Chapitre VI. Topographie de l’aqueduc
p. 233-250
Texte intégral
LA TOPOGRAPHIE À L’ÉPOQUE ROMAINE
1L’architecture, les travaux publics et les cadastres résultent de la mise en œuvre de techniques systématiques, avec pour préalable une opération topographique intermédiaire entre le projet et la réalisation pratique. Le haut niveau technique des géomètres topographes grecs pour les problèmes d’arpentage, de calcul de distance entre deux points inaccessibles par une droite, de percement de tunnels par les extrémités et de conception de siphons sur les adductions est avéré. Des appareils goniométriques sont employés, tels que le dioptra avec visées horizontales et, pour les opérations simples, la règle graduée, le cordeau et la chaîne d’arpenteur (Adam, 1984, p. 9-10).
2L’agrimensore romain est connu par les ouvrages techniques que sa corporation a laissés. Il utilisait deux appareils : la groma et le chorobate, dont les applications sont complémentaires et définissent l’essentiel des opérations de topographie courante.
3La groma, connue par des représentations figurant sur deux stèles funéraires et par la découverte d’un exemplaire dans une boutique de Pompéi, est l’instrument standard servant aux visées orthogonales de cadastration. Ces opérations ont été effectuées sur des dizaines, voire des centaines de kilomètres comme en Tunisie. Une croix à quatre branches orthogonales et d’égales dimensions constitue le dispositif de visée, l’équerre directionnelle. Celle-ci est reliée par un bras de recherche sur pivot à un pied permettant la mise en station. Sur l’axe de l’équerre, un fil à plomb assure la mise en station sur une borne. Les quatre fils à plomb suspendus à chacune des branches de l’équerre forment, deux à deux, les plans de visée. L’expérimentation a montré la rapidité d’installation et la fiabilité de la groma pour des visées droites et orthogonales de faibles distances, comparables à celles des instruments modernes (Adam, 1984, p. 13-15). Les mensores (arpenteurs) étaient chargés de l’arpentage des limites cadastrales et du bornage des terrains. L’arpenteur qui utilise la groma devait fréquemment procéder à des vérifications par la mesure de la diagonale (théorème de Pythagore) (Chouquer, Favory, 1992, p. 15-67).
4Complément de la groma, le chorobate n’est connu que par la description qu’en a donnée Vitruve (VIII, 5). Destiné aux opérations de nivellement, le chorobate est un long chevalet en bois (de 20 pieds de longueur), aux pieds verticaux, creusé d’un canal. L’appareil doit être calé en position horizontale à l’aide de deux fils à plomb devant coïncider avec des repères verticaux tracés sur le bâti. Le canal tient lieu de niveau d’eau, utile lorsque le vent fait bouger les fils à plomb. Deux œilletons placés dans l’axe de la table du chevalet permettaient la visée à l’œil nu. Cet appareil étant encombrant et difficile à mettre en place en terrain accidenté, il lui était souvent préféré des appareils du même type mais plus petits. L’expérimentation effectuée avec un appareil de 1,50 m de longueur a montré sa relative efficacité. Sur de longs cheminements, les visées à l’œil nu pouvaient se faire par cultellations de hauteur constante. En terrain déclive, donc à courte distance, la lecture s’effectue sur une perche graduée. En l’absence d’optique grossissante, l’assistant tenant la mire note la mesure. Au cours de l’expérimentation, on a pu constater une erreur maximale de 0,04 m pour une distance de 51 m. L’opérateur avait donc intérêt à effectuer un nombre restreint de visées sur de longues distances, les plus susceptibles d’erreurs (Adam, 1982, p. 1025-1029 ; Adam, 1984, p. 18-19).
5La simplicité et les limites conceptuelles et techniques des outils devaient être compensées par la multiplication des contrôles destinés à vérifier la précision des mesures et la rigueur des alignements et des angles droits (Chouquer, Favory, 1992, p. 62-81). Il convient de se demander si les erreurs de nivellement ne dépassaient pas le gradient du tracé. Les visées à l’œil nu étaient la base des mesures de dénivelés. Avec une précision de 0,1 %, on atteint 0,50 m d’erreur potentielle sur une distance de 480 m (Nordon, 1991, p. 132). Ce qui suppose un grand soin dans le positionnement de l’appareil, avec de multiples cheminements de contrôle du nivellement. Les corrections sur le terrain n’étaient pas rares, y compris au moment de la construction et après la mise en eau de l’aqueduc.
6Dans le cas où le tracé d’un aqueduc était court et la pente prévue forte, le nivellement ne posait pas de problème. Lorsque les sources étaient éloignées et la pente particulièrement faible, à l’exemple de la grande canalisation de Carhaix, la précision était essentielle et nécessitait l’intervention d’experts du nivellement tant au niveau de la réalisation qu’au niveau de la conception.
TRACÉ DES CANALISATIONS
LONGUEUR ET STRATÉGIE DU TRACÉ
7Le tracé et l’aménagement de la pente sont deux aspects essentiels dans la construction d’un aqueduc. La longueur de l’aqueduc est de toute évidence conditionnée par l’éloignement des sources mais aussi par le relief dont les obstacles doivent être contournés ou franchis sans trop contraindre la pente moyenne. Celle-ci devait être suffisante pour amener l’eau de la source à la ville antique ; les fortes pentes étaient compensées par des « escaliers » hydrauliques comme à Lyon (Burdy, 2002 ; Chanson, 2002) ou Autun (Borau, 2009).
8La construction d’un aqueduc est, de plus, tributaire des contraintes techniques et financières. La longueur du canal est parfois un chiffre trompeur qui trahit plutôt le manque de moyens financiers et de connaissances techniques. Le canal est susceptible de décrire de longs détours, dans la mesure où l’on ne peut multiplier à l’infini les ouvrages d’art. Ce qui importe, c’est la distance entre la source et le réservoir terminal.
9Le tracé suit les courbes de niveau afin d’éviter au maximum le franchissement des reliefs. Cette particularité justifie la longueur des aqueducs, bien supérieure à la distance à vol d’oiseau (Pelletier, 1982, p. 114). En l’occurrence, à titre de comparaison entre trente-quatre aqueducs, le tableau LX regroupe les principales données métriques de leur parcours : longueur, distance à vol d’oiseau, rapport longueur/distance, longueur de parcours aérien (arcades, murs pleins) et pourcentage par rapport à la longueur totale, longueur de parcours en tunnel et pourcentage, longueur de parcours en siphon et pourcentage.
10Le tracé n’est pas immuable dans le temps : selon le cas, il peut y avoir raccourcissement ou allongement de l’aqueduc. Frontin note qu’à Rome, les ingénieurs profitaient de travaux de réfection sur les conduits vétustes pour raccourcir le tracé, en abandonnant les contournements de vallées par un canal souterrain au profit d’ouvrages aériens (Frontin, 18). Cette remarque est illustrée par de multiples corrections de tracé que seule l’analyse archéologique des aqueducs met en évidence. L’aqueduc de Cherchell en offre un bon exemple : le tracé initial mesurait 45 km avec 0,5 % de la longueur sur arches. Son raccourcissement, suite aux dégradations du canal, a pu atteindre dix kilomètres grâce à la construction de nouveaux ponts. La longueur de l’aqueduc dans son deuxième état mesurait alors 35 km dont 1,7 % sur arches (Leveau, Paillet, 1976). L’aqueduc du Gier, à Lyon, en offre un autre exemple : la longueur de l’aqueduc a été réduite de 86 km à 74 km, notamment en évitant le contournement de la vallée de la Durèze à l’aide d’un siphon (Burdy, 1996). À Bourges, la dérivation de Soye-Septaine, de 4 km de longueur, remplace une longue section sinueuse de 6 km (Bernon, Trotignon, 1979).
