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    Plan détaillé Texte intégral Démocratie et morale évangéliqueL’État démocratiqueLes deux sens de la justiceLuxe et simplicitéL’« optimisme tragique » : ouverture, progrès, catastrophe Notes de bas de page

    Bergson ou l’humanité créatrice

    Ce livre est recensé par

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    Table des matières

    Chapitre 3. L’ouverture : droits de l’homme et démocratie

    p. 253-287

    Texte intégral Démocratie et morale évangéliqueL’État démocratiqueLes deux sens de la justiceLuxe et simplicitéL’« optimisme tragique » : ouverture, progrès, catastrophe Notes de bas de page

    Texte intégral

    Démocratie et morale évangélique

    1La société qui s’ouvre, trouve son expression politique dans la démocratie : « De toutes les conceptions politiques [la démocratie] est en effet la plus éloignée de la nature, la seule qui transcende, en intention au moins, les conditions de la “société close”1. » Cette intention démocratique vise une organisation des rapports sociaux, qui prend le contre-pied de l’ordre exigé par la société close. La démocratie atténue le dimorphisme de l’homme social, en engageant chaque individu devenu citoyen, à exercer son autonomie politique dans une participation active à la vie publique. Elle brise toute la fabulation qui consiste à légitimer la domination d’un chef en raison d’une prétendue nature supérieure (sang, race, lignée etc.), sans référence à une mythologie de la transcendance. La société naturelle défend le régime d’un seul contre tous (oligarchie, monarchie), alors que la démocratie proclame le gouvernement du peuple par lui-même. Une véritable démocratie reconnaît l’égale dignité de tous les hommes, et ne peut admettre en son sein des esclaves qui côtoient des hommes libres : elle se présente ainsi comme institution d’un corps politique de citoyens, et tend à l’accomplissement de tout homme au sein d’un espace fraternel.

    2Derrière ces reprises traditionnelles des grands axes de la pensée politique de la démocratie, la réflexion bergsonienne peut toutefois apparaître déroutante. D’abord, parce que l’analyse de la démocratie est traversée, chez Bergson, par tous les champs de la pensée philosophique (moral, politique, anthropologique, métaphysique) ; ensuite, parce que le souci du bien commun semble apparaître comme une prérogative exclusive des démocraties, ce qui en opacifie les ambiguïtés constitutives. Or, on cherchera en vain, dans les « Remarques Finales », la mobilisation d’une terminologie juridico-constitution-nelle (droit, souveraineté, constitution…) développée ou encore une réflexion soutenue sur l’art de gouverner, les modalités d’exercice du pouvoir, ou le fait majoritaire. La démocratie, dans le texte bergsonien, est-elle alors un simple signifiant flottant, vide, qui cristallise, dans le champ politique, toutes les intentions vertueuses et consensuelles ?

    3Le quatrième chapitre des Deux Sources propose une réponse très sérieuse à ce questionnement massif : ni vide, ni flottant, le signifiant « démocratie » est « vague2 ». Il possède un contenu, n’oscille pas entre plusieurs acceptions, mais ses traductions symbolique, dans le langage, et matérielle, dans les institutions, restent inadéquates. Le « vague » de la formule démocratique, qui suscite tant d’objections, vient en fait « de ce qu’on en a méconnu le caractère originellement religieux3», c’est-à-dire mystique. Ce qui se joue d’emblée, dans la caractérisation de cette conception politique qu’est la démocratie, c’est sa détermination comme problème anthropologique.

    4« Dans l’état d’âme démocratique [il y a] un grand effort en sens inverse de la nature4 » : la démocratie apparaît comme la contradiction réalisée d’une conception politique apolitique qui s’élabore sans référence à la nature naturée humaine et appréhende l’humanité, au sein même de l’espace intraspécifique, comme humanité créatrice. La démocratie réactive l’état d’âme religieux dynamique. Elle s’attache au respect des personnes humaines indépendamment de leurs appartenances, et son organisation est volonté d’actualisation de la fraternité universelle ; « ce qui permettrait de dire que la démocratie est d’essence évangélique, et qu’elle a pour moteur l’amour5 ». La démocratie trace la direction de tout ordre politique légitime, dont l’institution est soutenue par une axiologie : « Telle est la démocratie théorique. Elle proclame la liberté, réclame l’égalité, et réconcilie ces deux sœurs ennemies […], en mettant au-dessus de toute la fraternité6. »

    5L’inspiration évangélique de la démocratie ne signifie pas que l’État doit nourrir quelques prétentions au sacré ou que la foi chrétienne détermine la manière dont sont administrées les institutions politiques. Elle met en lumière les orientations profondes de la pensée de la démocratie chez Bergson : la démocratie est cette réalisation, inscrite dans l’horizontalité du politique, qui signe l’ouverture des sociétés. Elle est le nom de la création en politique.

    6Cette démocratie d’essence évangélique est une « démocratie théorique », qui s’exemplifie dans des intentions, mises à l’épreuve par les démocraties actualisées, mixtes, où les tendances à la clôture et à l’ouverture s’affrontent suivant un mouvement pendulaire. La métaphysique de la démocratie ne définit pas un art de gouverner, mais considère l’apparition de la démocratie, organisation politique antinaturelle, comme un événement anthropologique. C’est la traduction matérielle de ce « grand effort en sens inverse de la nature » qui ouvre une réflexion sur le pouvoir, les institutions, et les dysfonctionnements propres à la démocratie, comprise, cette fois, comme un régime, qui doit assumer, des contradictions internes.

    7C’est parce que l’intention démocratique est difficile à actualiser que l’humanité n’y est venue que « sur le tard7 ». Mais même si les démocraties historiques ne présentifient pas pleinement les intentions de la démocratie théorique, qui dessinent une direction et non pas un programme, l’avènement du régime démocratique en Occident constitue, pour Bergson, « le fait capital des temps modernes8 ». La démocratie est l’attestation empirique de la possibilité pour les sociétés humaines de s’ouvrir collectivement. Une transformation collective – et non plus seulement individuelle – des modes de vie intraspécifiques devient envisageable : l’homme tourne sa naturalité, sur un plan psychique et politique, en s’affirmant comme citoyen autonome, et sur un plan anthropologique, en proposant des « conditions nouvelles9 » de vie soutenant des processus émancipateurs d’autocréation.

    8Certes, ce que la démocratie cherche à tourner n’est jamais éradiqué. Les démocraties historiques, nées à l’époque moderne, comportent des tensions, des difficultés internes. Elles se présentent comme de nombreuses tentatives créatrices actualisant les intentions virtuelles de l’état d’âme évangélique, qui en constituent le fond : « Voilà donc la démocratie dans son essence. Il va sans dire qu’il y faut voir simplement un idéal, ou plutôt une direction où acheminer l’humanité10. »

    9Faut-il alors dire, comme Jacques Maritain dans Christianisme et démocratie, reprenant cette conception bergsonienne de l’essence démocratique, que les démocraties politiques sont des démocraties manquées11 ? Une telle approche rate la constitution même du fait démocratique. Les démocraties sont toujours des marches en avant, plus ou moins créatrices. Ce qui les caractérise, ce n’est pas leur conformité à un idéal mais le degré de tension créatrice qu’elles actualisent. D’un point de vue politique, la démocratie comme régime historique des sociétés mixtes possède un caractère agonistique. Si l’intention démocratique va dans le sens de l’ouverture, l’espace démocratique est celui d’une lutte incessante entre deux tendances, sans résolution finale : « les tendances de la société close [subsistent], indéracinables, dans la société qui s’ouvre12 ». Cette lutte trouve sa raison dans l’anthropologie bergsonienne, mais aussi dans la constitution interne du régime démocratique qui imprime aux modes d’organisations statiques de l’espace politique une intention qui les détourne de leur fonction première, à savoir assurer un ordre et une fixité sociale justifiés par des mythes fondationnels13.

    10C’est pourquoi la démocratie politique est caractérisée de deux manières chez Bergson, dynamiquement comme politique de résistance sociale et institutionnellement (statiquement14) comme régime. Toute démocratie naît d’une « protestation »15. Protestation sociale contre une souffrance de fait, morale ou physique, qui s’exprime à travers une volonté de rejeter, de renverser, d’empêcher16. Cette volonté de renversement, traduite d’abord négativement, n’a de valeur démocratique que si elle a pour origine un élan de création, qu’il est difficile de transposer en formules positives17. Si la protestation démocratique sait contre quoi elle s’élève (mythe de la supériorité native, logiques d’appartenances légitimant le meurtre, misères sociales etc.), son élan n’indique pas ce qu’il faut faire : ses intentions virtuelles ne disent rien d’elles-mêmes tant qu’elles ne sont pas actualisées. À ce titre, la démocratie apparaît d’abord comme un mode de subjectivation qui est celui d’une « protestation » et dont les formes restent indéterminées ; mais en tant que cette protestation est grosse de virtualités multiples, elle tend à se matérialiser, prenant corps dans des institutions, des doctrines politiques, des modalités d’exercice du pouvoir et de participations citoyennes qui sont autant de reprises créatrices répondant à un problème vital.

    11La traduction en formules positives, doctrinaires ou institutionnelles, d’un état d’âme de nature évangélique reste toujours inadéquate, mais est nécessaire, d’un point de vue pratique, pour permettre son application. Cette traduction menace de transposer l’état d’âme démocratique, qui est mystique, à l’intérieur de principes statiques relatifs qui peuvent ou simplement l’affaiblir considérablement, ou alors le travestir. Comme le montre Bergson, en guise d’exemple, le concept d’intérêt général est une traduction relative et philosophique de l’amour fraternel, absolu, qui ne met pas les démocraties à l’abri « d’une incurvation [de l’intérêt général] dans le sens des intérêts particuliers18 ».

    12La difficulté à traduire et à diffuser l’élan fraternel qui origine toute volonté démocratique, en formules positives qui indiquent strictement ce qu’il faut faire, trouve sa raison dans la métaphysique de la création sur laquelle repose la théorie bergsonienne de la démocratie. La démocratie politique se construit sur une tension entre sa matérialisation comme régime se spécifiant à l’intérieur d’institutions, de modalités d’exercice du pouvoir relatives à une conception précise de la souveraineté, de politique gestionnaire des hommes et des choses orientée par une réflexion sur le bien commun, et son élan, qui est exigence de création, prenant d’abord la forme interhumaine d’une politique de résistance. Cette tension constitutive est liée à la nature créatrice de la démocratie. Aussi est-elle à l’origine de dysfonctionnements qui lui sont potentiellement consubstantiels.

    13On peut en dénombrer plusieurs, dans la pensée de Bergson. Le développement de la démocratie constitue un progrès politique et moral au sein des sociétés humaines, mais ce progrès n’est pas une marche continue. Après chaque transformation, « se referme le cercle momentanément ouvert. Une partie du nouveau s’est coulée dans le moule de l’ancien»19. La démocratie, une fois matérialisée comme régime, ou doctrine etc., est toujours menacée par l’oubli de ce qui l’origine. La résurgence d’une tendance à la clôture est compatible avec ce qui a constitué une transformation politique et sociale. La rhétorique abstraite de l’intérêt général, traduisant l’élan fraternel, masque parfois des stratégies de généralisation de l’intérêt particulier : un dirigeant dira que ce qui est bon pour lui est bon pour le peuple, ouvrant la voie à l’oppression et à une captation du bien public par des intérêts privés. La matérialisation de l’élan démocratique intègre, dans son procès même, la possibilité de dérives oligarchiques.

    14La démocratie politique est, par conséquent, toujours prise au cœur d’une tension entre ce qu’elle est intentionnellement, virtuellement, et son actualisation effective dans un corps rigide d’institutions et de règles, qu’il faudra compliquer20 pour éviter les dérives et la confiscation des rouages de l’État par des intérêts privés. Elle devra ainsi procéder à des créations avec ce qui est fixe, statique, et déjà existant dans une société. Cette tension prend un tour particulier dans les grandes nations – agrandissement pour lequel les hommes ne sont naturellement pas préparés chez Bergson – car elle induit la délégation du principe de souveraineté populaire à des représentants, dans un régime parlementaire. Cette actualisation de l’élan fraternel gros de promesses à l’intérieur d’une forme représentative du pouvoir, fait que toute démocratie politique produit un mécontentement21 que sa forme parlementaire avait pour fonction de canaliser22. Mécontentement dont la logique est assez binaire : les gouvernants élus sont représentés comme ceux qui dévoient l’idéal, par conséquent, les principes, purs et inaltérés, ne peuvent trôner que dans l’opposition23. C’est parce qu’elle est fabrique d’un « mécontentement » qui apparaît « congénital » que la démocratie, et particulièrement le parlementarisme, ont suscité de nombreuses objections et attaques soutenus par un esprit de clôture24.

