Chapitre IV. Trois théories pour l'univers culturel noir des Amériques
p. 115-133
Texte intégral
Une controverse fondatrice
1Le tiraillement entre interprétations divergentes est au fondement même de la recherche anthropologique sur le monde noir. Il est d’usage de faire remonter la généalogie de cette dualité des interprétations à l’activité de deux universitaires américains conduite dans le milieu du xxe siècle, celle de Melville J. Herskovits et celle de E. Franklin Frazier (Bastide, 1967, p. 8-9 ; Benoît, 2000, p. 23-24 ; Mintz et Price, 1992, p. 62-63).
2Le premier, Herskovits, est l’élève de Frantz Boas, l’un des pionniers de l’anthropologie américaine. Formé à l’université Columbia, il fonde à partir de 1927 le premier programme américain consacré aux études africaines, du moins en ce qui concerne le mainstream académique et scientifique, puisqu’il existait déjà à cette époque des tentatives de fondation d’un tel domaine de recherche par les Noirs américains eux-mêmes, au moins en histoire, avec par exemple l’« Association pour l’étude de la vie et de l’histoire du Noir » (Association for the Study of Negro Life and History) créée en 1915 par Carter G. Woodson et, bien sûr, les travaux du sociologue W. E. B. Du Bois (The Souls of Black Folk, 1902 – traduction française : Âmes noires, 1959). Les écrits de Herskovits relatifs aux groupes afro-américains remontent aux années 1920. Alors que la contribution de l’anthropologue va finir par devenir l’une des plus influentes pour le courant rallié à la thèse de la continuité africaine, ses premières analyses menées dans le Harlem des années 1920 concluent pourtant sur l’affirmation qu’il n’existe aucune trace de la culture africaine chez les Noirs aux Amériques. À peine quelque cinq années plus tard, Herskovits n’hésite pas à affirmer le contraire. À la faveur d’études de terrain menées notamment en Guyane hollandaise (actuel Surinam), il découvre la prégnance des survivances africaines et s’attache désormais à relier les formes culturelles noires américaines à celles du continent d’origine. Son ouvrage le plus influent, The Myth of the Negro Past (1941), est consacré à la démonstration de cette continuité entre l’Afrique et les Amériques. Il serait cependant inexact de traduire le travail de Herskovits par la seule thèse de la continuité et des « survivances » attestées dans le Nouveau Monde. Sa démarche reste sensible aux changements culturels qu’il approche au travers de notions telles que le « syncrétisme » ou la « ré-interprétation ». Par « ré-interprétation », l’anthropologue veut signifier la permanence d’un cadre de pensée ancien pour appréhender des éléments nouveaux.
3C’est précisément cette notion de « ré-interprétation » que Roger Bastide (1967, p. 8-9) analyse comme le catalyseur de la querelle entre Herskovits et Frazier. Ce dernier, sociologue, voit dans la thèse de la survivance africaine le danger d’attribuer au maintien d’une prétendue mentalité africaine toute la responsabilité des difficultés d’intégration du peuple noir américain. Une telle thèse n’est-elle pas en mesure de prêter main-forte à ceux qui prônent la ségrégation en suggérant le caractère inassimilable du Noir, lequel resterait déterminé par sa mentalité africaine ? À la thèse de la continuité, Frazier oppose celle de la déstructuration qu’il expose dans The Negro in the United States (1949). Il écrit que le passé africain n’est d’aucune utilité pour comprendre la réalité noire américaine. L’Afrique n’est plus que « souvenirs oubliés ». Si les institutions mises en place par les Noirs diffèrent de celles des Blancs, c’est en raison de la désorganisation imposée et de l’accès inégal aux ressources disponibles dans la société globale. En d’autres mots, les Noirs pourraient s’intégrer pleinement à la société occidentale s’ils n’étaient pas constamment soumis à l’oppression de leur environnement.
4Polarisée notamment autour de la question familiale – Herskovits voyant dans la famille centrée sur la mère et dans la multiplication des unions une ré-interprétation des cadres polygamiques africains ; Frazier les estimant, dans leur fragilité, apporter la preuve des contraintes endurées par les Noirs –, cette controverse montre bien combien la qualification des cultures noires se trouve soumise à une appréciation idéologique dès lors qu’elle s’intéresse forcément à la situation des Noirs dans le Nouveau Monde et à leur rapport avec l’univers blanc occidental. Comme le déclarent les célèbres anthropologues américains S. Mintz et R. Price (1992, p. 64), « cette controverse est loin d’être abandonnée et la plupart des arguments continuent de dire soit que les Africains-Américains ont une ou des cultures différentes, soit qu’ils sont simplement les victimes de privations [deprivation] ». Très récemment, Richard Price (2001) a consacré un article aux débats actuels dans le champ de la recherche sur la diaspora noire. Lui-même promoteur du modèle de la créolisation que nous verrons plus loin, Price indique clairement au cours de ce texte combien les positions adoptées sont indissociables de postures idéologiques, l’interprétation quant à la continuité de l’Afrique lui paraissant actuellement relever d’une veine « militante afrocentriste ». De ce point de vue, le débat Frazier-Herskovits a bien trouvé matière à se répercuter jusqu’à aujourd’hui malgré l’abandon des vieux présupposés anthropologiques et les motivations sans doute différentes des actuels protagonistes.
La thèse de la continuité…
5C’est donc le travail de Herskovits qui ouvre la voie à la thèse de la continuité d’un héritage africain. L’interprétation sur l’« africanité » n’est cependant pas aussi clairement située dans un camp ou dans un autre. À moins de prendre des tournures radicales qui la font être parfaitement identifiable, elle entretient, il faut le dire, de grandes similitudes avec sa rivale sur la créolisation. C’est ainsi que classer les travaux d’un bord ou de l’autre, peut apparaître parfois comme un exercice bien périlleux. C’est aussi le cas pour le travail de Herskovits. Celui-ci, comme nous l’avons déjà noté, n’ignorait pas le changement culturel intervenu dans le Nouveau Monde. Il proposa même « une échelle d’intensité des africanismes » pour indiquer la plus ou moins forte « rétention » de la culture africaine. Se trouvaient ainsi distingués les traits culturels (technologie, institutions, religion, art, langues…) observés dans différentes régions (Haïti, Jamaïque, Brésil…) en fonction de critères allant du « purement africain » au « traces de coutumes africaines » (Bastide, 1967, p. 21 ; Benoît, 2000, p. 25). Cette démarche, on le voit, impliquait bien de reconnaître l’altération et la transformation de l’héritage africain.
