La doctrine phénoménologique de la raison : rationalités sans faculté rationnelle
(§§ 136-153)
p. 243-263
Texte intégral
« Point de raison donnée, mais une raison qui se fait et dont nous sommes responsables. »
Édouard le roy, « Sur quelques objections adressées à la nouvelle philosophie »
1Quel est le statut de la raison dans la phénoménologie transcendantale ? En tant que degré suprême de l’activité noétique, désigne-t-elle une faculté enracinée dans la nature et la spontanéité cognitive du sujet transcendantal ? Husserl est-il ainsi conduit à assumer le renversement copernicien de Kant ?
2Chez Kant, raison est un titre désignant les formes de l’aspiration métaphysique de l’homme, la disposition métaphysique à rechercher l’inconditionné sous la forme des objets supra-empiriques de la metaphysica specialis – l’âme comme partie non empirique de l’homme déterminée par purs concepts, le monde comme totalité infinie, et Dieu comme omnitudo realitatis et Créateur de tout étant. Il s’agit d’une faculté distincte de l’entendement, dans la mesure où elle aspire à conférer à ses connaissances une unité systématique et est la faculté des Idées – concepts nécessaires auxquels ne correspond nul objet qui puisse être donné par les sens1.
3Le point central de la doctrine kantienne est pour Husserl le suivant. Au sein du sujet transcendantal, la raison désigne une faculté distincte de l’entendement, une disposition métaphysique (la metaphysica naturalis étant en effet ancrée dans la nature de l’homme2) dont les structures sont primairement subjectives et dessinent, au sein de l’homme, le besoin d’une relation aux objets suprasensibles ; elle fait l’objet d’une discipline spécifique, la métaphysique de la métaphysique, qui a pour tâche d’élucider la possibilité de la métaphysique à titre de disposition naturelle du sujet3. Or il ne peut y avoir de déduction objective des Idées transcendantales de la raison, mais seulement une déduction subjective – à savoir une dérivation à partir de la nature de la raison prise comme entité préexistante, constitutive du sujet transcendantal4 ; les structures de la raison constituent donc un fait anthropologique dont il est impossible de rendre raison.
4L’exigence d’une philosophie sans présupposition ne doit-elle donc pas conduire Husserl à mettre entre parenthèses tout présupposé relatif à la raison comme faculté et à ses structures ? Levinas était-il fondé à assimiler la phénoménologie husserlienne à un « idéalisme sans raison » ? Husserl manifeste ici une singulière ambivalence.
5D’un côté, la réduction phénoménologique enveloppe la raison, dont elle met en suspens la validité ontologique, puisque s’y applique l’exigence de mettre hors circuit toute faculté subjective, à titre de présupposition transcendante5 : on ne saurait donc admettre, comme constituant la nature du sujet transcendantal, une faculté rationnelle dont l’existence serait un simple fait anthropologique contingent, uniquement fondé dans la nature supposée de l’esprit fini.
6De l’autre, loin d’éliminer radicalement tout usage du concept de raison, Husserl l’emploie au contraire régulièrement : l’ultime section des Ideen I est intitulée « Raison et réalité effective » (Vernunft und Wirklichkeit), et comprend deux chapitres intitulés « Phénoménologie de la raison » et « Niveaux de généralité de la problématique de la raison théorétique »6 ; de même, l’ultime chapitre de Logique formelle et logique transcendantale est intitulé « Logique objective et phénoménologie de la raison »7. Et, au § 23 des Méditations cartésiennes, Husserl énonce la thèse fondamentale selon laquelle la raison
n’est pas une faculté de l’ordre du fait contingent [kein zufällig-faktisches Vermögen], un titre désignant de possibles faits contingents, mais au contraire une forme structurelle eidétique et universelle de la subjectivité transcendantale en général [eine universale wesensmäßige Strukturform der transzendentalen Subjektivität überhaupt]8.
7Il existe donc en phénoménologie un sens légitime du concept de raison, qui ne désigne pas une faculté subjective appartenant à la nature du sujet connaissant. Quel est ce sens phénoménologique, affranchi de toute hypothèse relative à la pré-constitution psychologique du sujet fini ? Que peut être la raison, si elle n’est plus une faculté constitutive du sujet ? En outre, quel type de rationalité est ici visé : la rationalité scientifique en général, commune à toutes les sciences ? la rationalité phénoménologique comme fondement de toute autre forme ? ou une forme de rationalité plus large, embrassant la sphère pré-scientifique de la perception, mais aussi les domaines non théorétiques de la pratique, de l’affectivité, de l’axiologie et de l’esthétique ?
La raison comme structure téléologique de toute intentionnalité
8La réponse à la première question est donnée dans deux textes – le § 58 des Prolégomènes à la logique pure et les Leçons sur l’éthique et la théorie de la valeur de 1908-09 :
ces concepts mythiques déconcertants que Kant affectionne tant, […] je veux dire les concepts d’entendement et de raison [die Begriffe Verstand und Vernunft], nous ne les accepterons naturellement pas au sens propre de facultés de l’âme [in dem eigentlichen Sinne von Seelenvermögen]. Nous prenons bien plutôt les termes d’entendement et de raison comme de simples indices de l’orientation vers la « forme de pensée » et ses lois idéales que la logique, au contraire de la psychologie empirique de la connaissance, se doit de prendre9.
Naturellement, le terme de raison [Vernunft] ne désigne à présent aucune faculté psychique [kein psychisches Vermögen], mais doit être entendu de manière phénoménologique ou – pour parler comme Kant – transcendantale, à savoir comme un titre embrassant les configurations eidétiques d’actes [Wesensgestaltungen von Akten] en lesquels parviennent à la visée [zur Gemeintheit kommen] et, dans le contexte de la connaissance, à la donation légitimatrice [zur ausweisenden Gegebenheit], des objectités du type catégorial en question, en fonction de leur essence [Gegenständlichkeiten des betreffenden kategorialen Typus ihrem Wesen nach]10.
9Qu’est-ce à dire ? Que le terme de raison devient un titre désignant l’ensemble des problèmes phénoménologiques de validation, d’attestation de l’être ou de la validité d’un objet – et ce, quelle que soit sa sphère d’appartenance ontique. Il se situe au croisement des deux principes essentiels : celui de la structure téléologique de l’intentionnalité, selon laquelle toute intention tend vers l’intuition remplissante11 ; et le principe structural selon lequel toute essence régionale (tout sens noématique, selon la région de l’étant dont il relève) prescrit au sujet transcendantal une structure de l’évidence ou de la constitution12.