    15Cette tension démocratique naît du hiatus entre l’exigence de création qui l’origine et sa traduction effective dans des règles et des formes de pouvoir relatives. Ce hiatus n’invite pas seulement à questionner les formes représentatives du pouvoir : il souligne aussi le problème de l’articulation entre des expressions de protestations, qui donnent naissance à l’esprit démocratique, et des réalisations positives d’ordre juridico-politique et gestionnaire. Faudra-t-il dire que la vérité de la démocratie s’incarne dans un élan de protestation ? Chez Bergson, la démocratie ne se réduit pas exclusivement à une politique de résistance, en ce que toute protestation n’est pas pure négativité, mais est porteuse de virtualités multiples qui attendent leur actualisation dans des propositions positives effectives. La conception politique de la démocratie tient tout autant d’une politique de résistance sociale que de son actualisation institutionnelle25, en vertu du processus créateur qu’elle présentifie : cette contradiction apparente explique pourquoi la démocratie n’est jamais livrée toute faite, mais se conçoit comme processus de création successif. Ces tensions internes à la démocratie s’explicitent, in fine, à partir de la métaphysique de la création qui sous-tend la pensée de la démocratie : le mouvement d’actualisation implique le découpage d’une matière, qui, dans l’ordre sociopolitique, lui préexiste et n’est pas donnée solidairement avec lui26.

    16Ces différents dysfonctionnements appellent chez Bergson des remarques éparses sur les difficultés de l’art de gouverner en démocratie, qui laissent parfois l’impression de simples commentaires ou opinions sur l’actualité politique de son temps. Si les dirigeants cristallisent aisément le mécontentement, ils sont aussi nombreux à diriger médiocrement, en raison de l’agrandissement des sociétés et des problèmes qu’elles font apparaître : « l’art de gouverner un grand peuple est le seul pour lequel il n’y ait pas de technique préparatoire27 » – l’art de diriger un peuple exigeant surtout du bon sens, un esprit de pénétration, dont l’absence est à l’origine de nombreuses erreurs politiques. Ces quelques propos laissent entrevoir, dans le texte bergsonien, une certaine sacralisation du grand homme d’État28, repliant les questions techniques relatives à l’art de gouverner sur une philosophie des grands hommes, qui n’exclut cependant pas les expressions créatrices des mobilisations citoyennes.

    17Cependant, on pourra souligner une faiblesse des « Remarques finales » : en insistant sur la démocratie comme événement anthropologique, la réflexion laisse peu de place à l’analyse de concepts ou de problèmes classiques de la philosophie politique, comme ceux de souveraineté, de pouvoir, ou même d’État, particulièrement dans son rapport avec la société et les citoyens.

    L’État démocratique

    18Les pages qui sont consacrées à la question de l’État, peu nombreuses29, abordent le problème de son rôle, non pas au sein d’une théorie globale de l’État démocratique, mais à partir de l’analyse de cas spéciaux (problème de la surpopulation, commerce extérieur, relations internationales etc.). L’absence d’une telle approche théorique globale, plutôt que de souligner les faiblesses de la pensée politique de Bergson, qu’on exhiberait trop hâtivement, met en lumière ses orientations spécifiques, qui avant d’être juridiques et économiques, sont d’abord anthropologiques. La pensée politique bergsonienne peut être appréhendée comme philosophie non en ce qu’elle viserait à surplomber systématiquement les domaines multiples de l’expérience, mais en ce qu’elle répond à un problème dont les solutions mobilisent les découvertes de la métaphysique de la création.

    19De là, la nature des réflexions politiques de Bergson ainsi que la place qu’elles accordent aux questions de l’État et de son pouvoir en démocratie se comprennent de deux manières.

    20D’abord, la critique de l’esprit de système peut être reconduite pour les analyses philosophiques ayant pour objet le monde social humain et son organisation politique. L’enjeu de la pensée politique bergsonienne consiste à élaborer des propositions positives pour contrer les effets d’une nature humaine indéracinable et empêcher l’inversion du mouvement vital en force de mort, en favorisant les conditions de propagation de l’élan mystique. Elle réclame ainsi une efficacité pratique. Mais surtout, ces propositions prennent corps dans une pensée de la démocratie conçue comme actualisation d’un progrès politique réel. Parce que la démocratie est un lieu de création, qui s’incarne tout autant dans une protestation sociale affirmant les droits inviolables de la personne humaine que dans des formes institutionnelles, une théorie politique ne peut statuer une fois pour toute sur la fonction de l’État dont les prérogatives sont à réinventer en fonction des situations concrètes vécues par les collectivités humaines. La démocratie exige de « [créer] des situations nouvelles30» : les réponses institutionnelles qui incarnent le mouvement d’ouverture et la place qu’elles attribuent à la participation des citoyens à la décision publique sont des réponses créées hic et nunc, à partir de problèmes qu’il est possible d’anticiper, mais qui restent relatifs à une histoire, à une géographie, à un contexte. Pas de théorie globale de la démocratie ni de l’État, une philosophie de l’ouverture n’aura pour dessein que la description minimale d’orientations politiques résistant à la clôture. Et un État en démocratie devra actualiser pleinement ces orientations qui n’en épuisent ni la forme, ni les possibles complications. Le tâtonnement, l’expérimentation même, sont le propre des orientations politiques ouvertes. Loin de s’apparenter à quelques signes d’indécision ou de faiblesse, elles expriment un certain rythme de création.

    21Ensuite, on pourra mieux saisir la nature de la pensée politique bergsonienne, notamment de l’État démocratique, en la réintégrant dans les développements anthropologiques de L’Évolution créatrice et des Deux Sources. Le rôle de l’État démocratique est pensé non seulement à partir d’eux, mais aussi à partir des problèmes sociaux et économiques qui sont ceux des sociétés industrielles occidentales dans la première moitié du xxe siècle. Ce n’est ni la question de la nature, ni celle de l’origine de l’État qui inquiètent Bergson, mais celle de son rôle dans une démocratie – rôle dont la spécification minimale requiert les analyses de la philosophie sociale et, plus globalement, de l’anthropologie métaphysique. À ce titre, la question du rôle de l’État et des modalités de son pouvoir, en démocratie, couvriront deux directions qui s’énoncent simplement comme suit : libérer l’homme de la matière31, empêcher la guerre32. L’État démocratique se conçoit comme force publique et comme instance redistributrice légitimes.

    22D’où l’État démocratique tire-t-il une telle légitimité ? Bergson ne propose pas de réflexion sur le suffrage universel et le fait majoritaire ou sur le dire et la prise de parole en démocratie ; il ne thématise pas non plus la question d’un espace public où les citoyens peuvent prendre part activement aux décisions.

    23La question de la citoyenneté, par ailleurs, circonscrite exclusivement à la sphère démocratique, est d’abord appréhendée à travers le prisme d’un « homme idéal », qui aurait transcendé, en un sens, son animalité politique. Le citoyen présentifie un contre-modèle psychique au dimorphisme humain comme le laisse suggérer Jean-Christophe Goddard33 : « [La démocratie] attribue à l’homme des droits inviolables. Ces droits, pour rester inviolés, exigent de la part de tous une fidélité inaltérable au devoir. Elle prend donc pour matière un homme idéal, respectueux des autres comme de lui-même, s’insérant dans des obligations qu’il tient pour absolues, coïncidant si bien avec cet absolu qu’on ne peut plus dire si c’est le devoir qui confère le droit ou le droit qui impose le devoir34. »

    24Le citoyen en démocratie est à la fois « législateur et sujet ». Bergson, reprenant la troisième formulation de l’impératif catégorique kantien, appréhende la souveraineté du peuple à travers le processus d’autonomisation de l’individu. Le citoyen instaure la loi, absolue, qui ne s’identifie aucunement aux règles morales relatives qui structurent l’ordre social et dont la transposition juridico-politique fait de la coutume le fondement du droit. Le citoyen respecte ce qu’il instaure, absolument : il est sujet, et même sujet libre, en ce qu’il obéit à des lois qu’il s’est lui-même prescrites. Les orientations de cette approche de la citoyenneté en démocratie, exemplification d’une humanité idéale qui en est la « matière », n’excluent pas une pensée des rapports interhumains sur un modèle autogestionnaire. Cette « humanité idéale » peut tout-à-fait s’organiser sans en passer par une autorité verticale contraignante.

    25Or, c’est peut-être proprement dans cette distance entre l’intention de la démocratie théorique, dont la matière est l’humanité idéale, et les démocraties actualisées de manière effective, dont la matière reste celle d’un homme tiraillé par sa double nature, que s’introduit le problème de l’État comme autorité souveraine, s’affirmant à travers le pouvoir de contraindre un peuple donné, sur un territoire donné, de façon légitime. L’espace que l’État doit administrer n’est pas une société d’hommes idéaux, mais une organisation traversée par des tendances antagonistes. L’analyse de l’État démocratique, telle qu’elle survient dans les « Remarques finales », répond ainsi à deux problèmes : 1/ Quelle fonction minimale doit assurer l’État dans une démocratie ? ; 2/ Comment l’État démocratique participe-t-il à cette rénovation morale, qui constitue un progrès sur le plan social et politique ?

    26On pourra très vite noter, avant de revenir à l’analyse du quatrième chapitre des Deux Sources, que le problème du rôle de l’État a évolué dans la pensée de Bergson, à partir de la prise en compte des développements de la société industrielle et de ses effets économiques et sociaux. Dans un texte, notamment, un rapport de la Fondation Carnot de 1902 chargé d’indiquer comment les veuves du milieu ouvrier doivent être soutenues et aidées35, la solution à la misère ne conduit pas à une réflexion sur les prérogatives d’un État redistributeur. Dans les Deux Sources, les questions de la justice et du rôle de l’État évoluent. Une démocratie véritable, c’est-à-dire ouverte, devra ainsi tout autant assurer la garantie des droits politiques que la satisfaction des besoins sociaux. Ces deux orientations, humaine et politico-juridique, impliquent une reprise du problème de l’État.

    27Trois pages sont consacrées à cette reprise dans les « Remarques finales », où Bergson définit deux fonctions minimales de l’État, dans un système démocratique ouvert. La fin de l’action de l’État dépasse le simple entretien de la vie. Contre les tendances de la société close où le pouvoir de l’État est celui d’un chef charismatique ou d’un clan, possédant le droit de vie et de mort sur les êtres, l’autorité souveraine, en démocratie, ne s’exprime pas dans le pouvoir de donner la mort36, mais dans celui de forger concrètement les conditions de déploiement et d’actualisation des virtualités créatrices de toute vie humaine.

    28Les prérogatives de l’État démocratique, en dehors des deux orientations proposées par Bergson, sont appréhendées de manière très contextualisée, à travers différents problèmes : celui de la surpopulation, de l’industrie, du développement de l’économie capitaliste et de la naissance de la classe ouvrière. Ces différents problèmes convergeant tous vers celui de la guerre37, en tant qu’ils aboutissent à la réactivation de l’instinct politique originel.

    29Pour Bergson, la surpopulation, le développement de l’industrie et du machinisme soutenus par une économie capitaliste dont le principe est l’accumulation sont à l’origine de maux sociaux et économiques, qui alimentent la protestation sociale et qui sont susceptibles de nourrir des troubles entre États à l’échelle internationale. Le sort des ouvriers dépend des fluctuations de l’économie marchande et de la circulation des capitaux entre États, entraînant, en cas de crise, « la perte de débouchés » pour les marchandises38, et par suite, des phénomènes de paupérisation de masse. Loin des théories du doux commerce, les transactions économiques internationales, en tant qu’elles ont des effets directs sur le niveau de vie des populations, et le besoin d’accumulation des richesses39 alimentent les velléités expansionnistes ou des états de crise qui conduisent inévitablement à la guerre.

