Chapitre 3. L’art comme triomphe incomplet de la vie créatrice
p. 153-177
Texte intégral
1L’art est un des signes empiriques, qui affirment la nature créatrice de l’humanité. La compréhension complète de la création artistique, chez Bergson, exige sa réintégration métaphysique, qui en marque aussi les insuffisances. L’art ne constitue pas un paradigme à partir duquel l’humanité peut être dite essentiellement créatrice et être présentée comme la « raison d’être » de la vie sur terre. Bien que l’art nourrisse de nombreuses analogies dans le texte bergsonien, la solution au problème de la métaphysique de la vie créatrice n’est pas esthétique.
Mort, automatisme et répétition
2La philosophie de l’art de Bergson n’a, on le sait, pas de livre. Cette absence ne signifie aucunement que Bergson ne pouvait pas écrire d’esthétique1. Ce qui manque, plutôt, c’est l’explicitation développée de cette impuissance métaphysique qui frappe la création artistique. Un seul texte, sur lequel il faut revenir, permet d’en cerner en partie les raisons :
Vue du dehors, la nature apparaît comme une immense efflorescence d’imprévisible nouveauté ; la force qui l’anime semble créer avec amour, pour rien, pour le plaisir, la variété sans fin des espèces végétales et animales ; à chacune elle confère la valeur absolue d’une grande œuvre d’art ; on dirait qu’elle s’attache à la première venue autant qu’aux autres, autant qu’à l’homme. Mais la forme d’un vivant, une fois dessinée, se répète indéfiniment ; mais les actes de ce vivant, une fois accomplis, tendent à s’imiter eux-mêmes et à se recommencer automatiquement : automatisme et répétition, qui dominent partout ailleurs que chez l’homme, devraient nous avertir que nous sommes ici à des haltes, et que le piétinement sur place, auquel nous avons affaire, n’est pas le mouvement même de la vie. Le point de vue de l’artiste est donc important, mais non pas définitif. La richesse et l’originalité des formes marquent bien un épanouissement de la vie ; mais dans cet épanouissement, dont la beauté signifie puissance, la vie manifeste aussi bien un arrêt de son élan et une impuissance momentanée à pousser plus loin, comme l’enfant qui arrondit en volte gracieuse la fin de sa glissade2.
3Ce texte, tiré de La conscience et la vie, reposant sur une comparaison entre les formes vivantes et les œuvres d’art, thématise les modalités de l’arrêt de l’élan dans l’art. Les difficultés que la vie rencontre sur son passage, confrontée à son actualisation matérielle, sont aussi celles que rencontre l’art de façon générale, transposées sur un autre plan – celui de l’activité propre à l’espèce humaine. Dans la vie biologique, l’arrêt prend plusieurs formes. Il est répétition, à savoir reprise indéfinie de la même forme au sein d’une espèce, ou recul, c’est-à-dire abandon complet d’une ligne d’actualisation. Il est aussi imitation et automatisme dans l’activité du vivant : les actes d’un être organisé, tournés vers l’action, la satisfaction des besoins, finissent par s’imiter, se reproduisant presque automatiquement. Reculs, répétition, automatisme, routine/imitation sont autant de signes qui manifestent l’interruption du mouvement de création, son piétinement, son impossibilité à pousser plus loin.
4Le texte de 1911 suggère qu’on retrouve dans l’art de tels signes marquant l’interruption du mouvement créateur. Pour une philosophie de la création, le point de vue de l’artiste ne peut être le point de vue « définitif3 ». Le miracle4 de la création artistique apparaît ainsi ambivalent.
5L’artiste est un « privilégié5 » – privilégié de la fortune qui connaît des satisfactions inaccessibles au commun des hommes. Il relance, au niveau de l’espèce actualisée, un mouvement, dont l’étude est l’objet de la poïétique bergsonienne. Toutefois, au cœur même de cette poïétique, se révèlent déjà, des formes de répétitions qui limitent la portée de cette relance – comme le montre l’analyse de l’art du peintre dans L’Évolution créatrice. Le portrait du peintre est presque prévisible car il ressemble au modèle et à l’artiste6. Cette ressemblance est certes liée au rapport d’expression entre l’artiste et son œuvre. Mais, il est possible de prévoir, abstraitement, comment l’artiste va être amené à traiter son matériau7. Le « style » original de l’artiste porte toujours en lui le risque de la routine – l’artiste en venant à s’imiter lui-même. La création est menacée d’une réification sous la forme de recettes et de formules, transformant les actions de l’artiste en simples gestes8, par lesquels il caricature ce qui constitue sa singularité propre : « Dans tous les autres cas, l’œuvre peut être prévue en partie. C’est ce qui arrive toutes les fois que l’artiste n’élabore pas son talent en même temps qu’il élabore son œuvre, par exemple, quand il vit sur son acquis et ne se modifie plus. Mais, dans ce cas justement, l’œuvre est moins le fruit des efforts présents que des efforts passés ; elle participe du mécanique et est prévisible justement dans la mesure où elle n’est plus une création9. » Toutes les œuvres d’art ne sont pas nécessairement le résultat d’un processus de création, certaines sont le produit de mécanismes, n’ayant engagé aucun travail de maturation.
6Aussi, la figure bergsonienne de l’artiste apparaît ambivalente sur deux autres points, qui ne sont pas compris dans la poïétique. D’abord, l’artiste est un « privilégié ». Nature exceptionnelle, figure non démocratique. Les satisfactions de l’art ne sont réservées qu’à des privilégiés de la nature et de la fortune, capables, en vertu du détachement d’un de leur sens ou de leur conscience, de créer des formes. Ce privilège de l’artiste, en tant qu’il est accidentel, ne permet pas de soutenir, exclusivement, une réflexion générale sur la nature de l’homme. Si on en reste au point de vue de l’artiste, sans le dépasser, rien ne peut être dit du caractère créateur de l’humanité, de façon universelle. Il est juste possible d’affirmer, prudemment, que l’humanité n’est créatrice qu’exceptionnellement et par accident. La création en art ne constitue pas un paradigme à partir duquel penser la nature essentiellement créatrice de l’humanité. Pour que l’humanité soit dite créatrice, il faut pouvoir rendre compte d’une disposition à créer présente virtuellement chez tous les hommes, sans exception, et prête à s’actualiser. Or, la figure de l’artiste est une figure aristocratique : ses opérations ne sont pas universalisables.
7Enfin, la thématisation de cette figure soulève une interrogation qui n’est pas présente chez Bergson. Comment concevoir le lien entre l’homme, pris dans une quotidienneté, et l’artiste, fondamentalement détaché ? La question du lien entre la trivialité de la vie humaine quotidienne, rivée à la satisfaction pragmatique des besoins, et l’effort de l’artiste pour tourner cette condition, n’est pas abordée. Cependant, elle a sa pertinence, car l’artiste, malgré tout, reste un homme. Rien, dans le texte de Bergson, n’éclaire véritablement cette tension entre l’artiste et l’homme10, si ce n’est qu’elle n’a plus aucun sens une fois rapportée à l’individualité mystique – le mystique étant proprement celui qui a dépassé son humanité spécifique.
