Chapitre 5. Pratiques savantes
p. 147-183
Texte intégral
1Si l’on considère le champ de production des discours sur l’Inde du point de vue du groupe social le mieux doté en capital scolaire spécifique, donc susceptible d’exercer dans le champ la plus grande force, notamment en termes de connaissance, cet univers peut être quasiment restreint au pôle des études indiennes savantes. Les indianistes, souvent issus des fractions possédantes et intellectuelles, ont développé le sentiment d’appartenir à un groupe social relativement homogène, notamment sous le rapport des atouts et des intérêts académiques qui orientent leurs trajectoires, rassemblé autour de quelques maîtres parmi lesquels, au tournant du xixe siècle, émerge la figure singulière et fédératrice de Sylvain Lévi. Il faut prendre acte de cette représentation indigène en terme de « communauté savante » unie par les mêmes principes scientifiques et éthiques, mais à condition de la rapporter aux positions et aux dispositions des agents qui en sont porteurs. Cette représentation d’un univers fermé, peu différencié et sans clivage d’importance est en effet mise en cause par des témoins qui, sans être nécessairement moins bien pourvus en termes de compétences spécifiques, occupent une position moins centrale, en raison notamment de leurs origines étrangères. Ainsi, un informateur arrivé en France au milieu des années 1960 et entrant alors dans l’univers savant du côté des philologues, rappelle que l’espace des études indiennes auquel il fut confronté était traversé par une tension disciplinaire très forte entre philologues, philosophes et historiens de l’art, ces derniers étant globalement en position dominée au regard des deux autres groupes. Mais d’autres témoins, Français, entrés dans le champ au lendemain de la Seconde Guerre du côté des philosophes, contestent de telles oppositions et reconnaissent, au plus, de simples conflits de générations.
2Le pôle savant des études indiennes peut donc être appréhendé comme un sous-champ de production restreinte dans le champ de production des discours sur l’Inde, traversé par des clivages diversement ressentis selon la trajectoire et la position des indianistes dans cet espace. La dénégation des conflits internes au milieu érudit a pour effet, entre autres choses, de masquer les forces d’hétéronomie qui le traversent, alors même que celles-ci contribuent à rapprocher nombre de savants du pôle mondain de l’ensemble du champ.
Le capital sanscritiste
3L’accès au sous-champ de production restreinte des études indiennes est soumis à un droit d’entrée qui introduit une coupure non seulement entre les universitaires et les non universitaires, mais aussi entre les philologues et l’ensemble des autres fractions du pôle savant. L’injonction première de l’École pratique des hautes études selon laquelle nul n’y entre s’il n’est philologue, est renforcée par une seconde prescription qu’expriment Louis Finot et Alfred Foucher : « On écrirait volontiers sur la porte de la conférence des religions de l’Inde : “Que nul n’entre ici s’il n’est sanscritiste” »1 Dans les faits, il s’agit cependant d’un souhait plus que d’une réalité puisqu’au sein même des fractions les plus dotées en capital scolaire, un quart à un tiers des agents ne possèdent pas de compétences en sanscrit. Par sa distribution inégale entre les fractions savantes, cette forme de capital linguistique et les types d’objets indianistes qu’elle commande est donc une ressource discriminante au sein même du sous-champ de production restreinte dont les luttes internes s’expriment notamment par une interrogation sur le degré de maîtrise inégal de cette compétence spécifique que les concurrents manifestent.
4Pour comprendre les divisions internes à ces fractions et les effets en termes de connaissance qu’elles induisent dans l’ensemble du champ, il faut prendre en compte la tension qui affleure dans nombre de propos passés et présents2 entre trois types de position qui engagent trois modes d’approches de la langue et des textes : d’une part, celle des grammairiens qui privilégient l’étude de la langue dans ses aspects les plus techniques, d’autre part, celle des philologues, souvent proches des précédents par leur formation, mais subordonnant la compréhension des faits de langue à l’édition et à la traduction des textes et, enfin, celle des philosophes qui, travaillant en général sur des textes déjà édités, en privilégient le sens dont ils proposent une exégèse. Mais cette tension structurelle entre des types de positions inégalement reconnus par les savants selon leurs propriétés spécifiques, varie encore selon l’état du champ de production indianiste dont elle révèle les changements de configurations disciplinaires.
5Jusqu’aux années 1870, en gros, « la petite troupe des indianistes français »3, que ceux-ci s’intéressent au sanscrit ou à la grammaire comparée des langues indo-européennes, pouvait encore placer « ces deux ordres d’études sur le même rang », comme le note Abel Bergaigne. Mais à partir de la fin des années 1880, ces deux domaines tendent progressivement à se différencier à mesure que les offres d’enseignement se diversifient, au moins à Paris, et que s’affirme chacune des orientations disciplinaires. Ainsi, à la mort de Bergaigne, la chaire de langue et littérature sanscrites créée à la faculté des lettres de Paris est divisée en deux : d’une part, un cours de sanscrit, au sens large, est confié à Sylvain Lévi et, de l’autre, un enseignement dévolu à la grammaire comparée revient à Victor Henry4 élu professeur, en 1894, dans la chaire « de sanscrit et de grammaire comparée des langues indo-européennes ». Définissant les limites de son cours, il déclare alors : « La chaire de la Sorbonne, de par son titre même, exclut l’indianisme proprement dit »5. De son point de vue de grammairien, en effet, « le cours de sanscrit (...) est l’histoire des origines hindoues, en tant qu’elle éclaire la préhistoire des origines indo-européennes et qu’elles s’en éclaire à son tour »6. Aussi Victor Henry définit-il son enseignement moins par ce qu’il propose d’étudier, « le sanscrit védique, la langue des Védas, des Brahmanas et des premiers traités de philosophie », que par ce qu’il exclut : « les prâcrits, dialectes intéressants et littéraires, mais relativement modernes (...) [et] même, dans une large mesure, le sanscrit classique, ou le sanscrit du drame et de l’épopée, le seul attrayant pour l’indianiste pur (...) »7. Car, comme il le précise, ce cours vise en priorité « les futurs indo-germanistes », puis « les futurs védisants, enfin, quoique à un moindre degré, les sanscritistes purs et les indianistes proprement dits »8. Déclinant ces quatre fractions hiérarchisées à partir de la discipline reine, la grammaire comparée des langues indo-européennes, Henry définit en contenu et en extension les différentes aires de compétences linguistiques et culturelles constitutives du sous-champ de production restreinte des études indiennes à la fin du xixe siècle.
6Mais le développement des savoirs en linguistique9 et dans les études indiennes induisait une autonomisation de ces deux univers disciplinaires. À la mort de Victor Henry, en 1907, la chaire de la Sorbonne était divisée entre, d’un côté, la grammaire comparée qui revenait à Joseph Vendryès et, de l’autre, les langues et littératures de l’Inde, que prenait en charge Alfred Foucher. La position de strict grammairien reste toutefois présente au pôle de production restreinte comme en témoigne de manière exemplaire, à partir des années 1930, la trajectoire d’Armand Minard (1906-1998) : normalien (1927), agrégé de grammaire (1930) et auteur d’une thèse sur La subordination dans la prose védique. Étude sur le Satapatha Brâhmana (1936), ce professeur de sanscrit et de grammaire comparée, d’abord à la faculté des lettres de l’université de Lyon puis, après la guerre, à la Sorbonne et à la 4e section de l’EPHE (grammaire comparée), qui ne s’est « jamais intéressé à l’Inde vivante, ni à l’Inde ancienne, ni à la philosophie »10, n’a publié que des articles et des comptes rendus de pure érudition, pour la plupart dans le Bulletin de la Société de linguistique de Paris.
La division du travail d’enseignement indianiste
Alors qu’il vient d’être nommé chargé de cours de langue et de littérature sanscrites à la faculté des lettres de Paris, à la suite de la mort d’Abel Bergaigne, Sylvain Lévi, déjà maître de conférences à la 4e et à la 5e section de l’École pratique des hauts études, expose au directeur de l’enseignement supérieur, dans une lettre datée de Paris, 13 août 1889, le programme des cours d’indianisme qu’il entend développer à la Sorbonne et à l’EPHE :
« Je compte diviser ainsi mon enseignement à la Faculté : 1° un cours élémentaire d’explication, en prenant pour texte la chrestomathie de M. Bergaigne ; accompagner la traduction d’un commentaire aussi varié que possible ; donner en passant des renseignements sur la métrique, l’histoire littéraire, l’archéologie, les mœurs ; 2° un cours d’exposition sur un sujet d’histoire ou de littérature, où je me propose de montrer comment ces études si spéciales en apparence peuvent contribuer au développement général de l’intelligence. Je laisse à l’École des Hautes Études l’enseignement supérieur de l’indianisme, réservé aux auditeurs déjà préparés ; j’y traite en détail, avec le concours actif des élèves, une question spéciale, par exemple la métrique cette année. Quant à la section des Sciences religieuses, elle a un caractère si net, si spécial, que je n’ai pas besoin de préciser la nature de mes conférences ; fidèle à la méthode que j’ai acquise aux cours de l’autre section, alors que j’en étais l’élève, je prends pour base un texte religieux, et c’est au moyen d’une explication précise, serrée, rigoureuse que je tâche de faire ressortir les traits essentiels, les caractères généraux de la religion qui nous occupe »11.
7La littérature sanscrite, depuis le milieu des années 1880, était étudiée à la 4e et à la 5e section de l’École pratique où les enseignements étaient alors assurés par la même personne, Sylvain Lévi. Mais les cours de langues anciennes relatifs au monde indien étaient dispensés dans la chaire de sanscrit de la section des sciences historiques et philologiques. Accueillant aussi des élèves se préparant « aux études de grammaire comparée »12, ces cours de langues visaient d’abord à susciter « une vocation plus ou moins persistante pour la philologie indienne », puis à donner accès à l’étude des faits historiques et culturels de l’Inde classique. La langue sanscrite n’est toutefois qu’une des composantes du capital linguistique indianiste mobilisé pour cette tâche par les savants. Parmi les autres composantes requises pour étudier l’histoire de l’Inde ancienne, ceux-ci doivent encore se doter de la connaissance des langues propres à la philologie bouddhique. On désigne ainsi l’étude du bouddhisme fondée sur la confrontation de toutes les sources bouddhiques littéraires et épigraphiques, que les textes proprement dits soient en sanscrit, en pâli, en tibétain, en chinois, en japonais ou en d’autres langues centrasiatiques, notamment le tokharien ou le ouïgour. À ces sources textuelles, les indianistes ajoutent les matériaux iconographiques et archéologiques, particulièrement riches dans le cas du bouddhisme, et dont l’étude complète la compréhension des textes. La détention d’un capital philologique spécifique commande donc également les études d’art et d’archéologie du monde indien.
8Cette alliance disciplinaire a été initiée, à partir des années 1890, par les travaux d’Alfred Foucher. Né en 1865, à Lorient, dans une famille d’enseignants, normalien et agrégé de lettres, Alfred Foucher apprend le sanscrit avec Sylvain Lévi. Sous la direction de celui-ci, il s’oriente vers l’étude de l’iconographie bouddhique13 dans des miniatures légendées ; à l’occasion d’une mission dans le sous-continent indien, en 1895-1897, il élargit ses recherches aux monuments figurés de l’Inde médiévale, notamment à l’art gréco-bouddhique du Gandhara ; enfin, il s’engage dans l’exploration archéologique créant en 1922, à la demande du gouvernement afghan, la Délégation archéologique française en Afghanistan (DAFA)14. Ce type de double compétence, philologique et iconologique, enrichie par une expérience archéologique acquise sur le terrain, caractérise également Joseph Hackin dont la trajectoire accompagne celle de Foucher. Hackin prépare d’abord pour son diplôme de l’EPHE l’édition et la traduction d’un Formulaire sanscrit-tibétain du xe siècle, qu’il publie en 1924 puis, dans sa thèse d’université parue en 1916, il étudie Les scènes figurées de « La vie du Buddha » d’après les peintures tibétaines, enfin, il participe en Afghanistan aux fouilles de la DAFA dont il assume la direction de 1934 à 1940. Ainsi, à l’initiative de Sylvain Lévi, les études indiennes ont pris une telle ampleur scientifique à l’EPHE, au début des années 1920, que celui-ci peut alors prétendre réunir autour de lui « la tribu du sanscrit-pâli avec les clans alliés »15.
À la demande de Sylvain Lévi, Édouard Specht s’était vu confié à la 4e section de l’EPHE, en 1892, une conférence de sanscrit-chinois dans laquelle il étudiait des ouvrages chinois relatifs à l’Inde ou traduits du sanscrit en chinois. Après la mort de ce dernier, en 1906, Sylvain Lévi élargit son enseignement à la langue tibétaine afin d’étudier le bouddhisme du Mahâyâna qui s’est diffusé dans les pays du nord de l’Inde, en particulier en Chine et au Tibet. En quelques années, son cours devint « une institution régulière »16 à laquelle se joignit Jacques Bacot. À la même époque, Sylvain Lévi et Louis Finot font une place importante à l’étude du pâli, langue qui commande la connaissance du bouddhisme du Hinâyâna, diffusé dans les pays du sud de l’Inde, à Ceylan et en Indochine, en particulier au Cambodge où travaillent Suzanne Karpelès et d’autres membres de l’EFEO. La collecte en Asie centrale, notamment par l’orientaliste britannique d’origine hongroise, Aurel Stein, puis par Paul Pelliot, de manuscrits bouddhiques en langue ouïgour, engage encore Sylvain Lévi17 à organiser, en 1909-1910, un séminaire de turc oriental réunissant autour de lui Jean Deny, professeur de turc à l’École des langues orientales, Robert Gauthiot, spécialiste de grammaire comparée à la 4e section de l’EPHE et Paul Pelliot, de retour du Turkestan chinois. Le sanscrit védique, délaissé par Sylvain Lévi, est repris par Louis Renou dans les conférences dont il est chargé à partir de 1928-1929. Enfin, si aucune chaire de la 4e section de l’EPHE n’est alors dévolue aux littératures en langues modernes de l’Inde, celles-ci fournissent néanmoins la matière de plusieurs cours de Jules Bloch dès 1908-1909, et de Louis Finot en 1913-1914, tous deux prenant notamment pour objet d’étude la langue et la littérature bengalies. Au total, si l’on se fonde sur le programme des cours et des conférences proposés par l’Institut de civilisation indienne pour l’année scolaire 1933-1934, on dénombre : 34 cours principaux portant sur le monde indien au sens large, dont 20 sont consacrés aux langues et littératures anciennes, 5 aux langues et littératures modernes, 4 à l’art et à l’archéologie, 2 à l’islam, 2 à l’influence de l’Inde dans la littérature française et, enfin, un dernier cours porte sur l’étude critique des publications récentes ; en outre, 13 conférences d’initiation sont ouvertes « aux étudiants non indianistes », dont 3 portent respectivement sur l’ « histoire de l’Inde ancienne », sur « la société indienne » et sur l’ «Inde moderne », les 10 autres conférences exposant les grands traits de la civilisation, des systèmes religieux et des littératures.
9Ce développement des enseignements indianistes requit très tôt, au sein de la 4e section, l’organisation de deux conférences distinctes, dont Louis Finot précise ainsi les programmes : « l’une de caractère grammatical, littéraire et bibliographique, destinée à initier les étudiants à la connaissance de la langue et de la littérature sanscrites ; l’autre, consacrée à l’étude approfondie de la civilisation indienne sous tous ses aspects et dans toute son extension géographique (...)18. » Cette seconde conférence trouvait son prolongement dans les séminaires de la 5e section dévolus aux religions de l’Inde et dans les cours publics du Collège de France dispensés par Sylvain Lévi.
10Dans la première moitié du xxe siècle, la moins grande division du travail d’érudition indianiste, le nombre limité des spécialistes et la polyvalence de leurs compétences, expliquent que quelques savants et leurs élèves diplômés circulent dans les mêmes chaires comme suppléants, contribuant à créer le sentiment d’appartenance à un univers familier, unis autour de maîtres partageant les mêmes formations, les mêmes principes méthodologiques, les mêmes visées intellectuelles. En 1895-1897 et en 1905-1907, par exemple, Louis Finot remplace Alfred Foucher, maître de conférences à la 5e section, alors en mission en Inde, tandis que ce dernier remplace Sylvain Lévi au Collège de France, en 1897-1898, puis Louis Finot à la 4e section, en 1898-1899, lorsque ces derniers sont à leur tour en mission en Asie ; en 1900-1902, Marcel Mauss assume pendant deux années les cours de sanscrit de Foucher qui dirige alors l’EFEO à Hanoi ; au Collège de France, Jules Bloch et Louis Renou sont les suppléants de Sylvain Lévi, respectivement en 1919-1920 et en 1927-1928, lorsque ce dernier est détaché à l’université de Strasbourg, au lendemain de la Première Guerre mondiale, puis directeur de la Maison franco-japonaise qu’il vient de fonder à Tôkyô, et dont Foucher est venu assurer un bref intérim avant l’arrivée de Lévi.
