Paul Lafargue et la critique de l’économie politique
p. 811-822
Texte intégral
1À Paris, en mars 1895, paraît un livre étrange : La propriété, origine et évolution. Thèse communiste par Paul Lafargue, réfutation par Yves Guyot. L’éditeur Delagrave, s’étant vu proposer par le gendre de Marx un texte peu orthodoxe, avait imposé – à titre de contre-feu – qu’il fût précédé d’une réfutation détaillée par l’économiste libéral Guyot, ancien ministre. Lafargue, trop heureux d’être édité au-delà des cercles socialistes habituels, avait accepté sans barguigner cette « chambre à deux lits » dont Engels n’allait pas manquer de se moquer1.
2Au-delà de l’anecdote fin de siècle, ce qui est en jeu ici, c’est à la fois la question des formes de la diffusion en France de la théorie marxiste et celle de la confrontation des socialistes français avec les économistes libéraux. Il est probable que les ombres portées de Marx d’une part, de Jean-Baptiste Say et des grands auteurs classiques d’autre part, ont contribué à masquer l’intérêt de ces débats. Lafargue en tout cas est beaucoup plus souvent identifié comme l’auteur pamphlétaire du Droit à la paresse, que comme l’un des premiers vulgarisateurs en France des théories de Marx, auteur d’études qui annoncent certaines des idées développées ensuite par les théoriciens de l’impérialisme.
3Que les deux camps aient fait assaut de dogmatisme et d’étroitesse de vue, que leurs débats aient produit des résultats théoriques faibles, ne justifie pas ce désintérêt. Dans les échanges d’« amabilités » entre Le Socialiste et Le Journal des économistes, ce sont tous les conflits majeurs de ce champ qui reçoivent un éclairage intéressant pour l’histoire politique et intellectuelle du tournant du siècle.
I. L’apport de Lafargue à l’analyse marxiste de l’économie
4Lafargue a joué un rôle essentiel dans ce que l’on pourrait appeler l’« acclimatation » du marxisme en France. Difficile acclimatation, on le sait, où les adjonctions fantaisistes de certains ne compensaient pas, bien au contraire, la perte de substance théorique généralement constatée. Le diagnostic d’Engels en 1882 était amer : « Ce que l’on appelle “marxisme” en France est certes un article tout spécial, au point que Marx a dit à Lafargue : “Ce qu’il y a de certain, c’est que moi je ne suis pas marxiste2.” Et Marx lui-même de surenchérir : “Il est temps que [Lafargue] mette fin à ses rodomontades sur les violences épouvantables de la révolution à venir”, lui, l’oracle patenté du socialisme scientifique3. »
5Le mouvement socialiste français partait de loin : d’une situation de coexistence de « sectes4 » dont le programme devait encore beaucoup aux utopistes, et du refus chauvin du socialisme « allemand », celui de Marx. Par ses multiples conférences et ouvrages, Lafargue joua un rôle majeur dans l’acceptation par le mouvement ouvrier français du « socialisme scientifique ». C’était en grande partie grâce à lui5 que l’on ne pouvait plus se permettre en 1881, aux dires de Marx lui-même, des insinuations – courantes auparavant – telles que : « Marx est un allemand, alias “Prussien”, donc les “marxistes” français sont des traîtres à la patrie6 ».
6Paul Lafargue se prévalait de sa qualité de « disciple de Marx et d’Engels7 », il évoquait dans ses souvenirs cette « éducation économique » que lui dispensait Marx, lors de son premier exil londonien, au cours de leurs promenades à Hampstead Heath. Mais cette forme d’enseignement oral ne suffisait manifestement pas, le recours aux textes était indispensable. Or jusqu’en 1895, le lecteur français ne peut guère trouver que le Livre I du Capital, Socialisme utopique et socialisme scientifique, Le 18 Brumaire, le Manifeste et l’ Origine de la famille. Pour sonder le reste de l’iceberg, Lafargue est gêné par sa faible connaissance de l’allemand8 et il ne fait – aux dires d’Engels – que bien peu d’efforts pour y remédier9, préférant s’en remettre en cas de besoin à l’aide de sa femme Laura, la fille de Marx.