    30Face à ces maux de la société industrielle qui orientent les collectivités humaines vers la clôture, l’État démocratique doit intervenir. Par exemple, contre la surpopulation, Bergson envisage que l’État puisse mener une politique d’intervention sur la natalité quasi malthusienne : l’État doit pousser à l’accroissement de la population dans des pays de faible natalité, en donnant une prime aux familles ayant tel nombre d’enfants40. De même, contre la surpopulation, l’État peut « frapper de taxes plus ou moins lourdes l’enfant en excédent41 ». Cette taxe, qui ne semble pas aller dans le sens de la justice sociale, montre que le rôle de l’État, dans une démocratie ouverte, s’il est de favoriser le respect des individualités humaines, est aussi de mener une politique globale à l’échelle nationale. Cet interventionnisme n’est pas liberticide pour Bergson, en ce qu’il est censé répondre à des besoins sociaux reconnus comme légitimes42.

    31De la même manière, l’État, pour empêcher les catastrophes liées à l’accumulation en économie marchande et au développement de l’industrie, doit, aux côtés d’une politique interventionniste en matière de peuplement, préconiser la rationalisation et la réglementation de la production industrielle43, et mener une politique agricole. La critique bergsonienne de l’accumulation en économie marchande n’invite pas à changer de système de production44. C’est la réglementation de la production industrielle, effectuée par un État démocratique incarnant un idéal d’ouverture, qui doit, concrètement, empêcher les effets belligènes et les problèmes sociaux entraînés par le développement frénétique du luxe : cette réglementation devra être l’objet d’une politique nationale mais aussi internationale45 engageant le sens véritable de la démocratie. En effet, comme le montre Bergson, le « souffle démocratique [a poussé] en avant l’esprit d’invention46», au xviiie siècle, souhaitant non pas le « luxe pour tous », mais au moins « l’existence matérielle assurée, la dignité dans la sécurité » pour toutes les existences humaines, sans exception. À ce titre, la distinction bergsonienne entre la recherche effrénée du luxe et le retour à la vie simple, avant de spécifier les conditions d’une vie éthique, admet un sens politique : elle pose très concrètement, en deçà des réflexions sur la destination métaphysique de l’homme, le problème des rapports sociaux causés par l’inversion des rapports du capital et du travail47 et l’éclosion d’une misère sociale au sein d’un système de production industriel qui ne rend plus de « services à l’humanité48 » et dont la finalité est l’accumulation49.

    32Cette politique intérieure se prolonge, de fait, dans un projet cosmopolitique. Les orientations ouvertes des politiques nationales doivent être renforcées par une politique extérieure, appelant la mise en place d’un « organisme international50». L’instauration d’une paix durable et définitive ne peut être menée par des États isolés, mais doit être prise en charge par un État de droit international qui, en fonction d’accords interétatiques, reconnaît comme légitime l’intervention dans la politique d’un État, maltraitant la souveraineté des Etats-Nations : « C’est une erreur dangereuse que de croire qu’un organisme international obtiendra la paix définitive sans intervenir, d’autorité, dans la législation des divers pays et peut-être même dans leur administration. Qu’on maintienne le principe de la souveraineté de l’État, si l’on veut : il fléchira nécessairement dans son application aux cas particuliers51. » Sur l’interventionnisme supposé légitime d’une organisation internationale, Bergson reste allusif : cette remarque stipule simplement que la conception de l’État comme puissance contraignante sur un territoire donné et possédant, à ce titre, le « monopole de la violence légitime », peut être reconduite de façon pertinente pour penser une politique ouverte à l’échelle internationale. Ces propos ouvrent en tout cas une réflexion qui sera menée à la fin du xxe siècle sur la légitimité d’un droit et d’un devoir d’« ingérence » avec tous les problèmes qu’elle soulève d’un point de vue certes juridique et politique, mais aussi culturel52.

    33La thématisation du rôle de l’État, dans les « Remarques finales », souligne les difficultés rencontrées par une politique qui cherche à ouvrir ce qui était clos. La démocratie politique implique la souveraineté du peuple, cependant sa matière n’est pas un homme idéal, mais un animal politique au psychisme dimorphique ! La démocratie ne peut se passer de la médiation d’un État, comme puissance contraignante, qui a le pouvoir d’intervenir, légitimement, pour empêcher les velléités dominatrices et belligènes qui se manifestent au sein des sociétés humaines.

    34Les développements qui concernent le rôle de l’État en démocratie et son lien avec une société civile réelle, non idéale, restent trop courts et engageraient des études précises sur les outils institutionnels de contrôle et de limitation53 du pouvoir de l’État, ou encore sur les modalités de participation des citoyens à la décision publique. On sait que, pour Bergson, les solutions politiques réelles ne sont pas données dans un ensemble de formules pétrifiées, mais supposent un effort de création constant exigeant des mobilisations plurielles (des citoyens, des dirigeants)54. Une politique ouverte ne peut proposer qu’une description minimale des fonctions que doit remplir un État en démocratie, la pleine définition de son rôle se constituant relativement aux situations concrètes rencontrées par une société donnée. Le texte de Bergson laisse ainsi pleinement ouverte la possibilité d’envisager des expérimentations démocratiques plurielles ne tirant pas nécessairement leurs références des révolutions françaises et américaines55, mais actualisant nouvellement les virtualités créatrices des sociétés humaines.

    Les deux sens de la justice

    35Le critère à partir duquel on peut déterminer si l’action d’un État est légitime est la conformité de son action au principe des droits de l’homme. La fraternité universelle n’est pas une simple affirmation de valeurs, elle doit aussi être consolidée à l’intérieur de réglementations, de lois, pour être applicable positivement. Si la loi défendant les droits de l’homme limite l’action de l’État, elle lui permet aussi d’incarner institutionnellement son esprit en orientant ses actions. C’est ainsi à partir d’une affirmation des droits de l’homme à la fois comme valeur et comme principes juridiques que se constitue la théorie bergsonienne de la justice dans le chapitre I des Deux Sources.

    36Cette théorie de la justice se développe suivant deux axes. Elle pose, dans un premier temps, une distinction entre deux justices, une justice relative et une justice absolue. Elle s’attache, dans un deuxième temps, à décrire les conditions concrètes d’exercice d’une justice absolue.

    37L’opposition entre les deux justices, dans le chapitre I, part du constat que la justice est d’abord une « notion morale56 ». De la même manière que la morale, la justice possède deux sources. Il existe une justice, sociale et relative, dont la tâche est de maintenir l’ordre en instaurant des règles fixes, et de sanctionner toute infraction à ces règles. À côté de cette justice, il en existe une deuxième, absolue et humaine, qui se sert de la loi comme instrument de son exercice.

    38La première justice est une justice héritée des premières petites sociétés humaines établissant des règles pour le troc ou tout autre type d’échange. Elle garde les mêmes traits dans les sociétés agrandies : elle doit régler les échanges entre les hommes. Cette justice « naturelle » s’exprime en termes mathématiques. Sa tâche est d’attribuer à chacun ce qui lui est dû ; son symbole est la balance.

    39L’égalité, au principe de cette justice relative, porte sur un rapport et établit des proportions57. Elle institue des rapports selon lesquels ce qui est dû à chacun doit être strictement équivalent, en fonction de la nature des actes commis : « Œil pour œil, dent pour dent, le dommage subi devra toujours être égal au dommage causé58. » Cette égalité prend aussi la forme d’une proportion ; les rapports d’équivalence entre les dommages et les peines ne sont pas les mêmes en fonction de la place occupée par l’individu dans la hiérarchie sociale : « le même dommage subi, la même offense reçue, appellera une compensation plus forte ou réclamera une peine plus grave si la victime appartenait à une classe plus haute59. » La loi du Talion, pour Bergson, exemplifie cette justice naturelle et relative qui, tout en réglant les échanges entre les hommes, participe à la fixation des hiérarchies qui structurent l’ordre social, et les légitime. Une sanction ne répare pas une injustice, mais punit une infraction à l’ordre social, en réaffirmant l’autorité de ceux qui dirigent. Cette justice particulière tire son caractère impérieux de la force, mais aussi de l’habitude, cristallisée dans des coutumes.

    40À cette justice sociale et relative, s’oppose une autre justice, humaine et absolue. Entre ces deux justices, la différence n’est pas de degrés, mais de nature. L’une établit des proportions attribuant à chacun ce qui lui est dû en fonction de son rôle et de sa classe sociale60, l’autre se présente comme « l’affirmation pure et simple du droit inviolable, et de l’incommensurabilité de la personne avec toutes les valeurs61 ». Le passage d’une justice relative à une justice absolue ne se fait pas par voie d’agrandissement62, mais par création. On passe par saut brusque de la justice de la balance à une justice absolue, d’inspiration mystique, dont les droits de l’homme sont l’incarnation historique63. La justice des droits de l’homme est cette justice qui, transcendant les « origines mercantiles64 » des justices relatives, impose la dignité absolue de la personne.

    41Le fondement de la justice des droits de l’homme est métaphysique, en tant qu’elle est l’expression, au cœur des cités humaines, d’un rebond de l’élan vital. Cette réflexion rompt avec la tradition de la philosophie politique moderne du droit naturel. Les droits de l’homme ne sont pas des droits fondés sur une nature humaine prépolitique, qui n’existe pas chez Bergson. Leur fondement n’est pas une métaphysique de la personne, mais de la vie. On ne trouvera donc pas de référence à la loi naturelle fondée en Dieu ou sur la raison, dans le texte de Bergson. La légitimité des droits de l’homme vient de ce qu’ils sont l’expression de la vie créatrice, par laquelle l’homme se libère et réalise sa destination. Les droits de l’homme invitent l’homme à passer d’une nature à une autre au sein même de l’espace politique.

    42Quelle est la valeur des droits de l’homme ? Ils possèdent, dans la philosophie de Bergson, un double statut, symbolique et juridique. Ils affirment l’ouverture et la fraternité universelle. Mais ils requièrent la loi, comprise comme versant objectif et impératif du droit. C’est à la loi positive qu’il revient de déterminer, au-delà de leur simple déclaration, les conditions d’exercice de tels droits. L’application des Droits de l’Homme suppose une circulation constante entre les lois qui structurent l’ordre social et l’esprit qui anime l’ouverture : « ... dans ce qu’elle a de positif, [la justice des Droits de l’Homme] procède par des créations successives, dont chacune est une réalisation plus complète de la personnalité, et par conséquent de l’humanité. Cette réalisation n’est possible que par l’intermédiaire des lois ; elle implique le consentement de la société65. » L’ouverture des sociétés implique la rupture progressive de l’écart entre le droit et la morale, entre le particulier de la loi positive, et l’universalité de l’élan de la morale ouverte. Rupture progressive qui ne peut se faire qu’avec le consentement de la société. Cependant, pour être efficace et ne pas s’identifier à une approche moralisante la condamnant à n’être qu’expression de bons sentiments, elle doit faire corps avec une loi qui en consacre l’application effective. Ainsi, d’un point de vue politique et juridique, les démocraties doivent exiger une réglementation inscrivant dans le particulier de la loi la défense de la « fraternité universelle », de « l’égalité des droits », de « l’inviolabilité de la personne66 ».

    43La réflexion sur la justice, chez Bergson, ne consiste donc pas à se demander dans quelle mesure la morale est hors la loi, elle reste étrangère aux positions du positivisme juridique. Cette réflexion consiste bien plutôt à se demander dans quelle mesure la loi peut être l’auxiliaire d’un certain programme de rénovation morale. Certes la loi protégeant les droits de l’homme s’exprimera toujours au sein d’une tension entre sa forme et son contenu67 – la forme étant déterminée par le particulier, le contenu par l’universel. Mais, cette tension va dans le sens d’une ouverture68.

