Chapitre 1. Mystique et politique
p. 181-215
Texte intégral
1La figure du mystique joue un rôle central dans la philosophie morale et politique de Bergson. Avec elle surgit l’inspiration d’une nouvelle morale. D’un point de vue politique, elle laisse entrevoir, au cœur du dualisme anthropologique bergsonien, une pensée politique de l’émancipation, en tant que ses actes ont des répercussions concrètes dans l’espace social, institutionnel et juridique humain constitué.
2La thématisation de la figure du mystique et du mysticisme s’inscrit au sein de deux lignes problématiques : 1/ elle achève l’anthropologie métaphysique en se présentant comme l’assomption d’une « surhumanité » ; 2/ elle permet la constitution d’une anthropologie sociale et historique en dessinant une direction éthique et politique qui va dans le sens d’une réforme sociopolitique, prenant en compte la satisfaction des besoins sociaux humains. Ces deux lignes problématiques, la première se présentant comme apolitique, la seconde ayant pour objet les modalités d’organisation sociopolitique de l’espèce, sont en fait constitutives l’une de l’autre, en tant que la première donne son assise à la seconde.
3À partir de la figure du mystique se dessinent les contours de la philosophie politique de Bergson. Les accents péguystes d’une réflexion liant politique et mystique ne pourront manquer de frapper l’esprit1. La pensée sociopolitique de Bergson, qui recoupe, à la fois, une analyse ontogénétique de la vie sociale humaine, l’étude des modes institutionnels d’organisation du vivre-ensemble, une théorie de l’action visant la mise en place d’une société juste, repose sur la mystique et la métaphysique de la création qui la traverse. Cependant, s’il y a bien une articulation, chez Bergson, de la mystique et de la question politique, comprise, ici, de manière large, en son double sens technico-juridique (art de gouverner et constitution du corps politique) et pratique (théorie de l’action), elle ne recouvre pas les orientations de la pensée de Péguy.
4La thèse péguyste, fameuse, de la dégradation de la mystique en politique, développée dans Notre jeunesse, texte de 1910, part de l’analyse suivant laquelle chaque système de pensée et d’action est porté par une mystique, un certain élan originel, soutien d’un engagement actif qui entraîne dévouement et adhésion. Quand ce système de pensée et d’action, dont la traduction peut être institutionnelle, juridique ou simplement pratique, se coupe de sa mystique, il se dégrade en politique – la politique devenant le lieu de l’affairisme et d’une certaine captation du bien commun par les intérêts privés2. Le terme « politique » est marqué de manière strictement négative, en ce qu’il désigne à la fois un processus de déclin et son résultat : un système de pensée et d’action « organique » et « vivant » devient simplement « logique » et « historique3», en ce qu’il ne dure et n’est maintenu qu’en vertu des avantages privés qu’il peut procurer. Cette compréhension de la mystique et de la politique, comme gouvernement par la combine, ne s’identifie pas à l’articulation effectuée par Bergson en 1932. Chez Péguy, la mystique comprise comme inspiration et élan nourrit plusieurs modes de penser et d’agir, qu’ils soient religieux ou politiques : il y a des mystiques chrétiennes, royalistes, monarchistes, républicaines4… En tant qu’elle désigne l’inspiration d’une pensée possédant une force mobilisatrice sui generis, son lieu d’expression et d’effectuation privilégié est l’espace des collectivités humaines, dans leur pluralité. Or, chez Bergson, la mystique ne désigne pas, directement, cette inspiration à l’origine d’un système de pensée et d’action constituant la source de l’institution d’un régime ou d’un engagement (comme la mobilisation autour de l’Affaire Dreyfus, objet de Notre jeunesse, par exemple). Sous le terme « mystique » est indiquée, d’abord, une individualité exceptionnelle – le mystique – dont la thématisation s’inscrit dans une réflexion anthropologique et métaphysique. La mystique, ensuite, du point de vue de la théologie et de l’histoire des religions, renvoie aux récits et aux expériences d’union avec Dieu, qui fonderont la classification et la division qu’effectue Bergson au chapitre III des Deux Sources entre mystique complète et mystique incomplète. Et enfin, en ce que le mystique, comme tel, exemplifie l’actualisation de l’élan vital à travers ses actes, la vie mystique possède une signification éminemment morale.
5Cette dimension éminemment morale de la vie du mystique est au fondement de la pensée politique de Bergson : la vie du mystique est cette source à partir de laquelle peut être décrite une certaine orientation politique qui vise une transformation des conditions de la vie humaine. La mystique ne nourrit donc pas des systèmes de pensée et d’action quelconques. Elle rend possible, dans la pensée de Bergson, la traduction politique de la morale ouverte en lui donnant un contenu juridique et institutionnel précis : une certaine pensée des droits de l’homme et de la démocratie. Tout système de pensée et d’action n’est donc pas soutenu par une mystique. À ce titre, pour Bergson, même si les rares occurrences du terme « politique » dans le livre de 1932 restent affectées d’une dimension négative5, le lien entre la mystique et la politique n’est pas celui d’une dégradation, mais prend la forme d’une fondation théorique et s’inscrit au cœur d’une problématique de la diffusion. Fondation théorique à partir de laquelle se constitue la pensée politique bergsonienne qui, contre toute attente peut-être, s’oriente vers un projet progressiste de transformation de l’espace sociopolitique. Diffusion, en ce que la possibilité d’un tel progrès sociopolitique reste attachée aux conditions de propagation, à l’intérieur des collectivités humaines, de l’« élan mystique6 ».
Surhumanité et action
6La figure du mystique achève le sens de la création terrestre : elle est l’attestation empirique du dépassement effectif de l’homme sur la ligne d’évolution qui l’a fait apparaître. La nature de ce dépassement, qui n’a rien d’un simple retardement, constitue un saut brusque d’un point de vue qualitatif. Le mystique est une nouvelle actualisation de l’élan vital au sein de l’espèce humaine : il « représente, comme eût fait l’apparition d’une nouvelle espèce, un effort d’évolution créatrice7 ».
7Cette nouvelle actualisation, simplement intuitionnée dans L’Évolution créatrice, devient effective dans Les Deux Sources. Dans L’Évolution créatrice, elle est annoncée sous la forme d’un conditionnel, esquissant ce qu’aurait pu être une « humanité complète8 » ayant développé, de manière égale, intelligence et intuition, et non la première au détriment de la seconde. Si l’homme « continue […] indéfiniment le mouvement vital, [il] n’entraîne pas avec lui tout ce que la vie portait en elle9 », le mouvement dispendieux de divergence de l’élan contrarie l’humanité qui aurait pu se dessiner : un « être indécis et flou, qu’on pourra appeler, comme on voudra, homme ou sur-homme10 ». Homme ou sur-homme, la disjonction, ici, ne semble pas se distinguer de l’équivalence ; après tout, l’être complet qui aurait pu prendre la place d’une humanité caractérisée par l’intelligence fabricatrice, sera toujours un homme. Ce qui le distinguera sera sa capacité à concentrer toutes les tendances de la vie créatrice – l’intensité d’une telle concentration justifiant, alors, l’usage du terme « sur-homme ».
8Les horizons tracés par le livre de 1907, accompagnés de comme si et de conditionnels, se déterminent dans les Deux Sources. La figure du mystique apparaît comme cet accomplissement de l’espèce humaine, concentrant tout ce que la vie porte en elle. Le mystique est pensé comme « la création d’une espèce nouvelle composée d’un individu unique11 », comme l’actualisation d’une « humanité divine12 ». Ou encore, il est dit « plus qu’homme13 ».
9Les esquisses de L’Évolution créatrice et l’affirmation empirique de l’existence du mystique comme dépassement effectif de l’humanité au cœur d’une coïncidence partielle, dynamique et intuitive, avec Dieu, explicitent la nature de cette nouvelle actualisation au cœur de l’espèce humaine : le mystique rompt le conditionnement circulaire de l’individu et de l’espèce, et constitue une échappée individuelle hors de la clôture de la nature, comprise comme l’« ensemble des complaisances et des résistances que la vie rencontre dans la matière brute14 ». Pour le mystique, la matière n’est plus un obstacle. Contrairement à ce qui se produit dans l’art, il en fait un instrument de liberté, comme si elle était quasi-inexistante15.
10L’actualisation de l’élan donne naissance à une « surhumanité », libérée des pesanteurs matérielles, qui freinent et ralentissent son mouvement. La thématisation du dépassement quasi surhumain que constitue la mysticité, apparaît cependant équivoque et engage une réflexion sur sa nature, ouverte par la critique des thèses de Pierre Janet dans les Deux Sources. Dans De l’angoisse à l’extase, Janet décrit l’extase mystique comme une manifestation psychasthénique16. Or, le mystique, chez Bergson, n’est ni un malade ni un fou, il possède une santé « exceptionnelle » de l’esprit17 ; ce qui le caractérise, ce n’est ni l’extase ni la contemplation, mais l’action : « l’âme du grand mystique ne s’arrête pas à l’extase comme au terme d’un voyage18. » Le critère de l’action, d’une action surabondante de vie19 et donc créatrice, est celui à partir duquel est thématisée la surhumanité mystique. La définition de ce critère s’opère dans le chapitre III des Deux Sources à partir de la classification des mystiques qui marque la distinction entre un mysticisme complet et un mysticisme incomplet, le premier étant un mysticisme de la volonté, cherchant à replacer son vouloir en Dieu lui-même20 alors que le second, s’absorbant dans une expérience contemplative, manifeste une insuffisance d’élan ou une intellectualité qui ne parvient pas à opérer son propre dépassement21, proposant, comme dans le Bouddhisme, un idéal d’évasion de la vie.
11Le véritable mystique ne se laisse pas absorber par une contemplation réprimant en lui toute puissance d’agir, ou toute activité déjà préformée en lui22 : il est « action, création, amour23 ». Sa volonté d’agir, ébranlée par sa relation à Dieu, consiste à « convertir en effort créateur cette chose créée qu’est une espèce, [de] faire un mouvement de ce qui est par définition un arrêt24 ».
