Chapitre premier. La politique scientifique et technologique au Japon : une perspective historique.
p. 23-49
Texte intégral
Introduction
1Le xxie siècle se distingue des siècles précédents, de part la nature des ressources qu'y puisent les pays pour fonder la société. À côté des facteurs traditionnels de production que sont la terre, le travail et le capital, la « connaissance » s'impose.
2Certes, tout au long des siècles derniers, la connaissance s'est accumulée et a permis de consolider la « science » et de créer de nouvelles technologies. Ce phénomène n'a rien de nouveau. Mais, aujourd'hui, les attentes s'amplifient à l'égard de la « connaissance » en tant que moteur de croissance économique et de transformation sociale. Nous pouvons nous en rendre compte rien qu'en observant notre vie quotidienne : on ne peut plus se passer d'Internet ou du téléphone mobile. Vient alors la question de savoir « comment produire efficacement la connaissance et la transformer en une valeur économique, sociale et culturelle ? ». La course à l'innovation est déjà engagée, elle est mondiale et qu'on le veuille ou non, aucun pays ne restera en dehors de ce dynamisme. Quelle attitude adopter dans ce contexte ? Réagir passivement ou agir pro-activement ?
3Un tour d'horizon des politiques scientifique et technologique nous permet de constater que la plupart des gouvernements des pays industrialisés misent à fond sur « l'innovation ». Le Japon ne fait pas exception. Son 3e plan cadre pour la science et la technologie (PCST), lancé en avril 2006, affiche comme l'un de ses principaux objectifs la « promotion de l'innovation » (Council for Science and Technology Policy, 2006). Le Premier Ministre Abe, successeur de Koizumi, a d'ailleurs déclaré dans son discours d'investiture que sa politique sera fondée sur « l'innovation » et « l'ouverture », deux mots clés qui symbolisent à la fois la force et le désir de ce pays.
4Y perçoit-on une certaine convergence des politiques scientifique et technologique dans les pays industrialisés ? Certes, mais force est de constater que cette tendance n'est pas le fruit du hasard en ce qui concerne le Japon. Elle se situe sur la droite ligne de la trajectoire historique de ce pays.
5C'est ce que nous allons montrer. Tout d'abord de part sa dimension historique après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Puis au travers des projets « large scale industrial research and development system », communément appelé « Grand Projet », qui ont constitué un changement de cap important en matière de politique scientifique et technologique.
6Viendra ensuite une seconde vague de changements marquée par la promulgation de la « Loi fondamentale pour la science et la technologie » puis par celle des divers « Plans Cadre de la Science et Technologie », y compris l'innovation institutionnelle que constitue la création du « Council for Science and Technology Policy1 ». La dernière partie tentera d'apporter quelques réflexions sur le développement futur de la politique scientifique et technologique.
Premier Livre blanc de la science et technologie
7La fin de la Seconde Guerre mondiale a marqué le tournant des orientations nationales : les efforts militaires ayant perdu leurs droits de cité, ce sont les objectifs économiques avec un fort accent sur les aspects sociaux, qui ont pris la relève. Sur cette base, un groupe de travail a été constitué, composé des représentants de différents départements du ministère du Commerce et de l'Industrie (MCI), du service des Brevets, de l'Agence des Petites et Moyennes Entreprises, des laboratoires nationaux d'expérimentations et du ministère des Transports, avec le soutien de l'Agence de Technologie Industrielle, afin de donner naissance au premier Livre blanc sur la technologie, appelée « État de la technologie industrielle du pays » [Wagakuni kôkôgyô gijutsu no genjô] (Industrial Technology Agency, 1949). Ce Livre blanc exprimait la grande inquiétude des fonctionnaires japonais sur les questions de technologies et contenait des propositions pratiques et pragmatiques d'amélioration de l'état de l'industrie japonaise, en conférant ainsi une certaine orientation à la politique de la science et de la technologie de l'après-guerre. Il a aussi eu pour mission de réveiller la conscience publique sur le rôle critique joué par la technologie dans le développement économique.
8Le Livre blanc débutait par le recensement des faiblesses de l'industrie japonaise, lesquelles étaient alors :
un manque de technologie propre au Japon, en raison pour partie d'une myopie des industriels japonais favorisant le retour sur investissement à court terme, tout en préférant par ailleurs l'importation de diverses technologies à l'investissement dans des activités de R & D coûteuses ;
la difficulté de traduire en produits industriels le résultat des recherches accumulées par le milieu académique, en raison d'un manque de recherche et développement appliqués. Ce point a été mentionné comme le premier problème du Japon par la Commission académique américaine [gakujutsu komon dan]2 ;
la prédominance d'un savoir implicite, d'un savoir-faire personnifié, d'une connaissance de l'art et de manies dans les processus de production, en particulier dans les petites et moyennes entreprises (PME), provoquant de ce fait une faible productivité et de longues périodes d'apprentissage, tout en empêchant par ailleurs une diffusion à grande échelle de la technologie ;
la présence de corporatismes dans les domaines techniques, reflet de la structure hiérarchique des formations universitaires, ayant pour conséquence un sous-développement technologique dans les domaines exigeant une approche interdisciplinaire ;
conscient de ces faits dans un contexte d'accroissement de la compétition internationale, il devenait urgent pour le Japon de renforcer sa capacité technologique. Aussi, le Livre blanc proposa :
d'améliorer la recherche et le développement appliqués, comme le suggérait la Commission académique américaine ;
de solliciter la participation active du monde universitaire au travers de transferts de technologie ;
d'appliquer des « méthodes scientifiques » au contrôle de production, par l'établissement de normes et standards, tout en améliorant le contrôle qualité parallèlement à un développement d'instruments de mesure et de technologie d'évaluation ;
d'apporter une assistance technique aux petites et moyennes entreprises qui dominaient l'industrie japonaise en terme de nombre d'entreprises et d'employés3 ;
favoriser une approche intégrée permettant le développement de nouvelles technologies.