8Au-delà de ces réflexions sur la figure de l’artiste, les limites métaphysiques de l’art tiennent particulièrement au statut de l’œuvre, autour de trois problèmes. D’abord, la vie d’une œuvre dépend, comme on l’a montré, de sa réception externe : l’œuvre, en elle-même, ne retarde rien ; elle reste dépendante d’une subjectivité qui la fait vivre. Sans cette réception, l’œuvre s’engonce dans sa propre solidité. Péril qui fait qu’une œuvre finit par n’être que le vestige d’une époque, ne possédant plus aucun sens pour les temps présents ou qui viennent. Toute œuvre, du fait de son mode d’exister, porte en elle la menace de sa propre mort, qui n’est pas la fin de l’art, mais la circonscription de l’échec potentiel de tout acte de création artistique.
9La possibilité pleine et entière de l’expérience de l’art dépend, de ce fait, de conditions sociopolitiques adéquates. Certaines pages des Deux Sources, et particulièrement des « Remarques finales », peuvent être lues comme une réflexion sur la crise de la culture, c’est-à-dire de la vie intellectuelle et spirituelle de l’homme, à l’âge industriel en Europe. Crise, parce que l’expansion industrielle a donné naissance à un besoin effréné de luxe et de confort matériel qui absorbe l’homme, le détachant de la vie spirituelle à laquelle il est, d’un point de vue métaphysique, destiné11. Les conditions sociopolitiques dans lesquelles vivent les hommes peuvent les rendre étrangers ou indifférents à l’expérience de l’art12. Etrangeté qui contrecarrerait un premier processus minimal d’affranchissement de la matière. La survie de l’œuvre d’art ne tient qu’aux conditions de réception qui lui sont faites. La réflexion sociopolitique entre, implicitement, en résonance avec la question de l’expérience, spirituelle, de l’art chez Bergson, qui repose sur un désintéressement essentiel et nécessaire, qui conditionne l’accès aux œuvres.
10Enfin, il existe, dans l’œuvre elle-même, quelque chose qui fait obstacle à la reprise de l’élan, altérant son mouvement. La question de la matérialité de l’œuvre refait surface et n’est jamais véritablement surmontée, même si son traitement par l’artiste vise à en annuler la solidité physique, en la rendant docile au rythme13. La fabrication dans l’art consiste à « violenter14 », à « forcer15 » la matière. Mais, le succès de ce travail n’est jamais assuré. L’artiste « se demande à chaque instant s’il lui sera bien donné d’aller jusqu’au bout ; de chaque réussite partielle il rend grâce au hasard, comme un faiseur de calembours pourrait remercier des mots placés sur sa route de s’être prêtés à son jeu »16. La création peut être tenue en échec par le matériau de l’œuvre qui, se faisant obstacle, inscrit en elle la menace de son inachèvement. L’ordre parfait de l’œuvre n’est pas toujours atteint – la création artistique étant marquée par des piétinements, des régressions17, qui s’épuisent en recommencements et reprises inquiètes qui n’aboutissent pas nécessairement. Dans une esthétique de l’immédiateté, dont le paradigme est celui de la suggestion, la matérialité de l’œuvre reste un obstacle. Obstacle pour l’artiste ; obstacle pour la réception de l’œuvre. En conditionnant la communication des émotions, elle limite les effets de conversion auxquels conduit l’expérience de l’art. L’art met en présence de flux, de progrès et non pas de choses, mais il ne laisse rien apercevoir de la poussée qui vient du fond. L’œuvre, en restant à la surface des choses, ne peut être vectrice de mouvement. Elle élargit la perception commune mais cet élargissement n’a pas d’effets pratiques. Le mouvement naissant ne va pas jusqu’au bout.
11Répétitions, piétinements, automatismes sont le lot de la création artistique comme celui de la création vitale. Contre ces insuffisances, Bergson construit trois réflexions qui apportent des compléments et des corrections aux faiblesses de la création artistique. La « vision en surface » de l’art est corrigée par la « vision en profondeur » de la philosophie, qui est coïncidence avec l’étoffe même du réel. Les « privilèges » de l’art sont corrigés par une approche démocratique de l’effort créateur, qui prend le nom de « création de soi par soi ». Et enfin, contre les piétinements qui guettent la création artistique, s’élève le mouvement supérieur et indéfiniment créateur de la morale ouverte, qui, si elle est le fait d’âmes privilégiées, parvient toutefois à lancer, au sein du monde social, des dynamiques collectives qui transforment radicalement l’espace sociopolitique. La création artistique se présente comme une première tentative, parfois heureuse mais incomplète, de la vie créatrice pour continuer à se frayer un passage à l’intérieur de l’espèce humaine.
Art et philosophie
12Dans une lettre à Suarès du 16 juillet 1933, l’art est défini comme une « vision plus intense et plus intérieure des choses18 ». Le nouage entre l’art et la philosophie est constamment évoqué par Bergson : art et philosophie détournent notre attention de l’appréhension pratique du monde, la retournant vers la réalité même, dont la connaissance véritable ne peut servir des objectifs pragmatiques19. La philosophie, comme l’art, vise une certaine vérité qui est monstration de la réalité dans sa profondeur, par-delà le voile des besoins et du langage qui la recouvre.
13Dans cette perspective métaphysique, le point de vue de l’art reste toutefois inférieur à celui du philosophe. Il va moins loin et touche moins de monde20.
14L’intuition philosophique pénètre toutes les tensions de durée de la réalité et par suite ressaisit l’origine du mouvement d’autocréation de la vie21. Au contraire, l’intuition esthétique est le plus bas degré d’intuition : intuition en surface, le monde lui apparaît comme une série de flux, de progrès mais non pas comme le résultat du processus d’actualisation de l’élan vital, ou plus profondément encore, comme le produit du mouvement d’inversion de la supraconscience. Il y a des degrés dans l’intuition : toutes les intuitions ne ressaisissent pas le réel avec la même profondeur22. Elles coïncident avec différentes intensités de durées, plus ou moins tendues, plus ou moins éparpillées. L’effort d’intuition philosophique intègre le niveau esthétique : il peut ressaisir l’éparpillement propre au monde matériel, épousant à sa limite le « pur homogène », « la pure répétition23 », tout comme il peut, aidé de la mystique, remonter vers cette éternité de vie, « concrétion de toute durée24 ». L’art en reste au devenir de l’individualité actualisée, ne sympathisant pas avec son fond ultime.
15Par ailleurs, ce n’est qu’à « certains moments25 » que l’art coïncide avec la vie intérieure des réalités, et non pas de façon continue, à l’instar de la philosophie. La conversion de l’attention à laquelle convie la philosophie est plus complète, et les finalités des deux intuitions ne sont pas les mêmes : l’une rénove notre perception commune en restant attachée à l’extériorité du monde, la seconde tend à produire une connaissance du fond de la réalité à partir d’un dialogue constant avec les sciences positives ou aidée de la méthode mystique. La conférence de Madrid sur l’âme humaine de 1916, tout en réaffirmant leurs affinités profondes, distingue l’art et la philosophie sur ce point : l’artiste « sera aussi un philosophe, avec cette différence : que la philosophie s’adresse moins aux objets extérieurs qu’à la vie intérieure, à l’âme26 ».
16Art et philosophie empruntent donc le même chemin, celui d’une conversion de l’attention. Cependant leurs finalités, les moyens qu’ils mettent en œuvre (moyens perceptifs d’un côté, images et concepts souples de l’autre) et leurs utilisations respectives de l’intuition diffèrent. Le schéma romantique d’une fusion entre l’art et la philosophie ne tient pas chez Bergson. La philosophie bergsonienne n’est pas une philosophie-artiste prenant une forme quasi prophétique : elle ne convie pas, au sein d’une intuition poétique, à une autorévélation de la vérité, supprimant du même coup toute distinction entre l’art et la philosophie. La réflexion sur l’art, chez Bergson, ne peut se jouer que dans l’écart, dans sa différence avec la philosophie.