12Cette volonté d’action, tendant à troubler l’ordre constitué de la polis, de la société naturelle humaine25, a une triple signification morale, politique et métaphysique. Ce que veut l’action mystique, c’est, « avec l’aide de Dieu, parachever la création de l’espèce humaine26 ». Le mystique est une force de conversion, contre les clôtures statiques de l’espèce : son activité consiste à transformer l’humanité, selon la puissance quasi nécessitante qui le soulève27. Ainsi, le mystique, « défini par sa relation à l’élan vital28 », n’est pas un animal politique29. L’usage de cette terminologie, que Bergson emprunte par deux fois à Aristote dans les Deux Sources, est loin d’être univoque. Elle est convoquée, dans un premier cas, contre les théories sociologiques de Durkheim pour qui l’individu est une abstraction, et dont les orientations théoriques ne permettent pas de comprendre le pouvoir dissolvant de l’intelligence, soit sa capacité à désocialiser les individus30, à jeter un premier trouble dans l’ordre social. La deuxième occurrence de l’animalité politique dessine plutôt une physionomie de l’exercice du pouvoir souverain dans la société naturelle humaine. Cette physionomie de la souveraineté, qui se définit comme droit de vie et de mort sur les sujets, s’appuie sur la structuration naturelle et dimorphique du psychisme humain qui fait de « chacun de nous, en même temps, un chef qui a l’instinct de commander et un sujet qui est prêt à obéir »31. Or, le mystique n’incarne aucune figure du pouvoir, et son action ne consiste pas à renforcer les cohésions, aux effets excluants, des sociétés humaines naturelles.
13Le mystique est « plus qu’homme », mais, vu du dehors, rien ne le distingue « des hommes parmi lesquels il circule32 ». S’il y a une « surhumanité » mystique, elle n’a rien d’une inhumanité. Le mystique présentifie, en acte, un certain accomplissement de l’humanité, en tant que sa spécificité a été surmontée. Il se révèle pure nature naturante : sa supériorité, il la tient de sa capacité pratique à annuler toute résistance de la matière et de la puissance de son effort d’intuition. Pour lui, les obstacles de la nature naturée n’existent pas : figure de l’innocence33, il voit et agit simplement, « à travers des complications qu’[il] semble ne pas même apercevoir34 ».
14La figure du mystique complet est porteuse d’une vérité métaphysique anhistorique et atopique. Toutefois, cette thématisation de la surhumanité mystique, loin d’être sans lieu et sans attaches, s’est incarnée historiquement dans le christianisme et a pris corps, au plus haut point, en la personne du Christ. Mysticismes grec, oriental ou juif sont des mysticismes tronqués : ils n’actualisent pas pleinement l’élan, ou sont travaillés par des problématiques nationales. Seul le mysticisme chrétien est véritablement actif chez Bergson. Son moteur est un amour universel pour l’humanité – charité qui est aspiration à se répandre35. Faudra-t-il d’emblée interpréter cette tension, entre la caractérisation métaphysique du mystique et son incarnation historique, comme la persistance ou la résurgence de représentations eurocentriques36, s’insinuant, euphémisées, à l’intérieur du projet moral bergsonien ? Si une difficulté de cet ordre, qu’il faut mieux circonscrire, surgit, elle met d’abord en lumière le problème central de la vie mystique : en tant qu’elle appelle à une transformation radicale de l’espèce, se pose à elle la nécessité de la propagation concrète de son élan. La diffusion de l’appel mystique suppose une circulation parmi les hommes, une traversée des frontières des cités humaines constituées.
15L’action du mystique, pure expression de la nature naturante, ne peut être comprise indépendamment du problème, d’une part, de sa diffusion parmi les hommes et, d’autre part, de sa réception dynamique et de sa reprise au sein de l’espèce, à travers un processus d’imitation/ conversion déjà à l’œuvre, par ailleurs, dans l’art.
16Dans la philosophie de Bergson, les problèmes de la diffusion de l’élan et de sa réception dynamique, mobilisent une certaine compréhension du fait religieux, ainsi qu’une analyse critique de l’esprit d’invention. La propagation de l’appel mystique, constitutive de son action, est dépendante des conditions de réceptivité dont est capable l’espèce. La religion, qui vulgarise l’appel mystique, et la mécanique, c’est-à-dire le progrès de l’industrialisme et du machinisme lors des deux grandes révolutions industrielles en Europe, contribuent à cette diffusion37.
17La religion constituée d’un groupe donné, est un organe social qui permet au mystique de « transmettre de proche en proche, lentement, une partie de lui-même38 ». Cette religion sociale transformée par l’élan mystique et le diffusant, a pris le nom de christianisme dans l’histoire39 chez Bergson. Le mystique advient devant une humanité déjà préparée par d’autres mystiques dont les religions constituées étaient imprégnées : le Christ apparaît comme « le continuateur des prophètes d’Israël40 » ; le christianisme est chargé tout autant des mystiques intellectualistes grecques que des rites, des cérémonies des religions statiques41. L’institution religieuse (institution sociale, culturelle) et le mysticisme se conditionnent donc l’un l’autre : la première s’ouvre au contact du second, le second se diffuse en se servant de la première. Les conditions de propagation de l’élan mystique produisent un mixte religieux, fait d’emprunts aux religions naturées, statiques et à cette religion naturante, dynamique qu’est le mysticisme. Ce mixte religieux, ou « religion mixte42 », qui forme le christianisme historique, explique un des sens de l’action mystique : le mystique joue le rôle « d’un intensificateur de la foi religieuse43 » et ses premiers actes concrets consistent ou ont consisté à former de petites sociétés spirituelles, composées parfois de « membres exceptionnellement doués»44, essaimant pour propager l’élan. La puissance quasi-nécessitante de l’élan mystique ne peut toutefois s’en tenir à une communication traversant de petites communautés spirituelles, ou à une simple intensification de la foi chez des sujets qui s’y sentiraient disposés, elle aspire en elle-même à une « propagation générale immédiate45», pour laquelle l’institution religieuse ne suffit plus.
18C’est ici qu’entre en jeu la mécanique. Si l’action mystique s’incarne socialement au cœur des problématiques de l’institution du religieux, l’essor de la « mécanique », c’est-à-dire d’un certain progrès technique à un moment précis de l’histoire (de l’Europe), transforme le problème de la propagation de l’élan en problème sociopolitique. Le progrès technique, en tant qu’il affranchit, en partie, les hommes des contraintes matérielles, apparaît décisif quand il atteint un certain seuil. Il favorise le mouvement de propagation de l’élan, au sein d’une espèce devenue capable de détachement.
19L’intelligence fabricatrice, ressort de l’inventivité technique, contribue accidentellement à la diffusion de l’appel mystique parmi les hommes. Le bond hors de la nature, appelé par les mystiques, se trouve préparé au sein d’aptitudes spécifiques préfigurées dans la nature. La mécanique constitue, à ce titre, un événement historique, anthropologique et métaphysique majeur dans les Deux Sources. Elle présente l’occasion d’un déploiement efficace et élargi de l’action mystique parmi les hommes :
Comment […] l’humanité tournerait-elle vers le ciel une attention essentiellement fixée sur la terre ? Si c’est possible, ce ne pourra être que par l’emploi simultané ou successif de deux méthodes très différentes. La première consisterait à intensifier si bien le travail intellectuel, à porter l’intelligence si loin au-delà de ce que la nature avait voulu pour elle, que le simple outil cédât la place à un immense système de machines capable de libérer l’activité humaine, cette libération étant d’ailleurs consolidée par une organisation politique et sociale qui assurât au machinisme sa véritable destination. Moyen dangereux, car la mécanique, en se développant, pourra se retourner contre la mystique46… [nous soulignons]
20La libération de l’activité humaine, comprise comme indépendance vis-à-vis d’une matière-obstacle, prend deux formes. L’esprit d’invention de l’homo faber favorise le développement d’outils, de machines, assurant d’une part la maîtrise de l’homme sur la nature47 pour vivre, et, d’autre part, son confort. Cette libération n’est cependant que partielle ; elle comporte le risque d’une fascination de l’homme par la vie matérielle, d’un désir de jouir sans mesure de l’abondance. La libération de l’activité humaine que vise la propagation de l’élan mystique est plus radicale : ni instrument, ni stimulant, la matière devient quasi-inexistante et ouvre chaque homme à la vie active et créatrice de l’esprit.
21La propagation de l’élan mystique, en tant qu’elle se heurte aux conditions de vie effectives de l’espèce humaine, peut s’appuyer sur les réalisations de l’esprit d’invention : « Comment [le mysticisme vrai] se propagerait-il, même dilué et atténué comme il le sera nécessairement, dans une humanité absorbée par la crainte de ne pas manger à sa faim48 ? » Cette diffusion est relative au degré d’indépendance de l’espèce vis-à-vis de la matière, du monde des besoins. L’anthropologie apolitique, métaphysique qui se construit autour de la figure agissante du mystique implique donc une philosophie sociale et politique interrogeant les conditions effectives à partir desquelles peut se propager son appel49.
22L’avènement du progrès technique à partir de la fin du xviiie siècle, en changeant radicalement les conditions matérielles de vie des hommes, change la perspective de l’action mystique qui peut désormais s’élargir. On comprendra, dès lors, le sens du titre du chapitre IV des Deux Sources : non pas « mystique et politique », mais « mécanique et mystique ». L’enjeu pratique de la pensée de Bergson à la fin des Deux Sources consiste à déterminer les moyens par lesquels l’homme peut résister à une nature irréductible, indéracinable, terreau d’une violence psychique et sociale. La propagation générale de l’élan mystique doit contrer les effets d’une telle nature. Le noyau de la pensée politique de Bergson consiste ainsi à définir quelles conditions favorisent la propagation de l’élan. Au même titre que la mystique peut appeler la mécanique pour se répandre ; la mécanique appelle la politique pour répondre à l’orientation que veut lui imprimer la mystique. Sous la dualité « mécanique et mystique », se révèle une articulation plus profonde, celle de la mystique et de la politique.