9Compte tenu de ces directives, le gouvernement pu alors intervenir de plusieurs façons, en accordant par exemple des incitations fiscales aux transferts de technologie, en subventionnant la formation d'ingénieurs, en investissant dans les infrastructures technologiques et en fixant les règles du jeu des standardisations, normalisations et mesures.
10Trois des institutions existantes alors – le système des brevets, le monde universitaire et la formation des ingénieurs – furent pressenties pour jouer un rôle prédominant dans la réalisation de ces mesures gouvernementales.
11Concernant le système des brevets, les hauts fonctionnaires japonais étaient déjà conscients de l'intérêt de droits de propriété intellectuelle comme moyen de diffusion et de dissémination de nouvelles technologies plutôt que comme une utilisation passive de droits dans un but défensif. Le Livre blanc reconnaissait pourtant qu'il y avait quelques difficultés à son application. Notamment pour les lois existantes ayant trait aux droits de propriété industrielle, telles que droit des brevets, des dessins et modèles, des marques déposées, etc. Celles-ci n'étaient qu'une copie des lois des pays occidentaux sans aucune adaptation au contexte japonais, si bien que leur acceptation sociale en était limitée. En outre, il n'y avait alors aucune institution chargée de contrôler et de faire respecter les droits de propriété.
12Les hauts fonctionnaires japonais ont alors considéré les sociétés académiques comme ayant deux rôles à jouer : grâce à des réunions et des publications, elles fournissaient un lieu d'échange et de communication aux chercheurs universitaires et aux gens de l'industrie ; et à travers leurs membres qui participaient aux différentes commissions gouvernementales, elles contribuaient à la formulation des directives sur les questions de technologie, telle que la standardisation. Cependant, à cette époque, ces contributions n'ont pas été perçues de manière favorable par les gens de l'industrie.
13On a également considéré que la formation professionnelle des ingénieurs devait être un facteur clé de succès pour la capacité de mise en œuvre de l'approche scientifique de production citée ci-dessus. Aussi, pour améliorer la qualité de ces futurs ingénieurs, le Livre blanc montrait l'importance d'avoir d'une part, une formation de base en sciences fondamentales pour les ingénieurs de haut niveau, et, d'autre part, la nécessité pour les étudiants d'acquérir des expériences pratiques.
14Que peut-on retenir de cet aperçu ? Tout d'abord, le Livre blanc a souligné l'importance de « la technologie industrielle » [sangyô gijutsu], c'est-à-dire de la technologie ayant une application pratique dans l'industrie, plutôt que la seule prise en compte des technologies émergentes provenant des activités de R & D. Deuxièmement, l'idée d'un système d'innovation basé sur un système de brevets, d'une démarche de standardisation, de contrôle qualité, soutenu par des sociétés académiques, accompagné parallèlement d'un haut niveau de formation des ingénieurs, était déjà présente. Troisièmement, le Livre blanc recommandait aussi un fort soutien politique au développement d'une économie reposant sur la technologie.
Innovation politique « Grand Projet »
15Pendant les années 1950, la tendance à l'importation de technologies a continué. Le Japon avait réussi à intégrer et à améliorer les technologies importées et à les soutenir en renforçant le contrôle qualité, le processus de production étant largement amélioré pendant les années 1960. Une nouvelle tendance dans la technologie était apparue au cours de la même période : les entreprises privées ont commencé à remettre sur pied des laboratoires de recherche, appelés « Laboratoires de recherche centraux » [chuô kenkyûjo], qui se sont consacrés au développement de leurs propres technologies. En dépit de l'intention officielle du Japon de développer sa propre technologie, en pratique, peu d'inventions technologiques révolutionnaires ont émergés. Les efforts de l'industrie étaient surtout concentrés sur l'amélioration des technologies existantes ou importées.
16Dans ce contexte, la « Loi sur l'association de recherche de la technologie industrielle » [Kôkôgyo gijutsu kenkyû kumiai hô], fut promulguée en 1961. Son but était d'améliorer la technologie industrielle par des incitations accordées aux entreprises privées afin de leurs permettre de rejoindre les efforts d'activités de recherche appliquée (AIST, 1998). Cette Loi, qui a donné une personnalité juridique spécifique à « l'association de recherche » [kenkyû kumiai], a constitué le premier pas vers les « Grands Projets » en devenir.
17En 1963, le « Comité de Recherche de la Structure Industrielle » [Sangyô kôzô chôsakai], a recommandé que le ministère du Commerce international et de l'Industrie (MITI, créé en 1949) mette en œuvre des objectifs de projets de recherche basés sur la coopération État/Université/industrie, l'objectif final étant le développement de technologies innovantes (Ôgata kôgyôgijutsu kenkyû kaihatsu seido 20 shûnen kinen jigyô suishin dantai rengôkai, 1987). Il est important de noter que l'idée sous-jacente de cette coopération avait trait ici à « un système de recherche décentralisé » [mochikaeri kenkyû], qui fonctionnait ainsi : chaque institution participante exécutait dans son sein la partie du travail de recherche qui lui était attribué, aucune collaboration de recherche sur site commun n'étant planifiée, tout en ayant accès à l'ensemble des résultats de recherche du projet.
18Le Conseil de la Structure industrielle, reconnaissant l'importance de l'innovation technologique comme facteur clé d'accroissement de la compétitivité et de la croissance économique, a présenté dans son rapport intermédiaire de 1965, le concept de « Grand Projet » [ôgata purojekuto]. Il se caractérisait de la manière suivante :
Objectifs : développer de nouvelles technologies et de nouveaux produits, qui ne seraient pas développés par le seul effort du secteur privé, en raison de l'existence de risques importants et de coûts élevés.
Caractéristiques : investir à long terme pour ce qui concerne les chercheurs, les ingénieurs et le financement.