6Le célèbre travail de l’anthropologue français Roger Bastide (1967) renvoie à la même difficulté de classement. Son ouvrage intitulé Les Amériques noires est consacré à décrire les cultures afro-américaines selon une typologie qui s’articule autour de deux grandes catégories : les « communautés africaines » et les « communautés nègres ». Les premières sont celles où les modèles africains ont été reconduits au sein du nouvel environnement américain. Même si ces modèles ont été modifiés, ils imprègnent avec force la culture développée par certains groupes. Les secondes communautés sont celles qui attestent des ruptures avec ces mêmes modèles. « La pression du milieu environnant a été plus forte que les bribes de la mémoire collective, usée par des siècles de servitude » (ibid., p. 49). Il existe ainsi pour Bastide des « sociétés nègres » « où le rouleau compresseur de l’esclavage a tout détruit de l’Afrique ancestrale » (ibid., p. 199). Mais ces sociétés ont su réinventer des institutions et de nouvelles formes de vie sociale. Et si celles-ci apparaissent différentes de celles des Blancs occidentaux, c’est en raison, nous dit Bastide, de la pression sociale et de la ségrégation qui impliquent que les Noirs ont été « forcés » de vivre « dans un monde à part, séparé » (ibid., p. 199). On reconnaît là l’influence de la controverse Herskovits-Frazier. Estimant toutefois ces communautés comme des types idéaux, l’anthropologue insiste sur l’idée d’un « continuum » entre ces deux formes. Il s’agirait en outre de voir ce continuum s’exprimer, non pas entre les groupes, mais entre les divers secteurs de la vie sociale. Ainsi, des pans entiers d’une société peuvent se révéler « africains » et d’autres complètement soumis au nouveau milieu. La religion est un de ces secteurs particulièrement sensibles à la tradition africaine.
7Avec une conception minimaliste de la continuité qui accepte d’inclure dans l’héritage africain les recompositions dont celui-ci a été l’objet (syncrétisme), R. Bastide avance sur un terrain où la plupart des groupes culturels noirs d’Amérique sont en mesure d’exprimer leur lien à l’Afrique. Les sociétés fondées par les Marrons des Guyanes, de Jamaïque, de Colombie… restent sans aucun doute le lieu privilégié pour observer une certaine authenticité, ce que Bastide (ibid., p. 53) suggère en parlant du maintien de « pans entiers des civilisations africaines » qui s’exprimeraient dans les structures claniques, la parenté matrilinéaire, les cultes animistes... Mais, même là, « ces communautés de résistance sont aussi des communautés d’innovations » (ibid., p. 74). Partout ailleurs, l’Afrique resurgit d’une manière ou d’une autre, parfois seulement dans les gestes corporels, les pas de danse qui traduisent une « mémoire motrice » héritée (ibid., p. 197). Selon cette perspective, il n’est pas étonnant que les « communautés nègres », qu’illustre surtout la situation des Noirs aux États-Unis, ne fassent en définitive l’objet que de quelques pages. Et, là encore, la distinction typologique n’est pas aussi nette qu’on pourrait le croire, puisque la nouvelle culture créée par cette communauté exprime « une mentalité façonnée par les vieilles cultures africaines » (ibid., p. 215).
8Avec d’un côté des Marrons dotés d’une tradition innovante et de l’autre des Afro-Américains ayant inventé des cultures nouvelles à travers un cadre mental ancien, on comprend qu’il soit bien difficile d’attribuer à Bastide, comme à Herskovits, une parenté inflexible avec la thèse de la continuité. Mais, parce qu’il est loin d’ignorer la présence africaine dans le Nouveau Monde et parce qu’il rattache rigoureusement les pratiques afro-américaines à leurs origines, le travail de Bastide, pourtant si sensible aux changements, est aussi considéré comme une entreprise vouée à rétablir la part de l’Afrique dans le Nouveau Monde. Dans son manifeste destiné à défendre des études sur la diaspora depuis une perspective « panafricaine » – c’est-à-dire soucieuse d’aider à la constitution d’une « conscience noire » par référence à l’Afrique –, le sociologue St Clair Drake (1982, p. 486) cite R. Bastide comme « l’anthropologue dont la contribution a sans doute été la plus importante » pour la recherche sur la diaspora noire. D’autres, plus radicaux dans leurs positions « afrocentristes », fustigent l’anthropologue français pour avoir distingué des communautés « nègres » en perte d’héritage africain (Walters, 1997, p. 32). En France, le travail de Roger Bastide est plutôt perçu comme détaché des thèses de la continuité. « Bastide n’était pas du tout obnubilé par la question de l’origine » (Cuche, 1996, p. 125). L’importance qu’il a accordée aux « bricolages » identitaires et aux stratégies d’instrumentalisation de la culture lui confère au contraire un rôle précurseur dans la critique des approches primordialistes (ibid., p. 130-131).
9Un autre travail plus récent, et couramment rattaché à la thèse de la continuité, ne peut guère aider à effectuer de plus claires distinctions de contenu entre les différentes interprétations. Dans l’ouvrage dont le titre ne laisse pas de doute sur l’objectif – « L’Afrique : racines de la culture jamaïcaine » (Africa : The Roots of Jamaicain Culture, 1996 [1988]) –, le sociolinguiste Mervyn Alleyne entreprend de remonter la généalogie des éléments culturels jamaïcains pour montrer comment ils témoignent d’une « base africaine ». Pour ce faire, Alleyne développe les deux arguments les plus fréquents pour étayer la thèse de l’africanité, à savoir l’argument de l’existence d’une aire culturelle africaine assez homogène, par-delà la diversité ethnique – l’aire de « l’Afrique de l’Ouest » – et l’argument de la prédominance d’une composante ethnique dans les différentes sociétés de plantation. On retrouve cette proposition chez Bastide (1967, p. 19) qui parle d’une « carte de l’Amérique noire » en fonction des « civilisations africaines prédominantes ». Ainsi la Jamaïque est-elle définie comme dominée par la culture Kromanti ou Fanti-Ashanti. Partant de la description d’un fonds culturel commun à tous les captifs déportés dans l’île, Alleyne poursuit sa démonstration en explorant trois domaines : la religion, la musique et la danse. À la lecture, il ne fait aucun doute que les expressions culturelles jamaïcaines s’enracinent bien dans leur passé africain et qu’elles en ont retenu les éléments structurants. Il s’agit, comme en linguistique, nous dit Alleyne, de « structures profondes » qui seraient reconduites au travers d’éléments d’apparence très divers. Ce qui est beaucoup moins clair, en revanche, reste la théorisation de cette interprétation. Car Alleyne refuse la théorie qu’il appelle « de la créativité » (celle de la créolisation), car elle développe une approche « synchronique » qui néglige l’apport de la période antérieure à l’esclavage. Il préfère concevoir une dynamique entre une « base africaine » et une « culture d’arrivée » (celle des colons) qui suppose des états d’acculturation où se mêlent continuité et appropriations nouvelles. Autant dire pourtant qu’avec un tel schéma nous sommes très proches de celui que refuse Alleyne sur la créolisation, car qu’ont dit de plus les théoriciens de la « créativité », si ce n’est qu’il a fallu aux Noirs du Nouveau Monde créer une culture nouvelle à partir d’éléments anciens et d’apports nouveaux ?