Mystique et universalité
23L’action mystique perturbe les frontières des sociétés closes humaines, et vise la réalisation effective d’une fraternité humaine universelle, au sein de ce qui donnera consistance, in fine, à un projet cosmopolitique. Contre l’esprit de guerre et le repli communautaire propre aux sociétés humaines naturelles, la transformation sociale impulsée par la diffusion de l’élan repose sur la reconduction théorique de l’articulation conceptuelle du particulier et de l’universel dans la pensée morale.
24On pourra, peut-être non sans mal, réinscrire la pensée morale et religieuse de Bergson au sein d’un projet éthique universaliste, enrichi par l’affirmation théorique du concept de création au cœur de la métaphysique. Cette réinscription mettra en lumière les originalités du texte bergsonien – l’universel appréhendé dans la pensée bergsonienne n’étant ni neutre, ni non situé – sans en évacuer les difficultés, les limites. La figure du mystique, dont la tâche est de réinstaller l’espèce dans la continuité de cet élan de vie qui s’est interrompu avec elle, renouvelle le problème de l’universel, substituant à une caractérisation logique de son concept, un universel concret et agissant, qui décrit à la fois la dynamique de diffusion de l’élan ainsi que la forme et le contenu de l’action mystique – ce qu’il faut expliciter.
25L’universalisme se conçoit de manière large comme l’hypothèse selon laquelle il existe des traits irréductibles de la vie et de l’expérience humaine qui existent au-delà d’effets culturels et locaux constitutifs et implique, de fait, la reconnaissance de valeurs humaines les transcendant. Après tout, l’anthropologie métaphysique bergsonienne se construit sur une philosophie de la nature, dont les traductions et conséquences à l’intérieur de l’anthropologie sociale soulignent, certes, le fait de la différence culturelle, mais aussi l’idée que cette différence est le produit de ce que « veut » la nature à travers la mise en place de dispositions psychiques universellement partagées chez l’homme (intelligence, fonction fabulatrice etc.). Et, en vertu de cette nature humaine, travaillée par une tension, une philosophie normative se dessine, traçant positivement les voies pour un agir qui suivrait ce qui pourra être jugé comme objectivement bénéfique pour tout homme, sans exception.
26Cependant, on s’étonnera assez vite de ce que dans les Deux Sources le terme « universel » n’apparaisse que peu souvent, ou même de ce qu’il ne renvoie qu’une seule fois à la morale ouverte50, sous les traits de l’amour mystique pour l’humanité. C’est que, si l’on doit parler d’une pensée bergsonienne de l’universel en moral, elle ne devra pas être comprise à l’intérieur d’une théorie des valeurs au contenu positif déterminé, mais depuis les orientations morales tracées par la métaphysique de la création qui culmine avec l’actualisation de la figure du mystique. A partir d’elle, s’effectue une reprise de l’usage du concept d’universalité comme cœur de l’exigence morale, reposant sur une théorie du sujet, et particulièrement une théorie du « sujet sans identité » (Badiou)51, sujet qui se vit et qui se dit hors de toute assignation (à une race, un sexe, une ethnie, une classe…) et de toute inscription destinale. Cette théorie du sujet est thématisée par Alain Badiou à partir de la figure de Saint Paul dans sa connexion « à une loi sans support52». Elle apparaît féconde pour penser la figure du mystique bergsonien, en ce qu’elle explique comment l’agir moral peut viser concrètement non plus une famille, une patrie, mais l’humanité toute entière. Le geste de Bergson, dans Les Deux Sources (particulièrement dans le chapitre III), consiste à concevoir la morale par-delà les expressions de cloisonnement et d’appartenance à une communauté, et laisse entrevoir la fondation d’un projet cosmopolitique en train de se dessiner.
27La thématisation de la « rénovation morale » ne se réduit pas à la production d’un discours armé de prescriptions rationnelles53 ou à une revendication abstraite de fraternité54. Elle se constitue concrètement, autour de la figure incarnée du mystique :
Car l’amour qui le [le mystique] consume n’est plus simplement l’amour d’un homme pour Dieu, c’est l’amour de Dieu pour tous les hommes. À travers Dieu, par Dieu, il aime toute l’humanité d’un divin amour. [...] Les philosophes eux-mêmes auraient-ils posé avec une telle assurance le principe si peu conforme à l’expérience courante de l’égale participation de tous les hommes à une essence supérieure s’il ne s’était pas trouvé des mystiques pour embrasser l’humanité toute entière dans un seul indivisible amour ? » L’amour mystique de l’humanité est « d’essence métaphysique encore plus que morale. Il voudrait, avec l’aide de Dieu, parachever la création de l’espèce humaine et faire de l’humanité ce qu’elle eût été tout de suite si elle avait pu se constituer définitivement sans l’aide de l’homme lui-même55.
28Les visées de l’action mystique, qui est charité, s’opposent aux dispositifs d’assignations à une identité produits par la société close. L’action du mystique, en ce qu’elle est exigence de création, invite à rouvrir ce qui est clos : elle pousse l’espèce humaine à sortir des orientations de sa nature naturée cristallisées en haine virtuelle et quasi instinctive de l’étranger56.
29Le mystique apparaît comme une figure concrète de l’universel. D’un point de vue métaphysique, d’abord, il présentifie singulièrement une humanité accomplie, qui est pur élan, continuité créatrice. D’un point de vue moral, il est figure de l’universel non pas au sens où il agirait au nom d’un idéal au contenu positif pré-donné, considéré comme universalisable, mais au sens où il est incarnation de l’universel dans des actes. La théorie des deux multiplicités57 développée dans l’Essai, sous-jacente à cette compréhension de la figure du mystique, permet d’éclairer ce point.
30La société close est le règne du multiple, en un sens quantitatif. Multiplicité des parties qui forment les différents groupes humains58. Chaque groupe se reconnaît comme un, identique à lui-même – toute identité impliquant exclusion et défense contre l’étranger. Les communautés s’organisent autour d’un corps de lois, attribuant à chaque partie ce qui lui est dû59. Dans la société close, s’affirme le règne du relatif et du particulier.
31Contre cette « multiplicité particularisante60 », peuvent être tracés les contours d’une société ouverte (société des mystiques) qui se définissent à partir d’une multiplicité qualitative. La multiplicité qualitative ne désigne pas une collection juxtaposée de parties : elle décrit, dans le cadre de la philosophie morale de Bergson, une création en acte, un accroissement. La société ouverte, société des mystiques61, vit d’actions surabondantes d’amour, reposant sur une modalité de la relation à l’autre qui est attention à l’expérience de création que chaque individualité présentifie et dont l’irréductible nouveauté, jamais exclue, est toujours reçue.
32On comprendra le processus, intraspécifique cette fois, d’ouverture : « À travers Dieu, par Dieu, le mystique aime toute l’humanité d’un divin amour. » C’est parce qu’il a dépassé l’espèce et sa « multiplicité particularisante », que le mystique peut se retourner sur l’humanité et l’apercevoir comme une, traversée par le courant évolutif qui est unité d’impulsion, et qui l’appelle à se dépasser elle-même. L’un de l’humanité n’est pas l’un du particulier, mais une unité grossie par la multiplicité des différences singulières, non absolues, propres aux personnes humaines. L’universel de l’humanité est ce qui excède toujours telle partie, il se réactualise indéfiniment à partir de l’accueil de ce qui est tenu pour « autre », étranger à un groupe : on ne peut donc le représenter, ni même le penser à partir d’un modèle a priori (élaboré d’après une réflexion sur l’essence de l’homme) ; il ne constitue pas une totalité abstraite62. L’ouverture des sociétés closes apparaît comme un processus de réorganisation créatrice, disqualifiant, en situation, l’alternative discriminante « eux/nous ».
33L’universel n’est jamais donné, mais, en ce qu’il qualifie l’amour pour l’humanité qui nourrit le mystique, il est un effet de création. Dans les actes concrets du mystique (charité, sacrifice, dévouement, don de soi), se présente cette humanité qui est proprement l’objet de son amour. La « multiplicité particularisante », exaltée par les rhétoriques identitaires de la société close, est une fausse multiplicité, au sens où elle cache à l’humanité sa raison d’être63, qui lui est signifiée dans l’unité du courant qui la traverse. Quand le mystique s’élance vers l’humanité toute entière, il n’appelle pas telle partie, ou telle autre, habitant sur tel territoire etc. Il s’adresse à ce qui, en chaque partie, l’excède, soit à ce qui, en chaque partie, la rend « indifférente à la différence mondaine64 », pour reprendre Alain Badiou.
34En exemplifiant une humanité ayant renoué complètement avec l’élan créateur, le mystique se présente comme la figure paradigmatique d’un « sujet sans identité ». Le mystique se crée au-delà de tous les particularismes des sujets culturels : « Le grand mystique serait une individualité qui franchirait les limites assignées à l’espèce par sa matérialité, qui continuerait et prolongerait ainsi l’action divine65 ».
35Le chapitre III des Deux Sources dessine les voies concrètes d’une rénovation du monde humain en montrant que toute action véritablement morale s’affranchit des logiques identitaires et de leur lot de dichotomies (eux/nous ; propre/étranger ; vil/ noble…). La religion dynamique, à travers la figure du mystique, propage un « état d’âme66 » qui suggère que la destinée métaphysique de l’homme excède sa nature biologique, que l’humanité, en sa vérité, est appelée à continuer l’élan créateur qui l’origine.
36La théorie d’un « sujet sans identité » incarnée par la surhumanité mystique place au centre de la philosophie morale bergsonienne un concept d’universel, travaillé par la philosophie de la création. L’universel n’est pas déjà donné, mais est un effet de création : le mystique, en tant qu’il est actualisation d’une surhumanité, se rend capable d’embrasser l’humanité toute entière67. L’universalité, pensée à partir de l’action mystique, se présente comme la forme et le contenu même d’un acte. Sa forme est celle d’un appel, d’une adresse collective traversant les frontières des sociétés closes. Son contenu n’est aucunement une proposition positive, déterminée culturellement, transformant la propagation de l’élan mystique en une œuvre missionnaire solidaire, pourquoi pas, d’une politique. Il est indéterminé parce qu’il se crée : pure dynamique créatrice et relationnelle, il est processus d’interpénétration progressive et continue de telle partie et de ce qu’elle tient pour ses « autres », pour hors de soi. Ce processus a pour effet, dans le monde spécifique humain, la reconfiguration constante et neuve des manières qu’ont les hommes de vivre entre eux. L’universel, loin d’être le produit d’une spéculation appréhendant l’humanité statiquement en vertu d’une essence, se présente comme le fond concret et solide d’une expérience.