11À l’inverse, les allongements de parcours sont généralement motivés par le captage de nouvelles sources. Par exemple, l’aqueduc de Saintes, long de 8 km dans son état initial, est prolongé de 7,5 km en amont (Triou, 1968). À Cologne, le captage de nouvelles sources rallonge le parcours de la conduite du Eifel de 20 km (Grewe, 1986, p. 35). Sur l’aqueduc de la Brévenne, à Lyon, de nouvelles sources sont captées par une conduite plus petite, longue de 18 km (Burdy, 1993). À Carthage, l’extension pour de nouveaux captages atteint 33 km de long, soit plus d’un tiers de la longueur de la conduite initiale de 90 km (Rakob, 1979, p. 36).
12Longue de 26 km, la grande canalisation de Carhaix se situe dans la tranche de 0 à 30 km où les deux tiers des aqueducs sont classés. L’examen du rapport entre la longueur des conduites et la distance à vol d’oiseau séparant les sources et les villes alimentées (L/D) met en évidence un groupe dominant entre 1,2 et 1,5. Il s’agit, surtout, d’aqueducs courts, inférieurs à 20 km, dont le parcours est proche de la ligne droite en raison, d’une part, de la faiblesse des reliefs et, d’autre part, des nombreux ouvrages d’art. Dans un rapport supérieur à 2,5 on trouve les longs aqueducs (plus de 30 km). Cette valeur élevée est due au relief tourmenté et ce malgré la présence de nombreux ouvrages d’art pour certains (Lyon-Brévenne et Mont-d’Or, Nîmes, Aix-Traconnade). Avec un rapport de 2,25 l’aqueduc de Carhaix se situe dans les valeurs intermédiaires. En analyser les causes revient à examiner le rapport entre la longueur de la conduite et les ouvrages d’art en comparaison avec la situation des autres aqueducs et en perspective avec le contexte géomorphologique.
13Dans la nécessité de conserver une pente suffisante à l’aqueduc, le relief constitue la principale contrainte. Ainsi les ouvrages d’art, qu’il s’agisse d’ouvrages aériens, ponts et siphons, ou tunnels, ont pour première vertu de raccourcir le parcours qui suit au plus près les courbes de niveau (Bonnin, 1984, p. 42). Parmi les nombreux exemples, on citera le tunnel de l’aqueduc de Bougie (Saldae) qui a permis d’approcher la distance à vol d’oiseau, l’aqueduc de Nîmes parcourant le relief tabulaire des garrigues échancré de gorges et vallons, et les aqueducs de Lyon où la multiplication des ouvrages d’art était inévitable dans le relief très tourmenté des Monts du Lyonnais. Les siphons y sont particulièrement nombreux, indispensables pour franchir les vallées très profondes. Dans certains cas, les ouvrages d’art étaient incontournables, hors de toute considération de longueur. À Toulouse, l’aqueduc qui suit les terrasses de la Garonne devait absolument franchir le fleuve pour desservir la ville. Il en est de même à Saintes (franchissement de la Charente) et à Metz, comme à Paris où, après le franchissement de la Bièvre à Arcueil, l’aqueduc suit un parcours direct. Dans d’autres cas, c’est l’obligation de conserver une hauteur compatible avec l’alimentation en eau de la ville qui a imposé des parcours aériens sur arcades, notamment à Ségovie. À Cologne, le relief de la partie centrale de la conduite du Eifel a nécessité la construction d’ouvrages d’art, mais aussi la plaine, à Hurh Hermulhen, à l’entrée de la ville, traversée sur des arches avec un rehaussement de l’ordre de 3 m par rapport au premier canal (Grewe, 1986, p. 174-175).
14Bien moins fréquente, la contrainte historique est mise en avant sur le tronçon terminal de l’aqueduc de Nîmes, en tunnel afin de passer sous le rempart de la cité.
15Certains aqueducs ont un parcours en ouvrages d’art qui représente un pourcentage très élevé de leur longueur totale : à Saint-Bertrand-de-Comminges, aqueduc de 2 km seulement, où la conduite court à flanc de coteau, au piémont, à 50 % sur des ponts et des murs ; 43 % à Sidé, aqueduc de 30 km de long, où, dans un relief accidenté, on a cherché à optimiser le parcours en réduisant la longueur au maximum, tout en conservant une pente suffisante. Sur les aqueducs de Rome, les ouvrages d’art représentent 18 % de la longueur totale, mais l’Aqua Tepula, long de 18 km, est aérien sur 54 % de son parcours.
16En revanche, lorsque le profil en long le permettait, on n’a pas hésité parfois à ignorer les ouvrages d’art, comme, entre autres, à Néris-Viviers où la conduite épouse tous les vallonnements et dont la longueur est le double de la distance à vol d’oiseau (Laville, 1964). Le refus de construire un ouvrage d’art est motivé, dans certains cas, par des conditions climatologiques : à Avenches, l’aqueduc de Bonne-Fontaine ne comporte aucun passage aérien ; la conduite est partout enterrée pour la protéger des ravinements dus à la fonte des neiges et elle contourne le lit du Ruz de Chaudeires connu pour être particulièrement destructeur (Aubert, 1969).
17Si le relief collinaire traversé par les deux canalisations de Carhaix peut être qualifié de peu abrupt, il présente cependant des caractères particuliers qui ont nettement influencé le choix du tracé. Dans la partie amont de son parcours, la grande canalisation côtoie la vallée empruntée aujourd’hui par le canal de Nantes à Brest. L’amplitude des collines et des larges croupes d’interfluve (entre les affluents du canal) n’est pas anodine : jusqu’à 70 m pour la Montagne à la Vierge. Les deux vallées à franchir le sont dans leur cours inférieur dont la caractéristique principale est l’encaissement. Il s’agit donc d’obstacles non négligeables. Dans la moitié aval du parcours, le relief, pour être différent, n’en est pas moins prégnant. Les deux canalisations croisent d’abord deux vallons ramifiés, empâtés, sans relief marqué, mais très larges. Ce n’est que dans les derniers kilomètres, aux abords de la ville, que les canalisations adoptent naturellement un parcours moins sinueux, sans fortes contraintes, sur l’interfluve Hyères/ Canal de Nantes à Brest (fig. 342).
18En trois endroits, le tracé s’affranchit des courbes de niveaux au moyen d’une tranchée profonde de 3,50 m, tout au plus, soit le double de la profondeur habituelle. Les croupes d’interfluve sont surbaissées et il était aisé de couper au travers au moyen d’une tranchée profonde (fig. 343). Le gain en longueur de tracé, et donc en perte de charge, est réel. À Quéhélen 2 (inv. n° 20), la longueur de la tranchée profonde est d’une centaine de mètres et le gain de parcours est de 600 m. Au niveau de Kerléran, entre Quéhélen 2 et Krec’h-ar-Werchez (inv. nos 20 et 21), le parti pris du passage en tranchée profonde est déduit de l’absence de vestiges de la conduite dans le contournement de la croupe par Tronjoly et Roz-ar-Gall ; le gain de parcours est d’environ 1100 m. Entre Pors-en-Place 1 et Pors-en-Place 2 (inv. nos 39 et 40), le gain est de 400 m. Au total, le parcours en tranchée profonde ne dépasse pas 550 m pour un gain de longueur de 2 100 m.
19L’examen du tracé montre que le choix particulier des ouvrages d’art – un tunnel et un pont – n’est intervenu que lorsqu’il était impossible de faire autrement. Le tunnel de Kervoaguel, long de 800 m, évite le contournement de la croupe d’interfluve de Kerloubennec, raccourcissant le tracé naturel de 6 km, afin de maintenir une pente moyenne suffisante qui, de 0,27 m au km, serait réduite à 0,22 m sans cela. L’ouvrage aérien de Kerampest, de 900 m de longueur pour une hauteur d’environ 13 m, était incontournable : la dépression qu’il franchit isole totalement la ville antique du parcours rural de l’aqueduc. Construire des ponts pour franchir les vallées encaissées de Pont-Cam et de Roc’h-an-Burtul et édifier des files d’arches pour éviter le contournement des larges vallons de Penn-Lann-Kerdavid et Ponterrien était techniquement tout à fait possible. Cette option aurait permis de ramener le rapport entre la longueur de la grande canalisation et la distance à vol d’oiseau aux alentours de 1,5. Si un autre choix a été fait, c’est bien pour des raisons économiques. Il convient d’en préciser les paramètres et, pour cela, nous mettrons l’accent sur les franchissements des ruisseaux encaissés de Pont-Cam et Roc’h-an-Burtul.