17Ainsi, artistes et philosophes ne sympathisent pas avec la même profondeur de réalité27 :
1. L’art ne porte que sur le vivant et ne fait appel qu’à l’intuition, tandis que la philosophie s’occupe nécessairement de la matière en même temps qu’elle approfondit l’esprit, et fait appel par conséquent à l’intelligence aussi bien qu’à l’intuition (quoique l’intuition soit son instrument spécifique) ; 2°/ L’intuition philosophique, après s’être engagée dans la même direction que l’intuition artistique, va beaucoup plus loin : elle prend le vital avant son éparpillement en images, tandis que l’art porte sur les images28.
18L’intuition philosophique suppose une confrontation avec les productions de l’intelligence, en tant que ces dernières disent quelque chose de la matière dans ce qu’elle a d’absolu. C’est parce que l’intuition philosophique s’attache aux travaux de l’intelligence, qu’elle ressaisit la réalité dans son intégralité et se place au « tournant » de l’expérience29. L’intuition artistique ne convoque pas l’intelligence. Elle ne peut viser l’expérience dans son intégralité : elle n’est ni saisie de la texture de la matière ni même approfondissement de la nature de l’esprit. Elle s’attache au naturé, sans ressaisir le naturant. Elle atteint la vie en particulier et non la vie en général : vie biologique des corps vivants actualisés et non pas cette exigence de création, à l’origine de toute vie particulière dans un monde. L’intuition esthétique, comparée à l’intuition philosophique, est plus limitée en compréhension. Elle reste peu approfondie et ne dit rien de l’origine même de la vie, de la matière et de l’esprit, soit du « vital avant son éparpillement en images ». Elle doit être conçue comme une « contre-perception », qui mène sur la voie des vérités métaphysiques, sans pour autant les expliciter pleinement30.
19Pourra-t-on dire, alors, pour Bergson, comme pour Ravaisson, que « l’art est une métaphysique figurée » et que « la métaphysique est une réflexion sur l’art31 » ? Il n’y a pas d’identité entre l’art et la métaphysique chez Bergson. S’il est possible de présenter l’art comme une propédeutique sensible à la métaphysique, il ne constitue aucunement une métaphysique accomplie, même figurée32. Et, s’il peut être défini comme une propédeutique, il s’agit là, surtout, d’une propédeutique inconsciente d’elle-même. L’artiste crée et n’a pas besoin d’analyser son pouvoir créateur33. C’est presque dans l’inconscience de ce qu’il est et de ce qu’il fait, que l’artiste révèle quelque chose de la réalité.
20Cependant, cette compréhension de l’art, confrontée à la fécondité philosophique, semble le frapper d’inutilité :
Si la réalité venait frapper directement nos sens et notre conscience, si nous pouvions entrer en communication immédiate avec les choses et avec nous-mêmes, je crois bien que l’art serait inutile, ou plutôt que nous serions tous artistes, car notre âme vibrerait alors continuellement à l’unisson de la nature34.
21La philosophie, en nous faisant pratiquer un détachement volontaire et raisonné semble supprimer la nécessité de l’art. Elle cultive le détachement, de façon démocratique et universelle35, poussant ses conclusions beaucoup plus loin que celles de l’art. Et même, du point de vue de la création, la philosophie, tout comme l’art, est une création avec sa matière, un langage36 qu’elle doit soumettre à une intuition soutenue par l’intelligence. La différence entre l’art et la philosophie se joue au profit de la seconde chez Bergson37. La philosophie de Bergson n’a rien d’une « philosophie-artiste », au contraire, c’est la pensée de l’art qui reste subordonnée aux attentes de l’activité philosophique. Ce qui distingue vraiment les deux activités, en dernière instance, ce sont les satisfactions affectives et sensibles, qui restent attachées à l’art.
22On pourra regarder d’un œil critique le nouage qui s’établit entre l’art et la philosophie dans l’œuvre de Bergson. Aucunement fusionnel, leur lien semble plutôt témoigner d’un certain « assujettissement philosophique de l’art » pour paraphraser Danto38. Double assujettissement, même : la signification de l’art se révèle au sein d’une métaphysique qui l’enveloppe, et les effets de l’art sont moins profonds que ceux de la philosophie. La question de l’art, chez Bergson, s’inscrit dans une réflexion générale d’ordre anthropologique, consistant à questionner la nature véritablement créatrice de l’humanité. On recherchera vainement, chez Bergson, des analyses de courants esthétiques, d’œuvres ou même une réflexion générale sur l’histoire de l’art. La théorie de l’art ne trouve son unité problématique que dans le prolongement de la métaphysique de la vie et de ses ramifications anthropologiques. Prolongement qui constitue le lieu d’un dialogue entre l’art et la philosophie, mais qui signe la victoire de la seconde.
La création de soi par soi
23Les artistes sont des êtres exceptionnels, manifestant pour la plupart un certain génie qui les distingue du commun des hommes. Produits d’une distraction heureuse de la nature, ils ne surgissent que de « loin en loin »39, comme l’irruption d’une vue prise sur un mouvement simple. Vue trop exceptionnelle, pour nous dire effectivement quelque chose de l’humanité en général, et pour prouver que la création est la destination métaphysique de l’homme.
24La métaphysique de la vie créatrice suppose que l’humanité, sur Terre, est la seule espèce capable de relancer le mouvement de l’élan vital. La création artistique présente un tel exemple de relance. Mais comment attester, effectivement, de la présence d’un tel pouvoir créateur pour tout homme et non pas seulement chez quelques-uns ? La « création de soi par soi » est précisément cette création « qui à la différence de celle de l’artiste et du savant, se [poursuit] à tout moment chez tous les hommes40». Création de forme « démocratisée », où chaque homme peut, sous certaines conditions, donner corps à sa personnalité.
La personne comme œuvre
25La simple expérience de la création en art ne permet pas de définir, à elle seule, le sens de la vie humaine. Il faut repérer dans la vie humaine l’effectivité d’une création accessible à tout homme, et non pas à quelques privilégiés de la nature et de la fortune41 : cette création, c’est la création de soi par soi, qui se définit littéralement comme un « agrandissement de la personnalité par un effort42 ».
26C’est d’abord contre certaines satisfactions réservées aux artistes qu’elle est comprise. Création universellement partagée qui ne nécessite pas de génie ou de talent particulier, elle est la création du commun des mortels43. Elle désigne cet acte psychologique immanent d’engendrement d’une personnalité, à partir d’un travail volontaire sur les dispositions organiques de ce que Bergson appelle un « caractère ».
27Cette création, d’un point de vue métaphysique, décrit positivement un effort générateur immanent, analogue au processus d’autocréation de la vie. Elle manifeste la reconduite d’une activité créatrice, plus ou moins tendue, qui circule en chaque homme44, exprimant, de façon universelle, la signification de la vie humaine pour l’évolution créatrice.
