrangères qui, à vrai dire, ne l’habillent pas aussi bien ou pas aussi naturellement, qui ne sont pas aussi utiles dans tous les cas ni aussi aptes à être adaptées à toutes les fins, ni aussi fortement enracinées, ni, quand elles ont servi, aussi vite remplacées par d’autres issues de la même source, que celles venues de son fonds personnel. Pour celui qui étudie afin de parvenir à la connaissance, les études et les livres ne sont que les barreaux de l’échelle qu’il gravit pour atteindre le sommet de la connaissance : dès qu’un barreau l’a élevé d’un pas, il l’abandonne. Par contre, les autres, nombreux, qui étudient pour remplir leur mémoire, n’utilisent pas les barreaux de l’échelle pour monter, mais ils les démontent et les chargent pour les emporter en se réjouissant du fardeau de plus en plus lourd. Ils resteront éternellement en bas, car ils portent ce qui aurait dû les porter », A. Schopenhauer, L’art de l’insulte (textes réunis et présentés par Volpi, trad. de l’Allemand par Kaufholz-Messmer), Paris, Le Seuil, 2004, p. 70-71.
38 Hegel, GW 10,1, p. 471, trad. fr. B. Bourgeois, Écrits pédagogiques, p. 94.
39 « Für die Entfremdung, welche Bedingung der theoretischen Bildung ist, fordert diese nicht diesen sittlichen Schmerz, nicht das Leiden des Herzens, sondern den leichteren Schmerz und Anstrengung der Vorstellung, sich mit einem Nicht-Unmittelbaren, einem Fremdartigen, mit etwas der Erinnerung, dem Gedächtnisse und dem Denken Angehörigen zu beschäftigen. – Diese Forderung der Trennung aber ist so notwendig, daß sie sich als ein allgemeiner und bekannter Trieb in uns äußert. » (Rede zum Schuljahrabschluß am 29. September 1809). Hegel, GW 10,1, p. 461. On notera que l’idée d’étrangement ou d’étrangèreté présuppose un monde déjà constitué pour la conscience. « “Fremdartig” kann etwas nur sein für dasjenige, was seinem Wesen nach bei sich selbst und mit sich vertraut ist, was gewissermaßen selbst eine Welt ist. Der Fels ist für die Schlange nicht fremdartig, und die Schlange ist nicht fremdartig für den Felsen. Allein das Geistige kann so etwas wie die Fremdartigkeit, Unbergründetheit, Unheimlichkeit verspüren », G. Schmidt, Hegel in Nürnberg. Untersuchungen zum Problem der philosophischen Propädeutik, Tübingen, Niemeyer Verlag, 1960, p. 91.
40 « Der Schein ist dasselbe, was die Reflexion ist ; aber er ist die Reflexion als unmittelbare ; für den in sich gegangenen, hiermit seiner Unmittelbarkeit entfremdeten Schein haben wir das Wort der fremden Sprache, die Reflexion », GW 12, trad. fr. G. Jarczyk, P.-J. Labarrière, tome II, p. 17.
41 Dans sa pédagogie, Hegel en un certain sens prône une communication indirecte – non pas indirecte quant à la forme (pensons ici aux moyens mis en œuvre par Kierkegaard), mais indirecte quant au contenu qui doit provoquer un étrangement (Entfremdung). Des contenus dont le sens est immédiat ne nous renvoient pas à la logique qui les habite.
42 « Quel que soit son âge, l’esprit de l’enfant n’est jamais vierge, table rase ou cire sans empreinte », G. Bachelard, La formation de l’esprit scientifique, Paris, Vrin, 1938.
43 Voir J. Piaget, La psychologie de l’intelligence, Paris, A. Colin, 1967.
44 J. Dewey, Démocratie et éducation, trad. G. Deledalle, Paris, Armand Colin, 1990, p. 36-37.
45 « Je crois que, en tant que vie sociale simplifiée, la vie de l’école devrait se développer progressivement à partir de la vie familiale ; elle devrait reprendre et continuer les activités auxquelles la vie familiale a déjà habitué l’enfant », J. Dewey, « Mon credo pédagogique » (trad. fr. G. Deledalle), in G. Deledalle, John Dewey, Paris, PUF, 1995.