    44En rénovant le contenu de la loi, devenue condition d’exercice des droits de l’homme, Bergson procède en un sens au sacre de la loi, en tant qu’elle impose le respect des droits humains, et se présente comme un rempart contre toutes les formes de despotisme et comme un refus du sacrifice de l’individu à l’État. Cependant, le texte de Bergson n’apparaît pas très explicite concernant les dérives possibles de la loi positive. Si le rôle des lois dans une société démocratique qui s’ouvre est de protéger et de déterminer les conditions d’exercice des droits humains, quelle attitude adopter face aux dérives de la loi ? La menace contre les droits humains n’a rien d’étranger aux démocraties politiques : l’application des droits de l’homme suppose une insertion dans le particulier de la loi, dont une des prérogatives reste le maintien de l’ordre social. Existe-t-il alors quelque chose comme la conceptualisation d’un droit de résistance chez Bergson ?

    45On ne trouve pas de thématisation d’un tel droit chez Bergson. Il est cependant possible d’apporter quelques éléments de réponse, de manière prudente. D’abord, en reconnaissant que les différentes déclarations des droits de l’homme69 sont des progrès, Bergson admet, implicitement, la légitimité d’une volonté politique de résistance à l’oppression – politique de résistance qui est, comme on le sait, l’acte de naissance de la démocratie, de l’expérience démocratique chez Bergson. Elle est inscrite dans l’article deux70 de la déclaration de 1789 et Bergson le dit lui-même : « Chacune des phrases de la Déclaration des droits de l’homme est un défi jeté à un abus. Il s’agissait d’en finir avec des souffrances intolérables71. » Il existe un « intolérable », qui, de fait, donne droit à l’expression concrète d’un refus. Les droits de l’homme sont en eux-mêmes une pensée de protestation. Bergson ne précise pas le sens de cette pensée de protestation : s’agit-il de la conceptualisation d’un droit de désobéissance ? Ou d’un droit de révolte ?

    46Ensuite, en concevant l’irruption des droits de l’homme comme un saut brusque, Bergson affirme que le sens du progrès moral et politique est celui d’une « [transformation] radicale »72 de la société, portée par un élan mystique. La résistance à la clôture apparaît légitime en ce qu’elle manifeste une intention allant en sens inverse de la nature.

    47Cependant, Bergson ne dit pas quels seraient les critères légitimant un tel droit à la résistance – droit qui, dans tous les cas, ne peut être confondu ni avec une exaltation de la violence ni avec un bouleversement révolutionnaire appelant à la réalisation d’une société idéale prédéfinie. Cette question, Philippe Soulez la pose dans son livre Bergson Politique, se demandant « si, devant une crise sociale ou politique de grande ampleur, Bergson préférerait le désordre à l’injustice73 ». Que permet effectivement la pensée bergsonienne des droits de l’homme ?

    48L’analyse de la Révolution française de 1789, faite par Bergson, en laissant tout autant la place à l’affirmation généreuse des principes humains et fraternels qu’à l’évocation de la terreur74 montre qu’une révolution légitime peut produire ses catastrophes illégitimes, poussant l’ouverture au-delà de ce à quoi la société pouvait, peut-être, consentir75. Le risque porté par toute volonté de résistance est ainsi le passage de l’affirmation d’un élan de création à l’exaltation frénétique d’une puissance de destruction.

    49De plus si la pensée des droits de l’homme est une pensée de protestation, son inscription dans la loi, posant les conditions positives de son application, constitue un ordre – ordre qui devra peut-être être bouleversé par de nouvelles créations mais qui reste la condition minimale d’applicabilité des principes. Le nouvel ordre social créé, s’il est arrêt d’un mouvement d’ouverture, est aussi une actualisation constituant un progrès social et politique.

    50Ces dernières interrogations pointent une absence dans la philosophie politique de Bergson. Si on peut affirmer que, pour Bergson, le progrès politique est préférable à la clôture, et qu’il existe des souffrances intolérables, l’auteur ne thématise pas un droit légitime à la résistance dans des situations d’injustice.

    Luxe et simplicité

    51En affirmant un droit inviolable et l’incommensurabilité de la personne à toutes les valeurs, la philosophie des droits de l’homme dépasse le simple domaine politique et juridique en renouant avec l’anthropologie métaphysique. La protection des droits humains par la loi doit empêcher les souffrances intolérables qui diminuent la vie humaine et la précarisent. Mais, la philosophie des droits de l’homme, en garantissant la possibilité pour l’être humain de persévérer dans l’existence, dépasse la simple sphère biologique. La justice doit garantir l’égal accès de tous les hommes à des conditions d’existence permettant l’actualisation des virtualités créatrices de leur vie. Ce point constitue l’horizon indépassable de toute justice complète et véritable.

    52Ainsi, la fin des « Remarques finales » qui suggère un retour à la vie simple doit être interprétée en un double sens politique et métaphysique. Le retour à la vie simple préconisé par Bergson n’a rien d’une prise de position moralisatrice méprisant le corps. D’un point de vue politique, il définit les orientations d’une vie démocratique ainsi que les axes d’une justice sociale qui doit veiller à ce que les besoins sociaux primordiaux soient satisfaits. D’un point de vue métaphysique, ce retour à la simplicité met en lumière la vérité de la personne humaine, qui, loin d’être « vouée à une matérialité croissante76 », est avant tout une singularité spirituelle originale et créatrice.

    53La question du retour à la vie simple se pose au cœur de l’analyse de la société industrielle, dans le chapitre IV. Cette analyse, politique, pointe les contradictions et les dérives de cette société : le besoin effréné de luxe côtoie l’impossibilité pour certains hommes de satisfaire leurs besoins vitaux nécessaires77. Ce contraste constitue une injustice qui doit être corrigée par l’État : « On voudrait, ici comme ailleurs, une pensée centrale, organisatrice, qui coordonnât l’industrie à l’agriculture et assignât aux machines leur place rationnelle, celle où elles peuvent rendre le plus de services à l’humanité78. » L’action redistributrice de l’État doit réorienter, au moyen de la « réglementation79 », la production industrielle dans le sens de la satisfaction des besoins sociaux contre l’accumulation et le désir frénétique d’enrichissement matériel80 qui alimente les inégalités de classe.

    54Cette justice sociale, qui empêche les effets néfastes de l’industrialisme, est dominée par une conception plus haute de la justice, dans la philosophie de Bergson. Libérer les hommes des contraintes et des besoins matériels – ce que le développement industriel rend possible si son mouvement est correctement orienté – doit, dit Bergson, « permettre à l’homme de “se redresser” et de “regarder” vers le ciel81 ». La fin dernière de la justice, au-delà de ses expressions sociale et politique, est métaphysique. La justice, en ses deux premiers sens, doit empêcher la persistance de rapports de domination entre les hommes82, mais cette visée est soutenue par une portée métaphysique plus profonde, qui consiste à faire de chaque existence humaine une « existence complète83 ».

    55Le sens du retour à la vie simple apparaît explicite. Politiquement et socialement, il réclame des organisations politiques interventionnistes permettant aux hommes de s’affranchir des besoins matériels. Ce sens social et politique est traversé par une conception profonde de la justice et de la vie humaine, révélées par la métaphysique de la vie créatrice. La justice, en effet, quel que soit son domaine de spécification, possède un caractère impérieux, elle renvoie à l’ordre de l’obligation. D’un point de vue métaphysique, elle renvoie à l’ordre de « l’obligation suprême84» : le respect de toute vie est la condition à partir de laquelle un être humain peut obéir à ce qui l’oblige suprêmement, à savoir, l’exigence immanente de création qui sourd dans son existence. La dimension impérieuse de toute justice dans un État démocratique découle, in fine, d’un ordre surhumain, qui assigne une tâche au processus d’ouverture sociopolitique : permettre à chaque individualité créatrice de se réaliser comme personne.

    56La politique apparaît comme ce moyen, dans la philosophie de Bergson, d’orienter collectivement et librement l’humanité vers sa destination métaphysique. Elle propose une solution par le bas, quand le mystique, dans son individualité, dépasse les difficultés liées à l’animalité humaine, par le haut.

    57Le mouvement politique d’ouverture s’accompagne d’une nécessaire réaffirmation de valeurs. L’existence humaine est aliénée quand elle est rivée à la matérialité, quand elle se laisse absorber et consumer par « des hochets qui [l’] amusent et des mirages autour desquels [elle se bat]85 ». La pléonexie, le désir de bien-être, de luxe et d’accumulation des richesses suscités par le développement du machinisme et de l’économie marchande constituent, à l’ère industrielle, de vrais divertissements86 en un sens pascalien : ils détournent l’attention humaine, hypnotisée par les plaisirs matériels, du sens véritable d’une vie complète, qui n’est plus subjuguée par son objectivation artefactuelle. Le retour à la vie simple définit une visée éthique démocratique : celle d’un détachement collectif, qui, sans créer nécessairement de nouvelles personnalités exceptionnelles (mystiques ou artistes), doit permettre « de pousser plus loin la culture intellectuelle et de développer les vraies originalités87 », soit de se créer soi-même.

    L’« optimisme tragique » : ouverture, progrès, catastrophe

    58L’ouverture permet de concevoir un « progrès » moral et politique, qui la spécifie doublement, de manière non contradictoire, comme orientation et comme imprévisibilité. Une compréhension de l’ouverture purement factuelle renvoyant à l’extension mondialisée du développement technique et du commerce est ainsi dépassée. L’ouverture ne peut être comprise comme un simple élargissement des moyens de la technique pour « rapprocher les peuples88 ». Elle exige la poursuite volontaire d’une direction dessinée par une création morale qui est production d’affects et communication de ces affects.

    59Si cette ouverture prend le nom de « progrès », il apparaît nécessaire de préciser le sens de cette notion, en ce qu’elle laisse planer deux interrogations décisives. Comment la métaphysique de la création, dont une des lignes de force est la disqualification des téléologies de l’histoire et des grands récits, peut-elle réactiver une terminologie du progrès ? Et, si ce « progrès » est conçu à partir d’un élan surhumain, mystique, que se passe-t-il concrètement pour les collectivités humaines si aucun mystique n’apparaît ou si l’élan ne parvient pas à se communiquer ?

    60La conception bergsonienne du progrès mobilise, dans les dernières pages des Deux Sources, une réflexion sur le processus civilisationnel et sur l’histoire. Cette pensée du progrès n’a pas de valeur téléologique et ne véhicule aucun impensé finaliste, dont le dogmatisme et les présupposés intellectualistes ont déjà été critiqués dans L’Évolution créatrice. Elle ne renvoie pas non plus à une rationalité intime du devenir historique comme dans les philosophies de type hégéliano-marxien. La compréhension du progrès, dans la pensée de Bergson est appréhendée, de manière déconcertante, à travers l’image du « pas en avant89 ».

    61Cette image s’explicite à l’intérieur d’une réflexion sur le processus civilisationnel, saisi factuellement et éthiquement. Il est déploiement factuel de l’esprit d’invention qui donne forme au développement cumulatif de la technique, selon un procédé d’interconnexion ou de superposition90 : « ... le progrès de la technique, des connaissances, de la civilisation enfin, se fait pendant des périodes assez longues dans un seul et même sens, en hauteur, par des variations qui se superposent ou s’anastomosent, aboutissant ainsi à des transformations profondes et non plus seulement à des complications superficielles91. » L’invention technique92 est un processus vertical et finalisé qui, à travers une recherche d’« efficacité toujours plus haute93 » tendant à la complication de ses dispositifs, transforme en profondeur l’organisation des tendances qui structurent l’ordre social sur un temps long. Le modèle du progrès technique est un modèle cumulatif et extensif qui possède une histoire ; la technique doit assurer, grâce au développement des connaissances scientifiques une meilleure adaptation, par échange et interconnexion, du vivant à son milieu : « ... tout progrès de la science consiste dans une connaissance plus étendue et dans une plus riche utilisation du mécanisme universel94. » Le développement du travail de l’intelligence fabricatrice procède à l’agrandissement artefactuel du corps humain, qui, tout en maintenant l’extériorité du corps-organe et de la machine, leur attribue la même signification vitale.