7Ces difficultés de langue, ajoutées à certaines lacunes manifestes dans leurs connaissances économiques, expliquent l’attitude à la fois admirative et stupéfaite du trio des « théoriciens » du parti, à la réception de l’édition allemande du Deuxième Livre du Capital : « Nous avons tenu en main avec respect et joie le terrible volume. [...] Mais comme des singes tournant et retournant des noix qu’ils ne savent ouvrir, nous ouvrions et feuilletions le livre plein de mystère pour nous : nous émerveillant devant l’abondance des formules algébriques, véritables signes cabalistiques pour nous10. »
8Les « bourdes » de Lafargue en matière d’analyse marxiste devaient être telles qu’Engels – qui passait une bonne partie de sa correspondance avec Paul à essayer de les rectifier – en venait parfois à perdre patience : « Tâchez d’être plus fidèle à l’original ; Marx n’est pas un homme qu’il est permis de traiter à la légère » lui écrit-il ainsi en mars 188411 et, cinq mois plus tard : « Je suis décidément d’avis que vous devez relire sérieusement Le Capital d’un bout à l’autre12. »
9À vrai dire, si dans l’œuvre de Paul Lafargue l’économie politique occupe, en volume, une place prépondérante, son apport y est rarement original : il se borne souvent à vulgariser les thèses fondamentales du premier Livre du Capital. Ainsi dès 1880, affirme-t-il que « Marx a posé sur une base irréfutable cette [...] loi qui explique toute la production capitaliste », en fondant « la génération de la plus-value, ce mystère de la production capitaliste que l’économie officielle n’a pu sonder » sur « la force-travail de l’ouvrier [...] la seule marchandise qui, en se consommant, reproduise une valeur supérieure à sa propre valeur13 ». Pour ce qui le concerne, Lafargue formulera cette loi sur un mode plus grinçant dans un des morceaux de bravoure de la Religion du Capital : « Telle une presse hydraulique [dessèchant] la pulpe soumise à son action ; tel pressant et tordant le salarié, le capitaliste extrait le travail que contiennent ses muscles et ses nerfs [...]. Quand, usé et épuisé, le salarié ne rend plus sous sa torsion le surtravail qui fabrique de la plus-value, il le jette dans la rue comme les rognures et les balayures des cuisines14. »
10Lafargue défendra certes à de nombreuses reprises la théorie marxiste de la valeur mais sans revenir15 sur les descriptions précises données dans le Capital. Il sera pourtant le seul guesdiste à apporter sur ce point une contribution personnelle en cherchant à démontrer que « la Bourse ramène à un taux moyen d’intérêt ou de profit tous les capitaux » et qu’à « des quantités égales de capitaux sont distribuées des parts aliquotes de la plus-value créée par le capital social total ». Mais, s’il montre que le capitaliste tend à la fois à éliminer la concurrence dans la production et dans l’échange des marchandises, et à l’intensifier à la Bourse, il a la fâcheuse tendance de confondre le problème de la détermination du taux de l’intérêt, lié à l’offre et à la demande de fonds disponibles, avec celui de l’égalisation des taux de profit entre les branches, problème d’une tout autre complexité dont il ne semble même pas soupçonner l’importance16.
11En bon disciple de Marx, Lafargue met l’accent sur la contradiction fondamentale du capitalisme : « Pour me servir de la phraséologie de Hegel17, il y a antinomie, antithèse entre le mode communiste de production et d’échange, et le mode individualiste d’appropriation. C’est parce que cette antithèse existe [...] que la société marche à une crise qui la résoudra [...]. L’abondance de la production [...], inconnue aux époques précédentes, aurait dû comme conséquence créer le bien-être de tous les producteurs : elle engendre au contraire leur misère », ce qui manifeste « l’incohérence et l’anarchie du système capitaliste18 ». L’anthithèse entre le caractère social – « communiste » dit-il – de la production et la forme capitaliste privée de l’appropriation se traduit par l’accumulation de la richesse à un pôle et par le « caractère fatidique des misères prolétaires19 ». Il rejette néanmoins comme non marxiste la « loi d’airain des salaires » formulée par Lassalle et que « Jules Guesde eut tort d’importer en France20 ». Mais, s’il fait sienne la définition du salaire comme prix de la force de travail, Lafargue ne cherche pas à enrichir l’analyse marxiste par l’étude de l’évolution du salaire réel et de la valeur de cette force de travail ; tout au plus décrira-t-il le système des primes : « un des plus perfectionnés moyens d’obtenir du surtravail, de voler philantropiquement le producteur21 ».
12Un apport plus significatif est l’étude de la concentration, qu’il donne en 1903 dans son ouvrage sur les Trusts américains, « phénomène historique nouveau d’une si puissante action sur le monde capitaliste qu’ils relèguent au second plan tous les faits économiques, politiques et scientifiques, survenus dans ces quarante dernières années (p. VII) ». Il y voit une preuve de l’approfondissement de la contradiction du capitalisme : la concurrence, jadis « proclamée reine souveraine, [...] condition de toute production, de tout commerce et de toute morale capitaliste » se détruit elle-même et engendre par son propre jeu la centralisation capitaliste. Il affirme le rôle moteur joué par la finance : « Le trust-system [...] présuppose [...] une très intense centralisation des capitaux. [...] Il devait donc couronner l’intégration industrielle par une organisation unitaire de la banque. [...] L’union de la banque et de l’industrie est imposée par le développement économique » (p. 103).