En se fondant sur les résumés des cours publiés dans les annuaires de l’École pratique des hautes études et du Collège de France, on peut dégager la structure des enseignements indianistes dispensés dans la première moitié du xxe siècle. Les débutants inscrits au cours intitulé « éléments de sanscrit classique » font leur apprentissage, d’abord, dans le Manuel pour étudier la langue sanscrite d’Abel Bergaigne (1884): la chrestomathie, le lexique et la grammaire, composés à l’intention de « ceux qui veulent prendre une idée du sanscrit en vue des études de grammaire comparée », plongent l’élève dans la version, les sentences morales et les stances poétiques proposées, souvent ardues, requérant de ce dernier un effort assez considérable, comme le reconnaît Louis Renou. Aussi, dans les Éléments de sanscrit classique, publié en 1902, Victor Henry propose aux débutants « une initiation plus aisée », avant que ces derniers n’étendent leurs connaissances à l’aide du Manuel pour étudier le sanscrit védique (1890), préparé conjointement par Abel Bergaigne et Victor Henry, et du Précis de grammaire pâlie (1904) rédigé par ce dernier. Des missions qu’ils font en Inde, les sanscritistes rapportent plusieurs ouvrages didactiques destinés aux futurs pandits indiens, notamment le Tarka-samgraha d’Annambhatta, manuel de logique exposant la doctrine du Nyâya-Vaisheshika, et dont Alfred Foucher a proposé la traduction sous le titre, Le Compendium des Topiques (1949). Munis des premiers rudiments de la langue sanscrite, les élèves peuvent alors suivre avec profit l’étude des textes qui les introduisent aux différents univers des savoirs hindous retenus chaque année par le professeur qui traduit et commente les extraits d’œuvres sélectionnées. Celui-ci peut encore présenter aux élèves les plus avancés l’étude de documents épigraphiques ou l’analyse de traités techniques plus ardus, comme la grammaire de Pânini ou des textes canoniques du bouddhisme. En l’absence de manuel et d’ouvrage de synthèse, Sylvain Lévi est conduit, à plusieurs reprises, à faire un cours magistral sur les littératures de l’Inde de l’époque védique à l’âge classique, à esquisser l’histoire et la géographie de l’Inde ancienne ou même, en 1925-1926, à présenter « un tableau de l’Inde actuelle en commentant le rapport général sur le dernier recensement ». Les savants indiens de passage à Paris sont invités à faire des exposés dans les conférences de l’EPHE, comme l’anthropologue Ananthakrishna Aiyar venu en 1933-1934 présenter l’ethnographie de l’Inde méridionale. Enfin, des cours d’ordre bibliographique et méthodologique, communs à la 4e et à la 5e section, réunissent les maîtres et les élèves pour discuter des publications récentes et des problèmes afférents.
La défense des clercs
11L’émergence des sciences des religions au Collège de France et à l’École pratique des hautes études et le développement des études dévolues aux religions orientales, suscitèrent une offre concurrente au sein de l’Institut catholique. L’école de théologie19, d’abord attachée à la maison des Carmes20 puis organisée en faculté, en 1889, regroupant trois sections, la théologie proprement dite, la philosophie et le droit canonique, devint le lieu privilégié des ces enseignements qui entendaient s’opposer au rationalisme de la nouvelle Sorbonne. Face aux attaques de la science laïque, l’l’Église se devait de défendre, de son point de vue, l’unité de la science catholique. Celle-ci était en effet réaffirmée, en 1879, dans l’encyclique Æterna Patris de Léon XIII, qui replaçait au premier plan de la pensée ecclésiale le système théologico-philosophique de saint Thomas d’Aquin21.
« Opposer enseignement à enseignement »22
« Le rationalisme, aujourd’hui plus que jamais, redouble d’effort pour arracher la foi des âmes. (...) Il est certaines religions de l’Extrême-Orient que l’on affirme égaler la nôtre, sinon même la dépasser en beautés dogmatiques et morales. Abusant de la connaissance des langues de l’Inde ancienne, nos adversaires traduisent et surtout commentent à leur fantaisie les livres réputés sacrés du Brahmanisme et du Bouddhisme où ils affectent de retrouver avec tous nos dogmes : la Trinité, l’Incarnation, la Rédemption, etc., tels que nous les entendons nous-mêmes, la plupart de nos traditions. C’est ainsi qu’ils prétendent voir l’Évangile presqu’entier dans l’histoire de Krishna et de Bouddha dont ils réclament sérieusement l’antériorité. Une science et souvent un talent non moins incontestables que leur haine et leur mauvaise foi, leur permettent de troubler bien des âmes, surtout parmi les jeunes gens qu’ils séduisent et auxquels ils font perdre la foi lorsqu’ils ne les enfoncent pas encore plus avant dans une précoce incrédulité.
Déjà cet enseignement perfide est distribué dans un grand nombre d’universités, dans les établissements secondaires et l’on prévoit le jour prochain de sa diffusion dans les écoles primaires, de sorte que non seulement il atteindra l’élite des jeunes intelligences mais qu’il pénétrera aussi les masses populaires et se répandra ainsi dans toutes les couches de la société. Au poison il est nécessaire d’opposer le remède. (...) Il est donc urgent d’opposer enseignement à enseignement par la création dans les universités catholiques, et plus tard dans les autres institutions, de chaires d’histoire des Religions, mais d’avoir au moins un certain nombre de professeurs versés dans la connaissance des principaux idiomes de l’Extrême-Orient, capables, par suite, de donner de ces textes une interprétation exacte. Ces traductions, mises à la disposition de tous, permettront à tous de contrôler les dires de nos adversaires. Le Brahmanisme et le Bouddhisme sont les deux religions que l’on compare le plus habituellement au Christianisme. Les moins déloyaux des ennemis de notre foi renoncent assez volontiers à l’hypothèse d’emprunts faits par celui-ci à celle-là ; ils se contentent de rapprocher, en les exposant à leur manière, doctrine et doctrine, culte et culte, cela pour donner par exemple la préférence aux dogmes brahmaniques sur les nôtres et à la morale bouddhique sur celle de l’Évangile. Cet enseignement exige, outre l’étude sérieuse des dialectes dans lesquels sont écrits les livres religieux de l’Inde et des autres contrées de l’Extrême-Orient, étude qu’on ne peut demander qu’à un nombre limité de professeurs, la connaissance approfondie de notre religion elle-même, c’est-à-dire de la philosophie et de la théologie traditionnelle, science que l’on est en droit de réclamer, cette fois, non seulement d’une partie mais de la totalité des professeurs chargés de cet enseignement. »
12Dès 1880, l’abbé Auguste Paul de Broglie23, chargé d’un cours d’apologétique chrétienne à l’Institut catholique, élargit son domaine d’étude aux religions de l’Inde et de l’Extrême-Orient : en 1881-1883, il traite successivement des « peuples indo-européens de la branche orientale » et de leurs religions, notamment « le brahmanisme de l’Inde, le Zoroastrisme des Perses »24, avant d’aborder l’étude du bouddhisme au Tibet et en Chine. Cette tentative s’inscrit dans un effort collectif des clercs pour organiser la vie scientifique catholique selon les modalités prévalentes dans le champ universitaire laïc auquel ils s’opposent. Le premier Congrès scientifique international des catholiques se tient à Paris en 1888 : la section dévolue aux « sciences historiques, histoire des religions », organisée par l’abbé Paul de Broglie et monseigneur Charles de Harlez25, professeur de sanscrit à l’université catholique de Louvain, met à son programme, notamment, l’étude des « ressemblances entre les religions de l’Inde moderne (en particulier le culte de Krishna) et le christianisme »26, tandis que le père Van den Gheyn, secrétaire de la section des « sciences anthropologiques », présente une communication sur « L’origine européenne des Aryas »27. Un second congrès est organisé à Paris, en 1891, auquel participent Gérard Devèze et l’abbé Alfred Roussel : le premier, diplômé de l’École des langues orientales, présente une communication sur « Les langues et la littérature du sud de l’Inde », et le second sur « L’incarnation dans le Bhâgavata-Purâna »28. Pour sa part, l’abbé Zéphyrin Peisson (1843-1897) dresse un « État actuel de la science des religions »29 en France et dans les autres pays européens, développant plusieurs notes parues en 1889 dans le premier numéro de la Revue des religions qu’il vient de fonder : face à la Revue de l’histoire des religions de Maurice Vernes, l’abbé Peisson entend « faire de la science des religions comparées l’apologie du christianisme »30.
13Les travaux de l’abbé de Broglie représentent, dans la seconde moitié du xixe siècle, l’une des premières réactions catholiques méthodiques pour s’opposer, sur le terrain des nouvelles sciences humaines, à l’emprise du positivisme31. Né en 1834, ce polytechnicien ordonné prêtre en 1870 s’efforce d’inventer une nouvelle position catholique dans l’histoire comparée des religions32. D’une part, il s’oppose à l’école traditionaliste de Lamennais et de Bonald qu’il renvoie au passé, de l’autre, il réfute les théologiens protestants libéraux, comme Cornelius Tiele de l’université de Leyde, qui, selon lui, réduisent la religion à sa dimension psychologique, enfin, il récuse les travaux de Renan qui exclut la révélation surnaturelle du fait religieux, à l’instar de tous les rationalistes, tandis que l’abbé de Broglie installe celle-ci au centre de son apologétique. Les Annales de philosophie chrétienne résument alors clairement l’enjeu idéologique de ces efforts :
« Il s’agit de porter vivement le flambeau de la vérité philosophique du christianisme dans le domaine des sciences humaines pour empêcher la raison, outrepassant ses droits ou désespérant de ses forces, de faire des données de la science une arme également perfide et dangereuse contre la philosophie et contre la foi »33.
14La pratique de l’histoire comparée des religions de cette génération de clercs était toutefois limitée par l’absence de compétences linguistiques et philologiques, notamment en sanscrit et en chinois, les privant d’un accès direct aux textes de l’hindouisme et du bouddhisme. Dans les années 1880, ces clercs n’ont d’autres alternatives que de venir se former à l’École pratique des hautes études dont ils récusent cependant l’idéologie, avant qu’un enseignement concurrent de langue sanscrite ne soit introduit à l’Institut catholique. Si les convictions apologétiques restent déterminantes pour orienter les premiers clercs vers les études orientalistes, leur intérêt pour le monde non chrétien s’inscrit toutefois en rupture avec un milieu ecclésial marqué par une incompréhension quasi-totale des religions orientales34. On peut analyser le caractère ambivalent de ce type d’entrée dans les études indiennes savantes en s’appuyant sur le témoignage précieux de l’abbé Roussel qui est arrivé à la 4e section de l’EPHE en 1887, un an avant la disparition d’Abel Bergaigne.
15L’abbé Alfred Roussel35 (1849-1921), est issu d’une famille modeste originaire de Saint-Méloir-des-Ondes, en Ile et Vilaine, où son père tenait une boucherie. Après sa classe de rhétorique au collège de Saint-Malo, Alfred Roussel entre en 1869 au grand séminaire de Rennes ; il est ordonné prêtre en 1873 puis occupe plusieurs postes de vicaire avant d’intégrer l’Oratoire de France (ordre qui se consacre à l’étude et à la prédication) en 1887 à Rennes. Dès son entrée dans cette congrégation, il déclare vouloir s’engager dans l’étude du sanscrit «à corps perdu »36 et obtient l’autorisation de s’inscrire à la 4e section de l’EPHE, à l’automne 1887, comme élève auditeur du cours de Bergaigne. L’abbé Roussel rapporte ainsi les raisons qui ont présidé au choix de cette langue dont il ignorait tout, et qui lui fut recommandée par l’un de ses supérieurs de Rennes, soulignant que dans ce domaine d’étude « la place est encore à prendre »37 :
« M. désire vivement que je pénètre ainsi dans les secrets de ces livres consacrés à la gloire de Bouddha et que certains savants hostiles au Christianisme veulent opposer à l’Évangile qui, à les entendre, n’en serait qu’une seconde édition. Il s’agirait de les réfuter, en se plaçant sur leur terrain même, c’est-à-dire en feuilletant ces mêmes livres qu’ils ne croient intelligibles que pour eux. Jusqu’ici, les Catholiques se sont montrés bien neufs dans l’interprétation du bouddhisme ; cela provient de l’ignorance où ils se trouvaient du sanscrit. (...) Cependant, pour parler sans ambages et sans figure, je suis persuadé que, plus seront nombreux les Catholiques prêts à repousser les attaques des libres penseurs, plus ces derniers seront discrets et réservés (...). Enfin, (...) je ne suis point tenu à la victoire mais au combat ; (...) il me suffit de garder mon poste et de toujours faire face à l’ennemi »38.
16De telles dispositions intellectuelles et idéologiques, qui s’opposent alors à celles prévalentes à la nouvelle Sorbonne vilipendée par les catholiques pour l’esprit rationaliste et critique de ses professeurs, expliquent les résistances de l’abbé Roussel à l’enseignement qu’il reçoit, et dont témoigne son hostilité première envers Bergaigne qu’il trouve « revêche », traite de « sot » et soupçonne même de « charlatanisme »39. Tout oppose en effet ce catholique au parcours scolaire modeste, lecteur assidu de Brunetière et de la Revue des deux mondes, à « ces pauvres savants libres penseurs » qui écrivent plutôt dans la Revue Bleue, se piquent d’athéisme et ont abandonné toute « foi pratique », comme l’atteste leur attitude lors du service funéraire qui les réunit à Saint Sulpice, en 1888, à l’occasion de la mort du sanscritiste Hauvette-Besnault auquel l’abbé Roussel s’était lié d’amitié par l’entremise de Bergaigne40.
17Dans ces conditions, tout se passe comme si le succès de l’inculcation d’un habitus érudit orientaliste supposait une conversion de ce clerc aux valeurs de la philologie enseignée à l’EPHE, engageant à la fois un nouveau regard porté sur ses nouveaux maîtres et une prise de distance avec son milieu ecclésial d’origine. D’abord, après quelques semaines d’étude, la Chrestomathie sanscrite de Bergaigne emporte la reconnaissance de l’abbé Roussel qui juge ce manuel « très instructif ». Ensuite, l’enseignement du professeur requiert de l’élève une remise de soi au maître auquel il accorde sa confiance par une sorte de fidéisme explicite : « je veux lui vouer l’obéissance absolue, aveugle qu’il réclame ; je verrai s’il finira par m’engager ailleurs que dans une impasse »41, confie l’abbé Roussel. Et après quelques mois, le transfert opérant, il avoue : « Bergaigne est un professeur étonnant : il sait intéresser au plus haut point ses disciples, même ceux qui comme moi ne peuvent l’entendre qu’à distance »42. La mort accidentelle de Bergaigne, en août 1888, peu de temps après la disparition d’Hauvette-Besnault, achève le processus de conversion de l’abbé Roussel à la science philologique dispensée à l’EPHE. Il est vrai que celui-ci a rencontré des enseignants qui n’avaient peut-être pas complètement perdu la foi, comme le lui confiait le sanscritiste Victor Henry43. Mais, surtout, l’accord semble pouvoir se faire entre croyants et non croyants au nom d’un idéal de vérité scientifique qui s’impose à tous, et sans pour autant qu’en soient exclus « les salutaires arômes du spiritualisme le plus convaincu et, chez quelques-uns, du christianisme le plus sincère »44.
« Ces professeurs (...) se constituèrent les avocats opiniâtres de la vérité, sans regarder d’un autre côté, mais s’avançant droit devant eux, à la conquête de la science digne de ce nom ; ils ignoraient les compromis : les partis pris leur demeurèrent toujours étrangers ; tout ce qu’ils savaient de vérité, ils le proclamaient bien haut ; le reste ne leur inspirait qu’indifférence ou mépris. Ceux d’entre eux qui ne partageaient pas les croyances religieuses des autres, n’étaient pas de moins bonne foi qu’eux45. »
18Progressant dans l’étude du sanscrit, l’abbé Roussel se voit alors confier par Emile Senart, en 1892, la tâche d’achever la traduction du 5eet dernier volume du Bhâgavata Purâna dont Eugène Burnouf avait publié les quatre premiers, Hauvette-Besnault ayant ensuite entrepris d’achever ce travail, de nouveau interrompu par la mort de ce dernier. Se plaçant sous la direction bienveillante de Sylvain Lévi, avec lequel il s’est lié d’amitié après la mort de Bergaigne, Alfred Roussel complète alors le manuscrit d’Hauvette-Besnault. Il reprend les ébauches de traduction des livres XI et XII et mène à bien celle du livre final. En 1898, le dernier volume du Bhâgavata Purâna ou Histoire poétique de Krîchna paraît enfin, achevant cette publication engagée en 1840.