Une géographie bergsonienne de l’esprit68 ?
37L’analyse de la surhumanité mystique comme actualisation de l’élan vital, et par suite, comme sujet sans identité traversant toutes les clôtures, constitue la force de la philosophie morale bergsonienne et précisément son originalité : la fraternité universelle est une réalité qui constitue la forme et le contenu d’une action et non pas une idée, recommandée par les philosophes69. Elle ne se construit pas à partir d’un modèle pré-donné d’humanité, générateur d’exclusions, et invite, dans l’ordre social et politique, à une création continue des volontés humaines, soulevées par l’appel mystique. Cette mystique bergsonienne s’incarne dans l’expérience chrétienne, au sens où elle signifie, comme le montre Michel de Certeau, le refus d’une réduction à la loi du groupe, qui se traduit « par un mouvement de dépassement incessant70 » et une compréhension de la non-identité comme « mode sur lequel s’élabore la communion71 ».
38Toutefois la conception de cette incarnation et de la non-identité figurée par le mystique entrent en tension dans la pensée de Bergson et semblent réactiver les traits de l’universalisme abstrait. Un universalisme abstrait consisterait à produire l’universel à partir d’un particulier s’érigeant en modèle universel global72 et légitimant, d’un point de vue politique, des formes de domination. Ramon Grosfoguel en propose une double caractérisation73 : 1/ il serait affirmation d’une universalité éternelle et pré-donnée, déliée de toute détermination spatio-temporelle ; 2/ le sujet d’énonciation de l’universel apparaîtrait « vidé de toute corporéité », « sans visage et sans lieu74 » mais cacherait en fait un particulier déterminé géographiquement et historiquement.
39Une première confrontation de l’universalité bergsonienne avec cette double caractérisation de l’universalisme abstrait met en lumière les difficultés qui persistent au cœur de la pensée bergsonienne mais aussi les écueils auxquels elle échappe en partie en raison de l’affirmation théorique du concept de création.
40D’abord, y a-t-il, dans la pensée de Bergson, quelque chose comme une résurgence d’une universalité éternelle et pré-donnée ? Cela a été montré : l’universel, en moral, n’est pas une construction logique, chez Bergson. Il ne se constitue pas non plus par voie de dilatation75, partant de la famille, s’élargissant à la patrie et enfin à l’humanité, se confondant avec le général. Un tel élargissement, simple généralisation du particulier, reste tributaire d’une conception pré-donnée de l’humanité, qui s’identifie à son lieu d’énonciation.
41Mais si la thématisation de l’universalité n’est pas le produit de la détermination d’une essence humaine, fondée soit sur la faculté souveraine de la raison76, soit à la manière de Rousseau, sur une certaine solidarité intra-spécifique77, l’espèce est travaillée par un élan qui résiste de manière indéterminée, c’est-à-dire créatrice, à sa naturalité. L’universel que présentifie le mystique dans la forme et le contenu de ses actes n’est pas pensé depuis le socle de l’humanité spécifique, mais dans l’écart entre une anthropologie sociale et la figure culminante de l’anthropologie métaphysique. C’est à partir de l’action mystique que le concept d’universel est requis pour épaissir le fond de toute exigence morale ouverte. Le mystique n’a pas de nature, ou plutôt il est pure nature naturante : il se comprend à partir de son activité qui est prolongement de l’élan créateur. L’humanité qu’il embrasse de son « universel amour » ne renvoie pas à une idée ou un concept, déjà donnés, extérieurs à ses actes et visés abstraitement : elle est produite, ici et maintenant, par une action affranchie de toute logique d’assignation à une identité réifiée quelconque – ce en quoi consiste sa dimension morale. Le contenu et la forme de l’action du mystique brisent la clôture et donnent corps, dans l’acte même de briser, à une humanité dont la réalité effective ne s’affirme pas à l’intérieur d’une essence éternelle, mais déborde les clôtures des sociétés naturelles.
42Cependant, une difficulté subsiste. Si on s’attache à la deuxième caractérisation de l’universalisme abstrait mentionnée ci-dessus, on peut questionner le « sujet d’énonciation » de l’universel, chez Bergson. Ce sujet est le mystique, défini par sa relation singulière à l’élan vital, figure paradigmatique du sujet dans identité. Mais que dit la « non-identité » mystique, socle de la communion ? Le mystique n’est en effet pas sans lieu ni sans visage : il possède un nom, qui renvoie à une culture, à un territoire. Il apparaît avec le christianisme. Certes on peut très bien analyser la forme du mysticisme sans sa matière78, c’est-à-dire l’expérience mystique sans la doctrine ou le dogme religieux dans lequel elle s’incarne pour diffuser son élan aux hommes. De plus, le mystique circulant et vivant parmi les hommes apparaît de facto situé – ce qui ne contredit aucunement le fait que ses actes soient porteurs d’une résistance incarnée (et non pas abstraite) à toute logique d’assignation à une identité et à toute désignation injurieuse de l’autre.
43Toutefois, deux passages rapprochés des Deux Sources peuvent laisser perplexe. Ils semblent définir le mystique chrétien comme un particulier dépositaire de l’universel, et réactivent une rhétorique de la nécessité centrée sur les concepts d’essence et de destin :
[Un mysticisme complet] s’est rencontré peut-être dans l’Inde, mais beaucoup plus tard. C’est en effet une charité ardente, c’est un mysticisme comparable au mysticisme chrétien, que nous trouvons chez un Ramakrishna ou un Vivekananda, pour ne parler que des plus récents. Mais, précisément, le christianisme avait surgi dans l’intervalle. Son influence sur l’Inde – venue d’ailleurs à l’islamisme – a été bien superficielle, mais à des âmes prédisposées une simple suggestion, un signal suffit. Admettons pourtant que l’action directe du christianisme, en tant que dogme, ait été à peu près nulle dans l’Inde. Comme il a pénétré toute la civilisation occidentale, on le respire, ainsi qu’un parfum, dans ce que cette civilisation apporte avec elle. L’industrialisme lui-même, comme nous essaierons de le montrer, en dérive indirectement. Or c’est l’industrialisme, c’est notre civilisation occidentale, qui a déclenché le mysticisme d’un Ramakrishna ou d’un Vivekananda. Jamais ce mysticisme ardent, agissant, ne se fût produit au temps où l’Hindou se sentait écrasé par la nature et où toute intervention humaine était inutile79.
44Le deuxième passage, assez étonnant, explique cette configuration, à première vue bénéfique, que constitue l’essor du machinisme pour la diffusion générale de l’élan mystique. La seule occurrence du terme « universel » utilisée pour qualifier la morale ouverte dans les Deux Sources, se laisse paradoxalement rabattre sur une détermination d’essence :
Mais viennent les machines qui accroissent le rendement de la terre et qui surtout en font circuler les produits, viennent aussi des organisations politiques et sociales qui prouvent expérimentalement que les masses ne sont pas condamnées à une vie de servitude et de misère comme à une nécessité inéluctable : la délivrance devient possible dans un sens tout nouveau ; la poussée mystique […] ne s’arrêtera plus net devant des impossibilités d’agir ; […] au lieu de s’absorber en elle-même, l’âme s’ouvrira toute grande à un universel amour. Or ces inventions et ces organisations sont d’essence occidentale ; ce sont elles qui ont permis au mysticisme d’aller jusqu’au bout de lui-même80. [nous soulignons].
45Ces deux extraits ont leur intérêt, en ce qu’ils permettent de déceler une tension, voire deux lectures, suggérées également par le texte, concernant la catégorie modale qui lie le mysticisme complet (et la problématique de sa diffusion) au christianisme et à l’« Occident ». Ce lien est-il contingent ou nécessaire ? Ces deux extraits paraissent affirmer la nécessité d’un tel lien, laissant croire à une surdétermination culturelle du mysticisme et de sa diffusion : le mystique ne peut être que chrétien et sa diffusion totale et générale est permise grâce à ce qui s’est produit en Occident. À ce titre, la possibilité de la « délivrance » humaine possèderait un foyer, un lieu et une origine déterminés. La thématisation bergsonienne du mysticisme complet et de sa diffusion est-elle l’expression d’une « géographie de l’esprit » (Crépon) ? « Géographie de l’esprit » signifiant, pour le cas spécial de la philosophie bergsonienne, qu’une civilisation, ou une religion particulière, se trouvent en charge du destin de l’humanité81, de sa délivrance, et que cette libération ne peut se dire que depuis une seule culture, un seul lieu. La reprise, assez féconde, d’une certaine compréhension de l’universel en morale chez Bergson masquerait, finalement, un ethnocentrisme propre à tout universalisme abstrait, érigeant en modèle une civilisation, une culture, dans l’indifférence généralisée à ses « autres »82.
46Cette réflexion souligne des difficultés de la pensée bergsonienne : celle du statut métaphysique de la religion dynamique, comme religion, et de son lien avec la religion statique, et, découlant de cela, celle de la tension entre l’anthropologie métaphysique et l’anthropologie sociale et politique. Un passage des « Remarques finales » précisant le sens du terme religieux, dans la religion dynamique, apparaît sur ce point important :
Quand on fait la critique ou l’apologie de la religion, tient-on toujours compte de ce que la religion a de spécifiquement religieux ? On s’attache ou l’on s’attaque à des récits dont elle a peut-être besoin pour obtenir un état d’âme qui se propage ; mais la religion est essentiellement cet état lui-même. On discute les définitions qu’elle pose et les théories qu’elle expose ; elle s’est servie d’une métaphysique pour se donner un corps ; mais elle aurait pu à la rigueur en prendre un autre, et même n’en prendre aucun. L’erreur est de croire qu’on passe, par accroissement ou perfectionnement, de la statique à la dynamique (...)83. [nous soulignons]
47Il faut distinguer l’esprit de la religion dynamique – son « état d’âme », et sa matière (textes, symboles, récits, entreprises théologiques, formant sa « métaphysique »). Son état d’âme, consiste à appeler chaque être à sortir des particularismes du clos, pour renouer avec l’exigence de création qui l’origine. Dogmes, théologies, textes, églises, même s’ils en préparent l’apparition, restent les formes accidentelles que prend la religion dynamique quand elle cherche à diffuser son « état d’âme » dans les différents groupes humains constitués. Si le Christ effectue la réalisation du mysticisme complet, pour le philosophe « il importe peu que le Christ s’appelle ou ne s’appelle pas un homme. Il n’importe même pas qu’il s’appelle le Christ84 ». La thématisation de la figure du mystique est d’abord métaphysique et se constitue dans l’indifférence à ce qui le particularise, ou plutôt sa particularisation, dans le régime de la culture symbolique et des institutions de la religion statique, reste contingente.
