Préambule sur une notion incertaine appliquée à une réalité fuyante
p. 17-42
Texte intégral
Un concept bien incertain : la diaspora
1Tous les auteurs s’en plaignent : la diaspora est à la mode et l’engouement finit par compromettre un consensus sur la définition du concept. La contribution de Dominique Schnapper (2001, p. 9) se fait l’écho de ce malaise en affirmant que le terme désigne « désormais toutes les formes de dispersion des populations, jusque-là évoquées par les termes d’expulsés, d’expatriés, d’exilés, de réfugiés, d’immigrés ou de minorités ». Ainsi, « le concept perd de son pouvoir de compréhension » et le chercheur n’a plus guère d’issue que d’être exhorté à ne pas en étendre « indéfiniment le sens » (ibid., p. 31).
2Il est peut-être au moins un point sur lequel s’accorde la recherche sur le phénomène diasporique : celui de l’origine étymologique du mot. Comme le précise Michel Bruneau (2004, p. 8) :
Le terme de diaspora vient du verbe grec speiren (semer) ou plus précisément du verbe composé diaspirein (disséminer). Il a été emprunté au vocabulaire religieux des juifs hellénophones d’Égypte dans le texte de la Bible de Septante, traduction en grec de textes bibliques écrits en hébreu et en araméen […]. Il renvoie aux mots hébreux galût, golah (dispersion, exil, captivité) et au verbe gallah (partir en exil). Il s’agit évidemment de l’exil de Babylone et de la dispersion qui a suivi la destruction du second Temple de Jérusalem (70 apr. J.-C.).
3Mais même là, les incertitudes affleurent, ce que suggère Marienstras (1985) en indiquant que diaspora et galût, censés être équivalents, en seraient venus à désigner deux choses distinctes : d’un côté, la dispersion par rapport à un centre, et de l’autre, l’exil imputable à la disparition de ce centre. De son côté, R. Cohen (1995 et 1997, p. 2) rappelle que les Grecs utilisaient le terme dans une acception positive, pour faire référence à des migrations volontaires, celles des colonies marchandes, alors que la tradition juive a définitivement concouru à associer le terme à une expérience négative et douloureuse, incluant l’exil forcé, la captivité, la malédiction, le châtiment divin.
4D’après l’étude de S. Dufoix (2002), l’apparition du terme dans les dictionnaires de langues française et anglaise date du début du xxe siècle (respectivement 1908 et 1913). Il désigne dans un sens premier, tiré de l’histoire des religions, la dispersion des Juifs à travers le monde. L’extension du terme à d’autres populations apparaît plus tardivement – 1949 ou 1968 selon les sources – et s’applique à la « dispersion d’une ethnie » (dictionnaire Le Petit Robert, 1992, p. 536). Pour les sciences sociales, l’origine de l’emploi du terme est beaucoup plus difficile à tracer avec exactitude. Max Weber parlait déjà de « diaspora calviniste » en 1905 dans L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (signalé par Dufoix, 2002, p. 9). D’après Tölölyan (1996) – fondateur de la fameuse revue américaine Diaspora qui a fourni, depuis sa création en 1991, des textes qui se sont imposés comme des références –, la notion aurait suivi un itinéraire sémantique articulé autour de deux périodes que sépare approximativement l’année 1968. Avant cette date, le terme « diaspora » aurait été redevable d’une acception « judéo-centrée » (jewish-centered) et se serait adressé à des communautés dont la trajectoire montre, à l’image du peuple juif, la dispersion depuis un territoire d’origine et le maintien, au sein des sociétés d’installation, de liens de solidarité communautaire établis en dépit du phénomène de séparation et d’éloignement. À partir des années 1970, le champ sémantique s’élargit considérablement pour voir la notion être appliquée à de nombreuses formes de dispersion. C’est à juste titre que S. Dufoix (2002, p. 4) commente ce texte en regrettant l’absence de tout marqueur destiné à montrer en quoi l’année 1968 atteste effectivement d’un changement de vue dans l’usage du terme.
5De son côté, D. Schnapper (2001) s’appuie définitivement sur le découpage de K. Tölölyan pour réaffirmer dans un même mouvement qu’il aurait existé, « avant 1968 », à la fois des populations correspondant au type de diaspora et l’usage d’un terme – « diaspora » – dont le contenu aurait été suffisamment juste et clair pour désigner ces populations. Ces dernières, que l’on peut dès lors penser comme incarnant un modèle de diasporas classiques, traditionnelles ou archétypales, doivent leurs caractéristiques au fait qu’elles se perpétuent en tant que « collectivité historique » dans les divers pays d’installation. Le facteur déclenchant de la dispersion contribue cependant à introduire des distinctions entre d’un côté des diasporas issues de catastrophes, comme la diaspora juive, et de l’autre celles formées à la faveur des expansions commerciales, comme la diaspora grecque ou encore la première diaspora marchande arménienne. De ce point de vue, la perspective offerte par Dominique Schnapper rejoint celle de Michel Bruneau (1995, p. 14-15) pour qui les grands empires multiethniques ont été le cadre privilégié de formation des diasporas participant à leur dissémination au travers des réseaux d’échanges commerciaux. Avec la montée des États-nations, tout au long de l’époque moderne, la politique d’homogénéisation attribue de plus en plus de valeurs négatives aux diasporas. Leur double allégeance entre en contradiction avec la logique d’unité culturelle prônée par l’idéologie nationale. Les diasporas n’en continuent pas moins de se perpétuer et de montrer leur capacité à se constituer en communautés distinctes, tout en participant de manière effective à la vie économique et sociale des sociétés d’installation. C’est de là qu’elles tirent leur spécificité, dans cette manière de traduire, par-delà les formes de leur intégration dans les pays d’accueil, une identité particulière où la référence au territoire d’origine traduite par un ensemble de liens matériels ou symboliques est un élément fédérateur garant de la continuité communautaire.
6C’est donc « après 1968 » qu’une nouvelle tournure est prise avec une application démesurée du terme directement imputable aux conditions des sociétés contemporaines. De négative dans le cadre de l’État-nation, la diaspora en vient à incarner une image positive motivée par le contexte transnational et l’effondrement progressif des croyances dans les vertus de l’État moderne. Dans un contexte globalisé, la diaspora rassure par la constance dont elle témoigne au travers d’une expérience pourtant traversée par la mobilité. Dispensatrice « de prestige et de satisfaction », elle en vient à être « un thème à succès », favorable au « lyrisme », y compris – même et surtout – dans les sciences sociales (Schnapper, 2001, p. 29).
7Si ce texte a le mérite d’introduire à peu près tous les éléments qui articulent la problématique des diasporas et son actualité, il laisse cependant planer une confusion gênante. Car, plutôt que d’être relative à l’usage du concept, la périodisation en question concerne surtout les populations auxquelles le chercheur choisit d’appliquer ou non le concept de diaspora selon le sens qu’il lui donne. Dans la conception de D. Schnapper, il s’agit de mettre en relief des diasporas dont l’existence est ancienne et de traduire au travers d’elles un ensemble de caractéristiques pour voir si des populations dispersées plus récemment pourraient lui correspondre. Cette démarche appartient cependant au débat actuel entamé au cours des quarante dernières années, considérablement amplifié dans la décennie 1990. Comme tend à le démontrer l’étude de S. Dufoix (2002, p. 8 et 12), rien ne garantit qu’il existait auparavant un concept clairement établi. Il y aurait surtout eu un nom disponible, ou plutôt un nom propre, celui attribuable au peuple juif, et un nom commun, utilisé dans le langage courant. La notion utilisée en sciences sociales résulterait quant à elle de la tentative d’extraire « diaspora » du sens de ces deux usages traditionnels. Autant dans son acception étroite (ou classique) que dans son acception large, cette notion, en tant qu’outil scientifique, serait somme toute assez récente et sans doute redevable de l’intérêt que fait naître la multiplication des déplacements à l’échelle planétaire.
8Là où D. Schnapper considère les variations de signification comme imputables à une césure temporelle (avant et après 1968), il y a donc sans doute lieu de voir l’efficacité de lignes de partage très actuelles entre les courants de pensée que nourrissent les producteurs de savoir sur la question diasporique. Tout le champ des études sur les diasporas se trouve en fait traversé par une série d’oppositions qui organisent le discours scientifique en même temps que le collectif qui le produit. Si l’on n’accordait aucune forme de confiance à la démarche de connaissance, on pourrait voir là, à la manière de B. Latour (1994), la conséquence directe de la nécessité – pour se maintenir, en tant qu’acteur du monde scientifique – de produire des énoncés nouveaux indispensables à la capitalisation de notoriété. Car, de toute évidence, les termes du débat sur les diasporas s’inscrivent dans la dynamique générale des sciences sociales caractéristique de ces dernières années, avec l’irruption de la nouveauté que constitue le paradigme postmoderne et qui trouve particulièrement matière à s’épanouir dans le domaine d’étude des diasporas.
9Outre cette rupture majeure qui va opposer les « orthodoxes » aux « relativistes », ou les « modernes » aux « postmodernes », deux autres thématiques arrimées à ce premier clivage renforcent l’impression à la fois d’un partage assez net entre conceptions et d’une incertitude sur le contenu proposé. Il s’agit du thème de l’identité et de la communauté et de celui de la nation et du transnationalisme. Loin d’ignorer le monde noir des Amériques, ces débats et leurs contradictions accordent au contraire un intérêt particulier à cet univers culturel. C’est pourquoi il nous faut examiner ces derniers à partir de ces trois thématiques qui viennent d’être évoquées.
