Chapitre II. L’apparaître du négatif dans le système hégélien et sa genèse
p. 59-85
Texte intégral
“To be, or not to be, that is the question.”
Shakespeare, Hamlet
1La mort est ce qui, comme vécu, n’apparaît jamais1. À ce titre, il semble bien qu’une phénoménologie de la mort soit impossible. C’est là l’option que Françoise Dastur défend2. Elle reconnaît toutefois la possibilité d’une phénoménologie de l’être mortel. Si je ne peux expérimenter la mort comme terme de ma vie, je peux expérimenter mon caractère mortel. Heidegger parlait en ce sens de l’être en relation avec la mort (Sein zum Tode3). Mais que signifie être en relation avec la mort, si celle-ci ne m’apparaît pas ?
2C’est ici qu’il faut introduire les modalités. La mort ne m’apparaît jamais comme actuelle, mais elle peut apparaître comme virtuelle. Heidegger parle d’ailleurs de la mort comme de « la possibilité de l’impossibilité4 ». Mais pour que cette possibilité apparaisse, il faut aller au-delà du registre de la stricte factualité, l’ordre de ce qui est fait, pour envisager un ordre qui peut se faire et se défaire.
3C’est la culture, en tant qu’elle opère comme une seconde nature, qui va rendre possible l’expérience de la mort. À ce titre, elle constitue le transcendantal de la mort comme phénomène. Si l’homme est celui qui fait l’expérience de sa condition de mortel, c’est parce que la culture lui présente la mort comme un phénomène que ce soit à travers la ritualisation du deuil ou les représentations visant à figurer la mort. C’est là, selon nous, la thèse qui joue en négatif dans le système hégélien.
4En analysant le sens de la mort dans le système hégélien et sa genèse, c’est in fine les conditions de possibilité de l’apparaître de la mort qu’il s’agit pour nous de penser. En repensant ainsi la mort, nous pourrons dans une perspective ouverte apporter un nouvel éclairage au désir contemporain d’immortalité défendu par les transhumanistes.
5Nous partirons des réflexions du jeune Hegel sur la Grèce antique pour montrer comment la mort comme apparaître est connotée par la société dans laquelle on l’analyse. On verra ainsi qu’en Grèce la mort n’apparaît guère, car l’individu auquel elle est censée apparaître est une exception culturelle d’un tout qui survit aux générations. On verra ensuite qu’avec le monde chrétien et l’émergence de l’individu comme valeur en soi, la mort apparaît dans toute sa plénitude, comme la vanité du monde ici-bas.
6Mais qu’en est-il du statut de cette apparition ? Traduit-elle la mort en soi ou seulement le caractère négatif de la vie ici-bas ?
7Si l’on y réfléchit, la mort, dans le monde chrétien, apparaît moins dans une perspective représentationnelle que dans une perspective dynamique d’instrument de conversion. La mort que l’on induit de la représentation de quelques vanités a pour fonction de nous faire passer du registre du factuel à celui d’un au-delà qui sous-tendrait le réel. L’apparaître de la mort n’est alors qu’implicitement dans la représentation ; la représentation de la mort n’a pas un sens ontologique fort, elle est plutôt fonctionnelle. C’est un moyen de détachement des choses ici-bas et un moyen de spiritualisation.
8On peut alors se demander si la mort qui joue le rôle d’un moyen terme et non d’une fin apparaît selon sa vraie nature. À cela, il faut répondre que, dans l’étude des représentations de la mort, c’est, en fait, moins la nature finie de l’homme que les fins de sa culture qui se révèlent. La représentation irénique de la mort grecque signe l’inconscience de la valeur individuelle dans un cadre culturel où le holisme domine. La représentation macabre de la mort chrétienne signe la conscience individuelle d’un conflit entre les valeurs de l’individu et celles de l’au-delà. Alors que, dans le premier cas, la mort joue seulement le rôle de révélateur culturel (à la limite, la mort n’est pas pour les Grecs, mais seulement pour nous qui les observons) ; dans le second cas, elle assume une fonction conscientielle, dont Hegel, fait le propre de l’homme moderne. C’est à ce titre que Hegel reprendra le schème chrétien de la mort en le purgeant toutefois de toute référence à un arrière-monde. L’au-delà chrétien devenant le monde de l’esprit, c’est-à-dire le monde tel qu’il est façonné par l’humain. La mort, dans ce cadre réaménagé devient ainsi pour Hegel le moyen pour la conscience individuelle d’accéder au monde de la culture.
9Certe, depuis Hegel, la représentation de la mort a bien changé. Mais il est loisible d’appliquer les moyens de l’analyse hégélienne aux représentations contemporaines de la mort. Seraient-elles le révélateur culturel d’une nouvelle organisation sociétale et d’une nouvelle forme de conscience de soi ?
1. Le jeune Hegel (1770-1800). La mort comme révélateur culturel
10Les préoccupations du jeune Hegel ne se portent pas d’emblée vers les hautes sphères de la métaphysique, mais sur le religieux et le sociopolitique5. C’est la vie concrète qui l’intéresse. Observateur attentif, il perçoit dans le monde qui l’entoure une période de changement : on a quitté, suite à la Révolution française, un monde mais on ne sait pas encore où l’on va. Hegel, se cherchant un modèle, sera d’abord tenté de se replier romantiquement sur la Grèce qu’il perçoit comme une « belle totalité » au sein de laquelle les individus vivent harmonieusement leur monde et leur religion. En Grèce, selon ses analyses, il n’y a pas de scission entre la société et les croyances. La religion est sensible, elle s’exprime à travers l’art. Le Beau et l’Unité sont partout présents.
11C’est dans ce contexte de pensée caractérisé par la nostalgie des Cités grecques que Hegel élabore ses premières réflexions sur la mort. Celles-ci mettent en contraste la façon dont les Grecs et les chrétiens perçoivent la mort. Alors que, pour les chrétiens, la mort est représentée comme un squelette effrayant, pour les Grecs, la mort est un beau génie6 et son approche est vécue avec sérénité.
12Cette sérénité des représentations grecques de la mort contrastant avec celles des chrétiens s’ancre dans des mœurs qui font, de la Cité et non du salut individuel, le but de la vie humaine7. Or celle-ci survit à la mort des individus singuliers. Il s’en suit que les morts singulières ponctuent la vie de la Cité mais n’ont qu’une importance mineure. On notera tout de même derrière cet irénisme de façade, un certain scandale touchant la mort de proches, en attestent les pleurs d’Apollodore dans le Phédon. L’identification de l’individu à sa cité ne se fait donc pas sans reste. Mais Hegel s’attache à l’attitude globale que l’on peut dégager des mœurs grecques, au risque d’une vision quelque peu caricaturale.
13Ainsi, la mort comme « possibilité ultime de l’individu8 », est occultée par la toute-puissance de la société. La mort individuelle ne reçoit pas le sens radical d’un arrêt de la vie. Certes, Socrate, en mourant, se fige, s’immobilise (Phédon, 117e-118e). Importe prioritairement la vie de la cité, elle qui se poursuit après la mort de l’individu. Notons, d’ailleurs, à cet égard que, comme le rapporte Platon dans le Criton, Socrate préférera se plier aux règles de la Cité qui le condamnent que de sauver sa personne en risquant de compromettre la Cité.
14En Grèce, du point de vue de la vie de la Cité, la mort individuelle est un problème éphémère qui tel un parfum n’a qu’un temps. Elle ne signe donc pas l’autre du temps, l’éternité, mais l’éphémère au sein de la Cité. Le problème de la mort individuelle n’est toutefois pas vraiment résolu car celui-ci est dissous par la cité auquel l’individu s’identifie. En fait, le holisme des cités grecques empêche la problématique de la mort de se poser car, comme Hegel, revenant de sa fascination hellénique, le montrera à Iéna, elle ne laisse pas place à l’individu en tant qu’entité autonome9.
15Avec la dissolution des Cités grecques, suite aux conquêtes guerrières, la vision globale du tout se perd. L’individu émerge comme la référence ultime. La mort devient dès lors préoccupante.
La mort, ce phénomène qui déchirait le tissu de ses buts, l’activité de toute sa vie, devait lui apparaître maintenant comme effrayante, puisque rien ne lui survivait ; la république, en revanche, survivait au républicain, et il venait à la pensée de celui-ci que celle-là, que l’âme de sa république était quelque chose d’éternel10.
16Hegel constate que, la totalité grecque étant perdue, un nouveau principe d’unité surgit, l’individu. Mais comme celui-ci est incapable d’inclure en son sein la mort sans compromettre sa vie. Il va faire de la mort un extérieur. On passe ainsi d’une perspective où la mort est immanente à la vie de la Cité à une perspective où elle est transcendante.
17Désormais, l’individu ne repose plus au sein d’un idéal concret, la Cité ; mais s’oppose à un idéal abstrait, la mort. À partir de ce moment, tout est perçu à partir de la mort. On ne vit plus pour la vie concrète de la Cité mais on se prépare à la mort. Le platonisme et son exercice de mort transposé dans ce nouveau contexte revêtent le sens d’une dépréciation du monde concret au profit de l’arrière-monde de la mort.
18Cette nouvelle vision où l’individu domine et que caractérise le christianisme représente ainsi la scission. L’individu est séparé de la société. Il n’y a plus un sentiment éthique capable de régir la société. Dès lors, c’est le règne du droit (les Romains11) et de l’édification qui se substitue à la belle totalité grecque. Comme il n’y a plus de vie collective, on délaisse la vie politique12 (à l’exemple de saint Ambroise) pour se préparer à la mort que l’on présente sous la forme d’une alternative : « ou bien la béatitude éternelle ou bien la damnation éternelle13 ». Il s’ensuit une « conscience malheureuse » car séparée de ce à quoi elle aspire, l’au-delà.
19Dans une telle perspective, la mort n’est plus évacuée comme un problème bénin que médiatiserait la Cité comme totalité. Ramenée à l’individu, elle apparaît plutôt dans la vision chrétienne comme un problème majeur à tel point qu’elle détermine la vie de l’individu. La mort semble donc bien se substituer à la Cité comme possibilité ultime. Plus précisément, le chrétien se préoccupe moins de la mort que de ce qui lui succède. La mort est un prisme à travers lequel transparaît l’au-delà. Elle n’est, dès lors, le terme de la vie ni chez les Grecs ni chez les Chrétiens. Si la dissolution du cadre structurant de la Cité a laissé place à la question de la mort, celle de l’au-delà l’occulte aussitôt.
20Si, en Grèce, la question de la mort n’avait pas lieu d’être, on semble ici y répondre alors même qu’on la pose. Ces visions de la mort sont toutes deux spéculativement insatisfaisantes. Loin de représenter la mort, elles mettent plutôt en avant la vie : chez les Grecs, la mort a un « parfum de vie », tandis que, chez les chrétiens, elle est certes hideuse, mais, ce faisant, elle caractérise la vie ici-bas par contraste avec la « vraie vie » qui serait celle de l’au-delà.
21La mort ne se laisse donc représenter ni par les Grecs ni par les chrétiens. Mais à ce moment, Hegel ne cherche pas à savoir ce que peut être la mort en soi mais seulement ce qu’elle est relativement à une forme de vie.
2. Hegel à Iéna (1801-1807). Mort et conscience de soi
22Dans la Phénoménologie de l’esprit, la vie et corrélativement la mort ne sont plus traitées comme des phénomènes de société (considérations sur la mort de grands hommes14, façons de se représenter la mort), mais comme des éléments constitutifs dans la prise de conscience de soi par soi. Un tel changement de perspective est pour Hegel lié à l’esprit de son époque et présuppose l’intériorisation du cadre chrétien de référence dans lequel s’inscrit la mort. À Iéna, Hegel ne fait plus de la Grèce un modèle indépassable. Si, historiquement, les cités grecques se sont dissolues, c’est parce qu’elles ne laissaient pas place à la singularité agissante – comme l’illustre aux yeux de Hegel l’histoire d’Antigone.