48Cependant, le deuxième passage précité laisse perplexe : ne s’érige-t-il pas en défense d’une conception du propre, possessive et exclusive ? Même si la renaissance d’un mysticisme indien agissant est associée d’une traite, dans cet extrait, à un industrialisme libérateur caractérisant les civilisations occidentales85, on ne trouve pas dans Les Deux Sources, de rhétorique de l’élection et de la mission rattachée à un groupe donné : la métaphysique de la création prévient toute téléologie de l’histoire. Aucun peuple, aucune civilisation ne sont constitués comme modèles à suivre, ou comme modèle d’humanité dans Les Deux Sources. La rénovation morale appelée par le mystique n’apparaît pas non plus comme un destin nécessaire, enfermant l’évolution de l’humanité dans un programme à réaliser, déjà donné, tout fait. La thématisation du mysticisme chrétien ne camoufle pas des « ambitions nationales86 », ou même des projets missionnaires solidaires d’une politique. L’anthropologie métaphysique et apolitique ne dévoile pas une prose falsificatrice manifestant un esprit de conquête. Si le christianisme constitue un événement historique ayant une portée quasi anthropologique et métaphysique pour Bergson, la métaphysique de la création, en récusant une approche finaliste de l’évolution du vivant et de l’homme, contrecarre, de fait, toute rhétorique de l’élection et de la mission impliquant une vision téléologique et programmatique de l’histoire de l’humanité.
49Deux orientations de lectures, également rendues possibles par le texte, se mêlent : la première surdéterminant métaphysiquement le sens du christianisme87 et d’une « aire civilisationnelle », faisant de l’« universalisme » bergsonien un exemple d’universalisme abstrait, l’autre insistant sur les lignes de force de la métaphysique bergsonienne de la création, qui sous-tend toute l’anthropologie métaphysique bergsonienne de L’Évolution créatrice aux Deux Sources et qui conçoit d’abord le mystique dans sa relation à l’élan vital. Une telle métaphysique laisse effectivement ouverte la possibilité de concevoir, en droit, le surgissement d’un mystique situé en d’autres lieux, créateur, pour le coup, d’une religion nouvelle – rebond de l’élan créateur.
50La pensée de l’universel bergsonien reste ainsi frappée d’une « asymétrie88 ». Elle est porteuse d’un potentiel critique, en raison de la métaphysique de la création qui la soutient. Mais elle demeure inscrite dans une confusion non surmontée, qui résulte d’une pratique du philosopher indifférente à la question du lieu d’où s’énonce l’universel.
51Au-delà des difficultés liées à l’usage d’un tel concept et à son asymétrie constitutive, la pensée de l’universel, conçue comme effet de création, trace le sens du projet politique bergsonien. Ce projet politique appelle non pas à une régénération des sociétés humaines, comprise comme un désir de réinstallation dans l’originaire, le naturel, mais à une rénovation, comprise comme un appel mystique à ouvrir ce qui tend à se clore. La morale n’est pas étrangère à la question politique, entendue, ici, comme cette sphère de réflexion et des activités humaines rattachée au souci du bien commun et au problème de l’institution du pouvoir.
Le clos et l’ouvert : normes, valeurs et politique
52La rénovation morale, portée par l’élan mystique, se colore d’une double signification axiologique et normative dans l’espace intraspécifique humain. En tant qu’elle est portée par un élan dynamique contre la résistance de la nature, elle constitue une reprise sur « un plan supérieur », c’est-à-dire normatif et axiologique, de la métaphysique de la vie élaborée dans L’Évolution créatrice. Ce sont des valeurs et des orientations pratiques de la volonté qui sont désormais défendues derrière les notions de création, de piétinement ou de matérialisation. Valeurs et attitudes antagonistes, qu’il faudra ou défendre, ou condamner.
53Certes, Bergson le reconnaît, un tel recours à la conceptualité métaphysique89 dans l’analyse de la morale n’est peut-être pas nécessaire, mais « la société ne s’[expliquant] pas elle-même90», il faut rechercher, contre un positionnement épistémologique durkheimien, le sens même de la morale non pas au cœur du fait social pris en lui-même mais au sein de ce qui le sous-tend et l’actualise : la vie91.
54Cette généalogie biologique des concepts moraux et, par suite, politiques, ne signifie pas qu’on peut déduire la morale bergsonienne du livre de 1907. Les analyses des faits sociaux, politiques et moraux, dans le livre de 1932, supposent la création d’une nouvelle conceptualité, construite à partir de l’étude empirique de la vie sociale. Le clos, l’ouvert, la mystique, ainsi qu’une certaine compréhension de l’action (humaine et surhumaine), sont les concepts qui intègrent dans de nouvelles perspectives les résultats de 1907. Cette intégration suppose un double travail : une analyse empirique des faits sociaux confrontée aux sciences (anthropologie, sociologie, histoire des religions, biologie), et une réflexion généalogique ressaisissant l’origine métaphysique, c’est-à-dire vitale, du phénomène étudié empiriquement – la première trouvant son sens dans la seconde. On se méprendrait ainsi en croyant qu’une philosophie morale et politique, encore inconsciente d’elle-même, se cache dans l’image de l’élan vital.
55Le chapitre I des Deux Sources analyse la morale réelle qui oriente les conduites humaines au cœur de la société. Cette « morale unique92 » est une « morale mixte » constituée de deux tendances, qui n’existent pas à l’état pur93 : une tendance à la clôture, caractérisant la pression du tout de l’obligation sur les individus et la société, et une tendance à l’ouverture, portée par une aspiration mystique appelant à l’éclatement effectif des clôtures en vue d’une réalisation de la fraternité universelle. La tendance à la clôture, « tendance organique94 », répond à l’impératif naturel de conservation de l’espèce en consolidant l’union des membres d’un groupe donné, produisant, de fait, une hostilité virtuelle de groupe à groupe. La tendance à l’ouverture, tendance qui n’entre pas dans « le plan de la nature95 », invite à relancer l’élan créateur de la vie au cœur, cette fois, des collectivités humaines.
56Chacune de ces tendances, dissociées, constitue théoriquement96, une morale qui définit une physionomie sociale. Une morale close, naturelle, figurant une société close fonctionnant de façon similaire à un organisme, où la partie est subordonnée au Tout. Une morale ouverte, antinaturelle97, qui compose une société ouverte, cité divine même, « où [les grands figures morales] nous invitent à entrer98 ». D’un point de vue généalogique, ces tendances sociales ont une signification vitale. La morale close est une morale de la répétition99, expression d’un « piétinement100 » de l’élan. La morale ouverte, différant en nature de la morale close, est actualisation d’un rebond de l’élan vital, incarné par des individualités exceptionnelles, qui reprennent le mouvement créateur de la vie sans jamais l’arrêter. À l’immobilisme du clos, l’ouvert oppose l’élan d’une « marche en avant101 ».
57La conceptualité du clos et de l’ouvert réactive sur un plan axiologique et normatif les propositions de L’Évolution créatrice, à l’intérieur d’un dispositif théorique qui permet de cerner les continuités et les ruptures entre l’ouvrage de 1907 et celui de 1932. Ce qui apparaissait comme le cours naturel de l’évolution de la vie en 1907, indépendamment de tout jugement, prend une nouvelle signification en 1932, avec l’étude de la vie sociale humaine. La finitude de l’élan n’est plus seulement un arrêt au cœur d’un accroissement indéfini de l’univers, un simple piétinement spécifique dans l’évolution générale de la vie. Elle rend raison de processus de destruction et de violence au sein de l’espèce.
58Ce que « veut102 » la nature, ce n’est pas ce que l’humanité peut vouloir : tel est le sens de la rénovation morale pensée à partir de la mystique dans la philosophie de Bergson et le point d’inflexion entre L’Évolution créatrice et Les Deux Sources. Les concepts du clos et de l’ouvert s’interprètent en un sens axiologique et normatif. Chaque norme (comme devoir-faire) définit les orientations possibles d’une volonté individuelle se déterminant à agir, subissant soit la force de pression du tout de l’obligation103, soit l’élan d’aspiration soulevé par l’imitation d’une grande âme.
59Les orientations de la volonté, dans ce jeu de tendance et de contre-tendance, mettent en lumière des valeurs (comprises comme devoir-être) à partir desquelles se constituent des jugements évaluatifs et la formation intellectuelle de doctrines morales. Vivre et plus encore créer104 se traduisent, dans un contexte donné, sous la formes de valeurs positives, envisagées comme désirables. La positivité de telles valeurs s’atteste empiriquement à travers un signe affectif : la joie105. La joie est l’autre de la souffrance, affect qui signale un mal physique ou moral, réprimant ou diminuant toute possibilité pour la vie ou de se conserver ou de s’accroître. Les philosophies optimistes masquant l’irréductibilité d’une telle expérience apparaissent peu conséquentes : « Non, la souffrance est une terrible réalité, et c’est un optimisme insoutenable que celui qui définit a priori le mal, même réduit à ce qu’il est effectivement, comme un moindre bien106. » Joie et souffrance sont ces signes qui indiquent une reconfiguration des catégories vitales sous une théorie des valeurs.