Le clivage des modernes et des postmodernes
10Confirmée au cours des quinze dernières années dans l’espace académique anglophone, la montée du paradigme postmoderne s’est produite au travers de l’appropriation de quelques notions clés devenues de véritables embrayeurs sémantiques pour comprendre de quoi il s’agit. La « diaspora », accompagnée de l’inévitable « hybridité » qui lui est consubstantielle, est devenue l’un de ces marqueurs indispensables à la conception postmoderne au point d’être vue comme l’objet d’une véritable « fétichisation » (Mitchell, 1997). Ce n’est d’ailleurs pas trop se hasarder que d’affirmer que la « diaspora » est la figure centrale du postmodernisme.
11Qu’entend-on par « postmodernisme » En se limitant à quelques repères développés par ailleurs (Ghasarian, 1998 ; Chivallon, 1999a et b), il faut déjà dissocier deux choses : le postmodernisme en tant que consacré à décrire et analyser les caractéristiques d’une époque (qualifiée de postmoderne) et le postmodernisme en tant que mouvement de pensée destiné à opérer la critique de la pensée moderne rationalisante. L’une et l’autre de ces tendances se séparent nettement du fait que la première continue de se réclamer d’une pratique scientifique classique qui ambitionne d’expliquer les phénomènes sociaux et culturels – ici, ceux liés à l’entrée dans une nouvelle période du développement capitaliste mondial (postfordisme) marquée principalement par l’affaiblissement des frontières instaurées par la modernité – alors que la seconde, au contraire, refuse le recours à la démarche explicative associée à l’orthodoxie sociologique. C’est cette deuxième tendance qui intéresse avant tout l’effervescence autour de la notion de diaspora, bien qu’il soit difficile de l’isoler complètement de la première dans la mesure où elle accorde, elle aussi, une importance majeure au contexte actuel de globalisation. Mais le clivage épistémologique reste cependant opératoire pour distinguer définitivement deux manières de concevoir la construction de l’objet scientifique et les modalités de sa connaissance.
12Au risque d’emprunter des raccourcis simplificateurs, il est possible de ramener le postmodernisme, en tant que courant de pensée, à une double exigence. Jugeant la science comme un outil idéologique autoritaire ayant imposé une vision du monde fondée sur la prétention à une vérité pourtant très incertaine, il cherche d’abord à s’affranchir du cadre scientifique traditionnel. Cette démarche passe d’emblée par la tentative de se défaire des usages d’une pensée catégorisante et binaire vue comme directement imputable à la modernité et à son mode d’intellection rationnel. Dans un même mouvement, il tente ensuite de rompre avec tout essentialisme du sujet pour reconnaître le caractère variable des identités, car les sciences sociales classiques auraient donné forme à un sujet social « invariant », déterminé par les seules lois de l’organisation sociale. Cette deuxième exigence, que l’on peut dire « anti-essentialiste », rejoint la volonté d’intégrer des savoirs divers et relatifs non soumis à une quelconque quête universaliste et s’associe à ce qu’il est convenu d’appeler de manière générique « le retour du sujet ». L’essor des cultural studies (« études culturelles ») accompagne cette progression et participe au recentrage des sciences sociales sur de telles préoccupations en se destinant en particulier à réhabiliter l’importance des représentations et de l’imaginaire au sein des dispositifs sociaux.
13L’intervention de la diaspora dans ce débat se présente précisément comme un moyen de répondre à la double exigence dont il vient d’être question. Pour mieux en comprendre la raison, il faut mentionner combien, au sein des écrits postmodernes, il est difficile de discerner entre ces deux démarches qui sont d’un côté le refus de l’appareil scientifique d’inspiration analytique et classificatoire et, de l’autre, la « découverte » d’identités libres de leurs mouvements et échappant à tout déterminisme. En fait, il s’agit de voir dans cette simultanéité le recours à un procédé qui fait que la rupture tant souhaitée avec le discours scientifique classique s’opère via le dévoilement d’identités qui sont décrites à souhait comme instables et indéterminées. De ce fait, ce n’est pas tant le discours scientifique qui est déconstruit que les identités dont il nous parle. Sauf dans quelques textes radicaux qui se sont essayés à franchir le pas – par exemple le texte de D. Reichert (1987) pour la nouvelle géographie culturelle anglophone –, les modalités d’exposition de l’argument restent étrangement « classiques » et pareilles à elles-mêmes : elles usent toujours du principe catégorisant pour signifier le caractère « mobile » des appartenances par opposition à des formes « fixes » et permanentes.
14Pour ne s’en tenir qu’à un auteur phare du postmodernisme, Homi Bhabha (1994), il est clair que les identités sociales ont désormais la lourde charge de signifier un changement de mode de pensée tout en étant l’antithèse de l’essentialisme communautaire fabriqué par les idéologies hégémoniques des nations modernes. Elles occupent des espaces de résistance, espaces interstitiels jamais exclusifs d’une logique ou d’une autre, où elles formulent – de façon toujours ambivalente et inachevée – des visions alternatives aux autorités qui pèsent sur elles. Dénommés third space (« troisième espace »), ces espaces, où évoluent les identités du « ni dominant ni dominé », sont le lieu par excellence de l’hybridité comme principe de dépassement des dualités. On le voit, ces théories sont assurément très intellectuelles, ou encore « textuelles ». Elles trouvent pourtant matière à s’incarner dans une forme sociale concrète : la « diaspora ». Car quelle autre configuration pourrait le mieux parvenir à signifier ces espaces de « l’entre-deux » (in-between) que vantent, à la manière de Bhabha, les nouveaux théoriciens de la culture ? Vouée à la double appartenance, entre un espace d’origine et un espace d’installation, constituée par cette dualité qu’elle transcende, défiant le principe d’identification nationale, la diaspora ne peut que se constituer en une ressource irremplaçable pour ceux qui se destinent à remettre en cause tout processus de reproduction et de détermination sociales lié au diagnostic de la sociologie classique.
15L’usage postmoderne de la notion est certes variable, du plus métaphorique au plus référencé par la réalité sociale. On trouve dans le travail réputé d’Appadurai (2001), consacré aux conséquences culturelles de la globalisation, une extension intéressante du terme qui montre la convergence entre la remise en cause des modèles anciens, l’intérêt accordé aux phénomènes actuels d’internationalisation et le recours ambivalent à la diaspora, à la fois métaphore d’un contexte globalisé et dénomination de populations migrantes. À mi-chemin entre une démarche d’objectivation et une approche critique nourrie par les cultural studies, l’objectif d’Appadurai est de montrer comment l’éclosion contemporaine d’identités déterritorialisées implique de considérer les façons nouvelles de produire la localité. L’approche primordialiste, assimilable à l’essentialisme, est rejetée : les collectivités sociales ne sont pas animées par une « conscience collective dont les racines historiques plongent dans un passé lointain » (ibid., p. 199). En fait, c’est l’imagination qui préside à la pratique sociale et organise les réseaux entre les individus (ibid., entre autres, p. 66 et 204). Les cultures relèvent moins des habitus que « d’une arène pour des choix » (ibid., p. 82). Dans un contexte où « l’État-nation entre dans sa phase terminale », « où les individus sont mobiles » et « où la circulation des produits s’est généralisée », il faut étudier, nous dit Appadurai, « la forme de diasporas de publics enfermésdans leur bulle » (ibid., p. 55, souligné par l’auteur). Ces diasporas de publics représentent autant de groupes hétérogènes, constitués à partir des incessants mouvements de population, et participent à l’éclatement des systèmes territorialisés. Elles intègrent des ethnoscapes, cette fameuse notion désormais associée au nom d’Appadurai, c’est-à-dire ces paysages formés « par les individus qui constituent le monde mouvant dans lequel nous vivons : touristes, immigrants, réfugiés, exilés, travailleurs invités et d’autres groupes et individus mouvants ». Ces mouvements de populations rompent la chaîne des anciennes stabilités en même temps qu’ils participent à la dispersion et à la diffusion des multiples « mondes imaginés » que fabriquent les personnes et les groupes (ibid., p. 69).
16On le voit, la diaspora se prête particulièrement bien à une évocation de formes sociales régies par des principes qui échappent à toute réalité bien circonscrite et stabilisée. Des principes que les préceptes sociologiques, autres que ceux attribuant à l’« imaginaire » une fonction primordiale dans la constitution sociale, auraient bien du mal à déceler. Sans anticiper sur le contenu même donné aux identités diasporiques, il est donc possible d’ores et déjà de présenter le clivage entre les « modernes » et les « postmodernes » comme structuré autour de l’adoption de deux postures théoriques et épistémologiques opposées. Comme l’analyse fort bien Floya Anthias (1998, p. 568), il y a d’un côté ceux qui cherchent à objectiver des caractéristiques et à fonder des critères destinés à estimer si un mouvement transnational constitue ou non une diaspora, et de l’autre ceux qui développent une approche critique défiant le recours aux conceptions classiques de l’« ethnicité ».
17Dans le premier ensemble prennent place des auteurs entretenant des rapports de proximité avec le travail de Gabriel Sheffer qui proposait en 1986 une approche en termes de validation de critères correspondant à une définition de la diaspora. Preuve du caractère récent de cette approche « classique », les références utilisées par Sheffer à propos des diasporas sont plutôt rares et se limitent en définitive au texte de Armstrong (1976) qui considérait le cas juif comme archétypal pour construire, à partir de lui, d’autres catégories comme la « diaspora prolétaire ». Les travaux de Safran (1991), de Cohen (1997) ou encore de Van Hear (1998) sont également à situer dans cet ensemble « objectiviste ». Ils indiquent bien la mise en œuvre d’un « modèle conceptuel fermé » comme le désigne S. Dufoix (2002, p. 9), ce dernier allant même jusqu’à évoquer des « conceptions positivistes » pour ce type d’approche.