20Sur le ruisseau de Pont-Cam, un pont de 140 m de longueur et 15 m de hauteur maximale pouvait être construit à la sortie de la vallée, entre Rosquelven et La Pie, au lieu du contournement de 3 km. Sur le ruisseau de Roc’h-an-Burtul, un pont de 100 m de longueur et 13 m de hauteur maximale pouvait joindre les deux versants de la vallée entre Kervoaguel, peu après la sortie du tunnel, et le Hélesser, au lieu du contournement de 2,5 km. Le gain en terme de perte de charge aurait été appréciable avec un raccourcissement de 5 km du parcours. L’édification des deux ponts aurait nécessité un volume de matériaux estimé à 5 200 m3 contre 12 000 m3 pour la conduite en tranchée. Si, en terme de volume, les ponts sollicitent moins de matériaux, il faut prendre en considération la technicité de la mise en œuvre par un personnel spécialisé, comme l’utilisation d’échafaudages et de machines. La conduite engravée, par contre, avait déjà sa propre organisation du travail avec une faible part de personnel spécialisé. La disponibilité des matériaux locaux ne posant pas de problème d’approvisionnement, le critère économique était largement favorable à la construction du canal avec des détours.
FRANCHISSEMENT DES RUISSEAUX
21Le détour de la grande canalisation dans les vallées encaissées comme dans les vallons empâtés concernant les deux aqueducs est systématique (fig. 344). Mais au lieu d’enjamber les ruisseaux par des ponceaux, les canaux remontent très en amont du point de franchissement ultime possible par ce moyen, pour un passage sous les ruissellements par engravure dans le substrat (fig. 345-346). Cette réalité est avérée par les sondages des sections de Roscoat (affluent du ruisseau de Pont-Cam), Roc’h-an-Burtul, Hélesser 2 (fig. 347), Penn-Lann-Kerdavid 2 et Kervuluet-Ponterrien (fig. 348) (respectivement inv. nos 15, 31, 32, 34 et 42). Même s’il n’est pas reconnu formellement pour le ruisseau de Pont-Cam, le passage au niveau inférieur est déductible de la position et du niveau du fond des sections de Rosquelven 2 (en amont) et Pont-Cam 3 (en aval) (inv. nos 8 et 9). Ce principe d’engravure sous les lits des ruisseaux est donc appliqué aussi bien aux ruisseaux pérennes (Pont-Cam et Roc’h-an-Burtul) qu’aux vallons secs à l’étiage. Dans tous les cas de figure, les conduites sont en interface avec les ruissellements à l’hivernage (chap. VII, p. 270).
22Cette configuration est connue dans deux cas particuliers liés aux interactions entre le climat et la géomorphologie. Dans les pays méditerranéens, les canalisations à flanc de coteaux parfois très abrupts sont soumises aux glissements de terrain lors des pluies torrentielles d’automne, après la sécheresse de l’été (Leveau, 1987a). Ce phénomène est tellement important que l’on a dû parfois rectifier le tracé en remplaçant les détours par des ponts comme à Cherchell, où la canalisation se rompait (Leveau, Paillet, 1976, p. 31), ou encore à Utique, où les glissements de terrain ont emporté le canal (Ben Baaziz, 1990). Ailleurs, on a fait le choix d’engraver suffisamment l’aqueduc pour affranchir l’ouvrage des pluies torrentielles dans des vallées à sec le reste du temps. À Cimiez, l’aqueduc de Mourailles est totalement engravé, sans aucun ouvrage d’art, et remonte sur plusieurs kilomètres dans les vallons des Fleurs (Benoît, 1977). C’est aussi ponctuellement le cas sur l’aqueduc de Béziers à 10 km de la source, dans un vallon où l’aqueduc est protégé des ravinements par son enfouissement (Andrieu, 1990, p. 67). Sur l’aqueduc de Nîmes, le problème posé par la violence des débits d’orage a été traité par l’ampleur et les dimensions des arches des ponts avec avant-becs en éperon (ponts de Bornègre), mais, dans le bois de Remoulins, l’aqueduc s’inscrit dans une topographie différenciée composée de petits interfluves et de onze vallons secs en dehors des périodes de fortes précipitations. Les vallons nos 4 et 11 ne sont pas franchis par des ponts, mais l’aqueduc est enterré en tête de vallée pour le premier et en une large courbe composée d’une succession de pans coupés pour le second (Fabre et al., 1991, p. 63-69).
23Dans un contexte de climat atlantique, avec des terrains à morphologie molle, de tels ravinements, aussi violents, sont inconnus et l’on observe plutôt des dépôts de colluvionnements dans les fonds de vallée : moins de 1 m d’épaisseur au Hélesser 2 (inv. n° 32). Ce ne sont donc pas des raisons techniques, en rapport avec l’âpreté du milieu, qui ont guidé ce choix. On ne peut, non plus, évoquer un manque de capacité à réaliser des ponceaux dès lors que l’on a édifié le pont de Kerampest. Entre le ponceau et l’engravure sous ruissellement, l’argument technique serait plutôt en faveur du ponceau tant il est peu aisé de maçonner à la chaux en milieu aqueux, malgré les batardeaux qui durent être mis en place sur les ruisseaux pérennes, mais l’argument économique laisse dubitatif. Il faut plutôt rechercher d’autres raisons ayant pu présider à un tel choix, par exemple le captage des sources et la mise en œuvre d’un dispositif de chasse des sédiments.
24Le captage de sources secondaires n’est pas avéré à Carhaix du point de vue archéologique. On objectera que les sondages sont par trop restreints pour détecter d’éventuels apports complémentaires ou s’assurer qu’ils sont absents, mais l’étude hydrologique montre que des apports supplémentaires n’étaient pas indispensables pour la grande canalisation et peu efficients pour la petite canalisation, compte tenu du contexte géologique (chap. VII, p. 272). En outre, la prise d’eau au long du parcours peut être réalisée sans difficulté à l’aval d’un franchissement sur ponceau par l’édification d’une rigole de captage rejoignant la conduite après le franchissement. Ce captage n’était en aucun cas possible dans les ruisseaux de Pont-Cam et Roc’h-an-Burtul, au débit très supérieur et au parcours amont d’une telle longueur que l’eau ne pouvait être de qualité suffisante.
25Le dispositif de chasse n’est cependant pas à écarter, même si l’archéologie ne permet pas de le mettre en évidence. En effet, les thalwegs traversés ont tous subi des modifications substantielles de leur profil et de leur assiette : remembrement, recalibrage des écoulements, aménagement de réservoirs et de biefs de moulins, modifications qui ont partout eu pour effet de faire disparaître la partie supérieure des sections de franchissement, sommet des piédroits et voûte. En faveur d’un éventuel dispositif de chasse des sédiments, dont la fouille montre les accumulations aux points de franchissements de ruisseaux, il convient d’évoquer le profil en long, qui montre des pentes partielles très faibles aux passages des ruisseaux. Aussi, cette proposition reste-t-elle seulement conjecturale et un tel dispositif n’a, semble-t-il, pas été signalé sur les aqueducs, tout au moins dans un contexte similaire.
26Ces franchissements en passage inférieur posent plusieurs questions d’ordre technique : quel en était le mode de couverture et qu’en était-il de l’étanchéité du canal et du rétablissement des écoulements naturels ? L’arasement des couvertures laisse ces questionnements sans réponse. Au droit du passage du ruisseau du Hélesser (inv. n° 32), la couverture était vraisemblablement en dalles jointives. Nous pouvons envisager que ce type de couverture fût adopté pour les sections de franchissement, peut-être recouvertes par une chape de mortier de tuileau. L’étanchéité, malgré un substrat argileux et en principe imperméable, ne pouvait être totalement parfaite ; des infiltrations restaient possibles. C’est sans doute pour cette raison que, à Kervuluet-Ponterrien (inv. n° 42), un drain de 0,20 m de côté a été aménagé sous le hérisson de la petite canalisation (fig. 349).