13Ces grands monopoles réduisent-ils l’anarchie de la production ? Nullement. Ils contribuent au contraire à intensifier les crises de surproduction car, « leur outillage immobilisant un capital énorme [...], ils sont forcés de produire sans s’occuper de l’encombrement des marchés ». De plus, en investissant une partie de leurs gigantesques bénéfices, ils créent « une surabondance des moyens de production » (p. 104). Cependant, les créateurs de trusts « font œuvre révolutionnaire, sans le savoir et sans le vouloir » (p. 123) :
- ils confirment la doctrine socialiste sur la concentration des richesses et sur l’extinction progressive de la « classe-tampon, la petite bourgeoisie, et sur la prolétarisation [...] croissante de la masse des nations » (p. 116) ;
- ils démontrent « l’inutilité du propriétaire capitaliste » et « la nature parasitaire de la classe capitaliste » (p. 108). Ainsi « le trust-system fait plus que multiplier les causes du mécontentement ouvrier, il lui donne une forme et une direction et lui place devant les yeux, sans aucun voile, le but révolutionnaire à atteindre22 ».
14Si l’on veut mesurer l’apport de Lafargue à l’analyse économique marxiste, la position de Claude Willard semble pouvoir bien résumer ses aspects contradictoires : seul, parmi tous les guesdistes, il chercha à approfondir la théorie économique marxiste, « cependant, il est remarquable que Lafargue ne se soit guère attaché à décrire et à expliquer les conditions spécifiques et les transformations de l’économie française [...]. D’où, chez Lafargue comme chez les autres guesdistes, une vision simpliste, abstraite et apocalyptique du capitalisme et de sa chute23. »
II. Libéralisme, socialisme et philosophie de l’histoire
15Théoricien à l’occasion, Paul Lafargue était avant tout reconnu comme pamphlétaire. Les polémiques qu’il engagera contre les ténors de l’économie libérale n’auront pas de cesse, depuis ses premiers articles de 1880, jusqu’à sa mort et constitueront pour lui, dans toute cette période, à côté des problèmes d’organisation du Parti ouvrier, une des préoccupations majeures.
16Les principaux contradicteurs de Lafargue : Leroy-Beaulieu, Courcelle-Seneuil, Levasseur, Molinari, Yves Guyot, Maurice Block et Léon Say, constituent ce que l’on appelle à l’époque le « groupe de Paris », « école d’ultras du laisser-faire »24’ sur laquelle Schumpeter porte un jugement sans appel : « Il est très difficile, même avec le recul du temps, de rendre justice à ce groupe [...]. Ces auteurs étaient anti-étatistes [en fr.], autrement dit, ils adhéraient à la thèse selon laquelle la tâche principale des économistes consiste à réfuter les doctrines socialistes et à combattre les mensonges abominables contenus dans toute espèce de projet de réforme sociale ou d’intervention de l’État. »
17Leur pauvreté théorique est selon lui tout aussi nette : « Leur analyse, dans la méthode, n’était pas moins réactionnaire que leurs vues politiques, ils étaient tout simplement indifférents aux aspects purement scientifiques de notre discipline. Pour satisfaire leurs aspirations scientifiques, ils se contentaient de J.-B. Say et de Bastiat, relevés, par la suite d’un peu de théorie de l’utilité marginale édulcorée25. »
18On peut cependant distinguer, à la suite de Gaëtan Pirou, deux courants : celui de l’« individualisme extrême » de Molinari et Guyot26 (rédacteurs en chef successifs du Journal des économistes) et celui de l’« individualisme modéré » de Leroy-Beaulieu (professeur au Collège de France, fondateur et rédacteur de L’Économiste français) qui s’opposent sur quelques questions non négligeables27 :
- le libre-échange : il doit être intégral pour les premiers alors que le second admet – tant que la paix universelle ne sera pas réalisée – le maintien de certaines protections, au nom de l’intérêt général ;
- la colonisation, contraire à l’intérêt du pays pour les premiers est considérée par le professeur au Collège de France comme un droit d’intervention des « peuples civilisés » dans les affaires des « peuples arriérés » et un devoir pour un pays qui veut éviter les barrières protectionnistes28 ; ce libéral assigne même à l’État le rôle essentiel dans l’« œuvre colonisatrice » ;
- la politique familiale : Molinari rejette toute intervention dans ce domaine, et demande la suppression de toute aide, y compris en matière d’instruction, ce qui aurait pour effet indirect de diminuer la natalité. Leroy-Beaulieu au contraire craint la dépopulation et réclame de la part de l’État une politique incitatrice.