18Le second ensemble comprend les théoriciens postmodernes les plus connus, comme Clifford (1994), Hall (1994) ou Gilroy (1993). Leur démarche est radicalement différente dans le sens où elle ne s’appuie plus sur aucune procédure de vérification revendiquée comme telle. Elle propose d’accéder à des expressions identitaires dont Gilroy (1993, p. 198) nous dit « qu’elles ne peuvent pas être appréhendées à travers la logique manichéenne de l’encodage binaire ». Fait remarquable et incontournable dans le cadre du présent ouvrage : ces théoriciens, les plus connus de la « diaspora postmoderne », Stuart Hall et Paul Gilroy, sont l’un antillais et l’autre anglo-guyanais. C’est au travers du monde noir des Amériques, érigé en exemple emblématique, qu’ils trouvent matière à proposer une nouvelle approche de l’identité diasporique.
19En France, les études sur les diasporas restent à l’écart de cette logique de partage du champ, du fait que le postmodernisme, malgré ses racines françaises dans la philosophie de Foucault, de Derrida ou de Deleuze, n’a pas eu un développement comparable à celui de la sphère anglophone. Certes, l’influence se fait de plus en plus manifeste, comme en témoigne la préface de Marc Abélès à la traduction française de l’ouvrage d’Arjun Appadurai (2001) ou encore un numéro assez récent de la revue L’Homme consacré « aux théories nomades à l’ère dite de la mondialisation » (Assayag et Bénéï, 2000, p. 16). Mais elle n’est pas source de rupture ou de changement paradigmatique comme du côté anglo-américain. Les conceptions développées sur la diaspora y restent proches de la tendance « classique » avec le développement d’un modèle assez bien typé.
20Dans tous les cas, c’est la définition donnée à la diaspora elle-même qui vient cristalliser la dissociation entre les postures moderne et postmoderne en s’articulant essentiellement sur le thème de l’identité : que celle-ci soit vue comme l’expression d’une conscience communautaire ou qu’elle corresponde à une formation « hybride ».
Deux conceptions de l’identité : « communautaire » et « hybride »
• La diaspora « communautaire »
21Il n’est pas très utile de reprendre dans le détail les diverses définitions de la diaspora fournies par les auteurs de l’approche classique. Elles présentent généralement une liste plus ou moins longue de « caractéristiques » (features) – de trois chez Van Hear (1998, p. 6) à neuf chez Cohen (1997, p. 26) – qui permettent de déterminer si, oui ou non, nous sommes en présence d’une diaspora. Il existe cependant un dénominateur commun à ces listes qui tient à trois éléments clés : la dispersion volontaire ou forcée depuis un point d’origine vers une ou plusieurs destinations ; le maintien de liens avec le pays d’origine ; l’existence d’un réseau reliant les différents établissements de la diaspora. Ce contenu minimal se décline bien évidemment et n’en reste pas à cet aspect sommaire. La liste des critères retenus, si elle peut s’allonger, ne s’institue pas vraiment en un outil discriminant, les auteurs ne mentionnant guère s’il faut remplir toutes les conditions ou seulement quelques-unes pour entrer dans le groupe des « diasporas ». La liste de R. Cohen (1997) fournit une illustration de ce type d’outils. Elle est une version aménagée de celle que Safran (1991, p. 83-84) avait proposée dans le premier numéro de la revue américaine Diaspora en s’appuyant sur l’« idéal type » incarné par la diaspora juive. L’aménagement de Cohen (1997, p. 21) souhaite cependant « transcender la tradition juive », car il n’est pas sûr qu’au sein même du monde juif, la dispersion résulte toujours d’un mouvement forcé issu d’une catastrophe comme le suppose le recours à l’« idéal type ».
22Résumés, les critères de Cohen (1997, p. 26 et 180) sont les suivants : 1) la dispersion depuis une patrie d’origine, souvent de manière traumatique ou éventuellement ; 2) l’expansion depuis cette patrie pour une recherche de travail, des activités commerciales ou des ambitions coloniales ; 3) une mémoire collective et un mythe à propos de la patrie d’origine ; 4) une idéalisation de l’origine ancestrale supposée ; 5) un mouvement de retour ; 6) une forte conscience de groupe ethnique maintenue à travers le temps ; 7) une relation ambiguë ou difficile avec les sociétés d’accueil ; 8) un sens de la solidarité vis-à-vis des membres du groupe dans d’autres pays ; 9) la possibilité d’une vie distinctive, créative et enrichissante au sein des sociétés pluralistes.
23À partir de cette liste, Robin Cohen construit une typologie qui valorise plutôt les critères 1 et 2 (le motif de la dispersion). Il distingue ainsi des « diasporas victimes » issues de catastrophes (Africains, Arméniens) ; des « diasporas de travail » (Indiens) ; des « diasporas impériales » (Britanniques) ; des « diasporas de commerce » (Chinois, Libanais) ; et enfin des « diasporas culturelles » (Antillais). Cette dernière catégorie est bien évidemment très intéressante, au même titre que la première, d’ailleurs, puisqu’elle concerne le monde noir des Amériques, ce sur quoi nous reviendrons plus loin. Notons cependant qu’à l’inverse des autres diasporas, la « culturelle » n’est plus distinguée par le motif de la dispersion, mais par référence aux « vues postmodernes de la diaspora » (Cohen, 1997, p. 130).
24Qu’elles étendent ou non leurs critères, qu’elles les présentent ou non sous forme de liste rigoureuse, ces études associées à l’approche classique impliquent de repérer une communauté ou un « groupe ethnique ». Préservation de « l’identité ethnique ou ethnico-religieuse » chez Sheffer (1986) ; « conscience ethno-communautaire » chez Safran (1991) ; « forte conscience de groupe ethnique » chez Cohen (1997) : il ne peut donc être question de comprendre la diaspora autrement que par l’affirmation d’une présence collective distincte au sein de sociétés où ces groupes dispersés forment des minorités culturelles. La notion de « mémoire collective » est souvent mise en avant pour traduire le travail symbolique dont le territoire d’origine fait l’objet en perpétuant de cette manière le sentiment d’une destinée commune tirée de son enracinement dans un lieu quasi sacré ou sacralisé. En dépit du phénomène de dispersion, la diaspora s’affirme bien comme une formation maintenue autour du triptyque « territoire-communauté-mémoire ». Même si ces approches indiquent parfois que la constitution de tels groupes résultent de « stratégies » (Sheffer, 1993), elles donnent plutôt l’impression que la notion de diaspora « est figée, en particulier parce qu’elle n’est jamais définie en référence à ses membres eux-mêmes. Elle reste une entité qui les dépasse, à laquelle ils semblent voués à appartenir dès lors qu’ils sont dispersés à partir de leur territoire d’origine » (Dufoix, 1999, p. 159).
25On est bien en présence de présupposés non explicités selon lesquels la diaspora est une « communauté naturelle organique » dont les membres, tous unis, « sans division, ni différence », se consacrent « au même projet politique » (Anthias, 1998, p. 563). Le recours à la célèbre conception de la communauté solidaire (Gemeinschaft) élaborée par l’historien allemand Ferdinand Tönnies, et que l’on retrouve au détour de certains écrits (par exemple, chez Faist, 1999, p. 10), montre bien le caractère latent au sein des écrits classiques d’une approche où la communauté est vue comme allant de soi, une disposition à une sociabilité fusionnelle acquise durablement, non négociée, quasi innée, et qui transite par ces piliers de la vie communautaire que sont la langue, la religion, la mémoire et les traditions.
26La prise en compte du maintien de la conscience « ethnique » ou « communautaire » comme critère de définition implique pourtant que soient examinées les principales questions qui articulent une problématique de l’« ethnicité » et qu’ont très bien mises en valeur P. Poutignat et J. Streiff-Feinart (1999, p. 154), à savoir « les processus par lesquels les acteurs s’identifient et sont identifiés par les autres sur la base de dichotomisations Nous/Eux, établies à partir de traits culturels supposés dérivés d’une origine commune et mis en relief dans les interactions sociales ». En l’absence d’un travail destiné en particulier à montrer comment s’opère « la fixation des symboles identitaires qui fondent la croyance en l’origine commune » (ibid., p. 154), le risque de l’approche classique de la diaspora est de tendre effectivement, sans pour autant le souhaiter, vers une approche primordialiste ou essentialiste qui supposerait la culture communautaire comme un « en soi », déjà là et acquis, une « substance immuable » (ibid., p. 180) que rien, pas même la dispersion, ne pourrait venir altérer.
27Les approches françaises diffèrent quelque peu de la tendance anglo-américaine dans la mesure où les formulations à base de critères y sont moins présentes et font place à un propos plus enclin à discuter et nuancer les fondements de la réalité communautaire. De telles formulations se retrouvent néanmoins dans certains travaux, comme dans l’Atlas de Chaliand et Rageau (1991, p. XXI) où sont retenus quatre critères : le désastre impliquant une dispersion collective forcée ; la mémoire collective qui transmet à la fois le souvenir de l’événement traumatique et un héritage culturel ; la volonté de durer en tant que groupe minoritaire transmettant un héritage ; et enfin le « facteur temps » qui vient confirmer la durée et donc l’existence de la diaspora. Cette perspective rejoint celle de Marienstras (1985, p. 225) pour qui la réalité de la diaspora « se prouve dans le temps et s’éprouve par le temps ». On retrouve chez ce dernier auteur les prémisses d’une conception « à la française » dont Chantal Bordes-Benayoun (2002, p. 29) dit qu’elle plaide en faveur d’une vision comme « mode d’être légitime et positif ». Pour Marienstras (1985, p. 225), en effet, « le maintien du sentiment d’appartenance et de la certitude de l’identité est, dans les situations minoritaires, une affaire de volonté, de décision consciente ». De fait, les études françaises sur les diasporas, comme l’ont très bien noté Dorai, Hily et Ma Mung, (1998, p. 4), insistent sur le maintien de l’unité du groupe et son mode de fonctionnement. La typologie proposée par M. Bruneau (1995) s’appuie par exemple sur l’élément moteur de la construction de cette unité : un pôle entrepreneurial, la religion, ou encore un pôle politique. Chez Ma Mung (1995), la diaspora est une « organisation de type communautaire » qui s’édifie sans le recours à l’expérience physique ou charnelle du territoire, dans un rapport à l’« exterritorialité ».