10Finalement, il semble que cette thèse sur la continuité ne parvienne à vraiment se distinguer par rapport aux autres qu’à partir du moment où elle renie la part du changement survenu dans le Nouveau Monde et qu’elle refuse obstinément ou minimise la mise en place d’un nouveau complexe culturel redevable à la rencontre entre l’Europe et l’Afrique. Dans l’article qu’il vient de consacrer à la question, Richard Price (2001) estime que ce point de vue est adopté surtout chez certains historiens spécialistes des sociétés américaines fondées sur l’esclavage, comme par exemple John Thornton dont l’ouvrage est consacré à montrer la « participation active des Africains » dans la formation du Nouveau Monde (Thornton, 1998, p. 6). Sévère, Price (2001, p. 38-46) reproche à ces auteurs de mettre systématiquement en valeur l’héritage africain au sein d’une reconstitution historique qu’il dit être une « narration » motivée par des « préférences idéologiques » où « l’Afrique règne constamment avec triomphe ». C’est ainsi que ces travaux en viennent à soutenir que le kikongo aurait été la langue la plus répandue chez les esclaves de Saint-Domingue, au moment de la Révolution, en se basant sur le témoignage de chefs créoles de la Révolution qui se plaignaient du fait que ceux qui se plaçaient sous leur bannière ne pouvaient pas parler « plus de deux mots de français » (Thornton, 1998, p. 321). Pourtant, face à cette alternative qui voudrait que, faute de n’être pas le français du colon, la langue des esclaves est forcément africaine, n’y a-t-il pas place pour l’affirmation plus raisonnable et vraisemblable, attestée par certaines sources, selon laquelle la langue des esclaves était celle qu’ils avaient créée, à savoir le créole haïtien ? Faits avérés, rejetés au risque de faillir à l’impératif de rigueur scientifique ? C’est ce que suggère Price (2001, p. 42) quand il regrette la tendance des tenants de la version afrocentrée (africa-centric) à ignorer la masse de données contraires accumulées. Mais il n’est peut-être pas toujours besoin d’en passer par un tel constat pour appréhender la thèse sur la continuité dans ses versions « modérées ». Certains travaux comme ceux de Alleyne sont tout à fait rigoureux.
11Ce qui fait alors la différence entre les tenants du discours sur la continuité et ceux sur celui de la créolisation, c’est un angle de vue différent à partir duquel la vision obtenue n’est pas aussi contradictoire qu’une autre révélée par un autre angle. Pour les premiers, il s’agira de rechercher systématiquement la présence africaine dans la culture et de la postuler première dans les échanges qui suivront (l’importance du processus d’acculturation n’est pas réfutée). Pour les deuxièmes, il sera question de mettre en valeur les complexes culturels nouveaux élaborés dans le contexte particulier de l’esclavage et qui relèvent en partie d’un fonds culturel africain (l’importance de la présence africaine n’est pas réfutée). C’est ainsi qu’un défenseur de la continuité verra dans la langue créole d’abord la préservation des structures basiques africaines (morphologie, syntaxe), tandis qu’un tenant de la créolisation indiquera la contribution de diverses sources. Certes, les choses ne sont pas toujours aussi simples, voire pacifiées, surtout sur un sujet aussi sensible aux revendications identitaires que celui de la langue, et certains opposeront à la thèse « afrocentrée » un argumentaire plus dur destiné à attester que les créoles résultent de changements effectués à partir d’une source d’abord européenne (d’Ans, 1987, p. 302-305). Pour le cas d’Haïti étudié par d’Ans, la question cruciale et éminemment chargée d’enjeux devient alors celle-la : la langue donneuse est-elle africaine ou française ? Dans un contexte de rencontres entre les cultures où l’histoire nous revient à l’état de traces fragiles, on imagine aisément que les réponses tranchées à de telles questions sont bien difficiles à élaborer, laissant toute son emprise à la posture idéologique. Sur ce point, on ne peut que partager le jugement de Price (2001) et voir dans la recherche sur les sociétés esclavagistes de l’Amérique cette spécificité surprenante qui tient au fait que des chercheurs travaillant à partir des mêmes sources et données parviennent à des conclusions diamétralement opposées.
… et la ligne afrocentriste
12On ne peut dresser un panorama, même rapide, de cette thèse de la continuité sans évoquer le courant « afrocentriste » à proprement parler et qu’il est, pour tout dire, bien difficile d’aborder sans éviter l’écueil polémique tant le sujet se révèle sensible. Ainsi l’un des rares ouvrages de langue française consacrés à la question (Fauvelle-Aymard et alii, 2000, p. 21) s’ouvre-t-il sur une invitation peu attirante : « Le terrain où nous invitons le lecteur à s’engager est un terrain miné », ce que d’ailleurs n’a aucun mal à confirmer la tonalité de certains articles réunis dans cet ouvrage. Par « afrocentrisme », il est devenu courant de désigner l’école de pensée qui s’est développée aux États-Unis à partir de la fin des années 1960. Dans le sillage de la lutte pour les droits civiques, et plus encore après l’assassinat de Martin Luther King, la jeunesse noire se radicalise. Elle revendique notamment la création d’un enseignement qui soit l’expression de la population noire, de son histoire et de sa culture au sein d’instances universitaires qui lui soient propres (St Clair Drake, 1982, p. 492). Ces revendications débouchent dès 1968 sur la création de programmes spécifiques : les « Études afro-américaines » (African-American Studies, AAS). Les cercles académiques traditionnellement spécialisés sur la recherche afro-américaine sont également touchés par cette exigence de recouvrement de l’histoire noire par les Noirs eux-mêmes. C’est le cas pour la très établie Association des études africaines (African Studies Association, ASA) qui connaît en 1969 un schisme lorsque des adhérents noirs annoncent la création d’une association nouvelle dont l’intitulé signale un projet nouveau : l’Association des études sur l’héritage africain (African Heritage Studies Association, AHSA). Ce groupe radical affirme sa volonté de promouvoir des études sur le monde noir par le monde noir et déclare :
Les peuples africains ne permettront plus désormais d’être culturellement, économiquement, politiquement et intellectuellement kidnappés pour fournir aux universitaires européens les symboles de leur statut intellectuel […] et la matière de leurs cours injurieux et hors de propos (déclaration du Black Caucus, citée par Howe, 1999, p. 60).
13Le fondateur de l’AHSA, John Henrik Clark, réclame la « reconstruction des études culturelles et de l’histoire de l’Afrique selon une ligne afrocentriste » (Clark, cité par Howe, ibid., p. 61). C’est dans un tel contexte, au sein des départements dénommés AAS, que va s’épanouir cette mouvance afrocentriste bien qu’il soit important de signaler que cette dernière ne représente pas à elle seule les orientations diverses qui vont être définies en matière d’éducation et de recherche dans les programmes dévolus aux études afro-américaines. Le développement de cette mouvance reste pour une grande part lié à la situation américaine et aux rapports raciaux caractéristiques institués entre Noirs et Blancs. En effet, on ne peut comprendre la situation qui s’instaure qu’en rapport avec la ségrégation déjà à l’œuvre au niveau universitaire, y compris dans la constitution des savoirs. C’est ce qui rend le sujet si sensible, quand la critique de certaines composantes afro-centristes peut du même coup laisser croire à la minimisation du contexte historique d’inégalité raciale dans lequel elles se sont édifiées, comme si remettre en cause les premières revenait à légitimer le second.