27Des modifications du tracé dans les thalwegs ont-elles été pratiquées ? La réponse est négative. Les prospections et les enquêtes n’ont révélé aucun élément pouvant appartenir à des structures de ponts antiques. Un temps, dans le thalweg du Hélesser (inv. n° 32), un mur barrant la vallée en un point compatible avec un franchissement en passage supérieur a fait illusion. Son étude a montré qu’il était trop étroit pour supporter le canal et que son mode de construction n’avait rien de romain. Le passage en barbacane, de 0,30 m de côté, était par ailleurs trop étroit pour assurer les écoulements naturels à l’hivernage. L’observation a montré qu’il s’agissait d’un mur de barrage-réservoir pour l’alimentation des moulins à eau construits en cascade sur le ruisseau de Roc’h-an-Burtul.
PLANIMÉTRIE DÉTAILLÉE DU TRACÉ
28Le tracé en plan, à l’échelle du terrain, ne peut être mis en évidence que par des décapages importants, tels ceux de l’opération d’archéologie préventive de la déviation de La Pie-Le Moustoir sur la RN 164 et de la fouille de Persivien. Par ailleurs, la photographie aérienne a permis d’obtenir de précieux résultats sur les aqueducs ; c’est par exemple le cas pour Reims (Ardhuin, 1997) et le Vieil-Évreux (Le Gall, 1954). Sur l’aqueduc de Carhaix, c’est un tronçon de près de 1 km de longueur (inv. n° 43) dont le tracé détaillé a pu être ainsi révélé.
29À flanc de coteau, dans une topographie peu contraignante, l’aqueduc affecte un tracé sinueux adapté au terrain en dessinant des courbes à très large rayon comme à La Pie (inv. nos 16, 17 et 18) (fig. 350). En y regardant de plus près, on constate que les courbes sont formées d’une succession de tronçons rectilignes très courts dont les angles sont émoussés. L’implantation est manifestement réalisée par un piquetage serré, collant au plus près du terrain. C’est aussi le cas, mais pour des raisons techniques de construction, à Augst (grande conduite), où la ligne sinueuse est obtenue par l’assemblage de sections courtes de 4,50 m de longueur (soit 15 pieds), correspondant à la longueur des planches de coffrage de la voûte (Laur-Belart, 1991 ; Stehlin, 1994).
30Les dépressions de faible amplitude sont contournées par un tracé en ligne brisée comme à Kerlanet, où le dessin des canalisations est restitué par redressement optique (inv. n° 43). La grande canalisation montre une succession de courts tronçons rectilignes de 27 à 32 m de longueur auxquels succède, au sud du chemin rural, une ligne droite (en apparence) de 92 m. Sur la petite canalisation, globalement parallèle à la première, à des tronçons très courts (10 m) succèdent de longues droites jusqu’à 80 m de longueur (fig. 351-352 ; voir également fig. 18). Ce cas de figure est fréquent, comme sur l’aqueduc de Cologne où la dépression de Kall-Urft est contournée par des sections à pans coupés avec des droites de 10 à 30 m de longueur (Grewe, 1986, p. 44-45).
31Le contournement des têtes de thalweg affecte un tracé généralement courbe. C’est le cas à Krec’h-ar-Werchez et au Hélesser 1 (inv. nos 21 et 33), où les rayons de courbure sont faibles (5 m). À Pont-ar-Goël (inv. n° 38), la grande canalisation est courbe (rayon de 4,50 m), mais le tracé de la petite canalisation est angulaire (angle de 150°). Sur l’aqueduc de Nîmes, le passage enterré du vallon n° 9 s’effectue par une large courbe composée de petits pans coupés (Fabre et al., 1991, p. 66). Plus généralement, tous les cas de figure existent pour les changements de direction : des courbes à large rayon sur l’aqueduc d’Estrablin n° 3 à Vienne (Pelletier, 1982) ; des courbes et de brusques segments rectilignes à Lyon-Brévenne, section du Dodin (Jeancolas et al., 1986, p. 71).
32À l’interface des cours d’eau, les sections de franchissement sont toujours perpendiculaires au lit des ruisseaux. En amont et en aval, le dessin du tracé varie en fonction du profil des vallées traversées. Au Hélesser 2 (inv. n° 32), la grande canalisation remonte dans le thalweg puis vire à 90° pour gagner l’autre versant par une section rectiligne de 12 m de longueur, sous le ruisseau dont la largeur est inférieure à 1 m dans sa configuration actuelle (voir fig. 106, p. 94). La conduite suit l’autre rive après un nouvel angle de 90°. À Roc’h-an-Burtul (inv. n° 31), la section de franchissement de 12 m de longueur est abordée par un angle de 145°. Le canal gagne ensuite le piémont de l’autre rive par une série de trois courts tronçons dessinant une ligne brisée aux angles ouverts (135° à 160°). À Kervuluet-Ponterrien (inv. n° 42), la petite canalisation effectue un virage à 135° pour franchir le ruisseau en passage inférieur par une section rectiligne de 11 m de longueur, puis tourne à nouveau de 135° pour longer la rive sur l’autre versant (voir fig. 348, p. 240). Dans les sections angulaires, les maçons ont systématiquement arrondi les angles du parement interne des piédroits afin de fluidifier le débit. À titre de comparaison, on citera l’aqueduc de Cologne où la section amont du pont de Enskirchen Rheder fait un angle de 85° avec la section de franchissement (Grewe, 1986, p. 116-118) ; mentionnons également celui du Gier, à Lyon, avec un angle droit à l’amont du franchissement de la vallée de Jarnon et Langonnet (Burdy, 1996, p. 55-56) et celui de Fréjus, où le franchissement du vallon de Lavellon est abordé par un angle de 120° (Madron, 1979, p. 20).
33Les deux ouvrages particuliers de l’aqueduc de Carhaix – le tunnel et le pont – ont été tracés en ligne droite. La sinuosité du tunnel de Kervoaguel entre les puits résulte des difficultés des mineurs à s’orienter dans le boyau au cours du percement ; elle pouvait également relever d’une technique de pilotage, comme à Bologne où, à proximité des conjonctions de galeries, de brusques changements de direction permettaient de faire la jonction (Demaria, Forti, 2010, p. 240-244). Toutefois, le report en surface de l’emplacement des puits indique que l’implantation de l’ouvrage était rectiligne (chap. IV, p. 211). Quant au pont de Kerampest, son tracé rectiligne est induit par la topographie et le tronçon commun des voies antiques reliant Carhaix à Corseul, Rennes et Vannes (chap. V, p. 231).
NIVELLEMENT : PROFIL EN LONG ET PENTES
34La pente à aménager dictait le tracé. Le calcul de la pente par différence entre la cote de départ d’un aqueduc et sa cote d’arrivée en rapport avec sa longueur est une donnée des plus sommaires. Pour apprécier le savoir-faire des ingénieurs antiques et mieux comprendre le fonctionnement hydraulique d’un aqueduc et son débit, seule importe la connaissance des pentes partielles des différents secteurs permettant d’élaborer un profil en long détaillé. Les relevés précis des ingénieurs étudiant la possibilité d’une réutilisation des aqueducs antiques constituent une base de données sur les niveaux et pourcentages de pente de ces aqueducs, pouvant donner lieu à des analyses comparatives (Bailhache, 1983, p. 19-49).
35On ne connaît, le plus souvent, que les pentes moyennes qui n’ont qu’une valeur indicative : les données archéologiques en révèlent, sur un même aqueduc, la plus grande diversité (Leveau, 1979). L’aqueduc à écoulement libre imposait un nivellement extrêmement soigné. Le canal devait être construit avec une légère pente vers l’aval, sans perdre trop de hauteur. Cette donnée est très importante car elle contribue à déterminer la vitesse de l’eau et, par la suite, le débit (Bonnin, 1984, p. 179-193). La pente moyenne masque des disparités : les imperfections du nivellement antique faisaient se succéder des tronçons de pente inégale, certains présentant de légères contrepentes (Leveau, Paillet, 1976, p. 148).