23Antigone, à l’instar de Socrate, va se faire condamner, car son agir individuel contredit le cadre structurant de la Cité. Or cet agir d’Antigone est directement lié à la question de la mort. Comme on le sait, Créon refuse qu’une sépulture soit donnée à Polynice, frère d’Antigone, déclaré traître à la Cité. Antigone, contrevenant aux ordres de Créon, enterre son frère. Elle fait ainsi valoir les liens de la religion et de la famille contre les lois de la Cité, révélant ainsi la contradiction à laquelle le régime grec des cités conduit une fois que l’individu émerge comme puissance autonome. Cette contradiction est exemplaire parce qu’elle touche au fond éthique de la Cité, le deuil qui signe l’accès à la culture.
24Comme le souligne Françoise Dastur, l’humain se différencie de l’animal, par le fait qu’il ne reste pas indifférent face à ses morts, mais essaye de conjurer l’inéluctable de la fin en le transfigurant à travers des rites funéraires15. Ce culte rendu aux morts qui fait de lui « un animal garde-morts16 » signe le début de la culture17. L’homme se découvre mortel par l’expérience indirecte qu’il fait de la mort de ses semblables18. Ce n’est pas anodin que ce soit dans l’espace de la famille que le deuil apparaisse dans toute sa force : la famille comme institution constitue chez Hegel le fond éthique pris dans sa naturalité19. Elle est l’interface entre le Je de mon égoïté et le Il du phénomène social, l’interface dans laquelle les schèmes du monde de l’esprit s’initient20. Toujours est-il que, expérimentant la disparition, l’homme refuse de faire du crible de la mort la fin ultime. Le deuil vise à inscrire sous un nouveau statut ce qui relève de la finitude de la nature dans la vie des hommes. Alors que dans l’ordre naturel, la mort signe la fin d’un cycle vivant, pour l’esprit, la mort reste virtuellement comprise dans la vie. Les morts participent ainsi sous la forme de « communauté virtuelle21 » à la vie des vivants.
25En réprimant l’agir individuel d’Antigone au profit du bien de la Cité, Créon provoque une crise du modèle grec, puisqu’en visant l’universel sans laisser place au singulier, celui-ci en vient à contredire ses fondements éthiques, la communauté virtuelle des vivants et des morts garantie par le deuil. Cette expérience montre non seulement, comme on l’a fait souvent remarquer, que le modèle grec est dépassé pour Hegel, mais aussi qu’au fondement de la culture se trouve une ritualisation de la mort.
26Si la mort comme phénomène naturel ne m’apparaît pas, il n’en va pas de même une fois qu’on l’envisage comme phénomène culturel. Comme apparaître culturel, la mort revêt d’abord le sens d’une manifestation publique dans le cadre holiste de la Cité, dont le but est de sanctifier les rapports de la communauté des vivants et des morts et par là, d’assurer l’immortalité de la communauté. Une fois que le centre de gravité passe de la Cité à l’individu, passage que symbolise l’histoire d’Antigone, la mort va se singulariser, elle ne sera plus seulement l’occasion de rituels funéraires, elle va prendre un sens indépendamment de l’universel. Pour Antigone, Polynice mort a une valeur en soi qui ne se laisse pas jauger à l’aune de la Cité.
27Le deuil apparaît alors sous un jour inédit, il n’est plus un rituel qui sanctifie la vie de la Cité, mais quelque chose qui prend place hors des murs de la Cité. Le deuil n’a plus pour but d’inscrire le défunt dans l’histoire de la Cité, la mort n’est plus rapportée à un individu qui se survit dans la Cité, il ne se survit que dans les pleurs d’une sœur.
28Avec l’émergence de l’individu lors de l’ère chrétienne, la situation d’Antigone se généralise. La mort n’est plus le fantôme de l’universel abstrait qui hante discrètement les Cités, elle devient hideuse, puisqu’elle signifie la fin de l’individu et que désormais celui-ci prime sur la communauté qui lui survit. Mais tout en la représentant comme un être horrible, on fait de la mort un être aux traits quasiment humains, on espère ainsi pouvoir mieux lui résister. C’est là le thème de farces moyenâgeuses que l’on retrouve admirablement mis en scène par Ghelderode dans la Ballade du grand macabre. La mort vient sur terre, mais se laisse enivrer par les vivants, au point de devenir ivre morte, laissant pour compte sa mission. Il s’agit d’amadouer la camarde, de la récupérer au profit de la vie et, à défaut de pouvoir en triompher, de différer sa victoire22.
29La figuration métonymique de la mort est comme on le voit intrinsèquement liée à l’émergence du principe chrétien de l’individu. Hegel, en faisant de la mort le « maître absolu23 », s’inscrit dans le sillage de cette pensée. La conscience qui, dans la Phénoménologie, fait l’expérience du « maître absolu » qu’est la mort n’est qu’une « abstraction24 » des « figures d’un monde25 » – en l’occurrence, le monde ici hérité des chrétiens. En tant que telle, la mort lui apparaît comme le passage décisif à une vie auquel l’homme est promis en tant qu’il a une âme, en tant qu’il n’est pas simplement un animal. Hegel décrit l’expérience de la mort comme « maître absolu » dans la fameuse « lutte pour la reconnaissance ». L’homme est amené à une telle lutte dans la mesure où il ne peut se contenter d’une vie biologique, où il est une conscience « avec un manque26 », une conscience capable de se transcender27. Il ne peut vivre comme un animal, comme le représentant indifférent d’une espèce, c’est pourquoi il expose sa vie à la mort pour être reconnu dans sa singularité28.
30Dans cette figuration du procès de la conscience de soi, Gadamer voit le « dépassement de la sphère de la conservation de soi29 » qui signe la « transcendance30 » de la culture basée sur l’idée de collectivité et non plus sur celle de subjectivité, un « Je qui est un Nous et un Nous qui est un Je31 ». Mais ce dépassement de la conservation de soi a quelque chose de furtif, car l’individu ne tarde pas à avoir peur pour sa peau. Il ne s’agit pas ici de la bravoure du guerrier qui combat glorieusement pour sa patrie, au risque de sa vie32. Ici l’individu ne se sacrifie pas aux intérêts de sa patrie, il veut survivre au combat qu’il mène car il ne le mène pas au nom de la Cité ou d’une cause générale, mais en son propre nom.
31Dans la lutte pour la reconnaissance, la conscience proprement moderne, celle qui, en refrénant son désir, dépasse la sphère de l’immédiateté et s’ouvre à l’histoire, est celle qui va se soumettre à sa condition de mortelle33. Au même titre que la conscience antique se soumettait aux lois de la Cité, quitte à mourir ; la conscience moderne se soumet à la conscience de sa condition mortelle. L’individu moderne veut exister pour soi et prend conscience de la fragilité de ce soi dans la personnification qu’il fait de sa mort, laquelle intervient à l’occasion d’une mise en compétition. L’enjeu de cette mise en compétition est pour l’individu de montrer son caractère insubstituable. Il veut se démarquer de l’autre. Mais en voulant se démarquer, s’individuer, il est confronté à ses propres limites. Sa finitude naturelle, sa mortalité, l’oblige. La conscience moderne préfère alors rendre les armes à rendre l’âme. Mais si se soumettre à la mort, c’est éviter sa mise à mort, ce n’est pas pour autant nier la mort. Il ne s’agit pas d’essayer vainement d’éliminer la mort. Comme l’écrit Hegel, « ce n’est pas la vie qui s’épouvante de la mort et se garde pure de toute dévastation, mais celle qui la supporte et se conserve dans elle qui est la vie de l’esprit34 ».
32Pour la conscience moderne, il s’agit d’utiliser la puissance de mort qui la menace et de la retourner contre le monde afin de montrer que si la mort nie le support naturel de la conscience, la conscience dénie au naturel toute prétention à la définir. Tel est le sens de la négativité, que par l’expérience du négatif incarné par le « maître absolu » qu’est sa mort, l’homme inflige au monde qui l’entoure. C’est un peu comme si mordu par la mort qu’il a personnifiée, l’individu poursuivait une vie de mort-vivant vampirisant ce qui est vierge de tout caractère humain. Mais nier les choses dans leur naturalité, ce n’est pas les anéantir, mais les élever à une signification spirituelle.
33Certes, une folie de la destruction est possible, mais elle est pathologique, car l’individu ne peut se reconnaître dans les choses détruites. Pour Hegel, l’individu sain va certes nier, mais dans cette négation, c’est une image de lui-même comme être spirituel qu’il cherche. L’homme est capable de nier cette naturalité qui lui fait face et qui l’habite. Il peut se détacher de lui pour être son propre objet de même qu’il peut agir sur le monde extérieur qui l’entoure selon sa volonté et en faire son objet. C’est ainsi avec la mort que le monde s’ouvre sous la modalité du possible. Une fois quitté le règne de la contingence et de la nécessité naturelle, les choses sont considérées comme possiblement autres. En posant la catégorie du possible à même le réel, l’homme n’est plus une réalité simplement donnée, il est un être qui se réalise, un individu effectif (wirklich).
34Comme on l’a vu, la mort intervient essentiellement sous deux aspects dans la Phénoménologie comme mort figurée et comme mort au sens propre. La mort figurée et sa fonction pour la constitution de la conscience sont étudiées dans le chapitre consacré à la conscience de soi. La mort concrète est, quant à elle, étudiée au début de la vie éthique. La mort figurée est pour Hegel quelque chose de moderne qui fait suite à l’émergence chrétienne de l’individu. Cette mort figurée n’annule toutefois pas la mort concrète – que Hegel étudie dans le cadre de la tragédie grecque Antigone – elle fait plutôt fond dessus. C’est parce que l’on reconnaît la mort des autres dans le deuil que l’on peut par identification se comprendre mortel.
35Les psychologues ont souvent montré que l’enfant se croit tout d’abord immortel, c’est en assistant à la mort des autres qu’il se comprend mortel35. De même, dans la lutte pour la reconnaissance, la conscience moderne se figure sa mort parce qu’elle se figure la mort possible de l’autre et, à partir de là, envisage par mimétisme, la sienne. L’arrière-fond de la culture est donc présupposé dans la lutte pour la reconnaissance.
36Ce n’est donc pas la mort naturelle dans son insignifiance qui apparaît à l’homme. La mort n’apparaît d’ailleurs jamais au sens propre, elle est tantôt figurée, tantôt transfigurée. La mort figurée, celle qu’on envisage, revêt un sens spirituel en tant qu’elle ébranle l’individu, le pousse à sortir de ses visions restreintes et à vivre selon l’esprit en transformant le monde. Pour ce qui est de la mort qui survient malgré nous, elle ne signe pas le terme de la figuration, elle ne défigure pas l’individu, elle le transfigure bien plutôt. Elle signe la transfiguration de la vie d’un individu dans une figure singulière de l’esprit universel36. Dans un cas comme dans l’autre, la mort s’efface au profit de l’esprit, soit qu’elle ouvre à l’esprit, soit qu’elle signe la totalisation des moments épars d’une existence singulière dans le tout de l’esprit.
37La relation à la mort consiste ainsi à nier le mort, le matériel en nous ou dans le corps du défunt. Dès lors qu’elle apparaît, la problématique de la mort est écartée au profit de celle de l’esprit. Dans le « maître absolu » qu’est la mort transparaît la figure de l’esprit. Comme le remarquait Marquet, « même quand Hegel, le premier, replace la mort (le “maître absolu”) à l’intérieur de la conscience, même quand il insiste sur la nécessité, pour celle-ci, de s’“être trempée dans la peur absolue”, d’avoir livré toute fixité en elle au vacillement et à la dissolution, c’est pour indiquer aussitôt, dans cette “fluidification” radicale, “l’essence simple de la conscience de soi, l’absolue négativité, le pur être pour soi” – l’élément, donc, où la conscience, après avoir “cultivé” sa peur, peut habiter comme dans sa vérité et son universalité enfin rejointes37 ».