Objectifs visés : choisir des domaines ayant un potentiel et un impact économique extrêmement important, ou alors des domaines dans lesquels il y a une situation d'urgence en terme de développement.
Entreprises privées concernées : les choisir selon leur capacité de recherche et leur poids sur les marchés potentiels.
Projet : totalement financé par le gouvernement, à l'aide d'une mobilisation de la capacité de recherche du secteur privé opérant dans le domaine visé.
Organisation : basée sur « le système de recherche décentralisé » avec comme partenaires les universités, les laboratoires de recherche nationaux et les entreprises privées.
Gestion : mettre en œuvre une structure chargée d'examiner, gérer et évaluer chaque étape du projet, et ayant la capacité d'ajuster et d'arrêter le programme de recherche si nécessaire.
19Suite à ce rapport, le gouvernement japonais a mis en œuvre en 1966 son projet intitulé « Recherche industrielle et système de développement à grande échelle » [Ôgata kôgyô gijutsu kenkyû kaihatsu], communément appelé « Grands Projets ». Celui-ci avait pour but de soutenir les projets de recherches particulièrement coûteux, exigeant une démarche à long terme et présentant une grande prise de risque, mais offrant un fort potentiel tout en pouvant induire une importante avancée technologique alliée à de grandes retombées. Cependant, ceux-ci n'avaient que peu de chance d'être lancés par des entreprises privées faute d'intervention gouvernementale. Aussi, en choisissant d'une part quelques grands axes technologiques à subventionner intensivement et en fédérant d'autre part les efforts d'entreprises privées, d'universités et de laboratoires de recherche nationaux, le gouvernement a cherché à consolider sa base technologique dans les industries prometteuses et par la suite à augmenter l'esprit compétitif du Japon. Cette préférence pour les « fonds d'amorçage » qui trouvent leurs justifications dans le modèle d'innovation linéaire, a imprimé de sa marque la principale orientation de la politique technologique du Japon jusqu'à la fin des années 1990.
20De manière concrète, un « Grand Projet » était mis en œuvre de la manière suivante :
21Le « Conseil de technologie industriel » [Sangyô gijutsu shingikai] du MITI choisissait un axe technologique après consultation des milieux industriels. « L'Agence pour la science et la technologie industrielle » (AIST) [Kôgyô gijutsu in] attachée au MITI était alors chargée de la conception et de la planification du « Grand Projet » au sein de l'axe technologique choisi, après consultation de la « Commission pour la technologie industrielle » [Kôgyô gijutsu kyôgikai], au sein de l'AIST. Généralement, le « Grand Projet » couvrait la phase de développement des « technologies fondamentales » et la phase « d'organisation du système » qui rassemble ces technologies fondamentales – c'est-à-dire que l'on s'attendait à ce qu'un « Grand Projet » présente un « produit en phase de pré-commercialisation » arrivé à son stade final d'élaboration. En accord avec le milieu industriel concerné, une « association de recherche » était alors fondée avec l'appui du MITI. Elle était chargée de coordonner les sous-projets élémentaires de recherche attribués par l'AIST auprès de ses entreprises membres et de mettre à jour les données relatives à l'axe technologique considéré. Dans le même temps, les laboratoires de recherches nationaux rattachés à l'AIST contribuaient au premier développement de cette technologie et l'évaluaient. Ils réalisaient également les études de faisabilité sur la manière d'utiliser les résultats de cette recherche. Quant aux résultats de recherche, c'est-à-dire les brevets et le savoir-faire générés par ces « Grands Projets », ils devenaient la propriété de l'État. Pourtant, la priorité d'utilisation des brevets demeurait au profit des entreprises s'étant vues confier le projet. « L'Association technologique industrielle japonaise » [Nihon sangyôgijutsu shinkô kyôkai] (JITA) a été fondé en 1969 pour s'occuper des transferts de technologie, ainsi que de la diffusion et de la valorisation des résultats.
22L'intérêt présenté par ce système de recherche réside dans la présence d'une « association de recherche ». Cette dernière fonctionne pour les entreprises membres comme une plate-forme leur permettant de rencontrer d'autres personnes travaillant dans le même domaine d'activité industrielle, d'échanger des renseignements et des idées, et de partager les résultats provenant des activités de recherche en cours. Ainsi, « l'association de recherche », favorise la constitution d'un réseau de gens et d'idées. Un autre mérite de l'association de recherche réside dans sa structure légère : elle est facile à créer et à dissoudre, indépendamment des choix relevant de l'axe technologique auquel elle est rattachée.
23Pour les entreprises membres, être attachées à un « Grand Projet » présente la garantie d'un soutien financier à long terme du gouvernement, tout en donnant de la crédibilité à la poursuite de projets de recherche « à risques », sans perspectives immédiates de commercialisation, et en garantissant parallèlement un accès facile à des renseignements actualisés, facile à partager entre membres. Il était attendu de tous ces éléments qu'ils consolident la capacité technologique des entreprises membres, dans les nouveaux domaines technologiques.
24Dans le même temps le manque de flexibilité était souvent perçu comme un désavantage. Dès que les objectifs étaient définis et la recherche planifiée, les adapter aux résultats intermédiaires obtenus dans l'avancement du projet devenait une tâche complexe et ardue, la cohérence de la planification initiale ayant une priorité importante. Un autre désavantage tenait dans le fait que les technologies développées dans un « Grand Projet » n'étaient pas facilement traduites dans un produit à finalité commerciale, comme c'est le cas du « Micromachine Project » (Harayama, 2000).
25Le choix des axes technologiques retenus durant les années 1960 et 1970 a été déterminé dans certains cas par des problèmes de société (recherche de solutions aux problèmes de pollution, de trafic automobile ou d'insuffisances de ressources en eau potable...) mais l'exigence principale était surtout de réduire la distance technologique existante entre les États-Unis et le Japon. Pendant cette période, le Japon avait donc un modèle de développement technologique à suivre grâce auquel les entreprises qui y ont participé ont consolidé leur base technologique et ont réussi à rattraper certaines entreprises américaines dans les domaines considérés.