60Faut-il dire qu’à partir des affects de joie et de souffrance se construit une nouvelle compréhension du Bien et du Mal ? Le traitement du problème du mal, dans les quatre pages qui lui sont consacrées dans Les Deux Sources, est rapide. La reconnaissance de la réalité irréductible de la souffrance conduit à une récusation de la théodicée leibnizienne107, mais Bergson ne reprend pas la question du mal moral pour elle-même. Et plus encore, comme le montre Frédéric Worms, l’expérience existentielle d’une souffrance humaine irréductible semble vite évacuée, au profit de l’affirmation d’un optimisme empirique108. Cependant, si le clos et l’ouvert alimentent une théorie des valeurs, cette dernière ne consiste pas dans l’opposition entre un bien abstrait109, défini dans sa perfection, et un mal abstrait, conçu comme privation, c’est-à-dire dans l’opposition entre ce qui est moral et ce qui ne l’est pas, mais, pour reprendre Frédéric Worms, dans l’opposition entre deux morales110. La première morale consolide ce que « veut » la nature, la seconde appelle à un acte créateur d’ouverture manifestant un bien au contenu fondamentalement indéterminé et qui ne peut se dire positivement qu’en situation.
61La généalogie biologique des concepts moraux (et, par suite, on le verra, politiques) ne signifie aucunement que l’homme est alternativement le jouet de la nature ou de forces qui le dépassent. Elle soutient une philosophie de la volonté et de l’action qui s’appuie sur une traduction axiologique des faits de création au sein d’un processus d’ouverture. L’ouverture est ainsi le nom de la création en morale : elle « brise la décision de briser »111, remettant en mouvement ce qui s’était arrêté. Elle ne répond pas à un idéal, à une visée programmatique, mais est une invitation à la création de situations nouvelles112.
62Sous cette création morale et la théorie des normes et des valeurs qu’elle porte, se révèle, in fine, une pensée politique classique cherchant à résoudre l’écart entre la morale et la politique, et tentant de circonscrire ce qui apparaît légitimement souhaitable en vue du bien commun. Les pratiques politiques, soucieuses de traduire l’appel mystique au sein des organisations humaines, sur un plan juridique et institutionnel, apparaîtront comme les soutiens, certes superficiels113, mais nécessaires à sa diffusion. Superficiels pour trois raisons : les pratiques politiques transforment techniquement le dynamique en statique, insérant un mouvement au cœur des réglementations impératives de la société qui aussitôt l’immobilisent. Elles n’ont de prise que sur l’amélioration des conditions de vie de la collectivité et ne peuvent prétendre soulever les âmes, comme le mystique. Enfin, ces créations politiques rusent avec la nature humaine, mais ne la transforment pas114 : elles inscrivent dans les institutions et les juridictions115 de la polis l’esprit d’une « réforme morale116 » de l’humanité qui se voudrait complète.
63Cette généalogie biologique117 des catégories morales et politiques pourra susciter quelques méfiances. Canguilhem, dans La connaissance de la vie, rappelle que le vitalisme a été tenu par ses critiques comme « politiquement réactionnaire ou contre-révolutionnaire118 ». Il apparaît entaché de soupçons à cause de ses traductions dans le champ politique. Il est toutefois absurde, comme le montre Canguilhem, d’incriminer un savoir ou une théorie scientifique qui n’ont aucune prétention politique119 au nom de l’exploitation idéologique qui a pu en être faite. Cependant, dans le cadre de cette réflexion sur la généalogie des catégories morales et politiques de Bergson, on peut se demander, de manière massive, dans quelle mesure l’exploitation morale ou politique d’un concept tel que le concept de vie n’engage pas nécessairement la formation d’une pensée politique conservatrice ou réactionnaire. Sous une pensée politique appelant à une transformation de l’ordre social dans les Deux Sources, ne se cache-t-il pas une pensée de la réaction ?
64Si, dans sa philosophie sociale, Bergson mobilise la notion d’organisme, cette dernière n’a qu’une valeur analogique120. La société réelle humaine, société du mixte, n’est pas un organisme, c’est une organisation composée d’hommes libres. Ensuite, la figure du mystique n’est pas celle d’un héros aristocratique dont la vitalité intense s’opposerait à la fatigue morale de peuples qu’il faudrait écraser ou soumettre. Le mystique est celui qui révèle, par-delà toute logique d’assignation à une identité, la vitalité interne à chaque vie humaine. Et enfin, la philosophie de la vie bergsonienne affirme la primauté en fait et en valeur de la création contre la répétition et la conservation. Aucune promotion d’une morale aristocratique opérant une discrimination entre les forts et les faibles. Aucune défense d’une politique dynastique ou autoritaire assurant la domination d’un groupe ou d’un homme sur une collectivité.
65On pourra toutefois s’étonner du contraste entre une philosophie de la vie créatrice aux prolongements moraux et politiques ouverts et ses réceptions conservatrices et même contre-révolutionnaires121 avant la première Guerre Mondiale. Dans son livre The racial discourses of life philosophy, Donna Jones interroge ce contraste, et montre qu’il faut le prendre au sérieux122, car il peut dire quelque chose de la formation théorique des concepts de Bergson. Et en ce qui nous concerne, nous inviter à lire avec plus de prudence le projet politique qui se développe à la fin de l’ouvrage de 1932.
66Pour Donna Jones, il faut examiner les concepts bergsoniens : la construction d’une métaphysique de la création sur une intuition de la durée, qui est continuité et mémoire, décrit en fait des processus de conservation et de répétition, incapables de rendre raison de l’émergence du nouveau. L’acte libre, expression de ma personnalité entière, suppose la pénétration de tout mon passé dans le présent : la coïncidence avec le passé définit son authenticité123. La conception de la durée qui sourd dans la philosophie de la vie, loin de permettre l’affirmation théorique du concept de création, impliquerait une identification de l’évolutionnisme vrai à un « mnemic vitalism124 » affirmant la primauté ontologique de la conservation sur la création. La réception politique du bergsonisme au début du xxe siècle devrait ainsi servir d’indice, non pas pour condamner la philosophie politique qui s’est dessinée dans les Deux Sources, mais pour mieux lire ses montages théoriques et les vices éventuels de leur intégration dans le champ moral et politique.
67L’interprétation de la philosophie de l’acte libre qu’effectue Donna Jones et à partir de laquelle elle peut disqualifier la thématisation du concept bergsonien de création, pointe le problème de la nouveauté chez Bergson. Donna Jones l’aborde toutefois à partir d’une conception tronquée de la mémoire. Si l’acte libre est expression du soi qui dure, il est aussi affirmation du soi au sein d’un acte, qui émerge dans les conditions nouvelles du présent. L’acte libre n’est pas submersion du soi par le passé. Il doit être compris à partir d’une dialectique de l’activité et de la passivité, pour reprendre Frédéric Worms125, qui seule permet de saisir comment l’expression de la personnalité toute entière est création (et non pas un simple déterminisme de caractère). De même pour la pensée de la durée et de l’interpénétration de ses moments : durer ne signifie pas seulement que les moments du passé se succèdent passivement en nous, presque extérieurs à nous ; la durée est l’acte immanent d’unification de ces moments dans un présent neuf, qui fait qu’elle s’accroît. La durée, comme mémoire, n’est pas seulement « conservation », elle est surtout « accroissement », c’est-à-dire création. Comme le montre Bergson dans une lettre de mai 1922 : l’aspect « créateur » du processus de durée ne consiste pas dans « la qualité que lui confère le passé », qui n’en décrit qu’une partie, mais dans « l’accroissement d’être126». La durée désigne l’effectivité d’une continuité créatrice dans son immanence. Assumer la dimension créatrice de cette continuité, contre une pensée qui aurait recours au néant pour appréhender la création, ce n’est pas affirmer la primauté de la conservation sur la création, mais dégager le concept de création de sa dimension épiphanique et mystérieuse127.
68La généalogie biologique des normes, des valeurs et d’une pensée politique articulée à la morale chez Bergson ne cache pas, derrière un progressisme apparent, une pensée contre-révolutionnaire et réactionnaire, qui dans un jeu de renversement, révélerait les vices des montages théoriques bergsoniens. Le concept de vie, rattaché à la création, n’invite pas Bergson à construire une conceptualité qui pourrait être le terreau de pensées politiques exaltant l’élection aristocratique contre la médiocrité démocratique. L’image de l’élan vital ne contient pas de pensée du politique en soi. L’affirmation théorique du concept de création n’est pas manquée parce que persiste, à sa racine, l’idée de conservation.
69Les lectures idéologiques de l’intuition, de la durée, de l’élan vital ne trouvent pas leurs raisons dans un fond obscur de la pensée bergsonienne. La généalogie biologique des catégories morales et politiques des Deux Sources n’a rien d’incompatible avec l’affirmation d’une pensée de l’émancipation, appelant à la transformation de l’ordre sociopolitique donné.
Au-delà de l’animalité politique
70La figure du mystique échappe aux caractérisations de l’homme social, de l’animalité politique, et se comprend, métaphysiquement, comme pur élan. Cependant, sa circulation dans le cercle clos de l’espèce humaine, et les effets de la diffusion de son appel ont un sens politique. En propageant son appel, le mystique devient une force mobilisatrice par laquelle se constituent des sujets prêts à agir moralement, et à transformer l’ordre social constitué. La figure morale du mystique nourrit une réflexion sur l’action pratique dans la sphère sociopolitique. Le mystique, dépassant l’humanité en Dieu128, incarne l’exemple concret, inscrit dans le temps et dans l’espace, d’un agir qui embrasse l’humanité : « il s’agit pour les grands mystiques de transformer radicalement l’humanité en commençant par donner l’exemple129. »
71L’émotion créatrice, où entre une « exigence d’action130 » et l’imitation sont les deux modalités à partir desquelles le mystique propage son appel au cœur de l’animalité politique humaine. L’émotion, nécessaire à la genèse de la morale131, stimule132 et fait « pendant [...] à la pression sociale133 ». Elle se cristallise en représentations du côté de l’intelligence (valeurs, doctrines morales) et en actions du côté de la volonté134. D’un point de vue philosophique, ces représentations favorisent la construction de théories morales qui transmettront, à défaut d’entraîner les volontés, un état d’âme dilué135, c’est-à-dire médiatisé. Ces actions, quant à elles, engageront les hommes sur la voie de créations successives permettant la réorganisation de la société politique dans un sens plus fraternel.