28Cette constance du lien communautaire posée comme condition à l’existence diasporique évite cependant la dérive primordialiste. C’est au moins vrai pour certains écrits sensibles à la construction du lien communautaire comme redevable de pratiques situées. Celles-ci initient de nouveaux « modes d’être ensemble », formulent une « communauté imaginée » et traduisent un récit collectif sous des « formes réinventées » (Hovanessian, 1998, p. 22). De son côté, Chantal Bordes-Benayoun (2002, p. 31-32), consciente de l’écueil essentialiste, envisage la diaspora non pas par rapport à sa fidélité à une tradition communautaire, mais par rapport aux compétences de ses membres pour mettre « en présence des mondes culturellement différents » et déplacer ainsi « les frontières de l’altérité ». Ces conceptions pourraient en définitive se révéler assez proches de la diaspora « hybride » si la rhétorique postmoderne anglophone ne venait brouiller les pistes en imposant la posture de la « déconstruction ». D’un autre côté, la continuité reste, en France, y compris pour ces interprétations bien moins « classiques », une modalité de la diaspora, car l’enjeu pour ces communautés extraterritoriales, nous dit Martine Hovanessian (1998, p. 23), est le « maintien d’une culture de la durée, d’une idéologie de la non-dilution identitaire ». C’est sans doute ce qui fait la différence avec la diaspora « hybride » qui supporte d’envisager la dilution identitaire.
• La diaspora « hybride »
29Cette conception, on l’a vu, prend le contre-pied de toute interprétation inspirée de près ou de loin par le modèle de la communauté solidaire et reproductible. Dans le texte qu’il a consacré à la diaspora, l’anthropologue James Clifford (1994) se désolidarise du modèle classique de William Safran (1991) qu’il qualifie de « modèle centré ». La diaspora ne peut pas être définie par « des liens de continuité culturelle à une source et par une téléologie du retour » (Clifford, 1994, p. 306). L’anthropologue préfère s’appuyer sur l’ouvrage que Paul Gilroy (1993) vient de consacrer au cours de cette même période à la diaspora qu’il nomme la « Black Atlantic », à savoir la diaspora noire du Nouveau Monde. Il faut dire que James Clifford y trouve matière à conforter la conception qu’il avait mise en œuvre dans un texte resté une référence pour les cultural studies, celui où il introduisait la notion de « cultures voyageuses » (travelling cultures) comme alternative aux visions localistes et indigénistes de l’anthropologie traditionnelle (Clifford, 1992). La perspective de Gilroy entre en adéquation avec cette préoccupation et permet de confirmer la fin du paradigme communautaire : « Il est désormais largement admis que les vieilles stratégies de localisation – par limite communautaire, par culture organique, par région, par centre et périphérie – peuvent plus obscurcir que révéler » (Clifford, 1994, p. 303). La diaspora, telle que conceptualisée par Gilroy, ouvre sur un univers culturel définitivement arraché aux cultures « tribales » et « nationales ». Elle montre une capacité à conjuguer les deux marqueurs topologiques apparemment antithétiques de la construction communautaire que sont les « racines » (permanence) et les « routes » (mobilité) et réussit cette sorte de performance qui consiste à « maintenir des identifications extérieures aux espaces-temps nationaux tout en vivant à l’intérieur d’eux, avec une différence » (ibid., p. 308).
30La mise en valeur des principes de la diaspora « hybride » revient véritablement à Stuart Hall et à son texte incontournable publié pour la première fois en 1990 (Hall, 1994). D’origine jamaïcaine et immigré en Angleterre, Stuart Hall est aussi le père incontesté des cultural studies, courant qu’il a contribué à fonder depuis le « Centre pour les études culturelles contemporaines » (Center for Contemporary Cultural Studies) à Birmingham (Mattelard et Neveu, 1996). La participation de Paul Gilroy, appartenant lui aussi à la communauté d’origine antillo-guyanaise installée en Grande-Bretagne, aux travaux les plus marquants de ce centre d’études (The Empire Strikes Back : Race and Racism in 70s Britain, 1982) confirme la constitution d’un groupe d’universitaires noirs très engagés sur le plan politique. Marqué par l’origine de son promoteur, le modèle de la diaspora « hybride » ne s’en est pas moins constitué en repère essentiel dans le champ général des études diasporiques, effet redoublé par le succès des écrits de P. Gilroy à peine trois années plus tard.
31Étant donné que cette conception « hybride » est exemplifiée à travers l’expérience du monde noir des Amériques, son contenu sera exposé plus en détail dans le corps du texte de cet ouvrage. À ce stade, il est seulement utile d’en retenir le schéma général qui tient à l’affirmation d’une culture fondée sur le principe de la fusion des contraires : la continuité et la rupture chez Hall ; le même et le changeant chez Gilroy. L’hybridité est le moteur de ce processus culturel qui ne peut produire que des formations variables, étrangères à toute forme de fixation des termes de l’identité. Les notions de pureté, d’authenticité, d’héritage, de traditions n’ont plus aucune signification, à moins d’être revues au prisme de la logique de métissage. En toute logique (postmoderne), la métaphore de la racine est bien sûr abandonnée au profit de celle du rhizome inspirée de Deleuze et Guattari (1980) pour exprimer deux manières de configurer le monde par filiation/héritage ou par dissémination/métissage. Alors que le modèle de Hall tend à prendre la diaspora classique, et surtout archétypale – celle du peuple juif – comme l’antithèse de l’hybridité, celui de Gilroy se construit plutôt par opposition à toute prétention nationaliste. Dans les deux cas, cependant, le chercheur est comme placé face à un choix exclusif : ou la diaspora est hybride ou elle n’est pas diaspora, car il semble impossible d’appliquer le terme à des formations culturelles autres que celles qui s’offrent véritablement comme une alternative à tout ethnicisme, ce qui, on le verra, n’est pas exempt de contradictions.
32Rappelons-nous enfin que la diaspora hybride vient répondre à la double exigence postmoderne dont il était question plus haut. Sans doute assez conscient que son modèle pouvait être redevable à une opposition binaire (racine/rhizome), Paul Gilroy a situé son approche à la fois contre les primordialistes et les relativistes postmodernes. D’où son insistance à démontrer la présence simultanée de principes contraires à l’œuvre au sein même de la diaspora noire, allant jusqu’à forger des notions comme « l’anti-anti-essentialisme » (Gilroy, 1993, p. X) ou la « tradition non-traditionnelle » (non-traditional tradition, ibid., p. 198). Exercice de style ? Concession aux normes de la déconstruction ? Toujours est-il que le modèle est là et qu’il demande à être appréhendé en rapport avec celui de la « diaspora communautaire », sans ignorer, comme le formule très bien Martine Hovanessian (1998, p. 12), que la diaspora « est une nouvelle catégorie de l’altérité nécessitant de mettre en évidence les enjeux de l’autodésignation […] et les modes de légitimation de la recherche en sciences sociales ». En ce sens, il ne pourra guère être ignoré que la catégorie conceptuelle de l’univers scientifique est aussi le lieu des enjeux de l’identification sociale des membres de la « diaspora ».
Diaspora, nation et transnationalisme
33Ce troisième domaine d’oppositions s’appuie plus imparfaitement sur les clivages qui viennent d’être décrits. Il est évident que, pour les tenants du modèle hybride, la diaspora ne peut qu’être située dans une relation antagonique avec les cultures nationales. Elle est forcément « transnationale ». James Clifford (1994, p. 328) l’envisage d’ailleurs comme un moyen de comprendre au sein des sociétés cosmopolites actuelles « des transnationalités non alignées ». Sur ce point, l’approche classique ne se développe pourtant pas en une interprétation diamétralement opposée, comme voudrait le penser Stuart Hall (1994) qui rejette apparemment le modèle archétypal de la diaspora pour sa congruence avec les formes du nationalisme. L’approche classique apparaît en fait beaucoup plus partagée dans la manière qu’elle a d’envisager le rapport au territoire d’origine, qu’il soit ou non constitué en État-nation.
34Les clivages qui se précisent au sein de l’approche classique sont intéressants en ce qu’ils montrent combien le concept est incertain et implique au bout du compte, sinon des choix, au moins une approche informée des divers enjeux qui se nouent à travers la construction de la notion. Il n’est sans doute pas fortuit que la traduction même du mot hébreu galût puisse avoir donné lieu à l’usage de deux termes différents au sein du monde juif, ce qui avait été signalé plus haut avec Marienstras (1985). Certains auteurs réservent en effet le terme « diaspora » aux communautés éloignées d’« Eretz Israël » aux époques où ce centre existait, c’est-à-dire pendant les périodes du premier Temple et du second Temple et depuis la création de l’État d’Israël. Pour désigner la dispersion pendant la longue période allant de la destruction du second Temple jusqu’à la création d‘Israël, c’est au terme galût que ces auteurs se référent, pour signifier l’exil. « La diaspora implique des migrations volontaires et libres. La “galût” implique que le territoire d’origine est passé sous domination étrangère » (ibid., p. 15). Ce bref détour par l’histoire de l’emploi juif du terme est éclairant et concentre les interrogations qui vont, là encore, partager le champ des études diasporiques. Car la diaspora doit-elle être vue comme le prolongement d’un État auquel elle reste liée ? Ou bien se constitue-t-elle en une population privée de la forme politique territorialisée ? Et, là encore, son projet collectif doit-il être pensé comme voué à fonder une souveraineté territoriale ou bien éloigné de toutes prétentions nationalistes ?