26La situation est toutefois devenue plus complexe au cours des années 1980, lorsque le Japon est entré dans la phase succédant à sa remise à niveau d'après-guerre. Sans modèle à suivre, le Japon a dû choisir des axes technologiques novateurs de son propre gré, ce qui a impliqué une plus grande prise de risque et une plus grande part d'incertitude ; la technologie nécessaire devenant d'un accès plus complexe et sophistiquée.
27Quelle était la signification des « Grands Projets » ? Le MITI avait réussi à élargir ses compétences au travers de la « politique technologique industrielle », incluant ainsi de manière sous-jacente les activités de R & D dont il avait la charge. En conséquence, la politique technologique du MITI s'est davantage focalisée sur la création de nouvelles technologies que sur la simple innovation technologique au plus près des produits finaux. L'AIST quant à elle, a acquis, par ses fonctions de planification et de direction de « Grands Projets », une certaine autorité vis-à-vis des entreprises privées, en faisant évoluer sa fonction d'origine, relative à l'apport d'appuis technologiques aux entreprises japonaises.
Changement institutionnel
28Parallèlement aux « Grands Projets », mais basé sur le même schéma, plusieurs systèmes de R & D ont été introduit durant les années 1970 et 1980. Citons par exemple le « Système de R & D pour les nouvelles technologie énergétiques » [Shin enerugî gijutsu kenkyûkaihatsu keikaku], dénommé « Projet Soleil » [Sunshine Project : sanshain keikaku], ou le « Système de R & D pour les technologies d'économies d'énergie » [Shô energî gijutsu kenkyûkaihatsu seido], dénommé « Projet Clair de Lune » [Moonlight Project : mûnraito keikaku].
29Toutefois, vers la fin des années 1980, une nouvelle orientation est apparue. La stratégie de rattrapage fut petit à petit remplacée par la recherche de technologies innovantes. Cette nouvelle orientation impliqua des changements non seulement dans les domaines de R & D visés, mais aussi dans le cheminement par lequel la R & D était conçue, planifiée et gérée jusqu'alors, afin que le « Grand Projet », devenu point de référence du système de recherche japonais, soit restructuré. Ceci a aussi mis en évidence un problème de compétence : la distinction officiellement reconnue entre « la technologie industrielle » [sangyo gijutsu], « les sciences académiques » [gakujutu] et « la science et la technologie » [kagaku gijutsu] avait perdu de sa pertinence, au même titre que la complémentarité entre le MITI, le ministère de l'Éducation et la Science and Technology Agency (STA) dans leur fonction de planificateur de la politique pour la science et la technologie. Ils ont alors concentré leurs efforts afin d'obtenir une part significative des allocations budgétaires disponibles. Ce qui eut pour conséquence immédiate une certaine forme de concurrence tendant à un manque de coordination, parallèlement à une réduction indirecte de l'efficacité des investissements gouvernementaux en R & D.
« La Loi fondamentale pour la Science et Technologie »
30Conscient de ce changement fondamental, le gouvernement a adopté en 1995, la « Loi fondamentale pour la Science et la Technologie » [kagaku gijutsu kihon ho] et mis en œuvre des mesures politiques permettant d'adapter la façon dont la Science et la Technologie (S & T) seraient organisées et dirigées. Avec cette loi, le gouvernement se dotait également d'une base juridique lui permettant de poursuivre son objectif de « Nation basée sur la création dans la Science et la Technologie » [kagakugijutu sozo rikkoku], tout en s'engageant à favoriser et consentir sur le long terme les importants efforts financiers nécessaires.
31Cette loi peut être résumée ainsi : l'État devient « responsable de la formulation et de l'exécution des politiques globales concernant la promotion de la S & T ». On entend par-là qu'il prenne les mesures nécessaires, principalement au niveau budgétaire. La loi souligne la nécessaire coopération entre les laboratoires de recherches nationaux, les universités et le secteur privé, et ceci dans un juste équilibre entre recherche fondamentale et appliquée d'une part, et développement et formation des chercheurs d'autre part. Elle accorde et favorise aussi une attention particulière à la préservation de l'autonomie des universités (art. 6). Cette dernière clause laisse une certaine marge de manœuvre au secteur universitaire vis-à-vis de demandes qui pourraient lui paraître inacceptables. La Loi envisage enfin l'établissement d'un « Plan cadre de la Science et de la Technologie » (PCST) [kagakugijutu kihon keikaku], contenant les grandes lignes des mesures politiques, le Council for Science and Technology4 (CST) [kagakugijutu kaigi] étant consulté avant toute formulation dudit Plan cadre.
« Le 1er PCST »
32Le 1er PCST, qui a couvert la période 1996-2000, s'est surtout concentré sur l'amélioration des conditions de R & D. Ce Plan cadre a reconnu le besoin de porter l'investissement gouvernemental en R & D à un niveau similaire à celui des pays occidentaux (Figure 1), de créer un environnement de R & D compétitif, d'améliorer la capacité de R & D dans le secteur privé et, surtout, de renforcer la coopération Université-Industrie. D'une manière concrète, le premier Plan cadre s'est donné comme objectifs :
de doubler la dépense domestique de R & D financée par le gouvernement, en pourcentage du produit intérieur brut d'ici 2000 (Tableau 1) ;
Tableau 1. Dépenses domestiques de R & D financées par le gouvernement japonais en regard de son PIB.