72Parce que le mystique émeut et mobilise les volontés, il soulève le « désir de ressembler136 ». Dans l’imitation, il s’agit de réactualiser l’élan que l’action enthousiasmante du mystique révèle en chaque personne : elle n’est pas fusion mais communication des émotions créatrices, c’est-à-dire création de créateurs137.
73La force mobilisatrice du mystique ouvre la voie à une reconfiguration des relations interpersonnelles en perturbant certaines attentes sociales et ce qui est proprement valorisé dans telle communauté (cohésion, préférences partiales et excluantes…). Émotion créatrice et imitation sont les deux modalités à partir desquelles se conçoit une résistance humaine, intraspécifique, à la pression du clos. Or, si l’exemple mystique trouve un écho, cela tient précisément à la manière dont chaque existence personnelle se déploie dans les sphères sociales ou dans la vie intime.
74La possibilité de la transformation morale et politique de l’organisation sociale permet une relecture de la théorie des deux « moi » de l’Essai. Tout individu humain, pris dans un réseau de sociabilité duquel on ne peut l’extraire « appartient à la société autant qu’à lui-même138 ». Le moi profond manifeste « une personnalité de plus en plus originale, incommensurable avec les autres et d’ailleurs inexprimable139 ». Le moi social140 désigne, sous le double motif de la socialisation et de l’intériorisation des normes et des valeurs, cette manière qu’a la société de s’intégrer en nous.
75Cette approche duelle du sujet explique comment un individu peut résister à la pression du groupe et répondre à un certain appel des profondeurs. Le sujet ému n’a rien d’un sujet submergé par ses sentiments, inattentif au monde, reclus, dans son for intérieur ; c’est un sujet capable de prendre rationnellement la mesure des changements dans lesquels il s’engage et qui s’opèrent en lui. L’émotion créatrice n’est pas anti-intellectuelle mais vivifie l’intelligence à partir d’une source dont elle n’est elle-même que le produit141. Un modèle de l’agir dans l’espace interhumain est proposé : la volonté humaine réinstallée dans le courant créateur est capable de se mobiliser, c’est-à-dire de tourner les orientations que dessine la nature pour l’espèce. L’émotion créatrice est un affect central à partir duquel se conçoit l’engagement du sujet humain dans une entreprise – inouïe – de transformation de l’ordre social constitué. Par sa présence, le mystique dilate de fait l’âme sociale. Il possède des imitateurs, personnalités morales ou religieuses qui, de façon plus ou moins diluée, vont transmettre son appel : saints, héros reconnus ou anonymes – leurs actions tournent la sphère close du politique, construite sur les appartenances excluantes.
76L’élan moral se médiatise à travers des représentations intellectuelles, toujours susceptibles de susciter une émotion. L’état d’âme mystique, même cristallisé sous formes de doctrines philosophiques, morales, reste actif et, à défaut de transformer tous les hommes, eux-mêmes, en mystiques, leur ouvre la possibilité d’envisager d’autres modes d’organisation de la cité, résistant aux orientations prises par l’« instinct politique originel142 ».
77La réflexion morale, constituée à partir de la figure du mystique, peut laisser l’impression d’une philosophie de l’action sacralisant la figure des grands hommes et des individualités exceptionnelles. Cependant, on aurait tort de croire que toute la pensée de l’action pratique chez Bergson tient dans le simple effort volontaire effectué par quelques individualités exceptionnellement douées – effort se déployant dans l’indifférence aux infrastructures économiques et techniques qui conditionnent les rapports sociaux et la capacité à réformer l’espace sociopolitique en l’ouvrant.
78La thématisation de la figure du mystique, dans l’anthropologie bergsonienne, est capitale : à partir d’elle se dessine une voie effective que les hommes peuvent emprunter collectivement pour contrer les effets de leur naturalité. Si elle origine la morale ouverte, elle origine aussi la possibilité d’un progrès politique tourné vers une transformation des conditions de vie collectives de l’espèce, intégrant ainsi une certaine activité créatrice dans la sphère intraspécifique des affaires politiques. L’évolutionnisme bergsonien définit les soubassements conceptuels d’une théorie politique qui n’est aucunement exaltation de la domination, mais qui, prenant le nom d’ouverture, défend une vision de la démocratie et du droit comme résistance créatrice et politique à la violence du clos.
Notes de bas de page
1 On se rappellera cette lettre de Bergson à Péguy du 2 décembre 1910, suite à la parution de Notre Jeunesse, dans les Cahiers de la quinzaine : « Si je n’avais été très fatigué et mal disposé pendant toutes ces vacances, je vous aurais écrit pour vous féliciter de votre cahier sur “la mystique et la politique”. Certains de vos jugements sont peut-être un peu sévères ; mais vous n’avez rien écrit de meilleur que ce cahier, ni de plus émouvant », in M, p. 842.
2 Charles Péguy, Notre jeunesse, in Œuvres en prose complète, t. III, Paris, Éditions Gallimard, « La Pléiade », 1992, p. 14-15.
3 Ibid., p. 14 : « Quand un régime, d’organique est devenu logique, et de vivant historique, c’est un régime qui est par terre. »
4 Ibid., p. 21-22.
5 cf. DS, p. 297-298.
6 Ibid., p. 250.
7 Ibid., p. 99.
8 EC, p. 267.
9 Ibid., p. 266.
10 Ibid., p. 266 [souligné par l’auteur].
11 DS, p. 97.
12 Ibid., p. 253.
13 Ibid., p. 226.
14 Ibid., p. 332.
15 Ibid., p. 51.
16 Ibid., p. 242.
17 Ibid., p. 241.
18 Ibid., p. 244.
19 Ibid., p. 246.
20 Ibid., p. 244.
21 Ibid., p. 240.
22 Dans le mysticisme qui ne s’arrête qu’à l’extase, une action est préformée, mais pas actualisée (cf. DS, p. 246-247).
23 Ibid., p. 238.
24 Ibid., p. 249.
25 Ibid., p. 284 : Le concept de « cité » caractérise de manière spécifique l’ordre sociopolitique constitué de la société close.
26 Ibid., p. 248.
27 Ibid., p. 249 : « Si le mysticisme doit transformer l’humanité… » [nous soulignons].
28 Ibid., p. 225.
29 Ibid., p. 108, 297. Aussi, on pourra se reporter aux pages 71 et 72 de Mysticisme et folie de Jean-Christophe Goddard (Paris, Desclée de Brouwer, 2002).
30 Ibid., p. 108.
31 Ibid., p. 296.
32 Ibid., p. 246.
33 Ibid., p. 246.
34 Ibid., p. 246.
35 Ibid., p. 329.
36 Le terme « eurocentrique » est ici employé car la question du christianisme n’est pas abordée, par Bergson, à partir de son histoire effective et de son foyer de naissance, mais comme corrélat du monde occidental et particulièrement européen. Il faut ainsi entendre, ici, l’usage du terme « eurocentrique » comme désignant ce processus conscient ou inconscient par lequel les constructions culturelles de l’Europe ou des Européens sont appréhendées comme étant naturelles ou universelles.
37 Ibid., p. 227 et p. 251-253.
38 Ibid., p. 249.
39 Ibid., p. 252-253.
40 Ibid., p. 254.
41 Ibid., p. 252.
42 Ibid., p. 227. Cf. Ghislain Waterlot (dir.), Bergson et la religion. Nouvelles perspectives sur Les deux sources de la morale et de la religion, Paris, PUF, 2008.
43 Ibid., p. 253.
44 Ibid., p. 250.
45 Ibid., p. 250.
46 Ibid., p. 249-250.
47 Ibid., p. 170.
48 Ibid., p. 329.
49 Ibid., p. 240 : « Mais viennent les machines qui accroissent le rendement de la terre et qui surtout en font circuler les produits, viennent aussi des organisations politiques et sociales qui prouvent expérimentalement que les masses ne sont pas condamnées à une vie de servitude et de misère comme à une nécessité inéluctable : la délivrance devient possible dans un sens tout nouveau ; la poussée mystique, si elle s’exerce quelque part avec assez de force, ne s’arrêtera plus net devant des impossibilités d’agir ; elle ne sera plus refoulée sur des doctrines de renoncement ou des pratiques d’extase ; au lieu de s’absorber en elle-même, l’âme s’ouvrira toute grande à un universel amour. »
50 Ibid., p. 240
51 Cette interprétation de la figure du mystique bergsonien à travers une théorie du sujet sans identité s’appuie sur les thèses d’Alain Badiou dans Saint Paul, la fondation de l’universalisme (Paris, PUF, 3e tirage, 2007), qui construit et thématise cette conception du sujet. Pour Bergson, toutefois, le christianisme de Saint Paul est signifiant, et on ne peut concevoir sa mysticité sans la transcendance de Dieu (cf. DS, p. 241) ; pour Badiou, le dispositif de la foi chrétienne qui l’entoure appartient à l’ordre de la fable et peut être évacué, en ce qu’il n’a rien de déterminant. St Paul, chez Badiou, est pensé comme une figure subjective présentifiant en acte l’universel. Or, le mystique bergsonien se conçoit au plus haut point comme une telle figure subjective concrète. L’anthropologie bergsonienne conçoit une individualité concrète pour qui les différences sont proprement manifestation d’une source Une au détour de laquelle s’aperçoit l’humanité, comme Unité multiple. L’usage chez Badiou d’une théorie des deux multiplicités (aucunement rattachée à la conceptualité bergsonienne dont elle dérive) pour qualifier la « multiplicité particularisante » des communautés sanctionnée par l’ordre de la loi et de la coutume, et une autre « multiplicité », pensée comme excès, fondement de l’universalité (A. Badiou, op. cit., p. 82) apparaît très suggestif pour lire Bergson. La théorie des deux multiplicités bergsonienne recoupe le double régime de création, dont la philosophie métaphysique et sociale rejoue l’articulation. Si les orientations politiques du livre de Badiou, tout comme sa réflexion sur l’incarnation, restent étrangères aux Deux Sources, sa thématisation d’une figure subjective soutenant une pratique effective d’émancipation de l’ordre social est féconde pour penser la figure du mystique bergsonien.