35Ces différentes questions reçoivent des réponses très diverses qui font apparaître différentes conceptions apparemment inconciliables. En France, domine plutôt une interprétation qui fait de la diaspora « un principe d’anti-État » (Marienstras, cité par Hovanessian, 1998, p. 15). Bon nombre d’auteurs s’accordent pour voir ces peuples dispersés remettre « en question le principe de l’organisation politique moderne » (Schnapper, 2001, p. 11) et comme « s’installant en profondeur dans l’idée de séparation d’avec le pays d’origine » (Centlivres, 2000, p. 9). Mais le rapport à la communauté politique hante cependant le débat et conduit même à voir les diasporas comme « la conséquence d’une question nationale non résolue » (Hovanessian, 1998, p. 25). Dans la vision de la diaspora grecque de Prévélakis (1995), il s’agit de voir un pouvoir politique disséminé (galactique) qui pourrait très bien en venir, comme au temps de l’hellénisme, à s’imposer et être une alternative à l’État moderne. Une telle analyse suggère un peu, à l’insu de son auteur, que la remise en cause de la centralité politique occasionnée par le fait diasporique concernerait plus l’organisation spatiale caractéristique des États-nations que leurs modèles d’identification culturelle. Ceux-là semblent toujours mus, dans la diaspora comme dans l’État, par la croyance en une spécificité culturelle indéniable redevable d’un « sentiment de supériorité culturelle par rapport aux peuples environnants » (Prévélakis, 1995, p. 104).
36Ce trouble autour du rapport à la nation finit par circonscrire des positions assez tranchées, à commencer par celle de W. Safran (1991) dont la définition « centrée » indique que la diaspora doit remplir quatre critères (sur six) qui impliquent une relation d’allégeance forte au territoire d’origine, notamment le critère selon lequel les membres de la diaspora se représentent comme engagés pour le maintien ou la restauration de leur patrie. Au bout du compte, il n’est donc pas étonnant que la diaspora finisse par être vue par certains comme une façon de théoriser des « formations ethno-culturelles » par « extension du modèle de l’État-nation » (Soysal, 2000, p. 3). Une telle approche se retrouve en France chez Fibbi et Meyer (2002, p. 19) pour qui les diasporas ne sont ni plus ni moins que des « extensions » des nations dont elles se réclament.
37Voilà donc un large spectre qui se dessine depuis la diaspora conçue comme la véritable antithèse des idéologies ethnicistes jusqu’à celle qui se définit comme un appendice de nations. Il n’est guère difficile de trouver d’autres arguments pour rajouter à cette incertitude déjà bien encombrante. Il suffit d’aborder des notions voisines comme la récente « communauté transnationale » et le sens de la diaspora en sera d’autant plus dilué. Là encore, il est possible de trouver tout et son contraire. En se limitant à la perspective de L. Basch, N. Glick Schiller et C. Szanton Blanc (2000 [1994]) dont l’autorité est acquise en ce domaine, le transnationalisme fait référence à des populations migrantes dont « l’identité continue d’être enracinée dans les États-nations » dont elles viennent (ibid., p. 8-9). Dans les contextes actuels marqués par la mondialisation grandissante, les États-nations n’en continuent pas moins de produire des représentations hégémoniques de l’identité. Les communautés transnationales sont l’expression des nouvelles formes déterritorialisée prises par les États-nations. La diaspora se définit par sa différence d’avec ce type de communauté :
Le concept de diaspora est étroitement lié à celui de nation qui imagine un peuple avec un passé commun et un lien biologique de solidarité qui peut ou non, à un moment ou à un autre, avoir son propre État. À l’opposé se situe l’État-nation déterritorialisé [transnationalisme] dans lequel les nationaux peuvent vivre n’importe où dans le monde […]. Par cette logique, ce n’est plus une diaspora, parce que là où le peuple va, l’État part avec (ibid., p. 269).
38Ces dernières propositions sont mot à mot l’inverse de celles de Soysal (2000, p. 3) pour qui la diaspora est justement « une extension du lieu laissé derrière soi, la patrie ». Elles contredisent aussi celles de Van Hear (1998, p. 6) qui inclut la diaspora dans le type englobant que serait la communauté transnationale. Mais la définition de Van Hear n’est pas pour autant identique à celle Soysal, ni même à celle de Faist (1999, p. 10) qui fait correspondre la diaspora à un type transnational seulement si les liens avec le pays d’origine sont concrets. Et la conception de Faist contredit celle de Soysal qui contredit elle-même celle de Van Hear qui s’oppose à celle… Bref, on l’aura compris, le recours au transnationalisme est loin d’être un moyen d’écarter les incertitudes, si ce n’est qu’il confirme la nécessité d’en passer nécessairement par le rapport au territoire d’origine, y compris dans ses acceptions nationalistes, pour aborder le phénomène diasporique. Mais surtout, là encore, il nous indique combien le monde noir des Amériques se prête à toutes les formes de conceptualisation possibles. Le modèle de la communauté transnationale et de l’État déterritorialisé – en tant qu’appendice de nation et donc comme configuration opposée à la diaspora – est en effet démontré par L. Basch et alii (2000) à partir de l’exemple d’Haïti, les migrants haïtiens, où qu’ils se trouvent, à New York, Miami ou à Québec, étant vus au travers de la volonté du gouvernement de ce petit État de la Caraïbe d’inclure dans ses limites sa population ressortissante répartie à travers le monde.
Incertitudes cumulées : diaspora et monde noir des Amériques
39Une fois ce tableau théorique brossé, il est bien légitime de se demander en quoi une telle notion – compliquée à l’envi par les divers enjeux intellectuels dont elle est le lieu – peut être utile pour l’étude d’une formation culturelle particulière qui serait parvenue de surcroît à se passer du terme jusque-là.
40Ce n’est pourtant que dans notre « tradition » académique francophone que le recours au terme de « diaspora » est si rare pour qualifier le monde noir des Amériques. Dans la tradition française, la notion paraît en effet réservée aux exemples archétypaux (Juifs, Grecs, Arméniens, Chinois), certes étendue à d’autres cas de populations (Assyro-Chaldéens, Libanais, Palestiniens… pour n’envisager que quelques-unes de ces extensions), mais très peu au cas des populations déportées depuis l’Afrique aux Amériques. Côté anglophone, à l’opposé, le monde noir semble avoir bénéficié, dès les années 1960, des toutes premières extensions « scientifiques » du terme à d’autres populations que celles retenues par le langage commun. L’article de Shepperson (1966) inaugure ce début de l’application à la « diaspora africaine ». L’étude de Stéphane Dufoix (2002, p. 6) montre par ailleurs, à partir des travaux universitaires nord-américains, que le monde noir l’emporte largement sur les autres populations, y compris juives, en termes de fréquence des occurrences du mot « diaspora » dans le titre.
41Parcimonie d’un côté, abondance de l’autre : autant le dire d’emblée, cette situation n’est pas étrangère à l’adoption d’une posture qui a été un peu le point de départ de cet ouvrage. N’est-il pas effectivement troublant que des peuples, dont la trajectoire rappelle à bien des égards celle d’autres populations dispersées à la suite d’événements traumatiques, se trouvent tenus à distance, en France, des problématiques formulées sur ces populations ? Cette rareté française de l’usage de « diaspora » pour le monde noir peut faire penser à une application redevable de « préconstruits » ou de valeurs implicites (Chivallon, 1997) et qui opèrerait, comme le craint Dominique Schnapper (2001, p. 31), par « distribution de “bons points” en accordant ou en refusant le label de diaspora à tel ou tel peuple ». Il y a là matière à redouter un usage restrictif, peut-être même discriminant – pour ne pas dire discriminatoire –, nous répercutant une manière plus générale et certainement inconsciente d’envisager le monde noir des Amériques. Car l’histoire de celui-ci est plutôt brouillée par bon nombre de représentations pas très éloignées de l’exotisme paradisiaque ou encore tributaires d’un imaginaire colonial non révolu qui associe volontiers ces régions de conquête radicale à une douceur de vivre créole et en élimine la charge éminemment douloureuse. Il n’est pas exclu non plus de penser que la parcimonie du recours au terme de diaspora porte la trace des procédures par lesquelles des peuples se trouvent anoblis quand d’autres ne le sont pas, cette distribution entre « petits » et « Grands » étant vraisemblablement le résultat d’héritages culturels lourds qui laissent nos catégories et les représentations qui les accompagnent à l’état d’impensé.