14Mais qu’en est-il du contenu même de cette « ligne afrocentriste » ? Celle-ci dépasse de loin la « thèse de la continuité » et l’affirmation selon laquelle les cultures africaines seraient toujours présentes et centrales dans les expressions des peuples noirs aux Amériques. Il s’agit en fait d’affirmer le caractère premier de la civilisation africaine sur toute autre civilisation. Dans ses versions les plus orthodoxes, elle postule le caractère fallacieux du savoir « eurocentré » et soutient l’établissement d’une autre vérité qui doit remplacer les connaissances actuelles tronquées par la vision occidentale. Cette vérité est assimilable à l’interprétation très largement diffusée par Molefi Asante (né en 1942, en Géorgie, avec pour nom de baptême Arthur Lee Smith), père de l’afrocentrisme, universitaire aux États-Unis et professeur à la Temple University où il dirige le département des AAS de 1985 à 1997 (Small, 1999, p. 670). Auteur d’ouvrages de références (Afrocentricity, 1988 ; Kemet, Afrocentricity and Knowledge, 1990), Asante développe la thèse selon laquelle tous les originaires de l’Afrique seraient unis par une histoire commune dont le berceau se situe dans l’Égypte ancienne. Civilisation noire fondée à partir de mouvements de population depuis l’Afrique sub-saharienne et la Nubie en particulier, l’Égypte ancienne constitue un patrimoine pour tous les Africains qui en retirent une unité au travers de l’héritage de valeurs et de comportements maintenus jusqu’à nos jours. La grandeur de l’Égypte a rayonné sur toute l’Afrique et, au-delà, sur la Grèce ancienne qui en est une émanation. Mais cette influence de l’Égypte (noire) sur les premières civilisations (blanches) européennes résulte d’une usurpation et de la volonté de domination de l’Occident. C’est pourquoi celui-ci occulte l’histoire « vraie » afin de ne pas contredire son image faussement glorieuse en avouant que les peuples qu’il oppresse sont ceux qui ont inspiré les aspects les plus illustres de sa civilisation. D’où la nécessité d’un programme d’enseignement voué à établir que « non seulement l’Afrique contribue à l’histoire de l’humanité mais que les civilisations africaines précèdent toutes les autres » (Asante, in Van Deburg, p. 293). La discipline appelée africology dispensée à la Temple University se définit comme « l’étude afrocentrique de tout phénomène, événement, idée et personnalité reliés à l’Afrique ». Toute démarche en ce sens « commence forcément par une analyse des civilisations africaines classiques, à savoir Kemet (Égypte), Nubie […] » (Asante, cité par Small, p. 676-677).
15Assimilables à un renversement de l’ordre des valeurs (noir versus blanc), les positions d’Asante laissent cependant place à des nuances – sans pour autant être dénuées de contradictions – qui relativisent les termes de son programme. Réclamant la « centricité » pour les Africains, de manière que ces derniers puissent bénéficier d’une vision du monde depuis la perspective culturelle qui est la leur, il affirme cependant que cette « afrocentricité n’est pas la version noire de l’eurocentricité ». À l’inverse de l’européenne, la vision centrée sur l’Afrique ne serait pas « hégémonique », mais s’offrirait comme une approche « non hiérarchique » favorable au multiculturalisme, en célébrant une « variété de perspectives culturelles ». Malgré sa tendance à exclure le savoir blanc quel qu’il soit, elle peut ainsi s’autoproclamer comme une théorie « contre le racisme, l’ignorance et l’hégémonie mono-ethnique » (Asante, From the Afrocentric Idea in Education, texte repris dans Van Deburg, 1997). C’est ce qui rend la critique de l’afrocentrisme délicate, quand le relativisme est réclamé et que se trouve être fondée la critique du caractère « eurocentré » de la science. On trouve les traces de cet embarras à reléguer d’emblée l’afrocentrisme au rang d’une vision mythique de l’Égypte ancienne et d’une version manichéenne de l’histoire dans Africana (Appiah et Gates, 1999), présentée comme « l’encyclopédie de l’Afrique et de la diaspora africaine ». Il faut dire que les auteurs de ce magistral ouvrage sont connus par ailleurs pour leur positions critiques vis-à-vis de l’afrocentrisme. L’article fort bref et allusif – en décalage avec le caractère assez remarquable de ce mouvement de pensée – se limite à évoquer une composante « modérée », celle préoccupée à restaurer la place qui est due à l’Afrique dans l’histoire, et une composante « dure », celle qui tend vers des théories nettement plus racistes. Sans élan empathique ni rejet véritable, mais avec une distance froide et un quasi-évitement de la polémique, l’article conclut sur la nécessité de produire un « portrait réaliste de l’Afrique et de l’histoire africaine », ce sur quoi, en définitive, pourraient tomber d’accord les afrocentristes eux-mêmes.
16Une description de la branche « dure » de l’afrocentrisme est fournie par le politologue britannique S. Howe (1999) dans l’ouvrage polémique qu’il lui a consacré. Fournissant un descriptif assez complet des propositions qui forment le substrat de ce courant et des sources qui l’inspirent, il évoque aussi les dérives nettement racistes et nationalistes qui finissent par former la tendance « ultra » de l’afrocentrisme à l’intérieur ou à la périphérie des AAS. C’est le cas par exemple des écrits de la psychiatre noire américaine F. Cress Welsing, qui stipule que la présence de mélanine (pigment brun de la peau) dote les Noirs d’une personnalité distincte et supérieure à celle des Blancs, eux-mêmes dégénérés en raison de l’absence de cette même mélanine (d’où leurs tentatives répétées pour exterminer les Noirs dont la dernière serait le génocide organisé à travers la dissémination du sida en Afrique). Si l’on peut regretter le ton autoritaire et bien trop sûr de lui-même emprunté par l’ouvrage de Howe, on s’accordera sans état d’âme – à la lecture de ce qui précède – avec la conclusion de l’auteur pour voir dans certaines composantes de l’afrocentrisme se manifester un renversement qui fait que « parmi le peuple qui a sans doute été le plus constamment opprimé parmi les victimes du racisme a émergé une nouvelle forme de pensée [qui est] l’image-miroir de celle qui l’a si longtemps persécuté » (Howe, 1999, p. 285).
17Inspiré par des sources très diverses, l’afrocentrisme est certainement lui aussi assez diversifié. Sans forcément retenir une approche mythifiée de l’Égypte ancienne, dont la fonction est plus de servir de récit fondateur à la communauté que d’énoncé empirico-déductif, certains universitaires restent sensibles aux découvertes archéologiques qui situent bien le berceau de l’humanité en Afrique. Nourris d’écrits d’historiens contestés, mais qui ont néanmoins trouvé à un moment ou à un autre droit de cité dans la sphère académique, comme Martin Bernal (historien britannique apprécié pour sa thèse sur « L’Athènes noire », Black Athena, postulant que les racines de la civilisation grecque sont, entre autres, attribuables à l’Égypte ancienne « noire ») ou Cheik Anta Diop (historien sénégalais ardent défenseur de la thèse de la civilisation « négro-égyptienne »), ces afrocentristes, que l’on pourra dire modérés, réclament surtout l’établissement d’une vérité historique qui ne souffre pas des biais d’une science « eurocentrisme ». C’est à partir du moment où cette revendication – légitime au sein de la communauté scientifique – quitte son sol d’interrogations critiques pour formuler des interprétations, que l’afrocentrisme peut devenir une entreprise vouée à soumettre la recherche historique aux désirs communautaires et à s’effectuer sans aucune exigence autocritique.