101/ En vertu de la thèse ontologique fondamentale de l’idéalisme constitutif, toute objectité pour la conscience (für das Bewußtsein) n’est ce qu’elle est qu’en tant qu’objectité par la conscience (durch das Bewußtsein)13. Qu’elle soit par la conscience, cela signifie d’une part que l’objet est visé par un acte intentionnel de la conscience qui est instaurateur de son sens ontique par une sorte de spontanéité sémantique ; et d’autre part, que cette intention visant le sens peut se réaliser en intuition donatrice de l’objet, c’est-à-dire que le sens est susceptible de se valider dans l’évidence comme un objet véritablement étant. Le concept de raison désigne donc une structure téléologique inhérente à toute intentionnalité, celle-ci étant l’essence structurale de la conscience. Ses moments essentiels sont les suivants : toute intention visant un sens d’objet tend téléologiquement vers l’intuition, ou l’évidence de l’objet14 ; cette dernière n’est autre que l’auto-donation de l’objet, sa donation directe en original, par opposition à toute re-présentation et à toute visée purement symbolique15 ; enfin, cette donation n’est à son tour que la procédure de validation du sens ontique, de vérification de sa validité en fonction de normes. Le concept de raison n’est donc qu’un titre universel désignant la problématique de la validité et – toute validité ayant sa source dans un acte subjectif de validation dans l’évidence donatrice – pour la détermination des structures de la validation ; et un titre pour la structure téléologique de toute intentionnalité, selon laquelle toute visée intentionnelle tend vers la donation de l’objet – ou, en termes noématiques, selon laquelle tout sens objectal requiert une validation par des actes d’évidence donatrice16. Citons à nouveau Husserl :
Vu que ce qu’est une objectité pour la conscience est par la conscience, c’est-à-dire seulement grâce à des actes constituants, le problème capital consiste à expliciter comment, au sein de la conscience, peut être donnée une objectité sur le mode que nous appelons le fait, pour l’être de cette objectité, de s’attester-de-manière-valide [das Sich-in-gültiger-Weise-Ausweisen]17.
112/ Le sens de la thèse énoncée au § 23 des Méditations Cartésiennes s’éclaircit donc à présent. Pourquoi la raison n’est-elle pas de l’ordre du fait contingent et ne s’identifie-t-elle plus à une faculté qui, appartenant au sujet à titre d’invariant anthropologique, pourrait aussi bien ne pas lui appartenir ? C’est que « raison » ne désigne plus un simple pouvoir inhérent à l’être du sujet, mais une structure de validation relative à l’essence de tout étant en général. Un principe structural vient en effet compléter le principe téléologique. Certes, dans l’ontologie phénoménologique, l’être de l’étant n’est pas de l’être en soi, mais de l’être pour et par une conscience absolue, se validant grâce aux modes d’évidence de cette dernière ; l’être de l’étant est ainsi fondé sur la subjectivité pure. Mais d’un autre côté, chaque type régional d’étant (chose temporelle, spatiale, matérielle, culturelle, animée, sociale, personne…) implique une structure spécifique de validation du sens ou de la donation de l’objet ; loin d’être purement subjectif, le concept de raison est désormais pensé à partir des essences noématiques, et non des actes noétiques ; depuis les types d’objets, et non depuis les capacités qui appartiennent à la nature du sujet transcendantal. Bien que la « phénoménologie de la raison » soit orientée sur les configurations de la vie subjective, le fil conducteur transcendantal n’en réside cependant pas dans la nature ou les pouvoirs du sujet, mais – puisque toute essence d’objet enveloppe un type essentiel de prise de conscience – dans les types d’objet susceptibles de se donner à la conscience. Que la sphère des vécus de conscience ne se réduise pas à un flux héraclitéen dépourvu de connexion nomologique, mais soit soumise à des lois eidétiques, cela provient du fait que la sphère des noèmes est reliée par des connexions d’essence à celles des noèses qui les visent et les atteignent18.
12La phénoménologie de la raison désigne donc la problématique de la constitution transcendantale des objets, pour autant qu’elle est déployée de manière systématique au fil conducteur des catégories d’objets intra-mondains et idéaux : pour chaque type d’objets (mélodie, arc-en-ciel, table, animal, personne, institution sociale), il faut déterminer comment, à travers une multiplicité de vécus donateurs, parvient à se maintenir et se confirmer une unité objectale. L’élucidation de cette possibilité est à chaque fois la tâche d’une discipline constitutive particulière : à savoir la doctrine de la légalité eidétique qui relie un type noématique particulier à une pluralité articulée de vécus de la conscience. En chaque région mondaine se réactive donc, au plan constitutif, le problème traditionnel du rapport entre l’Un et le Multiple, interprété comme rapport entre l’étant et les configurations de la conscience19. À une doctrine subjectiviste de la raison se substitue ainsi une doctrine eidétique des formes de la rationalité.
Subjectivité de la raison ? La pluralité des types de rationalité et leur unité structurale
13Il faut entendre rigoureusement le caractère non subjectiviste de cette doctrine phénoménologique de la raison. Non subjectiviste ne signifie pas non subjectif. Le concept de raison désigne, non plus une disposition ancrée dans l’essence du sujet, mais un ensemble de structures noético-noématiques dictées par les essences d’objets. À ce titre, il est bien subjectif, puisqu’il désigne des configurations de la conscience ; mais d’un autre côté, il est foncièrement a-subjectif, vu que les lois qui régissent les enchaînements de la conscience donatrice d’objet n’ont pas leur fondement dans la nature du sujet, mais sont prescrites a priori par la catégorie dont relève l’objet. Ainsi, qu’un vécu instantané ne puisse être donné qu’à une réflexion qui est un acte en déphasage temporel par rapport à ce qu’il réfléchit, c’est une nécessité qui ne dépend pas du type de conscience en question, et qui s’avère indifférente à la distinction entre sujet fini et infini20. Qu’une mélodie ne puisse se donner autrement que comme unité synthétique à travers une succession de data sonores, ce n’est pas là un mode d’appréhension propre à la conscience humaine (ou en général finie), mais une vérité structurale qui appartient à l’essence de tout objet de temps. Qu’une chose spatiale ne puisse se donner que d’une manière unilatérale et progressive, en complétant son aspect par la synthèse successive de ses faces, c’est là encore une structure déterminée par l’essence de res extensa, et qui s’impose à toute subjectivité – y compris à Dieu, entendu comme concept limite d’une subjectivité omnisciente21. Enfin, qu’une autre personne ne puisse jamais parvenir à la donation originale, du fait que sa vie psychique demeure par principe inaccessible, c’est là une vérité structurale inhérente à l’essence ontique de l’autre ego, et non une vérité anthropologique due à une limitation de fait de notre faculté de connaissance22. Levinas attirait l’attention sur la récurrence et la résonance non anthropologiste de la formule : « “Même pour Dieu”, la formule est remarquable23. » Le sens en réside moins dans une thèse théologique qui soumettrait Dieu aux conditions propres à l’intuition finie, que dans celle selon laquelle les modes de donation résistent à toute variation eidétique opérée sur le subjectivité, parce que ce sont des lois structures inhérentes au mode de présentation des objets de chaque type.