28Ce dernier point appelle cependant une remarque. Il n’y a qu’une seule occurrence de la création de soi par soi dans les quatre grands livres qui forment la philosophie de Bergson – occurrence présente au début du chapitre I45 de L’Évolution créatrice. Les autres occurrences traversent les conférences, celles de La pensée et le mouvant ou de L’Énergie spirituelle, ou sont développées dans certains Cours au collège de France46, notamment le cours de 1906-1907 intitulé Théories de la volonté. De la même manière que l’art n’a pas son livre, la question de la création de soi par soi n’est pas traitée pour elle-même dans les quatre grands ouvrages de Bergson. Mais, c’est parce que le problème qui en appelle la conceptualisation, celui de l’effort volontaire, n’est pas abordé pour lui-même dans ces livres.
29Le cours au collège de France, Théories de la volonté, articule la question de la création de soi par soi à celle de la volonté, ou plutôt à celle de l’effort volontaire : « L’effort volontaire par excellence est en effet un effort pour se constituer soi-même son caractère, pour le modeler en agissant sur certaines prédispositions organiques et sur les premières formes plus ou moins volontaires qui servent de substratum au caractère47. » Dans ce cours, Bergson explique ce qu’il faut entendre par caractère : il y a d’un côté un ensemble d’« habitudes motrices ou des dispositions à prendre certaines habitudes48 » qui forment les « bases organiques » du caractère, et de l’autre une création singulière, à partir de ces « bases organiques », qui forme le caractère moral, individuel et imprévisible. Par un effort de création, qui est un effort de la volonté, on peut façonner un caractère singulier à partir de prédispositions organiques, données à la naissance et liées aux forces conditionnantes d’un milieu de vie : « ce que nous appelons un effort plus ou moins intense de la volonté pour nous recréer nous-mêmes est un effort pour nous placer plus ou moins haut au-dessus du substratum organique que nous apportons en naissant ; et le développement de notre caractère se résout de ce point de vue dans la série des positions plus ou moins élevées de notre moi relativement à ce substratum organique49. » Le miracle de la création du soi est un miracle de la volonté. « Miracle » car il se produit ce que finalisme et mécanisme ne peuvent expliquer, à savoir qu’il y a plus dans l’effet que dans la cause. Dans la création de soi par soi, le sujet est à la fois cause de sa création et effet de cette création : avec ce qu’il a, il parvient à être plus que ce qu’il est50. L’accroissement de la personnalité n’est pas le produit d’une causalité mécanique, mais d’une causalité psychologique, qui est proprement celle que convoque l’Essai pour penser l’acte libre.
30La personnalité humaine, d’essence psychologique, est une « continuité de changement51 » – changement substantiel constituant la permanence du soi. Cependant, tout n’est pas création en elle : le moi social, tissu impersonnel d’automatismes et d’habitudes, et même les rêves, expressions d’une détente de l’élan, ne créent rien52. Le changement et l’agrandissement de la personnalité supposent un effort de volonté – comprise comme un élan intérieur53 plus ou moins tendu – qui amène une personne à travailler avec plus ou moins d’intensité les dispositions organiques de son caractère pour s’augmenter elle-même54. Sans cet effort, la vie est un simple déroulement d’habitudes, impersonnelles, où durer n’a plus le sens de « créer », mais de « continuer ».
31Les degrés de tension qui constituent chaque être humain, définissent l’intensité de l’effort volontaire, activé pour se créer soi-même. Dans l’espèce, cette volonté est l’expression du « dernier épanouissement de la vie55» : l’effort créateur volontaire constitue une reprise vitale à laquelle participent les hommes sans exception.
32Toutefois, si la théorie de la création de soi par soi atténue la distinction entre les artistes et le commun des mortels, la philosophie de l’effort, qui la sous-tend, paraît reconduire un autre type de hiérarchie, entre l’homme ordinaire et l’homme supérieur cette fois. Un discours de Bergson, prononcé en 1902 à l’occasion d’une distribution de prix au lycée, et portant, non pas sur la création de soi par soi, mais sur la concentration intellectuelle, semble aller en ce sens :
La concentration [...] distingue l’homme éveillé et sensé de l’homme qui divague et de l’homme qui rêve, ceux-ci abandonnant leur esprit à toutes les idées qui le traversent, celui-là se ressaisissant constamment lui-même, ramenant sans cesse son attention sur les réalités de la vie. Elle est ce qui distingue l’homme supérieur de l’homme ordinaire, celui-ci, satisfait d’une habileté moyenne où il se repose et se détend, l’autre, tendu dans une aspiration à se dépasser lui-même. Elle est peut-être l’essence même du génie, s’il est vrai que le génie soit une vision d’un instant méritée par des années de labeur, de recueillement et d’attente56.
33La concentration, dans le travail intellectuel, est un effort d’attention « appliquée à comprendre et à interpréter »57 : elle suppose une création de l’esprit qui anticipe sur le donné et un effort de volonté. L’intelligence étant plutôt de nature conservatrice58, allant du donné au donné, l’acte de concentration d’où naît l’esprit d’invention est un acte de volonté, dont le degré de tension distingue les individus ordinaires des « hommes supérieurs ». L’homme « ordinaire » est celui qui se repose et se détend, se laissant bercer par le flot des habitudes et des acquis – véritable matérialisation du soi – qui donne une allure relâchée à son existence. L’homme supérieur, lui, est « tendu dans une aspiration à se dépasser lui-même » : il s’agrandit grâce à la puissance créatrice de l’effort. « Puissance merveilleuse », qui « [de] peu [...] tire beaucoup, et de rien quelque chose59 ».
34Il ne faudrait toutefois pas surdéterminer les distinctions de ce discours de 1902, qui non seulement suppose une situation d’énonciation très précise (discours de remise de prix scolaire), et ne thématise pas la création de soi par soi. Il permet toutefois de pointer les difficultés de cette conception bergsonienne de la culture de soi et de l’éclairer. Dans le même discours, en effet, Bergson donne l’exemple d’un élève, médiocre, ayant manifesté peu de talents intellectuels durant sa scolarité, mais étant devenu un grand médecin :
[...] séduit par l’étude et surtout par la pratique de la médecine, il s’était comme ramassé en lui-même, [...] il avait tendu tous les ressorts de son âme, fixé sur un seul point son attention jusque-là distraite, lancé un appel à tout ce qu’il y avait en lui de puissance de vouloir et de s’émouvoir, et que, par un de ces transferts intérieurs de force, plus fréquents qu’on ne croit, ayant pour ainsi dire fait monter du cœur à la tête la masse d’énergie ainsi accumulée, il s’était fait ce qu’il avait voulu être, un homme intelligent60.
35« Se faire ce qu’on veut être », tel est le sens exact de la création de soi par soi telle qu’elle est analysée plus tard dans les cours de 1906- 1907. La création de soi par soi n’a-t-elle ainsi que le sens trivial d’un « Quand on veut, on peut ! », exaltant une approche du sujet, conquérant, sans attache (géographique, sociale), jamais vulnérable, possédant une capacité d’adaptation plus élevée que la moyenne aux attentes de la société ? Autre nom du conformisme ?
36Le sens de la création de soi par soi peut être compris bien autrement, si on le ressaisit non plus à partir de l’individualisme libéral61 qui colore la pensée de Bergson au début du xxe siècle et des théories du sujet qui précèdent L’Évolution créatrice, mais à partir de la philosophie sociale qui s’énonce en 1932 dans le prolongement du livre de 1907. En mettant en lumière la force spirituelle qui nourrit et augmente chaque vie personnelle, la question du critère à partir duquel une vie humaine peut être considérée comme une vie diminuée se pose clairement pour la philosophie bergsonienne. Une vie humaine est une vie diminuée quand elle ne trouve plus les ressources pour fournir l’effort par lequel elle s’accroît, par lequel elle se crée. Cette thèse a deux implications précises dans la philosophie de Bergson. Une implication politique, qui traverse le quatrième chapitre des Deux Sources : il faut déterminer quel type d’organisation politique peut prévenir, en droit, toutes les formes (matérielles, symboliques, et donc métaphysiques) de diminution, d’appauvrissement (de précarisation) de la vie humaine. Une implication éthique, qui traverse l’œuvre de Bergson dès l’Essai : il faut comprendre ce que c’est que « bien vivre » pour un homme.