18L’étude de la diaspora est, bien sûr, concernée par une telle ligne. Il ne faudra donc pas être surpris de trouver des écrits qui relient directement des faits du xixe siècle à ceux de l’époque des « pharaons noirs d’Égypte » (par exemple Walters, 1997, p. 17-18). Si le développement de cette mouvance est à localiser aux États-Unis, il n’en reste pas moins que l’afrocentrisme rayonne assez largement, tirant sa force de l’opposition qu’il parvient à afficher à l’intérieur de cette institution fétiche des civilisations modernes occidentales qu’est la science. Une opposition qui relaye ce qu’il est convenu d’appeler le « nationalisme noir » et qui se fait bien sûr l’écho de celle nourrie à l’extérieur de la sphère scientifique, dans la société civile, là où se décline encore l’inégalité d’accès aux ressources entre les « races ».
19D’un autre côté, il faut insister de nouveau sur le fait que la recherche dans les AAS ne se réduit pas à la ligne afrocentriste. D’autres départements affirment leur opposition à cette même mouvance. C’est le cas à l’université Harvard où le responsable des AAS, une des plus célèbres figures parmi les enseignants, Henry Louis Gates, coordinateur de l’encyclopédie dont il a été question plus haut, a réitéré plusieurs critiques sans concession à l’encontre de l’afrocentrisme, déclarant notamment : « On pourrait croire que la préoccupation principale des départements d’études afro-américaines serait d’étudier les causes de la pauvreté et comment y remédier. Mais ce n’est pas la question la plus urgente. La plus urgente est de savoir si Cléopâtre était noire » (cité par Small, 1999, p. 691). Dans l’étude comparative qu’il a consacrée aux départements de Temple et de Harvard, M. L. Small (1999) a très bien montré comment le développement d’approches très typées (afrocentriste et universaliste) au sein des African-American Studies correspondait aussi à l’économie du monde académique. La recherche de fonds et d’une stabilité institutionnelle appelle une stratégie capable de capter une audience assurant la légitimité au regard des créditeurs. C’est une dimension qu’il faut assurément prendre en compte pour comprendre l’essor de l’afrocentrisme dans la sphère universitaire.
La thèse de la créolisation
20Nous renvoyant à une dimension plus classique du discours scientifique, la thèse de la créolisation tient à la proposition simple selon laquelle les sociétés fondées par les anciens esclaves résultent de changements culturels. Il s’agit donc de cultures nouvelles issues de la rencontre entre univers différents. Cette interprétation doit beaucoup au modèle proposé par deux anthropologues américains spécialistes des Amériques noires, Sidney Mintz et Richard Price ([1976], 1992). Le premier est connu pour ses travaux sur les paysanneries de la Caraïbe tandis que le deuxième fait autorité pour ses recherches sur les Saramaka du Surinam. Cette spécialisation centrée sur les Marrons ajoute très certainement au crédit de la thèse sur la créolisation puisque l’un de ceux qui la formulent se base sur des sociétés qui, comme nous l’avons vu, peuvent être vues comme des morceaux d’Afrique authentique. Dans tous les cas, le modèle de Mintz et de Price connaît une grande notoriété favorisée par une approche généralement « créoliste » des sociétés noires des Amériques, et particulièrement de la Caraïbe. Il est en effet largement répandu d’approcher ces sociétés à travers leur caractère « créole », c’est-à-dire « né sur place », mais à la suite du parcours migratoire des générations précédentes. Précisons que le mot « créole » – de l’espagnol criollo, lui-même dérivé du portugais crioulo (natif de la localité) – a d’abord été utilisé pour nommer les descendants de colons, puis en est venu à désigner l’ensemble de la population « non indigène » des colonies, mais né au sein d’elles, « incluant autant les colons européens que les esclaves africains » (E. Bennet, in Appiah et Gates, 1999, p. 528-529). Le recours au terme laisse ainsi présager une approche sensible au changement induit à la fois par cette non-autochtonie et par l’adaptation à un environnement nouveau.
21On se souvient que la hiérarchie dans les plantations esclavagistes mettait en jeu les catégories de l’Africain, esclave nouvellement arrivé (appelé « Bossale », ou « Nèg Kongo » dans les Antilles françaises) et du Créole, esclave né sur place et socialisé dans le cadre de la société locale. L’« indigénisation » désigne l’adaptation des Africains dans ce nouvel environnement, leur « créolisation » progressive. Les colons britanniques avaient un terme spécial, le seasoning, pour désigner la période d’« expérimentation » des nouveaux arrivés. Pour le Jamaïcain Rex Nettleford (1978, p. 2-3), on ne peut se référer à la créolisation sans prendre en compte ce processus d’acclimatation avec toute la dimension conflictuelle qu’il contient, en lien avec la dépréciation du modèle africain. D’autres auteurs sont allés dans le même sens, en attirant l’attention sur le fait que le terme « créole » ne peut être neutre et suppose déjà, de par l’histoire de son usage, une infériorisation des cultures africaines. Retenir l’expression « créolisation », c’est s’exposer à reproduire ce schéma et à écarter en définitive la possibilité de reconnaître la présence africaine dans les cultures caribéennes. Il est même possible de voir le projet théorique de la créolisation comme « un effort déterminé pour nier l’inévitable centralité de l’élément africain dans la culture antillaise » (Gutzmore, 2000).