14La raison ne désigne donc plus une seule et unique faculté, mais éclate en une multiplicité de types constitutifs ou de structures typiques de la validation ; il n’y a plus une unique raison constitutive du sujet, mais une pluralité de rationalités régionales. Tel est le motif pour lequel les ultimes paragraphes des Ideen I et de Logique formelle et logique transcendantale, consacrés à la phénoménologie de la raison, culminent en une analyse de la pluralisation des modes d’évidence possibles en fonction des différentes catégories d’objets. Ainsi, l’ego cogito et les vécus réduits jouissent d’une évidence apodictique, tandis que les objets ne peuvent se donner que dans une évidence présomptive ; la réflexion pure donne les vécus dans une évidence adéquate, par opposition à l’évidence inadéquate des objets de l’expérience externe ; la donation de mes vécus et des archi-objets sensibles (temporels, spatiaux, matériels) est originale, c’est-à-dire incarnée en un noyau de données hylétiques, tandis que celle d’autrui ne peut l’être par principe (puisque les vécus d’autrui me sont absolument inaccessibles de manière directe), de sorte que l’expérience que je fais d’autrui est nécessairement analogique, etc24.
15Cette pluralité de modes d’évidence ou de types constitutifs demeure-t-elle un chaos dépourvu d’unité et de légalité, condamné à une dissémination anarchique ? Non pas ! Elle possède au contraire une unité structurale, prescrite par l’architectonique des essences d’objets et des disciplines eidétiques corrélatives25. Il y a tout d’abord une opposition cardinale séparant la rationalité formelle – qui régit les modes d’évidence des variantes du quelque chose vide –, et les formes de rationalité matériales, corrélatives à l’évidence d’une région d’objets mondains. Cette opposition correspond à la distinction entre les actes de formalisation et de généralisation26.
16Aux essences matériales (qui enveloppent un contenu de connaissance et sont obtenues par généralisation à partir des individus intra-mondains) s’opposent en effet les essences formelles, dépourvues de toute teneur objectale et obtenues par exténuation de toute contenu. L’ensemble de celles-ci englobe la totalité des formes du quelque chose en général, c’est-à-dire toutes les catégories syntaxiques et ontologiques (comme substrat, attribut, prédicat, ensemble, groupe, etc.). Dans l’orientation subjective qui est corrélative, cela définit la doctrine de la constitution des catégories syntaxiques et ontologiques-formelles, dont la tâche est d’élucider l’origine de leur sens et de leur validité. Est ainsi tracé le champ d’une doctrine phénoménologique de l’entendement ou de la raison au sens étroit – à savoir la raison formalisante, purement catégoriale ou logique. D’une part, on y décrit les types d’actes formalisants et d’opérations synthétiques (synthetische Operationen) d’explicitation, mise en relation, colligation, etc., qui sont à l’origine des catégories syntaxiques de l’apophantique formelle, c’est-à-dire des formes de toute discursivité possible ; d’autre part, on y recherche les types d’évidence en lesquels ces significations formelles acquièrent la validité d’objets (scil. d’essences) formels proprement étants27. Ces problèmes de validation des catégories, ainsi que des principes formels qui les régissent, rejoignent ceux de l’épistémologie de la logique et des mathématiques ; tels sont par exemple ceux qui concernent la validation des principes fondamentaux de la logique (principe de contradiction et du tiers exclu), ou encore ceux qui relèvent de la théorie des ensembles (somme et produit des ensembles, existence de l’ensemble des parties d’un ensemble donné, existence de l’ensemble de choix, etc.). Les concepts d’entendement et de raison désignent ainsi les actes noétiques d’orientation sur les lois formelles de la signification et de l’objectualité – c’est-à-dire, dans l’ordre : sur les catégories formelles de la signification et de l’objet, puis sur les lois syntaxiques d’enchaînement sensé des significations, puis sur les lois logiques formelles de la non-contradiction ou de l’inclusion analytique, et enfin, sur les formes de théories et de multiplicités28.
17À cela s’oppose le champ de la rationalité matériale, qui englobe la totalité des régions d’objets intra-mondains obtenues par généralisation à partir d’objets individuels du monde. Loin que la sphère matériale se dissémine en une multiplicité anarchique et ouverte de concepts, la généralisation opérée sur les individus mondains aboutit à un ensemble de concepts suprêmes de concreta (chose matérielle, être animé, personne, objet d’usage, objet d’art, institution sociale)29 ; et cet ensemble est ordonné par la relation fondamentale de fondation (Fundierung) ou de stratification (Schichtung) entre les essences30. Ainsi se laissent définir systématiquement, dans l’orientation subjective, les tâches de la doctrine de la raison matériale : dégager d’abord statiquement par l’intuition eidétique chaque région, à titre de fil conducteur transcendantal de la recherche constitutive ; puis décrire, toujours au plan statique, comment opèrent les synthèses de validation qui appartiennent à la conscience de l’unité et de l’existence d’un objet de cette région, et ce en suivant la hiérarchie propre au rapport de fondation (donc en partant de la couche inférieure de la chose matérielle, pour remonter de strate en strate vers les couches supérieures)31 ; enfin, parcourir génétiquement la hiérarchie graduelle des couches objectales, de façon à dégager les modes de synthèse qui relient entre elles les différentes strates, et la fonction que possède, au sein du mode de validation relevant d’une strate supérieure, le mode d’évidence propre à une strate inférieure32 – par exemple, la fonction de la perception de l’autre corps comme simple chose matérielle dans la constitution des êtres animés, dans celle d’autrui ou des idéalités linguistiques.