    62Le processus civilisationnel est appréhendé, dans sa globalité, à partir des mêmes opérations temporalisées de variations par superposition ou anastomose : il apparaît irréversible et orienté, sans être déterminé. La notion de civilisation (et par suite, de processus civilisationnel) ne se fonde pas sur une reconduction stricte et fixée du dualisme nature et culture même si elle ne disqualifie pas toutes les dichotomies qu’il porte avec lui95. Elle désigne l’organisation de l’ensemble des modalités vitales et de leur évolution historique à partir desquelles se conçoit la différence anthropologique. À ce titre, le processus civilisationnel définit avant tout un processus d’intégration et il appartient au philosophe de dégager les tendances vitales qui diffèrent en nature sous le mixte qui le constitue.

    63Ce processus civilisationnel, reposant sur l’approche duelle du sens de la vie, s’accomplit comme évolution technique et évolution morale, comme intensification du travail de l’intelligence et déploiement de la communication des affects moraux, comme invention et création. Aux côtés des progrès de l’esprit d’invention, doit être conçu, comme se juxtaposant ou se connectant à lui en le réorientant, un certain progrès moral, résultat et effet d’une création surhumaine96. Ce progrès moral, chez Bergson, est d’abord pensé, sous le mode de l’avoir, comme acquisition97 associant au modèle qualitatif de la création le modèle quantitatif du gain. L’aspiration, dont l’origine est mystique, ouvre et change les préceptes moraux dans une société. La pression sociale naturelle referme ces moments d’ouverture, installant un nouvel ordre social résistant aux acquisitions morales sans pouvoir revenir en arrière ou en les stabilisant. Ces différentes acquisitions morales ne sont pas héréditaires, elles se déposent dans les mœurs, dans les institutions et dans le langage, et « se communiquent ensuite par une éducation de tous les instants98 ». Le progrès moral est hétérogène et discontinu, car il est le résultat de créations successives99. Il ne peut être confondu, comme le montre Raymond Polin, avec un « principe de prévision100 ». Il est ouvert, orienté et imprévisible.

    64De là, il apparaît impossible d’appréhender les modes d’organisation sociopolitique abstraitement, hors de l’entrecroisement constant d’activités vitales, qui dans leur antagonisme, parfois se combattent, parfois se soutiennent. Ainsi, le processus civilisationnel101 désigne, à l’intersection du développement de l’esprit d’invention et des processus d’ouverture moraux, la combinaison d’activités vitales humaines tournant et neutralisant les tendances à la clôture. Sa plus haute compréhension est morale : elle implique une pensée de l’éducation (dont la nécessité comme prérogative d’un État démocratique redistributeur102 n’est pas abordée) qui passe par l’inscription de l’aspiration ouverte dans le statique de formules, de mœurs et d’institutions aidant à sa propagation. Il décrira deux mouvements vitaux issus d’une même tendance originelle, dont il faudra concevoir la complémentarité : celui d’une indépendance accentuée du corps vis-à-vis de la matière (grâce à la technique) et celui d’une rénovation morale et spirituelle appelée par le surgissement du mystique. À l’intérieur de cette compréhension du processus civilisationnel s’inscrit une pensée du progrès, qu’il faut aussi appréhender doublement. D’abord, chaque progrès effectif désigne en soi le maximum de création obtenu par le développement de l’une ou l’autre de ces orientations, prise en elle-même. Ensuite, il se conçoit comme la coopération de ces deux orientations, en vue de freiner les dangers qui sont apparus avec le déploiement frénétique de l’une d’entre elles.

    65Pour penser le progrès comme « marche en avant », « il n’est pas nécessaire de se représenter un terme que l’on vise ou une perfection dont on se rapproche103 » – autant d’idées qui réactivent des illusions rétrospectives. La pensée bergsonienne du progrès induit une certaine approche du devenir historique humain, étrangère à l’idée du déploiement d’une rationalité immanente à la continuité des événements, qui se ferait sans les hommes, ou qui expliquerait leurs actes au moyen d’un principe transcendant qui les dépasse et dont ils seraient les instruments ou les jouets104. Le devenir historique, conçu comme une alternance de flux et de reflux, renvoie au simple procès temporalisé des actions humaines et se schématise comme un « mouvement en spirale » : « On a souvent parlé des alternances de flux et de reflux qui s’observent en histoire. Toute action prolongée dans un sens amènerait une réaction en sens contraire. Puis elle reprendrait, et le pendule oscillerait indéfiniment. Il est vrai que le pendule est doué ici de mémoire, et qu’il n’est plus le même au retour qu’à l’aller, s’étant grossi de l’expérience intermédiaire. C’est pourquoi l’image d’un mouvement en spirale, qu’on a évoquée quelquefois, serait plus juste que celle de l’oscillation pendulaire105. »

    66À l’intérieur de ces mouvements de flux et de reflux, les lois de dichotomie et de double frénésie expliquent les ressorts du progrès. Il y a « marche en avant », c’est-à-dire « gain », « acquis », d’abord quand une tendance, avantageuse en elle-même, tire le maximum de tout ce qu’elle porte en elle, ensuite quand son développement frénétique, pouvant conduire à la catastrophe, est contrebalancé par la tendance antagoniste qui le réprime. Le progrès est le résultat d’un déséquilibre106 des tendances, en lutte – cette lutte n’étant que « l’aspect superficiel107 » de ce progrès même.

    67L’intérêt de cette construction conceptuelle consiste à montrer que le véritable progrès suppose la coopération de deux mouvements antagonistes. Ainsi, le contre-modèle du progrès n’est ni la décadence, ni la régression108, approches contrecarrées par une conception du devenir historique comme mouvement en spirale. Le contre-modèle du progrès est la catastrophe, c’est-à-dire l’incapacité à arrêter ou à comprendre les conséquences du développement frénétique d’une tendance, qui, à terme, peut conduire à une fermeture inéluctable des sociétés. Le seul sens qu’on puisse ainsi attribuer à l’histoire, chez Bergson, se conçoit à l’intérieur d’une philosophie pratique : « l’avenir de l’humanité reste indéterminé, parce qu’il dépend d’elle109. » Il n’existe aucun principe ultime qui rende compte de l’apparente absurdité du devenir historique humain, et qui justifie son inscription dans un mouvement de progrès.

    68Au cœur de la pensée du progrès, conçue comme déséquilibre des tendances, se loge donc la possibilité de la catastrophe. Ces déséquilibres frénétiques laissent une place pour une pensée de l’inéluctabilité, au sens où l’entend Ricœur : l’inéluctable se distingue du nécessaire, en ce qu’il renvoie à un processus imprévisible, qui advient finalement, malgré tout ce qui a pu être fait par des volontés libres pour le retarder ou l’empêcher. « Le « malgré tout » et le « finalement » distinguent l’inéluctable du simplement nécessaire »110. L’inéluctable qu’il est possible de replier sur la thématisation de la loi de double frénésie dessinée dans les « Remarques finales », semble faire droit à une pensée du tragique, qui s’esquisserait à la fin des Deux Sources. Rapportée au développement de la société industrielle, l’inéluctabilité du processus de destruction prend le nom d’« extermination », aboutissement de l’exaltation féroce de la clôture qui oriente dans son sens la mécanique et se révèle dans la mort de masse. Elle conduit à une interrogation, paradoxalement logée au cœur de la pensée de l’ouverture : « Que faire si un nouveau mystique ne vient pas ? Que faire, même, s’il se retrouve dans une situation, qui rend impossible la communication et la propagation de son élan ? »

    69Au-delà de l’optimisme empirique111 bergsonien qui s’affirme comme pleine confiance dans la vie112, ce questionnement laisse entrevoir une réflexion sur le tragique, corroborée par les dernières lignes de l’ouvrage de 1932 : « A [l’humanité] de voir d’abord si elle veut continuer à vivre113. » Conception du tragique dont la métaphysique de la création semblait, au premier abord, devoir nous détourner114.

    70« Tragique », ce mot n’est pas employé dans Les Deux Sources, ou alors une fois pour une analyse rapide de la passion amoureuse115. Si la notion est thématisée, dans l’œuvre bergsonienne, c’est comme catégorie théâtrale dans Le Rire, distincte du comique. Faudra-t-il surcharger cette catégorie théâtrale d’un sens « existentiel » et philosophique, qu’on plaquerait du dehors sur une pensée morale qui, de fait, n’y a pas recours ? Un point mérite d’être précisé : si la notion de tragique renvoie effectivement à une catégorie théâtrale, elle désigne aussi dans Le Rire une certaine orientation de la personnalité : celle qui, prenant sa revanche sur la société et ses lois, désigne un fond propre, une individualité irréductible et cachée, « unique en son genre116». « L’élément tragique de [la] personnalité117 » est proprement celui qui résiste à toute typification comique, affirmant une individualité en rupture avec la société, avec ses forces de pression et ses attentes.

    71Le héros tragique apparaît comme une figure en lutte avec le monde social, et en récuse les lois. La thématisation psychologique du tragique esquissée par Bergson ne laisse pas apparaître, de prime abord, ce que Ricœur nomme « le schèma théologique de la colère de Dieu118 », mais sous la dialectique de la liberté personnelle et de l’impersonnalité de l’obligation de la morale sociale, se rejoue quelque chose comme « l’apparence de la colère de Dieu119 ». La société close, réclamant la punition ou le meurtre pour celui qui a troublé son ordre, convoque, pour les légitimer, ses Dieux, ses mythes fondationnels, ou ses idéologies. Sous la dimension fantasmagorique du religieux ou d’autres créations symboliques de la fonction fabulatrice, se dévoile l’intention profonde de la nature : « [massacrer] les individus120. » Cette intention laisse libre cours au processus fabulateur de fictionnalisation de l’ennemi qui frappe désormais le héros tragique. La thématisation psychologique du tragique qui fait jour dans Le Rire, donne droit à un élargissement métaphysique et éthique, qui se nourrit des éléments de L’Évolution créatrice et des Deux Sources, et qui reprend, sur un autre plan cette fois, ce dont le sens s’est d’abord déployé au sein d’une réflexion sur le théâtre.

    72La catégorie du tragique peut ainsi être convoquée pour désigner deux types d’expériences vécues par les hommes : la non communicabilité de l’élan mystique à une collectivité humaine menant à l’identification possible du mystique avec la figure de l’ennemi ; la non apparition d’un mystique qui confronte les volontés humaines à l’inéluctabilité d’un processus de destruction, lancé frénétiquement, malgré tout ce qu’elles entreprennent. Ces deux types d’expérience ne se soldent pas nécessairement par le « drame121» d’une mort effective, mais activent une tendance à la clôture, qui porte en elle, virtuellement, la logique du consentement au meurtre.

    73Dans le premier cas, le mystique, surhumanité divine, revêt la figure du héros tragique. Le sort tragique du mystique, confronté à la clôture des sociétés, n’est pas nécessairement la mort, mais l’impossibilité, pour lui, de propager son appel. Le procès et la mort de Socrate122 exemplifient cette colère de la société close qui transforme le mystique en ennemi, et dont les prétentions à la délivrance et à l’émancipation (dans le cas de Socrate par une certaine approche du savoir et de la vérité123) sont ridiculisées. Le mystique bergsonien peut prendre le visage du héros tragique schélerien : génie moral, il tombe en faute pour une action innocente portant atteinte à la morale régnante, et le condamnant à la solitude124.

    74Mais, plus encore, si le mystique n’apparaît pas, la loi de double frénésie semble opérer la mise en scène d’un acte tragique pour les volontés humaines. Le tragique ne désigne pas, ici, un quelconque fond de l’« être » ; et s’il est effectivement le produit d’une lutte, c’est celui d’une lutte profondément déséquilibrée entre deux tendances, révélant les mouvements d’inversion propres à la vie éthique et/ou au phénomène vital (la vie peut devenir force de mort, tout comme le piétinement objet d’une revalorisation). Ce qui se joue, alors, c’est le sort de volontés confrontées à une tendance lancée jusqu’au bout, soutenue par un ordre social fermé ou peut-être devenue, dans son déploiement furieux, processus aveugle, sourd à la concertation des hommes. Ce tragique-là n’oppose pas la transcendance d’un Dieu méchant à la liberté de la volonté humaine, mais deux modalités vitales, et par suite éthiques, s’affrontant malgré leur rapport déséquilibré. L’imprévisibilité de l’issue du développement frénétique d’une tendance interdit aux volontés humaines créatrices la résignation : « il n’y a pas d’obstacle que des volontés suffisamment tendues ne puissent briser, si elles s’y prennent à temps125. » Et c’est au cœur de l’articulation entre l’impossibilité de la résignation, qui fait fond sur une métaphysique de la vie créatrice, et l’imprévisibilité d’un processus de destruction, qui malgré tout tend à prendre l’allure de l’inéluctabilité, que se joue la question du tragique en un sens éthique et métaphysique. Rattaché à la pensée bergsonienne, le tragique ne désignerait pas, au final, une catégorie existentielle décrivant dans sa globalité la condition humaine, comme condition de l’être délaissé, pris dans une dialectique terrible entre la transcendance et la liberté, ou encore confronté à l’expérience de l’absurde. Il reste strictement afférant à une philosophie pratique de l’action, et exhibe le mouvement vital comme mouvement d’inversion dans sa double dimension éthique et métaphysique.