42Pour avoir motivé cet ouvrage, cette préoccupation n’est pourtant pas la seule qui occasionne le recours systématique à la notion de diaspora pour tenter d’interpréter l’expérience noire du Nouveau Monde. L’exposé des divers courants qui structurent le champ des études diasporiques a suggéré combien les populations noires du Nouveau Monde se prêtaient à toutes les exemplifications de modèles tenus pourtant pour opposés ou antithétiques. La « diaspora africaine » ou la « diaspora noire » se trouve ainsi être l’archétype des diasporas communautaires (chez Cohen, par exemple, qui en fait un modèle type des « diasporas victimes ») comme elle est la figure centrale et quasi exclusive de la diaspora « hybride ». Nous avons vu que les populations des Antilles étaient également présentées comme l’exemple caractéristique des « communautés transnationales » quand celles-ci sont définies par leur opposition au type diasporique. Le champ des études sur le monde noir conduites à partir du concept de diaspora reproduit en fait de manière assez fidèle les clivages décrits plus haut. Cette affirmation, est bien sûr, seulement valable pour le contexte anglophone puisque le paysage français, on l’aura compris, reste marqué par une sorte de double absence qui concerne à la fois le débat postmoderne et le recours au terme de diaspora pour désigner les Africains déportés en Amérique et leurs descendants.
43L’usage de la notion dans les travaux de langue anglaise est à ce point admis que bon nombre de travaux l’adoptent sans trouver nécessaire une mise au point conceptuelle. C’est le cas par exemple pour des études comme celles de Thompson (1987) ou encore de Segal (1995) qui retracent l’histoire des peuples noirs des Amériques à partir de la description des composantes majeures qui en forment le socle : traite, esclavage, caractéristiques des plantations esclavagistes, résistance des esclaves, abolitions, héritages sociaux et idéologiques… Le terme choisi pour être accolé à celui de diaspora peut se constituer en indicateur de l’approche adoptée. Quand elle est qualifiée d’« africaine », il y a de fortes chances que la diaspora corresponde au modèle classique envisagé en termes d’héritages depuis l’Afrique ancestrale, elle-même conçue comme mère patrie. Le terme « noir » suppose quant à lui un ancrage dans une réalité plus contemporaine, postérieure à l’Afrique, ce que tend à prouver le choix fait par Gilroy (1993) au travers de la dénomination « Black Atlantic ». Mais les choses ne sont certainement pas toujours aussi clairement distribuées dans un camp ou dans un autre, d’autant que la symbolique de l’identité par référence à l’Afrique englobe souvent l’idée de l’appartenance raciale et s’associe donc au modèle classique.
44L’apparition du débat autour de la notion – avec l’affirmation des lignes de clivage qu’il suppose – est récente, redevable au succès académique de la conception « hybride ». On trouve les traces d’un tel débat dans des ouvrages collectifs compilant des textes sur la diaspora avec des introductions souvent averties des enjeux de la notion et à partir desquelles il est tentant de dessiner une cartographie des positions : les « pour » l’hybridité (Lemelle et Kelley, 1994), les « contre » ou pour le moins sceptiques (Okpewho et alii, 1999) et les « partagés », c’est-à-dire ceux réunissant la palette des positions (Hine et McLeod, 1999, avec les textes assez divergents de E. P. Skinner et D. E. Williams), sans oublier, bien sûr, les tenants quasi inconditionnels de l’approche classique (Harris, 1996).
45Cette capacité du monde noir à se conformer à tous les dispositifs conceptuels a de quoi surprendre. Elle est le signe d’une réalité sociale fuyante que les recherches en sciences humaines spécialisées sur cette aire culturelle ont bien du mal à stabiliser autour de repères acquis. Nous verrons même que cette capacité « caméléonesque » ne s’arrête pas à ces seules alternatives et qu’elle s’applique encore à d’autres possibilités. Aucune autre population diasporique ne semble pouvoir se prêter à autant de visions différentes et contradictoires, même si les polémiques et controverses d’écoles sont le lieu commun de tout objet scientifique. Là où la diaspora, en tant que concept, devient intéressante, c’est dans cette manière qu’elle a de condenser toutes les alternatives possibles de la construction identitaire alors qu’elle se destine paradoxalement à délimiter une « unité ». Car les divergences sur le concept sont l’écho d’autant de manières de concevoir, au sein de cette formation culturelle des Amériques noires, les identités qui s’y sont forgées. Ce concept bien incertain se révèle en définitive chargé d’une grande valeur heuristique car il va permettre d’interroger ce thème lancinant de la recherche afro-américaine qu’est l’identité en donnant l’occasion d’investir complètement la diversité des thèses en présence.
46Cette fameuse notion de « diaspora » semble donc apte à mettre en présence une pluralité d’interprétations connectées à diverses visions de la vie sociale et de la « communauté ». Il est attendu des paradoxes qu’elle présente qu’ils aident à affronter une série d’antinomies à propos du monde noir des Amériques, à commencer par celle que recèle le concept lui-même autour du couple unité/ diversité. À partir d’elle, ce n’est plus tellement la perspective d’un choix raisonné entre plusieurs théories qui est recherché, mais la possibilité d’appréhender la diversité elle-même et de comprendre pourquoi elle est en mesure de s’exprimer avec autant de force au sein de cet univers culturel.
47L’objectif de cet ouvrage consiste ainsi à saisir en un même ensemble la pluralité des conceptions nourries sur le monde noir des Amériques – grâce à la notion de diaspora qui la répercute magistralement – et les manifestations empiriques dans lesquelles elles puisent leur logique. Le prochain paragraphe insistera sur le caractère à double entrée de ce dispositif, avec d’un côté le recours à une notion théorique à vocation large et généralisante et de l’autre une investigation empirique portant sur des aspects plus circonscrits appartenant à cet ensemble ainsi théorisé. Il importe plutôt d’insister ici sur cette approche qui veut opérer par un va-et-vient entre les théories et les faits qui les confortent et qui vise à questionner et interpréter la diversité, que celle-ci soit présente au cœur du discours scientifique ou dans la réalité sociale elle-même. Malgré cette démarche, qui n’implique pas de choisir d’emblée un modèle identitaire entre ceux qui se présentent, il faut néanmoins poser deux préalables qui concernent le positionnement adopté et qui ont précisément pour but de dégager ces modèles d’identité de certains brouillages qui les encombrent :
Sur la posture scientifique : à l’écart du faux-semblant postmoderne, la posture adoptée ici continue de se réclamer du principe d’objectivation. Le modèle identitaire associé au discours postmoderne n’en est pas pour autant rejeté, au contraire, mais si son existence est « là », venue à forme, c’est qu’il doit bien en exister des signes tangibles ou matérialisés et dès lors repérables et descriptibles.
Sur le phénomène diasporique : le développement qui précède tend à montrer que pour aborder le phénomène diasporique, la question de l’identité est centrale. Celle-ci ne peut être confondue avec les conditions historiques qui produisent le phénomène. Il y a d’un côté un contexte et des conditions, de l’autre les processus de formation identitaire. S’agissant de la diaspora qui intéresse cet ouvrage, les conditions sont celles de la dispersion forcée dans un contexte d’extrême coercition. Dans une perspective constructiviste, les identités sont conçues comme des agencements collectifs fabriqués en fonction de ce contexte et pourvoyeurs d’attributs et valeurs considérés comme propres à un groupe. Il nous faut chercher à comprendre les choix qui les animent comme les contraintes qui les limitent dans la mise en œuvre de tel ou tel modèle d’identification.
Précisions sur l’ouvrage : l’exemplification à travers la Caraïbe
48Plusieurs fois déjà, l’accent a été mis sur la manière dont l’ouvrage compte procéder, avec la recherche de prolongements empiriques portant plutôt sur une « partie » que sur le « tout » de la diaspora. En effet, la majorité des exemples sur lesquels le développement de cet ouvrage s’appuiera seront puisés dans la Caraïbe. Néanmoins, pour certains aspects, la situation des États-Unis fournira un éclairage sollicité régulièrement.
49Cet ensemble géographique – la Caraïbe – forme, avec le Brésil et les États-Unis, la clé de voûte des Amériques noires, en tant que lieu où ont été acheminés le plus d’esclaves africains et où vivent actuellement le plus grand nombre de leurs descendants. Cette « géographie démographique » de la diaspora nous apparaîtra plus en détail au cours de l’exposé. Il nous faut pour l’instant garder à l’esprit qu’elle signale la Caraïbe comme l’un des principaux foyers de peuplement des Amériques noires. Le terme « caraïbe » à proprement parler – quand il désigne une région – a un référent géographique variable pouvant ou non inclure les pays de la façade continentale bordée par la mer des Caraïbes. Précisons que l’origine du terme serait attribuable au mot indigène karib propre aux populations amérindiennes du groupe Carib installées dans les îles antillaises à l’arrivée des colons, bien qu’il existe un débat actuel signalé par Ferguson (1999, p. VII) pour savoir si le mot appartient bien au lexique de cette population originelle ou s’il n’est pas une pure invention européenne. Selon les sources, la « Caraïbe » peut donc comprendre, outre l’archipel des Antilles, les pays du continent – Venezuela, Colombie, Panama, Costa Rica, Nicaragua, Honduras, Belize (ex-Honduras britannique) « et même une portion de la côte orientale du Yucatan » (Adélaïde-Merlande, in Corzani, 1992, vol. 2, p. 482). Elle peut aussi ne retenir que certains pays du continent américain comme dans la définition qu’en donne l’anthropologue Richard Price (1991, p. 125) selon laquelle « le monde caraïbe […] comprend près d’une centaine d’îles habitées, des Bahamas à Trinidad, plus les Guyanes et Belize ». En général, cependant – et c’est surtout vrai pour la littérature scientifique anglophone –, la « Caraïbe » désigne l’archipel des Antilles lui-même et se limite à lui. C’est selon cette dernière acception que le terme sera utilisé tout au long de cet ouvrage.