52 Alain Badiou, op. cit., p. 6.
53 DS, p. 247 : « Il a senti la vérité couler en lui de sa source comme une force agissante. Il ne s’empêcherait pas plus de la répandre que le soleil de déverser sa lumière. Seulement, ce n’est plus par de simples discours qu’il la propagera. »
54 Ibid., p. 247.
55 Ibid., p. 247-248.
56 Ibid., p. 304.
57 La reprise de la théorie de la multiplicité bergsonienne pour la caractérisation de cette dialectique de l’identité et de l’universel qui se joue dans l’opposition du clos et de l’ouvert est ici suggérée par la lecture de l’ouvrage d’A. Badiou (cf. note 51).
58 Ibid., p. 25 : « Ce sont en effet, elles aussi, des sociétés closes. […] Elles [ont] pour essence de comprendre à chaque moment un certain nombre d’individus, d’exclure les autres. »
59 Ibid., p. 69-71 : toute la justice humaine consiste « naturellement » à introduire des considérations d’égalité et de proportions, certes dans les tractations marchandes, mais aussi entre les individus et les rapports entre gouvernants et gouvernés.
60 Alain Badiou, op. cit., p. 82. On rapprochera cette conception de la multiplicité de celle qui s’énonce dans les premières pages du chapitre II de l’Essai sur les données immédiates de la conscience de Bergson à propos de la théorie du nombre (cf. E, p. 56).
61 DS, p. 85.
62 DS, p. 27-29 : on n’arrive pas à l’humanité en élargissant les différents cercles dans lesquels l’individu social est pris (famille, patrie etc.). Ce raisonnement est a priori et intellectualiste : pour accéder à l’humanité, il faut s’y placer d’emblée, non pas en la prenant pour fin, mais en se transportant d’un bond plus loin qu’elle (en Dieu) ; elle s’atteint ainsi en se dépassant.
63 Ibid., p. 271.
64 Alain Badiou, Saint Paul, la fondation de l’universalisme, Paris, PUF, 2007 (3e éd.), p. 107.
65 DS, p. 233.
66 Ibid., p. 286.
67 Ibid., p. 240.
68 L’expression « géographie de l’esprit » est reprise au livre éponyme de Marc Crépon (Les géographies de l’esprit, Paris, Payot Rivages, coll. « Bibliothèque philosophique Payot », 1996).
69 Ibid., p. 247.
70 Michel de Certeau, L’étranger ou l’union dans la différence, Paris, Seuil, coll. « Points Essais », 2005, p. 15. [souligné par l’auteur]
71 Ibid., p. 18 [souligné par l’auteur].
72 On retrouve une caractérisation très précise de l’universalisme abstrait et de son histoire dans la philosophie européenne dans l’article de Ramòn Grosfoguel intitulé « Vers une décolonisation des̎ uni-versalismes̎ occidentaux : le̎ pluri-versalisme décolonial̎, d’Aimé Césaire aux zapatistes », in Ruptures postcoloniales, Bancel Nicolas et al. (dir.), Paris, La Découverte, 2010, p. 119-138.
73 Ibid., p. 123.
74 Ibid., p. 123.
75 DS, p. 28, p. 34-35, p. 248.
76 Ce sont à la fois les modèles d’universalité kantien et cartésien qui sont remis en cause.
77 Les formes de solidarité naturelle ne peuvent être que claniques et renforcées par la religion statique (DS, p. 248).
78 Ibid., p. 240.
79 Ibid., p. 239.
80 Ibid., p. 240.
81 Sur ce point, voir Marc Crépon, op. cit., p. 27-30.
82 DS, p. 79 : « Besoin de s’élargir, ardeur à se propager, élan, mouvement, tout cela est d’origine judéo-chrétienne. »
83 Ibid., p. 286.
84 Ibid., p. 254.
85 On peut se rapporter à un entretien de Bergson avec Jacques Chevalier datant 1931 (cf. Jacques Chevalier, op. cit., p. 147) expliquant, de manière externaliste certains manques dans la caractérisations des mysticismes ainsi que la présence d’une seule occurrence de l’Islam ou plutôt de l’« islamisme » dans les Deux Sources (cf. DS, p. 239).
86 Ibid., p. 331.
87 La figure du Christ, elle-même, apparaît indépassable et inégalée dans les Deux Sources. Dans des propos rapportés par Jacques Chevalier, Bergson lie, justement, la force du christianisme au lien exclusif qu’il tisse avec la question de l’universalité : « Le christianisme seul a proclamé le devoir de l’homme envers l’homme. D’autres, sans doute, avant le Christ, avaient dit : Aimez votre prochain. Mais il s’agissait toujours, même chez Israël, des hommes de sa nation. Le christianisme seul a vu dans le prochain tous les hommes, et nous a enseigné à les aimer tous » (Jacques Chevalier, op. cit., p. 215).
88 Eleni Varikas, Les rebuts du monde : Figures du paria, Paris, Stock, 2007, p. 117-118.
89 DS, p. 48.
90 Ibid., p. 103 (la sociologie durkheimienne affirme la primauté de la société sur l’individu et, dans Les règles de la méthode sociologique, la possibilité de connaître la société en elle-même).
91 Ibid., p. 103.
92 Ibid., p. 48.
93 Ibid., p. 48.
94 Ibid., p. 54.
95 Ibid., p. 54.
96 Ibid., p. 48.
97 Ibid., p. 5 : « Une infraction à l’ordre social revêt [...] un caractère antinaturel ».
98 Ibid., p. 67.
99 Ibid., p. 63.
100 Ibid., p. 57.
101 Ibid., p. 57.
102 Ibid., p. 54 : « Nous n’affirmons pas que la nature ait proprement voulu ou prévu quoi que ce soit. Mais nous avons le droit de procéder comme le biologiste, qui parle d’une intention de la nature toutes les fois qu’il assigne une fonction à un organe : il exprime simplement ainsi l’adéquation de l’organe à la fonction. »
103 Les normes qui orientent les conduites sont intériorisées à partir du double processus de socialisation et d’éducation, qui suit une certaine pente définie par la nature. En aucun cas, donc, un simple système de sanctions, agissant comme autant de stimuli extérieurs sur l’individu, ne peut expliquer la conformité du comportement aux normes sociales chez Bergson.
104 DS, p. 277.
105 CV, p. 23.
106 DS, p. 277.
107 Ibid., p. 277.
108 Frédéric Worms, « « Terrible réalité » ou « faux problème » ? Le mal selon Bergson », in Ghislain Waterlot (dir.), Bergson et la religion. Nouvelles perspectives sur Les Deux sources de la morale et de la religion, op. cit., p. 381-382.
109 DS, p. 287 : Bergson critique l’idée de Bien platonicienne, paradigme d’une morale intellectualiste.
110 Frédéric Worms, op. cit., p. 386.
111 DS, p. 50.
112 La morale ouverte, si elle valorise l’acte de créer, n’appelle pas à la réalisation d’un idéal au contenu prédéterminé. Elle ne consistera pas, non plus, en une simple morale de formules (cf. ibid., p. 58).
113 Ibid., p. 291.
114 Ibid., p. 289.
115 Ibid., p. 338.
116 Ibid., p. 338.
117 Ibid., p. 103.
118 Georges Canguilhem, La connaissance de la vie, Paris, Vrin, 1965, p. 97.
119 Ibid., p. 98.
120 DS, p. 3, 83.
121 Sur ce point, voir François Azouvi, op. cit., p. 176-177, et Marc Antliff Inventing Bergson. Cultural Politics and the parisian Avant-guarde, Princeton, Princeton University Press, 1993.
122 Donna V. Jones, The racial discourses of life philosophy, New York, Columbia University Press, 2010, p. 102-103.
123 Donna V. Jones, http://cup.columbia.edu/static/donna-jones-interview : « ... to live or live truly or authentically is, now paraphrasing Bergson, to recoil the personality on itself, gather up the past, which is slipping away, in order to thrust it, compact and undivided, into a present that it will create by entering. » Pour Donna Jones, le fondement des concepts bergsoniens promeut un processus créateur qui n’est qu’apparent, ce qui explique l’intérêt qu’y ont trouvé certaines réceptions politiques de sa philosophie.
124 Donna V. Jones, op. cit., p. 80.
125 Frédéric Worms, op. cit., p. 75-88.
126 C., p. 973 : « Sur quelques points particuliers, je ferais des réserves. Ainsi, p. 6 vous me paraissez faire consister l’aspect « créateur » du processus dans la qualité que lui confère le passé ; alors que ceci n’est qu’une partie de l’aspect, et qu’il y a en outre, de la création /… ../, c’est-à-dire de l’accroissement d’être » [souligné par l’auteur].
127 EC, p. 249.
128 DS, p. 28.
129 Ibid., p. 253.
130 Ibid., p. 36.
131 Ibid., p. 44.
132 Ibid., p. 40.
133 Ibid., p. 35.
134 Ibid., p. 46.
135 Ibid., p. 225.
136 Ibid., p. 30.
137 Ibid., p. 36.
138 Ibid., p. 7.
139 Ibid., p. 7.
140 Ibid., p. 7.
141 Ibid., p. 43.
142 DS, p. 297-298.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Lucien Lévy-Bruhl
Entre philosophie et anthropologie. Contradiction et participation
Frédéric Keck
2008
Modernité et sécularisation
Hans Blumenberg, Karl Löwith, Carl Schmitt, Leo Strauss
Michaël Foessel, Jean-François Kervégan et Myriam Revault d’Allonnes (dir.)
2007
La crise de la substance et de la causalité
Des petits écarts cartésiens au grand écart occasionaliste
Véronique Le Ru
2004
La voie des idées ?
Le statut de la représentation XVIIe-XXe siècles
Kim Sang Ong-Van-Cung (dir.)
2006
Habermas et Foucault
Parcours croisés, confrontations critiques
Yves Cusset et Stéphane Haber (dir.)
2006
L’empirisme logique à la limite
Schlick, le langage et l’expérience
Jacques Bouveresse, Delphine Chapuis-Schmitz et Jean-Jacques Rosat (dir.)
2006