19Mais l’insertion de l’abbé Roussel dans les institutions de la science laïque était mal perçue dans le milieu ecclésial : sa position double qui lui fait espérer un poste d’enseignant dans l’une ou l’autre des institutions auxquelles il participe, le place en porte-à-faux. À la fin des années 1880, l’Institut catholique avait sollicité le jésuite Van den Gheyn pour donner des cours de sanscrit et de grammaire comparée à l’École des Carmes. Ce bollandiste belge (né en 1854), venu à Paris pour s’initier au syriaque, accepta cet enseignement concurrent des cours de l’EPHE, qui devait susciter des vocations d’orientalistes catholiques. Pressenti pour lui succéder, en 1891, l’abbé Roussel se heurte alors à une vive opposition de certains de ses supérieurs qui lui reprochent ses liens avec la 4e section de l’EPHE, et plus encore avec un sanscritiste juif. Mais ne « voulant pas renoncer à l’amitié d’un homme loyal et dévoué comme Sylvain Lévi »46, il est écarté du poste de l’Institut catholique. Ce refus marque une prise de distance de l’abbé Roussel d’avec son milieu ecclésial. Lors du second Congrès des intellectuels catholiques auquel il participe, en 1891, il avoue son désintérêt relatif pour les débats qui s’y déroulent, ayant « autre chose à faire que d’écouter des gens qui n’entendent qu’eux »47. Car les combats strictement apologétiques de l’abbé Peisson, qui ne possède aucune compétence dans une langue orientale, ne lui semblent pas accordés à l’état présent de l’érudition orientaliste. Si sa lucidité tient à une part de ressentiment, Alfred Roussel reconnaît qu’il doit sa formation d’indianiste à ses maîtres de l’EPHE et non à l’Institut catholique : « L’École des Carmes, sans parler de son voisin, l’Institut catholique, ne m’est rien ; je ne lui dois rien, et je n’ai rien non plus à espérer d’elle. Je ne l’oublierai pas, surtout s’il me faut jamais opter entre elle et la Sorbonne. Ah ! Ces braves gens ! Comme ils sont quantité négligeable ! Le néant semble leur lot dès ce monde »48.
20Au tournant du siècle, le volontarisme des recteurs de l’Institut catholique de Paris, soucieux d’organiser un enseignement régulier de sciences des religions non chrétiennes, n’a pas suffi pour réunir une offre universitaire à même de rivaliser avec l’École pratique des hautes études. Les clercs, soumis à l’autorité de l’Église et condamnés à se défendre contre les assauts conquérants des tenants du positivisme et de la critique historique dans les sciences humaines, peinaient à susciter une vie académique comparable en vitalité à celle des laïcs49. La difficulté de recrutement d’un enseignant de sanscrit et de grammaire comparée à l’Institut catholique, dans les années 1890, témoigne de la rareté des agents ecclésiaux alors dotés de ce type de compétences. De fait, la majorité des collaborateurs de l’abbé Peisson à la Revue des religions, au moins pour l’Inde et l’Extrême-Orient, à l’exception de Charles de Harlez, sont des missionnaires ou des voyageurs polygraphes dépourvus de toutes ressources philologiques, comme Henri Castonnet des Fosses, vice-président de la Société de géographie commerciale, auteur de nombreux articles sur le brahmanisme et la religion au Japon. Faute de disposer des atouts nécessaires pour susciter une demande d’orientalisme catholique érudit, les groupes mobilisés durent prendre appui sur les institutions religieuses francophones extérieures à l’espace national. Ainsi, en 1896, l’abbé Peisson est conduit à fondre son périodique avec le Muséon, revue orientaliste savante fondée en 1881 par Charles de Harlez à l’université catholique de Louvain. De son côté, l’abbé Roussel est nommé, en 1902, professeur de sanscrit et de littérature indienne à l’université catholique de Fribourg, en Suisse, réputée pour son enseignement du thomisme, et où il prépare la traduction du Râmâyana de Valmiki50. La position de ce défenseur de l’orientalisme catholique s’est trouvée renforcée par l’arrivée à Fribourg du dominicain Bernard-Marie Allo51 nommé, en 1905, professeur d’exégèse du Nouveau Testament. Allo est en effet responsable du Bulletin d’histoire des religions au sein de la Revue des sciences philosophiques et théologiques et, dans ce cadre, il recense et au besoin dénonce les ouvrages qui paraissent dans le domaine des études orientalistes et de l’ésotéro-occultisme ; ainsi dans Plaies d’Europe et baumes du Gange, publié en 1911, il critique l’engouement pour les religions orientales.
21L’échec de l’abbé Peisson amena l’Institut catholique de Paris, en 1907, à scinder les deux enseignements jusqu’alors confondus : l’apologétique et l’histoire des religions52, celle-ci étant considérée comme la discipline auxiliaire de celle-là. Durant une dizaine d’années, toutefois, l’histoire des religions orientales fut confiée à des conférenciers extérieurs à l’Institut et l’enseignement limité à quelques cours annuels : en 1908, le sanscritiste belge Louis de La Vallée Poussin, un laïc de l’université de Gand, dispensa une série de leçons sur le bouddhisme53, tandis que les abbés Augustin Boyer et Alfred Roussel54 étaient sollicités, dans les années 1910, pour intervenir sur la religion védique, sur l’hindouisme, sur le bouddhisme encore, et aussi sur la théosophie.
22Mais les raisons de cet échec, quant à l’ambition de concurrencer l’université laïque, tiennent aussi, plus généralement, à la position dominée de l’Église dans le champ politique à la veille de la loi de séparation avec l’État de 1905, qui a entravé l’émergence d’une demande de savoirs dans cet univers d’études. Les fractions catholiques libérales de la bourgeoisie qui auraient pu soutenir les projets de l’Institut catholique de Paris, ont accepté les choix républicains et défendu auprès de l’Église la loi de séparation ; en témoigne l’appel initié par Brunetière et signé par 23 catholiques éminents qualifiés de « cardinaux verts » en raison de leur appartenance, pour moitié d’entre eux, à l’Institut, comme le sanscritiste Émile Senart55. Reconnaissant politiquement l’état de droit issu de la Révolution française, ces fractions libérales, acquises pour certains aux méthodes de la critique historique, étaient plutôt portées vers l’université laïque que vers l’Institut catholique, fût-ce dans un domaine d’études aussi controversé que les sciences des religions. L’abbé Alfred Loisy fut ainsi accueilli à l’École pratique des hautes études, après sa condamnation par le Vatican, puis au Collège de France. Dans ces conditions, on comprend que les enjeux intellectuels et idéologiques se soient redéployés à l’Université où nombre de professeurs restaient attachés à leur foi catholique d’origine.
On peut illustrer ce type de position catholique au sein du pôle savant des études indiennes par la trajectoire du père Auguste-Marie Boyer56 (18 50-1938). Né à Vannes où son père était professeur d’hydrographie, Boyer a fait ses études secondaires au collège diocésain de Nantes avant d’entrer au noviciat des jésuites à Angers, en 1870 puis, l’année suivante, à celui de Saint Acheul, à Amiens, où il fait des études littéraires. En 1872, il rejoint l’école Sainte-Geneviève, à Paris, et y étudie les mathématiques pendant trois ans, avant de compléter sa formation par des études de philosophie, de 1875 à 1877. Après deux années passées dans l’enseignement secondaire, Boyer intègre en 1881 le noviciat de Jersey où il étudie la théologie jusqu’en 1886 (il est ordonné prêtre en 1884), passant encore sa dernière année de formation jésuite, en 1886-1887, en Grande-Bretagne. À son retour, il exerce divers ministères à Paris et s’oriente alors vers les études indiennes, venant se former à l’érudition orientaliste à l’EPHE. Le premier travail du père Boyer, publié dans le Journal asiatique en 1897, s’inscrit dans le chantier que Sylvain Lévi ouvrait alors sur l’histoire des Indo-Scythes, population dont les souverains ont dominé l’Inde du Nord autour de l’ère chrétienne. Cet article porte sur la datation de l’ère Çaka qui marque l’avènement (en 78 selon Boyer) du souverain Kanishka converti au bouddhisme. Ce travail lui vaut la reconnaissance de ses pairs et cette même année, en 1897, il devient membre de la Société asiatique ; vingt ans plus tard, en 1917, il entre au conseil de cette société. À partir des années 1900, il collabore avec Emile Senart et le sanscritiste britannique E.J. Rapson à l’édition des documents collectés par Aurel Stein en Asie centrale. Ses études épigraphiques, paléographiques et philologiques ressortissent toutes exclusivement à l’érudition indianiste. Auguste-Marie Boyer, qui fut nommé en 1928 membre du conseil scientifique du nouvel Institut de civilisation indienne, n’a occupé aucune position universitaire ; il n’a publié aucun ouvrage de synthèse ou à destination du grand public, et si le père Mainage mentionne les cours que donna le père Boyer à l’Institut catholique de Paris, ceux-ci ne semblent pas avoir donné lieu à une publication.
Études indiennes et voies du salut
La richesse de ce témoignage individuel sur un mode d’entrée dans l’univers savant des études indiennes tient à la densité des éléments qu’il condense pour rendre compte d’une expérience subjective dont les conditions de possibilité sont rarement objectivées. L’auteur, d’abord, est une femme dont la culture chrétienne et plus encore la pratique régulière de la méditation et de l’ascèse l’ont prédisposée à la rencontre qui s’annonce. Elle évoque ensuite deux des personnalités indiennes, Gandhi et Tagore, dont les figures sont hautement chargées en spiritualité, particulièrement en France dans l’entre-deux-guerres ; puis vient la médiation d’un auteur et d’un ouvrage, René Grousset dont la philosophie chrétienne revendiquée rencontre les attentes de sa lectrice. Il y a encore le moment de la rencontre, l’automne, et le dilettantisme de l’instant, qui suggèrent la mélancolie, la disponibilité ; enfin reste le lieu, le musée Guimet, où l’art religieux rencontre la religion de l’art oriental. Mais alors qu’on attendrait l’évocation d’une vision chargée d’une émotion esthétique ou religieuse, l’auteur rompt avec cette représentation trop lourde d’affect pour rester sur le terrain de la « certitude intérieure », de la conversion intellectuelle aux études orientalistes qui lui offrent alors le salut par la voie de la connaissance.
« Comme “ouverte” par la méditation chrétienne, par une certaine ascèse, par une grande habitude de la solitude dans la nature aussi bien que dans une foule, j’ignorais tout de la pensée indienne – n’étaient les immenses mouvements contemporains de Gandhi et de Tagore – quand un appendice du Bilan de l’Histoire de René Grousset57 m’apprit l’existence du musée Guimet. Revenant de plusieurs mois de solitude en Haute Provence, j’entrai, un après-midi d’automne, très en dilettante, dans la grande salle khmère. Frontons et linteaux restaient muets pour le non-initié, mais dès le premier pas dans la salle, un silence d’une qualité, d’une nature inconnue m’envahit. À droite, quelques “rondes-bosses” pré-angkoréennes. Une statue du Buddha : intéressante. Puis, machinalement, comme trop souvent hélas au cours d’une visite de musée, mon regard tomba sur la suivante. Avant même de la “voir”, il me sembla que tout mon être était déraciné, sans secousse ni brisure, mais comme arraché par l’action d’une force inouïe. Nulle émotion esthétique (...). Nulle émotion religieuse ou “mystique” au sens vulgaire du terme. Une certitude soudaine, absolue : mon esprit demande ce qu’exprime cette face, comme la plante demande le soleil. En même temps, une expérience étonnante au plan de la volonté : la certitude intérieure m’était donnée que certaines luttes morales et spirituelles où s’épuisait ma jeunesse étaient révolues, parce qu’à ce moment précis m’était comme donnée la maîtrise de la volonté. Les années devaient vérifier l’authenticité de cette intuition. Tout cela fut plus rapide que les mots. Alors, comme en un éveil, je vis la Face du Buddha. (...) Une telle expérience ne suffirait pas à une “conversion”. Je n’y songeai pas même, ne préjugeai de rien, étudiai. Le Milindapañha, le Saddharma pundarîka, le Visuddhimagga, firent grande impression sur mon esprit – plus peut-être que les Nikâya. Mais c’est surtout l’Abhidharmakosha de Vasubandhu, expliqué à l’École des Hautes Études, qui me marqua définitivement, ainsi qu’une approche de la doctrine Mâdhyamika. » Sramanerikâ Dharmaraksitâ [Denise Delannoy], « Face aux Trois Refuges. Quelques aspects d’une conversion au Bouddhisme », dans René de Berval (dir.), Présence du Bouddhisme, Paris, Gallimard, 1987 (1re éd. 1959), p. 190-192.
Philologues et philosophes
23Lorsqu’on sait la part accordée à l’étude des langues et des littératures anciennes dans les enseignements indianistes organisés autour de l’Institut de civilisation indienne, on comprend le poids déterminant pris par le capital philologique, et par la langue sanscrite en particulier, pour orienter les trajectoires et déterminer les choix d’objet de recherche. Les agrégés de grammaire ou de lettres qui accèdent à cet univers sont d’autant plus prédisposés par leurs compétences scolaires à se diriger vers l’étude des aspects les plus techniques des langues, notamment du sanscrit védique, que les spéculations sur le langage occupent une place d’importance dans la culture de l’Inde ancienne. Parce qu’ « être fidèle à l’Inde, c’est d’abord penser en grammairien »58, comme le note Louis Renou, les études indiennes offrent l’exemple privilégié d’un univers savant où les propriétés sociales d’une fraction des agents les plus hauts dans la hiérarchie scolaire sont en affinité avec les propriétés intellectuelles des plus éminentes de l’objet d’étude qu’ils choisissent autant qu’ils sont choisis par celui-ci.
24Dans un état du champ universitaire où la grammaire comparée et la philologie sanscrite se sont autonomisées en termes de discipline, cette rencontre spécifique entre des déterminations sociales d’ordre externe et des déterminations gnoséologiques d’ordre interne à l’objet d’étude, contribue à polariser tendanciellement le sous-champ de production restreinte entre deux postures principales, d’un côté, celle des grammairiens philologues et, de l’autre, celle des philosophes, chacune engageant encore une dimension d’ordre éthico-politique souvent brouillée par les médiations du champ. En effet, si les spéculations indiennes sur le langage instituent la parole comme une expression de l’absolu (brahman) ouvrant la réflexion indianiste sur la pensée religieuse et sociale de l’Inde ancienne, l’étude des actes de langage, comme le remarque Charles Malamoud59, délimite un univers de textes et de savoirs relatif aux opérations de la pensée discursive, qui s’oppose à l’univers de la mystique centré sur la fusion ineffable avec le principe divin, objet de recherche plutôt privilégié par les tenants de la philosophie des religions. Au pôle savant, cette position éminente des grammairiens philologues est illustrée par Jules Bloch et par Louis Renou, dont les œuvres se complètent pour couvrir le double aspect de l’étude des langues et des littératures de l’Inde.
Jules Bloch, né en 1880 à Paris, cumule des atouts qui sont souvent dispersés parmi les indianistes. Agrégé de grammaire (1903), auteur d’un mémoire de l’EPHE sur La Phrase nominale en sanscrit, qui l’inscrit dans la tradition de la grammaire comparée, il est encore spécialiste de deux langues modernes de l’Inde, le hindi et le tamoul appartenant à deux familles distinctes, d’un côté, le groupe des langues indo-aryennes et, de l’autre, celui des langues dravidiennes ; sa thèse (principale) sur la langue marathe située au contact de ces deux aires linguistiques et ses travaux sur les prâkrits (formes de moyen-indien), l’ont « établi comme un spécialiste de l’aire indienne en tant qu’aire linguistique cohérente et spécifique »60 ; enfin, sa thèse secondaire, Un manuel de scribe cachemirien au xviie siècle. Le Lokapraça attribué à Ksemendra porte sur un texte profane qui traite de questions pratiques aussi triviales que les formulaires de lettres de change, les contrats ou le commerce, très éloignées donc des spéculations religieuses ou poétiques généralement exposées dans les traités.