19Mais quels que soient les clivages internes à ce groupe, face à de tels contradicteurs, le débat ne peut guère porter sur la théorie économique. Leroy-Beaulieu n’hésite d’ailleurs pas à railler l’« économie abstraite » où il voit « quelque chose d’effroyablement compliqué et de désespérément vide, des toiles d’araignées infinies tissées avec un art merveilleux et dont on ne peut se servir à aucun usage29 ». C’est bien sûr le premier point que relève Lafargue quand il analyse Le Collectivisme, examen critique du nouveau socialisme publié par Leroy-Beaulieu en 1884 en remarquant que dans sa critique du Capital « pour bien établir sa compétence critique, il passe sous silence la première section du livre premier (toute l’analyse de la marchandise, des échanges et de la circulation des marchandises) » sous prétexte qu’« elle ne contient rien d’essentiel30 ». Le reste de la « réfutation » de Marx par Leroy-Beaulieu est à l’avenant, Lafargue la résume à l’intention d’Engels :
- « 1 ° Il est faux de dire que le capital est du travail non payé, puisque les ouvriers épargnent sur leurs salaires ;
- Le capital constant est créateur de plus-value [...] ;
- Il est faux de dire que ce soit le capitaliste qui profite de la force résultant de la coopération d’ouvriers travaillant ensemble [...] ; Savez-vous qui profite ? – Le consommateur31. »
20La critique de Lafargue n’était cependant pas exempte non plus d’erreurs et Engels dut consacrer une longue lettre32 à leur correction, concluant sur un ton un peu désabusé : « En somme, l’article fera son effet si vous éliminez les principales erreurs que je vous ai indiquées. Mais pour votre réplique [...] je suis décidément d’avis que vous devrez relire sérieusement Le Capital d’un bout à l’autre, avec le livre de B[eaulieu] à côté ; et que vous marquiez tous les passages ayant trait à l’économie vulgaire [...].
21Et puis n’oubliez pas que ces Messieurs [...] ont bien plus que vous au bout des doigts la littérature économique ordinaire, et que c’est un terrain où vous ne les combattez pas à armes égales ; c’est leur métier de connaître tout cela, ce n’est pas le vôtre. Ne vous hasardez donc pas trop sur ce terrain33. »
22Au total, l’ensemble de la discussion du livre de Leroy-Beaulieu comprendra dans le Journal des économistes quatre contributions, on y trouvera en effet, outre les deux articles de Lafargue cités dans la bibliographie, les textes de Maurice Block : « Le Capital de K. Marx, à propos d’une anticritique34 » et de Achille Loria : « La théorie de la valeur de K. Marx35 ». S’ils permettent déjà de repérer les principaux points du débat qui agitera pendant plus d’un siècle partisans et adversaires de la théorie économique marxiste, il faut reconnaître que l’ensemble s’avère bien faible sur le plan théorique : les deux partis, dans l’interprétation de l’œuvre de Marx, rivalisent d’imprécision dans les concepts et d’approximation dans les exposés.
23Paradoxalement, Lafargue et ses contradicteurs, bien peu à l’aise sur le terrain de la description du capitalisme contemporain, s’aventureront avec beaucoup moins de précautions dans un domaine où les chausse-trapes étaient pourtant nombreuses : celui des grandes fresques d’histoire des sociétés humaines envisagées de préférence depuis les origines.