36Les deux canalisations de l’aqueduc de Carhaix se classent parmi les conduites à pente moyenne faible (tabl. LXI), comparables à celles de Nîmes et de Tours. L’aqueduc de Fleury, à Poitiers, constitue une limite basse à 0,123 m/km. Les valeurs de pente très importantes des aqueducs de Lyon-Yzeron ou Fréjus (plus de 10 m/km) sont liées au contexte local avec des sources captées en altitude. La valeur majoritaire pour la pente moyenne s’établit autour de 1 à 2 m/km. Il est intéressant de confronter ces données aux prescriptions des auteurs antiques. Pline l’Ancien indique que la pente doit être au moins équivalente à la quatrième partie d’un pouce sur cent pieds (environ 0,20 m/km) (Histoire naturelle, XXXI, 31, 1). Vitruve semble conseiller une pente d’un demi pied sur une longueur de cent pieds (environ 5 m/km), mais le manuscrit est incertain (De l’Achitecture, VII, 7, 1). Palladius prescrit une pente d’un pied et demi sur soixante ou cent pieds de longueur (9,70 m/km au plus), ce qui semble très important (Économie rurale, IX, 11). Pour les écoulements libres (canaux), les prescriptions modernes conseillent une pente de 2,10 m/km pour les canaux en cailloux agglomérés et 7,40 m/km pour les ouvrages en granit. Force est de constater que les valeurs de pourcentages proposées dans l’Antiquité peuvent être largement dépassées. En fait, la pente moyenne dépend du dénivelé entre les sources et le point d’arrivée ainsi que de la longueur du tracé. À Carhaix, les pentes moyennes sont faibles car la morphologie du terrain ne permettait pas d’autre solution, sauf au prix d’une multiplication des ouvrages d’art incompatible avec les contraintes économiques.
37On a admis que l’erreur de lecture topographique était de 0,1 %, soit 1 m/km. Cette valeur est comparable à la pente moyenne des aqueducs présentés dans le milieu du tableau LXI, soit environ 50 % des aqueducs cités. Cette valeur est aussi celle des aqueducs de Rome. La prouesse des topographes antiques est avérée sur les aqueducs dont la pente moyenne est inférieure à cette valeur. Le gradient de la pente dépasse en effet largement l’erreur relative de nivellement et seule une dextérité dans l’utilisation du matériel et des contrôles répétés explique que la construction de ces ouvrages ait été menée à bien. Deux faits illustrent précisément les difficultés d’établir la pente : la diversité des pentes partielles et le nombre de réglages effectués a posteriori.
38Les pentes partielles, et notamment les pentes minimales, sont les plus significatives de l’écoulement. Les valeurs de pente faibles ne peuvent permettre un écoulement satisfaisant si elles affectent de grandes longueurs. Avec une pente faible sur 1 km, une ligne d’eau de 0,20 m/km peut s’obtenir, même avec un radier de pente nulle ; la différence de hauteur d’eau reste inférieure à 0,30 m sur le tronçon (Bonnin, 1984, p. 193-194).
39Les opérations de nivellement ont été étudiées par K. Grewe sur l’aqueduc de Cologne, à partir du profil en long. Le librator réalisait le cheminement précis avec des bornes fixes de référence de niveau. Le parcours de 95 km avait été divisé en 16 à 18 sections de 5 à 6 km chacune. Des équipes autonomes construisaient le canal entre ces bornes de référence. Les paliers à la jonction des équipes et le profil en long homogène dans chaque section témoignent de la réalité de cette mise en œuvre (Grewe, 1985, p. 24-39). Il en serait de même sur l’aqueduc de Carthage (130 km), où la pente du canal n’est pas uniforme. La réalisation de chaque tronçon par différentes équipes générait des différences de nivellement (Rakob, 1979, p. 39-40). À Nîmes, les pentes admises auparavant ont ensuite été corrigées par un relevé précis. Globalement, le profil est caractérisé par une série de paliers pratiquement plans, avec des bassins de régulation, séparés par des tronçons à pente plus marquée formant neuf séquences successives pour assurer la régulation du fonctionnement de la conduite. Ces séquences peuvent également correspondre à un découpage préalable par rapport à des repères topographiques, voire à une organisation du chantier entre plusieurs équipes (Fiches, Martin, 2000, p. 133-137).
Tabl. LXI – Comparaison des pentes de trente-neuf aqueducs.
Aqueduc | Pente moyenne en m/km | Pentes locales en m/km et commentaires | Références |
Poitiers – Fleury | 0,123 | 0,03 à l’arrivée en ville | Bailhache, 1983 |
Nîmes | 0,248 | Fortes à proximité des sources ; 0,38 à l’amont du Pont du Gard et 0,18 à l’aval | Fabre et al., 1991 |
Tours | 0,28 | Liot, 1964 | |
Carhaix petite canalisation | 0,245 | ||
Carhaix grande canalisation | 0,265 | ||
Poitiers – Cimeau | 0,47 | Amont : 0,38 à 0,77 ; aval : 1,35 à 1,61 | Leveau, 1992 |
Paris | 0,56 | 0,78 à l’amont du pont de Arcueil-Cachan | Bailhache, 1983 |
Bourges | 0,54 | Bernon, Trotignon, 1979 | |
Trêves | 0,60 | Grewe, 1988a | |
Périgueux – Grand-Font | 0,66 | Pentes régulières (?) | Grenier, 1960 |
Saintes (état 1) | 0,85 | Triou, 1968 | |
Saintes (état 2) | 0,74 | Triou, 1968 | |
Poitiers – Basse-Fontaine | 0,76 | 0,39 à 16,8 | Leveau, 1992 |
Sidé | 1,2 | Grewe, 1994 | |
Avenches – Copet | 1,1 | Aubert, 1969 | |
Metz | 1 | 0,5 à l’amont du pont de Jouy-aux-Arches ; 4 sur le pont ; 1,4 à l’aval | Grenier, 1960 |
Lyon – Gier | 1,1 | 0,5 à 0,6 à l’amont puis 0,9 à 1,2 | Burdy, 1996 |
Toulouse | 1 | Labrousse, 1968 | |
Sens | 0,95 | 0,1 à 2,54 ; contrepente de 0,14 | Grenier, 1960 |
Cahors | 1,2 | 0,1 à 1 en amont puis jusqu’à 5 en aval | Bailhache, 1983 |
Lyon – Mont-d’Or | 1,4 | 70 sur le premier km (chutes) puis 1,4 sur les 18 km suivants | Burdy, 1987 |
Vienne – Estrablin 5 | 1,3 | Pelletier, 1982 | |
Aix – Traconnade | 1,5 | Boiron, Moliner, 1988 | |
Augst | 2 | Stelhin, 1994 | |
Rottenburg | 2 | Grewe, 1988a | |
Saint-Bertrand-de-Comminges | 1,7 | 0,63 sur les 100 premiers mètres puis 0,94 sur 1 km | Bailhache, 1972 |
Rodez | 1,6 | Grenier, 1960 | |
Strasbourg | 2 | Hatt, 1990 | |
Cherchell (état 1) | 2,05 | Leveau, Paillet, 1976 | |
Cherchell (état 2) | 2,9 | 2 à 4 sur les ponts ; chutes et plans inclinés | Leveau, Paillet, 1976 |
Carthage | 2,9 | 14 sur les 6 premiers km puis 1,5 sur le reste du parcours | Rakob, 1979 |
Béziers | 2,63 | 24 à 10 sur les 4 premiers km puis 2,34 du 4e au 6e km ; 0,5 dans les sinuosités | Andrieu, 1990 |
Cologne – Eifel | 3,8 | 100 à 40 sur les chutes ; 3 à 1 entre les chutes ; 2 à 1,2 sur les ponts | Grewe, 1986 |
Néris – Viviers | 4 | 2à6 | Laville, 1964 |
Nyon | 5 | Duperrex, 1977 | |
Lyon – Brévenne | 5 | 87 à 5 sur les chutes ; 1,3 à 0,9 entre les chutes | Burdy, 1993 |
Lyon – Yzeron | 10,8 | 40 à 80 sur les escaliers hydrauliques ; 2,5 à 3 entre les chutes | Burdy, 1991 |
Fréjus | 12 | 20 sur les 10 premiers km ; 100 sur escalier hydraulique ; 6 sur les 30 derniers km | Gébara et al., 2002 |
Ségovie | 55 maximal ; pentes partielles de 4 à 8 | Gallardo, 1975 |
40Une telle stratégie ne peut être mise en évidence par l’analyse des pentes partielles de la grande canalisation de Carhaix. En revanche, les différences manifestes de pentes semblent directement liées à la topographie et traduisent les difficultés du nivellement. La finesse de l’analyse dépend de la densité des mesures effectuées, inégale d’un tronçon à l’autre.