    75La pensée politique de Bergson et le chapitre IV des « Remarques finales » sont une réflexion sur la solitude des volontés humaines, qui, confrontées au mouvement de clôture des sociétés et à un essor de la technique aux conséquences multiples, doivent trouver des ressources vitales internes malgré l’absence d’une présence mystique126. Cette solitude est celle d’une difficulté à intensifier une action créatrice qui nécessiterait un modèle.

    76Bergson rappelle que « le souvenir de ce que [les âmes mystiques] ont été, de ce qu’elles ont fait127», « déposé dans la mémoire de l’humanité128», doit nous entraîner. Le progrès et toute forme de résistance à la clôture ne nécessitent pas la présence actuelle d’un mystique dans le monde. On pourra réactiver le souvenir d’actes qui appartiennent à la mémoire collective de l’humanité, qui n’est autre que l’ensemble des acquisitions morales forgeant le processus civilisationnel. À travers elle, les âmes privilégiées exercent, encore et toujours, une « attraction virtuelle129 » sur les volontés humaines. L’action créatrice d’une volonté solitaire, s’attelant à la transformation morale et politique des sociétés, travaille de fait à la revivification d’un souvenir130. Ce souvenir est entretenu par l’intelligence, qui transforme l’action du mystique, en formules générales formant la moralité de l’humanité civilisée. Les formules de la vie morale humaine englobent « un système d’ordres dictés par des exigences sociales impersonnelles, et un ensemble d’appels lancés à la conscience de chacun de nous par des personnes qui représentent ce qu’il y a eu de meilleur dans l’humanité131 ». Cette vie morale rationnelle permet à l’émotion de se propager à l’aide de formules. « Il en résulte une transposition des ordres et des appels en termes de raison pure132. » Cette transposition apparaît cruciale pour la mise en œuvre de politiques ouvertes. La politique, comprise de manière globale et orientée, comme l’ensemble des activités humaines tendant à la transformation de l’ordre social est ce moyen ancré dans la matérialité des organisations sociales, par lequel les hommes, privés de la présence du mystique, actualisent les virtualités d’un souvenir revivifié.

    77Aux côtés de la thématisation de cette vie morale, qui invite à la revivification du souvenir des mystiques, les dernières pages, étranges, des Deux Sources, appellent à un approfondissement scientifique de la connaissance de l’esprit133. Le « supplément d’âme », l’appel à un approfondissement scientifique de la connaissance de l’esprit pourront sonner comme les derniers vestiges d’un spiritualisme désuet qui ne semble pas à la hauteur des catastrophes qu’il prétend combattre.

    78Ces différentes options, politiques et/ou spirituelles, invitent en fait à requalifier, de manière finale, la nature de l’optimisme empirique que Bergson thématise dans les Deux Sources. Cet optimisme peut être interprété, pour reprendre une expression fameuse d’Emmanuel Mounier, comme un « optimisme tragique134». Confrontées à l’expérience de leur solitude, et à l’imprévisibilité de processus de destruction qui peuvent tenir leurs actions en échec, il est possible pour les volontés humaines de persister à s’affirmer malgré tout comme créatrices.

    Notes de bas de page

    1  Ibid., p. 299.

    2  Ibid., p. 300.

    3  Ibid., p. 300.

    4  Ibid., p. 302.

    5  Ibid., p. 300.

    6  Ibid., p. 300.

    7  Ibid., p. 299.

    8  PM, p. 7.

    9  DS, p. 300.

    10  Ibid., p. 301.

    11  Jacques Maritain, Christianisme et démocratie, New York, Éditions de la Maison Française, coll. « Civilisations », 1943, p. 36.

    12  DS, p. 307.

    13  Un système politique qui reste sourd à une telle intention ne pourra pas être appelé une démocratie. Ainsi, les « incohérences de la démocratie athénienne » (ibid., p. 62) révèlent, pour le dire de façon anachronique, une intention « non évangélique », ou non mystique, en naturalisant l’esclavage. Elle ne peut donc pas prendre le nom de démocratie : « ... car ce furent de fausses démocraties que les cités antiques, bâties sur l’esclavage, débarrassées par cette iniquité fondamentale des plus gros et des plus angoissants problèmes » (ibid., p. 299).

    14  PM, p. 96.

    15  DS, p. 301.

    16  Ibid., p. 301.

    17  Ibid., p. 301.

    18  Ibid., p. 301.

    19  Ibid., p. 284.

    20  Ibid., p. 338

    21  Ibid., p. 293.

    22  Ibid., p. 312. Cette tournure bergsonienne n’induit pas que la démocratie parlementaire, avant d’être l’expression d’une proposition politique créatrice positive, est un moyen de stabiliser l’ordre social en calmant les velléités protestaires. Elle présuppose que l’organisation parlementaire, en tant qu’elle représente, en droit, la diversité des orientations sociopolitiques qui traversent une société, se veut un lieu de discussion et de consensus.

    23  Ibid., p. 312.

    24  On trouvera deux mentions rapprochées et non développées aux « objections » que suscitent le régime démocratique aux pages 300 et 302 des Deux Sources.

    25  Ce qui explique la confiance de Bergson dans les institutions comme le montre les pages 96 et 97 de La pensée et le mouvant.

    26  Il s’agit des institutions qui ordonnent toute société humaine et au sein desquelles fait irruption l’élan démocratique. Les institutions constituent le « cadre rigide » de la société ; elles « [continuent] dans le domaine de l’action, en posant des impératifs, l’œuvre de stabilisation que les sens et l’entendement accomplissent dans le domaine de la connaissance quand ils condensent en perception les oscillations de la matière… » (PM, p. 96-97).

    27  DS, p. 293.

    28  Cf. M, p. 1224 et PM, p. 97.

    29  DS, p. 308-310.

    30  Ibid., p. 315.

    31  Ibid., p. 309.

    32  Ibid., p. 310.

    33  Jean-Christophe Goddard, op. cit., p. 72.

    34  DS, p. 299-300

    35  « Rapport sur la fondation Carnot », 6 décembre 1902, in M, p. 566 : « La vérité est que nous sommes ici devant un de ces problèmes douloureux que l’intelligence peut sans doute poser, mais qu’il appartient au cœur de résoudre. C’est à force de pitié, de charité, de bonne volonté, qu’on atténuera, dans la mesure du possible, des misères dont la sagesse humaine ne saurait prévenir le trop fréquent retour. » Dans cet extrait, Bergson rapporte une pensée et une inspiration qui ne sont pas les siennes. Cependant, la solution à la misère sociale réside dans la mobilisation des bonnes volontés individuelles. Les options affichées, nettement libérales, contrastent avec la conception de l’État des Deux Sources.

    36  DS, p. 297.

    37  Ibid., p. 307-308 : Le problème de la surpopulation est pensé de concert avec celui du développement de l’industrie, selon un schéma qui certes, s’il se veut « simplifié » (ibid., p. 307), se dévoile selon un mécanisme implacable.

    38  Ibid., p. 308.

    39  Ibid., p. 308.

    40  Ibid., p. 308.

    41  Ibid., p. 308.

    42  Ibid., p. 80 : « De sorte qu’il est souvent impossible de dire a priori quelle est la dose de liberté qu’on peut concéder à l’individu sans dommage pour la liberté de ses semblables : quand la quantité change, ce n’est plus la même qualité. [...] [Le] sacrifice de telle ou telle liberté, s’il est librement consenti par l’ensemble des citoyens est encore de la liberté ; et surtout la liberté qui reste pourra être d’une qualité supérieure si la réforme accomplie dans le sens de l’égalité a donné une société où l’on respire mieux, où l’on éprouve plus de joie à agir. »

    43  Ibid., p. 309 et p. 326-327.

    44  Philippe Soulez note que pour Bergson, la collectivisation des moyens de production n’est pas « antibelligène » (cf., Soulez, op. cit., p. 300-301).

    45  DS, p. 308.

    46  Ibid., p. 328.

    47  Ibid., p. 327.

    48  Ibid., p. 327.

    49  On notera qu’au sein de cette critique du luxe, le mot « capitalisme », comme tel n’est jamais mentionné.

    50  DS, p. 309. Cette réflexion suit un propos sur la Société des Nations ; Bergson rappelle qu’elle disposait d’une force armée et que sa finalité était la suppression de la guerre (DS, p. 306).

    51  Ibid., p. 309.

    52  On pourra se rapporter, sur ce point, au livre de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer La guerre au nom de l’humanité (Paris, PUF, 2012), qui propose une réflexion juridique, éthique et politique sur les questions posées par ce qu’on nomme « droit d’ingérence », « intervention humanitaire », ou encore « responsabilité de protéger », ainsi qu’une contextualisation historique et géographique de la théorisation du droit et du devoir d’ingérence qui ne se limitent pas au xxe siècle et dont le terrain conceptuel originaire n’est pas situé au cœur d’un débat ayant eu lieu d’abord en France.

    53  On peut penser, par exemple, à une réflexion juridique sur la mise en place de cours constitutionnelles.

    54  La construction de telles solutions politiques, parfois très techniques, exige au moins des compétences plurielles qui ne sont pas toutes du ressort du philosophe (cf. DS, p. 309).

    55  C’est à partir de ces références que Bergson élabore sa conception de la démocratie (voir DS, p. 300).

    56  DS, p. 68.

    57  Ibid., p. 70 : « ... l’égalité peut porter sur un rapport et devenir une proportion. »

    58  Ibid., p. 70.

    59  Ibid., p. 70.

    60  Ibid., p. 71.

    61  Ibid., p. 71.

    62  Pour la critique de cette thèse, cf. Deux Sources, p. 72.

    63  Ibid., p. 74.

    64  Ibid., p. 71.

    65  Ibid., p. 74.

    66  Ibid., p. 78.

    67  Cette tension est analysée par Hannah Arendt qui montre comment la logique de l’État-Nation peut entrer en contradiction avec celle des droits de l’homme dans Le système totalitaire, t. II, « L’impérialisme ».

    68  Dans Les Deux Sources, Bergson analyse la forme et le contenu des Droits de l’Homme. Si leur contenu est essentiellement inspiré par le christianisme, qui permet de penser le passage du clos à l’ouvert, leur caractère formel, impérieux vient du prophétisme juif (ibid., p. 76).

    69  Ibid., p. 78 : Bergson mentionne la déclaration américaine et la déclaration française, de même dans les « Remarques Finales » (cf., p. 301) où il est fait mention de la déclaration américaine de 1776 et de la déclaration française de 1791 (1791 désignant la date où la Déclaration de 1789 devient effective dans la Constitution).

    70  Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, article deux : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. »

    71  Ibid., p. 301.

    72  Ibid., p. 253.

    73  Phillipe Soulez, op. cit., p. 297.

    74  DS, p. 297.

    75  Ibid., p. 74.

    76  Ibid., p. 325.

    77  Ibid., p. 326 : L’esprit d’invention « a créé une foule de besoins nouveaux ; il ne s’est pas assez préoccupé d’assurer au plus grand nombre, à tous si c’était possible, la satisfaction des besoins anciens ».