Louis Renou, également né à Paris (1896) et agrégé de grammaire (1921), fut d’abord professeur de sanscrit et de grammaire comparée à la faculté des lettres de Lyon, puis directeur d’études à la 4e section de l’EPHE à partir de 1928, avant d’être élu à la Sorbonne, en 1936, dans la chaire de langue et littérature indiennes, et de devenir membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres en 1946. Spécialiste des Veda, dont il a publié commentaires et traductions des hymnes, et maîtrisant parfaitement la littérature de l’Inde classique, Louis Renou a dominé « le champ entier des études sanscrites »61. Son œuvre, que présente Emile Benveniste, rend compte de la production du sous-champ de production restreinte dans toute son ampleur et son exigence : d’abord « les travaux de haute érudition (...) que seuls des indianistes – et non pas même tous les indianistes – peuvent apprécier pleinement », qui commencent en 1925 avec sa thèse (principale), La valeur du parfait dans les hymnes védiques ; ensuite, des publications destinées « à un public plus restreint, surtout aux étudiants », comprennent, entre autres, des grammaires de la langue sanscrite et du sanscrit védique, un Dictionnaire sanskrit-français (en collaboration avec Nadine Stchoupak et Luigia Nitti-Dolci), en 1932, et de nombreuses contributions aux 2 volumes de L’Inde ancienne. Manuel des études indiennes (1949, 1953) – dont la publication en collaboration avec Jean Filliozat, est l’aboutissement d’un projet esquissé par Sylvain Lévi au début des années 1900 ; enfin, un dernier cercle d’ « ouvrages accessibles aux hommes de large culture », donne accès à des œuvres importantes traduites en français, comme des Upanishads, des Hymnes spéculatifs du Veda (1956), à tonalité plutôt religieuse, ou des Contes du vampire (1963), plus littéraires, ou, encore, offre avec rigueur une vue d’ensemble sur la culture de l’Inde classique, comme Sanscrit et culture (1950) ou La civilisation de l’Inde ancienne (1950).
25Pour comprendre la position des savants dotés d’atouts philosophiques plus que philologiques dans la division du travail indianiste, il faut la rapporter au principe plus général de différenciation interne au monde de l’érudition dans lequel ils sont situés. Cet univers, tel qu’il est perçu au sein même de l’École pratique des hautes études, est structuré par une opposition entre, d’un côté, « des spécialistes »62 qui abordent leur domaine d’études dotés de compétences « techniques » et, de l’autre, « des hommes dont la culture est essentiellement littéraire, historique, philosophique et qui, serviteurs de l’histoire générale, ont poussé leurs recherches sur telle ou telle branche de l’histoire religieuse »63. Si les indianistes regroupés au sous-champ de production restreinte peuvent être rangés, globalement, du côté des agents dotés de compétences techniques spécifiques leur assurant la maîtrise des textes sanscrits, ils tendent à reproduire en leur sein cette division interne à l’espace érudit. Ainsi, les philosophes qui privilégient l’exégèse des textes se sont souvent acquittés, pour une part, du droit d’entrée dans l’univers de l’érudition en se soumettant à l’apprentissage de la langue sanscrite ; mais tous ne se sont pas pliés au même degré à l’exigence du travail d’édition critique, de traduction et d’annotation, qui constitue la tâche privilégiée du philologue. C’est vrai en particulier de Paul Masson-Oursel et d’Olivier Lacombe qui sont alors, à la section des sciences religieuses de l’EPHE, les représentants de cette position de type philosophique.
26Professeur agrégé de philosophie dans un lycée pendant une vingtaine d’années, Paul Masson-Oursel accède à la 5e section de l’EPHE, en 1919, d’abord comme chargé de conférences complémentaires (en remplacement d’Alfred Foucher), avant d’être élu directeur d’études, en 1927, après avoir soutenu une thèse d’état sur La philosophie comparée(1923). Si Paul Masson-Oursel64 mentionne dans ses travaux trois traductions (deux du chinois et une du sanscrit), notamment la Bhagavad Gîtâ, il s’agit pour l’essentiel d’extraits publiés dans des revues littéraires et non érudites (comme les fragments de la Kâthaka Upanishad parus dans Mesures), accompagnés de réflexions d’ordre philosophique, leur auteur ayant pratiqué pour l’essentiel le genre du commentaire de texte. Les participations de Masson-Oursel à des revues situées à la frontière du champ universitaire et du champ littéraire attestent de sa position d’intermédiaire entre le monde savant et le grand public cultivé. Secrétaire de la Revue de Synthèse historique depuis 1912 et participant, au lendemain de la Seconde Guerre, aux Semaines internationales de synthèse sur les grands sujets scientifiques du temps (« Qu’est-ce que la matière ? » en 1945, « L’énergie dans la nature et dans la vie » en 1949, « Naissance de la terre » en 1952), proche de Lucien Lévy-Bruhl qu’il vient seconder, à partir de 1918, à la rédaction de la Revue philosophique dont il devient le directeur à partir de 1940, Masson-Oursel collabore régulièrement à des revues littéraires, comme le Mercure de France où il est « chargé de la philosophie et de l’orientalisme », ou La Nouvelle Revue française, et il dirige encore des périodiques de psychologie pratique. Au regard du champ de production indianiste, tout se passe comme si Paul Masson-Oursel, avec quelques autres, assumait ce travail d’ordre exotérique par lequel le pôle érudit noue, sans toujours souhaiter le voir et le savoir pleinement, des relations avec les fractions non universitaires de l’espace, comme en témoignent les préfaces qu’il signe à des ouvrages que tout sépare scientifiquement des publications savantes, par exemple : Amulettes, talismans et pantacles dans les traditions orientales et occidentales (1938) de Jean Marquès-Rivière, disciple de René Guénon et dont les livres s’inscrivent dans la veine des travaux de Mircea Eliade ; Le pressentiment chrétien dans les religions anciennes (1942) d’Emile Lesimple, catholique proche d’Olivier Lacombe, élève de Louis Renou à l’EPHE ; Jñana-yoga de Vivekananda, traduit par Jean Herbert ou, encore, La métaphysique des yogas : essai sur les techniques indiennes de méditations (1948), ouvrage issu de la thèse en philosophie de Maryse Choisy, « journaliste et conférencière (...), chrétienne fervente »65, qui a consacré une partie de son travail à la vulgarisation des enseignements du yoga en France.
Savants et mondains
27La représentation d’un espace clivé entre deux sous-champs distincts, l’un essentiellement universitaire et orienté vers la connaissance savante, l’autre extra-universitaire et dominé par diverses approches littéraires et ésotéristes, que l’on vient de dégager, pour partiellement fondée qu’elle soit, a toutes les chances d’être renforcée aussi longtemps que l’on ignore la tension qui traverse le milieu universitaire, travaillé par des inclinations à la fois savantes et mondaines. Méconnaître cette force de division interne autorise les visions partielles et semi lucides qui sont peut-être le coût que les indianistes doivent acquitter pour s’accommoder de leur position ou éviter des conflits au sein même du pôle savant du champ de production des discours sur l’Inde.
28Depuis la découverte de la culture sanscrite par l’Europe lettrée66, à la fin du xviiie siècle, le mot Inde subsume dans le champ culturel un ensemble de biens rares éminemment valorisés et valorisants par leur haute teneur philosophique, artistique et religieuse, qui sont venus compléter la culture classique fondée sur l’enseignement des humanités gréco-latines. Dans les années 1920-1930, cependant, les fractions sociales cultivées dont les attentes culturelles n’étaient pas toujours adaptées67 à l’offre des séminaires érudits, trouvaient à l’Université des réponses à leurs demandes d’ordre mondain que n’ignoraient pas complètement les savants, comme l’évoque Sylvain Lévi, mi-ironique mi-enjoué, au sinologue Paul Demiéville en 1929 : « Notre Institut d’indianisme, joliment installé, va s’ouvrir cette semaine (...); princesses, marquises, duchesses aspirent à y venir ; nous aurons des thés, des films, des projections, de la musique, tout ce qui distrait, amuse et éveille la curiosité »68.
29Ces demandes exotériques, plus proches d’un supplément culturel que de savoirs spécialisés, étaient mieux ajustées aux activités du musée Guimet69 proposées notamment par l’Association française des amis de l’Orient. Fondée en 1921 par Jean Buhot, secrétaire de rédaction de la Revue des arts asiatiques, et Suzanne Karpelès, membre de l’EFEO, cette association est un lieu de sociabilité où se rencontrent, dans l’entre-deux-guerres, les fractions universitaires et les fractions mondaines du champ politico-administratif, qui partagent des intérêts d’ordre scientifique, politique et culturel pour les civilisations orientales. Tandis que les savants comme Sylvain Lévi, Joseph Hackin ou Alfred Foucher, par exemple, sont souvent les représentants officiels de « la science française », et parfois même du gouvernement français lorsqu’ils se rendent en mission à l’étranger, notamment en Inde, en Afghanistan70, au Népal ou au Japon, les hommes politiques et les hauts fonctionnaires ont besoin des premiers pour mener à bien, dans le domaine culturel, l’œuvre colonisatrice que chacun défend, en particulier en Indochine71 où est implantée l’École française d’Extrême-Orient. La composition socioprofessionnelle de l’Association française des amis de l’Orient72 atteste de la rencontre qui s’opère entre ces fractions sociales. Ainsi, d’un côté, les professeurs du Collège de France, de l’École des langues orientales et les conservateurs de musée regroupent plus de la moitié des membres du conseil (24 sur 41) et contrôlent le bureau de l’association où siègent, en 1922, Sylvain Lévi, Paul Pelliot, Jacques Bacot et Joseph Hackin. De l’autre, près des trois quarts des membres d’honneur (30 sur 43) sont des hommes politiques (ministres, sénateurs, députés, gouverneurs coloniaux), des hauts fonctionnaires (ambassadeurs) et des « représentants d’une “vieille France” aristocratique »73, comme Henri d’Ardenne de Tizac (marié à la journaliste Andrée Viollis74 dont Sylvain Lévi préfaça le livre sur l’Inde) qui fonde de son côté, en 1922, la Société des amis du Musée Cernuschi dont il est le conservateur. Placé par ses collègues universitaires à la présidence de l’Association française des amis de l’Orient, Émile Senart, membre de l’Institut, semblait prédisposé par ses propriétés sociales à occuper une fonction d’intermédiaire entre ces différentes fractions du champ universitaire et du champ du pouvoir.
30Issu d’une riche famille de négociant originaire de Reims, Émile Senart75 (1847-1928) est une figure singulière des études indiennes. Après avoir obtenu une licence de lettres en 1866, il effectue un séjour de trois ans en Allemagne, à la veille de la guerre de 1870, d’abord à l’université de Munich, où il étudie les langues scandinaves, puis à celle de Göttingen, où il est l’élève de Theodor Benfey dont l’enseignement décide de son intérêt pour la langue sanscrite et l’histoire de l’Inde ancienne. Admis à la Société asiatique de Paris en 1868, il publie dès 1871 son premier travail érudit consacré à la Grammaire pâlie de Kaccâyana. Après avoir été tenté, au sortir de la guerre contre la Prusse, par la carrière diplomatique à laquelle sa famille le destinait (il fut quelques mois attaché à l’ambassade de France à Berlin), Émile Senart s’oriente définitivement vers l’érudition indianiste. Dans les années 1880, il traduit les inscriptions du souverain bouddhiste Ashoka76 et se rend ensuite en Inde, en 1888, pour compléter ses études épigraphiques. À son retour, il publie une série d’articles dans la Revue des Deux Mondes, qu’il réunit ensuite dans un ouvrage, Les castes dans l’Inde. Les faits et le système, paru d’abord en 1896 et réédité en 1927 sous les auspices du musée Guimet. Toutefois, ce grand bourgeois n’occupa jamais de poste rétribué, à l’université ou ailleurs, sa fortune personnelle, cumulée à celle de son épouse, le dispensant de toute obligation d’enseignement et, plus généralement, de toute fonction salariée. Il occupa néanmoins plusieurs positions d’ordre honorifique dans le monde académique et dans le monde politique.
31En 1872, Émile Senart entre au conseil de la Société asiatique dont il est élu d’abord vice-président, en 1890, puis président en 1908 ; en 1882, il devient membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres où il retrouve ses collègues en érudition, comme Abel Bergaigne et Michel Bréal, enseignants à l’École pratique des hautes études, et Auguste Barth (enseignant d’allemand à Bouxwillier). Avec ces deux derniers et sous l’égide de Paul Doumer, nommé en 1897 gouverneur général de l’Indochine, Senart participe en 1898 à la création de la Mission archéologique d’Indochine ; enfin, alors qu’il est par ailleurs, de 1883 à 1925, conseiller général du canton de la Ferté-Bernard, dans la Sarthe, où son épouse possède de vastes propriétés, il préside aussi, à partir de 1906 et pendant une vingtaine d’années, le Comité de l’Asie française où se côtoient des hommes politiques, des hommes d’affaires ainsi que des hommes de lettres et de sciences, qui contribuent à promouvoir l’œuvre coloniale française, notamment en Indochine. Situé, donc, à l’intersection du champ politique et du champ universitaire, Émile Senart «a campé (...) un type tout à fait original et qu’on pourrait définir le “Mécène conscient” », ainsi que le rapporte Alfred Foucher, soulignant l’admiration et la dette que les professeurs avaient envers « ce favori de la fortune », qui prodiguait si bien les marques « concrètes de sa libéralité » :
« C’est toute sa position sociale, c’est son train de vie, c’est son hôtel des Champs-Élysées qu’il a mis, chaque fois que les circonstances l’y invitaient au service de la science. Dans son rôle de maître de maison il était admirablement secondé par la femme d’élite que de bonne heure il avait épousée (1874) et qui avait su entrer dans ses vues. Des belles réceptions qu’ils donnaient, et notamment de celles qui marquèrent en 190777 [sic] le Congrès international des Orientalistes à Paris, nos confrères étrangers ont conservé comme nous un inoubliable souvenir. Peut-être même étaient-ils plus sensibles encore que nous à cette occasion unique de goûter, dans le cadre d’un luxe de bon aloi, le charme exquis de notre vieille politesse française78. »
32Sollicités par l’Association des amis de l’Orient, les professeurs viennent exposer au musée Guimet les résultats de leurs travaux devant un auditoire culturellement homogène avec lequel ils partagent « connaissance discursive et révélation du Beau »79, comme l’écrit Pierre Meile. Car si le grand public cultivé reste tributaire des traductions savantes pour accéder au patrimoine littéraire de l’Inde, il peut jouir sans intermédiaire ou presque des arts figurés et vivants de l’Orient – les monuments archéologiques, l’iconographie, le théâtre, la danse, la musique – dont le musée Guimet est devenu le temple où officient les savants lors des séances dominicales : « dimanche prochain, je me sacrifie sur l’autel de la conférence au dit Guimet, pour remplacer au pied levé je ne sais quel défaillant. Je ferai défiler mes images de Bali avec commentaires »80, écrit avec malignité Sylvain Lévi à Paul Demiéville. Les savants contribuaient ainsi au travail de diffusion des connaissances, que relayaient les publications de la Bibliothèque de vulgarisation du musée Guimet.
33Les travaux de l’historien de l’art Victor Goloubew (1878-1945) illustre la position de ce dernier dans l’espace des études indiennes, à l’intersection des milieux de l’art et de l’archéologie et des fractions les plus mondaines de la vie littéraire et politique de l’entre-deux-guerres. Né à Saint-Pétersbourg dans « une riche famille de l’aristocratie impériale »81, son père, propriétaire terrien, était conseiller d’État, Victor Goloubew reçut une éducation ouverte sur la culture européenne et les arts : outre sa langue maternelle, le russe, il parlait avec aisance le français, l’allemand, l’anglais et l’italien, et pratiquait la musique. Après avoir fréquenté l’université de Saint-Pétersbourg, Victor Goloubew poursuivit ses études en Allemagne, à l’université d’Heidelberg, où il obtint, en 1904, un doctorat en philologie avec une thèse sur les traductions allemandes de Marivaux, que complète une spécialisation en histoire de l’art et archéologie. Marié à Nathalie de Cross, il s’installe à Paris au début du xxe siècle, participe avec son épouse à la vie mondaine des salons littéraires et artistiques, notamment celui de Mme Arman de Caillavet (où le couple rencontre Anatole France), avant que sa femme ne le quitte quelques années plus tard pour devenir l’égérie du poète Gabriele d’Annunzio. Présenté à la Société asiatique dès 1908 par les slavisants, Victor Goloubew se lie avec les orientalistes français, au premier rang desquels Sylvain Lévi, Émile Senart et Édouard Chavannes. Épris d’art italien, grand collectionneur de peintures et de miniatures, passionné de voyages, Goloubew s’embarque pour l’Inde et Ceylan, en 1910, accompagné d’un ami, l’homme de lettres Charles Müller82. Il en rapporte une riche documentation iconographique sur l’archéologie des sites visités.
34Chargé d’un cours sur l’art de l’Inde à l’École des langues orientales, en 191 1, il organise des expositions de peintures chinoises au musée Cernuschi en collaboration avec Henri d’Ardenne de Tizac. À la veille de la Grande Guerre, il fonde chez l’éditeur d’art Gérard van Oerst, à Bruxelles, une série Ars Asiatica dont il confie le premier volume sur les peintures chinoises à Édouard Chavannes. En 1921, Goloubew publie dans cette collection, en collaboration notamment avec Auguste Rodin et Ananda K. Coomaraswamy (intellectuel nationaliste indien et historien de l’art alors attaché au Muséum of fine Arts de Boston), un volume consacré aux sculptures shivaïtes de l’Inde83. Ruiné par la Révolution bolchevique de 1917, il vend ses collections d’art au musée de Boston84 avant d’être agréé par l’Académie des inscriptions et belles-lettres, en 1920, pour devenir membre de l’École française d’Extrême-Orient, que dirige à cette époque Louis Finot. Résidant alors la majeure partie de son temps en Indochine, Goloubew a consacré son activité scientifique aux arts de la Péninsule indochinoise et à l’étude archéologique d’Angkor.