41De Kérangall (inv. n° 3) à Rosquelven 1 (inv. n° 7), soit 2,300 km, la pente est de 0,41 m/km, réduite à 0,36 m après réglage du niveau du fond à Rosquelven 1. Dans ce tronçon initial, où les prises de mesures sont en petit nombre, la conduite est tracée au flanc du versant du canal de Nantes à Brest, sans obstacle topographique, et le pourcentage de la pente est nettement supérieur à celui de la pente moyenne.
42De Rosquelven 1 à Roscoat (inv. n° 15), la conduite contourne la vallée encaissée de Pont-Cam en un parcours de 2,600 km. La pente, très proche de celle de la section précédente, s’établit à 0,38 m/km, passant à 0,42 m/km après réglage du niveau de Rosquelven 1. Globalement, la pente est proche de celle de la section précédente mais, d’après l’examen des résultats des nombreuses mesures réalisées dans cette section, la situation se révèle nettement plus complexe. La pente est élevée en amont du franchissement : 0,61 m/km jusqu’à Rosquelven 2 (inv. n° 8), puis 0,41 m/km jusqu’à Pont-Cam 3 (inv. n° 9). Après le franchissement, la pente est, dans un premier temps, rapide (0,51 m/km) jusqu’au Moulin de Keroguiou 1 (inv. n° 14). Sur les cent mètres suivants, jusqu’à Roscoat, le fond originel de la conduite présente une sévère contrepente de 0,33 m soit, en valeur rapportée par kilomètre, 3,30 m. Cette contrepente a nécessité une reprise du niveau du fond du canal sur plus de 700 m de longueur. À l’issue de cette réfection, la contrepente résiduelle (0,03 m sur les 100 m concernés) est devenue négligeable.
43De Roscoat à Trougaou (inv. n° 23), la conduite à flanc de coteau traverse en tranchée profonde deux modestes croupes d’interfluve. Sur les 4,200 km du tronçon, la pente de 0,32 m/ km approche le niveau de la pente moyenne. De point mesuré en point mesuré, les pentes partielles s’établissent entre 0,39 m et 0,28 m/km à l’exception de la courte section en tranchée profonde entre Quéhélen 1 (inv. n° 19) et Quéhélen 2 (inv. n° 20) où l’on observe, sur 250 m, une contrepente de 0,10 m soit 0,40 m/km. Cette contrepente est réduite à 0,20 m/km après le réglage du niveau en amont sur plus de 300 m.
44De Trougaou à Kervoaguel 1 (inv. n° 26), la pente du tronçon en tunnel reste dans le même ordre de grandeur : 0,39 m/km.
45De Kervoaguel 1 à Hélesser 1 (inv. n° 33), dans le contournement de 3,900 km de la vallée encaissée de Roc’h-an-Burtul et de son affluent du Hélesser, la situation est très différente avec une pente très inférieure à la moyenne, qui s’établit à 0,11 m/km. Toute la partie en amont du franchissement du ruisseau, sur une distance de 1,5 km, est en contrepente de 0,08 m/km. Ce n’est qu’après le franchissement que les pentes mesurées entre deux points retrouvent progressivement des valeurs proches de la normale : 0,12 m puis 0,30 m/km. La contrepente est réduite à 0,02 m/km après une série de réfections : reprise du niveau du fond vraisemblablement sur de grandes longueurs et rehaussement des piédroits à Kerjean 1 (inv. n° 29) et Roc’h-an-Burtul (inv. n° 31).
46Le tronçon suivant, de Hélesser 1 à Pors-en-Place 1 (inv. n° 39), qui contourne le vallon empâté de Penn-Lann-Kerdavid, avait à l’origine une pente de 0,18 m/km pour un parcours de 3,700 km, pente corrigée à 0,21 m/km après réglage du niveau en amont.
47De Pors-en-Place 1 à Kerlanet 1 (inv. n° 43), le canal contourne le vallon de Ponterrien en un parcours de 3,150 km. La pente moyenne reste faible (0,14 m/km), avec un premier secteur affecté par une forte contrepente au niveau de la tranchée profonde coupant la croupe d’interfluve entre Pors-en-Place 1 et Pors-en-Place 2 (inv. nos 39 et 40). Jusqu’à Lostancoat (inv. n° 41), cette contrepente s’établit à 0,80 m/km sur 600 m. Elle est réduite à 0,28 m après recharge du niveau. Cette opération s’est accompagnée du rehaussement des piédroits à Pors-en-Place 2. Après cet incident, la pente retrouve une valeur plus conforme, à 0,24 m/km.
48De Kerlanet aux abords du pont, section de la ZAC du Poher (inv. n° 52), les obstacles topographiques sont peu importants et la conduite s’adapte au flanc du versant de la vallée du canal de Nantes à Brest, en un parcours de 4,900 km. La pente est conforme à la moyenne (0,26 m/km) et passe à 0,31 m/km après le réglage du niveau en amont. Cette section n’est cependant pas homogène et présente, sur 400 m de longueur, dans le tronçon contournant la modeste dépression de Kernevez-Kergonan (inv. n° 48), une contrepente de 0,25 m/km qui n’a pas été rectifiée. Il en est de même au niveau du contournement de la colline du Moulin-Neuf (inv. nos 49 et 50). Jusqu’aux abords du pont de Kerampest, la conduite affecte des pentes partielles élevées, comprises entre 0,49 m et 0,55 m/km.
49Depuis l’amont du pont de Kerampest jusqu’à l’arrivée de l’aqueduc, la pente est proche de la moyenne, à 0,32 m/km.
50Sur la grande canalisation, trois secteurs différenciés se dégagent de l’analyse (fig. 353). Dans le secteur situé en amont du tunnel, long de 9 km, la pente, de 0,36 m/km, est nettement supérieure à la pente moyenne, à l’instar de ce que l’on observe sur l’aqueduc de Nîmes où la pente en amont du Pont du Gard est supérieure à celle de l’aval. Cependant, sur les autres aqueducs à pente inférieure (Poitiers-Cimeau, Metz, Lyon-Gier), c’est l’inverse.
51Le secteur central, depuis la sortie du tunnel jusqu’à la jonction avec la grande canalisation voûtée en plein cintre à Kerlanet 2 (inv. n° 44), se caractérise par une pente nettement faible, en moyenne 0,14 m/km sur une longueur de 11 km. C’est surtout dans le contournement de la vallée de Roc’h-an-Burtul que la valeur est la plus basse, à un point tel qu’il convient de s’interroger sur l’hypothèse d’un projet initial prévoyant le franchissement de la vallée par un pont joignant les deux rives entre Kervoaguel et le Hélesser. D’une part, la construction d’un pont de 150 m de longueur pour une hauteur n’excédant pas 15 m est techniquement réaliste : c’est, grosso modo, la hauteur du pont de Kerampest qui, lui, mesurait 900 m de longueur. D’autre part, une simulation du profil en long entre la sortie du tunnel et le Hélesser 1, points distants de 300 m à vol d’oiseau, donne une pente moyenne de 0,37 m/km, valeur correcte par rapport à celle du premier secteur. Selon l’hypothèse du pont, la pente moyenne du secteur central s’établirait à 0,20 m, valeur plus conforme surtout en terme de fonctionnement de l’écoulement. Quoi qu’il en soit, le pont n’a pas été réalisé.