37L’agrandissement créateur de soi n’a pas le sens d’une sur-adaptabilité aux normes sociales, pour récolter gloires et honneurs, il n’a pas non plus le sens d’un anticonformisme d’ailleurs. Il est création véritable du fait de son imprévisibilité. L’individu, en effet, peut poser un but à réaliser (devenir médecin). Mais former un projet ne signifie pas que tout est déjà donné. La création de soi implique un effort qui « consiste à projeter en avant une certaine forme de [soi-même]62 ». Cette forme, l’individu cherche à la remplir avec des éléments déjà existants de son caractère. Mais, pendant le processus, la forme change, comme le caractère : « nous ne réalisons jamais exactement ce que nous avions d’abord l’intention de réaliser63. » La création du caractère qui aboutit à la formation complète de la personnalité, est analogue à la création artistique. Elle suppose un travail de maturation entre la forme projetée et souple de ce que l’individu veut être et les dispositions effectives de son caractère organique. Dans ce travail de maturation, « il se produit une série d’échanges entre l’avenir conçu comme modèle et le présent64 », aboutissant à une déformation constante de la personne, et la constituant comme œuvre. Dans l’effort de maturation, se métamorphosent tout à la fois le cadre abstrait que le sujet projette au-devant de lui et le sujet lui-même.
38La personnalité est une œuvre, qui est le résultat de la transformation plus ou moins élevée du caractère. Tous les hommes ont les moyens de reproduire l’action de l’artiste sur eux-mêmes. La création de soi par soi est quasiment un acte qui serait le fait d’artistes65, prolongeant même, sur le plan qui est le leur, la création divine : « ... la personnalité humaine apparaît chargée d’introduire du nouveau et de la création dans ce monde matériel [...]. À l’origine donc, un grand artiste créateur du monde, et, ensuite, à l’extrémité, désirés par lui, d’autres petits artistes qui prolongent son œuvre et sont également créateurs ; par un long processus autour de la matière organique, de plus en plus docile et malléable, eux continuent l’œuvre de la création divine66. » La création de soi par soi fournit la preuve empirique et minimale d’une universelle participation des hommes à la création.
39La création de soi suit le modèle de la sélection et de la divergence, qui opère dans la création vitale. Dans l’enfance se constitue une « multiplicité de personnes morales virtuelles67 » sacrifiées à l’âge adulte, en tant qu’elles ne sont pas toutes également possibles. L’individu choisit une personnalité, « pour l’infléchir peu à peu, la faire progresser et, parfois, reculer68 ». La vie morale est choix et création. La sélection d’une personnalité n’a rien de tout fait ; elle s’actualise, par un long travail de maturation analogue au mouvement d’autocréation de la vie, et de l’action créatrice de l’artiste. Ce choix dessine vaguement ce que l’individu voudrait – la forme choisie changeant au fur et à mesure qu’il se crée.
40La création de soi par soi n’exclut ni l’intersubjectivité, ni la rencontre, comme constitutives de la création du sujet. Les analyses des Deux Sources conçoivent une création de soi à partir d’un modèle extérieur à soi, qui appelle l’individu à développer ses virtualités internes, dans la relation éducative69.
41C’est la création de soi par soi et non pas l’art qui constitue le modèle à partir duquel penser la création humaine intraspécifique. Et, en tant qu’elle est universelle, elle est plus haute que la création artistique, et même que l’invention qui naît du génie du savant : « Mais si haute que soit cette création scientifique et artistique, plus haute encore est la création de l’homme qui n’est pas un génie mais un honnête homme qui, par l’effort constant de sa volonté, parvient à se créer le caractère qu’il a décidé d’avoir70. » L’honnête homme71 bergsonien est un travailleur, ce qui n’étonnera pas dans une philosophie valorisant l’effort. Ne manifestant aucun talent, ni aucun génie particulier, il est pourtant capable, grâce à sa volonté, de se créer. Le « miracle de la volonté72 » devient le miracle de toute une espèce. La surprise ou même l’étonnement viennent non pas de ce qu’un individu génial ou talentueux puisse créer, mais bien de ce que l’absence de génialité ou de talent ne soit aucunement un frein au déploiement de la puissance créatrice de la vie dans l’espace de la quotidienneté humaine.
Création, joie et fatigue
42Le modèle de la création artistique est élargi, de façon imagée, dans l’œuvre de Bergson. Se créer soi-même, c’est être « artiste » de sa propre vie. Bergson reconduit, d’ailleurs, la distinction entre artistes et artisans/homo faber pour penser une telle création dans Le possible et le réel. L’homme façonne nécessairement son existence et son caractère, ne serait-ce que pour s’adapter, dans un premier temps, aux nécessités de la vie. Il se fait artisan, se construisant relativement à ce que lui impose son milieu, ou à ce qui lui a été donné héréditairement73. Mais il peut vouloir être quelqu’un, tirant de lui-même l’énergie nécessaire à sa propre création. Il devient artiste, travaillant au quotidien pour agrandir une personnalité, qui sera son œuvre. L’esthétisation de l’existence bergsonienne trace ici très clairement les contours d’une éthique.
43Cette éthique a pour objet les fins pratiques de l’homme, c’est-à-dire les conditions individuelles et collectives de la vie bonne. Simplement descriptive et non prescriptive, elle se distingue de la morale en ce que cette dernière a pour objet l’obligation sociale (ce qui est permis ou défendu). L’éthique de Bergson décrit ces orientations du « bien vivre » à la fin de Le possible et le réel :
Mais nous y gagnerons aussi de nous sentir plus joyeux et plus forts. Plus joyeux, parce que la réalité qui s’invente sous nos yeux donnera à chacun de nous, sans cesse, certaines des satisfactions que l’art procure de loin en loin aux privilégiés de la fortune ; elle nous découvrira, par-delà la fixité et la monotonie qu’y apercevaient d’abord nos sens hypnotisés par la constance de nos besoins, la nouveauté sans cesse renaissante, la mouvante originalité des choses. Mais nous serons surtout plus forts, car à la grande œuvre de création qui est à l’origine et qui se poursuit sous nos yeux nous nous sentirons participer, créateurs de nous-mêmes. Notre faculté d’agir, en se ressaisissant, s’intensifiera. Humiliés jusque-là dans une attitude d’obéissance, esclaves de je ne sais quelles nécessités naturelles, nous nous redresserons, maîtres associés à un plus grand Maître. Telle sera la conclusion de notre étude. Gardons-nous de voir un simple jeu dans une spéculation sur les rapports du possible et du réel. Ce peut être une préparation à bien vivre74.
44La métaphysique de la création a des résonances éthico-pratiques. En réintégrant la question de l’homme au sein d’une origine et d’une destination métaphysiques qui le dépassent, elle questionne nouvellement la vie humaine dans sa quotidienneté. Loin d’être une construction conceptuelle purement spéculative, la métaphysique de la création est traversée par une orientation éthique : « [arriver] à transformer et à transfigurer la vie quotidienne75 », en procurant une joie à propos « de tous les incidents, même les plus triviaux de la vie quotidienne76 ».