38À la question de la mort succède pour l’individu la conscience de soi, le royaume de l’esprit. On est frappé par l’homologie de structure entre le traitement hégélien et la description chrétienne de la mort. De même que pour les chrétiens, la question de la mort se résout, sitôt qu’elle est posée, dans celle de l’au-delà ; pour Hegel, elle se résout aussitôt dans le royaume de l’esprit. On peut même aller plus loin. De même que, pour les chrétiens, la mort est instrumentalisée au profit d’un au-delà ; de même chez Hegel, la mort devient un outil au service de l’incarnation de l’esprit sur terre qu’est l’État.
Pour ne pas laisser les systèmes particuliers s’enraciner et se durcir dans cet isolement, donc pour ne pas laisser se désagréger le tout et s’évaporer l’esprit, le gouvernement doit de temps en temps les ébranler dans leur intimité par la guerre ; par là, il doit déranger leur ordre qui se fait habituel, violer leur droit à l’indépendance, de même qu’aux individus, qui en s’enfonçant dans cet ordre se détachent du tout et aspirent à l’être-pour-soi inviolable et à la sécurité de la personne, le gouvernement doit, dans ce travail imposé, donner à sentir leur maître, la mort38.
39Une certaine représentation chrétienne de la mort qui consiste à personnifier la mort et qui à défaut d’en faire une camarade, en fait la camarde, monstre – hideux certes – mais humanisé, est donc relayée par la conception hégélienne de la mort humaine comme « maître absolu ». Cette figuration de la mort a quelque chose de paradoxal. La mort n’apparaît pas en personne, mais est implicitement personnifiée. On crée la mort à son image, on se fait de la mort une figure anthropomorphe.
40Chez Hegel, loin d’ouvrir à l’infini d’un mystère transcendant, la mort participe au développement du monde de l’esprit. La mort en apparaissant joue un rôle clé dans la prise de conscience de son soi. Elle signifie « le venir-au-jour de l’esprit39 ». L’expérience du « maître absolu » fait entrer dans le monde de l’esprit, cet esprit étant compris sur le mode de l’identité d’un « Nous40 ». La mort perd son caractère d’« absolu » pour ne plus jouer que le rôle d’un moyen terme. La lexie de « maître absolu » fait d’ailleurs place à la simple lexie de « maître » dans le développement de la Phénoménologie que nous venons de citer. La mort n’est plus une fin, mais seulement l’instrument d’une fin, en l’occurrence le « Nous » de la communauté.
41Au niveau d’une phénoménologie de la conscience mortelle, on fait de la mort humaine, une mort humanisée. Mais cette mort anthropomorphe qu’est le « maître absolu » hégélien n’incarne pas la mort en soi. Elle configure seulement la conscience que l’on a de sa mort. Ce faisant, elle phénoménalise la mort seulement sous le registre du pour soi. Sous le registre de l’en soi, il semble bien que la mort soit indéterminée et irreprésentable. Cette dualité transparaît très bien dans le tarot de Marseille où un arcane, mystérieux et innommable, l’arcane XIII, semble représenter une mort couleur chair qui symbolise un arrachement aux choses, prélude à un nouveau départ, à une résurrection.
42En somme, la médiation sur la mort que propose Hegel laisse pour compte le côté mystérieux et aboutit in fine à une méditation sur la condition mortelle de l’homme, seule à même de se laisser phénoménaliser comme le suggérait Dastur41. Hegel aurait donné dans la Phénoménologie une version des différents registres de la condition mortelle – mort pour autrui et mort pour soi – à travers le passage sur le deuil et celui sur le maître absolu. Mais il n’aurait guère abordé la mort sous le registre de l’en-soi. Il est vrai que la mort en soi ne semble souffrir, dans le mystère qui la caractérise, qu’un discours indirect, voire interdit tout discours.
43Pour Levinas, la mort est trop vite niée dans la pensée occidentale. Selon lui, la mort est moins négation que mystère, moins quelque chose qui ferme ou qui relance l’être sous un autre mode, que quelque chose qui ouvre sur un autrement qu’être.
D’emblée, on dit : la mort, c’est la négation. Ce n’est pas une négation, puisque c’est un mystère. Ce n’est pas du tout qu’il n’y a pas de vie après la mort, qu’on ne donne aucun espoir de survie, de résurrection. La résurrection dit aussi trop facilement que la mort n’est rien. Ce qu’elle est, on ne le sait pas, parce que par excellence, c’est un mystère42.
44Le mystère de la mort fait sortir chez Levinas de la matérialité d’un rapport de soi à soi. « La mort annonce un événement dont le sujet n’est pas le maître, un événement par rapport auquel le sujet n’est pas le sujet43. » Certes, le suicide semble ici contredire une telle assertion. Mais comme l’écrit Blanchot, « celui qui veut mourir, ne peut vouloir que les abords de la mort, cette mort-outil qui est dans le monde et à laquelle on parvient par la précision de l’outillage44 ». C’est comme s’il y avait deux morts, la mort instrumentalisée et la mort véritable, le suicidaire n’ayant prise que sur la première. La mort-outil ne serait qu’une mort figurée et, par là, travestie. Il faudrait distinguer la mort dont on fait un objet du mourir qui échappe à toute conscience intentionnelle. Pour Blanchot, comme pour Levinas, la mort n’est donc pas d’emblée la négation de ma conscience, elle est d’abord mystère ou « question45 » qui suspend mes pouvoirs dans l’expérience de la passivité46. Elle n’est pas la négation d’un Je objectif dans le travail d’un Nous. Elle n’est pas ce moyen terme entre le travail et la vie, que Patochka voit exemplairement thématisé dans la philosophie de Hegel et dans plusieurs mythes fondateurs47. Elle est en quelque sorte cette énigme que la tradition du logos occidental qui court des Grecs aux chrétiens aurait dissimulée.
45À l’inverse, tant pour Hegel que pour les chrétiens, la mort est instrumentalisée au profit d’un royaume de l’esprit, qu’il soit sur terre ou aux cieux. Pour étudier plus avant ce qu’il en est de cette parenté, il nous faut voir ce qu’est l’esprit, coextensif dans son développement concret au système hégélien.
3. La mort dans le système (Nuremberg, Heidelberg, Berlin)
46Kojève voit dans le rôle axial de la mort chez Hegel l’acceptation pure et simple de la finitude qui conduirait le philosophe allemand à n’endosser « la tradition anthropologique chrétienne que sous une forme radicalement laïcisée ou athée48 ». Nous voudrions montrer, quant à nous, que si Hegel reconnaît la mort et donc la finitude, c’est pour la dépasser dans l’esprit et qu’il reprend donc in fine le schème chrétien d’une vie après la mort sous une forme laïcisée certes, mais sans pour autant qu’il y ait lieu de parler d’athéisme.
47Le système hégélien se décline en trois parties : Science de la logique, Philosophie de la nature, Philosophie de l’esprit. Cette tripartition reprend un schème chrétien traditionnel, puisqu’elle traduit sous une forme philosophique le concept de La Trinité. Hegel interprète celle-ci comme un mouvement par lequel le Père (moment logique49) se nie par le biais de son Fils dans la finitude (philosophie de la nature) et retourne à lui-même comme Esprit en niant cette finitude (philosophie de l’esprit).
48Le système hégélien ne serait donc pas seulement « ontothéologique50 » en un sens général, il entendrait traduire et séculariser le sens ultime du christianisme – aux yeux de Hegel, le luthérianisme. On ne s’étonnera donc pas que le rôle qu’il fait jouer à la mort s’apparente structurellement au sens chrétien de la passion. Selon celui-ci, la mort est le moment par lequel Dieu, s’étant nié dans la finitude du Christ, met fin à celle-ci et se réconcilie spirituellement avec lui-même51.
49Mais comme cette représentation du concept qu’exprime la passion est encore trop imagée pour être fidèle au mouvement infini de l’absolu, il faut la traduire en langage conceptuel. La philosophie est ainsi requise pour exprimer la religion et son concept (La Trinité) dans un langage qui ne trahisse pas la vitalité de l’Absolu.
1) La Science de la logique
50La Phénoménologie qui couronne la systématisation de la pensée élaborée par Hegel à Iéna présente l’esprit en soi pour la conscience. Au terme de cette présentation, la conscience se dissout en tant que structure duelle qui pense le réel en l’objectivant. Elle intègre et dépasse cette complexion critique dans la mesure où elle participe à l’effectivité de l’esprit, c’est-à-dire le mouvement-un qui relie dans les termes d’une nécessité logique les différentes expériences de la conscience.
51Dans la Science de la logique, cette nécessité est présentée en soi et pour soi. Hegel y part du concept le plus immédiat, l’être, et en fluidifiant les pensées, en mettant en avant la contradiction qui anime chaque chose, montre que l’ensemble de ce qui est ne se laisse véritablement penser que de façon dynamique.
52Le contexte général de la logique hégélienne étant posé, voyons ce qu’il y est dit de la mort. Au premier abord, cette problématique paraît assez discrète. Il n’y a, en effet, dans la Science de la logique que deux occurrences significatives du terme « mort » (Tod52). Ces deux occurrences sont mises en corrélation avec la vie, laquelle reçoit le statut d’une catégorie logique à part entière. La signification de la mort, à partir de la catégorie logique de la vie, reçoit alors un sens conceptuel qui déborde sa signification strictement humaine et même biologique. Ce qu’écrit McTaggart au sujet de la vie, à savoir que « la catégorie de vie ne s’applique pas seulement à ce qui est fréquemment appelé être vivant, mais est également vrai de toute réalité53 » vaut pour la mort. Il était d’ailleurs déjà question de la mort de l’art dans la Phénoménologie. On pourrait se dire ici que « Hegel aurait dû mieux soigner l’emploi de certains mots, mettant en relief avec une plus grande force, l’enchaînement logique de différenciation d’une identité qui se situe au niveau de la pensée pure, tout en prenant des précautions avec certains concepts issus de sciences réelles, comme s’il avait affaire à une réalité empirique54 ». Un tel reproche nous apparaît toutefois injustifié dans la mesure où, comme, pour Hegel, l’Esprit traverse tout le rationnel, il n’est pas besoin de recourir à des termes artificiels pour en exprimer la logique, il suffit d’utiliser un langage bien connu et d’en vivifier le sens par la dialectique.
53Dans cette vivification du sens, la mort signe, pour la vie individuelle, « le venir-au-jour de l’esprit55 ». La mort ne revêt donc pas le sens d’un événement singulier mais celui d’un verbe. Mettre fin à l’Idée dans son immédiateté56, tel est le sens logique de la mort. Ainsi rigoureusement énoncée, nous voyons que la mort n’est rien d’autre que la négativité à l’œuvre dans le connaître scientifique. Cette négativité va nous faire passer de l’immédiateté de l’individu vivant au jugement du vivant (re)connaissant l’universel à l’œuvre dans le singulier.
54La mort ne signifie pas ainsi la fin de la vie absolue mais seulement la fin de cette vie embryonnaire qu’est la vie immédiate, individuelle. Elle est résurrection de cette mort que serait pour l’esprit une vie bornée à l’immédiat. Elle est la mort de la mort et de ce fait la vraie vie. La mort signe ainsi pour la vie un retour à son concept. Elle met fin sur le plan logique à l’Idée en soi, c’est-à-dire à la vie dans son immédiateté non développée. En langage conceptuel, elle est donc la négativité57.