35S’il ne possédait aucune formation orientaliste pouvant être mentionnée par ses biographes, Goloubew cependant était riche de ses ressources culturelles et sociales qui firent de lui « l’ambassadeur intellectuel de l’École [française d’Extrême-Orient] »85, selon le mot de George Cœdès rapporté par Louis Malleret, ses collègues à l’EFEO. Large « curiosité » d’esprit, « art de la parole » qui rend la « conversation brillante » et fait le « conférencier recherché », « nombreuses relations (...) dans tous les cercles de la société », autant d’atouts qui caractérisent les fractions du champ de production des discours sur l’Inde les plus proches de l’histoire de l’art, et où prévaut le goût pur de l’ineffable86 : « Il avait la sensibilité d’un artiste épris de tout ce qui est souple et subtil. Il savait d’instinct discerner le sens des gestes et des symboles et trouver dans la grâce des attitudes un langage qui parlait à l’iconographe et à l’historien de l’art »87. On peut donc s’accorder avec Louis Malleret lorsqu’il souligne la double vie de Goloubew, divisée entre, d’un côté, le « savant » auteur de travaux novateurs sur l’histoire urbaine d’Angkor et, de l’autre, le « gentilhomme » qui s’est « dispersé si souvent dans d’innombrables conférences et des voyages de prestige intellectuel ». Aussi, la production scientifique de celui-ci se caractérise-t-elle par une « dimension moyenne » entre les « sommes massives » des érudits et les « sujets effleurés » du « dilettante » et de « l’amateur »88, dimension bien ajustée à la position homologue d’un chercheur, dans le champ des études indiennes, dont le « prestige (...) était celui d’un homme du monde »89.
L’espace des pratiques
36Si l’indianisme peut être défini comme « l’étude critique du passé de l’Inde, fondée sur la connaissance directe des documents anciens »90, le travail des philologues ne définit pas l’ensemble des pratiques savantes. Pour rendre compte de la diversité de ces dernières, on a analysé les publications des trois principales revues qui recouvrent, dans l’entre-deux-guerres, la part essentielle de la production orientaliste savante : le Journal asiatique (JA), le Bulletin de l’École française d’Extrême-Orient (BEFEO) et la Revue des arts asiatiques (RAA). On a retenu 653 articles portant sur le monde indien et l’Extrême-Orient publiés, entre 1920 et 1940, par 230 chercheurs dont un tiers environ est d’origine étrangère, part sensiblement égale à celle observée au sein des fractions savantes.
37Le premier trait qui caractérise ces revues est leur degré de fermeture et la sursélection d’un petit groupe d’auteurs publiant dans deux ou trois d’entre elles (tableau 7). À cet égard, le BEFEO apparaît comme la revue la plus fermée puisque 71,7 % des 230 auteurs n’y ont publié aucun article, contre 63,0 % pour le JA et 49,6 % seulement pour la RAA, cette dernière publication étant bien moins sélective que les deux autres. Si l’on retient les auteurs qui ont publié au moins un article dans l’une ou l’autre de ces revues (tableau 8), plus des quatre cinquièmes d’entre eux ont publié de 1 à 4 articles et 10 % environ de 5 à 9 ; seuls le JA et le BEFEO accueillent une poignée de chercheurs ayant publié 10 articles et plus dans les deux décennies prises en compte. Au regard de l’ensemble des 230 auteurs, 13 % seulement (n = 30) ont publié un ou plusieurs articles dans deux ou trois des revues considérées dans les années 1920-1939.
Tableau 7. Distribution des auteurs selon le nombre total d’articles publiés dans le JA, le BEFEO ou la RAA en 1920-1939 (en %).
nb d’articles | JA | BEFEO | RAA |
0 | 63,0 | 71,7 | 49,6 |
1-4 | 32,6 | 23,5 | 43,9 |
5-9 | 3,0 | 2,6 | 6,5 |
10 + | 1,3 | 2,2 | 0 |
Ensemble | 100,0 | 100,0 | 100,0 |
nb auteurs | 230 | 230 | 230 |
Tableau 8. Distribution des auteurs ayant publié un article et plus dans le JA, le BEFEO ou la RAA en 1920-1939 (en %).
nb d’articles | JA | BEFEO | RAA |
1-4 | 88,3 | 83,1 | 87,1 |
5-9 | 8,2 | 9,2 | 12,3 |
10 + | 3,5 | 7,7 | 0,0 |
Ensemble | 100,0 | 100,0 | 100,0 |
nb auteurs | 85 | 65 | 116 |
Tableau 9. Distribution thématique des articles publiés dans le JA, le BEFEO et la RAA en 1920-1939 (en %).
Thèmes | JA | BEFEO | RAA | Ensemble |
Art (général) | 0,9 | 0,0 | 14,5 | 5,5 |
Iconographie | 0,9 | 0,0 | 36,2 | 13,3 |
Archéologie | 2,3 | 29,4 | 24,7 | 18,8 |
Préhistoire | 0,5 | 17,2 | 11,1 | 9,5 |
Histoire | 22,0 | 22,5 | 1,7 | 14,9 |
Philologie | 15,9 | 4,9 | 0,0 | 6,7 |
Religion | 41,6 | 4,9 | 2,1 | 15,9 |
Littérature | 8,4 | 5,9 | 3,0 | 5,7 |
Ethnologie | 2,8 | 12,7 | 0,0 | 4,9 |
Institution | 1,9 | 2,0 | 3,8 | 2,6 |
Autres | 2,8 | 0,5 | 3,0 | 2,1 |
Ensemble | 100,0 | 100,0 | 100,0 | 100,0 |
nb articles | 214 | 204 | 235 | 653 |
38Le second trait qui les différencie est leur identité disciplinaire (tableau 9). Quatre thèmes de recherche regroupent 62,9 % de l’ensemble des articles : l’archéologie (18,8 %), la religion (15,9 %), l’histoire (14,9 %) et l’iconographie (13,3%), mais ces thèmes sont inégalement distribués entre ces trois revues. Dans les années 1920-1939, près de 79,5 % des articles du Journal asiatique traitent de religion (41,6 %), d’histoire (22,0 %) et de philologie (15,9 %), discipline dont cette revue semble détenir un quasi-monopole ; dans le BEFEO, 81,8% des études ont trait à quatre thèmes disciplinaires : l’archéologie (29,4 %), l’histoire (22,5 %), la préhistoire (17,2 %) et l’ethnologie (12,7 %) ; enfin, dans la Revue des arts asiatiques, 86. 5 % des articles relèvent de l’iconographie (36,2 %), de l’archéologie (24,7 %), des arts (14,5 %) et de la préhistoire (11,1 %). Cette double différenciation des revues au regard de la sélection des auteurs et des thèmes de recherches, témoigne de la division du travail orientaliste que ces publications opèrent en associant différentes fractions savantes qui traitent respectivement d’histoire des religions et de philologie dans le JA, de préhistoire et d’archéologie dans le BEFEO, et d’archéologie et d’iconographie dans la RAA.
39Pour préciser les distances et les affinités intellectuelles entre ces trois revues orientalistes, on a soumis à une analyse en composantes principales (ACP) les publications des indianistes appartenant à l’ensemble de la population enquêtée et qui ont publié au moins un article dans l’entre-deux-guerres dans le JA, le BEFEO ou la RAA (voir en annexe diagrammes 8 à 10). Le premier plan factoriel de l’ACP défini par les axes 1-2 isole trois groupes de variables (diagramme 8). Un premier groupe, à la gauche de l’axe 1, caractérise les articles portant sur les langues et les cultures de la péninsule indochinoise, où prévalent les études d’histoire, d’archéologie et d’ethnologie. Ces variables s’opposent globalement à un second groupe situé à la droite de l’axe 1, mais qui sont eux-mêmes fortement différenciés le long de l’axe 2. Sur ce second axe, on retient deux groupes de variables : l’un, orienté vers le bas de l’axe, est associé aux travaux sur l’Inde et traite de religion, de philologie, secondairement de littérature et des langues indo-européennes, l’autre, orienté vers le haut de l’axe 2, rassemble des articles portant sur les arts dans le monde asiatique en général, ces deux groupes de variables étant corrélés négativement. Cette distribution recouvre la tripartition des publications entre le BEFEO d’un côté, le JA et la RAA de l’autre et atteste de l’identité intellectuelle des trois revues. Dans le plan factoriel des axes 1-3 (non représenté ici), la corrélation entre les variables témoigne de la proximité des travaux publiés dans le JA et dans le BEFEO, qui se différencient des articles paraissant dans la RAA. En effet, le JA et le BEFEO publient des études de type historique qui mobilisent des compétences dans une langue orientale, le sanscrit en particulier, comme l’indique la corrélation positive dans ce plan factoriel avec cette variable et la variable traduction.
40Cependant, c’est le plan factoriel des axes 2-3 qui opère une plus grande dispersion des variables et des auteurs91, révélant le rapprochement entre les travaux publiés dans le BEFEO et la RAA, par opposition aux articles du JA (diagrammes 9). Si les travaux accédant à la RAA requièrent au total peu de compétences philologiques, ils partagent avec les études publiées dans le BEFEO le même type de sujet archéologique, notamment l’étude des monuments de la péninsule indochinoise, du Cambodge en particulier. La proximité entre les publications du BEFEO et celles de la RAA tient à l’homologie des propriétés scolaires des agents concernés. Parmi les membres de l’École française d’Extrême-Orient, deux groupes au moins de chercheurs s’individualisent : d’une part, les spécialistes des textes dotés de compétences linguistiques en sanscrit ou dans une langue de la péninsule indochinoise et, d’autre part, les historiens d’art et les architectes menant des travaux archéologiques, le plus souvent dépourvus de ce type d’atout. Si ces derniers sont en position intellectuellement dominée au regard des premiers auxquels ils prêtent leurs compétences d’ordre technique (réalisant relevés architecturaux, plans et dessins), ils sont membres à part entière de l’EFEO et publient dans le bulletin au même titre que leurs collègues érudits : dans les années 1920-1939, les travaux archéologiques représentent environ un tiers de l’ensemble des articles parus dans le BEFEO. Souvent formés dans les écoles des beaux-arts ou sur le terrain et rarement diplômés de l’EPHE, les architectes de l’EFEO sont proches sous ce rapport des agents en poste au musée Guimet, qui publient le plus fréquemment dans la RAA, sauf exception, des études plus brèves et moins détaillées sur des monuments de l’Indochine ou de l’Afghanistan.
41De ce point de vue, la position de George Cœdès peut être contrastée avec celle de Victor Goloubew, évoquée précédemment (diagramme 10). George Cœdès (1886-1969), qui a fait toute sa carrière de chercheur au sein de l’EFEO, est proche par ses travaux érudits des professeurs du Collège de France et de l’École pratique des hautes études. Né à Paris dans une famille juive d’origine hongroise dont le père était agent de change, George Cœdès, titulaire d’un diplôme d’études supérieures en allemand, est également diplômé de l’EPHE 5een 1911. Cette même année il entre à l’EFEO où il a passé la majeure part de sa vie active (excepté un détachement comme conservateur de la Bibliothèque nationale de Siam, à Bangkok, de 1918 à 1929). Son entrée dans l’univers des études indiennes est marquée du signe de la précocité. En effet, dès 1904, un an après son baccalauréat, il a alors tout juste 18 ans, il connaît assez de sanscrit et de khmer pour déchiffrer une inscription d’un roi du Cambodge, qu’il fait publier dans le BEFEO.S’inscrivant d’emblée dans l’épigraphie cambodgienne, une aire disciplinaire et géographique dont le développement est étroitement lié à l’expansion coloniale de la France en Indochine, l’œuvre érudite de George Cœdès « est essentiellement épigraphique, philologique et historique »92. Étudiant des corpus d’inscriptions en sanscrit, en khmer ou en bilingue et des textes historiques en siamois et en pâli, ses travaux furent accueillis et dans le BEFEO et dans le JA ; il en a livré une vue synthétique dans un ouvrage sur l’expansion de la culture brahmanique hors de l’Inde, Les États hindouisés d’Indochine et d’Indonésie (1re éd. 1944), qui a fait date. Mais George Cœdès a aussi étudié les monuments archéologiques, publiant de nombreux articles dans le domaine de l’art et de l’iconographie dans la Revue des arts asiatiques, Artibus Asiae ou Ars Asiatica, publications qui le rapprochent des historiens de l’art. Membre correspondant de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, président de la Société asiatique à partir de 1964, il fut nommé conservateur du musée d’Ennery93 après avoir pris sa retraite de l’EFEO.
Un habitus érudit : Sylvain Lévi
42Au regard des origines bourgeoises et confessionnelles de la majorité des savants orientalistes, Sylvain Lévi ne semblait guère disposer des atouts requis pour s’orienter vers cet univers d’études et y occuper une position dominante. Il faut néanmoins chercher les conditions sociales de sa réussite à la fois dans son milieu familial et dans l’histoire collective du groupe dans laquelle elle s’insère. Issu d’une famille juive d’origine alsacienne, Sylvain Lévi94, né à Paris en 1863, est le fils d’un modeste marchand de drap et, du côté maternel, le petit-fils d’un instituteur. Seul garçon dans une fratrie de trois enfants, sa trajectoire sociale s’inscrit parfaitement dans les destinées collectives qui se sont ouvertes aux Juifs au lendemain de la Révolution française. En l’espace de trois générations, les membres de sa famille paternelle et maternelle sont en effet passés du commerce agricole ou du colportage exercés en milieu rural, où les Juifs furent cantonnés par les lois discriminantes jusqu’à la Révolution, au commerce des textiles en milieu urbain, en province ou à Paris ; puis leurs enfants ont accédé à l’école et aux études longues ouvrant aux métiers profanes et aux professions à fort capital scolaire, par exemple ingénieur, médecin ou universitaire.
43La trajectoire scolaire de Sylvain Lévi est marquée par la précocité qui signe son excellence. Entré en classe de 7e au lycée Charlemagne, il opte pour l’allemand en première langue et fait de très bonnes études classiques avant d’obtenir son baccalauréat de philosophie en 1881. Cette même année il est toutefois recalé au concours d’entrée de l’École normale supérieure, officiellement en raison de son jeune âge, alors qu’il voit certains de ses condisciples du lycée Charlemagne y entrer, comme Henri Berr (né en 1863). Après avoir été reçu à sa licence de lettres à la Sorbonne l’année suivante, il prépare l’agrégation de lettres et, en 1883, tout juste âgé de 20 ans, il s’y classe second.
44Dans le dernier quart du xixe siècle Sylvain Lévi incarne le modèle du boursier, figure peu présente dans les études orientalistes où il est préférable d’être un héritier pour espérer y faire carrière95. D’abord boursier d’agrégation, en 1882-1883, il obtient l’année suivante une allocation de l’École pratique des hautes études afin de suivre les enseignements de la 4e section qu’il fréquente déjà depuis un an. En obtenant le titre d’élève allocataire de l’École pratique, il s’épargne d’être intégré dans le corps des enseignants du secondaire, comme le devait tout nouvel agrégé et, aussi, d’être incorporé pour son service militaire, dont il fut dispensé. À l’École pratique, il suit les enseignements de sanscrit d’Abel Bergaigne, les cours de grammaire comparée de Michel Bréal et de Ferdinand de Saussure ainsi que les conférences de James Darmesteter sur la langue zend, sur la langue persane et sur le phelvi. Jeune « agrégé de lettres et boursier de l’École qui tient tout ce qu’on attendait de lui »96, Lévi se voit alloué par la ville de Paris, en 1884, une bourse de voyage pour se rendre en Angleterre, à l’India Office Library à Londres et à la Bodleian Library à Oxford, afin « d’y étudier les documents relatifs au drame indien, ses origines, son développement, sa technique, sujet de la thèse française [qu’il] prépare »97.