46 « L’enfant vient en classe pour faire des choses : cuisiner, coudre, travailler le bois et utiliser des outils pour des actes de construction simples ; et c’est dans le contexte et à l’occasion de ces actes que s’ordonnent les études : écriture, lecture, arithmétique, etc. », J. Dewey, « A pedagogical experiment », in Early works of John Dewey, Carbondale, Southern Illinois University Press, 1972, vol. V, p. 244-246.
47 Hegel, GW 14,1, § 238, trad. fr. J.-Fr. Kervégan, p. 320.
48 « Wer die Grammatik anfängt kennenzulernen, findet in ihren Formen und Gesetzen trockene Abstraktionen, zufällige Regeln, überhaupt eine isolierte Menge von Bestimmungen, die nur den Wert und die Bedeutung dessen zeigen, was in ihrem unmittelbaren Sinne liegt ; das Erkennen erkennt in ihnen zunächst nichts als sie. Wer dagegen einer Sprache mächtig ist und zugleich andere Sprachen in Vergleichung mit ihr kennt, dem erst kann sich der Geist und die Bildung eines Volks in der Grammatik seiner Sprache zu fühlen geben ; dieselben Regeln und Formen haben nunmehr einen erfüllten, lebendigen Wert. Er kann durch die Grammatik hindurch den Ausdruck des Geistes überhaupt, die Logik, erkennen », Hegel GW 21, p. 41, trad. fr. G. Jarczyk, P.-J. Labarrière, p. 34.
49 « Je crois que la littérature est l’expression réflexe et l’interprétation de l’expérience sociale ; et que partant elle doit suivre et non précéder cette expérience. On ne peut donc en faire la base de l’unification, bien qu’elle puisse en être le résumé », J. Dewey, « Mon credo pédagogique », op. cit.
50 Hegel, Phänomenologie, GW 9, p. 276, trad. fr. G. Jarczyk, P.-J. Labarrière, p. 485. Voir aussi GW 9, p. 175, trad. fr. G. Jarczyk, P.-J. Labarrière, p. 308.
51 Cf. H. Marcuse, L’Homme unidimensionnel. Études sur l’idéologie de la société industrielle, Paris, Editions de Minuit, 1968.
52 Hegel, « Rede am Schuljahrabschluss am 29. September 1809 », GW 10,1, p. 455-467.
53 Hegel suit une longue tradition protestante. Il ne faut pas oublier que les discours où il défend l’étude des Anciens, il les tient en tant que directeur d’un gymnase protestant fondé par Melanchthon en personne. Il défend le néohumanisme contre l’émergence du philanthropinisme catholique auquel se rattache une école concurrente à Nuremberg. Dans cette guerre scolaire, Hegel se tient du côté de son ami Niethammer, lequel développe plus longuement le problème. Pour Niethammer, l’homme a un côté animal et un côté rationnel. Ces deux côtés sont certes indissociables. Mais le philanthropinisme, en négligeant la culture, semble pour lui s’adresser uniquement aux forces animales de l’homme, de sorte qu’il est pour lui un « animalisme » (Animalismus) qui menace l’homme d’une régression dans la barbarie en oubliant le but de toute éducation qui est de hisser l’enfant « jusqu’à l’homme, c’est-à-dire de l’élever jusqu’à la raison ». Cf. F. I. Niethammer, Der Streit des Philanthropinismus und Humanismus in der Theorie des Erziehungs-Unterrichts unsrer Zeit, Jena, Frommann, 1808, p. 8 et p. 62. On notera que le terme d’humanisme voit le jour dans ce contexte éducatif. Niethammer, un ami, le forge dans l’écrit précité pour défendre les humanités classiques contre les nouvelles pédagogies trop peu axées sur le général. Dans la recension qu’il donne de cet écrit, Schelling essayera de reformuler moins abruptement l’opposition entre l’humanisme et le philanthropinisme de façon à trouver la voie d’une conciliation entre les deux partis. Cf. Schelling, « Recension de la querelle du philanthropinisme et de l’humanisme dans la théorie de la pédagogie scolaire de notre temps de Friedrich Immanuel Niethammer (Iéna, 1808) » (trad. fr. Cerutti), Paris, Vrin, 2010.