55Hegel en pensant la logique du christianisme, l’esprit de son temps, en montre l’intérêt spéculatif. Ce qui apparaissait comme une façon de résoudre indûment le problème de la mort, à savoir lui substituer aussitôt qu’elle surgit la problématique du royaume de l’esprit (pensé il est vrai à travers l’image d’un au-delà) semble après coup une préfiguration de ce qu’est la négativité, la double négation ou la mort de la mort.
56Mais cette négativité, en tant qu’elle ne se laisse pas questionner58, semble faire fond sur une ignorance de l’abîme originaire que révèle un « pas en retrait59 ». En d’autres termes, Hegel n’aurait pas « posé le problème central mais post-philosophique de la finitude de l’être60 ». Pour voir, si cela se vérifie, il nous faut montrer le rapport qu’entretient la mort avec la finitude, laquelle appartient, pour Hegel, au registre de la nature.
2) La Philosophie de la nature
57Contrairement à ce qu’a voulu montrer Schelling, le passage de la science de la logique à la philosophie de la nature ne signe pas la faillite du système. En fait, la Science de la logique n’est pas un système clos qui viendrait buter face à un donné naturel. Le système logique hégélien est une structure ouverte qui tend à s’extérioriser. Ce n’est ni le manque61 ni la « surabondance62 » qui explique le passage de l’Idée logique à la Philosophie de la nature, mais la libre décision (Entschluss63), laquelle est « a-raisonnable64 ».
58La transition à la nature est en fait contingente, elle ne se justifie qu’après coup65. Dans cette justification, il ne s’agit pas d’appliquer les déterminations du concept à la nature, mais d’impliquer celle-ci dans la doctrine du concept et par là de déterminer celui-ci dans le registre de l’extériorité qu’est la nature. Comme le notent pertinemment Jarczyk et Labarrière, la « philosophie de la nature » ne se surajoute pas à la « science de la logique » mais en forme une « ampliation » (Erweiterung66). La nature constitue le premier moment de cette ampliation. Elle représente « l’Idée dans la forme de l’être-autre67 ». En elle, le divers n’est pas tenu fermement dans l’unité du concept, mais se disperse jusqu’au point de non-retour qu’est la mort, l’inadéquation de l’individu singulier à l’universel du genre.
59Cette inadéquation nécessaire – car la nature porte « le germe inné de la mort68 » – signifie dans ses trois modes contingents (la reproduction, le conflit d’espèces et la mort naturelle) que l’individu perd sa singularité dans la loi du genre. À ce niveau, l’universalité du genre qui surpasse l’organisme individuel n’est que celle d’un mauvais infini. Pour Hegel, « dans la nature, l’espèce ne fait aucun progrès69 », « le changement [y] est un mouvement circulaire une répétition du même70 ». La nature ne forme pas le cercle de l’autocompréhension spirituelle mais seulement le cycle de la répétition, de la reproduction, c’est-à-dire de « l’Idée sur le mode de l’extériorité71 ».
60La mort dans le registre de la nature, vis-à-vis de laquelle la maladie n’est qu’une inadéquation passagère, appartient à l’ordre de la nécessité et de la contingence. À ce titre, elle ouvre au mauvais infini de la répétition lequel aux yeux de Hegel est proprement la finitude. La mort n’ouvre pas à un registre qualitativement différent, elle n’est pas l’instrument d’une conversion, elle n’est qu’un terme dans le cycle de la répétition de la vie.
61Mais cette mort naturelle peut se laisser relever par l’esprit. À ce titre, elle est le pivot de la philosophie de la nature. Elle indique sa fin, la finitude, la mort72. Or pour l’esprit, cette fin indiquée est un moyen, le moyen d’une conversion. La finitude de l’être chez Hegel n’est pour lui que le négatif de l’idée que l’on peut retrouver en modifiant notre regard.
3) La Philosophie de l’esprit
62La philosophie de l’esprit explique en général l’acte de la raison consistant à se comprendre dans le monde. Elle est la négativité d’une raison qui revient à soi après avoir librement décidé d’impliquer la nature dans son développement conceptuel. Elle est le propre de l’homme, qui n’est pas seulement implication de la nature dans l’ordre de la raison, mais qui est avant tout explication de ce processus. Un peu comme le Christ qui transcende la finitude en lui donnant un sens, l’homme hégélien exprime le sens retrouvé à même l’ordre du fini.
63La mort dans la nature est pure négativité indifférente. Mais cette absence de sens n’épuise pas le concept de mort. Pour Hegel, l’homme, de par son appartenance à la sphère spirituelle, ne se réduit pas à un exemplaire indifférent d’une espèce. La conscience fait de l’homme une singularité absolue. À ce titre, l’homme veut être reconnu dans sa différence. C’est dans ce contexte qu’il met en jeu sa vie, donnant à voir que celle-ci ne se réduit pas à la nature. La lutte où il en va de la vie et de la mort signe par sa violence la sortie de cette violence première qu’est l’état de nature. En ce sens, elle ouvre au monde de l’esprit. L’expérience de la mort fait passer du factuel au figuré de la représentation. Toute représentation contient d’ailleurs symboliquement une âme défunte. C’est là le thème de la pyramide qui symbolise le signe chez Hegel73. Le langage tue en quelque sorte le monde qui l’entoure74, il supprime ainsi la naturalité première, mais dans le même temps, il ouvre à un nouveau registre. Il met fin au naturel, cet ordre dont la figure ultime est la mort et éveille au spirituel. À l’instar du Christ, qui, dans la tradition johannique, est associé au Verbe, le langage chez Hegel est résurrection, ouverture à un idéel, situé au-delà de l’immédiateté naturelle.
64La mort au sein du langage a donc pour but de configurer un nouvel ordre des choses. Pour cela, à l’instar du signe qu’elle marque, elle a quelque chose de transitoire. C’est pourquoi la mort en son sens définitif est rejetée par Hegel. En ce sens, le meurtre, le suicide et la bravoure (ou le sacrifice de soi [Opfertod]) sont rejetés. Dans ces différents cas, Hegel met en avant soit le caractère « formel » de la mort impuissant à revêtir un sens proprement spirituel soit la méconnaissance du sens de la négativité. La bravoure n’est pas « de nature spirituelle, parce que la disposition d’esprit interne peut être cette raison-ci ou celle-là, et que son résultat effectif lui aussi ne peut être pour soi, il n’est que pour autrui75 ». Pour ce qui est du suicide et du meurtre, Hegel est moins disert, mais on pourrait dire en suivant l’esprit de son système que provoquer la mort, c’est l’envisager non plus comme cette « ineffectivité76 » qu’est le négatif, mais comme une effectivité. Or comme le droit se fonde sur le concept romain de personne, c’est-à-dire de l’homme faisant sienne la négativité et se posant, ainsi que le montre Kant77, comme une fin en soi capable d’objectiver sa liberté, le meurtre et le suicide ne devraient pas être des droits. Dans la partie sur l’esprit objectif, la dissolution de la famille due à la mort des parents est contrecarrée par son inscription dans la vie éthique en passant par une réflexion sur le concept de « succession » (Erbschaft). Le droit de faire un testament, rendu possible par la dissolution éthique de la famille, doit alors être limité afin que la logique de la famille ne soit pas contrariée par celle du juridique qui, elle, repose sur la particularité des intérêts et non sur des rapports éthiques. Ainsi la mort n’est pas la disparition pure et simple d’un propriétaire laissant « un bien sans maître78 », en elle se poursuit la nature du rapport familial79.
65Dans ces différents cas, la mort n’est jamais voulue (elle n’est pas une fin en soi) et, quand elle survient malgré tout, elle s’inscrit dans une logique qui la déborde. En définitive, il ne s’agit ni de refouler la mort (elle ouvre dans la lutte pour la reconnaissance au monde de l’esprit), ni de la provoquer (tuer une personne n’est pas un droit), mais, comme le préfigure ce que dit Hegel de la mort des parents au niveau intersubjectif du droit, de lui succéder, en la regardant fixement et en la niant médiatement par l’effectivité, qui est la vie même de l’esprit.
66On a là un schéma typiquement chrétien. La mort symbolisée par la croix est l’emblème des chrétiens, mais elle ne l’est que dans la mesure où une nouvelle vie lui succède. En ce sens, chez Hegel, la mort au sens spirituel ne renvoie pas à une fin définitive, mais à un « Vendredi saint spéculatif80 », à un « Golgotha de l’esprit absolu81 », c’est-à-dire à une mort dans laquelle transparaît une autre vie. L’infini, s’il présuppose la mise à mort du naturel, n’est cependant pas à rechercher dans un arrière-monde, comme le fait la conscience malheureuse, mais ici-bas en participant de la vie de l’esprit. Les moments de pleine concordance avec l’esprit sont d’ailleurs comme Hegel le rappelle, en laissant parler son maître stagirite, des moments de « béatitude parfaite et souveraine82 ». Une immortalité individuelle ne paraît donc pas convaincre Hegel. Il ne faut pas pour autant en induire, à l’instar de Kojève, que Hegel serait athée. Comme il se plaît à le rappeler, la philosophie l’a renforcé dans son luthérianisme83. Mais celui-ci, s’il est bien compris, n’exprime rien d’autre que son système sous une forme représentative, lequel semble peu compatible avec le postulat d’un au-delà, d’une immortalité de l’âme84. On ne peut toutefois rien affirmer avec certitude à ce sujet car, jugeant pure fanfaronnade le fait de sauter par-delà le rocher de Rhodes de notre vie, Hegel met entre parenthèses la question de l’immortalité de l’âme85.
67En définitive, la conception hégélienne de la mort consiste en surpassant spirituellement le sens de la mort naturelle à l’intégrer comme négativité au sein de la vie de la conscience se faisant esprit. Elle exprime bien en ce sens la signification chrétienne de la mort. Elle en a aussi les mêmes limites. La mort comme finitude, comme absence radicale, est oblitérée par le venir au jour de l’esprit.
4. Conclusion
68Nous avons esquissé un tableau du traitement hégélien de la mort humaine en essayant de rapporter les nombreuses occurrences à leur contexte. Un tel travail, dans la mesure où il s’agit d’une pensée systématique, nous a conduit à dresser une esquisse du système. La mort intervient dans divers registres dont il faut dégager l’unité systématique pour comprendre le mouvement-un qui conduit la définition de la mort en son sens logique à son sens accompli en passant par l’extériorité de la nature.
69Reprenons brièvement ce mouvement. La mort dans la logique exprime la négation de la vie immédiate et l’ouverture au connaître, elle se détermine dans le registre de la nature comme la négation subie – nécessaire ou contingente – de la vie biologique individuelle dans le genre et se réfléchit dans le registre de l’esprit qui accomplit son sens. Cet accomplissement consiste à retrouver le sens logique dans le monde du réel. Il peut se lire directement à partir de l’humain, car l’esprit, dans la conscience qu’il se donne, est le lieu de réciprocité de l’homme et de l’absolu ; on obtient alors le sens spécifiquement humain de la mort qui lie l’idéel au naturel. Dans une telle perspective, l’homme est celui qui, capable de mettre en jeu sa vie, peut provoquer délibérément sa mort ou celle d’autrui. Mais comme le droit le lui interdit, il est conduit à relever différemment l’épreuve de la finitude. Il l’accomplit alors par le travail du négatif grâce auquel il renonce à l’Idée dans son immédiateté et retrouve le libre mouvement de l’Idée en soi et pour soi.