22Il ne faut pas être étonné de voir resurgir aussi vite l’antagonisme de l’africanité versus créolité. Les quinze dernières années ont été l’occasion de voir s’épanouir une conception de l’identité antillaise fortement encline à se saisir positivement de l’idée de creuset culturel. Ce courant de pensée intellectuel et militant est bien représenté aux Antilles françaises par les auteurs du mouvement littéraire de la créolité, dont Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant. Dans le manifeste qu’ils ont consacré à la définition de leur approche du monde caribéen, ces différents auteurs (Bernabé et alii [1989], 1993) entendent prendre leurs distances avec des conceptions qui seraient d’un côté le recours à une Afrique ancestrale hors de portée (celle de la négritude du poète martiniquais Aimé Césaire), de l’autre le refus de soi par « l’auto-dénigrement » issu de la suprématie du modèle d’identification coloniale (ibid., p. 24). Ayant expurgé la culture antillaise de ses « deux monstres tutélaires » – « l’Européanité et l’Africanité » –, les auteurs peuvent déclarer que la créolité, c’est n’être « ni européens, ni africains, ni asiatiques » (ibid., p. 13 et 18). C’est appartenir à un univers complexe, « un agrégat interactionnel des éléments culturels caraïbes, européens, africains, asiatiques et levantins que le joug de l’histoire a réunis sur le même sol » (ibid., p. 26). On le voit aisément, la créolité-créolisation n’est pas exempte, elle non plus – à l’image de l’Africanité –, de projections identitaires fortes. Certes situé plutôt dans le champ littéraire, ce projet intellectuel n’en irrigue pas moins de nombreux écrits de sciences sociales. Il entretient une grande parenté avec le modèle du sociologue Paul Gilroy qui sera examiné plus loin et pour lequel il a déjà été signalé combien il correspondait à la quête « postmoderne » d’identités fluides et hybrides. Certains sociologues ont bien analysé que la définition de la créolité, malgré l’autoproclamation de son ouverture au « divers », était un moyen de « consacrer une nouvelle frontière entre Soi et l’Autre » en décidant de « la légitimité ou de l’illégitimité des expressions culturelles » (Giraud, 1997, p. 799). On pourra trouver troublant, en effet, de voir que la créolité ne semble pas pouvoir se définir autrement que par sa différence avec des entités comme l’Afrique, l’Europe, l’Asie…
23Les auteurs se référant à la thèse de la créolisation ne sont pas tous engagés dans un tel projet identitaire. Le cas du modèle de Mintz et Price ( [1976], 1992) reste associé à une démarche peu suspecte de faillir à une recherche rigoureuse assez détachée, autant que possible, de ces enjeux. C’est ce qui explique sûrement la longévité et la réputation de leur interprétation. Celle-ci tient d’abord à la réfutation des deux arguments que nous avons déjà entrevus avec Alleyne (1996) et qui étayent la thèse de la continuité. D’une part, l’Afrique de l’Ouest ne peut être représentée comme une unité culturelle « homogène », des variations interculturelles ayant été largement observées. D’autre part, les études sur la population des plantations attestent bien de l’hétérogénéité ethnique du peuplement africain. Partant d’une définition de la culture comme dépendante des institutions sociales qui lui donnent sa forme et son contenu, Mintz et Price (ibid., p. 18) comparent la situation de la population esclave débarquée dans le Nouveau Monde à celle d’une « foule », mais pas à celle d’un « groupe ». Car l’esclavage a éradiqué en premier lieu les institutions africaines. Tout ce qui atteste de l’existence de cultures noires dans le Nouveau Monde résulte de la création par les esclaves eux-mêmes d’institutions nouvelles. Face à ce processus de nouveauté, les anthropologues n’en renient pas pour autant « l’héritage » africain. Au contraire, ils postulent qu’en lieu et place d’une culture identique, les esclaves auraient surtout partagé une « grammaire » culturelle, notion déjà mise en avant par Herskovits, à savoir des « orientations cognitives » leur assurant une disposition commune dans leur manière d’envisager le monde d’un point de vue phénoménologique (ibid., p. 10). Les anthropologues parlent ainsi de « niveaux culturels profonds » (ibid., p. 52).
24Avec une telle notion, on perçoit aisément que nous sommes très proches de la perspective d’Alleyne (1996, p. 8) et des « structures profondes » qu’il entendait souligner pour signifier un « continuum » culturel depuis l’Afrique. Mais plutôt que de mettre en avant ce soubassement africain, Mintz et Price assignent une importance centrale au changement : les cultures noires du Nouveau Monde sont des cultures nouvelles. La qualité de spécialiste du groupe des Marrons Saramaka de Richard Price donne une dimension particulière à ce modèle de la créolisation. Car, attaché aux aspects les plus africains des cultures noires du Nouveau Monde, l’anthropologue n’en affirme pas moins que « les continuités formelles depuis l’Afrique sont plus l’exception que la règle dans n’importe quelle culture afro-américaine, même pour celle des Saramaka qui ont été les plus isolés » (Mintz et Price, 1992, p. 60). Prenant appui sur la sculpture sur bois qui est le domaine par excellence pour prouver le maintien des arts africains dans le Nouveau Monde, Richard Price estime cependant qu’il s’agit d’innovations récentes datant du xixe siècle, même si elles manifestent, dans leur proximité avec l’art africain, l’existence de ces « règles » imputables à des « niveaux culturels profonds » (ibid., p. 53). Depuis l’angle qui est le sien, Alleyne (1996) y aurait sûrement vu la preuve d’une base africaine dont les « structures profondes » auraient été reconduites au travers du changement culturel.
25En faisant de l’innovation culturelle l’élément premier des sociétés noires du Nouveau Monde, Mintz et Price (1992) ne prennent pas le risque d’ignorer ou de minimiser les conditions dans lesquelles s’est effectuée la « rencontre ». Ils replacent en effet l’expérience noire américaine dans l’univers coercitif des plantations pour insister sur le monopole du pouvoir des maîtres, sur les conditions d’inhumanité dans lesquelles ceux-ci voulaient maintenir les esclaves. D’un autre côté, les auteurs invitent à ne pas minimiser les interstices, les transgressions qui font que l’institution n’a jamais été figée. À l’intérieur de la structure codifiée et rigidifiée de la société esclavagiste existaient des secteurs qui rendent compte d’interactions sociales entre les différents blocs. Les auteurs dégagent ainsi « une figure schématique de sociétés profondément divisées par les statuts – en même temps que par les types physiques, et plus encore –, mais compliquées par la continuelle interaction des membres des deux groupes à plusieurs niveaux et selon différentes manières […], en d’autres mots, le système des statuts n’a jamais totalement rendu compte, ni contrôlé l’ensemble des interactions spécifiques entre les individus » (ibid., p. 31 et 35). Ainsi, Mintz et Price postulent l’existence de ces lieux incontournables, y compris au cœur de l’entreprise esclavagiste, où l’échange se produit entre les différents groupes en présence, échanges qui alimentent la dynamique culturelle de créolisation. Pour expliquer la logique de la « créativité », les auteurs soulignent également une autre dimension : celle, pour les sociétés du Nouveau Monde, d’évoluer continuellement dans une dynamique de contacts qui prédisposerait à l’acceptation de la différence culturelle et ferait de l’aptitude au changement une caractéristique des systèmes culturels en présence. C’est ainsi qu’à « l’intérieur des strictes limites déterminées par les conditions de l’esclavage, les Africains-Américains ont appris à donner beaucoup d’importance à l’innovation et à la créativité individuelle » (ibid., p. 51).
26Clairement porté à considérer, dans les conditions très particulières de l’esclavage, la « rencontre » entre les mondes comme le substrat des cultures noires des Amériques, le modèle de la créolisation intègre bien ce qui pourrait faire défaut dans celui de la continuité, à savoir le contexte dans lequel furent amenés à évoluer non pas les cultures africaines, mais les individus porteurs de ces cultures. L’évidence de la nécessité d’une telle prise en compte n’échappe pas en définitive à tous ceux qui souhaitent de manière rigoureuse reconstituer une généalogie africaine des cultures afro-américaines, comme nous l’avons vu avec Bastide ou Alleyne. Face à la diversité des thèses, on peut se demander si l’on n’est pas tout simplement placé face à une impossibilité à trancher définitivement entre l’argument de la continuité et celui du changement : les deux ne sont-ils pas en définitive constitutifs des cultures noires du Nouveau Monde ? La superposition au sein de chaque interprétation d’affirmations redevables à l’une et à l’autre thèse (notamment les notions quasi interchangeables de « structures profondes » ou de « niveaux profonds ») semble en attester. Il faut alors se tourner vers l’écrivain barbadien Kamau Brathwaite pour prendre toute la mesure de ce besoin de dépasser le clivage apparent entre théories. Auteur d’un travail de référence sur la société jamaïcaine au cours duquel il décrit la « créolisation » comme « processus culturel » où « la confrontation entre deux cultures a été cruelle mais aussi créative » (Brathwaite, 1971, p. 307), cet historien est aussi un poète dont l’œuvre est consacrée à rétablir les liens entre la Caraïbe et l’Afrique, ce qui le fait être généralement perçu à partir de son « engagement africaniste » (Gutzmore, 2000). Doit-on voir une contradiction dans ce mariage sous une forme ou sous une autre entre ces deux interprétations ? Brathwaite nous invite à répondre par la négative à une telle question lorsqu’il affirme :
C’est durant cette période [de l’esclavage] que nous pouvons voir comment l’Africain importé depuis le lieu de sa « grande tradition » en est venu à s’établir dans un nouvel environnement, utilisant les outils disponibles et les souvenirs de traditions héritées pour fonder quelque chose de nouveau, quelque chose d’antillais, mais quelque chose reconnaissable malgré tout comme africain (Brathwaite, cité par Mintz et Price, 1992, p. XI).