24La péroraison de l’article précédemment cité de Lafargue mérite d’être reproduite ici car elle résume bien sa pensée : « Les socialistes du xixe siècle n’ont plus à rêver des utopies, mais à analyser et critiquer la société existante [...]. Les élections allemandes de 1884 prouvent et les élections françaises de 1885 prouveront qu’en Europe les hommes ne manqueront pas à la tâche. Et si les hommes (éléments intellectuels) sont prêts, c’est que les choses (éléments matériels) le sont aussi, comme l’affirme le programme du Parti ouvrier : – l’homme n’est qu’une résultante. L’économie politique est une occupation presque aussi innocente que la collection de timbres-poste, si, ainsi que l’astronomie les marées, elle n’explique et ne prévoit les mouvements des masses prolétariennes et n’en démontre pas la nécessité36. »
25On trouve chez Lafargue de nombreuses déclarations de ce type, par exemple dès 1879 dans une lettre à Guesde : « Nos théories, nos principes, nos aspirations sont les produits immédiats des faits économiques, et la preuve est que les ouvriers [...] différents de race, d’éducation intellectuelle, obéissent [...] au même mouvement et que partout où se trouve la grande industrie on trouve les mêmes aspirations [...]. Ce que nous faisons, c’est simplement dégager la conclusion de faits économiques, et les expliquer [...], et nous ne sommes révolutionnaires que parce que les milieux économiques sont dans un état révolutionnaire. Notre œuvre dans l’Égalité [...] sera de démontrer [...] que la propriété individuelle est devenue impossible non parce que nos notions plus ou moins exactes de la justice, de l’égalité et autres idéaux de même acabit le veulent, mais parce que l’évolution des phénomènes économiques [...] ne laisse plus qu’une seule issue : la propriété commune37. »
26Dans une conférence prononcée 23 ans plus tard, la thèse n’a pas changé : « Le développement fatal, nécessaire, des phénomènes économiques a créé l’organisation communiste de la production et de l’échange [...] en même temps qu’il communisait, passez-moi le néologisme, les moyens de production et d’échange, [il] [...] préparait la communisation des moyens de jouissance. »« La production mécanique a balayé de la tête prolétarienne l’idée de la propriété individuelle : elle y a implanté l’idée de la propriété commune. Cette transformation cérébrale [...] est la résultante de la production mécanique organisée sous la direction de la bourgeoisie capitaliste. Les idées communistes existent à l’état latent dans les cerveaux des salariés : les propagandistes communistes ne font que les réveiller et les mettre en action. » « Les phénomènes économiques, voilà les [...] terribles révolutionnaires qui bouleversent toutes [...] les bases séculaires des sociétés ; [...] nous ne sommes que des porte-parole des phénomènes économiques : si, comme les oiseaux de la mer qui prédisent l’orage aux matelots, nous annonçons aux classes gouvernantes la tempête qui balayera leurs privilèges, ce n’est pas nous qui la soufflons38. » Comme le dit Bottigelli, Lafargue fait montre dans de tels textes à la fois de « spontanéisme », d’« économisme » et de « catastrophisme économique ». La formule peut certes faire sourire, mais elle est ici assez juste puisque Lafargue pousse jusqu’à la caricature certains des énoncés les moins nuancés du matérialisme historique de Marx, qu’il préfère d’ailleurs appeler : matérialisme économique, voire même : déterminisme économique39.
27En fait, en matière de philosophie de l’histoire, Lafargue est souvent bien plus proche de Vico40 que de Marx : « Les sociétés humaines passent [...] par les mêmes formes familiales et par les mêmes institutions sociales, religieuses ou politiques, et par les mœurs et les idées philosophiques correspondantes. Vico, qui a été appelé “le père de la philosophie de l’histoire”, le premier entrevit cette grande loi de l’évolution historique : dans sa Scienza nuova, il parle “d’une histoire idéale, étemelle, que parcourent dans le temps les histoires de toutes les nations [...]”. Karl Marx, qui, en reliant les phénomènes du monde politique et du monde intellectuel aux phénomènes du monde économique, a renouvelé la conception de l’histoire, confirme la loi de Vico, quand il dit [...] que “le pays le plus développé industriellement ne fait que montrer à ceux qui le suivent sur l’échelle industrielle l’image de leur propre avenir”41. »
28Reprendre sans examen ce schéma d’une histoire unilinéaire, dont tous les peuples étaient condamnés à franchir les étapes successives, revenait à appauvrir considérablement la pensée de Marx. C’était négliger par exemple (mais Lafargue en avait-il eu connaissance ?) les descriptions du « mode de production tributaire » que Marx avait conçu pour rendre compte de sociétés qui ne se conformaient pas au modèle standard. C’était négliger aussi, ce qui est moins pardonnable car il n’a pu les ignorer, toutes les nuances apportées par Engels dans les années 1880-1890, et exprimées par exemple dans la fameuse lettre à Joseph Bloch : « Face à nos adversaires, il nous fallait souligner le principe essentiel nié par eux et alors nous ne trouvions pas toujours le temps, le lieu, ni l’occasion de donner leur place aux autres facteurs qui participent à l’action réciproque. »« D’après la conception matérialiste de l’histoire, le facteur déterminant est en dernière instance la production et la reproduction de la vie réelle. Ni Marx ni moi n’avons jamais affirmé davantage. Si quelqu’un dénature cette position en ce sens que le facteur économique est seul déterminant, il le transforme en une phrase vide, abstraite, absurde42. »
29Engels conclura d’ailleurs ce débat, dans une lettre à Ernst, par une formule qui s’appliquerait selon nous à merveille aux laborieuses tentatives de Paul Lafargue : « La méthode matérialiste se transforme en son contraire toutes les fois qu’on en use non pas comme un fil conducteur de l’investigation historique, mais comme un modèle tout prêt à l’aide duquel on taille et retaille les faits historiques43. »
30L’enjeu de cette polémique peut sembler mince, un siècle plus tard, mais c’est loin d’être le cas puisque ces positions philosophiques avaient des implications directes en termes de stratégie et de théorie politique. Une attitude aussi mécaniste se traduisait en effet par un optimisme sans faille quant à l’inéluctabilité et la rapidité de la révolution dans les pays industrialisés44 et en corollaire, par un assez faible intérêt porté aux débats d’idées qui caractérisera longtemps le mouvement ouvrier français.