70En ce sens spirituel, la mort est la mort (der Tod) du mort (das Tote). Ce dernier est ce qui s’extrait de l’effectivité de l’esprit, ce qui est figé, qui est purement matériel. Hegel parle ainsi de traditions mortes quand le sens qui les anime est perdu86, de lettres mortes en parlant de lois comprises à tort comme de pures contraintes87, etc. Le mort, terme inspiré des lectures de Lessing (Nathan le sage) et de Rousseau (l’Émile), est, comme on le voit, ce qui est objectivé, ce qui se coupe du mouvement de la vie. Du mort, on ne peut dès lors rien dire, si ce n’est l’ennui et la facticité. Comme l’écrit Hegel en parlant de montagnes, « la vue de ces masses éternellement mortes ne suscita rien en moi, si ce n’est l’idée uniforme, et à la longue ennuyeuse : c’est ainsi88 ». Le mort n’est pas, par conséquent, matière à raisonner car la raison ne s’intéresse au réel que dans la mesure où il est effectif.
71Il apparaît ainsi clairement que la mort n’est pas valorisée en son sens positif de quelque chose de mort mais bien en son sens négatif de négation de la négation. Telle est la rationalisation que Hegel tire du concept de Trinité purgé de toute positivité. Cet horizon culturel et religieux s’explique par le fait que pour Hegel, il s’agit de comprendre le sens de la mort relativement à l’esprit de son temps. Or, comme celui-ci est gros de toute la marche passée de l’esprit, il n’est pas question de rompre avec l’histoire de la philosophie sous prétexte qu’elle est oublieuse de l’une ou l’autre interrogation fondamentale mais de la concevoir (ou de l’accomplir) en lui donnant un fondement absolu.
72Mais par là Hegel, en se donnant le concept de l’esprit advenu, résout l’histoire en une trame unique, laissant de côté des histoires parallèles, comme le judaïsme qui reste pour lui, « une sombre énigme89 ». Certaines possibilités qu’engendrait sa pensée n’ont pas été explorées. Ainsi, dans la lutte pour la reconnaissance, si je vois ma mort en l’autre, c’est parce que je m’y reconnais et donc que je le considère comme un alter ego. Mais alors, quand je vois ma mort en l’autre, je vois aussi la sienne propre. De là, pourraient suivre d’autres conséquences, à savoir, à titre d’exemple, que, comme chez Levinas, sur ma peur de mourir prime ma peur de tuer. « Le fait que la mort de l’autre m’affecte plus que la mienne90 » aurait pu déterminer une tout autre suite, mais cette philosophie de l’altérité empreinte de judaïsme s’inscrivait difficilement dans la trame unique du devenir de l’esprit se comprenant.
73Mais dès lors que la réflexion hégélienne se pose comme relative à son temps, ou plus précisément comme relative à une possibilité rhizomique de sens s’accomplissant dans une culture particulière, et non pas comme une méditation anhistorique sur la mort, se pose la question de l’actualité des réflexions hégéliennes. Ces réflexions sont-elles encore valables pour nous ?
74La mort de l’individu était en Grèce minorée par le fait que ce qui comptait, c’était la Cité. Dans le monde chrétien, la mort apparaît, mais son caractère tragique est transfiguré par l’esprit, la finitude de l’homme se nie dans la culture. Si l’individu émerge dans le monde chrétien, sa disparition ne signe pas la fin absolue, mais seulement la fin de la finitude qui contribue à l’autodéveloppement de l’absolu. Plus généralement, le schéma hégélien correspond à un schéma humaniste, selon lequel une communauté humaine se perpétuerait au-delà des décès individuels. Mais cet humanisme est-il encore de mise ? Il semblerait, après Heidegger et Sloterdijk91, que l’humanisme soit mort. S’il fallait caractériser la mort telle qu’elle se présente aux yeux des individus de nos sociétés contemporaines, on aurait un schéma aux antipodes du schéma hégélien. Cela apparaît de façon plus frappante, une fois que l’on rapporte la problématique de la mort humaine à celle de l’immortalité.
75Corrélativement à la conscience de la mort, conscience proprement humaine, il y a un désir d’immortalité92. Ce désir est lié au fait que la mort survient toujours trop tôt. De même que l’homme naît trop tôt93, il meurt trop tôt. Il naît sous le registre du possible et meurt avant d’avoir accompli tous ses possibles94. L’homme aspire dès lors à l’immortalité, mais la façon de penser cette immortalité varie suivant que l’on accorde ou non un rôle positif à la mort : l’immortalité sera tantôt transfiguration de la mort dans l’esprit, tantôt suppression de la mort, mais cela se fera au risque de perdre l’esprit.
76L’immortalité chez Hegel se réalise au niveau de l’esprit et non au niveau individuel. Il en va de même pourrait-on dire de tout ce qui relève des traditions culturelles qui font de la mort l’objet d’un culte. Comme l’a bien vu Unamuno, le culte de la mort n’est qu’un masque du « culte de l’immortalité95 ». Mais dans ce culte, l’immortalité présuppose la mort du singulier, de sorte qu’elle ne se réalise que dans le registre de l’universel. Dans des démarches actuelles telles que la cryogénisation, les individus ont fait le deuil des valeurs universelles et, convaincus de la mort de l’universel, ils essayent de sauvegarder la perpétuation du sens par un projet de résurrection individuel ou par le déni de la mort du singulier96.
77La mort de l’universel telle qu’on la vit aujourd’hui renvoie moins au scénario catastrophe d’une fin de l’humanité suggérée par les nouvelles possibilités de la science97 qu’à la perte des valeurs universelles en l’homme. Depuis le nucléaire, la possibilité de l’impossibilité au niveau de l’espèce est bien présente, en témoigne assez bien la scène finale de Doctor Strange Love, le film de Kubrick. Ce n’est toutefois qu’une possibilité, une mort de l’espèce qui se dit sur le registre virtuel. À ce titre, la mort de l’espèce n’est pas neuve, on peut retrouver dans la plupart des civilisations des scénarios apocalyptiques.
78Ce qui est nouveau, ce n’est pas la mort de l’humanité, qui restera toujours sur un mode virtuel, sauf à ne pouvoir en parler, mais la mort de l’humanisme98. Les frontières de l’humain se sont considérablement opacifiées99. Il apparaît de plus en plus difficile de définir l’homme et de fonder des valeurs sur quelque chose de spécifiquement humain. Pour ce qui est du problème de la mort, mourir pour un individu n’a, vis-à-vis de l’humanité, pas plus de sens que de « trancher la tête d’un chou100 ». Cette absence de sens qui apparaissait contextuelle chez Hegel – en l’occurrence liée au régime de la Terreur – semble s’être généralisée aujourd’hui, de sorte que sans l’espoir d’un rachat de la mort individuelle par l’universel de la culture, l’individu cherche désormais le salut dans sa propre résurrection sans d’ailleurs penser ce que cela pourrait signifier au niveau sociétal101. L’ironie est que cette résurrection dépend d’une société qui n’aura pas nécessairement de raisons de vouloir le ressusciter. Le dépassement de la mort est ainsi livré à la contingence et serait loin de signifier la fin de toute dépendance.
79On a vu, en outre, que le sens de la vie d’un individu se configurait lors de son décès dans l’universel de la culture et continuait à exister en une forme épurée et définie. Une telle transfiguration du singulier dans l’universel est mise en suspens avec la possibilité d’une vie qui ne se laisserait plus circonscrire. La mort ne configurerait et ne transfigurerait plus la vie. La vie dans cette mort qui n’en serait plus une ne se réfléchirait plus, elle s’interromprait pour mieux reprendre.
80Dans cette course du singulier qui refuserait de se fondre dans l’universel de la culture, la nécessité de l’éducation disparaîtrait. Comme l’écrit Kojève, « c’est en se sachant mortels que les hommes éduquent leurs enfants, de façon à ce que ceux-ci puissent parachever leurs œuvres, en agissant en fonction du souvenir des aïeux disparus102 ». L’homme perdant conscience de son immortalité ne verrait plus la nécessité de se survivre dans une culture et d’assurer la tradition qui charpente et vivifie celle-ci. La perte de la conscience de la mortalité menace le fond de notre culture, une certaine vision judéo-chrétienne de l’homme, mais aussi le fond de toute culture, l’éducation, qui de moyen d’une transmission intergénérationnelle répondrait désormais à des intérêts présents.
81L’analyse de Hegel nous permet de faire apparaître par contraste certaines tendances structurelles propres à notre temps. Les transhumanistes, fatigués de la condition humaine103, qui voient dans la mort un obstacle à éradiquer, rêvent d’un posthumain, qui ne serait plus soumis au tragique de la mort. Ce tragique pour les humanistes avait toutefois un fond positif, le dépassement de l’individu dans une culture qui lui survivait. En substituant au problème de la mort une réponse d’ordre technique à une réponse d’ordre symbolique104, il semble bien que les transhumanistes sapent les bases de la culture au profit in fine d’un individu qui lui survivrait. La mort, loin d’être une nécessité inéluctable, leur apparaît contingente. Si les moyens de la technique déterminent presque toujours, selon Anne Fagot-Largeau, une cause à la mort105, celle-ci est rendue contextuelle dans le chef des partisans du transhumanisme. De là, on a fait de la mort un phénomène contingent qu’il devrait être possible d’éviter. La mort apparaît ainsi de plus en plus comme l’impossibilité contingente des pouvoirs de l’individu. Mais avec cette contingence de la mort, apparaît en creux la contingence de l’ordre symbolique de la culture. Le rêve transhumaniste d’un homme immortel est en fait en rupture avec la tradition humaniste moderne et l’universel des Lumières, et correspond à l’hyper-individualisation de nos cultures actuelles.
82Quand la mort en refrénant le désir ouvrait, dans la Phénoménologie de l’esprit, à la temporalité, on peut se demander si le désir non refréné d’immortalité ne contribue pas à saper les bases de la conscience du temps et par là de notre rapport à l’histoire. Le désir d’immortalité du soi serait celui d’un éternel présent. L’individu ne se comprendrait plus sur le fond d’une culture, d’une tradition humaine qui existerait avant lui et se poursuivrait après lui, il serait sa propre mesure, la mesure de toute chose. Contre cette tendance, en apportant à la mort une réponse symbolique, en faisant reposer l’esprit sur un culte des morts, Hegel, loin d’éradiquer le négatif, cherchait à en apprivoiser la puissance. De là, le rapport à la mort dessinait le paradigme de la culture humaniste, une culture où les limites du soi ouvrent celui-ci à l’infini de l’humain.
83Bien loin de supprimer platement la finitude de sa nature immédiate, il s’agit pour l’homme humaniste de la cultiver, de donner sens à sa contingence en l’inscrivant dans la tradition. L’éducation est dès lors ce qui accomplit l’anthropogenèse hégélienne. C’est pourquoi nous entendons poursuivre notre méditation sur la mort par une méditation sur l’idée hégélienne d’éducation, de culture. Après avoir vu que l’homme se définissait comme un possible, qui consistait à nier le naturel en lui pour se l’approprier et que l’homme prenait, chez Hegel, conscience du possible en s’opposant à l’impossible que figurait sa mort, il nous reste à montrer comment l’homme cultive le possible de façon à se l’approprier, à pouvoir en décider.
Notes de bas de page
1 Cela apparaît clairement dans la lettre d’Épicure à Ménécée. Pour lui, tant que nous sommes, la mort n’est pas et lorsque la mort est là, nous ne sommes plus, de sorte qu’aucune expérience directe de la mort n’est possible. Freud tire d’ailleurs de cette idée qu’au fond, de façon inconsciente, nous nous croyons immortels. Voir S. Freud, « Considérations actuelles sur la guerre et la mort », in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1980.
2 Voir F. Dastur, « Phénoménologie de l’être mortel », in La mort. Essais sur la finitude, Paris, PUF, 2007, p. 103–152.
3 M. Heidegger, Sein und Zeit, Tübingen, Niemeyer, 1927, § 46–60.
4 « La mort est la possibilité de l’impossibilité pure et simple pour le Dasein », M. Heidegger, Sein und Zeit, op. cit., § 50. On notera que Levinas inverse le sens de cette formule en parlant de « l’impossibilité de la possibilité » (E. Levinas, Sur Maurice Blanchot, Montpellier, Fata Morgana, 1975, p. 16).