52Le secteur aval, long de 6 km, comprend la partie de la grande canalisation voûtée en plein cintre, le pont de Kerampest et le tronçon terminal. La pente moyenne est conforme à celle de l’ensemble de l’ouvrage (0,27 m/km) et augmente à 0,31 m/km après les réglages du fond.
53Manifestement, cette division correspond à une sectorisation de la construction. On soupçonnait déjà, au regard des différents modes de couverture, que la partie aval de la grande canalisation correspondait à une tranche spécifique de travaux. Les deux secteurs en amont et en aval du tunnel ont, selon toute vraisemblance, été réalisés indépendamment, soit en décalage dans le temps, soit simultanément au cours du percement du tunnel.
54Les contrepentes et, plus généralement, les pentes partielles faibles se situent soit dans les vallées encaissées, soit dans les tranchées profondes coupant les croupes d’interfluve. Dans tous les cas, il semble qu’elles doivent être mises sur le compte d’erreurs de nivellement. Dans les vallées encaissées, l’environnement est hostile : les versants sont abrupts (de 10 à 20 %), le substrat est un schiste ardoisier et les sols sont pauvres et difficilement accessibles. Dans l’Antiquité comme de nos jours, ces terrains, impropres à la culture, devaient être boisés et couverts de landes. Ces conditions, liées à un tracé particulièrement tourmenté, augmentent d’autant l’imprécision du nivellement. Malgré les larges défrichements dont ces secteurs firent l’objet, la tâche fut beaucoup plus compliquée qu’en terrain plus droit, plus plan et humanisé. Les visées, délicates, se multiplièrent et les sources d’erreur le furent d’autant. Les contrôles soumis aux mêmes épreuves furent tout aussi imprécis. Ce n’est, sans doute, qu’après un essai de mise en eau que les disfonctionnements furent repérés et des corrections effectuées.
55La petite canalisation possède une pente de 0,72 m sur 4 km, entre Pont-ar-Goël (inv. n° 38) et Kerlanet 1 (inv. n° 43), soit une pente moyenne de 0,18 m/km, valeur conforme à celle de la grande canalisation dans le même secteur. Les pentes partielles mesurées sont hétérogènes. Avant réglage, on note une pente normale de 0,31 m/km, puis une contrepente de 0,10 m/km au niveau de la tranchée profonde de Pors-en-Place, puis des pentes faibles de 0,17 m et 0,07 m/km et, dans le tronçon final, une pente plus élevée (0,43 m/km). Les réglages ont eu pour effet d’abaisser la pente initiale à 0,19 m/km en amont de la contrepente et de l’augmenter en aval (fig. 354).
RÉGLAGE ET RESTAURATION DU NIVEAU DES CANALISATIONS
56La pente moyenne et les pentes partielles des canalisations de Carhaix sont largement inférieures aux valeurs de la pratique de la topographie antique et des indications des sources écrites. Ainsi, le réglage du fond de la conduite, question cruciale pour l’écoulement, est particulièrement important et concerne près de la moitié des sections étudiées, comparable à ce qui a été observé sur l’aqueduc de Nîmes.
57Avant de détailler les procédés mis en œuvre et les sections qu’ils concernent, il convient, pour une comparaison, de résumer les observations effectuées sur les aqueducs où cette question a été étudiée.
58Sur l’aqueduc de Bonne-Fontaine à Avenches, le réglage du radier avant la construction des piédroits a été observé ponctuellement en partie amont. La tranchée trop profonde, du fait d’erreurs de nivellement, a nécessité des épaisseurs de radier de 0,60 m alors qu’ailleurs l’épaisseur est comprise entre 0,20 m et 0,30 m (Aubert, 1969). Sur la conduite du Eifel, à Cologne, ponctuellement comme à Kall Sotemich, un béton de 0,13 m à 0,15 m d’épaisseur a été coulé entre les piédroits après la mise en place du cuvelage, afin de rattraper un radier trop pentu ; les concrétions étant au-dessus, il s’agit d’un réglage effectué au moment de la construction, mais sans doute après un essai de mise en eau (Grewe, 1986, p. 50-51). À Cherchell, les réglages ont été observés sur les ponts : deux couches de tuileau de 0,07 m et 0,16 m rapportées sur le pont de l’Oued Malah, un béton rajouté pour rétablir la pente sur le pont du Chalet Helouine, deux radiers superposés avec deux fonds de canalisation aux pentes très différentes sur le pont de l’Oued Bella. Dans ce dernier cas, l’erreur de nivellement a été corrigée en raccordant, par un plan incliné, la canalisation amont avec la canalisation du pont aménagée à un niveau plus bas (Leveau, Paillet, 1976, p. 55-98). À Carthage, sur le pont de l’Oued Miliane, les constructeurs ont joué sur l’épaisseur du mortier étanche de cuvelage – un tuileau de 0,10 m à 0,13 m d’épaisseur – pour rectifier la pente (Rakob, 1979). Sur l’aqueduc de l’Yzeron à Lyon, les opérations de réglage de niveau ont surtout été observées à l’arrivée avec un rehaussement du radier en deux couches de 0,26 m coulées entre les piédroits ; dans les secteurs d’escaliers hydrauliques de la branche de Vaugueray, a été réalisé un rehaussement en plusieurs couches du radier en amont et en aval d’un bassin de chute au moment de la construction, puis une reprise de grande longueur après un certain temps de fonctionnement avec un ajustement plus important en amont (0,40 m) qu’en aval (0,25 m). Ces opérations visaient à corriger un système de chute pour la régularisation du débit et l’amélioration de la relation avec d’autres sections (Burdy, 1991, p. 105-108 et 121-124).
59Sur l’aqueduc de Cahors, un nouveau cuvelage est mis en place sur les couches de concrétions, donc après un certain temps de fonctionnement (Rigal, 2011, p. 51). Sur la grande canalisation d’Augst, quelques centaines de mètres après la source, le fond est rehaussé de deux couches de tuileau séparées par un limon significatif d’un fonctionnement initial (Stehlin, 1994, p. 35). À Nîmes, les réglages affectent de grandes longueurs surtout au niveau des ponts : au pont de la Combe-Roussière, pose d’un béton de tuileau entre les concrétions latérales à une période proche de l’abandon du canal puisque la reprise n’est pas concrétionnée ; à La Lône, deux enduits d’étanchéité successifs séparés par une couche de calcite ; à l’aval du Pont du Gard, reprise par le coulage d’une chape de béton de 0,14 m avec bourrelet d’étanchéité raccordé aux concrétions pariétales témoins d’un fonctionnement avant restauration (Fiches, Paillet, 1991a, p. 261). À Fréjus, enfin, le tuileau mis en place dans le canal de la culée aval des Roches-Grisailles correspond à un troisième état et recouvre deux couches successives de concrétions calcaires ; en amont des arches de Gargalon, une couche de mortier a été coulée sur un dépôt carbonaté très dense (Michel, 2002, p. 133). En Arles, sur le pont du Vallon des Arcs, des exhaussements du radier du canal ont également été observés (Leveau, 2011a, p. 126).
60Dans ces niveaux de recharge, il faut distinguer deux types d’opérations : la mise en place de couches de réglage au moment de la construction (réglages initiaux) à l’issue d’un contrôle du nivellement avant cuvelage et couverture du canal, et la restauration ou les tentatives de restauration du niveau – éventuellement après un essai de mise en eau ou un fonctionnement initial –, que nous qualifions de réglages de restauration. Grâce aux concrétions, il est plus facile d’en faire la distinction sur les aqueducs à eau incrustante que sur les autres. Sur les deux canalisations de Carhaix, les deux opérations se distinguent, le plus souvent, par la nature différente des matériaux employés et parfois par la présence d’une sédimentation de fonctionnement imparfaitement nettoyée, piégée sous le niveau de restauration.