45Reçu cette même année membre de la Société asiatique, il publie dans le Journal asiatique, dès 1885, son premier article sur la littérature en sanscrit qui lui vaut les éloges de James Darmesteter, admiratif devant « ce jeune sanscritiste plein de promesses »98. Et à la rentrée universitaire 1885-1886, sans avoir jamais enseigné dans un lycée, ni en province ni à Paris, à la différence de ses collègues agrégés, voire normaliens, Sylvain Lévi est nommé maître de conférences pour la langue sanscrite à la 4e section de l’EPHE ; l’année suivante, il obtient le même poste pour les religions de l’Inde à la 5e section. En outre, à partir de 1889, à la suite du décès accidentel de son maître Abel Bergaigne, il est chargé de cours de langue et de littérature sanscrites à la faculté des lettres de l’université de Paris. Auteur d’une thèse de doctorat d’État, en 1890, sur Le théâtre indien (sa thèse secondaire, en latin, porte sur les relations entre l’Inde et la Grèce), il est élu sans réelle concurrence, quatre ans plus tard, à la chaire de langue et littérature sanscrites du Collège de France où il succède à Édouard Foucaux. Les candidats potentiels étaient rares ou déjà âgés : Auguste Barth (né en 1834), professeur d’allemand à Bouxwiller, dans le Bas-Rhin, n’a jamais cherché à rejoindre l’enseignement supérieur ; Paul Regnaud (né en 1838) qui occupait la chaire de sanscrit de l’université de Lyon était opposé aux recherches novatrices de la grammaire comparée ; enfin, Émile Senart (né en 1847) ne fut jamais candidat à un poste universitaire. Les seuls concurrents sérieux étaient, d’un côté, Victor Henry (né en 1850), grammairien de formation et, de l’autre, Louis Finot (né en 1864) archiviste-paléographe diplômé de l’École des Chartes, venu plus tardivement à l’étude du sanscrit qu’il apprit avec Sylvain Lévi à l’EPHE. Présenté en seconde position99, Finot obtint la direction de la nouvelle Mission archéologique d’Indo-Chine, en 1898, avant d’être lui-même coopté au Collège de France dix ans plus tard, en 1908, dans une chaire d’histoire et de philologie indochinoises. En 1894, donc, Sylvain Lévi âgé de 31 ans accède au Collège de France quand l’âge moyen d’entrée dans cette institution est alors de 38,5 ans pour les normaliens de sa génération100. Ainsi, comme nombre de Juifs français de son temps, notamment alsaciens (alors majoritaires à Paris), Sylvain Lévi est à la fois un héritier des valeurs émancipatrices portées par la Révolution française et un oblat de l’école républicaine et, toute sa vie, il fut un ardent défenseur de ces deux institutions.
46Si la précocité de Sylvain Lévi a été servie par une conjoncture institutionnelle favorable – développement des enseignements à la 4e et à la 5e section de l’EPHE, disparition accidentelle de Bergaigne, rareté des concurrents – qui accéléra son entrée au pôle de l’érudition du champ universitaire, ses choix disciplinaires, au lendemain de l’agrégation, sont marqués par une tension objective entre, d’un côté, l’étude des langues classiques de l’érudition gréco-latine, le grec en particulier et, de l’autre, l’étude des civilisations orientales et des langues rares, comme le sanscrit – l’hébreu et les études juives semblant plutôt réservés à la culture d’ordre personnel. La figure d’Ernest Renan dont le magistère dominait alors le champ intellectuel, et que Sylvain Lévi a pu approcher indirectement101, permit à celui-ci d’étayer ses choix. Dans sa demande d’allocation d’études pour l’École pratique, en 1883, il confie ainsi, faisant implicitement référence à Renan : « Notre époque offre l’exemple éclatant d’un savant illustre qui est en même temps un littérateur de premier ordre, tel est le modèle que je me propose et que je voudrais suivre, quoique de bien loin »102. Sylvain Lévi pouvait d’autant mieux s’identifier à la posture intellectuelle et morale incarnée par Ernest Renan, élu à l’Académie française en 1878 puis de nouveau installé au Collège de France cette année 1883, que ce dernier se réclamait d’Eugène Burnouf, esquissant dans l’histoire de la philologie et des disciplines orientalistes une filiation dans laquelle Sylvain Lévi s’est objectivement inscrit :
« J’aimerai du moins à affirmer, comme le représentant d’une génération nouvelle d’indianistes, la valeur durable de ses [Eugène Burnouf] travaux, qui servent encore aujourd’hui de modèles et de guides. Il reste encore le maître incontesté, et c’est en suivant ses traces que la science doit chercher de nouveaux progrès. Depuis que j’ai l’honneur d’enseigner à l’École des hautes études et à la Faculté des lettres, je m’applique à ressusciter la tradition de Burnouf, et mon ambition sera satisfaite si je forme des disciples nourris de sa méthode, imbus de ses principes, tels qu’il ne les eut pas désavoués »103.
47Toutefois, on ne peut esquisser la genèse de l’habitus érudit de Sylvain Lévi sans s’interroger sur les ressources que lui offrait son milieu juif d’origine pour orienter ses choix. Si l’on peut invoquer une disposition traditionnelle valorisant le savoir, qui a pu favoriser la réussite scolaire d’enfants issus de milieux portés par des trajectoires sociales ascendantes, il faut encore dégager les médiations par lesquelles cette disposition s’est s’inscrite dans des expériences pratiques. Petit-fils d’un instituteur dans une école rabbinique, Sylvain Lévi n’a pas connu son grand-père maternel décédé à Paris, en 1845, à l’âge de 57 ans. Jusqu’à son entrée à l’Université, Sylvain Lévi a cependant vécu dans une famille juive assez pratiquante pour que soient respectés les interdits du shabbat, notamment au lycée Charlemagne, comme il s’en est expliqué à quarante ans de distance : « J’ai passé moi-même trois ans au lycée sans écrire le samedi pour donner ensuite à mes camarades de classe le spectacle de ma plume courant sur le papier un an plus tard le même jour du shabbat. (...) La sanctification inviolable de la veille brusquement oubliée le lendemain. Comment croire à la sincérité, à la solidité des croyances juives ? »104 En l’absence de témoignage plus précis sur l’examen critique auquel Sylvain Lévi a pu soumettre les principes religieux de sa culture juive au sortir de ses études secondaires, on peut simplement noter que celui-ci se définit alors comme un agnostique : « Je ne suis pas de ceux qui “sentent Dieu” ; je ne l’affirme ni ne le nie (...) »105, confie-t-il au sinologue russe Vasilij M. Alekseev, conservant cependant le souci de « savoir quelle tradition on prolonge, même en dépit de soi (...) »106.
48Ces dispositions dont Sylvain Lévi est porteur, au début des années 1880, (agnosticisme, foi dans l’école émancipatrice et dans la science comme mode d’accès à l’universel), ont été renforcées par un triple engagement au sein des institutions juives, au moment où ce milieu connaît de profonds bouleversements. D’une part, au lendemain de l’agrégation, à l’occasion des réformes pédagogiques introduites au sein du Séminaire israélite de France qui forme une partie du rabbinat, il enseigne pendant une année le français, le latin et le grec à la section préparatoire dite Talmud-Torah. D’autre part, il adhère à l’Alliance israélite universelle107, une organisation fondée à Paris en 1860 pour lutter contre l’antisémitisme et œuvrer à l’émancipation sociale et culturelle des Juifs, en particulier en Allemagne et en Russie, mais aussi au Proche et au Moyen-Orient où l’Alliance développe alors un important réseau d’écoles primaires. Et dès 1898, il est coopté au comité central de l’Alliance. Enfin, en 1885, il adhère à la Société des études juives fondée cinq ans auparavant. C’est par la médiation du grand rabbin de Paris Zadoc Kahn que Sylvain Lévi a rejoint très tôt les grandes institutions du judaïsme français. Or, cet engagement est contemporain de l’émergence de la science française du judaïsme qui se cristallise alors sur le modèle de la Wissenschaft des Judentums. Zadoc Kahn108 (1839-1905) fut l’un des grands promoteurs de ce renouveau, non seulement au sein du Séminaire israélite, dont James Darmesteter (1849-1894), par exemple, a suivi les enseignements, mais aussi à l’Alliance dont la bibliothèque s’enrichit alors de fonds orientalistes, à la Société des études juives et, enfin, autour de la revue éponyme que Zadoc Kahn contribua à créer. C’est donc dans ce milieu intellectuel juif que s’est aussi forgé, dans les années 1880, l’habitus érudit de Sylvain Lévi, alors jeune agrégé qui se préparait à entrer à l’Université, à l’instar de ses aînés présentés comme autant de modèles de réussite intellectuelle et sociale, notamment l’arabisant Hartwig Derenbourg (1844-1908) et le philologue Arsène Darmesteter (1846-1888), frère de James, tous trois enseignants à l’École pratique des hautes études.
49Certes, Sylvain Lévi n’a publié dans la Revue des études juives que deux articles traitant de questions indo-hébraïques, et assez tardivement en 1926 et en 1930 ; mais il fut à deux reprises président de la Société des études juives, en 1903 et en 1914. En outre, ses engagements civiques, à partir de l’Affaire Dreyfus, se sont encore forgés dans ce milieu social et intellectuel. Aussi, lorsque sont mises en doute ses compétences en matière de science du judaïsme, à l’occasion, par exemple, d’affrontements sur des candidatures au Collège de France, il peut légitimement déclarer : « Membre (...) de la Société des études juives, ancien président de cette société, mêlé d’assez près et de longue date au mouvement des études hébraïques, je revendique nettement le droit de me former une opinion dans ce domaine »109.
50Installé très tôt au pôle de l’érudition indianiste (EPHE et Collège de France) et, au sein de ce pôle, dans les deux disciplines reines que sont alors la philologie et l’histoire des religions, Sylvain Lévi a largement contribué au développement et à la structuration d’un univers disciplinaire qui était encore peu différencié dans les années 1880. Comme il l’exprime au directeur de l’enseignement supérieur, en 1889, au lendemain de sa nomination à la Sorbonne : « Chargé d’enseigner pour ainsi dire seul tout l’indianisme, je puis à mon aise distribuer mes cours, les coordonner et donner ainsi à mes auditeurs par une série de leçons connexes une connaissance exacte du génie indien110. » Regroupant autour de lui des élèves dont il favorisa le recrutement111, organisant la division du travail entre, d’un côté, les cours de langue sanscrite et, de l’autre, ceux portant sur les différents aspects de l’hindouisme et du bouddhisme, favorisant de nouveaux enseignements de langues orientales et élargissant le domaine des études indiennes à la fois du point de vue géographique (Népal, Tibet, Indochine), et du point de vue disciplinaire (histoire de l’art, sociologie des religions), initiant de nouvelles structures institutionnelles comme l’Institut de civilisation indienne et, à l’étranger, la Maison franco-japonaise112 ouverte à Tôkyô en 1926 et où il met en œuvre pendant deux ans un vaste chantier collectif, le Hôbôgirin, dictionnaire encyclopédique du bouddhisme (encore aujourd’hui en cours de publication), Sylvain Lévi émerge, au lendemain de la Première Guerre mondiale, comme le maître incontesté de l’indianisme français dont le magistère national et international, en Europe et en Asie, n’a pas d’égal alors, en France, dans le champ des études orientalistes.
51Plus encore, par ses comptes rendus sur tous les sujets traitant du monde indien, par ses ouvrages destinés au grand public cultivé, par ses préfaces à des livres d’art ou à des essais journalistiques, par ses conférences, ses entretiens dans la presse et à la radio, par son activité mondaine, notamment au musée Guimet, Sylvain Lévi n’a pas seulement dominé les études indiennes. Il s’est inscrit, de fait, dans une position à même d’exercer des effets de domination, en puissance, sur l’ensemble du champ de production des discours sur l’Inde. Car Sylvain Lévi s’est adressé tout à la fois aux érudits orientalistes et non orientalistes autant qu’à un public cultivé plus large auprès duquel il s’est attaché à rendre accessibles les résultats de recherches savantes spécialisées. En outre, son autorité intellectuelle d’orientaliste s’est doublée, très tôt, d’une autorité politique et morale que lui conférèrent ses prises de position sur différents problèmes auxquels les Juifs furent confrontés, depuis l’Affaire Dreyfus jusqu’à la question du foyer national juif en Palestine, à la fin de la Première Guerre mondiale, avant qu’il ne soit élu président de l’Alliance israélite universelle, en 1920, charge qu’il a assumée jusqu’à sa mort, en 1935, lors d’une réunion du comité central de l’Alliance.
52On peut objectiver la position dominante que Sylvain Lévi est venu occuper dans le champ de production des discours sur l’Inde en étudiant l’espace des publications de ce savant dont les travaux s’échelonnent sur un demi-siècle, de 1885, année de son premier article dans le Journal asiatique, à 1938, après que fussent parus à titre posthume trois de ses derniers ouvrages. L’espace des publications de Sylvain Lévi113 est structuré par une double opposition, que traduit le diagramme 11 (voir annexe). D’abord les publications se distribuent, sur le premier axe factoriel, selon le volume plus ou moins grand du capital érudit spécifique investi dans celles-ci. À la droite de l’axe se situent les ouvrages savants à fort capital érudit comme, par exemple, la thèse sur Le Théâtre indien, qui renouvelait profondément un des thèmes d’études privilégiés des sanscritistes depuis le début du xixe siècle, et l’ouvrage sur La Doctrine du sacrifice dans les Brâhmanas, seule contribution de Sylvain Lévi aux études védiques, qui est à la source des réflexions sociologiques de Marcel Mauss et d’Henri Hubert ou, encore, les éditions et les traductions de textes en sanscrit bouddhique, notamment le Mahâyâna Sûtrâlamkâra d’Asanga dont les deux volumes publiés en 1907 et 1911, à partir d’un manuscrit collecté lors d’une mission au Népal en 1897-1898, firent de Sylvain Lévi un spécialiste du bouddhisme au moment même où il publiait sa monographie en trois volumes sur l’histoire du royaume hindou du Népal (le troisième volume étant dévolu au corpus épigraphique). Ces travaux, tous parus avant la Grande Guerre, qui fondent la reconnaissance scientifique de Sylvain Lévi non seulement au sein des études indiennes savantes mais, plus largement, dans l’univers des études extrême-orientales, s’opposent aux publications regroupées à la gauche du premier axe, moins fortement investies en capital érudit spécifique et qui rassemblent des études plus générales ou destinées à un public moins spécialisé, voire différent.
53Cette première opposition s’éclaire au regard du second axe factoriel qui distribue globalement les publications selon la composition interne du capital indianiste et le type de public visé soit, d’un côté, le public des pairs ou, si l’on préfère, le pôle savant (au haut de l’axe) et, de l’autre, le grand public cultivé ou, si l’on veut, le pôle mondain du champ de production des discours sur l’Inde. Par ses publications érudites, ouvrages et articles publiés dans les collections de l’EPHE, dans le Journal asiatique ou dans le Bulletin de l’EFEO, Sylvain Lévi s’adressait en premier lieu à ses pairs indianistes eux-mêmes relativement différenciés, selon les sous-espèces de capitaux érudits propres à chaque domaine d’étude, entre les spécialistes du védisme, de la littérature classique brahmanique ou du bouddhisme. Mais il s’est également adressé, dès les années 1880, aux fractions érudites non orientalistes, en particulier par la pratique du compte rendu. Situés plutôt dans le cadran haut et à gauche du plan factoriel considéré, les comptes rendus représentent près d’un tiers (31 %) de l’ensemble des publications de Sylvain Lévi et la majeure partie (65 %) ont paru dans la Revue critique, organe porteur alors des valeurs scientifiques novatrices dans le domaine des disciplines historiques et littéraires érudites. Le poids des comptes rendus, dans la production scientifique de Sylvain Lévi, atteste de l’importance de cette activité critique par laquelle celui-ci, avec d’autres sanscritistes comme Auguste Barth ou Victor Henry, s’est fait le médiateur en France des études indiennes publiées à l’étranger, tout particulièrement en Allemagne114, mais aussi en Angleterre, en Inde et au Japon. Par sa collaboration régulière jusqu’à la Première Guerre mondiale à la Revue critique, Sylvain Lévi a donc élargi la réception des travaux indianistes aux fractions savantes, celles représentées notamment à la 4e et à la 5e section de l’École pratique, qui se reconnaissaient dans l’éthos scientifique défendu par la revue.
54Si ses recensions portaient principalement sur des ouvrages érudits, Sylvain Lévi, à l’occasion, pouvait rendre compte d’ouvrages ressortant à d’autres disciplines ou même fort éloignés des pratiques savantes, témoignage de la position d’autorité qu’il occupait, au début du xxe siècle, dans le champ de production des discours sur l’Inde. Ainsi, en 1903, il recense à la fois deux essais de type journalistique, celui de Paul Boell, L’Inde et le problème indien, et celui d’Albert Métin, alors étudiant de l’université de Paris, ayant bénéficié d’une bourse de voyage autour du monde, L’Inde d’aujourd’hui, étude sociale, mais aussi un gros ouvrage de vulgarisation écrit par le marquis de La Mazelière, Essai sur l’évolution de la civilisation indienne ; à ces publications, il adjoint encore le récit de voyage de Pierre Loti, L’Inde sans les anglais, dont la lecture écrit-il « fatigue comme une séance de projection trop prolongée », et l’essai d’un littérateur ésotériste à la mode, Jules Bois, Visions de l’Inde, qui affiche « les mérites du journaliste (...) que la Revue critique ne se soucie pas d’apprécier »115. Et en 1908, il rend compte brièvement de l’ouvrage de Célestin Bouglé, Essais sur le régime des castes. Au regard de cet éclectisme, on comprend qu’environ 15 % au moins des publications de Sylvain Lévi (situées dans le cadran bas à droite du plan factoriel), soient orientées vers le grand public cultivé : articles dans la presse, allocutions, préfaces, comme celle qu’il donne en 1930 au reportage d’Andrée Viollis, L’Inde contre les anglais, ou celle qu’il écrit pour l’ouvrage collectif, Indochine, publié sous la direction du gouverneur général de l’Indochine à l’occasion de l’Exposition coloniale de 1931. Le meilleur exemple de ce type de publication est le petit livre publié en 1925 et réédité en 1928, L’Inde et le monde, recueil à la fois d’articles parus en France, dans la Revue de Paris, et de conférences délivrées à l’étranger, en Inde, à l’université de Dacca notamment, dans lequel l’auteur livre sa vision, en termes de civilisation, des relations entre l’Inde, l’Extrême-Orient et le monde occidental. C’est à ce type de publication que se rattachent encore les prises de position de Sylvain Lévi sur les questions du judaïsme français dont la Lettre ouverte à la Ligue des droits de l’homme en faveur du capitaine Dreyfus publiée en 1898, au retour de sa première mission en Inde et au Népal et quatre ans après son élection au Collège de France, est le premier témoignage public.