5 Voir par exemple le témoignage de Leutwein (condisciple de Hegel au Stift de Tübingen) : « Je peux dire en tout cas que la métaphysique n’était pas particulièrement l’affaire de Hegel ». Cf. D. Henrich, « Leutwein über Hegel, ein Dokument zu Hegels Biographie », Hegel-Studien, 3, Bonn, 1965.
6 « Wie verschieden die Bilder, die von dem Tode in die Phantasieen unsers Volks und der Griechen übergegangen sind – bei diesen ein schöner Genius, der Bruder des Schlafs, verewigt in Monumenten über den Gräbern, bei uns der Knochenmann, dessen grauser Schedel über allen Särgen paradirt. » Hegel, GW 1, p. 137, trad. fr. Legros et Verstraeten, p. 54. Comme ses travaux de jeunesse n’étaient pas destinés à la publication, Hegel ne cite pas toujours ses sources. On remarque toutefois ici l’influence de Lessing (Wie die Alten den Tod gebildet, 1769) qui écrit en substance que les Grecs avaient moins peur de la mort que les modernes, qu’ils représentaient la mort non comme un squelette mais comme un esprit bénin, le frère du sommeil. Notons que Hegel n’envisage pas l’objection de Herder (Wie die Alten den Tod gebildet. Ein Nachtrag zu Lessings Abhandlung desselben Titels und Inhalts, 1769) : à savoir que la représentation bénigne de la mort chez les Grecs était une façon de faire face à leur peur de la mort.
7 « Die Idee seines Vaterlandes, seines Staates, war das unsichtbare, das höhere, wofür er arbeitete, das ihn trieb, diß sein Endzweck der Welt, oder der Endzweck seiner Welt – den er in der Wirklichkeit dargestellt fand, oder selbst darzustellen und zu erhalten mithalf. Vor dieser Idee verschwand seine Individualität… », Hegel, GW 1, p. 368, trad. fr. Legros et Verstraeten, p. 98.
8 Cf. M. Heidegger, Être et Temps (trad. fr E. Martineau), Paris, Authentica, 1985, § 46–53.
9 Hegel l’exprime bien dans ses écrits d’Iéna. « (…) in der alten Zeit, war das schöne öffentliche Leben die Sitte aller, – Schönheit unmittelbare Einheit des Allgemeinen und Einzelnen, ein Kunstwerk, worin kein theil sich absondert vom Ganzen, sondern diese genialische Einheit des sich wissenden Selbsts und seiner Darstellung [ist ;] aber das sich selbst absolut Wissen der Einzelnheit, dieses absolute Insichseyn, war nicht vorhanden », Hegel, GW 8, p. 263, trad. fr. G. Planty–Bonjour, p. 95.
10 Hegel, GW 1, p. 370, trad. fr. R. Legros et F. Verstraeten., p. 100. Notons que cette nouvelle façon de représenter la mort sera reprise par Hegel dans ses cours d’esthétique et rapportée à l’art romantique, l’art chrétien par excellence. « Souffrance, mort n’avaient pas de place dans l’art classique, à cause de l’identité du naturel et de l’intellectuel. À présent, la douleur, la mort a une signification absolue. La mort, autrefois facilement mort du corps, peut être aussi mort de l’âme, damnation éternelle. » Hegel, Esthétique (cahier de notes inédit de Victor Cousin), Paris, Vrin, 2005, p. 94.
11 Le changement de perspective que représente le christianisme qui fait basculer le centre de gravité de la société du tout à l’individu est également pour Hegel clairement phénoménalisé par le droit romain. Rome cessera d’ailleurs de s’opposer à l’Église dès 312, avec la conversion de l’empereur Constantin (l’édit de Milan suivra l’année d’après). D’une façon intéressante, qui rappelle le contraste entre les représentations grecques et chrétiennes de la mort, Hegel distingue, dans ses leçons sur la philosophie de l’art, la vision des enfers chez Virgile et chez Homère. « (…) einer der größten Gegensätze ist die Art, wie Homer Odysseus die Toten besucht, und die Art, wie Virgil den Äneas in die Unterwelt führt : Bei Virgil [erscheint] eine finstere Höhle, darunter ein dunkler Gang, [der] Tartarus, bei Homer gräbt Odysseus selbst die Grube, und er zitiert die Geister ; er schlachtet einen Bock und gießt das Blut in die Grube, und er belebt sie. Sie sammeln sich aus Durst zum Leben um ihn, kommen zu sprechen und trinken Blut. » Hegel, Philosophie der Kunst. Vorlesung von 1826 (éd. Gehtmann–Siefert, Kwon und Berr), Frankfurt, Suhrkamp, 2005, p. 234. On voit que le monde des esprits est quelque chose que fait exister Ulysse, les défunts continuant de vivre dans une société qui leur survit. Au contraire, chez Virgile, les enfers constituent un lieu objectif que redoutent les vivants.
12 « (…) bürgerliche und politische Freiheit hat die Kirche als Kot gegen die himmlischen Güter und den Genuß des Lebens verachten gelehrt », Hegel, Werke 1, Die Positivität der christlichen Religion, p. 181, trad. CRDHM, p. 98.
13 Hegel, GW 1, p. 148, trad. fr. R. Legros et F. Verstraeten., p. 64.
14 Jeune, Hegel se passionne pour la mort de Socrate (GW 1, p. 5–6) ; son intérêt se porte aussi sur celle de César (GW 1, p. 37–39) et sur celle du Christ.
15 F. Dastur, La mort. Essai sur la finitude, Paris, Puf, 2007, p. 25.
16 M. de Unamuno, Le sentiment tragique de la vie (trad. fr. M. Faure–Beaulieu), Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1997, p. 54.
17 « Mit dem Tode ist nur die Natur fertig, nicht der Mensch, nicht die Sitte und Sittlichkeitt, welche für die gefallenen Helden die Ehre der Bestattung fordert », Hegel, Werke 15, p. 388, trad. fr. Von Schenck, Lefebvre, tome III, p. 365.
18 « Quelqu’un disparaît, un autre occupe sa place. C’est la mort à la troisième personne, la mort de n’importe qui, un passant frappé d’embolie… (…) En ce qui concerne la mort à la première personne, c’est–à–dire la mienne, eh bien, je ne peux plus en parler puisque c’est ma mort. J’emporte mon secret, si secret il y a, dans la tombe. Il reste la mort à la deuxième personne, la mort du proche, qui est l’expérience philosophique privilégiée parce qu’elle est tangente aux deux autres. Elle ressemble le plus à la mienne, et sans être non plus la mort impersonnelle et anonyme du phénomène social. C’est un autre que moi, alors je survivrai. Je peux le voir mourir. Je le vois mort. C’est un autre que moi et, en même temps, c’est ce qui me touche de plus près. Au–delà, ce serait ma mort à moi. La philosophie de la mort est faite pour nous par le proche qui est à nos côtés », V. Jankelevitch, Penser la mort ?, Liana Levi, Paris, 1994, p. 16–17.
19 Cf. Hegel, GW 14,1, § 157, trad. fr. J.–Fr. Kervégan, p. 259.
20 C’est en se basant sur ce fait que Jean–Renaud Seba compare Hegel aux positions de Legendre. Cf. J.–R. Seba, Le partage entre l’empirique et le transcendental, op. cit., p. 329 ss. Il montre, ce faisant, que l’anthropologie qui charpente le système hégélien est à concevoir comme une réflexion concrète qui préfigure certaines réflexions modernes. Axel Honneth, dans son écrit sur la lutte pour la reconnaissance n’hésitait d’ailleurs pas à rapprocher Hegel de Winnicott ou de Mead. Cf.A. Honneth, La lutte pour la reconnaissance, Paris, Le Cerf, 2000.
21 F. Dastur, La mort, op. cit., p. 29. On retrouve aussi cette idée chez Michel Henry qui parle d’une « communauté des morts » en relation avec la communauté des vivants (M. Henry, Phénoménologie matérielle, Paris, Puf, 1990, p. 154). On retrouve la même idée chez Hegel. La mort physique, extinction de la vie, est dotée d’une signification spirituelle. Elle est ce qui, totalisant la vie de l’individu, en fait une figuration de l’absolu (Hegel, Phänomenologie des Geistes, GW 9, p. 244, trad. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 428). En simplifiant, le défunt s’inscrit, idéalisé sous la forme d’une figure qui le résume, dans l’histoire de l’esprit au lieu de se décomposer en régressant à la naturalité. Grâce au travail du deuil et de la mémoire, le mort prend place dans la trame de l’histoire, comme les héros morts illustrant telle ou telle période de l’histoire et glorifiés comme universels, voir Hegel, Premiers écrits (Francfort 1797–1800) (trad. O. Depré), Paris, Vrin, 1997, p. 434.
22 On retrouve cette idée dans Le Septième Sceau, le chef–d’œuvre d’Ingmar Bergman. La mort y est représentée comme jouant une partie d’échec avec un chevalier de retour des croisades. Sans espérer gagner, ce dernier retarde l’échéance afin d’essayer de répondre aux questions qu’il se pose sur la vie.
23 Hegel, Phänomenologie, GW 9, p. 114, 321, trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 198, p. 567.
24 Hegel, GW 9, p. 239, trad. fr. G. Jarczyk et P.–J. Labarrière, p. 420.
25 Hegel, GW 9, p. 240, trad. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 421.
26 « Mit einem Mangel », Hegel, GW 25,2, p. 780.
27 « Was auf ein natürliches Leben beschränkt ist, vermag durch sich selbst nicht über sein unmittelbares Dasein hinauszugehen ; aber es wird durch ein Anderes darüber hinausgetrieben, und dies Hinausgerissenwerden ist sein Tod. Das Bewußtsein aber ist für sich selbst sein Begriff, dadurch unmittelbar das Hinausgehen über das Beschränkte und, da ihm dies Beschränkte angehört, über sich selbst, mit dem Einzelnen ist ihm zugleich das Jenseits gesetzt, wäre es auch nur, wie im räumlichen Anschauen, neben dem Beschränkten. » Hegel, GW 9, trad. Jarczyk et Labarrière, p. 97.
28 Déjà dans son « Entretien à trois », qui constitue « le premier produit, en toute rigueur le plus ancien, de l’écriture hégélienne » (Rosenkranz, Vie de Hegel (trad. fr ; P. Osmo), Paris, Gallimard, 2004), Hegel dit à travers la bouche d’un des protagonistes « préférer la mort à une vie honteuse » (dem Tod einem schmachvollen Leben vorziehen) (Hegel, GW 1, p. 39). On voit ainsi que Hegel n’a jamais défendu la vie à tout prix. Mais, il faut attendre Iéna pour que Hegel thématise cette intuition et en fasse l’accès à la liberté. « Par la capacité de la mort (Fähigkeit der Töte), le sujet se montre comme libre et élevé sans réserve au–dessus de toute contrainte » (Hegel, Des manières de traiter scientifiquement du droit naturel (trad. fr. B. Bourgeois), Paris, Vrin, 1972, p. 53).
29 H.–G. Gadamer, « Les bases anthropologiques de la liberté humaine », in L’héritage de l’Europe, op. cit., p. 129.
30 Ibid., p. 127.
31 Hegel, Phänomenologie des Geistes, GW 9, p. 108, trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 216.
32 Cette bravoure antique repose en fait sur une espèce d’inconscience, voire relève de l’ordre de l’inconscient. « Ce que nous appelons notre “inconscient”, c’est–à–dire les couches les plus profondes de notre âme, celles qui se composent d’instincts, ne connaît, en général, rien de négatif, ignore la négation (les contraires s’y concilient et s’y fondent) et, par conséquent, la mort à laquelle nous ne pouvons attribuer qu’un contenu négatif. La croyance à la mort ne trouve donc aucun point d’appuis dans nos instincts, et c’est peut–être là qu’il faut chercher l’explication de ce qui constitue le mystère de l’héroïsme », S. Freud, « Considérations sur la guerre et sur la mort », in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1980, p. 263.