18Ce qui confère à la raison son unité n’est par conséquent plus d’ordre subjectif. L’unité de la rationalité matériale tient au caractère systématique de l’ordre des essences d’objets mondains, qui provient à la fois de ce que toutes les régions matériales sont englobées dans l’eidos du monde (ou sens-de-monde, Weltsinn33) comme omnitudo realitatis, et du fait qu’elles sont reliées entre elles par la relation de fondation. Quant à l’unité de la rationalité formelle, elle tient au fait qu’étant des formes de l’objet en général, les catégories formelles ne sont pas des spectres exsangues flottant dans quelque ciel intelligible, mais se caractérisent au contraire par un double ancrage dans la sphère mondaine : un ancrage téléologique – puisqu’elles sont applicables aux objets intra-mondains qu’elles visent à déterminer –, et un ancrage généalogique – dans la mesure où elles sont fondées sur les catégories d’objets mondains, vu qu’elles sont issues des opérations judicatives les plus simples portant sur les objets perceptifs. C’est donc l’essence noématique de monde comme omnitudo realitatis – et non l’essence noétique du sujet – qui forme le fil conducteur transcendantal omni-englobant à partir duquel il est possible de parler de l’unité de la raison : il y a, derechef, une radicale désubjectivation du concept de raison.
Élargissement de la raison à la rationalité pré-scientifique
19Cela permet de répondre à la question de la place des développements sur la raison au sein de la phénoménologie transcendantale : le fait que la « phénoménologie de la raison » intervienne le plus souvent à la fin des grands ouvrages husserliens signifie-t-il qu’il s’agit sous ce titre de traiter d’un problème phénoménologique local ? Et que le concept de raison se limite à la raison scientifique, voire phénoménologique – c’est-à-dire à des formes supérieures de la vie intentionnelle, relevant d’une élucidation tardive qui présupposerait qu’aient déjà été élucidés les degrés simples et fondamentaux de cette vie ?
20Il n’en est rien ! On a vu en effet que le concept de Vernunft devenait un titre universel pour les problèmes de constitution, c’est-à-dire de validation de la visée d’objet. Dès lors, loin de se limiter à une sphère locale de la vie de la conscience, la phénoménologie de la raison en vient à thématiser la totalité des configurations du champ de la conscience, au point de s’identifier à la phénoménologie en général34 ; désignant une structure universelle de la conscience d’objet et sa spécification selon les types d’objet, le terme de Vernunft embrasse toute la vie de la conscience – pour autant qu’elle est conscience d’objet. Loin de se limiter à la seule raison logique ou scientifique, le concept de raison subit ainsi un élargissement qui lui fait désigner toutes les formes d’évidence ou de validation, y compris celles qui relèvent du domaine pré-scientifique et pré-linguistique de la perception. L’investigation des modes de constitution propres aux objets de l’expérience perceptive met en effet en évidence le fait que celle-ci implique déjà des formes de rationalité sui generis, qui caractérisent respectivement la perception de l’objet spatial, de l’objet matériel, l’aperception de l’autre personne, etc. : elles désignent autant de structures et de normes de la validation. Le concept de raison est par conséquent arraché à l’étroitesse du champ de la pensée scientifique, pour désigner un ensemble de structures de validation déjà opératoires au plan antéprédicatif.
21Une tâche spécifique réside alors dans l’examen du rapport entre ces deux formes de rationalité – c’est-à-dire dans la question de savoir si les méthodes propres aux sciences sont librement forgées par l’initiative du projet de pensée, ou si leurs normes épistémiques sont déjà préfigurées par les formes pré-scientifiques de la constitution. La détermination physicienne de la matière, par exemple, est-elle ou non dépendante de la simple perception de la chose matérielle ? L’investigation propre aux sciences de l’esprit voit-elle ou non son mode de rigueur prescrit par le mode d’accès aux réalités spirituelles ? À ces questions, la réponse de Husserl est invariable : la méthode d’investigation d’un domaine de l’étant ne relève pas d’une libre initiative rationnelle de l’esprit connaissant, ni d’un geste autonome d’instauration de procédures de recherche, mais demeure prescrite sub specie aeternitatis par le type régional de l’étant et le mode de conscience donatrice originaire qui lui appartient ;
l’essence principielle, l’Idée de toute science d’un certain type catégorial et l’Idée de sa méthode précèdent, en tant que “sens” de chaque science, cette science elle-même ; cette Idée peut et doit être fondée à partir de l’essence propre de l’Idée de son objectualité, qui détermine son dogme – elle doit donc être fondée a priori. […] Cela vaut pour toutes les catégories ontologiques, qui par voie de corrélation renvoient à des formes catégoriales fondamentales de conscience donatrice35.
22D’une part, toute science est investigation d’un certain domaine de l’étant ; les limites de ce domaine ne sont pas instaurées par un acte arbitraire de délimitation théorétique, mais sont déjà prescrites par un secteur ontique correspondant au sein du monde de l’expérience pré-scientifique. L’articulation systématique et la démarcation thématique des différentes sciences sont fondées sur la structure d’ensemble du monde de l’expérience mondaine, en tant qu’elle se découpe en différentes régions d’objets concrets non réductibles les unes aux autres (chose matérielle, être vivant végétal, être animé, personne, etc.)36 ; cette structure du monde de l’expérience est donc instaurée non par la raison scientifique, mais par la raison pré-scientifique, qui constitue passivement les divers types d’unité objectale37.
23D’autre part et surtout, les traits structurels de la méthode scientifique se règlent sur le type constitutif appartenant à chaque région : en chaque secteur ontique, les voies épistémiques de la recherche sont préfigurées par le style constitutif de l’objet en question, c’est-à-dire par le style d’anticipation et de déterminabilité que prescrit l’eidos régional. Par exemple, la donation structurellement unilatérale et incomplète de la chose spatiale est ce qui fonde le caractère a posteriori, inachevable et présomptif de la science physique, la condamnant à opérer par hypothèses inductives uniquement susceptibles d’une corroboration empirique précaire : l’inductivité scientifique est d’emblée prescrite par l’inductivité perceptive38. De même, le style de rationalité appartenant à la science physique (celui de l’explication causale) est préfiguré par la forme de causalité pré-scientifique qui appartient à la chose matérielle perceptive : parce que cette dernière est une substance dont les propriétés permanentes se manifestent dans des réactions semblables à des circonstances semblables – c’est-à-dire une unité fonctionnelle essentiellement relative aux changements du contexte matériel (on tire sur un ressort, il exécute une série d’oscillations qui révèlent son élasticité) –, la rationalité physicienne prend nécessairement le style d’une explication causale qui recherche les connexions constantes et réglées entre les variations de paramètres internes et externes39. De même, la distinction entre qualités sensibles relatives à la subjectivité (couleur, son, odeur…) et qualités géométriques irrelatives (figure, mouvement) appartient déjà à la chose perceptive, ce qui prescrit à la science physique le programme d’une détermination systématique de ces dernières – qui constituent l’en soi de la nature matérielle40. Il y a ainsi une tendance spontanée de la raison des sciences de la nature à étendre au-delà de la nature corporelle et à appliquer à la sphère spirituelle la méthode naturaliste de recherche de connexions réglées et le type de causalité inductive, et à traiter l’âme et l’esprit comme de simples annexes psychiques du corps, dont les états successifs se trouvent en connexion réglée et aveugle avec ceux du corps41.