Un salon orientaliste
Après l’élection de Sylvain Lévi au Collège de France, en 1894, les Lévi qui résidaient dans un immeuble bourgeois du quartier latin au 3, Place Saint-Michel, dans le 5e arrondissement de Paris, ont emménagé avec leurs deux garçons, Abel et Daniel au 9, rue Guy-de-la-Brosse dans le même arrondissement, mais près du Jardin des plantes. C’est dans ce nouvel appartement qu’au tournant du siècle la tenue d’un salon hebdomadaire est devenue régulière chez les Lévi. Forme objectivée du capital social accumulé et donné à voir publiquement, ce salon rassemblait à la fois des collègues et des amis du Collège de France, de l’École pratique des hautes études ou de la Sorbonne, des parents, des élèves et des visiteurs de passage venus d’Inde ou du Japon. Évoquant l’une de ces soirées à laquelle il avait convié son neveu, l’écrivain Jean-Richard Bloch, Sylvain Lévi écrit : « Le soir, foule ici. Tu aurais retrouvé Musset, Finot, Loth, Cœdès, les Ernout, les Deniker, Maspéro, Sakali et autres. Bonne soirée »116. Selon le témoignage de George Cœdès117, les soirées d’abord fixées au lundi furent déplacées en fin de semaine à partir de 1908. Désirée Lévi évoque ce jour de réception dans une correspondance à son fils Daniel : « samedi, premier 4 à 7 chez les S[ylvain] L[évi], foule nombreuse, 40 personnes environ, bons gâteaux, vieux amis, vieux élèves, jeunes recrues, les 3 hindous, les 3 japonais dont un, Koo, nous a apporté un petit plateau ravissant avec deux petits bols exquis »118. Et toujours à son fils Daniel, elle écrit : « Pas mal de monde samedi chez les Lévi, mais la thèse de Marcel Cohen119, soutenance des plus brillantes et appréciation des plus élogieuses du jury, nous a évité la cohue, nous n’étions guère plus de 35 ! ! dont un ménage anglais de Lahore – Mr vient suivre les cours de papa pendant son année de congé. Une dame américaine inconnue qui nous a assassiné de lettres et de coups de téléphone jusqu’à ce qu’on l’ait invitée pour le thé, 7 à 8 hindous, un prince abyssin, Abel [Lévi] et son correspondant, un prince japonais, etc. Toujours la même tour de Babel, assez fatigante en somme, pas toujours drôle. (...) Sera-ce aujourd’hui que P.M. sera élu à l’Académie ? sa femme voulait absolument nous avoir à déjeuner samedi. Impossible120. » Au lendemain de la Grande Guerre, d’ailleurs, les Lévi ont transporté l’habitude de ces « réunions du samedi » à Strasbourg121 où Sylvain Lévi était alors détaché à la Faculté des lettres pour y développer les études orientalistes, et ces rencontres furent pendant quelques mois un lieu d’intenses échanges intellectuels. Puis, dans les années 1920, les soirées du samedi furent déplacées au vendredi en fin d’après-midi, comme s’en explique Sylvain Lévi auprès de son fils Daniel, alors en poste au consulat de France à Bombay : « vendredi, réouverture des salons pour recevoir toute la tribu du sanscrit-pâli avec les clans alliés. Grande révolution, nous renonçons aux réunions du soir, il y a trop de banlieusards et on se couche trop tard. Le thé sera servi l’après-midi entre 4 et 7. Encore un changement d’où nous aurons beaucoup de Japonais »122.
55La position dominante occupée par Sylvain Lévi dans l’espace des études indiennes a donc pour principe, outre sa double appartenance123 au Collège de France et à l’EPHE, le volume de son capital orientaliste accumulé très tôt et la structure interne de ce capital, l’ensemble lui conférant une autorité proprement scientifique sur l’espace savant doublée d’une autorité morale sur les fractions cultivées. La trajectoire de la variable temporelle dans le plan factoriel des axes 1-2, représentée de manière simplifiée sur le diagramme 11, fait apparaître en tendance124 le processus d’accumulation du capital scientifique réalisé entre 1885 et 1919 par Sylvain Lévi. À cet égard, les années de la Grande Guerre apparaissent clairement comme une période charnière où s’opère, toujours en tendance, un renversement du type de public visé par les publications. La légitimité scientifique de Sylvain Lévi fondée sur la reconnaissance par ses pairs acquise avant 1914, en France et en Europe, est renforcée au lendemain de la Première Guerre mondiale, d’un côté, par l’audience qu’il acquiert en Inde et au Japon auprès des savants et des intellectuels nationalistes dont Rabindranath Tagore, prix Nobel de littérature en 1913, est alors la figure éminente et, de l’autre, par la position qu’il occupe dans les institutions du judaïsme français dont il devient, dans les années 1918-1920, l’un des porte-parole officiels.
56Les missions effectuées à la requête du ministère des Affaires étrangères en Palestine, en 1918, et aux États-Unis auprès des milieux juifs américains, en 1919, sa participation aux négociations sur la question de la Palestine lors de la Conférence de Versailles et ses prises de position hostiles à la création d’un Foyer national juif mais, aussi, les rencontres avec Tagore entre 1920 et 1923, d’abord en France, à Paris puis à Strasbourg, ensuite au Bengale, à Calcutta où il est fait docteur honoris causa de l’université, puis à Santiniketan où il enseigne pendant plusieurs mois, tout cela a contribué à la pleine exposition publique d’un savant dont l’autorité ne s’exerçait jusqu’alors qu’au sein du champ universitaire. En 1925, il accorde un long entretien au journaliste Frédéric Lefebvre125, qui invente alors pour Les Nouvelles littéraires les premières formes de diffusion pour le grand public cultivé des travaux de personnalités du monde scientifique et littéraire.
57Dans le contexte des luttes qui divisent les milieux juifs, les tenants des positions sionistes, choqués par les déclarations de Sylvain Lévi lors de la Conférence de la Paix, en 1919, n’ont pas manqué de mettre fortement en cause cette sorte de transfert d’autorité, illégitime à leurs yeux, que celui-ci semblait opérer de l’espace savant à l’espace politique, en particulier au regard de la question sioniste. Ainsi le poète André Spire, qui avait cru un temps rallier Sylvain Lévi à la cause sioniste lorsque ce dernier rentra de sa mission en Palestine, s’indignait au lendemain de la Conférence de la paix : « Est-ce l’Inde ou la Palestine, est-ce le présent ou le passé que connaît M. Sylvain Lévi ? L’armistice est signé. La paix se prépare. On démobilise. Que chacun regagne sa place : le cheval de course à l’hippodrome ; à sa pénombre le professeur »126. Mais si les années de l’entre-deux-guerres sont celles de la plus grande reconnaissance publique de Sylvain Lévi, celui-ci n’en poursuit pas moins son travail érudit. En 1925, il édite deux traités bouddhiques de Vasubandhu, en sanscrit, et en livre la traduction en 1932, avant de faire paraître, l’année suivante, un volume de textes en tokharien accompagnés d’une étude sur la langue, deux ans avant sa mort lors d’une réunion de l’Alliance israélite universelle.
58Cette position éminente que Sylvain Lévi occupe non seulement au pôle de l’érudition indianiste mais, plus généralement, dans l’ensemble du champ de production des discours sur l’Inde, permet de comprendre que les agents situés au pôle hétéronome du champ n’aient pu que se référer objectivement ou subjectivement à l’œuvre et à la personne de celui qui incarnait, dans un état historique spécifique du champ de production des discours sur l’Inde, la figure par excellence de l’orientaliste.
Notes de bas de page
1 Louis Finot et Alfred Foucher, « L’enseignement du sanscrit à l’École pratique des hautes études », Revue internationale de l’enseignement, XXXV, 1898, p. 490.
2 Les catégorisations indigènes qui émaillent les entretiens (« X est un grammairien pur », « Y incarne l’intégrisme philologique », « Z n’est qu’un philosophe »), enferment une part d’objectivation des concurrents en ce qu’elles grossissent, souvent de manière intéressée, les principes de divisions internes au pôle savant qui peuvent échapper au regard d’un observateur extérieur considérant uniformément les spécialistes de langues et de littératures.
3 Abel Bergaigne, La place du sanscrit et de la grammaire comparée dans l’enseignement universitaire, Paris, Armand Colin, 1886, p. 15 (extrait de la Revue internationale de l’enseignement, 15 février 1866). Répétiteur de sanscrit à la 4e section de l’EPHE en 1868, Abel Bergaigne est nommé maître de conférences de langue et littérature sanscrites à la faculté des lettres de Paris, en 1877, puis professeur titulaire, en 1885, dans une chaire créée pour lui.
4 Victor Henry (1850-1907), fut d’abord chargé de cours de philologie classique à la faculté des lettres de Douai (1883), puis chargé de cours de grammaire comparée à la faculté des lettres de Paris, à partir de 1888.
5 Victor Henry, « Le sanscrit à la Faculté des lettres de Paris », Revue internationale de l’enseignement, XXXIV, 1897, p. 493.
6 Victor Henry, art. cit., p. 497.
7 Ibid., p. 493 ; pour un point de vue homologue voir Paul Regnaud, La langue et la littérature sanscrites, Paris, Ernest Leroux, 1879 (il s’agit du discours d’ouverture du cours de sanscrit à la faculté des lettres de Lyon). Victor Henry a cependant publié plusieurs ouvrages d’indianisme, notamment des traductions de drames sanscrits et Les littératures de l’Inde, sanscrit, pâli, prâcrit, Paris, Hachette, 1904, La magie dans l’Inde antique, Paris, Dujarric, 1904.
8 Victor Henry, « Le sanscrit à la Faculté des lettres de Paris », art. cit., p. 496.
9 Gabriel Bergougnioux (textes choisis et présentés par), Aux origines de la linguistique française, Paris, Pocket, 1994.
10 Armand Minard, entretien avec l’auteur, Paris, 21 novembre 1992.
11 AN, F17/26772.
12 Louis Finot et Alfred Foucher, « L’enseignement du sanscrit à l’École pratique des hautes études », art. cit., p. 489.
13 Alfred Foucher, Étude sur l’iconographie bouddhique de l’Inde d’après des documents nouveaux, Paris, Ernest Leroux, 1900.
14 Françoise Olivier-Utard, Politique et archéologie. Histoire de la Délégation française en Afghanistan (1922-1982), Paris, ministère des Affaires étrangères, Éditions Recherche sur les Civilisations, 1997.
15 Lettre de Sylvain Lévi à son fils Daniel Lévi, Paris [1923], archives privées.
16 Annuaire de l’École pratique des hautes études, section des sciences historiques et philologiques, Paris, Imprimerie nationale, 1912-1913, p. 93.
17 Voir la lettre de Sylvain Lévi à Vasilij V. Radlov, datée du 17 mai 1910, dans Grigorij Bongard-Levin, Roland Lardinois et Aleksej Vigasin (dir.), Correspondances orientalistes, op. cit., p. 203.
18 Lettre de Louis Finot au président de la 4e section de l’EPHE, Hanoi, 22 avril 1929, archives EPHE 4e section.
19 L’abbé Alfred Loisy enseigna une dizaine d’années dans cette école avant d’en être écarté, en 1893, lorsque la crise moderniste éclata au sein de l’Église. Sur la restructuration de l’espace intellectuel catholique sous les effets de cette crise, voir Pierre Colin, L’audace et le soupçon. La crise moderniste dans le catholicisme français 1893-1940, Paris, Desclée de Brouwer, 1997.
20 Brigitte Vaché, « L’École des Carmes 1845-1875 », Revue d’histoire de l’Église de France, LXXXI, 1995, p. 237-253 ; Bruno Neveu « L’enseignement universitaire de la théologie catholique en France de 1875 à 1885 », ibid., p. 269-294.
21 Pierre Thibault, Savoir et pouvoir. Philosophie thomiste et politique cléricale au xixe siècle, Québec, Les Presses de l’Université de Laval, 1972.
22 Archives de l’Oratoire de France, abbé Alfred Roussel, Journal, cahier 37e (manuscrit), « Note au Cardinal Vivès y tuto », 16 mai 1907, p. 13052-13053.
23 Voir la notice biographique consacrée à Paul de Broglie dans le Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, vol. 9, op. cit., p. 108-110.
24 Archives de l’Institut catholique de Paris, cité par Mgr Yves Marchasson, « L’histoire des religions à l’Institut catholique de Paris de 1880 à 1900 : l’œuvre de Paul de Broglie et la Revue des religions », Revue de l’Institut Catholique de Paris, 9, 1984, p. 47.
25 Mgr Charles de Harlez de Deulin (1832-1899), issu d’une famille noble de la Principauté de Liège, a occupé différentes responsabilités dans l’enseignement libre, en Belgique, avant de se consacrer à l’étude de l’Iran ancien et de la Chine. En 1871, il est nommé professeur à l’université de Louvain où il enseigne jusqu’en 1899 ; voir Étienne Lamotte, « Notice sur le Chevalier Charles de Harlez de Deulin », Annuaire de l’Académie Royale de Belgique, 119e année, 1953, p. 1-26.
26 Congrès scientifique international des catholiques tenu à Paris du 8 au 13 avril 1888, Paris, Bureau des Annales de philosophie chrétienne, 1889, vol. 1, p. LVII.
27 Ibid., vol. 2, p. 718-760.
28 Compte rendu du Congrès international des catholiques tenu à Paris du 1er au 6 avril 1891, vol. 2 (Sciences religieuses), Paris, Alphonse Picard, 1891, respectivement p. 65-77 et p. 90-112.
29 Ibid., p. 5-28.
30 Abbé Zéphirin Peisson, « Avant propos », Revue des religions, 1, 1889.
31 Auguste Paul de Broglie, Le positivisme et la science expérimentale, Paris, Palmé, 1880-1881, 2 vol., La réaction contre le positivisme, Paris, Plon, 1894.
32 Auguste Paul de Broglie, La définition de la religion, Paris, Librairie de la Société bibliographique, 1882, en particulier p. 3-59.
33 Annales de philosophie chrétienne, n. s., 1, 6, 1879, p. 485, cité par Anne-Marie Busshaert-Monteil, Le débat entre la raison et la foi de 1817 à 1879 dans les Annales de philosophie chrétienne, le Correspondant et la Revue des deux Mondes, Thèse de 3e cycle, Université de Paris XII, 1980, p. 209.
34 Jusqu’au lendemain de la Première Guerre mondiale, les publications missionnaires catholiques francophones se caractérisent, au regard des religions non chrétiennes, par une « incompréhension quasi-totale évoluant peu à peu vers un respect relatif des éléments reconnus comme parcelle de la vérité », écrit Jean Pirotte, Périodiques missionnaires d’expression française reflets de cinquante années d’évolution d’une mentalité 1889-1940, Louvain, Bibliothèque universitaire de Louvain, 1973, p. 290.
35 Archives de l’Oratoire de France, dossier personnel abbé Alfred Roussel.
36 Archives de l’Oratoire de France, abbé Alfred Roussel, Journal, cahier 24e, 22 septembre 1887, p. 7328.
37 Ibid., 13 octobre 1887, p. 7340.
38 Ibid., 11 octobre 1887, p. 7339.
39 Ibid., 9 octobre 1887, p. 7338, et 11 octobre 1887, p. 7339.
40 « Les notabilités universitaires étaient réunies au pied de l’autel, mais personne ne songeait à prier : on ne voyait là qu’une cérémonie de convenance et pas autre chose. La science est vraiment bien mesquine lorsqu’elle n’est pas accompagnée de la foi qui seule lui donne sa raison d’être, en suppléant à sa faiblesse d’ailleurs incurable », ibid., 17 juillet-12 août 1888, p. 7500.