50Cette région est ainsi formée par un chapelet d’îles tropicales s’organisant sur plus de 4 500 kilomètres en une sorte de croissant dédoublé le long des deux arcs volcaniques antillais, au large des côtes de l’Amérique centrale. Au sein de l’archipel, il est d’usage de distinguer les « Grandes Antilles » qui réunissent les pays insulaires dont la superficie excède ou avoisine les 10 000 kilomètres carrés : Cuba ; la Jamaïque ; Haïti et la République Dominicaine qui cohabitent sur l’île d’Hispaniola ; Porto Rico. Les « Petites Antilles » recouvrent de minuscules entités de quelques kilomètres carrés à peine. La Barbade, Grenade, Saint-Vincent et les Grenadines, par exemple, n’atteignent pas les 500 kilomètres carrés. Il est un lieu commun de dire de l’ensemble de ces territoires qu’il constitue une véritable mosaïque, une région éclatée, morcelée en autant de poussières d’îles. La physionomie de l’archipel n’est pourtant que l’un des aspects qui concourt à un tel éclatement. La géopolitique de cette région montre la surimposition d’un cadre structurel lié aux stratégies que les puissances extérieures n’ont cessé d’exercer dans cette zone (Girault et alii, 1982 ; Taglioni, 1995). La Caraïbe est le condensé de l’histoire de la conquête du Nouveau Monde et de ses prolongements si intenses, une conquête dont elle a été symboliquement le premier palier, quand Christophe Colomb foulait pour la première fois les terres au-delà de l’Atlantique dans l’une des îles des Bahamas. Le « puzzle antillais » (Girault et alii, 1982, p. 97) résulte des enjeux que cette région a toujours représentés au regard de la mainmise occidentale, celle de la « Vieille Europe » relayée plus tard par les États-Unis. Complètement créé par l’histoire coloniale, socialement modelé par le système des plantations qui a longtemps dominé la région, ce puzzle offre aujourd’hui une incroyable diversité réunissant une palette de statuts politiques possibles. États indépendants comme la République d’Haïti, la première « république noire », ou comme Cuba, le bastion castriste à la longévité étonnante ; États indépendants, membres du Commonwealth, comme la plupart des îles anglophones restées ainsi liées à leur ancienne métropole coloniale (Jamaïque, Sainte-Lucie, Barbade, Saint-Kitts-et-Nevis…) ; État libre associé aux États-Unis (Porto Rico) ; territoire américain non incorporé (îles Vierges américaines) ; territoires restés dépendants du Royaume-Uni (Anguilla, îles Vierges britanniques) ou des Pays-Bas (Antilles néerlandaises et Aruba) ; territoires complètement assimilés à un cadre national extérieur (départements français d’Outre-mer ou départements français d’Amérique) : autant de situations qui attestent du morcellement politique de cette région et en reflètent le caractère éminemment dépendant des processus historiques débutés avec la découverte et la colonisation des Amériques.
51À la différence des deux autres grands blocs des Amériques noires que seraient les États-Unis et le Brésil, la Caraïbe ne se présente donc pas sous l’uniformité d’un cadre national unique, mais réunit une variété de cas laissant la possibilité d’entrevoir des trajectoires sociales et politiques bien différenciées, en fonction notamment de l’influence majeure de dispositifs coloniaux eux-mêmes différents. La Caraïbe se distingue également des deux autres grands ensembles du fait que certaines des sociétés insulaires qui la composent (Haïti, la Jamaïque ; la Guadeloupe ; la Barbade…) sont constituées par une population dont la grande majorité, pour ne pas dire la quasi-totalité, est descendante des esclaves amenés depuis l’Afrique. Il est difficile d’évaluer la portée d’une telle caractéristique. Elle demande de faire écho à la remarque que formule Livio Sansone (2002, p. 143) à propos des communautés noires du Brésil, à savoir « qu’il n’existe pas de lien naturel entre la démographie, c’est-à-dire le pourcentage de personnes d’ascendance africaine dans le total de la population […] et la force ou l’intensité de l’identité ethnique noire ou africaine ». Ce risque de l’essentialisme repoussé, il reste néanmoins à prendre en charge les contextes historiques dans lesquels les identités se construisent. Quand ces contextes produisent les conditions de la discrimination raciale, quand ils montrent la pleine utilisation de la symbolique de la couleur, quand le référent matérialisé des idéologies dominantes devient exclusivement un phénotype physique, il y a de fortes chances de rencontrer la résonance de telles élaborations auprès de ceux qui en sont l’objet, là où ils se trouvent. Les identifications, si elles sont tributaires et variables selon les imaginaires, n’échappent pas – et particulièrement dans ce cas – à l’assignation du code qui pèse sur elles. Ceci étant posé, cette prédominance des descendants d’esclaves dans la Caraïbe n’est pourtant pas tenue pour faire de cette région un lieu où la « conscience diasporique noire » – si tant est que ce soit elle qui finisse par émerger – serait rendue plus manifeste qu’ailleurs. Elle incite seulement à considérer cet ensemble comme suffisamment illustratif ou consistant, et non pas marginal, pour nous aider à conduire notre approche sur la diaspora noire des Amériques.
52Dans le bilan très utile qu’il a dressé de la recherche française sur les Amériques noires, Denys Cuche (1996) signalait combien celle-ci était marquée par ses « difficultés à sortir du cadre des frontières nationales » (Cuche, 1996, p. 142). Il rejoignait d’une certaine manière l’anthropologue américain Richard Price (1991, p. 63) qui présentait les travaux français dans ce domaine à partir de leur tendance à se « concentrer sur les trois départements français de l’outre-mer ». Amorcée par Roger Bastide et ses travaux sur le Brésil, la recherche sur les Amériques noires se caractérise, en France, par son faible effectif de chercheurs. Ces derniers, déjà peu nombreux, le sont encore moins à se consacrer à des régions non francophones. Les travaux sur le Brésil sont jugés rares comparés à ceux concernant les Antilles françaises, qui apparaissent prépondérants. Quant aux « Amériques noires hispanophones et anglophones », elles sont vues comme « pratiquement délaissées » (Cuche, 1996, p. 135). Prenant appui sur la Caraïbe, cet ouvrage voudrait cependant échapper à un tel déterminisme. Si la spécialisation de recherche qui en est à la base concerne des travaux sur les Antilles françaises (notamment Chivallon, 1998), ceux-ci ne formeront que l’un des repères de cette progression. L’approche cherchera le plus possible à sortir du cadre francophone, à la fois du point de vue de la réflexion théorique, qui voudrait être alimentée par les écrits en langue anglaise, et des données empiriques mobilisées qui s’alimenteront à partir des terrains britanniques explorés lors de l’étude de la migration antillaise (notamment Chivallon, 2000b) et puiseront surtout dans les travaux fournis par d’autres auteurs sur certaines îles anglophones, principalement la Jamaïque.
53Ces dernières remarques permettent de mieux clarifier l’intention de cet ouvrage. Que l’exemplification provienne le plus souvent de la région Caraïbe ne doit pas laisser penser à une approche consacrée à ce seul ensemble. L’armature de cet ouvrage reste guidée par la notion de diaspora et sa vocation à englober en un « tout » l’expérience des peuples noirs dispersés dans le Nouveau Monde. Mais pourquoi, dans ce cas, ne pas avoir repris la désignation « diaspora antillaise » ou « diaspora caribéenne » que l’on retrouve utilisée par certains auteurs ? Simplement parce que cette dénomination apparaît insatisfaisante dans la mesure où elle ne parvient pas à extraire le minimum commun à la population nommée. Si la « diaspora noire » ou la « diaspora africaine » fait l’objet d’une grande variabilité de contenu quant aux construits identitaires qu’elle suggère, elle a au moins le mérite de désigner avec précision la population qu’elle concerne : les descendants d’esclaves ou d’Africains aux Amériques. Du même coup, elle clarifie la problématique de l’identité dont il va être question en désignant tout aussi clairement le socle historique commun, à savoir le transbordement depuis l’Afrique aux Amériques. Les populations désignées par la « diaspora caribéenne » sont plus incertaines. Il peut s’agir, comme chez Cohen, des populations liées aux migrations récentes depuis les Antilles vers l’Europe et les États-Unis. Leurs identifications seraient liées à l’investissement symbolique dans les territoires insulaires conçus comme origine commune. Dans d’autres cas, la « diaspora caribéenne » finit par n’être qu’une autre appellation de la « diaspora noire » ou « africaine », comme chez Harry Goulbourne (2002). Les difficultés rencontrées par ce sociologue pour définir ce qu’il appelle la « diaspora caribéenne » montrent toute la nécessité d’opérer des distinctions entre les populations réunies dans le creuset antillais, sur la base de leur trajectoire historique respective (Goulbourne, 2002, p. 16-17). Le qualificatif « caraïbe », ou « caribéen », ne recouvre pas exactement la situation des descendants d’esclaves. En privilégiant ceux qui ont en commun « l’héritage transatlantique », c’est-à-dire ceux d’ascendance africaine, dont il repère en outre les affinités avec leurs homologues noirs américains, Harry Goulbourne (ibid., p. 24) sait qu’il sélectionne un pan des sociétés caribéennes, certes vaste, mais pas toujours équivalent à ces sociétés qui se trouveraient alors amputées des apports européens, indiens, chinois...