27On l’aura compris : les thèses de la continuité et de la créativité ne peuvent pas véritablement s’opposer quand la première reconnaît la présence des souvenirs de l’héritage africain dans la fabrication du nouveau et quand la seconde envisage la création culturelle à partir de la préservation d’une « grammaire culturelle » ancienne…
La thèse de l’aliénation
28Si les deux précédentes thèses, surtout la première, penchent plutôt vers le pôle « Herskovits », celle de l’aliénation reconduit quant à elle le positionnement de Frasier par-delà le fait que les auteurs qui la développent ne réclament pas forcément cette filiation avec le sociologue américain. Les écrits de recherche en sciences humaines sur les Antilles françaises sont d’ailleurs ceux qui ont le plus insisté sur cette thématique de l’aliénation. Faut-il mettre un tel constat en rapport avec la situation des îles qui ont fini par fusionner avec la nation française ? On peut le supposer. Le processus ancien d’assimilation en Guadeloupe et Martinique met en jeu des rapports différents qui rendent plus complexes qu’ailleurs les cheminements de l’identification culturelle. Jacques Fredj (1983, p. 1851) a très bien montré combien l’intégration dans un modèle républicain entamée dès les lendemains de la révolution de 1789 avait rendu « impossible l’expression de certaines contradictions sous l’aspect de la différence raciale ». De fait, les sociétés antillaises voient se superposer à partir de la fin du xviiie siècle une logique coloniale, celle qui contribue au maintien d’une plantocratie blanche face à une masse noire, et une logique de citoyenneté reconnaissant des individus libres et égaux en droit. Pour les Antillais, lutter pour la liberté passe paradoxalement par un rapprochement avec les idéaux républicains de la métropole, qui demeure pourtant le foyer de l’entreprise esclavagiste et coloniale. Il s’agit en fait d’être aux côtés de la France révolutionnaire contre la France de l’Ancien Régime. Ainsi, les étapes de l’émancipation et de l’acquisition des droits citoyens aux Antilles correspondent exactement à celles de la marche vers la stabilité républicaine en France. Aussi porteuses d’égalités qu’elles aient pu être, ces étapes (abolitions, suffrage universel, départementalisation) brouillent néanmoins les pistes de la conscience des rapports sociaux en ne laissant pas s’exprimer l’opposition fondatrice de ces sociétés. Cette fusion colonisateurs/colonisés opérée dans le domaine politique, et qui reste inégalée dans les îles anglophones, est déjà la marque d’une première difficulté pour les identités à se construire à partir d’une reconnaissance claire des termes de leur propre histoire.
29Face à cette situation particulière, la recherche de langue française s’est donc montrée sensible à tout ce qui pouvait faire barrage à l’édification d’une culture produite par le groupe des esclaves et leurs descendants. Le travail de Jean Benoist (1972) qui inaugure véritablement la recherche anthropologique aux Antilles françaises indique déjà par son titre – L’Archipel inachevé – l’orientation donnée aux interprétations sur la culture. C’est en effet une période intellectuelle d’une vingtaine d’années qui s’ouvre, presque exclusivement consacrée à analyser le malaise de ces sociétés fondées sur la traite et l’esclavage. La difficulté à consolider les identités sociales y apparaît immense, en rapport avec les violences symboliques héritées de l’institution esclavagiste. Inachevées, ces sociétés le sont au regard de la référence qu’il leur faut toujours chercher à l’extérieur d’elles-mêmes pour s’édifier. « Définis longtemps par d’autres qu’eux-mêmes, les Antillais ont eu, eux aussi, tendance à se définir et à se situer en fonction d’autres, à exister par référence » (Benoist, 1972, p. 8). L’intériorisation du préjugé de couleur où se mêlent attributs sociaux et caractères somatiques est à la base du reniement des appartenances culturelles et produit des « retentissements graves sur la psychologie et sur la construction de l’image de soi » (ibid., p. 28-29). Il s’agit pour l’Antillais d’un « préjugé contre lui-même », nous dit Julie Lirus (1971, p. 31). Parlant de la confrontation permanente entre deux modèles culturels normatifs – l’européen et l’africain – dont l’un est survalorisé par rapport à l’autre, le sociologue François Gresle (1971, p. 548) conclut son étude sur la Martinique en affirmant : « Finalement, le Martiniquais paraît ne devenir lui-même qu’en renonçant à sa condition, en brisant tout lien communautaire, en refusant son héritage et à la limite sa personne. » D’autres, comme Auguste Armet (1982), finiront par parler de sociétés krazé « écrasées », c’est-à-dire de sociétés étouffées par le poids de leur histoire, astreintes à une « morbidité générale », subissant l’idéologie de la domination coloniale au point que leur dynamique interne en est fortement altérée, leurs membres déracinés, dispersés et impuissants, leur organisation déséquilibrée…
30La thèse de l’aliénation atteint son point culminant, en termes de cohérence, au début des années 1980 lorsque deux auteurs – Francis Affergan et Édouard Glissant – en proposent une approche théorique substantielle d’où se dégage un véritable modèle de communauté privée de sa capacité à se structurer. C’est ainsi que l’Anthropologie à la Martinique de Francis Affergan (1983) débouche sur la proposition de deux concepts fortement privatifs que sont les « modes d’improduction » et l’« asocialité ». Car l’histoire de la société martiniquaise est celle d’une « déréalisation » qu’il faut comprendre au sens strict du terme comme une absence d’emprise sur la réalité. Les Martiniquais n’ont jamais pu s’approprier un espace en propre et s’inscrire dans un procès de production finalisé pour eux-mêmes. Et comme « seul appartiendrait à l’histoire le peuple qui produit les causes et les effets de ses besoins », les Martiniquais, ne produisant rien pour eux-mêmes, se retrouvent dans l’impossibilité de s’historiciser, c’est-à-dire d’avoir accès à la maîtrise de leurs orientations culturelles et de leur devenir. L’« asocialité » découle en toute logique de ces « modes d’improduction ». Elle exprime l’absence de ce qui ailleurs contribue à générer les bases communautaires par une pratique économique et matérielle fédératrice. Elle se traduit par « une rivalité entre les individus au travail, un égoïsme sur le plan économique et affectif et une méfiance généralisée » (Affergan, 1983, p. 74). Pour exemplifier son raisonnement, l’anthropologue prend appui sur la paysannerie noire formée à l’abolition et dont il nous dit qu’elle est faite « d’éléments éclatés qui ne semblent obéir qu’à des pulsions et des affects individualistes ou atomisés » (ibid., p. 46).