45Le signe qui atteste que nous vivons bien est l’affect de la joie, distingué de la sensation de plaisir, qui résulte d’une simple satisfaction liée à l’entretien de la vie. L’affect de la joie annule certaines formes de souffrances psychiques qui amènent l’individu à se croire substituable aux autres ou sans assises dans le monde.
46Certains troubles psychopathologiques de la vie quotidienne, qui inhibent la puissance créatrice humaine, reçoivent ainsi une signification métaphysique. Partant des analyses de Pierre Janet77, Bergson relit, dans son cours au Collège de France de 1910-1911 sur la Théorie de la personne78, les troubles psychiques à la lumière de la métaphysique de L’Évolution créatrice. Si certaines maladies sont liées à un passé trop lourd, d’autres sont le fait d’une insuffisance d’élan. Doute, sentiment d’automatisme universel, peur de l’action, manies ou phobies79 sont autant de troubles psychiques qui entravent le progrès de la personne, l’empêchant à la fois d’agir et de créer. Pathologies de la répétition ou d’une solidification du sujet dans le présent, la souffrance psychique résulte d’une incapacité à réactualiser en soi la « fin visée par la vie80 ».
47« Agir et vouloir agir est chose fatigante81 » : la personnalité se construit contre les obstacles mis au-devant d’elle par les dispositions organiques de son caractère, par son passé, ou peut-être même par son milieu (point qui n’est que peu soulevé chez Bergson). « Bien vivre » consiste à résister au ralentissement et au piétinement d’un certain élan en soi, sans craindre cette fatigue. Victoires et défaites sur la matière devenant les éléments constitutifs de ce qu’est ma personne.
48Les personnes, créations continuelles, doivent aussi vivre ensemble au sein d’un même espace social. Comment penser une organisation sociale qui ne détruise pas la multiplicité vivante issue de ce processus continu de création par lequel les personnalités se façonnent et se distinguent82 ? Sous l’éthique personnelle de la création de soi par soi, se trame une création aux exigences plus hautes encore, dont l’objet est d’unir les hommes en se nourrissant des différences dont ils sont en partie les auteurs.
Art et morale
49La création de soi par soi dépasse la création artistique en extension, en tant qu’elle concerne tous les hommes sans exception. La philosophie dépasse l’intuition de l’artiste en compréhension, en tant qu’elle ressaisit le fond même de la réalité. D’un point de vue métaphysique, la création artistique est doublement dépassée, en amont et en aval.
50Cependant cette création est à nouveau dépassée, selon une autre modalité cette fois, par la création morale, qui est capable de relancer un mouvement qui ne s’arrête ni ne se répète, et qui brise les cadres spécifiques qui enserrent l’humanité. Dans l’espèce humaine, la création qui surpasse toutes les autres, est la création morale :
L’homme, appelé sans cesse à s’appuyer sur la totalité de son passé pour peser d’autant plus puissamment sur l’avenir, est la grande réussite de la vie. Mais créateur par excellence est celui dont l’action, intense elle-même, est capable d’intensifier aussi l’action des autres hommes, et d’allumer, généreuse, des foyers de générosité. Les grands hommes de bien, et plus particulièrement ceux dont l’héroïsme inventif et simple a frayé à la vertu des voies nouvelles, sont révélateurs de vérité métaphysique. Ils ont beau être au point culminant de l’évolution, ils sont le plus près des origines et rendent sensible à nos yeux l’impulsion qui vient du fond83.
51La création par excellence est la création morale, pour trois raisons. Elle est d’abord le fait d’un sujet plus que génial, en ce qu’il dépasse, comme le montrera Les Deux Sources, les déterminations spécifiques de l’humanité. Ensuite, elle est à l’origine d’une communication des affects qui se mue en action84 ; elle a le pouvoir d’impulser des dynamiques collectives. Et enfin, dans son acte, elle révèle la réalité intuitionnée à sa source la plus profonde : Dieu, comme éternité de vie et d’amour. Dans la création morale, la vérité se montre en acte, de façon immédiate et transparente, alors que dans la philosophie, cette vérité ne s’atteint qu’à travers un travail dialectique sur l’intuition85.
52La création morale possède une double dimension, individuelle et collective. Elle est le fait d’une individualité exceptionnelle, le mystique. Le mouvement de son activité ne s’éteint pas : l’action morale du mystique ne s’épuise pas dans l’admiration de ses œuvres, elle est continue. L’écho que trouve ensuite l’appel du mystique en chaque homme crée des dynamiques collectives au sein du monde sociopolitique, permettant l’ouverture des sociétés humaines86, et appelant, peut-être imparfaitement mais de manière effective, l’humanité à se réformer elle-même. La force supérieure de la création morale87 se mesure à travers ses effets sur l’espace sociopolitique humain, en tant qu’elle est capable de susciter des mouvements appelant à la recréation de l’ordre social. S’il y a une philosophie politique chez Bergson, questionnant les modalités de transformation de l’ordre social constitué, elle est subordonnée à la création morale, les moyens de la politique se présentant comme auxiliaires, peut-être seconds, mais nécessaires, de la rénovation appelée par le mystique.
53La thèse profonde qui traverse toute l’anthropologie bergsonienne est qu’il existe des degrés de créations, dans l’espèce humaine, qui manifestent autant de manière pour l’élan vital de prolonger son mouvement.
54Au cœur de l’espèce, la reprise de l’activité vitale est créatrice de plusieurs types de formes. Au plus bas niveau, qui est aussi le plus riche en tant qu’il permet de saisir le sens universel de la vie humaine, elle est création de soi par soi. L’effort volontaire est cette reconduction intérieure de l’élan par laquelle l’homme fait de sa personnalité une œuvre. Création de l’homme commun, qui ne nécessite aucun génie ni même quelques dispositions prêtées, distraitement, par la nature.
55Plus élevée est la création dans l’art. Le rebond de l’élan vital y est plus intense, non pas simplement intériorisé comme dans l’effort de création de soi, mais extériorisé à travers des œuvres qui vivent de manière séparée une fois créées et agissent sur la sensibilité d’autrui en convertissant sa perception. Toutefois, la place de l’art n’est pas centrale dans la philosophie bergsonienne. L’artiste reste un homme, ses créations ne brisent pas ce qui enracine l’humanité dans sa spécificité. Si l’art nourrit de nombreuses analogies de la philosophie bergsonienne, rester fixé à son point de vue, c’est reproduire le geste de toute une tradition philosophique hypnotisée par les formes inertes, le mouvement arrêté. La fascination métaphysique pour l’art et ses œuvres, non dépassée, étant une autre modalité de la fascination intellectuelle pour la vie en surface, et peut-être même pour la mort.
56Le triomphe véritable et complet de la vie dans l’humanité est celui de la création morale, justement parce qu’elle appelle au dépassement de la spécificité humaine. Les actes du mystique ont des effets sur le monde spécifique humain collectif : ils poussent les hommes à réorganiser le monde social et, par suite, à recréer eux-mêmes leurs modes de vie.