Année fiscale japonaise | Gouvernement central | Gouvernements provinciaux | Total cumulé | PIB japonais |
2001 | 4 076,6 | 507,6 | 4584,2 | 502,6 |
2002 | 3 868,2 | 489,9 | 4358,1 | 497,6 |
2003 | 3 601,5 | 447,5 | 4 049,0 | 501,3 |
2004 | 3 638,9 | 444,2 | 4 083,1 | 505,1 |
2005 | 3 578,5 | N.A. | 3 578,5 | 511,5* |
Total sur 5 ans | 18 763,7 | 1 889,2 | 20 652,9 | 2 518,1 |
Source : Cabinet Office - http://www8.cao.go.jp/cstp/siryo/haihu46/siryo1-3-3.pdf.
d'augmenter les fonds de recherche alloués sur une base compétitive (Figure 2) ;
d'atteindre l'objectif de 10 000 post-doctorants soutenus financièrement d'ici 2000 (Figure 3) ;
de mettre en œuvre des mesures facilitant la transversalité entre les secteurs, les échanges interrégionaux et internationaux, en augmentant par exemple le nombre de postes et de projets en coopération et en facilitant des transferts de technologie ;
de mettre en œuvre des systèmes d'évaluation pour les thèmes de R & D bénéficiant de financements publics, pour la gestion des institutions de recherche et pour l'activité des chercheurs du secteur public ;
d'améliorer les infrastructures de R & D, tant pour les infrastructures immobilières que matérielles, sans négliger pour autant les technologies de l'information et les actifs intellectuels (par exemple, les systèmes de bases de données ou les outils de standardisation).
33Ainsi, le 1er PCST exprimait avec force le souhait que les universités deviennent des acteurs majeurs de ce plan, en mettant de côté leur image de « tour d'ivoire ». En effet, le passage d'un statut de « suiveur » à celui de « coureur de tête » dans la course à l'innovation exigeait de fortes complémentarités entre recherche fondamentale et appliquée, impliquant de ce fait un renforcement de la coopération entre les universités et l'industrie, ainsi qu'une collaboration étroite entre le ministère de l'Éducation et d'autres ministères et agences traitant de S & T, notamment pour ce qui concerne le MITI. Il impliquait également l'établissement d'un système d'innovation intégré, basé sur la coopération tripartite État-Université-Industrie.
34Comment peut-on générer une synergie entre les universités et l'industrie ? Et comment cette synergie peut-elle être stimulée et exploitée ? Depuis que le 1er PCST est entré en application, le gouvernement a pris des mesures pour faciliter les transferts de technologie de l'université vers l'industrie, en supprimant les barrières existantes au niveau de l'échange de personnes entre l'industrie et l'université, en accordant des incitations aux sociétés privées dans le but de favoriser la recherche de collaboration ou encore en améliorant la qualité de formation des ingénieurs.
35Partant de l'observation que les inventions faites en universités sont sous-exploitées, et reconnaissant parallèlement que la valorisation de ces technologies dormantes en terme de nouveaux produits ou de création d'entreprises aux frontières de l'industries sont des valeurs sociales, la loi de Promotion du transfert de technologie Université-Industrie [Daigakutô gijutsu iten sokushin ho], appelée « loi sur les Technology Lisensing Organizations5 (TLOs) » [TLO hô] a été promulguée en 1998. Cette loi, préparée conjointement par le MITI et le ministère de l'Éducation, visait en fait à faciliter les transferts de technologie de l'université vers l'industrie. En effet, jusqu'alors, le transfert de technologie intervenait sur la base d'un contrat au cas par cas ou d'un accord informel entre un membre du corps enseignant et une société privée, induisant un retour limité à l'inventeur et à son institution de tutelle. Ainsi, la loi sur les TLOs a été mise en œuvre en vu de créer un « cycle vertueux du transfert de techno logie » tendant à faciliter le dépôt de brevets, tout en permettant l'octroi à titre privé de licence sur les inventions brevetables, ce qui a alors pour effet de permettre un retour financier pouvant être réinvesti dans les activités de recherche de l'université.
36Parallèlement à la mise en place de ces TLOs, un certain nombre de déréglementations ont eu lieu afin de faciliter la mobilité des personnels et les transferts de fonds entre l'université et l'industrie.
37Toutes ces mesures reposent sur l'idée que les universités doivent être des acteurs actifs de la reconstruction du système d'innovation national. Pourtant, l'attente des ministères intéressés, surtout du ministère de l'Éducation et du MITI, diverge en ce qui concerne la voie à emprunter par les universités et leur corps professoral dans leurs actions sur le terrain. Ainsi, la coordination et la coopération au sein de ces ministères en deviennent essentielles pour exploiter avec succès la complémentarité entre l'industrie et les universités.
« Council for Science and Technology Policy »
38Le « Science and Technology Council » fut transformé en « Council for Science and Technology Policy » en janvier 2001. Il fut appelé à jouer un certain rôle dans l'arène de la politique scientifique et technologique en tant qu'organe « consultatif » auprès du gouvernement. En réalité, les ministères concernés, en particulier le ministère de l'Éducation, le MITI et le STA, menaient chacun pour leur compte leur propre politique scientifique et technologique. Et même si cela ne s'exerçait que dans la limite des compétences qui leur étaient attribuées, l'arbitrage était toujours en dernier ressort du domaine du ministère des Finances, avec le risque que les considérations financières fassent de l'ombre aux considérations scientifiques, technologiques, économiques et sociales des premiers. Cette faiblesse de coordination et cette absence de vision d'ensemble furent parmi les arguments ayant permis de favoriser l'élargissement des compétences et la consolidation de la structure du Science and Technology Council.
39Les principaux changements sont les suivants :
Le CSTP, en incluant son secrétariat, est directement rattaché au bureau du Cabinet du Premier Ministre, ainsi il se situe en dessus de tous les ministères.
Le CSTP, présidé par le Premier Ministre, est constitué de 6 ministres et de 8 membres exécutifs, dont 4 postes sont permanents.
Le secrétariat est constitué d'une cinquantaine6 de personnes au total, incluant les représentants du secteur industriel.
40À l'appui de ces changements organisationnels, il est demandé au CSTP de conseiller le Premier Ministre et les portefeuilles ministériels liés à la politique scientifique et technologique, tout en incluant dans ses domaines de compétences les attributions de ressource, au-delà d'une simple fonction consultative.