    78  Ibid., p. 326-327.

    79  Ibid., p. 338 : « À défaut d’une réforme morale aussi complète, il faudra recourir aux expédients, se soumettre à une̎ réglementation̎ de plus en plus envahissante, tourner un à un les obstacles que notre nature dresse contre notre civilisation. »

    80  Ibid., p. 326 : « D’une manière générale, l’industrie ne s’est pas assez souciée de la plus ou moins grande importance des besoins à satisfaire. Volontiers elle suivait la mode, fabriquant sans autre pensée que de vendre. »

    81  Ibid., p. 331.

    82  Ibid., p. 332 : « ... le mysticisme ne saurait se répandre sans encourager une « volonté de puissance » très particulière. Il s’agira d’un empire à exercer, non pas sur l’homme, mais sur les choses, précisément pour que l’homme n’en ait plus tant sur l’homme. »

    83  Ibid., p. 332.

    84  Ibid., p. 333 : « Vienne alors l’appel du héros : nous ne le suivrons pas tous, mais tous nous sentirons que nous devrions le faire, et nous connaîtrons le chemin, que nous élargirons si nous y passons. Du même coup s’éclaircira pour toute philosophie le mystère de l’obligation suprême : un voyage avait été commencé, il avait fallu l’interrompre ; en reprenant sa route, on ne fait que vouloir encore ce qu’on voulait déjà. » [nous soulignons]

    85  Ibid., p. 333.

    86  Ibid., p. 323 : « Le besoin toujours croissant de bien-être, la soif d’amusement, le goût effréné du luxe, tout ce qui nous inspire une si grande inquiétude pour l’avenir de l’humanité parce qu’elle a l’air d’y trouver des satisfactions solides, tout cela apparaîtra comme un ballon qu’on remplit furieusement d’air et qui se dégonflera aussi tout d’un coup. »

    87  Ibid., p. 327.

    88  M, p. 1416 : dans un discours au sujet de l’espéranto, prononcé à la Commission internationale de coopération intellectuelle le 31 juillet 1923, Bergson montre que la prolifération d’instruments techniques facilitant la communication n’a pas d’effets pour lutter contre les préjugés vis-à-vis de l’étranger ou favoriser les vraies rencontres.

    89  DS, p. 284.

    90  Ibid., p. 133.

    91  Ibid., p. 133.

    92  Et ceci vaut pour le développement de la connaissance et de la civilisation, comme le stipule le texte cité.

    93  Ibid., p. 142.

    94  Ibid., p. 178.

    95  S’il y a une critique de la mentalité primitive lévy-bruhlienne capitale chez Bergson, elle ne conduit pas à la disqualification pure et simple de la dichotomie « primitif » et « civilisé » en un sens ethnologique. Le fond de la distinction se construit sur le principe ontogénétique de l’effort créateur, différemment actualisé dans les sociétés humaines. Les sociétés peu civilisées connaissent moins d’effort d’invention, et moins de création morale, non pas parce qu’elles sont marquées par un défaut d’intelligence ou parce qu’elles ne connaissent pas d’« homme supérieur », mais parce qu’isolées, elles n’ont pas trouvé de stimulation venant de l’extérieur les engageant à inventer (DS, p. 180). Si toutes les sociétés humaines ont une histoire, leurs temporalités historiques diffèrent – celle des sociétés primitives ne pouvant être conçue comme un mouvement d’accroissement prenant la forme d’un mouvement en spirale (ibid., p. 142-143). Cette distinction primitif/civilisé qui ne s’appuie sur aucune hiérarchie cognitive, ou racialiste, peut toutefois être repliée sur la distinction entre « histoire cumulative » et « histoire stationnaire », expression d’un impensé ethnographique comme le montre Claude Lévi-Strauss dans Race et histoire.

    96  DS, p. 80 : « Ainsi seulement se définira le progrès moral ; mais on ne peut le définir qu’après coup, quand une nature morale privilégiée a créé un sentiment nouveau, pareil à une nouvelle musique, et qu’il l’a communiqué aux hommes en lui imprimant son propre élan. »

    97  Ibid., p. 315, 316.

    98  Ibid., p. 289.

    99  Ibid., p. 79.

    100  Raymond Polin, op. cit., p. 33.

    101  Le Rire propose déjà une approche de la « civilisation » comme « lent progrès de l’humanité vers une vie sociale de plus en plus pacifiée » (R., p. 122).

    102  Pour toutes les questions relatives à la conception bergsonienne de l’éducation et de l’enseignement, on se rapportera à l’ouvrage de Rose-Marie Mossé-Bastide Bergson éducateur (Paris, PUF, 1955).

    103  DS, p. 49.

    104  Ibid., p. 328.

    105  Ibid., p. 311.

    106  Ibid., p. 312 : « Ainsi devient possible le progrès, malgré l’oscillation ou plutôt au moyen d’elle, pourvu qu’on en ait le souci. »

    107  Ibid., p. 317.

    108  Le thème de la régression n’est présent que dans les discours de guerre de Bergson, notamment dans le discours du 8 août 1914 prononcé à l’académie des sciences morales et politiques. Dans ce discours, Bergson définit la « brutalité » de l’Allemagne comme une « régression à l’état sauvage » (M, p. 1102).

    109  DS, p. 319.

    110  Paul Ricœur, « Aux frontières de la philosophie (suite). Sur le tragique », in Esprit, mars 1953, p. 462. Cette analyse de l’inéluctabilité se construit à partir d’une réflexion sur le concept éthique de tragique chez Max Scheler.

    111  DS, p. 277.

    112  Ibid., p. 224.

    113  Ibid., p. 338.

    114  Comme le dit Jankélévitch dans son Bergson, la création et le changement ne décrivent plus la condition malheureuse de la créature (op. cit., p. 244).

    115  DS, p. 36.

    116  R, p. 124.

    117  Ibid., p. 123.

    118  Paul Ricœur, op. cit., p. 457.

    119  Ibid., p. 458.

    120  DS, p. 297 : « Mais il est certain que la nature, massacreuse des individus en même temps que génératrice des espèces, a dû vouloir le chef impitoyable si elle a prévu des chefs. »

    121  Paul Ricœur, op. cit., p. 458.

    122  Socrate, dont l’enseignement était « si parfaitement rationnel » (DS, p. 60), est en fait une figure religieuse, exemple de mystique complet non chrétien, dans les Deux Sources.

    123  Ibid., p. 60.

    124  Max Scheler, dans son essai Le Phénomène du tragique (1915) qui figure dans l’ouvrage Du renversement des valeurs, définit ce retournement du génie moral qui devient héros tragique (Jésus, par exemple, cité par l’auteur lui-même). Cette compréhension éthique du tragique, qui est confrontation entre deux ordres antagonistes de valeur, paraît résonner pertinemment avec certaines orientations de la philosophie de Bergson et permet même d’en éclairer les impensés. On notera d’ailleurs que la thématisation schélerienne du nœud tragique peut faire écho au processus bergsonien d’inversion de la vie, qui dans le monde politique des normes et des valeurs, transforme la vie en force de mort (Scheler, Le phénomène du tragique, in Mort et survie, trad. fr. M. Dupuy, Paris, Aubier Montaigne, 1952, p. 120-121).

    125  Ibid., p. 313.

    126  Comme il l’est rappelé à la fin des Deux Sources, il ne faut pas « trop [compter] sur l’apparition d’une grande âme privilégiée » (DS, p. 333).

    127  Ibid., p. 85.

    128  Ibid., p. 85.

    129  Ibid., p. 85.

    130  On peut effectuer ici, une passerelle entre la théorie de l’homme d’action, dans Matière et Mémoire, et celle du progrès sociopolitique : l’homme d’action développe un véritable sens pratique qui suppose l’accord solide des deux mémoires, permettant l’inscription du passé dans l’action présente (MM, p. 169-170). Le grand homme d’action sera ainsi celui qui rendra présent le souvenir pur des mystiques au sein d’une action transformant le monde social.

    131  DS, p. 85.

    132  Ibid., p. 86.

    133  La connaissance de l’esprit doit permettre à l’homme de se replonger dans la vie spirituelle et lui dévoiler la survie de l’âme, à travers « une vision d’au-delà dans une expérience scientifique élargie » (DS, p. 338). Voir aussi AC, p. 58.

    134  Emmanuel Mounier, Le personnalisme (1949), Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2007, 17e éd., p. 30.

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    1  Ibid., p. 299.

    2  Ibid., p. 300.

    3  Ibid., p. 300.

    4  Ibid., p. 302.

    5  Ibid., p. 300.

    6  Ibid., p. 300.

    7  Ibid., p. 299.

    8  PM, p. 7.

    9  DS, p. 300.

    10  Ibid., p. 301.

    11  Jacques Maritain, Christianisme et démocratie, New York, Éditions de la Maison Française, coll. « Civilisations », 1943, p. 36.

    12  DS, p. 307.

    13  Un système politique qui reste sourd à une telle intention ne pourra pas être appelé une démocratie. Ainsi, les « incohérences de la démocratie athénienne » (ibid., p. 62) révèlent, pour le dire de façon anachronique, une intention « non évangélique », ou non mystique, en naturalisant l’esclavage. Elle ne peut donc pas prendre le nom de démocratie : « ... car ce furent de fausses démocraties que les cités antiques, bâties sur l’esclavage, débarrassées par cette iniquité fondamentale des plus gros et des plus angoissants problèmes » (ibid., p. 299).

    14  PM, p. 96.

    15  DS, p. 301.

    16  Ibid., p. 301.

    17  Ibid., p. 301.

    18  Ibid., p. 301.

    19  Ibid., p. 284.

    20  Ibid., p. 338

    21  Ibid., p. 293.

    22  Ibid., p. 312. Cette tournure bergsonienne n’induit pas que la démocratie parlementaire, avant d’être l’expression d’une proposition politique créatrice positive, est un moyen de stabiliser l’ordre social en calmant les velléités protestaires. Elle présuppose que l’organisation parlementaire, en tant qu’elle représente, en droit, la diversité des orientations sociopolitiques qui traversent une société, se veut un lieu de discussion et de consensus.

    23  Ibid., p. 312.

    24  On trouvera deux mentions rapprochées et non développées aux « objections » que suscitent le régime démocratique aux pages 300 et 302 des Deux Sources.

    25  Ce qui explique la confiance de Bergson dans les institutions comme le montre les pages 96 et 97 de La pensée et le mouvant.

    26  Il s’agit des institutions qui ordonnent toute société humaine et au sein desquelles fait irruption l’élan démocratique. Les institutions constituent le « cadre rigide » de la société ; elles « [continuent] dans le domaine de l’action, en posant des impératifs, l’œuvre de stabilisation que les sens et l’entendement accomplissent dans le domaine de la connaissance quand ils condensent en perception les oscillations de la matière… » (PM, p. 96-97).

    27  DS, p. 293.

    28  Cf. M, p. 1224 et PM, p. 97.

    29  DS, p. 308-310.

    30  Ibid., p. 315.

    31  Ibid., p. 309.

    32  Ibid., p. 310.

    33  Jean-Christophe Goddard, op. cit., p. 72.

    34  DS, p. 299-300

    35  « Rapport sur la fondation Carnot », 6 décembre 1902, in M, p. 566 : « La vérité est que nous sommes ici devant un de ces problèmes douloureux que l’intelligence peut sans doute poser, mais qu’il appartient au cœur de résoudre. C’est à force de pitié, de charité, de bonne volonté, qu’on atténuera, dans la mesure du possible, des misères dont la sagesse humaine ne saurait prévenir le trop fréquent retour. » Dans cet extrait, Bergson rapporte une pensée et une inspiration qui ne sont pas les siennes. Cependant, la solution à la misère sociale réside dans la mobilisation des bonnes volontés individuelles. Les options affichées, nettement libérales, contrastent avec la conception de l’État des Deux Sources.

    36  DS, p. 297.

    37  Ibid., p. 307-308 : Le problème de la surpopulation est pensé de concert avec celui du développement de l’industrie, selon un schéma qui certes, s’il se veut « simplifié » (ibid., p. 307), se dévoile selon un mécanisme implacable.