54 Ce dépaysement peut aussi être aliénant. Pensons ici à Hölderlin qui n’est guère revenu de sa fascination pour la Grèce antique. Ce qui doit garantir de la nostalgie des Anciens, c’est, pour Hegel le fait de les traduire devant nous et de mettre en évidence le fait que la libre singularité y est étouffée.
55 Il faut se garder de l’amalgame facile qui assimilerait le classicisme prôné par Hegel à l’étude de savoirs morts ou de langues mortes. Hegel est éloquent à ce propos. Il ne suffit pas de faire connaissance avec les Anciens, il faut se familiariser avec leur esprit. « Wir müssen uns ihnen in Kost und Wohnung geben, um ihre Luft, ihre Vorstellungen, ihre Sitten selbst, wenn man will, ihre Irrthümer und Vorurtheile einzusaugen, und in dieser Welt einheimisch zu werden (…) Dieser Reichthum aber ist an die Sprache gebunden, und nur durch und in dieser erreichen wir ihn in seiner ganzen Eigenthümlichkeit. Den Inhalt geben uns etwa Uebersetzungen, aber nicht die Form, nicht die ätherische Seele desselben. Sie gleichen den nachgemachten Rosen, die an Gestalt, Farbe etwa auch Wohlgeruch, den natürlichen ähnlich seyn können, aber die Lieblichkeit, Zartkeit und Weichheit des Lebens erreichen jene nicht », Hegel, GW 10,1, p. 459-460, Textes pédagogiques, trad. fr. B. Bourgeois, p. 82-83.
56 Hegel s’inscrit en cela dans le cadre d’une éducation à la liberté que l’on retrouve chez Kant et Fichte. Le but n’est pas, comme l’aurait voulu Ast dans son Über den Geist des Altertums, de se former à la façon d’un grec (bilde dich griechisch), mais de se former comme raison négative par un écart différentiel de culture et de langue. On pourrait par conséquent appliquer ici les propos de Fichte à Hegel. « Ce n’est en aucun cas le savoir qui constitue le but ultime, mais bien plutôt l’art d’utiliser ce savoir », J. G. Fichte, « Plan déductif d’un établissement d’enseignement supérieur à fonder à Berlin », in Philosophies de l’Université, Paris, Payot, 1979, p. 170.
57 G.W.F. Hegel, « Humboldt-Rezension », GW 16. Schriften und Entwürfe II (1826-1831), p. 19-75.
58 « Ein wesentlich Vortheil, den die Erlernung fremden Sprache gewährt, ist wohl die auf diese Art Bereicherung unserer Begriffe, besonders wenn die Kultur der Völker, die diese Sprache redten, von der unsrigen verschieden war. (…) Die Versuche solche Begriffe in unsere Sprache überzutragen gibt die Veranlassung, die Worte nach ihren feinern Bestimmungen genauer zu prüfen, und richtiger zu gebrauchen. Man sieht von selbst, wie sehr durch die Untersuchung der Unterschiede der Worte die Begriffe selbst an Bestimmtheit gewinnen, und wie sehr der Verstand dadurch geschärft und geübt », Hegel, GW 1, p. 52-53.
59 Sur ce que présuppose une telle démarche, voir : G. Lejeune, « Les mots étrangers. Perspectives pédagogiques à partir de Hegel et Humboldt », Revue Alkemie, 2014.
60 Ce n’est toutefois que pour une intelligence déjà formée que l’apprentissage d’une langue revêt le caractère d’une expérience. « In Rücksicht auf die Bildung und das Verhältnis des Individuums zur Logik merke ich schließlich noch an, daß diese Wissenschaft wie die Grammatik in zwei verschiedenen Ansichten oder Werthen erscheint. Sie ist etwas anderes für den, der zu ihr und den Wissenschaften überhaupt erst hinzutritt, und etwas anderes für den, der von ihnen zu ihr zurückkommt. Wer die Grammatik anfängt kennenzulernen, findet in ihren Formen und Gesetzen trockene Abstraktionen, zufällige Regeln, überhaupt eine isolierte Menge von Bestimmungen, die nur den Wert und die Bedeutung dessen zeigen, was in ihrem unmittelbaren Sinne liegt ; das Erkennen erkennt in ihnen zunächst nichts als sie. Wer dagegen einer Sprache mächtig ist und zugleich andere Sprachen in Vergleichung mit ihr kennt, dem erst kann sich der Geist und die Bildung eines Volks in der Grammatik seiner Sprache zu fühlen geben ; dieselben Regeln und Formen haben nunmehr einen erfüllten, lebendigen Werth. Er kann durch die Grammatik hindurch den Ausdruck des Geistes überhaupt, die Logik, erkennen », Hegel, Wissenschaft der Logik (1832), GW 21, p. 41.