24Mais cette naturalisation de l’esprit et cette extension paradigmatique de la causalité inductive constituent un préjugé qui se heurte à la spécificité ontique de la région esprit : le dévoilement du sens des choses de l’esprit (unités de signification), de leur type d’unité (unités historiques en devenir permanent), de leur mode de donnée essentiel (la saisie compréhensive) et de leur type de connexion (la relation de motivation) exclut toute correspondance terme à terme entre les états du corps et ceux de l’esprit – puisque les deux régions nature et esprit sont régies par des lois de connexion distinctes (causalité et motivation), et que les unités ontiques corps et esprit offrent des types d’identité hétérogènes (unité substantielle invariante, et unité en devenir)42. Le mode d’expérience pré-scientifique de tout ce qui est psychique exclut en effet l’inductivité, l’explication causale et l’évacuation des propriétés purement subjectives au profit de déterminités objectives43. Le devenir de l’âme n’est pas régi par un déterminisme causal aveugle consistant en une connexion réglée entre états internes et externes, mais par la loi de motivation spirituelle, selon laquelle je ne puis être motivé que par les objets intentionnels qui me sont conscients ; il ne s’agit pas d’une relation réale entre deux réalités mondaines situées sur le même plan, mais d’un rapport intentionnel entre sujet et objet44. Ensuite, le concept de propriété permanente a une validité dans la sphère des choses, qui ne possèdent pas d’histoire et peuvent être étudiées en tout instant, sans que le choix de l’instant soit déterminant pour la nature de l’objet ; il est en revanche dépourvu de validité dans la sphère du psychique, car l’âme possède une histoire, concentre en chacun de ses états la mémoire de ses états antérieurs et, loin de se déterminer par un ensemble de propriétés fixes, est en constant changement45. Enfin, si la science de la nature procède par exclusion des déterminités subjectives-relatives, une telle réduction n’a aucun sens pour la sphère spirituelle, où il s’agit précisément d’étudier les états subjectifs de l’esprit46.
25La norme de rigueur régissant la rationalité des sciences de l’esprit a donc son origine dans l’attitude spécifique qu’il convient d’adopter pour accéder aux phénomènes de la sphère spirituelle, et cette attitude est prescrite par le mode de donation inhérent aux choses de l’esprit47. Pour chaque domaine d’objets, le type de rationalité qui régit l’investigation ne relève pas d’une initiative spontanée de la raison subjective qui instaurerait librement ses normes de rigueur ; ces dernières sont au contraire fondées dans le mode de donnée qui appartient par essence à la catégorie d’objets – c’est-à-dire dans la structure noético-noématique inhérente à la région en question. Toute rationalité scientifique est locale, parce qu’elle a son origine dans l’a priori constitutif de chaque région d’objets.
Provenance structurale, et non subjective, des Idées régulatrices de la raison
26Tout ce qui vient d’être dit ne semble pas concerner spécifiquement la raison, mais s’étendre à l’entendement en général ; en témoigne le passage déjà cité du § 153 des Ideen I, où Husserl semble explicitement assimiler les sphères de l’entendement et de la raison48. Or Kant distingue expressément entre entendement et raison, comme facultés respectives des règles et des principes ; puis, comme facultés de connaissance des phénomènes et d’unification de telles connaissances ; enfin, comme facultés des concepts (rapportés aux objets d’expérience possible) et des Idées (relatives aux objets suprasensibles non donnables en une expérience). En assimilant la structure de la raison à celle des actes de validation intuitive applicables à n’importe quelle sphère d’objets de l’expérience, Husserl ne fait-il pas disparaître la spécificité de la raison – sa relation aux Idées et aux objets suprasensibles ? L’Idée infinie caractérise-t-elle encore la raison chez Husserl ? peut-elle le faire sans une nécessaire renonciation à la critique du subjectivisme kantien ?
27Il convient de suivre les analyses du pénultième chapitre des Ideen I, intitulé « Phénoménologie de la raison », où Husserl énumère les structures formelles inhérentes à la rationalité en général, dans une progression qui se règle à la fois sur les distinctions présentées par Leibniz dans les Meditationes de cognitione, veritate et ideis49, sur celles que fait Descartes dans les Regulae50, et sur la table kantienne des modalités51 : connaissance intuitive et aveugle, évidence assertorique et apodictique, puis adéquate et inadéquate, enfin médiate et immédiate. Le principe général de l’analyse est le suivant : le terme d’objet désigne l’étant, c’est-à-dire ce qui est véritablement ; or l’être-véritable (l’être-effectif) est en connexion d’essence avec l’être-vrai (l’être-valide) ; et toute vérité (validité) a sa source dans un procès subjectif de validation. Il existe par conséquent une corrélation entre le concept de vérité (ou d’effectivité) et les structures de l’attestabilité rationnelle : élucider les structures ontologiques-formelles de l’étant en général, c’est dévoiler les structures noético-noématiques de validation possible, ainsi que les fondements de légitimité et les normes téléologiques qu’elle prescrit au procès de connaissance52. Les distinctions traditionnelles entre les degrés de perfection de la connaissance correspondent aux niveaux noétiques de la validation rationnelle, et l’essence structurale de la raison désigne un ensemble d’Idées régulatrices qui prescrivent à l’acte de connaissance des voies de perfectionnement – progression vers la clarté de l’évidence donatrice ; régression vers l’évidence immédiate ; retour à l’évidence apodictique donatrice de lois eidétiques ; enfin, progression dynamique vers la complétude des déterminités de l’objet.