41 Ibid., 11 octobre 1887, p. 7339.
42 Ibid., 17 février 1888, p. 7395.
43 Ibid., cahier 37e, 23 octobre 1907, p. 13118.
44 Ibid., cahier 25e, 13 décembre 1889, p. 8507.
45 Idem.
46 Ibid., 18 juin 1891, p. 8661.
47 Ibid., 11 avril 1891, p. 8639.
48 Ibid., 19 mars 1892, p. 8732.
49 Sur la position de repli des clercs liée à la crise moderniste voir Hervé Serry, Naissance de l’intellectuel catholique, Paris, Éditions la Découverte, 2004, p. 56-62.
50 Vâlmîki, Le Râmâyana, traduit par Alfred Roussel, Paris, Bibliothèque orientale, 1903-1909, 3 vol.
51 Marie-France James, Ésotérisme, occultisme, franc-maçonnerie et christianisme aux xixe et xxe siècles. Explorations bio-bibliographiques, Paris, Nouvelles éditions latines, 1981, p. 13-15.
52 Thomas Mainage, « L’histoire des religions à l’Institut Catholique de Paris », Revue de Philosophie, 1, 1921, p. 5-28.
53 Louis de la Vallée Poussin, Bouddhisme. Opinions sur l’Histoire et la Dogmatique, Paris, Beauchesne, 1909.
54 Voir les ouvrages rédigés à l’attention du grand public par Alfred Roussel, La religion védique, Paris, Téqui, 1909, Le Bouddhisme primitif, Paris, Téqui, 1911, et Le Bouddhisme contemporain, Paris, Téqui, 1916.
55 Jean-Marie Mayeur, « Des catholiques devant la loi de Séparation : les “cardinaux verts” » dans Mélanges Latreille, Lyon, Université de Lyon II, 1972, p. 207-224.
56 Archives Jésuites (Vanves) et Jean Filliozat, « A.-M. Boyer », Journal asiatique, t. 230, 1938, p. 290-94.
57 René Grousset, Bilan de l’Histoire, Paris, Plon, 1946, en particulier « Un savant français : Joseph Hackin », p. 307-320.
58 Louis Renou, « L’indianisme en 1952 », art. cit., p. 85 ; sur l’étude de la grammaire comme voie d’accès à la délivrance, selon le philosophe du langage Bhartrihari, voir Pierre-Sylvain Filliozat, Le sanscrit Paris, PUF, 1992, en particulier p. 58-59.
59 Voir Louis Renou, L’Inde fondamentale. Études d’indianisme, réunies et présentées par Charles Malamoud, Paris, Hermann, 1978, « Préface », p. 1-7.
60 Annie Montaut, « Jules Bloch », dans Pierre Labrousse (dir.), Langues’O 1795-1895, op. cit., p. 214-215.
61 Émile Benveniste, « Éloge funèbre de Louis Renou », Compte rendu de l’Académie des inscriptions et belles-lettres, juillet-octobre 1966, p. 397 et sq.
62 Adhémar Esmein, « Préface » à Jules Toutain, « La section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études de 1886 à 1914. Son histoire, son œuvre », Annuaire de l’École pratique des hautes études, section des sciences religieuses, Paris, Imprimerie nationale, 1911, p. 5 (souligné par A. E.).
63 Adhémar Esmein, art. cit., p. 6.
64 Paul Masson-Oursel, dossier personnel, archives EPHE 5e section.
65 Silvia Ceccomori, Cent ans de yoga en France, Paris, Édidit, 2001, p. 98 et sq.
66 Raymond Schwab, La Renaissance orientale, op. cit.
67 Dans les comptes rendus des conférences de l’EPHE, les enseignants se font l’écho des malentendus pédagogiques encourus par la présence « d’auditeurs relativement nombreux, (...) amenés par des curiosités et des besoins divers », comme le dit avec euphémisme Louis Renou dans Annuaire de l’École pratique des hautes études, section de sciences historiques et philologiques, Paris, Imprimerie nationale, 1930-31, p. 67.
68 Lettre de Sylvain Lévi à Paul Demiéville, Andilly, 3 février 1929, archives privées. Ce caractère mondain de l’Institut de civilisation indienne est corroboré par le témoignage oral d’Anne-Marie Esnoul, entretien avec l’auteur, Saint-Malo, 29 octobre 1992.
69 On trouvera une évocation de la vie mondaine et culturelle du musée Guimet dans Keiko Omoto et Francis Macouin, Quand le Japon s’ouvrait au monde. Émile Guimet et les arts de l’Asie, Paris, Gallimard, 2001.
70 Sur la mission politique d’Alfred Foucher et des archéologues français en Afghanistan, voir François Olivier-Utard, Politique et archéologie, op. cit.
71 En route pour Tokyo après avoir quitté Hanoi, en 1923, Sylvain Lévi écrit : « Ah ! cette Indochine, j’y ai été choyé, gâté, honoré, dorloté. D’un bout à l’autre nous avons été les hôtes officiels du gouvernement et des états locaux. (...) L’Indochine est le dernier pays où on est encore heureux, tout à fait heureux à la française d’un bonheur modéré, d’une activité modérée. Et les Français et les Françaises qu’on y voit font honneur au pays. » Lettre de Sylvain Lévi à Jacques Bigard, À bord de l’Amboise, 5 janvier 1923, archives de l’Alliance israélite universelle.
72 Bulletin de l’Association française des amis de l’Orient, Paris, Éditions Bossard, 3, juin 1922, p. 5-8.
73 Pierre Do-Dihn, « René Grousset », dans France-Asie, op. cit., p. 895.
74 Andrée Viollis, L’Inde contre les Anglais, préface de Sylvain Lévi, Paris, Éditions des portiques, 1930 ; Andrée Viollis a épousé en secondes noces Henri d’Ardenne de Tizac, conservateur du musée Cernuschi jusqu’en 1932, voir Anne Renoult, Andrée Viollis : une femme journaliste, Angers, Presses de l’Université d’Angers, 2004.
75 Louis Finot, « Émile Senart, nécrologie », BEFEO, XXVIII, 1928, p. 335-347 ; Alfred Foucher, « Émile Senart », Journal asiatique, t. 212, 1928, p. 5-18.
76 Émile Senart, Les inscriptions de Piyadasi, Paris, Imprimerie nationale, 1881-1886, 2 vol.
77 Il s’agit vraisemblablement du VIIe Congrès international des orientalistes qui s’est tenu à Paris en 1897 (et non en 1907).
78 Alfred Foucher, « Émile Senart », art. cit, p. 13.
79 Pierre Meile, « René Grousset et son interprétation de l’Inde. Souvenirs et réflexions », France-Asie, op. cit., p. 881.
80 Lettre de Sylvain Lévi à Paul Demiéville, Paris, 23 mars 1930, archives privées.
81 Louis Malleret, « Le vingtième anniversaire de la mort de Victor Goloubew (1878-1945) », BEFEO, LIII (fasc. 2), 1967, p. 332 ; voir aussi Louis Malleret, « Un oublié : Victor Goloubew, membre de l’École française d’Extrême-Orient (1878-1945) », Bulletin de la Société des Études indochinoises, n. s., XXXIX, 4, 1969, p. 433-448.
82 Charles Müller, Cinq mois aux Indes. De Bombay à Colombo, Paris, Floury, 1924.
83 Sculptures çivaïtes, texte d’Auguste Rodin, Ananda K. Coomaraswamy, E.B. Hawell et Victor Goloubew, Ars Asiatica, 3, Bruxelles, Paris, G. Van Œst, 1921.
84 Ananda K. Coomaraswamy, Les Miniatures orientales de la collection Goloubew au Muséum of fine Arts de Boston, avant-propos de Victor Goloubew, Paris, Bruxelles, G. Van Œst, 1929.
85 Louis Malleret, « Un oublié : Victor Goloubew », art. cit., p. 438.
86 Pierre Bourdieu, La distinction. Critique sociale du jugement, Paris, Éditions de Minuit, 1979, en particulier p. 564-585.
87 Louis Malleret, « Un oublié : Victor Goloubew », art. cit., p. 447.
88 Louis Malleret, « Le vingtième anniversaire de la mort de Victor Goloubew », art. cit., p. 360.
89 Louis Malleret, « Un oublié : Victor Goloubew », art. cit., p. 447.
90 Sylvain Lévi, « Les parts respectives des nations occidentales dans les progrès de l’indianisme », Mémorial Sylvain Lévi, op. cit., p. 107 (1re éd. dans Scientia, 1924).
91 On doit se garder de ne pas surinterpréter la position des revues projetées en variables supplémentaires sur l’axe 3 dont le coefficient de corrélation (R < 0,4) est faible ; mais l’opposition des auteurs sur ce même axe apparaît sociologiquement pertinente (je remercie Frédéric Lebaron d’avoir attiré mon attention sur ce point).
92 Jean Filliozat, « Notice sur les travaux de George Cœdès », BEFEO, LVII, 1970, p. 1-24.
93 Le musée d’Ennery (aujourd’hui attaché au musée des Arts asiatiques-Guimet) rassemble des collections d’art décoratif chinois et japonais constituées par Clémence d’Ennery, l’épouse de l’auteur à succès de pièces de théâtre, Adolphe Philippe dit D’Ennery. L’hôtel particulier que Clémence d’Ennery se fit construire dans le 16e arrondissement de Paris fut un haut lieu de la vie mondaine de la capitale, à la fin du xixe siècle, avant qu’elle ne lègue ses collections à l’État en 1907.
94 Sur les origines familiales de Sylvain Lévi, voir Roland Lardinois, « Sociographie d’un espace familial. Sylvain Lévi dans sa parentèle », dans Lyne Bansat-Boudon et Roland Lardinois (dir.), Sylvain Lévi (1863-1935). Études indiennes, histoire sociale, op. cit., p. 267-288.
95 Pour Louis de La Vallée Poussin, par exemple, son poste de professeur à l’université de Gand était « plus une inscription sociale qu’une activité professionnelle perçue comme un gagne-pain » écrit Paul Servais, « Sylvain Lévi, Louis de la Vallée Poussin, Étienne Lamotte, une généalogie orientaliste ? » dans Lyne Bansat-Boudon et Roland Lardinois, ibid., p. 351, note 49. Une informatrice rapporte qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, exprimant le désir de s’engager dans les études indiennes, le professeur qui l’a reçue lui demanda dès l’abord si elle disposait d’une fortune personnelle pour pourvoir à ses besoins dans un milieu où les places étaient rares et l’attente d’un poste souvent longue.
96 Rapport sur l’École pratique des hautes études pour l’année 1883-1884, section des sciences historiques et philologiques, Paris, Imprimerie nationale, p. 30.
97 Lettre de Sylvain Lévi au président de la section d’histoire et de philologie de l’École pratique des hautes études, non datée, archives EPHE 4e section.
98 James Darmesteter, « Rapport sur les travaux du conseil de la Société asiatique pendant les années 1885-1886-1887-1888, fait pour la séance annuelle de la Société le 21 juin 1888 », Journal asiatique, 8e série, t. 12, 1888, p. 58.
99 AN, F17/13557.
100 Victor Karady, « Recherches sur la morphologie du corps universitaire littéraire sous la troisième république », Le Mouvement social, 96, 1976, p. 47-79.
101 C’est sur les conseils d’Ernest Renan, interrogé par André Berthelot, le fils aîné de Marcellin Berthelot et ami de Sylvain Lévi, que ce dernier se serait orienté vers les cours de sanscrit d’Abel Bergaigne à l’École pratique des hautes études ; voir Grigorij Bongard-Levin, Roland Lardinois et Aleksej Vigasin (dir.), Correspondances orientalistes, op. cit., p. 17.
102 AN, F17/26772, lettre de Sylvain Lévi au directeur de l’enseignement supérieur, Paris, 24 septembre 1883.
103 Lettre de Sylvain Lévi à Léopold Delisle (gendre d’Eugène Burnouf, qui a édité sa correspondance), Paris, 18 octobre 1891, BnF, NAfr., 10592, f. 183.
104 Lettre de Sylvain Lévi à Jacques Bigard, Santiniketan (Bengale), 4 janvier 1922, archives de l’Alliance israélite universelle.
105 Lettre de Sylvain Lévi à Vasilij M. Alekseev dans Grigorij Bongard-Levin, Aleksej Vigasin et Roland Lardinois (dir.), Correspondances orientalistes, op. cit., p. 196.
106 Lettre de Sylvain Lévi à son fils Daniel Lévi, Paris, 20 septembre 1923, archives privées.
107 André Chouraqui, L’Alliance israélite universelle et la renaissance juive contemporaine. Cent ans d’histoire, Paris, PUF, 1965.
108 Julien Weill, « Zadok Kahn et les études juives », Revue des études juives, V (105), 1939, p. 3-15 ; pour une vue d’ensemble, voir Perrine Simon-Nahum, La Cité investie. La science du judaïsme français et la République, Paris, Éditions du Cerf, 1991.
109 Lettre de Sylvain Lévi à Louis Havet, Paris, 18 février 1907, BnF, NAfr., 24498, 2.
110 AN, F17/26772, lettre de Sylvain Lévi au directeur de l’enseignement supérieur, Paris, 13 août 1889.
111 C’est le cas par exemple d’Alfred Foucher à l’EPHE, voir à cet égard la lettre d’Alfred Foucher à Sergej F. Ol’denburg datée de Paris, 9 octobre 1894, dans Grigorij Bongard-Levin, Roland Lardinois et Aleksej Vigasin (dir.), Correspondances orientalistes, op. cit., p. 207-209 ; Sylvain Lévi intervint également pour recommander la candidature de son élève Félix Lacôte à l’université de Lyon : voir la lettre de Sylvain Lévi à Louis Havet datée de Paris, 8 octobre 1908, BnF, NAfr., 24498, 2 ; et pour l’élection de Marcel Mauss au Collège de France voir Marcel Fournier, Marcel Mauss, Paris, Fayard, 1994.
112 Sylvain Lévi, « La Maison franco-japonnaise de Tôkyô », Revue de Paris, 15 septembre 1929, p. 410-428.
113 Pour une présentation complète de l’ACM à laquelle nous avons procédé sur l’ensemble des publications de Sylvain Lévi (n = 399) voir Roland Lardinois, « Les études indiennes objectivées. L’espace des publications de Sylvain Lévi » dans Lyne Bansat-Boudon et Roland Lardinois (dir.), Sylvain Lévi (1863-1935), op. cit., p. 421-447.
114 Pascale Rabault, « Sylvain Lévi lecteur de l’indianisme allemand. Comptes rendus parus dans la Revue Critique d’histoire et de littérature (1886-1914) », dans Lyne Bansat-Boudon et Roland Lardinois, (dir.), ibid., p. 301-342.
115 Voir Revue critique, 44, 1903, p. 342-346.
116 Lettre de Sylvain Lévi à Jean-Richard Bloch, Paris, 22 octobre 1907, BnF, fonds Jean-Richard Bloch, correspondance (lettres reçues), vol. XXVIII, f. 213-214.
117 George Cœdès, « Nécrologie », BEFEO, XXX, 2, 1935, p. 510.
118 Lettre de Désirée Lévi à Daniel Lévi, Paris, non datée, archives privées.
119 Marcel Cohen (1884-1974), Le système verbal sémitique et l’expression du temps, Paris, Publications de l’École des langues orientales vivantes, Ve série, vol. XI, 1923.
120 Lettre de Désirée Lévi à Daniel Lévi, Paris, 25 octobre 1923, archives privées.
121 Bertrand Muller (dir.), Marc Bloch, Lucien Febvre et les Annales d’histoire économique et sociale. Correspondance, tome 1, 1928-1933, Paris, Fayard, notamment, p. XX.
122 Lettre de Sylvain Lévi à Daniel Lévi, [Paris], non datée, archives privées.
123 Sylvain Lévi n’a jamais été élu à l’Académie des inscriptions et belles-lettres alors même que toute sa trajectoire l’y portait, voir Grigorij M. Bongard-Levin, Roland Lardinois et Alekej A. Vigasin (dir.), Correspondances orientalistes, op. cit., p. 141.
124 L’ACM donne une vue d’ensemble de l’espace des publications de Sylvain Lévi ; ainsi, les articles parus dans La Grande Encyclopédie, situés au bas de l’axe 2, datent néanmoins des années 1885-1895, et la « Lettre ouverte à la Ligue des droits de l’homme » de 1898.
125 Frédéric Lefèvre, « Une heure avec M. Sylvain Lévi, indianiste, professeur au Collège de France », Mémorial Sylvain Lévi, op. cit., p. 118-125 (lre éd. dans Nouvelles Littéraires, 1925).
126 André Spire, « Du Mahâyâna Sûtrâlankâra à la Conférence de la paix. (Essai de contribution à l’éclaircissement du cas Sylvain Lévi) », dans Souvenirs à bâtons rompus, Paris, Albin Michel, 1962 (première parution dans La Palestine Nouvelle, mars 1919), p. 113.
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