61 « Wer fremde Sprachen nicht kennt, weiß auch nichts von seiner eigenen », Goethe, Maximen und Reflexionen über Literatur und Ethik, dans Werke, XVI, Weimar, Goethe-Archiv, 1907.
62 Il ne suffit toutefois pas de trouver une langue à partir de laquelle on reviendrait sur sa langue propre (réflexion extérieure). Il faut de là arriver au stade où l’on observe un discours se déterminer de par ses structures propres (réflexion déterminante). Ce n’est qu’à ce prix que la connaissance scientifique acquiert une réflexivité qui lui permette de se justifier. En ce sens, Jean-Marc Ferry a raison d’écrire que l’expérience comparative n’est pas absolument nécessaire (voir J.-M. Ferry, Les grammaires de l’intelligence, Paris, Le Cerf, 2004, p. 119), il reste qu’elle favorise à notre sens la réflexion déterminante qui, seule, importe vraiment.
63 Hegel, Werke 4, p. 322, Textes pédagogiques, op. cit., p. 147.
64 B. Bourgeois, « La pédagogie de Hegel », op. cit., p. 41. On peut ici se demander si le modèle hégélien n’est pas trop rigoriste. Dans l’interlocution, le risque de se déconcentrer est plus grand, mais les différents éléments qui composent la communication ne sont pas que négatifs, ils ont aussi un aspect bénéfique, dont Hegel ne rend guère compte. Schlegel est beaucoup plus attentif aux aspects bénéfiques de la communication. Pour lui, « l’humanité ne se laisse pas inoculer et l’on ne peut ni enseigner ni apprendre la vertu, si ce n’est par l’amitié ou l’amour avec des hommes véritables et de qualité, et par la fréquentation de nous-mêmes – des dieux qui sont en nous. » F. Schlegel, « De la Philosophie », in Lacoue-Labarthe, Nancy (éds.), L’Absolu Littéraire, Paris, Le Seuil, p. 228. Dans la lignée de Schlegel, Schleiermacher développera une dialectique qui montre comment et sous quelles conditions le savoir peut se former dans le dialogue. Cf. Schleiermacher, Dialectique (trad. D. Thouard, Berner), Paris, Le Cerf, 2000. L’apprentissage classique pourrait donc à notre sens être entretenu par une pratique orale appropriée, laquelle apporterait l’élément motivationnel qui pourrait faire défaut au savoir.
65 Locke nous dit qu’il ne faut pas contraindre à apprendre. Cf.J. Locke, Some thoughts concerning education, London, Churchill, 1693, section XVIII. Une telle idée serait vraie si la contrainte portait sur ce qu’il s’agit d’élever, mais comme Kant le fait remarquer dès lors que la contrainte ne porte pas sur ce qu’il s’agit d’élever, mais sur le mauvais usage de l’arbitre qui empêcherait cette élévation, la contradiction apparente entre « la soumission sous une contrainte légale » et « la faculté de se servir de sa liberté » disparaît et la discipline ou dressage apparaît comme une démarche requise pour qu’une éducation positive soit possible. Cf. Kant, Réflexions sur l’éducation, op. cit., p. 118.
66 « Sie haben das Gefühl daß sie nicht so sind wie sie sein sollen und sträuben sich gegen den Zustand ihrer gegenwärtigen Abhängigkeit. Dieß giebt dann die Bestimmung für die Pädagogik ». Hegel, Rph 4 (Nachschrift Griesheim), p. 460. Comme le concept qu’ils contiennent en puissance, les enfants sont impatients, tourmentés (unruhig). Ils sont « insatisfaits d’être au-dedans de soi tels qu’ils sont » et ont le « souhait de devenir grands » Hegel, Grundlinien der Philosophie des Rechts, GW 14,1, § 175 A., p. 326, trad. fr. J.-Fr. Kervégan, p. 271.