41Une autre innovation importante concerne l'évolution de la terminologie « science et technologie ». Elle couvre également désormais les sciences humaines et sociales, et en allant au-delà des seules sciences exactes, les sciences du vivant et l'ingénierie. Le CSTP prouvera ainsi sa capacité à coordonner l'ensemble des acteurs au plus près des réalités, dès la mise en application du 2e PCST.
« Le 2e PCST »
42Le deuxième PCST a couvert la période 2001-2005. Bien que le CSTP fut mis en place avant le terme du 1er PCST, il n'a apporté qu'une contribution limitée dans la formulation du 2e PCST, la commission préparatoire réunie au sein du STA ayant pris soin d'analyser au préalable le premier Plan et de définir le contenu du deuxième Plan.
43Le constat était que les objectifs du 1er PCST n'avaient pas été totalement atteints. En effet, bien que doublés, les fonds de recherche alloués étaient restés d'un montant limité par rapport à ce qui a été annoncé ; L'absence de débouchés sur les emplois à long terme des post-doctorants devenait criante, alors que l'objectif de « 10 000 post-doctorants » avait été atteint ; l'investissement dans les infrastructures restait notoirement insuffisant par rapport au besoin et bien qu'un système d'évaluation ait été mis en place, le feedback restait opaque ; enfin, bien qu'un certain nombre de mesures facilitant le transfert de technologie université/industrie ont été mises en œuvre, le retour financier restait limitée.
44De ce fait le Japon continuant à rencontrer une difficulté de traduction de ses inventions en produits innovants, le 2e PCST énonça un concept basé sur « une science et une technologie intégrés à la société, la servant et récupérant en retour le feedback de celle-ci », ce qui amena alors à définir les trois objectifs généraux ci-après :
Être une plate-forme de la création et de l'exploitation de la connaissance.
Construire une société où la sécurité est garantie.
Assurer le positionnement international de la nation en garantissant son développement durable au travers de la science et de la technologie.
45Le changement principal par rapport au 1er PCST était que le gouvernement affirmait ainsi clairement son intention de construire un système d'innovation qui servirait la société, tout en affichant sa préférence pour une approche « stratégique » et « sur objectifs ».
46En plus des soutiens traditionnels à la recherche fondamentale, les fonds de recherche devaient être alloués prioritairement aux quatre domaines que sont « les sciences du vivant », « les technologies de l'information », « l'environnement » et « les nanotechnologies et les matériaux ».
47Dans le même temps, si l'augmentation de l'autonomie et de la flexibilité des institutions de recherche publiques y a été soulignée, afin de chercher à renforcer très fortement l'ensemble des moyens d'actions favorisant les transferts de technologies vers le secteur privé, l'amélioration de la dualité « public/privé » dans le domaine de la R & D y apparaissait plus que jamais comme un objectif prioritaire. Ceci transparaît notamment au travers de la vision d'un système d'innovation qui, bien que fonctionnant dans un environnement compétitif, est basé sur collaboration tripartite État-Université-Industrie, afin de favoriser l'échange des hommes comme celle des idées. Enfin, la promotion de la science et de la technologie au niveau régional ayant fait son entrée en scène, toute une série de politiques dites de « Cluster » ont été générées dès 2001. Le Japon a ainsi affirmé son intention de se doter d'un « système d'innovation national » mais également de « systèmes d'innovation régionale ».
« Le 3e PCST »
48Les préparatifs du 3e PCST ont débuté avec la revue des 1er et 2e PCSTs. Le National Institute of Science & Technology Policy (NISTEP) rattaché au ministère de l'Éducation a été chargé de procéder à l'état des lieux. Toute une série d'indicateurs ont été recueillis et analysés en mobilisant des experts aussi bien japonais qu'étrangers. L'ensemble de cette démarche a été résumé au sein du rapport « Study for Evaluating the Achievements of the S & T Basic Plans in Japan » (NISTEP, 2004). Le constat effectué est alors le suivant :
La croissance des dépenses de R & D, en particulier pour les fonds de recherche alloués sur une base compétitive, a généré un accroissement quantitatif et qualitatif de la production scientifique.
Le budget des quatre domaines prioritaires a fortement augmenté ; il en est de même pour le nombre de publications scientifiques.
Sur le front de la réforme structurelle, la coopération Université-Industrie tend à se généraliser comme une pratique courante et les administrations nationales comme de niveau local sont fortement mobilisées pour promouvoir l'innovation régionale.
Le nombre de post-doctorants s'est fortement accru grâce à des mesures de soutien, toutefois, les efforts tendant à leurs assurer la visibilité de perspectives professionnelles laissent à désirer.
49Le rapport « The 8th Science and Technology Foresight Survey Summary » (NISTEP, 2005) remis par le Centre de prospection scientifique et technologique du NISTEP, et appliquant la méthode Delphi, a constitué un élément important pour des bases de discussion sur la définition des domaines prioritaires.
50Parallèlement, afin de recueillir des avis représentatifs, le ministère de l'Éducation a procédé à l'interview d'un total de 140 personnes, représentatifs du milieu académique (chercheurs établis et post-doctorants), de l'industrie, mais aussi des intervenants de terrain officiant à la promotion de la coopération Université-Industries.
51Tous ces éléments ont été réunis sur la table de la Commission spéciale chargée du PCST [Kihonkeikaku tokubetsu iinkai] créée en octobre 2004 au sein du ministère de l'Éducation. Cette dernière a remis en avril 2005 un rapport intermédiaire intitulé « Les principales mesures politiques en vue du 3e PCST » [Dai 3 ki kagakugijutsu kihon keikaku no jûyô seisaku].
52Dans le même temps, le METI n'est pas resté inactif. Une commission mise en place en mars 2004 et chargée d'étudier les problèmes fondamentaux relatifs à la technologie industrielle a remis son rapport « Politique scientifique et technologique visant à l'innovation technologique » en février 2005, exprimant ainsi le positionnement du METI vis-à-vis du future PCST.