33 Kojève commente ainsi le passage. « Le Maître combat en homme (pour la reconnaissance) et consomme comme un animal (sans avoir travaillé). Telle est son inhumanité. Il reste par là homme de la Begierde (qu’il réussit à satisfaire). Il ne peut dépasser ce stade, parce qu’il est oisif. Il peut mourir en homme, mais il ne peut vivre qu’en animal », Kojève, Introduction à une lecture de Hegel, op. cit., p. 55.
34 Hegel, Phänomenologie des Geistes, GW 9, p. 27, trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 47.
35 Voir par exemple, S. Freud, « Considérations sur la guerre et sur la mort », in Essais de psychanalyse, Paris, Payot, 1980, p. 253–267.
36 « Le mort (…) hors de la longue série de son être–là éparpillé, s’est rassemblé dans la figuration Une achevée et, hors de l’inquiétude de la vie contingente, s’est élevé à la quiétude de l’universalité simple (aus der langen Reihe seines zerstreuten Daseins sich in die vollendete eine Gestaltung zusammengefaßt und aus der Unruhe des zufälligen Lebens sich in die Ruhe der einfachen Allgemeinheit erhoben hat) », Hegel, GW 9, p. 244, trad. fr. G. Jarczyk et P.–L. Labarrière, p. 428.
37 J.–F. Marquet, « Mort, mystère et oubli dans la pensée de Heidegger », in Restitutions. Études d’Histoire de la philosophie allemande, Paris, Vrin, 2001, p. 281–282.
38 Hegel, GW 9, p. 246, trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 432.
39 Hegel, Science de la logique (trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière), Paris, Aubier, 1981, vol. III, p. 300.
40 « Ich, das Wir, und Wir, das Ich ist » Hegel, Phänomenologie, GW 9, p. 108, trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 216. L’influence rousseauiste de volonté générale est ici intériorisée. Le Je s’identifie au Nous et vice-versa. Comme le note Balibar, Rousseau décrit encore « de façon naturaliste la formation d’un individu d’individus, quitte à lui attribuer après–coup l’intériorité d’une conscience », alors que « Hegel nous installe d’emblée dans l’immanence du sujet, connotée par l’usage de la première personne au singulier et au pluriel ». On pourrait dire alors que Hegel utilise la différence benvénistienne entre « personne au sens strict » et « personne amplifiée » pour « présenter la tension des deux termes comme une sorte de réflexion conflictuelle inhérente à la constitution du sujet, moment décisif de la transformation de l’esprit individuel en esprit universel qui se sait lui–même (Geist en tant que forme absolue du Selbst). » Cela étant, Balibar pense, à la suite de Jean–Pierre Lefebvre, qu’on pourrait un peu forcer la traduction et voir, derrière l’expression hégélienne « un moi qui est un nous et un nous qui est un moi », l’idée suivante « un moi que nous sommes et un nous que je suis ». Voir E. Balibar, « Je, Moi, Soi », in B. Cassin (dir.), Vocabulaire européen des philosophies. Dictionnaire des intraduisibles, Paris, Le Robert, 2004.
41 Voir Fr. Dastur, La mort. Essais sur la finitude, Paris, PUF, 2007.
42 E. Levinas/M. de Saint–Cheron, « Entretiens avec Emmanuel Levinas » (1992–1994), Paris, LGF, 2006, p. 35.
43 E. Levinas, Le Temps et l’Autre, Paris, PUF, p. 57. « Ma maîtrise, mon héroïsme de sujet ne peut être ni virilité ni héroïsme par rapport à la mort », E. Levinas, Totalité et Infini, Paris, LGF, 1981, p. 59.
44 M. Blanchot, L’espace littéraire, Paris, Gallimard, Folio–Essais, 1988, p. 131.
45 E. Levinas, Dieu, la mort et le temps, Paris, LGF, 1993, p. 133.
46 « Cette façon pour la mort de s’annoncer […] en dehors de toute lumière, est une expérience de la passivité du sujet qui jusqu’alors a été actif, qui demeurait actif même quand il était débordé par sa propre nature, mais préservait sa possibilité d’assumer son état de fait. Je dis : une expérience de la passivité. Façon de parler, car expérience signifie toujours déjà connaissance, lumière et initiative ; car l’expérience signifie aussi retour de l’objet vers le sujet. La mort comme mystère tranche sur l’expérience ainsi comprise. Dans le savoir, toute passivité est, par l’intermédiaire de la lumière, activité. L’objet que je rencontre est compris et, somme toute, construit par moi, alors que la mort annonce un événement dont le sujet n’est pas le maître, un événement par rapport auquel le sujet n’est plus sujet », E. Levinas, Le temps et l’autre, Montpellier, Fata Morgana, 1980, p. 57.
47 « La vie humaine en revanche est un maintien de soi par le travail, l’effort et la douleur, et c’est la mort qui sert de trait d’union entre le travail et la vie », J. Patochka, Essais hérétiques sur la philosophie de l’histoire, Paris, Verdier, 1990, p. 44.
48 A. Kojève, Introduction à une lecture de Hegel, op. cit., p. 538.
49 Dans une formule célèbre, Hegel dit que la Science de la logique correspond à la présentation de Dieu « tel qu’il est en son essence, avant la création de la nature et d’un esprit fini » (wie er in seinem ewigen Wesen, vor der Erschaffung der Natur und eines endlichen Geist). Hegel, Wissenschaft der Logik, GW 11, p. 21, trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 19.
50 Cf. M. Heidegger, « Identité et différence (trad. fr. A. Préau) », in Questions I, Paris, Gallimard, 1968.
51 La mort du Christ « a premièrement pour sens que le Christ était le Dieu qui comportait la nature humaine, jusque et y compris la mort, donc dans la finitude absolue » ; secondement cela signifie que « Dieu lui–même est mort ». Enfin si l’on convertit ces deux sens dans le registre spéculatif, la mort du Christ, « c’est la négation infinie, la mort de Dieu qui se conserve en celle–ci de sorte que ce processus est plutôt une mise à mort de la mort (ein Töten des Todes), une résurrection à la vie (ein Wiederauferstehen ins Leben) », Hegel, Vorl. 5, trad. fr. P. Garniron, tome III, p. 277.
52 Hegel, Wissenschaft der Logik, GW 12, p. 182 et 191, trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 288 et 300. Les occurrences du terme à la page 55 (ibid., p. 103) sont contingentes, elles ne servent qu’à formuler des exemples de jugement. Les deux occurrences que l’on trouve dans la logique de l’être sont intéressantes, mais apparaissent dans le cadre de remarques et non dans la trame du développement logique. Il y est suggéré que la mort n’est pas la fin, mais un passage à une nouvelle vie (GW 21, p. 70, trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 69), nouvelle vie qui exprime un changement au niveau qualitatif (GW 21, p. 367, trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 423). À ce titre, la victoire sur la mort n’est donc pas l’extension indéfinie de la vie, mais sa compréhension sous un nouveau jour.
53 J. McTaggart, A commentary on Hegel’s logic, New York, Russel & Russel, 1964, p. 274.
54 D. Rosenfield, « Comment peut–on parler de la vie chez Hegel ? », Revue philosophique de la France et de l’étranger, 2007, p. 9.
55 Hegel, Wissenschaft der Logik, GW 12, p. 191, trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 300.
56 « Das Leben ist die unmittelbare Idee », Hegel, GW 12, p. 192, trad. fr. Jarczyk, Labarrière, p. 303.
57 Dans la préface à la Phénoménologie qui, comme on l’a souvent souligné, déborde la perspective proprement phénoménologique, Hegel associait déjà la mort à la « puissance inouïe du négatif » (die ungeheure Macht des Negativen). Hegel, GW 9, p. 27, trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 47.
58 « Pour Hegel, la négativité n’est pas une question ; l’“origine”, et cela signifie en même temps la consistance essentielle de ce que ce mot enferme, n’est pas mise en question et ne peut pas l’être parce que la négativité est déjà posée avec le “domaine” que présuppose le questionnement hégélien lui–même. » M. Heidegger, Hegel. La négativité suivi de Éclaircissement de l’introduction à la Phénoménologie de l’esprit de Hegel (trad. Boutot), Paris, Gallimard, 2007, p. 57.
59 « “Pas en arrière” ne signifie pas un pas unique de la pensée, mais le mode du mouvement de la pensée, et un long chemin. Pour autant que le pas en arrière détermine le caractère de notre dialogue avec l’histoire de la pensée occidentale, il mène la pensée, d’une certaine façon, en dehors de ce que la philosophie a pensé jusqu’alors. La pensée recule devant sa Chose, l’être, et amène ainsi le pensé [le pensé rassemblé de la métaphysique] à un en–face, où nous pouvons prendre sous le regard de la totalité de cette histoire, et par là nous pouvons considérer quelle source constitue cette pensée en totalité, de quelle façon en général la source dispose le domaine de son séjour », M. Heidegger, « Identité et différence (trad. Préau) », op. cit., p. 284–285.
60 J.–H. Barthélemy, « Hegel et l’impensé de Heidegger », Kairos, 2006, n° 27, p. 100.
61 « Qu’on se souvienne de la manière dont Hegel pense le passage de l’Idée logique à la nature. Dieu crée non par positivité originaire et originante, par générosité surabondante, comme c’est le cas chez Thomas d’Aquin, mais par pénurie, parce qu’il n’est encore que Dieu, parce que sa suffisance originaire ou immédiate ne lui suffit pas pour être vraiment Esprit. La création apparaît de la sorte comme un aveu d’impuissance, comme une déchéance de l’Idée qui objecte à Dieu le fait qu’originairement il n’est pas encore Esprit. Mais cette déchéance intérieure à Dieu est aussi le lieu nécessaire où, par la négation de cette négation, il s’affirme authentiquement comme Esprit. C’est ainsi que le Dieu hégélien ne crée pas dans la générosité, mais dans l’avidité d’un plus–être. Au lieu que la création soit conçue comme un débordement libre et gratuit qui donne au monde d’exister pour lui–même sans que Dieu n’y gagne rien, Hegel la conçoit comme le résultat du processus de négativité absolue », A. Léonard, Métaphysique de l’être, Paris, Le Cerf, 2006, p. 236.
62 B. Bourgeois, « Dialectique et Structure dans la Philosophie de Hegel », Revue internationale de philosophie, 1982.
63 Hegel, Wissenschaft der Logik, GW 12, p. 253, trad. Jarczyk et Labarrière, p. 393 ; Hegel, Encyclopädie (1830), GW 20, § 244, p. 231.
64 E. Weil, La logique de la Philosophie, op. cit., p. 18.
65 « Un moment, chez Hegel, n’est donc pas causa sui à proprement parler, car tout commence dans la présupposition, tandis que la fondation n’apparaît qu’a posteriori. L’un des caractères les plus étonnants de la systématicité hégélienne est donc constitué, peut–on dire, du retard de la fondation », G. Marmasse, « Hegel : les enjeux de l’anthropologie », Revue de métaphysique et de morale 4/2006.
66 G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, « Phénoménologie de l’esprit et Science de la logique. Perspectives nouvelles », in O. Tinland (dir.), Lectures de Hegel, Paris, LGF, 2005, p. 77.