54Parler de « diaspora noire », c’est inévitablement prendre comme base la traite transatlantique et l’esclavage. Ce livre ne se consacre donc pas à l’espace « caraïbe » et aux sociétés créoles, mais cherche, au travers des segments sociaux de cet espace formés par les populations des descendants d’esclaves, à connaître et comprendre l’existence possible d’une expérience diasporique noire. L’élargissement aux États-Unis est par ailleurs à prendre en compte, comme contrepoint destiné à rappeler des situations contrastées au sein même des systèmes fondés sur l’esclavage. Il sera particulièrement utile pour aborder l’idéologie nationaliste attribuable à la diaspora noire. Dans tous les cas, l’interprétation que l’on formulera depuis les situations caribéennes sera à envisager comme une proposition du contenu auquel pourrait correspondre la notion de « diaspora noire des Amériques ». En d’autres mots, il s’agira d’une version possible de l’expérience diasporique dont il faudra toujours chercher le niveau de généralité pour l’ensemble des Amériques noires. Un niveau de généralité qui, sur le plan empirique, semble encore faire défaut au sein de la littérature pourtant abondante consacrée à cette diaspora noire. La plupart des écrits, dans ce champ, donnent comme l’impression de « picorer » ou de compiler des exemples dans l’un ou l’autre des contextes concernés par la présence des descendants d’esclaves, sans pour autant permettre de dégager une trame constitutive qui pourrait être commune, la notion de diaspora apparaissant dès lors comme presque performative, chargée à elle seule de faire exister le « tout » par la puissance de l’énonciation. Quand le niveau théorique laisse envisager la formulation d’un modèle, comme chez Gilroy (1993), c’est la rareté du recours aux matériaux empiriques qui est déconcertante, toute la démonstration, néanmoins brillante, de cet auteur s’appuyant en définitive sur le parcours littéraire de trois auteurs de la « Black Atlantic » et sur des exemples puisés dans le domaine musical, l’ensemble étant nourri, il est vrai, par une connaissance fine des environnements concernés. Autant dire, donc, que le présent ouvrage, qui s’apparente plutôt à une synthèse de travaux existants, ne peut prétendre à atteindre ce que cette littérature hyper-spécialisée est encore en train d’élaborer.
55Ces préliminaires exposés, quatre précisions sont encore nécessaires avant d’entrer dans le cœur du sujet :
56Sur l’objectif « d’une synthèse argumentée » : comme l’avant-propos l’a déjà signalé, cette progression est à la fois conçue comme une synthèse qui réunit les éléments nécessaires à une connaissance générale des Amériques noires centrée sur la Caraïbe, et comme l’argumentation d’une interprétation précise. Se superposent ainsi deux types d’écriture, l’une plus « généraliste », l’autre plus « spécialiste ». Il va de soi que le volet « généraliste » implique, de par sa nature même, des choix, des coupes, des raccourcis, des imprécisions et même des lacunes. Presque chaque ligne se rapportant à ce vaste ensemble culturel des Amériques noires, y compris quand il est réduit à la dimension insulaire de quelques îles de la Caraïbe, pourrait faire l’objet d’au moins un livre. La révolution d’Haïti, les mouvements abolitionnistes, la lutte pour les droits civiques, le « Black Power », la pensée de Du Bois, le culte vaudou, la langue créole… autant d’éléments et bien d’autres qui seront à peine évoqués, sans compter ceux qui n’auront pas même été mentionnés. Pour ce qui concerne les parties de « synthèse » à proprement parler, un effort particulier a cependant été fait pour tenter de signaler le maximum d’évènements et de phénomènes qui jalonnent l’histoire du domaine abordé, quitte à ce que ce soit sous la forme d’une très rapide mention, l’essentiel étant que le lecteur sache y voir des repères à approfondir, et non cet approfondissement lui-même. L’exercice de synthèse – dont il faut bien dire qu’il n’a pas très bonne réputation dans le paysage académique français, à l’inverse des habitudes anglo-américaines où les outils de « vulgarisation » sont très prisés – demande à assumer une démarche « allégée » par rapport à l’écriture scientifique habituelle, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne soit pas rigoureuse. Elle doit dans tous les cas être reçue et lue comme telle. Cette première justification, qui s’adresse plutôt au public de spécialistes, demande à être accompagnée d’une seconde en direction, cette fois, des non-spécialistes. Car il n’est pas sûr que l’argumentation scientifique de cet ouvrage échappe à la lourdeur du langage spécialisé, même si le but était d’éviter ce cloisonnement. C’est un peu le revers de cette entreprise qui a voulu associer deux types d’écriture impliquant des modalités, des ressources et peut-être des publics différents et, dès lors, des exigences elles-mêmes différentes.
57Sur les sources utilisées : directement imputable à l’écriture de synthèse, la localisation des références utilisées dans cet ouvrage ne mobilise pas l’appareil habituel des notes de bas de page, qui permet de surcroît d’entrer dans la discussion plus technique des sources. Certaines parties relèvent en outre de l’exposé de généralités bien connues, développées dans des ouvrages majeurs. La synthèse, ou ce que les collègues anglo-américains appellent de la « seconde main », est le résultat de la compilation de plusieurs lectures ayant sélectionné une trame généralement admise. L’exposé, même s’il signale systématiquement les références, ne fait pas forcément apparaître toutes ces lectures ou du moins ne les répète pas chaque fois qu’elles ont été sollicitées. Dans tous les cas, les sources utilisées sont signalées de manière exhaustive dans la bibliographie. Cet aspect est surtout valable pour les parties historiques qui reposent sur des études incontournables – par exemple celle d’Éric Williams (1975) sur l’histoire de la Caraïbe ou celle d’Immanuel Geiss (1974) sur le panafricanisme et le nationalisme noir –, lesquelles ont été accompagnées d’autres contributions permettant de dégager les éléments communs. Parmi ces contributions, il faut signaler les outils parfois très utiles que sont les encyclopédies et les dictionnaires – par exemple Collier et alii (1992) ou encore Corzani (1992). Une mention spéciale doit cependant être faite pour Africana. The Encyclopedia of the African and the African American Experience, coordonnée par Anthony Appiah et Henry Louis Gates (1999). Il s’agit d’un véritable monument aux articles précis et de grande qualité, le seul travail peut-être actuellement en mesure de donner une vue complète – certes, sous forme encyclopédique – des réalités sociales que se destine à nommer la « diaspora noire ».
58Sur l’utilisation du terme « afro-américain » : tout au long de cet ouvrage, le qualificatif « afro-américain » est employé dans le sens que lui donnent les anthropologues Sidney Mintz et Richard Price ([1976], 1992, p. XI) pour nommer les « populations d’ascendance africaine aux Amériques ». Quant à la dénomination « Noirs américains », elle s’applique à ces mêmes populations vivant aux États-Unis. Le glissement sémantique depuis « Afro-Américain » jusqu’à « Africain-Américain », que respectent Mintz et Price dans l’édition revue de leur ouvrage en 1992, n’a pas été retenu. Pour le contexte français, il a semblé que le recours au qualificatif « afro-américain » était plus répandu, la terminologie apparaissant moins sensible à ce type de variations. Le terme a donc été conservé, même si un tel choix n’exclut pas, tant s’en faut, les imperfections que soulève l’emploi de toute désignation à visée catégorisante.
59Sur l’organisation de l’ouvrage : ce livre propose donc une progression qui ambitionne, le plus souvent depuis la Caraïbe, de mettre en rapport les expressions culturelles produites par les populations noires du Nouveau Monde avec les diverses théories qui en proposent une interprétation et de comprendre – via la notion de diaspora – la diversité qui se présente comme partie intégrante de cette expérience. Cette progression est organisée en trois grandes étapes.
La première décrit le phénomène diasporique depuis le contexte historique qui préside à sa formation. Elle s’intéresse aux conditions de formation de l’univers culturel noir des Amériques. Elle envisage tour à tour le trafic négrier, l’univers des plantations esclavagistes, la période post-abolitionniste, de même que les mouvements migratoires récents depuis la Caraïbe vers l’Europe ou l’Amérique du Nord et qui contribuent à la formation d’une deuxième strate de la diaspora.
La seconde étape opère un détour théorique. Elle présente les thèses majeures disponibles pour interpréter les formations culturelles élaborées dans ce contexte historique très particulier de l’univers esclavagiste. Elle revient sur un objet empirique précis – l’institution familiale antillaise – pour s’attacher à comprendre comment la cohérence de thèses très diverses est encore possible une fois transposée à la réalité sociale. Enfin, elle se tourne à nouveau vers les théories pour, cette fois-ci, rétablir les connexions entre les thèses sur les cultures afro-américaines et les modèles de diaspora élaborées pour les populations noires des Amériques.
La troisième étape est celle qui s’attache à comprendre à la fois la diversité des thèses en présence et les identités culturelles au sein des Amériques noires qui leur correspondent. Elle tente de montrer que le choix entre ces thèses ne s’impose pas et que la diversité en question demande à être prise en considération en tant que telle. C’est pour cette raison que cette partie propose une autre voie de compréhension que traduit la notion de « communauté a-centrée » – là encore, exemplifiée au travers de matériaux empiriques – en tant que principe de « cumul » (et non d’exclusion) d’orientations collectives diverses et opposées. Cette diversité est interprétée comme le résultat d’une construction sociale dont le principe est de contrevenir à l’imposition d’un modèle sociétal. L’ouvrage est alors en mesure de faire un retour sur la notion de diaspora et de proposer l’interprétation selon laquelle, en écho à l’enseignement offert par la Caraïbe, l’unité ou la singularité des Amériques noires tiendrait à ces types de construits communautaires « démultipliés », élaborés en réponse à des contextes historiques particulièrement contraignants marqués par la longévité de rapports sociaux défavorables aux intégrations égalitaires.
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La diaspora noire des Amériques
Expériences et théories à partir de la Caraïbe
Christine Chivallon
2004
La brousse et le berger
Une approche interdisciplinaire de l’embroussaillement des parcours
Marianne Cohen (dir.)
2003
Les territoires de la mobilité
Migration et communautés transnationales entre le Mexique et les États-Unis
Laurent Faret
2003
Histoire et devenir des paysages en Himalaya
Représentations des milieux et gestion des ressources au Népal et au Ladakh
Joëlle Smadja (dir.)
2003