31Peut-on néanmoins continuer à tenir pour mineure, comme on l’a fait très longtemps, la place de Lafargue dans la diffusion de la théorie marxiste au sein du mouvement socialiste ? Malgré ses limites, par ses multiples articles et conférences, par ses pamphlets comme le droit à la paresse, qui lui ont conféré une renommée internationale, Lafargue a joué au moins le rôle d’initiateur des premiers débats théoriques sur l’économie politique et l’histoire sociale dans le mouvement ouvrier français des origines. Ses ambitions réelles étaient pourtant d’un autre ordre : il envisageait de bâtir, au-delà de l’analyse économique marxiste, une véritable anthropologie globale dont il n’eut le temps de tracer que quelques contours45, trop peu pour faire de lui ce que manifestement il aurait aimé être : le Vico du socialisme français.
Bibliographie
Références bibliographiques
Œuvres de Lafargue
– Le Droit à la paresse, 1883 [Maspero, 1978].
– « La Théorie de la plus-value de K. Marx et la critique de M.P. Leroy-Beaulieu », Journal des économistes, t. 28, 9/1884, p. 379 sq.
– « Le Capital de Karl Marx et la critique de M. Block », Journal des économistes, nov. 1884, p. 278 sq.
– La Religion du capital, 1887, [éd. Climats, 1995].
– Le Communisme et l’évolution économique, 1892.
– K. Marx : « Le Capital ». Extraits faits par P. Lafargue, Paris, Guillaumin, 1894.
– La Propriété, origine et évolution, thèse communiste par P. Lafargue, réfutation par Y. Guyot, Paris, Delagrave, 1895.
– La Fonction économique de la Bourse, contribution à la théorie de la valeur, 1897 [Repris dans Varlet],
– Les Trusts américains [...], 1903 [Repris dans Varlet].
– Le Déterminisme économique de K. Marx. [...], Paris, Giard et Brière, 1909.
Autres ouvrages
Bottigelli E. (1956), Correspondance Friedrich Engels, Paul et Laura Lafargue, 3 tomes, Paris, Editions sociales.
Bottigelli (1981), P. Lafargue, J. Guesde..., La naissance du Parti ouvrier français, Paris, Éditions sociales.
Dangeville R. (1974), K. Marx, F. Engels : Le mouvement ouvrier français, t. 2, Paris, Maspero.
Fréville J. (1936), Lafargue Paul : Critiques littéraires, Paris, Éditions sociales.
Girault J. (1970), P. Lafargue, textes choisis, Paris, Éditions sociales.
Labica G. (ed.) (1982), Dictionnaire critique du marxisme, Paris, P.U.F.
Leroy-Beaulieu P. (1884), Le Collectivisme [...], Paris, Guillaumin.
Marrey B. (1984), Un capitalisme idéal, Paris, Clancier-Guénaud.
Pirou G. (1952), Les Doctrines économiques en France depuis 1870, Paris, A. Colin.
Schumpeter J. (1983), Histoire de l’analyse économique, trad. fr., Gallimard, 3 vol.
Varlet J. (1933), P. Lafargue, théoricien du marxisme, Paris, Éditions sociales.
Willard C. (1965), Les Guesdistes, Éditions sociales.
Willard C. (1977), « Lafargue et la critique de la société bourgeoise », in Histoire du marxisme contemporain, t. 3, Paris, 10/18.
Notes de bas de page
1 « I shall Write to Paul about his half of a double-bedded book. He has got a strange bed-fellow ! », Engels à Laura (Corresp., p. III-402).
2 Engels à Bernstein, 1882 (Dangeville, 1974, p. 119). Quelques jours auparavant, Engels parlait déjà, à propos de P. L. et de ses amis de « phraséologie révolutionnaire » (ibid., p. 115).
3 Marx à Engels, 1882, ibid., p. 88. Sous le coup de la colère, Marx termine cette lettre par une sortie contre ses gendres : « Longuet comme dernier proudhonien et Lafargue comme dernier bakouniniste ! » Les leçons de Marx finirent à la longue par porter : dans sa conférence de 1892, devant un parterre « composé dans son immense majorité de bourgeois », P. L. déclarait : « Dans ma conviction intime, nous ne reverrons pas les saturnales de sang qui déshonorèrent la révolution bourgeoise. Les prolétaires ne sont pas des brutes sanguinaires comme les bourgeois » [...] « la transformation sociale que nous entrevoyons et qui est fatale, nécessaire, n’aura pas le caractère sanguinaire de celle du siècle dernier » (Le Communisme..., pp. 20-21).