53Citons également le Rapport du Science Council of Japan, « Les points fondamentaux de la politique scientifique et technologique » [Nihon no kagakugijutsu seisaku no yotei] d'avril 2005 et celui du Nippon Keidanren (Japan Business Federation) de novembre 2004 « Pour le renforcement de la compétitivité industrielle fondé sur la science et la technologie : notre attente vis-à-vis du troisième PCST » [Kagakugijutsu wo bêsu ni shita sangyô kyôsôryoku no kyôka ni mukete : dai 3 ki kagakugijutsu kihon keikaku heno kitai] exprimant par la même leurs points de vue et leurs positionnements.
54Ainsi la politique scientifique et technologique, jusqu'alors à l'abri dans les mains des experts et hauts fonctionnaires, a changé de scène et à insufflé du même coup l'ouverture d'un débat public. Toutefois, le dernier mot en est néanmoins revenu au CSTP, dans le cadre de sa compétence de proposition de PCST au Premier Ministre.
55Le CSTP a réuni un groupe d'experts dès décembre 2004 au sein d'une commission chargée de préparer la proposition de 3e PCST, et, au terme de 16 réunions, il en est sorti un rapport final, traduit sous forme de proposition de 3e PCST et soumis au CSTP.
56Toute cette procédure constitue en elle-même une innovation institutionnelle dans le domaine de la politique scientifique et technologique. En effet, bien que c'était le troisième exercice du genre pour le Japon, c'était la première fois que le CSTP prenait l'initiative de préparer le débat et d'en faire émerger le corps du troisième PCST. Certes, différentes formes de pressions ont été exercées sur le CSTP et ce dernier a dû en tenir compte dans ses prises de décision, mais à la différence des deux exercices précédents relatifs aux premiers plans, on a connu une plus grande transparence ainsi qu'une plus grande ouverture dans les débats.
57Aussi, le 3e PCST peut se résumer de la manière suivante :
Le gouvernement s'engage à investir 25 trillions de JPY au total en R & D durant la période couvrant le 3e PCST, ce qui permettrait d'atteindre 1 % du produit intérieur brut en 2010.
Les efforts seront consentis dans la recherche fondamentale et dans les 4 domaines prioritaires (les domaines disciplinaires que sont « les sciences de la vie », « les technologies de l'information », « les sciences de l'environnement » ainsi que « les nanotechnologies et les matériaux ») plus 4 domaines prioritaires de seconde catégorie (liés aux domaines d'application que sont « l'énergie », « la technologie manufacturière » dite « Monozukuri », « les infrastructures sociales » et « les frontières technologiques »).
Des réformes du système de S & T seront également poursuivies afin d'améliorer la qualité des ressources humaines et d'offrir un environnement propice à l'innovation.
58Le 3e PCST est entré en vigueur en avril 2006. Par anticipation, les grandes lignes de celui-ci ont déjà été reflétées dans le budget 2006, mais la véritable empreinte d'une nouvelle ère s'exprimera dans le budget 2007.
59Parallèlement et afin d'en faciliter la mise en exécution, le CSTP a émis quelques directives sur les points suivants :
Stratégie pour la promotion des domaines prioritaires.
Stratégie pour la promotion de l'innovation.
Réformes institutionnelles destinées à promouvoir la S & T et à en favoriser la valorisation des résultats.
60Toutefois le point essentiel du 3e PCST, concerne surtout l'entrée en force du concept d'« innovation ». Bien que les champs couverts par ce concept restent encore flous à l'heure actuelle, ce qui est sûr, c'est que la politique scientifique et technologique ne se limite plus au seul domaine de la « science et technologie », mais va bien au-delà. Partant de l'idée que « la science et la technologie doivent être au service de la société », le gouvernement japonais y affiche son intention de procéder à une transformation sociale par l'innovation. Ainsi la ligne de front initiée par Koizumi, ancien Premier Ministre, est aujourd'hui exprimée en terme politique par Abe, son successeur.
Conclusion
61Ce qui ressort de cette revue historique de la politique scientifique et technologique du Japon, c'est une permanence de celle-ci et un besoin profond de changement. Une permanence, car limité par ses ressources naturelles et se considérant comme pressé par la course à l'avancée technologique, le gouvernement japonais s'est appuyé sur les potentiels technologiques de ses entreprises manufacturières et continue à y puiser sa force, en se donnant pour objectifs les éléments suivants :
Devenir autonome en manière de création technologique.
Exploiter les avancées scientifiques pour rendre les processus de production plus efficaces.
Améliorer les environnements institutionnels afin de favoriser l'émergence et la diffusion de nouvelles technologies.
62Ces objectifs ne datent pas d'hier, comme on a pu le constater dans la deuxième partie de notre propos. Les entreprises manufacturières japonaises, en majorité structurées autour des Keiretsu7, semblent avoir été en symbiose avec ces objectifs, si l'on se réfère aux « Grands Projets », traités dans la troisième partie de notre historique. Avec la promulgation de la « Loi fondamentale pour la Science et Technologie » et la mise en place du « Council for Science and Technlogy Policy » évoqué dans notre quatrième partie, la science et la technologie se sont vu attribuer une place centrale au cœur du gouvernement, appuyé de discours tels que « la science et technologie au service de la société » ou « le Japon innovateur » (3e PCST).
63Aussi, il est frappant de constater une similarité entre les principales idées du premier Livre blanc sur la science et la technologie et celles exprimées dans les Plans cadre successifs. Cinquante ans séparent ces préceptes et le Japon a navigué sur des mers bien différentes pendant cette période.