67 « Das Fremdartige, das Ferne führt das anziehende Interesse mit sich, das uns zur Beschädigung und Bemühung lockt, und das Begehrenswerte steht im umgekehrten Verhältnisse mit der Nähe, in der es steht und gemein mit uns ist. Die Jugend stellt es sich als ein Glück vor, aus dem Einheimischen wegzukommen und mit Robinson eine ferne Insel zu bewohnen. » (Rede zum Schuljahrabschluß am 29. September 1809). Hegel, Écrits pédagogiques (trad. fr. B. Bourgeois), Paris, Vrin, 19 p. 84. On notera dans une mouture plus contemporaine les succès auprès des jeunes de livres comme Harry Potter ou de séries comme Twinpeaks, Twilight, X-files, etc.
68 Il faut remercier à ce propos Rousseau d’avoir redécouvert le monde oublié de l’enfance. « On ne connoit pas l’enfance : sur les fausses idées qu’on en a, plus on va, plus on s’égare. Les plus sages s’attachent à ce qu’il importe aux hommes de savoir, sans considérer ce que les enfants sont en état d’apprendre. Ils cherchent toujours l’homme dans l’enfant, sans penser à ce qu’il est avant que d’être homme. Voilà l’étude à laquelle je me suis appliqué, afin que, quand toute ma méthode seroit chimérique et fausse, on pût toujours profiter de mes observations », J.-J. Rousseau, Émile ou de l’Éducation, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1995, préface, p. 77-78.
69 Hegel, Briefe I, p. 271, trad. Carrère, p. 245 (lettre à Niethammer, 14 décembre 1808).
70 « La pédagogie ludique prend l’état infantile lui-même pour quelque chose qui a déjà de la valeur en soi, le donne pour tel aux enfants et rabaisse à leurs yeux le sérieux et se rabaisse elle-même au rang d’une forme infantile qui bénéficie d’une mince considération chez les enfants eux-mêmes. Comme elle s’efforce ainsi de faire que ceux-ci se représentent, dans l’état-d’inachèvement où ils se sentent, plutôt comme achevés, et de les rendre satisfaits de cet état, – elle perturbe et souille leur vrai besoin propre, qui est meilleur, et provoque d’une part l’abrutissement et le désintérêt pour les rapports substantiels du monde de l’esprit, d’autre part le mépris des hommes, puisque ceux-ci se sont eux-mêmes représentés de manière infantile et méprisable devant les enfants qu’ils sont, elle provoque alors la vanité et l’outrecuidance qui se repaissent de leur propre excellence. » Hegel, GW 14,1, § 175, p. 154, trad. fr. J.-Fr. Kervégan, p. 271-272.
71 Alain, fervent lecteur de Hegel, développe très bien cette idée dans ses Propos sur l’éducation. « Mais l’ombre de Hegel parla plus fort. L’enfant, dit cette ombre, n’aime pas ses joies d’enfants autant que vous le croyez. Dans sa vie immédiate, oui, il est pleinement enfant, et content d’être enfant, mais pour vous, non pour lui. Par réflexion, il repousse aussitôt son état d’enfance ; il veut faire l’homme ; et en cela il est plus sérieux que vous, moins enfant que vous, qui faites l’enfant », Alain, Propos sur l’éducation, Paris, PUF, 1986, p. 6.
72 « La constitution de l’ipséité est un point tout à fait important dans le développement de l’enfant ; c’est en ce point qu’il commence à se réfléchir en lui-même en se dégageant de son immersion dans le monde extérieur. Cette indépendance commençante se manifeste d’abord par le fait que l’enfant apprend à jouer avec les choses sensibles. Mais la chose la plus rationnelle que les enfants puissent faire avec leur jouet, c’est de le casser », Hegel, Encyclopädie, GW 25,2, p. 976, § 396 add., trad. fr. B. Bourgeois, p. 434.
73 Hegel, Encyclopädie, GW 25,2, p. 978, § 396 add, trad. fr. B. Bourgeois, p. 436.
74 F. I. Niethammer, Der Streit des Philanthropinismus und Humanismus in der Theorie des Erziehungs-Unterrichts unsrer Zeit, op. cit., p. 249.