4 V. Willard (1965), p. 90 : « Le Parti ouvrier, jusqu’en 1889, revêt davantage l’aspect d’une secte d’évangélisateurs que celui d’un parti politique moderne. »
5 Jules Guesde et Gabriel Deville (auteur d’un résumé du Capital très diffusé mais peu apprécié d’Engels) ont joué également un rôle important. Dans une lettre de 1882 décrivant l’état du P.O.F., Engels présente à ce trio comme « nos meilleurs éléments » (Dangeville, 1974, p. 108).
6 Marx à Engels, 1882 (Dangeville, 1974, p. 90). Engels exprimait la même idée à Bernstein : « Pour la masse des socialistes français, c’est une abomination que la nation qui a gratifié le monde des idées françaises, [...] doivent maintenant recevoir toutes prêtes les idées socialistes de l’Allemand Marx. [...] Ainsi donc les gens du Prolétaire [Malon, Brousse...] prétendent que Guesde et Lafargue sont les porte-parole de Marx – ce qui signifie dans la langue des initiés : ils veulent vendre les ouvriers français aux Prussiens et à Bismark » (ibid., p. 99).
7 Le Communisme..., p. 1 & 25.
8 Cf. Laura à Engels : « Paul’s German continues to Sound astonishingly like French » (Corresp., pp. 1-128).
9 À propos de P. L., bientôt incarcéré à Sainte-Pélagie, Engels écrit à Laura (Corresp., pp. 1-109 sq.) : « But if he does not now start in earnest to learn German, I shall consider him to be nothing but un enfant gâté. Imagine he writes to me that he will learn it – « Comme vous le dites très bien ( !) il pourra ( !) devenir nécessaire que je le sache pour des traductions ! ». As ifthe perfection of his own accomplishments, bright as they are, did not entirely depend on his reading certain german things [...] ! He rejoices in the prospect of the 2nd vol. Capital being published but will he ever be able to read it ? »
10 Ibid., p. I-298. Voir aussi P. L. à Engels pp. I-270-271 : « Je ne pensais pas que le troisième volume [du Capital] fut assez au complet [...] pour être imprimé ; aussi cela a été une agréable nouvelle, bien que les 200 pages de formules mathématiques aient jeté un peu de froid. Mais que vont dire les économistes ? Comment apprendre les mathématiques pour comprendre l’économie, quand la règle de trois suffit pour toutes les opérations commerciales et industrielles de la vie capitaliste ? Les philosophes bourgeois se sont [vus obligés] d’apprendre la géométrie ; voilà que Marx va forcer les économistes à savoir l’algèbre : ça dépasse les bornes de la liberté permise. »
11 Corresp. pp. 1-181.
12 Ibid., pp. I-235.
13 Revue socialiste, 10/4/1880, « Le crédit ouvrier et le crédit industriel » (repris dans Girault, 1970).
14 La Religion du capital, p. 80-81.
15 On serait tenté de poursuivre : « Heureusement ! » car, quand « le plus théoricien des guesdistes » se lance sur ce terrain, « dans les notions familières elles-mêmes, se glissent des formules qui prêtent à confusion : ainsi, quand Lafargue évoque les “instruments à filer et à tisser mis en commun”, “le produit devenu communiste”, il n’aide pas le lecteur à faire la différence entre la mise en œuvre commune des instruments et leur propriété commune, entre les moyens de production et les rapports de production » (Willard, 1965, pp. 169-170).
16 « La fonction économique de la Bourse est donc de ramener à un taux moyen d’intérêt ou de profit tous les capitaux, elle arrive à ce résultat en abaissant ou en élevant le prix des actions » (Varlet, 1993, p. 143).
17 Cette périphrase est courante chez P. L., elle lui permet d’éviter le terme de « (contradiction) dialectique », qui apparemment le gêne (ibid., p. 142 : « Les ventes et les achats à terme [...] sont la négation de l’échange, pour me servir de la phraséologie de Hegel »),
18 P. L., Le Communisme..., p. 8, 10, 11.
19 Titre d’une série d’articles du Socialiste débutant le 4/9/1898.
20 V. Le Capital, extraits..., 1894, notes de P. L. p. 172.
21 Éditorial de P. L. dans Le Socialiste du 9/11/1902.
22 P. L. dans Le Socialiste du 14/1/1888, in Willard (1977) p. 191.
23 Willard (1977), p. 192.
24 Schumpeter, p. III-129.
25 Ibid., p. II-130. Tout au plus Schumpeter accorde-t-il à certains, notamment au « pauvre Guyot », une bonne compétence en économie appliquée.