57L’humanité est prise entre deux ordres de création. Une création intraspécifique, d’un côté, constituant une certaine reprise de l’élan témoignant des modalités de retardement de l’espèce. Cette création concerne les inventions de la science, la philosophie, la création de soi par soi, l’art et la politique. De l’autre côté, une création dépassant la spécificité humaine et constituant une nouvelle actualisation de l’élan vital. Actualisation d’une individualité exceptionnelle qui a des effets sur l’espèce humaine elle-même : la diffusion de l’appel du mystique entraîne l’humanité sur le chemin d’une recréation collective, qui est le fond de l’action politique ouverte.
58La rédaction des Deux sources de la morale et de la religion, qui met fin, de fait, aux hésitations qui firent jour après la rédaction de L’Évolution créatrice, peut recevoir une signification rétrospective : la puissance créatrice du génie moral est supérieure à celle de l’artiste et présentifie une nouvelle actualisation de l’élan vital au sein de l’espèce humaine. Les créations de formes opérées par l’artiste ont une puissance limitée, elles ne relancent aucun mouvement, et n’invitent pas au dépassement de l’espèce humaine. L’art ne peut pas tout : il porte en lui une certaine impuissance métaphysique qui signe son infériorité par rapport à la création morale. La création artistique est une création intraspécifique : l’artiste reste un homme et ses œuvres sont attachées à la préexistence du matériau qu’il se donne.
59La question de la création morale peut apparaître plus urgente que la question de l’art dans l’économie générale de la métaphysique de la création, remettant ainsi en cause l’idée qu’elle puisse être le paradigme de l’anthropologie créatrice bergsonienne.
60Si l’art, même désintéressé, apparaît comme une nécessité pour la créature vivante, en tant qu’elle y appréhende, grâce aux sentiments esthétiques, quelque chose de sa destination, le prolongement complet de l’évolution créatrice est moral. Cette thèse très forte de la philosophie de Bergson, développée dans Les deux sources de la morale et de la religion, s’accompagne de véritables surprises qui sont aussi des tours de force. Non seulement elle invite à inscrire la question politique au centre de l’anthropologie, en l’articulant au fait de création le plus haut dont l’espèce humaine est capable, mais aussi, à faire de la politique, bien comprise, un espace de création.
Notes de bas de page
1 C’est la thèse soutenue par Raymond Bayer dans son étude sur l’esthétique de Bergson, qui explique pourquoi Bergson n’a pas écrit son esthétique : « Il ne l’a toutefois point écrite, lui que tout y portait. C’est une énigme qui se posera à l’historien futur d’une philosophie de notre temps : pour nous, qui l’avons connu, qui nous nous nourrissions tous de sa pensée, l’énigme n’est peut-être pas sans réponse. Elle engagerait assurément la doctrine, elle donne mieux à vénérer l’homme. Le problème est de savoir pourquoi Bergson ne pouvait pas écrire son esthétique » (L’esthétique de Bergson, op. cit., p. 125, souligné par l’auteur).
2 CV, p. 24-25.
3 CV, p. 25.
4 DS, p. 75.
5 PR, p. 116 ; PC, p. 153.
6 EC, p. 340 : « Le peintre est devant sa toile, les couleurs sont sur la palette, le modèle pose ; nous voyons tout cela, et nous connaissons aussi la manière du peintre : prévoyons-nous ce qui apparaîtra sur la toile ? Nous possédons les éléments du problème ; nous savons, d’une connaissance abstraite, comment il sera résolu, car le portrait ressemblera sûrement au modèle et sûrement à l’artiste ; mais la solution concrète apporte avec elle cet imprévisible rien qui est le tout de l’œuvre d’art. »
7 Rappelons que, dans Le Possible et le Réel, la fabrication renvoie au domaine de la « répétition » dans l’art. (ibid., p. 103). La technique de l’artiste est en soi répétitive. Mais le style, qui se distingue de la technique en ce qu’il constitue, dans l’œuvre, ce qui relève en propre de l’artiste, de son effort, peut aussi, quand le génie vient à manquer, se répéter lui-même et devenir sa propre caricature.
8 La distinction entre le « geste » et l’« action » est présente dans Le Rire, p. 109 : « J’entends ici par gestes les attitudes, les mouvements et même les discours par lesquels un état d’âme se manifeste sans but, sans profit, par le seul effet d’une espèce de démangeaison intérieure. Le geste ainsi défini diffère profondément de l’action. L’action est voulue, en tout cas consciente ; le geste échappe, il est automatique. Dans l’action, c’est la personne tout entière qui donne ; dans le geste, une partie isolée de la personne s’exprime, à l’insu ou tout au moins à l’écart de la personnalité totale. Enfin (et c’est ici le point essentiel), l’action est exactement proportionnée au sentiment qui l’inspire ; il y a passage graduel de l’un à l’autre, de sorte que notre sympathie ou notre aversion peuvent se laisser glisser le long du fil qui va du sentiment à l’acte et s’intéresser progressivement. Mais le geste a quelque chose d’explosif, qui réveille notre sensibilité prête à se laisser bercer, et qui, en nous rappelant ainsi à nous-mêmes, nous empêche de prendre les choses au sérieux. »
9 Cours de Bergson au Collège de France, Théories de la volonté, in M, p. 712.
10 Dans Le Monde comme volonté et comme représentation, Schopenhauer conçoit une telle tension entre l’artiste et l’homme. Tension particulièrement forte dans le cas du compositeur de musique : « Le compositeur nous révèle l’essence intime du monde, il se fait l’interprète de la sagesse la plus profonde, et dans une langue que sa raison ne comprend pas ; de même la somnambule dévoile, sous l’influence du magnétiseur, des choses dont elle n’a aucune notion, lorsqu’elle est éveillée. C’est pourquoi, chez le compositeur, plus que chez tout autre artiste, l’homme est entièrement distinct de l’artiste » (ibid, p. 332-333).
11 DS, p. 322-324.
12 Ibid., p. 327 : L’industrialisme « mal dirigé » a mis à la portée de tous des « amusements », qui éloignent les individus de la « culture intellectuelle ». Si ce passage concerne essentiellement la manière dont les ouvriers emploient leur temps de loisir, il faut aussi et surtout comprendre comment la société industrielle asservit l’homme aux besoins matériels, entraînant une dévaluation des « biens » culturels et spirituels.
13 E, p. 11.
14 DS, p. 270.
15 Ibid., p. 270.
16 Ibid., p. 270.
17 CV, p. 21.
18 M, p. 1507.
19 La dialectique du détournement et du retournement est pensée dans La perception du changement (p. 153).
20 PC, p. 153 : « Eh bien, ce que la nature fait de loin en loin, par distraction, pour quelques privilégiés, la philosophie, en pareille matière, ne pourrait-elle pas le tenter, dans un autre sens et d’une autre manière, pour tout le monde ? »
21 IM, pp. 210-211 : « ... ainsi l’intuition de notre durée, bien loin de nous laisser suspendus dans le vide comme ferait la pure analyse, nous met en contact avec toute une continuité de durées que nous devons essayer de suivre soit vers le bas, soit vers le haut : dans les deux cas nous pouvons nous dilater indéfiniment par un effort de plus en plus violent, dans les deux cas nous nous transcendons nous-mêmes. Dans le premier nous marchons, nous marchons à une durée de plus en plus éparpillée [...]. En marchant dans l’autre sens, nous allons à une durée qui se tend, se resserre, s’intensifie de plus en plus : à la limite serait l’éternité. Non plus l’éternité conceptuelle, qui est une éternité de mort, mais une éternité de vie. [...] Entre ces deux limites extrêmes l’intuition se meut, et ce mouvement est la métaphysique même. »