    38  Ibid., p. 308.

    39  Ibid., p. 308.

    40  Ibid., p. 308.

    41  Ibid., p. 308.

    42  Ibid., p. 80 : « De sorte qu’il est souvent impossible de dire a priori quelle est la dose de liberté qu’on peut concéder à l’individu sans dommage pour la liberté de ses semblables : quand la quantité change, ce n’est plus la même qualité. [...] [Le] sacrifice de telle ou telle liberté, s’il est librement consenti par l’ensemble des citoyens est encore de la liberté ; et surtout la liberté qui reste pourra être d’une qualité supérieure si la réforme accomplie dans le sens de l’égalité a donné une société où l’on respire mieux, où l’on éprouve plus de joie à agir. »

    43  Ibid., p. 309 et p. 326-327.

    44  Philippe Soulez note que pour Bergson, la collectivisation des moyens de production n’est pas « antibelligène » (cf., Soulez, op. cit., p. 300-301).

    45  DS, p. 308.

    46  Ibid., p. 328.

    47  Ibid., p. 327.

    48  Ibid., p. 327.

    49  On notera qu’au sein de cette critique du luxe, le mot « capitalisme », comme tel n’est jamais mentionné.

    50  DS, p. 309. Cette réflexion suit un propos sur la Société des Nations ; Bergson rappelle qu’elle disposait d’une force armée et que sa finalité était la suppression de la guerre (DS, p. 306).

    51  Ibid., p. 309.

    52  On pourra se rapporter, sur ce point, au livre de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer La guerre au nom de l’humanité (Paris, PUF, 2012), qui propose une réflexion juridique, éthique et politique sur les questions posées par ce qu’on nomme « droit d’ingérence », « intervention humanitaire », ou encore « responsabilité de protéger », ainsi qu’une contextualisation historique et géographique de la théorisation du droit et du devoir d’ingérence qui ne se limitent pas au xxe siècle et dont le terrain conceptuel originaire n’est pas situé au cœur d’un débat ayant eu lieu d’abord en France.

    53  On peut penser, par exemple, à une réflexion juridique sur la mise en place de cours constitutionnelles.

    54  La construction de telles solutions politiques, parfois très techniques, exige au moins des compétences plurielles qui ne sont pas toutes du ressort du philosophe (cf. DS, p. 309).

    55  C’est à partir de ces références que Bergson élabore sa conception de la démocratie (voir DS, p. 300).

    56  DS, p. 68.

    57  Ibid., p. 70 : « ... l’égalité peut porter sur un rapport et devenir une proportion. »

    58  Ibid., p. 70.

    59  Ibid., p. 70.

    60  Ibid., p. 71.

    61  Ibid., p. 71.

    62  Pour la critique de cette thèse, cf. Deux Sources, p. 72.

    63  Ibid., p. 74.

    64  Ibid., p. 71.

    65  Ibid., p. 74.

    66  Ibid., p. 78.

    67  Cette tension est analysée par Hannah Arendt qui montre comment la logique de l’État-Nation peut entrer en contradiction avec celle des droits de l’homme dans Le système totalitaire, t. II, « L’impérialisme ».

    68  Dans Les Deux Sources, Bergson analyse la forme et le contenu des Droits de l’Homme. Si leur contenu est essentiellement inspiré par le christianisme, qui permet de penser le passage du clos à l’ouvert, leur caractère formel, impérieux vient du prophétisme juif (ibid., p. 76).

    69  Ibid., p. 78 : Bergson mentionne la déclaration américaine et la déclaration française, de même dans les « Remarques Finales » (cf., p. 301) où il est fait mention de la déclaration américaine de 1776 et de la déclaration française de 1791 (1791 désignant la date où la Déclaration de 1789 devient effective dans la Constitution).

    70  Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, article deux : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppression. »

    71  Ibid., p. 301.

    72  Ibid., p. 253.

    73  Phillipe Soulez, op. cit., p. 297.

    74  DS, p. 297.

    75  Ibid., p. 74.

    76  Ibid., p. 325.

    77  Ibid., p. 326 : L’esprit d’invention « a créé une foule de besoins nouveaux ; il ne s’est pas assez préoccupé d’assurer au plus grand nombre, à tous si c’était possible, la satisfaction des besoins anciens ».

    78  Ibid., p. 326-327.

    79  Ibid., p. 338 : « À défaut d’une réforme morale aussi complète, il faudra recourir aux expédients, se soumettre à une̎ réglementation̎ de plus en plus envahissante, tourner un à un les obstacles que notre nature dresse contre notre civilisation. »

    80  Ibid., p. 326 : « D’une manière générale, l’industrie ne s’est pas assez souciée de la plus ou moins grande importance des besoins à satisfaire. Volontiers elle suivait la mode, fabriquant sans autre pensée que de vendre. »

    81  Ibid., p. 331.

    82  Ibid., p. 332 : « ... le mysticisme ne saurait se répandre sans encourager une « volonté de puissance » très particulière. Il s’agira d’un empire à exercer, non pas sur l’homme, mais sur les choses, précisément pour que l’homme n’en ait plus tant sur l’homme. »

    83  Ibid., p. 332.

    84  Ibid., p. 333 : « Vienne alors l’appel du héros : nous ne le suivrons pas tous, mais tous nous sentirons que nous devrions le faire, et nous connaîtrons le chemin, que nous élargirons si nous y passons. Du même coup s’éclaircira pour toute philosophie le mystère de l’obligation suprême : un voyage avait été commencé, il avait fallu l’interrompre ; en reprenant sa route, on ne fait que vouloir encore ce qu’on voulait déjà. » [nous soulignons]

    85  Ibid., p. 333.

    86  Ibid., p. 323 : « Le besoin toujours croissant de bien-être, la soif d’amusement, le goût effréné du luxe, tout ce qui nous inspire une si grande inquiétude pour l’avenir de l’humanité parce qu’elle a l’air d’y trouver des satisfactions solides, tout cela apparaîtra comme un ballon qu’on remplit furieusement d’air et qui se dégonflera aussi tout d’un coup. »

    87  Ibid., p. 327.

    88  M, p. 1416 : dans un discours au sujet de l’espéranto, prononcé à la Commission internationale de coopération intellectuelle le 31 juillet 1923, Bergson montre que la prolifération d’instruments techniques facilitant la communication n’a pas d’effets pour lutter contre les préjugés vis-à-vis de l’étranger ou favoriser les vraies rencontres.

    89  DS, p. 284.

    90  Ibid., p. 133.

    91  Ibid., p. 133.

    92  Et ceci vaut pour le développement de la connaissance et de la civilisation, comme le stipule le texte cité.

    93  Ibid., p. 142.

    94  Ibid., p. 178.

    95  S’il y a une critique de la mentalité primitive lévy-bruhlienne capitale chez Bergson, elle ne conduit pas à la disqualification pure et simple de la dichotomie « primitif » et « civilisé » en un sens ethnologique. Le fond de la distinction se construit sur le principe ontogénétique de l’effort créateur, différemment actualisé dans les sociétés humaines. Les sociétés peu civilisées connaissent moins d’effort d’invention, et moins de création morale, non pas parce qu’elles sont marquées par un défaut d’intelligence ou parce qu’elles ne connaissent pas d’« homme supérieur », mais parce qu’isolées, elles n’ont pas trouvé de stimulation venant de l’extérieur les engageant à inventer (DS, p. 180). Si toutes les sociétés humaines ont une histoire, leurs temporalités historiques diffèrent – celle des sociétés primitives ne pouvant être conçue comme un mouvement d’accroissement prenant la forme d’un mouvement en spirale (ibid., p. 142-143). Cette distinction primitif/civilisé qui ne s’appuie sur aucune hiérarchie cognitive, ou racialiste, peut toutefois être repliée sur la distinction entre « histoire cumulative » et « histoire stationnaire », expression d’un impensé ethnographique comme le montre Claude Lévi-Strauss dans Race et histoire.

    96  DS, p. 80 : « Ainsi seulement se définira le progrès moral ; mais on ne peut le définir qu’après coup, quand une nature morale privilégiée a créé un sentiment nouveau, pareil à une nouvelle musique, et qu’il l’a communiqué aux hommes en lui imprimant son propre élan. »

    97  Ibid., p. 315, 316.

    98  Ibid., p. 289.

    99  Ibid., p. 79.

    100  Raymond Polin, op. cit., p. 33.

    101  Le Rire propose déjà une approche de la « civilisation » comme « lent progrès de l’humanité vers une vie sociale de plus en plus pacifiée » (R., p. 122).

    102  Pour toutes les questions relatives à la conception bergsonienne de l’éducation et de l’enseignement, on se rapportera à l’ouvrage de Rose-Marie Mossé-Bastide Bergson éducateur (Paris, PUF, 1955).

    103  DS, p. 49.

    104  Ibid., p. 328.

    105  Ibid., p. 311.

    106  Ibid., p. 312 : « Ainsi devient possible le progrès, malgré l’oscillation ou plutôt au moyen d’elle, pourvu qu’on en ait le souci. »

    107  Ibid., p. 317.

    108  Le thème de la régression n’est présent que dans les discours de guerre de Bergson, notamment dans le discours du 8 août 1914 prononcé à l’académie des sciences morales et politiques. Dans ce discours, Bergson définit la « brutalité » de l’Allemagne comme une « régression à l’état sauvage » (M, p. 1102).

    109  DS, p. 319.

    110  Paul Ricœur, « Aux frontières de la philosophie (suite). Sur le tragique », in Esprit, mars 1953, p. 462. Cette analyse de l’inéluctabilité se construit à partir d’une réflexion sur le concept éthique de tragique chez Max Scheler.

    111  DS, p. 277.

    112  Ibid., p. 224.

    113  Ibid., p. 338.

    114  Comme le dit Jankélévitch dans son Bergson, la création et le changement ne décrivent plus la condition malheureuse de la créature (op. cit., p. 244).

    115  DS, p. 36.

    116  R, p. 124.

    117  Ibid., p. 123.

    118  Paul Ricœur, op. cit., p. 457.

    119  Ibid., p. 458.

    120  DS, p. 297 : « Mais il est certain que la nature, massacreuse des individus en même temps que génératrice des espèces, a dû vouloir le chef impitoyable si elle a prévu des chefs. »

    121  Paul Ricœur, op. cit., p. 458.

    122  Socrate, dont l’enseignement était « si parfaitement rationnel » (DS, p. 60), est en fait une figure religieuse, exemple de mystique complet non chrétien, dans les Deux Sources.

    123  Ibid., p. 60.

    124  Max Scheler, dans son essai Le Phénomène du tragique (1915) qui figure dans l’ouvrage Du renversement des valeurs, définit ce retournement du génie moral qui devient héros tragique (Jésus, par exemple, cité par l’auteur lui-même). Cette compréhension éthique du tragique, qui est confrontation entre deux ordres antagonistes de valeur, paraît résonner pertinemment avec certaines orientations de la philosophie de Bergson et permet même d’en éclairer les impensés. On notera d’ailleurs que la thématisation schélerienne du nœud tragique peut faire écho au processus bergsonien d’inversion de la vie, qui dans le monde politique des normes et des valeurs, transforme la vie en force de mort (Scheler, Le phénomène du tragique, in Mort et survie, trad. fr. M. Dupuy, Paris, Aubier Montaigne, 1952, p. 120-121).

    125  Ibid., p. 313.

    126  Comme il l’est rappelé à la fin des Deux Sources, il ne faut pas « trop [compter] sur l’apparition d’une grande âme privilégiée » (DS, p. 333).

    127  Ibid., p. 85.

    128  Ibid., p. 85.

    129  Ibid., p. 85.

    130  On peut effectuer ici, une passerelle entre la théorie de l’homme d’action, dans Matière et Mémoire, et celle du progrès sociopolitique : l’homme d’action développe un véritable sens pratique qui suppose l’accord solide des deux mémoires, permettant l’inscription du passé dans l’action présente (MM, p. 169-170). Le grand homme d’action sera ainsi celui qui rendra présent le souvenir pur des mystiques au sein d’une action transformant le monde social.

    131  DS, p. 85.

    132  Ibid., p. 86.

    133  La connaissance de l’esprit doit permettre à l’homme de se replonger dans la vie spirituelle et lui dévoiler la survie de l’âme, à travers « une vision d’au-delà dans une expérience scientifique élargie » (DS, p. 338). Voir aussi AC, p. 58.

    134  Emmanuel Mounier, Le personnalisme (1949), Paris, PUF, coll. « Que sais-je ? », 2007, 17e éd., p. 30.

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