61Les deux tiers des sections ont une couche de réglage initial. Généralement, c’est un béton blanc, identique à celui du radier, de 0,08 m à 0,10 m d’épaisseur, coulé entre les piédroits pour rehausser le radier. Cette opération concerne notamment les sections de contournement des vallées encaissées de Pont-Cam et Roc’h-an-Burtul et, dans la partie aval de la grande canalisation, les sections de Kernevez et Kergonan (inv. nos 47 à 49). Dans le secteur en tranchée profonde de Pors-en-Place (inv. nos 39 et 40), sur les deux canalisations parallèles, la correction du niveau est obtenue en jouant sur l’épaisseur du tuileau de cuvelage qui atteint 0,05 m à 0,10 m. À Quéhélen 2 (inv. n° 20), secteur en tranchée profonde, le calage du niveau du radier est, par endroits, réalisé avant la construction des piédroits par la mise en place d’une couche de schiste damé recouverte de mortier, d’une épaisseur de 0,07 m à 0,14 m. À Kerlanet 1 (inv. n° 43), sur la grande canalisation, la même opération est effectuée par la pose d’un béton sauf au milieu du canal, où c’est un tuileau de 0,05 m de puissance qui a été coulé.
62Ces réglages affectent surtout les secteurs au parcours accidenté et les tranchées profondes, et semblent donc directement liés aux difficultés du nivellement.
63Plus d’un tiers des sections étudiées sont concernées par les réglages de restauration, sur une majorité de sections à réglage initial. Dans la plupart des cas, c’est un béton de tuileau à gros granulat, avec, à part à peu près égale, des fragments de terre cuite architecturale et du schiste concassé, qui est employé. Dans quelques cas, des tessons de sigillée et de céramique commune claire y ont été incorporés. Dans la vallée de Pont-Cam, ces couches, coulées en une ou deux fois, ont de 0,13 m à 0,20 m d’épaisseur (fig. 355). À Quéhélen (inv. nos 19 et 20), dans la partie amont de la tranchée profonde, le béton est coulé sur un hérisson disposé sur le radier et le réglage atteint 0,20 m (fig. 356). Dans la vallée de Roc’h-an-Burtul, à Kerjean 1 (inv. n° 29), un premier réglage, reposant sur un reste de sédimentation de fonctionnement, est réalisé en béton de tuileau surmonté d’une deuxième couche en tuileau à granulat de schiste, et l’épaisseur de l’ensemble atteint 0,15 m. Sur la petite canalisation, à Penn-Lann-Kerdavid 3 (inv. n° 37), les modalités varient sur quelques mètres. À l’amont, une couche de béton blanc coulée sur le cuvelage primitif est recouverte par un béton de tuileau et l’épaisseur du réglage est de 0,14 m. Deux cents mètres plus loin en aval, une couche unique de tuileau, de 0,08 m d’épaisseur, recouvre le cuvelage initial. Des tessons de céramique sigillée et des fragments d’amphore entrent dans la composition de ces tuileaux. Enfin, à Pors-en-Place 2 (inv. n° 40) et Kerlanet 1 (inv. n° 43), un béton blanc de 0,20 m d’épaisseur recouvre la couche de réglage initial.
64Ces restaurations affectent les secteurs à pente très faible et ceux en contrepente. Les valeurs absolues de ces réglages sont significatives. Pour un aqueduc de 1 m/km de pente moyenne, une reprise de 0,10 m représente une longueur de plus de 100 m à recharger. Sur les aqueducs à faible pente comme celui de Carhaix (0,27 m/km), une erreur de 0,20 m représente une reprise sur 700 m au minimum. L’exemple de Nîmes est édifiant, avec six kilomètres de reprise de niveau s’accompagnant du rehaussement des parois du canal (Fiches, Paillet, 2000, p. 408). À Carhaix, ces reprises affectent des tronçons importants dont il n’est pas toujours aisé d’apprécier la longueur en l’absence de grand linéaire fouillé.
65La contrepente de Roscoat (inv. n° 15) a nécessité une reprise du niveau, en amont, sur une longueur comprise entre 700 et 1 100 m, annulant pratiquement la contrepente qui passe de 0,33 m/km à 0,03 m/km (fig. 357). En amont de cette reprise, la pente était telle qu’il était possible d’éliminer complètement la contrepente avec une recharge plus épaisse et par conséquent plus longue, mais celle-ci aurait nécessité le démontage de la couverture sous le ruisseau de Pont-Cam. La contrepente de la tranchée profonde de Quéhélen 2 (inv. n° 20) est atténuée de moitié par une reprise sur plus de 250 m en amont.
66Dans le secteur médian de l’aqueduc, où la pente est nettement inférieure à la moyenne, les corrections de niveau sont délicates dans la mesure où il y a le risque d’accentuer les défauts par endroits en les atténuant ailleurs. Ces corrections apparaissent d’ailleurs comme des tentatives de rééquilibrage entre tronçons. Ainsi, entre la sortie du tunnel et le franchissement du ruisseau de Roc’h-an-Burtul, dans un contexte de contrepente de 0,08 m/km, la correction entraîne une légère accentuation de la contrepente en amont mais une diminution sensible en aval (voir fig. 357). Au franchissement du ruisseau du Hélesser (inv. n° 32), dans un tronçon en retournement à 180°, le réglage entraîne une réduction de la pente à l’amont de 0,30 m à 0,17 m/km et un relèvement en aval de 0,12 m à 0,20 m/km. Sur la section de Pors-en-Place, la correction ramène la contrepente de 0,24 m/km à une pente nulle.
67La partie aval de la grande canalisation semble ne pas avoir été concernée par les restaurations de niveau, y compris dans la section en contrepente de Kernevez-Kergonan (inv. n° 48), contrepente il est vrai mineure et jouant sur une faible longueur. Un facteur a pu intervenir dans ce choix, la nécessité de démonter la voûte en plein cintre pour effectuer les réparations. Ces opérations étaient évidemment beaucoup plus simples à mettre en œuvre sur les canalisations couvertes par des dalles.
68L’exhaussement du fond des canalisations s’accompagne parfois du rehaussement des piédroits comme sur l’aqueduc de Nîmes dans les secteurs de Vers et du Bois de Remoulins, sur six kilomètres de longueur. Lors de la mise en eau, la section mouillée avait atteint le haut du cuvelage alors qu’elle n’était, ailleurs, qu’aux deux tiers. Pour éviter les risques de surcharge ou de débordement, l’exhaussement des piédroits atteint 0,46 m sur le Pont du Gard et 0,60 m sur le pont de la Combe Roussière (Fiches, Paillet, 1991a, p. 256-257).
69À Carhaix, les rehaussements de piédroits ne sont pas toujours faciles à repérer en raison de l’arasement quasi-général de la couverture, pour la petite canalisation surtout. Cette opération n’a finalement été reconnue que sur cinq sections de la partie amont de la grande canalisation. En amont du contournement de la vallée de Pont-Cam, à Bellevue (inv. n° 6), le rehaussement de 0,20 m est sans doute nécessité par la pente nulle qui suit cette section. En amont et en aval du franchissement du ruisseau de Roc’h-an-Burtul à Kerjean 1 (inv. n° 29) (fig. 358) et Roc’h-an-Burtul (inv. n° 31) (fig. 359), l’exhaussement, respectivement de 0,20 m et 0,30 m, recouvre le joint supérieur du cuvelage. À Pors-en-Place 2 (inv. n° 40), le rehaussement, qui atteint 0,40 m, s’est vraisemblablement accompagné d’une réfection du cuvelage. Dans ces trois exemples, le rehaussement est directement lié à la restauration du niveau du canal dans des secteurs en contrepente afin d’éviter la surcharge de la canalisation et d’améliorer l’hydraulicité du conduit (chap. VII, p. 264).
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