22 Ibid., p. 210.
23 Ibid., p. 210 [souligné par l’auteur].
24 Ibid., p. 210.
25 Lettre à L. Dauriac, in M, p. 990.
26 Conférence de Madrid sur l’âme humaine, in M, p. 1201.
27 VOR, p. 266 : « ... c’est la même intuition, diversement utilisée, qui fait le philosophe profond et le grand artiste »
28 Lettre de Bergson à Harald Höffding du 15 mars 1915, in M, p. 1148.
29 MM, p. 204-205.
30 PC, p. 175.
31 VOR., p. 266.
32 Dans une lettre à Jean Baruzi du 4 octobre 1902, Bergson appréhende la compréhension d’une œuvre d’art comme suit : « Comprendre une œuvre d’art consiste essentiellement à développer en pensée ce que l’artiste a voulu suggérer en émotion. Et quand on a affaire à de grands créateurs comme ceux que vous étudiez, on ne saurait transposer la “suggestion” en “pensée”, sans se trouver en présence d’une véritable doctrine philosophique » (C, p. 77). Seules les œuvres des grands créateurs pourraient, à la rigueur, figurer des doctrines philosophiques ; mais il apparaît, dans ces lignes de Bergson, que la reconnaissance d’une telle figuration n’est que rétrospective et se révèle par un travail intellectuel d’interprétation qui, lui, est philosophique.
33 P.R., p. 103.
34 R, p. 115.
35 PC, p. 175.
36 IM, p. 197 : la constitution d’un empirisme véritable pousse le philosophe à « fournir un effort absolument nouveau ». Cet empirisme « taille pour l’objet un concept approprié à l’objet seul, concept dont on peut à peine dire que ce soit encore un concept, puisqu’il ne s’applique qu’à cette seule chose ».
37 PC, p. 175.
38 Arthur Danto, L’assujettissement philosophique de l’art, trad. fr. Claude Hary-Schaeffer, Paris, Le Seuil, coll. « Poétique », 1993.
39 R, p. 118 ; PC, p. 152.
40 CV, p. 24.
41 PR, p. 116.
42 CV, p. 24.
43 Conférence de Madrid sur l’âme humaine, in M, p. 1204.
44 Cours au collège de France 1906-1907. Théories de la volonté, in M, p. 719.
45 EC, p. 7.
46 Voir : PM, p. 102, 103, 176 ; ES, p. 24, 31 ; EC, p. 7 ; M, p. 714- 721, 847-871, 1203-1204.
47 Cours de Bergson au collège de France. Théories de la volonté, in M, p. 719.
48 Ibid., p. 720.
49 Ibid., p. 721.
50 Cours au collège de France. La théorie de la personne, in M, p. 871.
51 Onze conférences sur « la personnalité » aux Gifford Lectures d’Edinburgh, trad. fr. Martine Robinet, in M, p. 1080.
52 Cette analyse est menée par Michel Jouhaud dans son article « Bergson et la création de soi par soi », in Les Études philosophiques, n° 2, avril-juin 1992, p. 203 : « La vie spirituelle est globalement création, mais il ne s’ensuit pas que, dans la vie spirituelle, tout et n’importe quoi soit création » [souligné par l’auteur].
53 Onze conférences sur « la personnalité » aux Gifford Lectures d’Edinburgh, trad. fr. Martine Robinet, in M, p. 1082.
54 Ibid., p. 1081 : « Par un léger effort de volonté, nous pouvons tirer beaucoup de cette manière ; par un grand effort de volonté nous pouvons tirer indéfiniment. »
55 Cours au collège de France. Théories de la volonté, in M, p. 719.
56 De l’intelligence, in M, p. 559-560.
57 Cours au collège de France. Théories de la volonté, in M, p. 701.
58 Ibid., p. 703.
59 De l’intelligence, in M, p. 554.
60 Ibid., p. 555.
61 Sur ce point, on se rapportera à la troisième partie.
62 Cours au collège de France. Théorie de la volonté, in M, p. 721.
63 Ibid., p. 721.
64 Ibid., p. 721.
65 PR, p. 102, 103.
66 Conférence de Madrid. La personnalité, in M, p. 1231.
67 Ibid., p. 1217.
68 Ibid., p. 1217.
69 DS, p. 99.
70 Conférence de Madrid sur l’âme humaine, in M, p. 1204.
71 Pour la notion d’« honnête homme », voir DS, p. 13, 100.
72 EC, p. 240 ; AC, p. 31.
73 PR, p. 102 : « ... nous travaillons continuellement à pétrir, avec la matière qui nous est fournie par le passé et le présent, par l’hérédité et les circonstances, une figure unique, neuve, originale, imprévisible comme la forme donnée par le sculpteur à la terre glaise. »
74 PR, p. 116.
75 Conférence de Madrid sur la personnalité, in M, p. 1214.
76 Ibid., p. 1214.
77 Bergson, dans son cours, cite, d’après les notes de Jules Grivet, le livre suivant de Pierre Janet : Les obsessions et la psychasthénie (M, p. 861).
78 Ce cours est reproduit dans les Mélanges, p. 847-875, à partir des notes de Jules Grivet, qui n’hésite pas à y intégrer ses critiques ou quelques remarques ironiques.
79 Cours au collège de France. La théorie de la personne, in M, p. 860-861.
80 Ibid., p. 871 : « La fin visée par la vie dans la constitution de la personne, c’est de parvenir à posséder quelque chose en plus que ce qui était au principe par la création entièrement libre. »
81 Ibid., p. 859.
82 Ibid., p. 872 : Une union morale véritable, comme le rappelle la prise de notes du cours sur la personne, ne s’obtient pas par « l’usure des éléments ou le frottement qui efface les différences, mais bien au contraire par l’accroissement de ces mêmes éléments donnant à chacun d’eux assez de force pour obtenir le respect des autres, à tous assez de noblesse, assez de générosité pour aimer la multiplicité dans l’unité. »
83 CV, p. 25.
84 DS, p. 36 : on comprend ainsi l’analogie entre l’action mystique et l’émotion musicale établie dans Les Deux Sources : « Quand la musique pleure, c’est l’humanité, c’est la nature entière qui pleure avec elle. À vrai dire, elle n’introduit pas ces sentiments en nous ; elle nous introduit plutôt en eux, comme des passants qu’on pousserait dans une danse. Ainsi procèdent les initiateurs en morale. »
85 EC, p. 239 : « La dialectique est nécessaire pour mettre l’intuition à l’épreuve, nécessaire aussi pour que l’intuition se réfracte en concepts et se propage à d’autres hommes ; mais elle ne fait, bien souvent, que développer le résultat de cette intuition qui la dépasse. »
86 DS, p. 74 : « ... et il y avait là un cercle dont on ne serait pas sorti si une ou plusieurs âmes privilégiées, ayant dilaté en elles l’âme sociale, n’avaient brisé le cercle en entraînant la société derrière elles. »
87 CV, p. 25 : « Supérieur est le point de vue du moraliste. Chez l’homme seulement, chez les meilleurs d’entre nous surtout, le mouvement vital se poursuit sans obstacle, lançant à travers cette œuvre d’art qu’est le corps humain, et qu’il a créée au passage, le courant indéfiniment créateur de la vie morale. »
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Lucien Lévy-Bruhl
Entre philosophie et anthropologie. Contradiction et participation
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2008
Modernité et sécularisation
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Habermas et Foucault
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