67 Hegel, Encyclopädie, GW 13, p. 113, GW 19, p. 184, GW 20, p. 237, trad. fr. B. Bourgeois, p. 109, p. 187.
68 Hegel, Encyclopädie, GW 20, § 375, trad. fr. B. Bourgeois, vol. II, p. 330.
69 Hegel, La raison dans l’histoire (trad. fr. K. Papaioannou), Paris, 10/18, p. 182.
70 Ibid.
71 Hegel, Encyclopädie, trad. fr. B. Bourgeois, vol II, p. 692.
72 La mort est ce qui clôt, dans l’Encyclopédie, la philosophie de la nature, elle s’avère ainsi la forme accomplie de la finitude.
73 « Das Zeichen ist irgendeine unmittelbare Anschauung, die einen ganz anderen Inhalt vorstellt, als den sie für sich hat ; – die Pyramide, in welche eine fremde Seele versetzt und aufbewahrt ist », Hegel, Encyclopädie, GW 20, § 458. Sur la figure de la pyramide dans le contexte d’une sémiologie hégélienne, voir J. Derrida, « Le puits et la pyramide. Introduction à la sémiologie de Hegel », in Marges de la philosophie, Paris, les éditions de Minuit, 1972. Sur le rapport du langage à la mort chez Hegel et Heidegger, on consultera avec intérêt G. Agamben, Il linguaggio e la Morte. Un Seminario sul luogo della negatività, Torino 1982.
74 Dans sa Propédeutique, Hegel parle du langage en termes de meurtre. « Die Sprache ist Ertötung der sinnlichen Welt in ihrem unmittelbaren Dasein, das Aufgehobenwerden derselben zu einem Dasein, welches ein Aufruf ist, der in allen vorstellenden Wesen widerklingt », Hegel, Werke 4, § 159, p. 52, trad. fr. M. de Gandillac, p. 207. Ce côté meurtrier du langage sera repris et mis en évidence en France par Kojève et Blanchot. Cf. A. KOJEVE, Introduction à la lecture de Hegel. Leçons sur la Phénoménologie de l’Esprit, Paris, Gallimard, 1947 et M. BLANCHOT, La part du feu, Paris, Gallimard, 1993.
75 Hegel, Grundlinien, GW 14,1, § 327, p. 267, trad. fr. J.–Fr. Kervégan, p. 422–423. On notera que dans son article sur le droit naturel, datant de ses débuts à Iéna, Hegel encore sous l’influence du holisme grec, valorisait encore la bravoure.
76 Hegel, Phänomenologie, GW 9, p. 27, trad. fr. G. Jarczyk et P.–J. Labarrière, p. 46.
77 « Les êtres raisonnables sont appelés des personnes, parce que leur nature les désigne déjà comme des fins en soi, autrement dit comme quelque chose qui ne peut pas être employé simplement comme moyen, quelque chose qui, par suite, limite d’autant toute faculté d’agir comme bon nous semble (et qui est un objet de respect). » Kant, Fondements de la métaphysique des mœurs, trad. fr. V. Delbos, in Kant, Œuvres Philosophiques II, Paris, Gallimard, La Pléiade, 1985, p. 293–294. Notons qu’on retrouve déjà une idée similaire chez Aristote. « Nous appelons libre celui qui est à lui–même sa fin et n’existe pas pour un autre », Aristote, Métaphysique, A, 2, 982b 25–26.
78 Hegel, GW 14,1, § 178, p. 80, trad. fr. ; J.–Fr. Kervégan, p. 273. On notera que Hegel vise ici la conception que Fichte présente dans ses Considérations sur la Révolution française, trad. Barni, Payot, 1974, p. 144–145.
79 On notera que si le lien éthique a quelque chose qui résiste à la mort, il n’en va pas de même du lien juridique. « Der Fall des Todes verlöscht jedes Eigenthumrecht. (…) Die Willkühr des Testierens kann respektiert werden, aber es ist nicht nöthig, indem sie nicht respektirt wird, geschieht damit niemand ein Unrecht. » Hegel, Rph 4 (Nachschrift Griesheim), p. 465.
80 Hegel, Glauben und Wissen, Werke 2, p. 431, trad. fr. A. Philonenko, p. 206.
81 Hegel, Phänomenologie des Geistes, GW 9, trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 932.
82 Hegel clôture son Encyclopédie des sciences philosophiques sur une citation d’Aristote (Métaphysique Λ, 7, 1072b, 18–30).
83 « Ich bin ein Lutherianer und durch Philosophie ebenso ganz im Luthertum befestigt », Hegel, Briefe, IV, p. 29, trad. fr. J. Carrère, tome III, p. 333, lettre à Tholuck du 3 juillet 1826.
84 À l’appui de cette thèse, Inwood formule sept arguments. Premièrement, la mort en son sens universel révèle l’essence de l’homme, laquelle est en dehors du temps. Deuxièmement, un temps infini correspond à ce que Hegel fustige comme mauvais infini. Troisièmement, c’est le conflit ou l’opposition qui rend l’homme éveillé. Sans conflit, on ne peut guère parler de vie. Quatrièmement, la mort d’une personne est en rapport avec le cours de sa vie. On meurt si on n’a plus rien à faire, y compris dans une vie ultérieure. Cinquièmement, Hegel rejette un dualisme entre une vie matérielle ici–bas et une vie spirituelle là–haut. Sixièmement, une immortalité personnelle présuppose que l’individu est suffisamment distinct de son contexte social pour une survie en dehors de celui–ci. Or aux yeux de Hegel, détaché de la société, l’homme semble incapable de penser, de parler, d’agir. Enfin, l’historicisme hégélien est en désaccord avec l’immortalité. Nous ne pouvons prédiquer du futur. Cela exclut un discours signifiant sur une autre vie. Cf. M. Inwood, « Death and immortality », in A Hegel Dictionnary, Oxford, Blackwell, 1992, p. 71–74.
85 La dissertation pro magisterio de 1790 intitulée « De la limite des devoirs de l’homme, une fois qu’on a fait abstraction de l’immortalité de l’âme » illustre à souhait un ethos de penser que Hegel conservera toute sa vie : ne rien présupposer en dehors de la Chose même. Cf.K. Rosenkranz, Vie de Hegel (trad. fr. P. Osmo), Paris, NRF Gallimard, 2004, p. 137–141.
86 « Aber unverständliche Gebete plappern, Messen lesen, Rosenkränze sprechen, bedeutungsleere gottesdienstliche Ceremonieen üben, dies ist das Thun des Todten », Hegel, GW 2, p. 593, trad. fr. Depré, p. 430.
87 Hegel, Grundlinien, GW 14,1, p. 11, p. 130, trad. fr. J.–Fr. Kervégan, p. 99, p. 244.
88 Hegel, GW 1, p. 392, trad. fr. R. Legros, F. Verstraeten, p. 78.
89 Voir à ce propos : A. Simhon, « Une sombre énigme. Étude sur Hegel », Archives de philosophie, hiver 2006.
90 E. Levinas, Dieu, la mort et le temps, Paris, LGF, 1993, p. 121.
91 Voir M. Heidegger, « Lettre sur l’humanisme », in Question III, Paris, Gallimard, 1966 ; P. Sloterdijk, Règles pour le parc humain, Paris, Mille et une nuits, 2000.
92 « L’Homme n’est pas seulement le seul être vivant qui sait qu’il doit mourir et qui peut se donner librement la mort : il est aussi seul à pouvoir aspirer à l’immortalité et à y croire plus ou moins fermement », A. Kojève, Introduction à une lecture de Hegel, op. cit., p. 525.
93 Voir infra, au point quatre du chapitre un, ce que l’on disait sur la néoténie de l’homme.
94 « L’Homme meurt toujours en quelque sorte prématurément (ce qui “justifie” dans une certaine mesure son désir de survie), c’est–à–dire avant d’avoir épuisé toutes les possibilités de son être (ou mieux : de son action négatrice ou créatrice). L’animal peut s’anéantir après avoir réalisé tout ce dont il était capable, de sorte qu’une prolongation de sa vie n’aurait plus aucun sens : sa mort est alors “naturelle”. Mais l’Homme meurt toujours, si l’on veut, d’une mort “violente”, car c’est sa mort qui l’empêche de faire autre chose encore qu’il n’a fait », A. Kojève, Introduction à la lecture de Hegel, p. 525.
95 M. de Unamuno, Le sentiment tragique de la vie (trad. fr. M. Faure–Beaulieu), Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1997, p. 54.
96 Il y a là un changement de paradigme dans la conception de l’immortalité. Hans Jonas a très bien cerné le problème. Pendant l’Antiquité, l’immortalité était l’apanage des grands hommes qui s’inscrivaient dans l’histoire de la Cité. Ils se survivaient dans l’opinion publique de la Cité, cela suffisait à ce qu’ils ne craignent pas la mort. Pour l’homme contemporain qui a abandonné l’idéal antique de la Cité et l’idéal moderne de l’universel, la mort ne peut être rachetée par la renommée. Cette conscience est accrue par le savoir que l’humanité est périssable. Voir H. Jonas, « L’immortalité et la pensée moderne », in Le Phénomène de la vie (trad. fr. Lories), Bruxelles, De Boeck, 2001, p. 264–266.
97 Une telle fin est possible, comme le suggère Hans Jonas, qui pense qu’aux nouvelles possibilités liées à la science doit correspondre un principe élargi de la responsabilité. L’analyse de Jonas se situe ainsi au niveau éthique et politique et non au niveau descriptif. Il ne cherche pas à jouer le prophète. La fin de l’humanité n’a pas pour lui un sens réel, mais un sens heuristique. Voir H. Jonas, Le principe de responsabilité (trad. fr. J. Greisch), Paris, Flammarion, 1998.
98 Les inquiétudes de Fukuyama quant à une fin de l’homme qui résulterait de la révolution biotechnologique, nous paraissent quelque peu vaines. Ce qui va changer ce n’est pas l’homme, mais la condition humaine. Il semblerait, comme le montre J.–M. Besnier, que l’humain va devoir de plus en plus cohabiter avec des nouvelles possibilités – des robots, des clones, etc. – rendant les frontières de l’humain de plus en plus floues et encourageant à définir l’humain de façon plus pragmatique qu’essentielle, de façon plus intégrative que restrictive. Voir J.–M. Besnier, Demain les posthumains, Paris, Fayard Pluriel, 2012, p. 25–44.
99 Voir H. Atlan, Les frontières de l’humain, Paris, Le Pommier, 2007.
100 Hegel, Phänomenologie, GW 9, p. 320, trad. fr. G. Jarczyk, P.–J. Labarrière, p. 565.
101 Dans une fiction intéressante, l’écrivain portugais, José Saramago, imagine une société où les individus ne mourraient plus. Il montre alors les multiples problèmes qui en résulteraient. Les hôpitaux regorgeraient de malades, les entreprises de pompes funèbres et les compagnies d’assurance feraient faillite, les familles conduiraient les membres les plus encombrants aux frontières, l’Église serait menacée de disparition. Voir J. Saramago, Les intermittences de la mort, trad. fr. G. Leibrich, Paris, Le Seuil, coll. « Points », 2008.
102 A. Kojève, Introduction à une lecture de Hegel, op. cit., p. 526.
103 Jean–Marie Besnier voit à l’origine du désir posthumain une « fatigue d’être soi », décrite et théorisée par le psychologue Ehrenberg. Voir A. Ehrenberg, La fatigue d’être soi. Dépression et société, Paris, Odile Jacob, 2000.
104 Si jusqu’à présent une réponse d’ordre symbolique a dominé, c’est, semblet–il, que la technique n’était pas assez développée, Gilbert Hottois lie ainsi la valorisation du langage dans la tradition à « une certaine impuissance de la technique ». G. Hottois, « De l’anthropologie à l’anthropotechnique ? », Tumultes, 2005, p. 63.
105 A. Fagot–Largeau, Les causes de la mort : Histoire naturelle et facteurs de risque, Paris, Vrin, 1989.
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