Avant-propos à la troisième partie
p. 217-218
Texte intégral
1Les démarches de Strauss et d’Arendt paraissent à certains égards strictement parallèles : le diagnostic de crise de la modernité conduit à l’exigence de parcourir, depuis la situation qui est la nôtre, le passé de la pensée, en se déprenant du cadre imposé par la tradition. Cependant, leurs projets se distinguent clairement : tandis que Strauss veut réhabiliter une authentique philosophie politique, Arendt propose une phénoménologie de la politique.
2Même si la comparaison entre ces deux auteurs redonne une actualité à la querelle des Anciens et des Modernes, il serait faux de lire dans leurs deux démarches deux tentatives différentes de retour en arrière. En effet, cela reviendrait d’une part à faire de la philosophie politique l’expression d’une époque lointaine, d’autre part à faire de la phénoménologie politique une mode moderne. Or la redécouverte straussienne de la philosophie politique constitue l’accès à la dimension suprahistorique de la pensée : simplement, elle se donne à voir à son origine parce que c’est à ce moment qu’elle se met à exister et à manifester sa puissance. Autant le retour au commencement est toujours illusoire, autant il reste toujours en droit possible de se rapprocher de l’origine : cela tient à la décision que la raison doit prendre de reconsidérer les problèmes fondamentaux dans toute leur clarté. Pour Arendt, la philosophie au contraire désigne un mode de pensée spécifique. Pour autant elle n’est pas l’expression d’une époque, mais bien une modalité singulière de la pensée, dans laquelle la raison entre en correspondance avec l’expérience de la philosophie. La crise moderne exige de sortir de cette forme de correspondance pour en rendre possible une autre : la correspondance avec les expériences fondamentales de la politique. En ce sens, l’approche phénoménologique, qui guide non seulement l’entrée dans l’ordre du sens des activités humaines dans leur pluralité, mais également l’étude des pensées du passé, est elle aussi en droit de tout temps.
3Tous deux se placent résolument au sein de notre situation moderne et parlent depuis cette situation. Ni l’un ni l’autre ne sont nostalgiques d’un état de faits passé. Strauss n’est pas un simple réactionnaire, et Arendt n’est pas une romantique. Mais la forme de permanence qu’ils cherchent à penser n’est pas du même ordre : au fond, chaque aspect de leur réflexion fait signe vers cette différence fondamentale de projet, qui exprime une différence fondamentale dans leur conception du rapport entre la pensée et la réalité.
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