64Ainsi, comment pouvons-nous expliquer ce retour aux sources ? Une des raisons en est que cette période a été dominée par une certaine forme de myopie, faute d'une réelle philosophie sous-jacente. Pendant les années 1950, le développement des industries de base telles que celles liées au charbon, à l'électricité et à l'acier a été la priorité. Ainsi, l'objectif de la politique technologique était, avant tout, d'aider les entreprises privées travaillant dans ces industries. Au cours des années 1960, l'effort a été concentré sur l'adaptation et l'amélioration de technologies importées et le Japon a ainsi saisi l'opportunité de combler son retard avec succès. Les années 1970 auront été dominées par l'énergie et les problèmes d'environnement où le Japon aura réussi à passer d'une politique de technologie orientée vers industrie lourde à une politique orientée vers l'industrie de haute technologie, avec une focalisation particulière sur l'électronique. La pression internationale qui a poussé le Japon à faire des efforts dans « la recherche fondamentale » dans les années 1980, dans un contexte « de bulle économique », a incité le secteur privé et les laboratoires de recherches nationaux à investir fortement dans les champs de la recherche fondamentale, déviant des objectifs politiques de valorisation de la technologie industrielle. Enfin, la récession économique qui caractérisa les années 1990 fut l'occasion de reconsidérer les politiques passées. Néanmoins, bien que le gouvernement ait été attentif et réceptif au changement de l'environnement et ait proposé un certain nombre de mesures politiques incrémentielles et ponctuelles, celles-ci furent loin de consolider un système d'innovation qui aurait dû se vouloir cohérent et basé sur une vision à long terme.
65En fait, depuis l'ouverture du pays au monde occidental en 1868, la hantise de ce besoin de « rattrapage », de « Catch-up », fut ancrée à jamais dans l'esprit des Japonais. Non seulement au sein de la sphère politique mais également chez les gens ordinaires. Et cette hantise, devenue mot d'ordre, a joué le rôle de catalyseur, de référence et de source d'inspiration, avec toute l'implication que cela peut désormais avoir sur le dynamisme économique du Japon.
66Mais ce qui a été une force peut devenir une faiblesse lorsque le contexte change ! C'est ce qu'a expérimenté le Japon durant la dernière décennie. Rappelons pour la forme, et pour l'exemple, quelle était la situation économique des États-Unis dans les années 1980. La perte de compétitivité industrielle était devenue une telle réalité qu'une équipe du MIT allait procéder à l'analyse au peigne fin de l'industrie manufacturière japonaise afin d'dentifier les clés de son succès. Cette étude donna lieu par la suite à la publication de Made in America (Dertouzos, M. et al., 1989) conduisant au recentrage américain que l'on connaît. Ainsi ce renversement de situation met en lumière deux faits : le Japon, tout en poursuivant son impératif de « Catch-up », s'est forgé un savoir-faire en matière de gain de productivité, et est devenu maître de l'art, sans le savoir. C'est pourquoi désormais, le Japon se retrouve au pied du mur dans sa recherche d'un hypothétique modèle à suivre. Ces quinze dernières années furent une période de tâtonnement et d'ajustement. C'est dans ce processus d'apprentissage que le Japon a affiché son objectif de devenir une « nation basée sur la création scientifique et technologique » où la « création » a tout son poids. Depuis lors, différentes mesures politiques se sont succédées et accumulées avec de nouvelles institutions, telles que les TLOs, les incubateurs, qui font désormais parti du paysage du système d'innovation nationale, ou encore le CSTP, œuvrant comme chef d'orchestre depuis 2001.
67Sur quel océan le Japon va-t-il naviguer désormais ? Une certaine convergence existe entre les politiques scientifique et technologique menées par les États-Unis, les pays européens – y compris dans le cadre de l'Union européenne – et le Japon, sous l'intitulé de « l'innovation ». Est-ce la résultante d'une globalisation ? Ce qui est sûr, c'est que le Japon doit puiser son inspiration et sa force dans ses ressources humaines, tout en mobilisant les esprits créatifs forgés tout au long de son histoire, mais parfois enfouis dans les contraintes de l'esprit de corps.
Bibliographie
AIST (1998), AIST (1998), Kôgyôgijutsu Bessatsu (journal de l'AIST numéro spécial), juillet.
CSTP (2006), The 3rd Science and Technology Basic Plan (FY2006-FY2010).
Dertouzos M. et al. (1989), Made in America : Regaining the Productive Edge, MIT Press.
Harayama Y. (2000), « Technological paradigm change and the role of university research : The case of the Micromachine and Japanese research universities », Working Paper of Department of Political Economy, 2, University de Genève.
Industrial Technology Agency (1949), Wagakuni kôkôgyô gijutsu no genjô [L'état des lieux de la technologie industrielle dans notre pays], Tôkyô, Kôgyô shinbun sha.
NISTEP (2004), Study for Evaluating the Achievments of the S & T Basic Plans in Japan.
NISTEP (2004), (2005), The 8th Science and Technology Foresight Survey Summary.
Ôgata kôgyôgijutsu kenkyû kaihatsu seido 20 shûnen kinen jigyô suishin dantai rengôkai [Groupe de promotion du 20e anniversaire de Grands projets] (1987), Ôgata purojekuto 20 nen no ayumi. Wagakuni sangyô gijutsu no ishizue wo kizuku [20 ans de Grands Projets. Fondation de la technologie industrielle dans notre pays], Tôkyô, MITI Chosakai.
Notes de bas de page
1 Créé en 2001.
2 Cette commission a été mis en place par le General Headquarter dans le but de faire l'état des lieux du milieu scientifique japonais.
3 En 1947, parmi les entreprises manufacturières, celles ayant moins de 100 employés constituent 99 % des établissements et 67 % des employés.
4 Créé en 1959, il a une fonction consultative en matière de science et technologie auprès du gouvernement.
5 TLO : Structure ad hoc de transfert de technologie.
6 En 2006, il est passé à une centaine de personnes.
7 Conglomérat, sur le modèle japonais.
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L’empire de l’intelligence
Politiques scientifiques et technologiques du Japon depuis 1945
Jean-François Sabouret (dir.)
2007