31Le point de vue d’Édouard Glissant (1981) s’attache à la trajectoire depuis la lointaine Afrique pour décliner le parcours d’une dépossession qui commence avec l’arrachement brutal à l’Afrique, se poursuit tout au long de l’esclavage et se répercute dans les liens d’une dépendance accrue avec la métropole. L’histoire des Antillais est ainsi faite d’une succession de ruptures et de négations. Elle est subie. Elle est « non-histoire » car les Antillais, en tant que sujets-producteurs des constituants de leur vie sociale, demeurent absents. La conception de Glissant entretient une familiarité avec le modèle de l’« histoire immobile » évoqué dans le précédent chapitre puisque aucun changement, pas même celui de 1848, n’est intervenu pour rompre ce schéma de la dépossession. L’abolition n’a pas permis cette conquête attendue de l’espace insulaire pour que le peuple puisse « produire par et pour lui-même ». Le pays n’en est pas un. Il n’est ni espace ancestral ni espace approprié : « La légitimité de cette possession collective n’est pas même amorcée » (Glissant, 1981, p. 18). D’où une société où « les groupes sociaux ne sont pas ressentis dans leur structuration comme le résultat d’une histoire intrinsèque » (ibid., p. 88). La mémoire collective est « raturée » et la conscience collective privée de sa capacité à « sédimenter » la communauté. Celle-ci reste dispersée, émiettée. Là encore, la paysannerie conforte la démonstration. Et si Glissant juge celle-ci comme un des rares témoignages de résistance, il la voit pourtant comme un « rassemblement », mais pas comme une « nation », ces paysans ne parvenant pas à « consacrer en traditions des habitudes communes » et « à générer de l’unité tout court » (Glissant, 1981, p. 67-69).
De l’aliénation et de son revers : l’émergence d’une nouvelle conception de l’identité
32La thèse de l’aliénation a eu incontestablement le mérite de faire contrepoids à la tendance du « tout résistance » qui était tentée de minimiser les aspects déstabilisants de l’institution esclavagiste pour accéder ainsi à une collectivité souveraine construite par référence à l’Afrique. Elle a sûrement correspondu à une étape nécessaire de la pensée sociale engagée dans la lutte contre le colonialisme. Il semble cependant possible d’affirmer que nous sommes aujourd’hui sortis du paradigme de l’aliénation. Les écrits d’Édouard Glissant (1990) eux-mêmes ont permis ce recul. S’ils continuent à établir que les identités antillaises ont été soumises à une logique de l’enfermement, ils proposent néanmoins une conception où la communauté n’est plus perçue par rapport à ses manquements au modèle classique d’un collectif uni et solidaire, mais par sa capacité à être malléable, « ouverte », disposée au changement. La « dispersion collective » qu’il avait diagnostiquée comme conséquence de la dépossession esclavagiste se charge ainsi de valeurs positives et donne à voir un modèle inédit de l’identité hors de l’orthodoxie des modèles communautaires unitaires. D’un autre côté, des études de terrain assez récentes ont montré que le modèle paysan ne pouvait plus servir à la démonstration d’une quelconque aliénation. Elles apportent des matériaux nouveaux qui vont sérieusement à l’encontre d’une telle thèse en attestant de la force du projet collectif que les Nouveaux Libres, en Martinique et en Guadeloupe, mettent en place à l’abolition de l’esclavage jusqu’aux années 1960 (Chivallon, 1998 ; Lawson-Body, 1990). Il y a bien eu des périodes dans l’expérience antillaise où les peuples noirs ont pu se saisir de l’occasion de développer un projet qui leur soit propre.
33La tournure prise par la vision d’Édouard Glissant (1981, 1990) indique l’émergence d’une nouvelle conception de l’identité. Celle-ci exprime en fait le passage d’un modèle centré de la communauté (unité, mémoire, territoire), que Glissant estime absent aux Antilles, à un modèle décentré (ouverture, changement, déracinement) qui serait le résultat de l’expérience vécue dans l’univers des plantations. L’écrivain martiniquais oppose ainsi une identité de la « filiation » (linéarité) à laquelle la logique esclavagiste a fait obstacle et une identité de la « relation » (transversalité) qui découle de cet accès interdit aux formes classiques de la communauté. Dans le langage poétique qui est le sien, Glissant (1990, p. 89) formule cette belle conclusion : « La plantation est un des ventres du monde […]. Ainsi la limite, qui était sa faiblesse structurelle, devient pour nous un avantage. Et pour finir son enfermement a été vaincu. Le lieu était clos mais la parole qui en est dérivée reste ouverte. » Somme toute récente, et encore insuffisamment investie par la recherche sociologique qui en soulignerait les éventuelles adéquations empiriques, cette conception de l’identité occupe plutôt les écrits littéraires et philosophiques. Bien que s’en distinguant, elle entretient des similitudes avec le projet de la créolité et les théories sur l’hybridité, comme celle de Paul Gilroy. Leur point commun pourrait être la mise en valeur du métissage et de l’ouverture. Mais on trouve chez E. Glissant la volonté ferme d’échapper à un quelconque « modèle d’humanité » pour ne retenir que le principe de mise en relation qui oblige dès lors à envisager « l’identité » en variation continuelle, et non plus accrochée à son suffixe « ité » (africanité, européanité, créolité…), ce que traduit la désignation même de cette identité sous le vocable de « relation ».
34Quoi qu’il en soit, cette interprétation nouvelle rompt avec la démarche contenue dans les thèses sur la continuité et la créolisation, et ceci en dépit du fait que Glissant (1990, p. 101) utilise lui-même le terme de « créolisation » (« un des modes de l’emmêlement ») pour désigner ce processus constamment à l’œuvre empêchant que ne se fixe le contenu des identités. En effet, les deux premières thèses se structurent plutôt autour de la question de l’« origine » (traditions ou changements ?). La vision de l’« ouverture » – comme, d’ailleurs, celle de l’aliénation – ramène le débat à la question de l’identité collective. Car c’est bien d’elle qu’il s’agit lorsque nous abordons le domaine de la culture. Connaître l’origine ou les processus par lesquels telle ou telle composante culturelle en est venue à se manifester est certainement une préoccupation légitime de la recherche. Mais tout aussi nécessaire est l’intérêt pour les significations collectives exprimées par ces différentes composantes. En d’autres termes, il y a tout lieu de se demander quelle est la teneur du projet collectif mis en œuvre au sein des cultures noires des Amériques. Selon cette perspective, la question de savoir si un élément est africain ou non a moins d’importance que de savoir si les populations d’aujourd’hui en revendiquent ou non l’africanité, une question dont on verra qu’elle est indissociable de celle qui consiste à définir la diaspora noire des Amériques.
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