75 « Die Sprache aber befähigt den Menschen, die Dinge als allgemeine aufzufassen, zum Bewußtseyn seiner eigenen Allgemeinheit, zum Aussprechen des Ich zu gelangen », Hegel, Encyclopädie, Zusatz zu § 396, GW 25,2, p. 976, trad. fr. B. Bourgeois, p. 434.
76 « Die Natur des Stoffes und die Art des Unterrichts, der nicht das Einprägen einer Sammlung von Einzelheiten, etwa nur von einer Menge Wörter und Redensarten, sondern ein wechselwirkendes Übergehen zwischen Einzelnem und Allgemeinem ist, macht das Lernen in unserer Anstalt zu einem Studieren. Es war daher unter anderem eine Verkehrung des Wesens der Bildung durch alte Sprachen, die Erwerbung ihrer Kenntnis ebenso in ein bloßes Lernen verwandeln zu wollen, wie es bei einer lebenden Sprache hinreicht oder wie man naturhistorische, technologische und dergleichen Kenntnisse, wenigstens so, wie sie an die Jugend kommen können, nur erlernt », Hegel, Rede zum Schuljahrabschluß am 14. September 1810, Werke 4, p. 332.
77 L’école est une préparation (Vorbereitung) un exercice préalable (Vorübung). « Die Arbeiten der Schule haben nicht ihr vollständiges Ende in sich selbst, sondern legen nur den Grund zur Möglichkeit eines andern, des wesentlichen Werks », Hegel, GW 10,1, p. 487, trad. fr. B. Bourgeois, p. 111.
78 Voir Hegel, Grundlinien, GW 14,1, § 197, p. 168.
79 « Es ist in Worten, daß wir denken », Hegel, GW 20, Encyclopädie, § 462.
80 Hegel, Wissenschaft der Logik, GW 12, p. 160, trad. fr. G. Jarczyk, P.-J. Labarrière, p. 254.
81 Hegel, GW 6, p. 300, trad. fr. M. Bienenstock, p. 81.
82 Hegel, GW 5, p. 294, trad. fr. J. Taminiaux, p. 127.
83 Hegel, GW 6, p. 300, trad. fr. M. Bienenstock, p. 81.
84 « Maschine ist von dem Werkzeug so unterschieden, daß hier nicht der tätige Geist führt, sondern Naturkräften überlassen wird. Der Mensch aber hat Ursache, auf das Werkzeug stolz zu sein : es is das der medius terminus », Hegel, Vorl. 14 (Nachscrift Ringier), p. 120.
85 Hegel, Wissenschaft der Logik, GW 21, p. 207, trad. fr. G. Jarczyk, P.-J. Labarrière, p. 227.
86 « Das Mechanische ist das [dem] Geiste fremde, für den es Interesse hat, das in ihn hineingelegte Unverdaute zu verdauen, das in ihm noch leblose zu verständigen und zu seinem Eigenthume zu machen », Hegel, GW 10,1, p. 462.
87 Hegel, Wissenschaft der Logik, GW 12, p. 133, trad. fr. Jarczyk et Labarrière, p. 217.
88 E. Kapp, Grundlinien einer Philosophie der Technik, Braunschweig, Westermann, 1877. Le titre du livre est un clin d’œil évident à Hegel et ses Grundlinien der Philosophie des Rechts. Sur les rapports de Kapp à Hegel, voir : B. Timmermans, « L’influence hégélienne sur la Philosophie de la technique d’Ernst Kapp », in Chabot, Hottois (dir.), Les philosophes et la technique, Paris, Vrin, 2003 ; H.-M. Sass, « Die philosophische Erdkunde des hegelianers Ernst Kapp. Ein Beitrag zur Wissenschaftstheorie und zur Fortschrittsdiskussion in der Hegelschule », Hegel Studien, 1973.
89 E. Kapp, Philosophische oder vergleichende allgemeine Erdkunde als wissenschaftliche Darstellung des Menschenlebens nach ihrem innern Zusammenhang, Braunschweig, Westermann, 1868, p. 446.
90 Cf. J.-M. Besnier, Demain les posthumains, op. cit., p. 136.
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