26 Il est piquant de noter que ce libéral extrême de la fin du siècle avait milité contre l’Empire, soutenu la Commune et était devenu ensuite « la plume » de Émile-Justin Menier, entrepreneur philanthrope aux idées avancées qui avait notamment signé en 1872 un ouvrage prônant l’impôt sur le capital (v. Marrey).
27 P. L. jouera de ces oppositions pour placer auprès du journal de Molinari des articles critiquant Leroy-Beaulieu (v. Corresp., p. 1-222).
28 « L’absence de colonies pourrait équivaloir à une sorte de séquestration du peuple qui aurait été assez inerte pour ne pas se créer des dépendances dans le monde » (Leroy-Beaulieu, apud Pirou, 1952, p. 125).
29 Pirou, 1952, p. 121.
30 P. L. à Engels, 1884, Corresp. pp. 1-222. Laura est plus directe, elle écrit à Engels : « Je parierais dix contre un que [Leroy-Beaulieu] n’a même pas lu Le Capital. Quant à l’avoir compris, il ne s’agit même plus de dix contre un ! S’il y était parvenu, il ne serait plus le Leroy-Beaulieu (le roi des lieux communs) qu’il est ! » (Corresp., pp. I- 226-227).
31 Corresp., pp. 1-222. P. L. poursuit ainsi sa lettre à Engels : « Je compte [...] sur vous pour revoir mon travail ; je vous prierai même, si cela ne vous embêtait pas trop, de m’exposer votre manière pour démontrer que les machines, la matière première, etc. (le capital constant) ne sont pas génératrices de plus-value. Là sera le point difficile du débat ; il faut que j’expose la question de façon à ce que même les économistes bouchés à l’émeri officiel puissent me comprendre ». Ibid, [nous soulignons, B.D.].
32 Datée du 11/8/1884 (Corresp., pp. 1-231 sq.).
33 Ibid., p. I-235 [nous soulignons, B.D.].
34 Ibid., t. 28, pp. 130-136. Cet article met le doigt sur le problème de la réduction du travail complexe au travail simple.
35 Ibid., p. 137 sq., cet article évoque la question de l’égalisation des taux de profit entre branches à composition du capital différentes.
36 Ibid., p. 287.
37 P. L. à Guesde, 1879, apud : Bottigelli (1981), pp. 58-59.
38 P. L. le Communisme..., resp. p. 1-2, 4, 8, 21,25 [nous soulignons, B.D.].
39 « Le déterminisme économique est un nouvel outil, mis par Marx à la disposition des socialistes pour établir un peu d’ordre dans le désordre des faits historiques que les historiens et les philosophes ont été incapables de classer et d’expliquer » (Le Déterminisme..., p. 3).
40 P. L. était très impressionné par l’œuvre de Vico et la Science nouvelle fait partie des rares livres de la bibliothèque de Marx que Lafargue demanda à Engels après le décès de son beau-père.
41 P. L., La Propriété..., pp. 314-315. Dans la même veine, cette formule très fataliste : « Les histoires générales des différents peuples [...] ne se distinguent entre elles que par l’étape de l’histoire idéale de Vico, que par la couche historique de Morgan, que par le barreau de l’échelle économique de Marx, auquel ils sont parvenus ; de sorte que le peuple le plus développé montre à ceux qui sont moins développés l’image de leur propre devenir » (P. L., Le Déterminisme..., p. 28).
42 Engels à Bloch, 1890, Labica (1982), p. 574.
43 Engels à P. Ernst, 1890, ibid.
44 On pourrait donner de nombreux témoignages de cet immense optimisme v.g. la lettre de P. L. à Engels du 23/9/1886, après un procès : « C’est la première fois que des bourgeois acquittent des socialistes, parce que socialistes : c’est un grand pas. Cela prouve, jusqu’à un certain point, que les bourgeois sont mûrs pour une partie de nos théories. Malheureusement en France la forme anarchiste est trop aimée, autrement nous ferions plus de propagande parmi les bourgeois qui sont épouvantés par les grands mots des anarchistes, que les révolutionnaires sont obligés, jusqu’à un certain point, d’employer » (Corresp., p. 1-389). Citons encore cette lettre à Engels de 1893 après une victoire électorale locale : « La partie industrialisée de la France est prête à la révolution et n’attend que le mot d’ordre de Paris » (p. III-278).
45 Cf. ses multiples articles de critique littéraire, d’ethnologie ; d’histoire de la famille, de la morale, des langues, des pratiques religieuses...
Auteur
CLERSÉ Université Lille I
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