28Mais l’essentiel réside ailleurs. Bien que ces notions traditionnelles distinguent des modalités noétiques de la connaissance, elles sont cependant pensées au fil conducteur des catégories d’objets, et non des pouvoirs supposés du sujet ; c’est l’eidos de l’objet qui implique par avance la structure de la connaissance de l’objet et le style des voies épistémiques par lesquelles elle doit se parachever. Loin de relever de l’initiative de la raison ou du seul projet théorique de détermination de l’objet, les Idées de clarté, d’apodicticité, d’adéquation et de fondation immédiate correspondent aux structures régulatrices prescrites a priori par certaines régions d’objets : loin que l’on puisse librement se fixer pour but une connaissance claire, apodictique, adéquate ou immédiatement fondée de n’importe quel type d’objet, c’est la catégorie d’objets en question qui impose un horizon de progression ou, à l’inverse, en exclut par principe la possibilité. Ces structures téléologiques sont ainsi arrachées à la subjectivité, bien que seule la mise en œuvre de la volonté subjective de savoir puisse leur donner corps et les conduire à la réalisation : nouvelle figure du geste anti-copernicien de Husserl.
29Prenons pour exemple l’Idée d’adéquation, empruntée à Leibniz. Quelle est la provenance de l’Idée d’adéquation ? A-t-elle sa source dans le projet théorétique de détermination complète de l’objet, c’est-à-dire dans un désir de connaître inhérent au sujet transcendantal ? Émane-t-elle de la volonté de vérité – ce qui situerait Husserl dans une proximité inattendue avec la pensée de Nietzsche ? Ou est-elle a priori prescrite (ou exclue) par la structure de la donation de chaque type d’objets ?
30L’adéquation appartient au mode de donnée de chaque type d’objets, en tant qu’a priori prescrit par leur essence régionale. Ainsi, à tout vécu immanent appartient une évidence adéquate et sans reste, tandis qu’à toute réalité mondaine, transcendante et donnée par esquisses correspond une donation inadéquate, enveloppant un horizon de connaissance approchée – l’immanence impliquant l’adéquation, et la transcendance mondaine, l’inadéquation. L’opposition entre les deux notions correspond au hiatus qui oppose l’être absolu de la conscience et l’être relatif de toute réalité mondaine, ou encore la donation absolue et sans reste de la sphère réelle (reell) et la donation relative et par esquisses de la sphère réale53. En effet, puisque l’inadéquation présuppose un écart entre composantes pleines et vides (intuitives et signitives), alors que l’adéquation exclut la présence des secondes, seul le mode de donnée propre à chaque région d’objets peut (en tant qu’il enveloppe ou non la possibilité de visées vides) prescrire à la connaissance l’adéquation comme but ou, à l’inverse, la condamner à une perpétuelle inadéquation de principe. Parce qu’elle suppose la possibilité d’une coïncidence parfaite entre visé et donné (intentionné et intuitionné), l’adéquation est exclue par tout objet dont l’horizon de déterminités explicitables est infini, ou dont l’horizon de déploiement intentionnel est indéfini (et ne peut être clos) ; elle est donc exclue par tout objet qui se présente par esquisses – puisqu’un tel mode d’exposition implique par principe un hiatus entre le « noyau de ce qui est “effectivement exposé” » et l’« horizon de “co-donation” non véritable »54 ; écart qui peut, certes, être réduit en actualisant les potentialités intentionnelles (p. ex. en tournant autour de l’objet pour en présenter les diverses faces), mais jamais être aboli. Elle n’appartient, à l’inverse, qu’à ce qui ne se donne pas par esquisses, mais de façon absolue et sans reste, et n’enveloppe aucun horizon d’indétermination. Aussi le projet de connaissance adéquate ne relève-t-il pas de l’initiative du sujet connaissant : car il serait insensé de vouloir progresser dans la connaissance d’un vécu absolument donné, ou de vouloir parvenir à la connaissance complète et définitive d’une réalité mondaine. Le projet épistémique de la raison doit par conséquent se régler sur la différence ontologique entre l’être mondain et non mondain, et sur la différence corrélative de structure qu’offrent leurs modes de donnée respectifs ; les Idées ne s’ancrent pas dans la spontanéité noétique de la raison, mais dans les différences ontologiques entre les catégories d’objet, ainsi que dans les différences structurales entre les modes de donnée.
31C’est donc dans les caractères de l’essence régionale que se situe la provenance des normes rationnelles : pour tout objet transcendant, l’écart infini entre le noème intuitionné et le sens complet intentionné motive la position de l’Idée infinie de connaissance adéquate. L’infinité qui caractérise les Idées rationnelles ne provient pas de la nature subjective de la raison (faculté infinie, par opposition à l’entendement fini), mais de la structure de la donation de toute transcendance mondaine. C’est une infinité structurale et anonyme. La raison n’est en définitive qu’un titre désignant l’ensemble des structures noétiques que prescrivent à quiconque les essences régionales :
Mais la pensée dont elle parle [scil. l’analyse phénoménologique] n’est la pensée de personne55.
32Husserl construit donc une doctrine de la rationalité qui soustrait la notion de raison à toute présupposition sur l’essence de la subjectivité : la raison ne désigne plus une faculté, mais une pluralité de modes de rationalité absolument prescrits par les différentes catégories d’objets ; et loin de s’ancrer dans l’autonomie théorétique du sujet, les Idées programmatiques inhérentes au projet de connaissance rationnelle d’ordre supérieur ont leur dans les structures ontologiques et constitutives des diverses catégories. Si la phénoménologie transcendantale se caractérise par son orientation subjective, elle n’a rien d’un subjectivisme qui réglerait les structures de l’objet sur celles du sujet ; ce sont à l’inverse les structures du sujet qui s’ordonnent à celles des types d’objets. Les normes qui régissent la volonté de savoir sont ancrées dans les structures du monde de l’expérience ; les formes de la rationalité, appelées par cela même qu’elles constituent. La raison est le produit de ses produits.
Bibliographie
Références bibliographiques
Descartes, Physico-mathematica. Compendium musicae ; Regulae ad directionem ingenii ; Recherche de la vérité ; Supplément à la correspondance, Œuvres, tome X, éd. Adam et Tannery, Paris, Vrin, 1986.
Leibniz, Meditationes de cognitione, veritate et ideis, trad. fr. de P. Schrecker, Paris, Vrin, 1978 ; trad. fr. de L. Prenant, Paris, Aubier Montaigne, 1972.
Levinas E., En découvrant l’existence avec Husserl et Heidegger, Paris, Vrin, 19824.
Notes de bas de page
1 Kritik der reinen Vernunft, Transz. Dialektik, Von den transz. Ideen, A 327/B 383 (trad. fr. Delamarre-Marty, Paris, Gallimard, 1980, rééd. Folio (en abrégé DM), p. 343, A. Renaut, Paris, Flammarion, 2006 (en abrégé AR), p. 350).
2 KrV, Einleitung, B 21 (trad. fr. DM, p. 80, AR, p. 108).
3 KrV, Einleitung, B 22 (trad. fr. DM, p. 80, AR, p. 108).
4 KrV, Transz. Dialektik System der transz. Ideen, A 336/B 393 : « De ces Idées transcendantales, il n’y a pas à proprement parler de déduction objective possible – comme celle que nous avons pu donner des catégories […]. Mais nous pouvions entreprendre une dérivation subjective [subjective Anleitung] de ces Idées à partir de la nature de notre raison [aus der Natur unserer Vernunft] » (trad. fr. DM, p. 348, AR, p. 355).
5 Rappelons la formule de Erste Philosophie, I (Hua VII, Beilage XX, p. 387) : « Mettons hors circuit toutes les “facultés” ».
6 Hua III/1, p. 295, 314 et 337 [ID I, p. 431, 458 et 489].
7 Hua XVII, § 101 sq., p. 273 sq. [LFLT, p. 353 sq.].
8 Hua I, § 23, p. 92 [MC, p. 102].
9 Hua XVIII, Prolegomena zur reinen Logik, § 58, p. 216-217 [RL I, p. 237-238].
10 Hua XXVIII, C, § 7a, 274 [LETV, p. 359]. De même, Hua XXVIII, Beilage XII (1909), p. 364.
11 Hua I, § 24, p. 93 [MC, p. 103], où l’Evidenz est caractérisée comme « une possibilité, voire un but [Ziel] auquel aspire et que cherche à réaliser toute intention rapportée à tout ce qui est déjà visé et doit l’être ».
12 « Tout objet, tout objet en général (y compris immanent) prescrit une structure régulatrice au sujet transcendantal » Hua I, § 22, p. 90 [MC, p. 99], Hua III/1, § 86, p. 198 [ID I, p. 297] et Hua III/1, § 138, p. 321 [ID I, p. 467] : « À toute région et à toute catégorie d’objet présumés correspond […] une espèce fondamentale de conscience donatrice originaire […] et, corrélativement, un type fondamental d’évidence originaire », Hua V, § 7, p. 36 [ID III, p. 44]. Hua XVII, § 60, p. 169 [LFLT, p. 219].
13 Hua XXVIII, C, § 7a, p. 275 [LETV, p. 360].
14 Hua I, § 24, p. 93 [MC, p. 103].
15 Hua I, § 24, p. 92-93 [MC, p. 102-103]. Hua XVII, § 59, p. 165-166 [LFLT, p. 213-214] : « l’évidence comme auto-donation [Evidenz als Selbstgebung] », « L’évidence désigne […] l’effectuation intentionnelle de l’auto-donation [intentionale Leistung der Selbstgebung]. ».
16 « L’évidence est donc une espèce universelle de l’intentionnalité, rapportée à l’ensemble de la vie de la conscience ; grâce à elle, cette dernière a une structure téléologique universelle, une disposition à la “raison” [eine Angelegtheit auf “Vernunft”], voire une tendance constante vers celle-ci [eine durchgehende Tendenz dahin] », Hua XVII, § 60, p. 168-169 [LFLT, p. 218].
17 Hua XXVIII, C, § 7a, p. 275 [LETV, p. 360].
18 « La sphère des vécus est tout aussi rigoureusement nomologique selon sa structure eidétique transcendantale, toute configuration eidétique possible selon la noèse et le noème est tout aussi fermement déterminée en elle que l’est, par l’essence de l’espace, toute figure possible s’inscrivant en lui – d’après des légalités inconditionnellement valides », Hua III/1, § 135, « Transition vers la phénoménologie de la raison », p. 310-311 [ID I, p. 454].
19 « Au sens large, un objet se “constitue” […] dans certains enchaînements de conscience qui impliquent en eux-mêmes une unité donnable dans l’évidence [einsehbare Einheit], pour autant qu’ils entraînent avec eux, par essence, la conscience d’un x identique », Hua III/1, § 135, p. 313 [ID I, p. 457].
20 « À cette nécessité absolue et donnée dans l’intuition eidétique, Dieu est donc lui aussi astreint, tout autant qu’à l’évidence eidétique que 2+1 = 1+2 » Hua III/1, § 79, p. 175 [ID I, p. 265].
21 Hua III/1, §§ 42, 44 et 138, p. 88, 92 et 319 [ID I, p. 137, 142 et 465].
22 Hua I, § 50, p. 139 [MC, p. 157-158].
23 E. Levinas, 1982, p. 113.
24 Hua XVII, § 107a-c, p. 289-295 [LFLT, p. 375-382].
25 « L’architectonique [Stufenfolge] des doctrines eidétiques formelles et matériales prescrit en quelque sorte l’architectonique des phénoménologies constitutives [scil. des doctrines de la raison], détermine leurs niveaux de généralité », Hua III/1, § 153, p. 358-359 [ID I, p. 516].
26 Hua III/1, § 153, p. 358 [ID I, p. 515] ; Hua V, § 19a-b, p. 97-98 [ID III, p. 117-118].
27 Hua III/1, § 153, p. 356-357 [ID I, p. 513-514].
28 Hua XVIII, Prolegomena…, §§ 58 et 67-68-69, p. 216-217 et 244-249 [eRL I, p. 237-238 et 267-274].
29 Hua III/1, § 9, p. 23 [ID I, p. 35]. Hua V, § 19b, p. 98 [ID III, p. 117].
30 Hua III/1, § 152, p. 354-355 [ID I, p. 511]. De même Hua I, § 22, p. 90 [MC, p. 99], à propos de la « synthèse constitutive universelle » qui constitue l’eidos de monde, c’est-à-dire l’unité systématique des catégories matériales ordonnées en niveaux par la relation de fondation.
31 « Le monde possède bien sa structure apriorique étagée [ihre apriorische Stufenbau], et il est manifestement nécessaire, dans la recherche constitutive de la phénoménologie, de suivre cette structure [telle qu’elle se définit] sur le versant ontique – donc de commencer par le niveau le plus bas, et de poursuivre ensuite par les strates qui s’élèvent de niveau en niveau [den sich aufstufenden Schichten nachzugehen]. » Hua Mat IV, p. 150. Le § 22 des Méditations cartésiennes définit le système de la constitution phénoménologique comme étant prescrit par l’« unité d’un ordre systématique et omni-englobant [systematische und allumspannende Ordnung] » – unité à saisir « au fil conducteur mobile d’un système des objets de conscience possible, qu’il faut dégager niveau par niveau [stufenweise herauszuar-beitendes System] », Hua I, p. 90 [MC, p. 100].
32 Ce sont les « très difficiles problèmes inhérents à l’entrelacement des différentes régions [Verflochtenheit der verschiedenen Regionen] » mentionnés au § 152 des Ideen… I (Hua III/1, p. 354, [ID I, p. 510]), ainsi qu’au § 107c de Formale und transzendentale Logik (Hua XVII, p. 294, [LFLT, p. 381]).
33 « Ainsi la phénoménologie englobe-t-elle effectivement le monde naturel tout entier et tous les mondes idéaux qu’elle met entre parenthèses : elle les englobe en tant que sens-de-monde [Weltsinn] », Hua III/1, § 145, p. 336-337 [ID I, p. 488].
34 « Par là s’élargit certes le cadre des recherches constitutives, à tel point qu’il peut finalement embrasser la phénoménologie tout entière. » ; « une phénoménologie de la raison aussi complète viendrait à se confondre avec la phénoménologie en général ; un développement systématique de toutes les descriptions de la conscience requises par le titre global de constitution d’objet devrait contenir en lui-même toutes les descriptions de la conscience en général », Hua III/1, § 153, p. 356 et p. 359 [ID I, p. 513 et 517].
35 Hua V, p. 13 [ID III, p. 17]. Cf. Hua IX, § 7, p. 64 [Psy Ph, p. 64].
36 « Classification des sciences par régression au monde de l’expérience. La connexion systématique des sciences a son fondement dans la connexion structurelle du monde de l’expérience », Hua IX, § 7, p. 64 [Psy Ph, p. 64].
37 « Toute science a son domaine [Gebiet] et aspire à produire la théorie de ce domaine. C’est cependant la raison scientifique [wissenschaftliche Vernunft] qui crée [schafft] ces résultats, et la raison saisissant par l’expérience [erfahrende Vernunft] qui crée le domaine », Hua XVII, § 94, p. 239 [LFLT, p. 311].
38 Hua VI, § 9b-d-h, p. 29, 37 et 51 [CR, p. 36, 45 et 59]. Hua IV, § 16, p. 52 [ID II, p. 85] : « Ce que l’on peut par principe voir et trouver par une expérience scientifique, est déjà prescrit par l’expérience générale d’une chose », Hua IX, § 19, p. 125-126 [Psy Ph, p. 119-120] : « Cette présomption [Präsumtion], qui appartient au style naturel de l’expérience universelle et dont la certitude n’est jamais mise en question, régit également les sciences objectives. »
39 « Toute science de ce qui est réal procède par explication causale […]. Ce qui au contraire constitue le principe de la réalité comme telle, […] c’est de n’être ce qu’elle est que dans la causalité. Elle est par principe quelque chose de relatif [ein prinzipiell Relatives] », Hua V, § 1, p. 4 [ID III, p. 6]. Hua IX, §§ 22-23, p. 133-135 [Psy Ph, p. 127-129]. Hua IV, § 16, p. 45-52 [ID II, p. 77- 86]. Hua Mat IV, p. 180-182. Hua VI, § 9b, p. 28 [CR, p. 36].
40 Hua IV, § 18d, p. 76-77 [ID II, p. 116-117]. Hua IX, §§ 18-19, p. 120-124 et 126-128 [Psy Ph, p. 115-119 et p. 120-122]. Hua Mat IV, p. 162, 190 et 198-204.
41 Hua IX, § 23, p. 136-138 [Psy Ph, p. 129-132].
42 Hua IX, §§ 23 et 25, p. 138-139 et 142-143 [Psy Ph, p. 132-133 et 136- 137]. Hua IV, §§ 63-64, p. 291-297 [ID II, p. 392-400].
43 « à un niveau plus élevé, l’élément de causalité inductive [das Induktiv-Kausale] ne constitue pas l’essence réale de ce qui est spirituel [das reale Wesen der Geistigkeit] », Hua IX, § 24, p. 140 [Psy Ph, p. 133].
44 « La causalité psychique et la causalité spécifique à la personne est, en tant que causalité de la motivation spirituelle [Kausalität geistiger Motivation], quelque chose de tout autre que la causalité inductive », Hua IX, § 24, 141 [Psy Ph, p. 134]. Hua IV, § 55, p. 215-220 [ID II, p. 299-305].
45 Hua IV, §§ 32-33, p. 133, 135-137 [ID II, p. 191-192 et 195-197].
46 Hua IX, § 27, p. 149-150 [Psy Ph, p. 142-143].
47 Hua IX, § 27, p. 150 [Psy Ph, p. 143].
48 Hua III/1, § 153, p. 356 [ID I, p. 513].
49 Leibniz, 1978, p. 9-10 ; 1972, p. 150.
50 Descartes, Regulae ad directionem ingenii, 1986, p. 368 sq.
51 KrV, Transz. Analytik, A 80/B 106 et A 218/B265 sq.
52 Hua III/1, p. 314 [ID I, p. 458].
53 « Par principe, une chose réale, un être possédant un tel sens ne peut apparaître que de manière inadéquate dans une apparition close », Hua III/1, § 138, p. 319 [ID I, 465]. Un pont direct peut donc être établi entre les §§ 41 à 44 et le § 138 des Ideen I.
54 Hua III/1, § 44, p. 91 [ID I, p. 141].
55 Hua XVII, § 13, p. 41 [CE, p. 64].
Auteur
Agrégé de philosophie, ancien élève de l’École Normale Supérieure de la rue d’Ulm, docteur ès lettres HDR, est actuellement Professeur à l’Université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand). Il a publié L’archéologie du monde. Constitution de l’espace, idéalisme et intuitionnisme chez Husserl (Dordrecht, Kluwer Academic Publishers, 2000), Par-delà la révolution copernicienne (Paris, PUF, 2012), et de nombreux articles sur la phénoménologie husserlienne, heideggérienne et française, co-dirigé avec F.-D. Sebbah le collectif Penser avec Desanti (Mauvezin, TER, 2010) et participé à la traduction de Heidegger, Platon : le Sophiste (Paris, Gallimard, 2001) et Lask, Doctrine des catégories (Paris, Vrin, 2002). Il va publier Généalogie de la raison (Paris, PUF, en préparation pour 2013). Il dirige, aux Editions de Minuit, la revue Philosophie.
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Lucien Lévy-Bruhl
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